ordres professionnels et droit de la concurrence

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ordres professionnels et droit de la concurrence
ORDRES PROFESSIONNELS
ET DROIT DE LA CONCURRENCE
— PLAIDOYER POUR UNE ENTENTE
CORDIALE
Thierry BONTINCK
Avocat
et
Frédéric PUEL
Avocat
La prestigieuse carrière du Bâtonnier Dal s’inscrit dans une vision
moderne de la profession d’avocat. Dans la conviction que les valeurs
ordinales peuvent s’adapter à l’évolution du monde sans s’affaiblir. Le
rejet de tout conservatisme stérile et d’un corporatisme autodestructeur
nourrit ses réflexions sur l’avenir des Ordres et de la profession
d’avocat.
Le droit européen de la concurrence est l’une des expressions de la
modernité que les Ordres professionnels doivent appréhender avec sérénité, mais vigilance, dès lors que leurs usages et leurs pratiques n’échappent pour la plupart pas au respect de ces règles.
Un équilibre incertain
S’il est acquis que les Ordres sont soumis aux règles de concurrence,
la conciliation entre le fonctionnement de ceux-ci et les exigences de ce
droit particulier repose encore sur un équilibre précaire et souvent mal
perçu. Ces incertitudes résultent de la nature duale des Ordres qui sont
identifiés comme des associations d’entreprises, tout en agissant en tant
qu’organismes assimilables à une autorité publique et chargés de la régulation d’une profession.
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Dans son célèbre arrêt Wouters(1), la Cour de justice de l’Union européenne a défini les conditions d’application du droit de la concurrence
aux Ordres professionnels tout en en dessinant les limites.
Bien avant cet arrêt fondateur, la jurisprudence européenne avait
tranché la question de savoir si les membres d’une profession libérale pouvaient être considérés comme des entreprises au sens de l’article 101, § 1er, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(ci-après, article 101, § 1er TFUE)(2). La réponse était affirmative
compte tenu de la définition volontairement large de la notion d’entreprise adoptée par la juridiction européenne qui « comprend toute entité
exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique
de cette entité et de son mode de fonctionnement »(3). L’activité propre
aux membres d’une profession libérale qui consiste à offrir des services
de nature intellectuelle est une activité qui relève de cette définition de
l’entreprise(4).
Les avocats pouvant individuellement être considérés comme des
entreprises, les Ordres d’avocats pouvaient-ils, en conséquence, être
qualifiés d’associations d’entreprises au sens de l’article 101, § 1er,
TFUE ? C’est en substance la question à laquelle va répondre la Cour de
justice de l’Union européenne dans l’arrêt Wouters. Saisie par le Conseil
d’État des Pays-Bas de la question préjudicielle de savoir si, dans le
contexte de l’interdiction ordinale de la constitution d’une association
multidisciplinaire entre des avocats et des experts-comptables, l’Ordre
néerlandais des avocats pouvait être considéré comme une association
d’entreprises, la Cour va dégager deux hypothèses dans lesquelles les
comportements d’un Ordre échappent à l’application des règles de
concurrence du Traité.
(1) C.J.U.E., 19 février 2002, Wouters, C-309/99. Tous les arrêts des juridctions de
l’Union européenne cités sont disponibles sur le site de la Cour de justice : www.curia.
europa.eu.
(2) Ancien article 85 du Traité CE et ancien article 81 du Traité CE (tels que cités dans
les références antérieures à l’entrée en vigueur du TFUE).
(3) C.J.U.E., 23 avril 1991, Höfner, C-41/90.
(4) C.J.U.E., 18 juin 1998, Commission c. Italie, C-35/96 ; T.U.E., 30 mars 2000,
Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali c. Commission, T-513/93 ; C.J.U.E.,
12 septembre 2000, Pavlov, C-180/98 à C-184/98. Voy. également sur cette évolution :
H. NYSSENS, « Concurrence et ordres professionnels : “les trompettes de Jéricho” sonnentelles ? », R.D.C., 1999, pp. 475 à 477.
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Les critères de l’arrêt Wouters
Il s’agit d’abord de l’hypothèse dans laquelle un Ordre professionnel
« exerce une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques(5).
La Cour illustre ses propos en invoquant les arrêts Poucet et Pistre où
elle conclut que la gestion du service public de la sécurité sociale(6) ne
relève pas de l’article 101 TFUE.
La Cour exclut également de l’application des règles de concurrence du
Traité une activité ordinale qui se rattache à l’exercice de prérogatives de
puissance publique. Elle recourt ici aux enseignements de sa jurisprudence
dans les affaires relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien(7) et
à la surveillance antipollution de l’environnement maritime(8). C’est aussi
à cette hypothèse que se rattache la Cour dans son arrêt Arduino(9) rendu le
même jour que l’arrêt Wouters. Elle y considère que les barèmes minimal
et maximal arrêtés par le conseil de l’Ordre des avocats italiens ont un
caractère de réglementation étatique dans la mesure où l’Ordre des avocats
intervenait en qualité d’expert pour l’État qui conserve son pouvoir de décision et d’amendement du barème adopté en dernier ressort(10). Lorsqu’il
octroie des pouvoirs normatifs à une association professionnelle et qu’il
veille à définir les critères d’intérêt général et les principes essentiels auxquels la réglementation ordinale doit se conformer, ainsi qu’à consacrer
son pouvoir de décision en dernier ressort, l’État conserve en réalité le
contrôle et les normes qui sont arrêtées par l’association professionnelle
qui échappe donc aux règles du Traité applicables aux entreprises(11).
