Sonates pour violoncelle et piano

Transcription

Sonates pour violoncelle et piano
1949)
Richard Strauss (1864Max Reger (1873-1916)
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Quand Max Reger, gravement malade, retourna chez ses ­­­pa­rents à Weiden en 1898, il avait
déjà vingt-cinq ans. Sa vie de concertiste avait été marquée par des combats aussi âpres
que nom­breux, la critique ne s’étant pas montrée très bienveillante à son égard. Car sur
son destin planaient les noms de trois grands compositeurs à l’aune desquels on mesurait
toute chose – notam­ment dans ses domaines de prédilection : “Moi qui admire éper­dument
Jean-Sébastien Bach, Beethoven et Brahms, on prétend que je veux les détrôner. Pourtant, je ne
cherche rien d’autre qu’à les prolonger en cultivant leur style”, écrivait Reger à un ami en 1897
après que sa Suite pour orgue op.16 eut fait l’objet d’une critique impitoyable. Et tandis qu’il
était attaqué pour avoir prétendument déshonoré l’esprit de Bach dans ses compo­sitions pour
orgue, certains reprochaient à sa musique de cham­bre d’être une imitation pure et simple.
Jusque dans les premi­ères années du xxe siècle, on ne cessera d’interpréter ses sonates
et ses trios comme une tentative de se rapprocher au maximum de ce grand prêtre de la
musique de chambre qu’était Jo­han­nes Brahms. Mais en dépit des humiliations et des inimi­
tiés, Max Reger suivra obstinément son chemin, enrichissant le répertoire d’œuvres aussi
nombreuses que variées au cours du bref, mais fécond quart de siècle qui le sépare de sa
mort préma­turée en 1916, à l’âge de quarante-trois ans.
Richard Strauss, en revanche, qui avait su d’entrée de jeu gé­rer adroitement sa carrière de
compositeur et de chef d’orches­tre, n’a jamais connu cette oscillation permanente entre
échec et succès. Quand, en 1895, Max Reger prit contact avec son aîné de neuf ans en lui
demandant son appui pour faire connaître deux arrangements d’œuvres de Bach qu’il venait
de composer, Strauss, second maître de chapelle au Hoftheater de Munich, s’était surtout fait
une réputation grâce à ses poèmes sym­phoniques. Lui qui vivrait deux fois plus longtemps
que Reger (il mourut à 85 ans) était déjà assez âgé quand il revint à la musique de chambre ;
ses chefs-d’œuvre orchestraux, véritables prouesses techniques d’instrumentation, l’avaient
précocement éloigné des sentiers battus de la musique de chambre traditionnelle que les
contemporains re­prochaient à Reger de sillonner.
La différence des jugements portés sur les deux compositeurs est particulièrement bien
illustrée par les destins respectifs de la Sonate pour violoncelle et piano op.6 composée par
Richard Strauss à dix-neuf ans, et de la deuxième des trois sonates pour violon­celle signées
Max Reger. Tandis que l’opus 28 en sol mineur de Reger, créé en 1906 – huit longues années
après sa composition –, ne reçut d’abord qu’un accueil mitigé et dut at­tendre encore trois ans
la faveur du public (lors de la première berlinoise), la sonate de Strauss, créée à Nuremberg
le 8 décem­bre 1883 par le célèbre violoncelliste Hanuš Wihan, à qui Strauss avait dédié peu
auparavant sa Romance en Fa majeur pour violoncelle et orchestre, fut un succès immédiat.
La popularité des deux pièces incita Strauss à donner de la romance une version pour piano
à usage domestique, le séduisant Andante cantabile. Et quand la sonate fut jouée à Dresde,
onze jours après sa création, par le violoncelliste ­Ferdinand Böckman avec Strauss lui-même
au piano, le père Strauss reçut d’un spectateur une lettre qui ne tarissait pas d’éloges sur le
concert : “L’excellente sonate de Monsieur votre Fils a été vigoureusement applaudie au sein de
la Société des Compositeurs. Il faut dire que c’est un morceau superbe, débordant de fraîcheur,
d’éner­gie et de santé ; votre fils est une force de la nature.” L’enthousiasme suscité par cette
sonate longue d’une demi-heure à peine est dû à l’équilibre subtil entre un respect spontané
de la tradition et des accents qui annoncent déjà le musicien visi­onnaire.
