Guérir le corps par l`esprit

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Guérir le corps par l`esprit
L’œil du Psy
Guérir le corps par l’esprit ?
Les liens entre la santé de l’esprit
et celle du corps commencent à être bien
documentés. Sans prétendre que l’esprit
peut guérir les maladies, il peut augmenter
ou réduire le risque de les contracter.
P
eut-on guérir le corps par
l ’ e s prit ? Sans aller ju squ e - l à , il sem ble que certaines émoti ons ou pensées po s i tives ont un
impact bénéfique sur notre santé
phys i qu e , to ute la difficulté étant de
f a i rela part des choses en tre les promesses irr é a l i s tes (guérissez d’une
infecti on grave par la méthode Coué)
et les faits scien ti f i qu em ent établ i s .
Les plus récentes recherches en ce
domaine livrent aujourd ’ hui un état
des lieux intére s s a n t . On les tro uve
ex posées et résumées dans un livre
r é cent du médecin et chercheur
Nathalie Rapoport, dont le titre :
Apprivo i ser l’esprit pour guérir le co rp s
annonce le progra m m e .
Depuis to u j o u rs , les interacti on s
du corps et de l’esprit ont été soulign é e s , en Occ i dent (le m ens sana in
co rpo re sano – l ’ e s prit sain dans un
corps sain – du po è te latin Juvénal)
comme en Ori ent (où la médecine en
a toujours fait grand cas). Mais les
réjouissants progrès de la médecine
moderne ont peu à peu dissocié ce
lien, en poussant les soignants à se
focaliser sur une médecine des or ganes, et à les aborder comme des en tités séparées. D’où l’apparition de
spécialités (néph ro l ogi e , pn eu m o l ogie, p s ych i a trie…) et même de su rspécialités : ainsi dans les servi ce s
u n ivers i t a i res de card i o l ogie, on ne
tro uve plus de card i o l ogues généralistes, mais des spécialistes des coronaires, des troubles du rythme, de
l’hyperten s i on, etc .
Cet te spécialisati on croi s s a n te a
permis de beaux progrès, notamment
en mati è re de prise en ch a r ge des
pathologies dans leur phase aiguë,
mais a laissé be a u coup de pati ents (et
de médecins de terrain) perplexe s
dans le cas de pathologies ch ron iques : ces dern i è res impliquent en
g é n é ral de mu l tiples or ga n e s , et su rto ut l’un d’en tre eux, le cerveau…
Nous voici à l’aube d’une nouvelle forme
de médecine, prenant davantage
en compte la personne humaine
dans son intégralité, corps et esprit,
et pas seulement ses organes.
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Christophe André
D’où l’écl o s i onde médecines dites
a l ternative s , ou com p l é m en t a i re s ,
dont l’une des ambi ti ons est d’être
holisti ques (du grec holos : to ut ,
en ti er ) , c’est-à-dire s’ a t t achant à soign er l’ensemble du corps et de la pers on n e , et pas seulem ent une partie
isolée. Jusqu’à pr é s en t , ces approches
n’ava i ent guère convaincu la communauté médicale, et repo s a i ent sur des
traditions plus ou moins anciennes,
sur des affirm a ti ons plus ou moins
fantaisistes, plutôt que sur des preuves scienti f i qu e s . Mais leurs intuiti ons, comme leu rs inten ti ons, étaient
bon n e s . C’est ce que to ute une va g u e
de travaux est en train de red é couvri r
(et de dépoussiérer !).
Les émotions,
gardiennes du corps
Comme souvent en médecine, on
s’est d’abord intéressé à la malad i e , et
aux dysfonction n em ents du lien
corps-esprit. Ainsi, to ut a com m en c é
dans les années 1950 avec les travaux
sur le stress de l’endocrinologue
d ’ origine hon groise Hans Selye qu i ,
le premier, étudia les mécanismes
en doc ri n i ens par lesqu els notre or ganisme réagit aux pre s s i ons et ex i gences de l’environnem en t . To ute une
vague de travaux fut alors consacrée
à l’impact sur notre corps de cert a i n s
états psych o l ogi ques probl é m a tiques
© Cerveau &Psycho - n° 53 septembre - octobre 2012
tels le stre s s , l’anxiété ou la dépre ssion. Les premiers à le démontrer de
m a n i è re prospective sur de gra n de s
cohortes de pati ents furent des cardiologues, qui dès les années 1960 déco uvri rent notamment que les émoti ons
hostiles (ressentiments, agacements,
colères, mauvaise humeur…) en domm a gent les art è res coronaires, et don c
augm en tent le ri s que d’infarctus du
myocarde.