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Cependant, le jeune compositeur était assez avisé pour ne pas vouloir se hausser tout de
suite au niveau de Brahms : le xixe siècle auquel il se réfère est plutôt celui de Schu­mann
et surtout de Mendelssohn-Bartholdy. Cela est évident dans le finale, cet Allegro vivo qui
remplace le mouvement ini­tia­lement projeté. De Mendelssohn, on y retrouve aussi bien le
Trio avec piano op.66 que des idées tirées de la Symphonie Écossaise. Mais dès le premier
mouvement, Allegro con brio, Strauss se montre féru d’expérimentation. Après une introduc­
tion aux allures de fanfare – qui valut d’ailleurs à Strauss les félicitations de Joseph Joachim
en personne – le thème principal est exposé au violoncelle. Mais c’est pour opposer aussitôt,
ainsi que le thème secondaire, deux caractères nettement contrastés – vigueur héroïque et
lyrisme alangui. Et après le développement, le mouvement se termine sur un fugato à quatre
voix avant de récapituler le matériau initial. L’Andante ma non troppo, en re­vanche, est d’une
grande simplicité, une “romance sans paro­les” de la meilleure veine mendelssohnienne,
à laquelle Strauss confère une teinte mélancolique et une émotion semblable à cel­le qui
émane d’un choral. Quant au mouvement final, il ne sidè­re pas seulement par ses pauses
théâtrales et ses effets contrapuntiques. Sous la désinvolture et la virtuosité provocan­tes,
des harmonies d’une impertinence ludique préfigurent les aspects burlesques du langage
orchestral de Strauss, annonçant de loin Till l’espiègle et Elektra. Le compositeur aurait dû
éprouver une certaine fierté rétrospective pour avoir possédé dès son jeune âge une technique
aussi évoluée. On est d’autant plus surpris par le jugement qu’il porte sur sa sonate sept
ans après le concert de Dresde, avouant à son ami Alexander Ritter : “Cela m’a paru vraiment
trop drôle de jouer bien sérieusement aux gens un morceau auquel on ne croit plus soi-même.”
Il faut dire que Max Reger, lui aussi, a renié sa Sonate pour vio­lon­celle op.5, la qualifiant
d’“œuvre de jeunesse complètement ratée”. Pourtant, elle révèle, tant dans sa structure que
dans le dé­tail, le grand mélodiste qu’était Reger, son enthousiasme auda­cieux, son inventivité
fertile. Il avait conçu une sonate en quatre mouvements, un Intermezzo quasi adagio venant
remplacer un ample et lent mouvement central. Et cet intermezzo recèle en­core toutes les
énergies qui nourrissent l’impétueux agitato ini­tial et le mouvement suivant, un Prestissimo
assai virtuose jus­qu’à l’extravagance. Toutes ces pulsions refont surface pour ren­for­cer la
vie intérieure de l’intermezzo. Puis des trémolos entraînent une stagnation, la dynamique
descend du fortissimo jusqu’à un mystérieux pianissimo d’où naît une mélodie entiè­rement
neuve. Le mouvement final, Allegretto con grazia, se nourrit lui aussi de ces oppositions en ne
cessant de transformer et de réorganiser les motifs. Cette année-là, et bien que grave­ment
malade, Reger débordait, si l’on en croit son biogra­phe Adal­bert Lindner, d’une ardeur créatrice
irrépressible : “Reger m’avoua qu’il l’avait [le dernier mouvement] écrit d’un seul jet, sans jamais
revenir en arrière, et qu’il avait eu toutes les peines du monde à se défendre du déferlement
d’idées qui l’assaillait.” Plus tard, une de ces idées au moins allait resurgir – au moment où
Reger composera la petite Romance op.79 n°2, sorte d’épilogue à sa deuxième sonate.
Guido Fischer
Traduction : Brigitte Hébert
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