Puis d’autres équ i pes étu d i è rent le
rôle protecteur et favora ble à la santé
des émoti ons po s i tives. Les bénéfice s
de bonnes rel a ti ons sociales, du souri re, de la bonne hu m eur, de la relaxati on , de la méditati on , etc . furent peu
à peu démon trés de manière incontestable. Et pru dente : ainsi, la convi cti on aujourd’hui est que les émoti ons
po s i tives ne peuvent pas (ou pas
encore) être considérées comme capables à elles seules de guérir une pathologie déjà implantée. En reva n ch e ,
elles repr é s en tent un facteur protecteur notable pour les personnes en
bonne santé : son ef fet – po s i ti f –
serait d’une ampleur comparable à
celui – néga ti f – du tabac . Les mécanismes d’acti on des émoti ons po s itives sur la santé sont mu l tiples et
com m en cent à être ex p l orés. Pa r
exemple, une équ i pe isra é l i enne de
l’Un iversité Ba r- Ilan a mon tré que
chez les pers onnes amoureu s e s , la
réactivité du système nerveux auton ome était moins forte que chez les
célibataires non amoureu x : l’amour
protège du stress en limitant la sécréti on d’adrénaline !
Ne sous-estimons
pas le stress
Aujourd’hui, la po s i ti on de la commu n a uté scien ti f i que sur les lien s
corp s - e s prit est donc à la fois plus
m e surée et plus com p l è te qu’ a utrefois. P lus mesu r é e , car on ne con s id è re plus que le stress peut « fabriqu er » à lui seul des maladies, comme
certaines théories en vogue l’affirmaient il y a en core peu . Il est un de s
facteu rs de ri s que parmi d’autre s
(génétique, alimentati on , s é den t arité…) et à ce ti tre aggrave to utes les
pathologies. Plus complète, car on ne
se con ten te plus de pen s er qu’il faut
l i m i ter le stre s s , mais qu’il est utile
pour notre santé de cultiver de notre
mieux le bi en - ê tre psych i que et émoti on n el, comme le recommandait
Voltaire, voilà déjà deux siècl e s .
tro u bles psych i ques (on sait que les
p a ti ents pr é s entant des maladies psychiatriques chroniques sont aussi en
moins bonne santé physique). Mais
aussi pour mettre notre bonheur au rang de nos pri orités
existentielles.
« Les études scientifiques de ces dernières
années ne laissent aucun doute quant à
l’influence décisive sur la santé des pensées,
des émotions et des comportements. »
Nous voici donc à l’aube d’une
n o uvelle forme de médecine, prenant
d ava n t a ge en compte la pers on n e
humaine dans son intégra l i t é , corp s
et esprit, et pas seu l em ent ses or ganes. Mais cela suppose de nombreux
changements de tous côtés, pas seulem ent de la part des médecins. En
ef fet , ce type de modèle médical su ppose une forte implicati on des
pati ents dans la prise en ch a r ge : on
attendra de plus en plus de nous que
nous soyons impliqués dans notre
santé. Bi en manger, bouger, ne pas
trop ruminer d’idées noi re s , s’ ef forcer d’être heureux : voilà de nouvelles exigences pour qui souhaite aller
bien aussi longtemps que possible.
D’où l’inquiétude de certains, qui
considèrent qu’on s’approche do u cement d’une forme de dictature du
bien - ê tre. Mécanisme inéluctable :
tout progrès dans nos connaissances
apporte aussi une part su pp l é m entaire de responsabilité. Tout comme,
en matière d’environnement, nous ne
po uvons plus ign orer que certains de
nos com portem ents abîment la planète, ce sera de plus en plus le cas en
matière de santé : nous savons désormais que notre moral pèse sur notre
santé. Une raison de plus pour con tinu er à mieux dépister et soi gn er les
© Cerveau &Psycho - n° 53 septembre - octobre 2012
Christophe ANDRÉ
est médecin psychiatre à l’Hôpital
Sainte-Anne, à Paris.
Bibliographie
N. Rapoport-Hubschman,
Apprivoiser l’esprit pour guérir le corps,
Odile Jacob, 2012.
I. Schneiderman et coll., Love alters
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Emotion, vol. 11(6),
pp. 1314-1321,2011.
K. W. Davidson et coll., D o n ’t worry,
be happy : positive affect and reduced
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disease : the canadian nova scotia
health surv e y, in European Heart
J o u rn a l, vol. 32(21), pp. 2672-2677,
2011.
R. Veenhoven, Healthy happiness :
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and the consequences for the preventive
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S t u d i e s, vol. 9, pp. 449-469, 2008.
T. Janssen, La solution intérieure. Vers
une nouvelle médecine du corps et de
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