En revanche, la Cour estime que lorsque les réglementations arrêtées
par un Ordre sont imputables exclusivement à celui-ci et que le règlement
adopté constitue l’expression de la volonté de représenter les membres
d’une profession tendant à obtenir de ceux-ci qu’ils adoptent un comportement déterminé dans le cadre de leur activité économique, l’Ordre
peut être considéré comme une association d’entreprises. La Cour considère que certains indices concourent à l’application de l’article 101,
§ 1er, TFUE à une organisation professionnelle, à savoir, la composition
(5) Point 57 de l’arrêt Wouters.
(6) C.J.U.E., 17 février 1993, Poucet et Pistre, C-159/91 et C-160/91, points 18 et 19.
(7) C.J.U.E., 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft, C-364/92, point 30.
(8) C.J.U.E., 18 mars 1997, Cali et Figli, C-343/95, points 22 et 23.
(9) C.J.U.E., 19 février 2002, Arduino, affaire C-35/99.
(10) Points 40 et 41 de l’arrêt Arduino.
(11) Point 68 de l’arrêt Wouters.
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exclusive de membres de cet Ordre professionnel, la possibilité pour les
autorités ordinales d’intervenir dans la désignation de ses membres, l’absence de critère d’intérêt public, ainsi que le fait que le règlement n’est
pas étranger à la sphère économique(12).
Le règlement d’un Ordre d’avocats relatif à la collaboration entre les
avocats et d’autres professions libérales doit donc être considéré comme
une décision susceptible de restreindre la concurrence, mais, et c’est
toute l’importance de l’arrêt Wouters, une telle réglementation n’enfreint
pas l’article 101, § 1er TFUE, dans la mesure où l’Ordre a pu raisonnablement considérer que ladite réglementation, nonobstant les effets restrictifs de la concurrence qui lui sont inhérents, s’avère nécessaires au bon
exercice de la profession d’avocat telle qu’elle est organisée dans l’État
membre concerné(13).
Les autorités ordinales ont donc la compétence d’adopter des règles
professionnelles et déontologiques potentiellement restrictives de
concurrence même lorsqu’elles agissent dans le cadre de leurs activités économiques à condition que ces règles soient justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif visé. La protection de la santé
publique, l’intérêt des justiciables, la bonne administration de la justice,
la sécurité publique, la protection du cadre de vie sont autant de causes
susceptibles de justifier une restriction de concurrence dans le respect du
principe de proportionnalité.
L’audacieuse règle de raison élaborée par la Cour dans l’arrêt
Wouters(14) demeure à ce jour la trame de raisonnement de la Commission
européenne et des autorités nationales en la matière.
Intérêt général et proportionnalité
Guidée par cette jurisprudence novatrice, la Commission européenne
va proposer dans un rapport sur la concurrence dans le secteur des pro(12) Points 64 et 68 de l’arrêt Wouters.
(13) Point 107 de l’arrêt Wouters.
(14) Pour des commentaires approfondis de l’arrêt Wouters : L. DEFALQUE,
« L’application des règles de concurrence aux réglementations des Ordres professionnels »,
J.T., 2002, p. 457 ; P. DE BANDT, S. BREDAEL, L. MISSON, « Droit de la concurrence et
exercice de pouvoirs réglementaires par les Ordres professionnels : quelques réflexions et
une tentative de synthèse au vu de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2003 et
de la jurisprudence récente de la Cour de justice », R.D.C., 2004, p. 22 ; L. IDOT, « Avocats
et droit de la concurrence, la rencontre a eu lieu », Europe, mai 2002, p. 5.
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fessions libérales(15) une approche nuancée de la question. Elle estime
qu’il peut être nécessaire de réglementer les services des professions
libérales essentiellement pour trois raisons.
La première raison repose sur la notion d’asymétrie d’information
entre les consommateurs et les prestataires de service. L’activité développée par des professions libérales implique des compétences techniques
et intellectuelles élevées que les consommateurs ne sont pas à même
d’évaluer comme ils peuvent le faire librement pour d’autres biens de
consommation ou d’autres services. L’existence d’une réglementation
va permettre de réduire cette asymétrie.
La deuxième raison repose sur le fait que la prestation d’un service
dans le cadre d’une profession libérale peut avoir des effets sur les tiers,
et pas seulement sur la personne bénéficiaire du service (action en justice, construction d’un immeuble, diagnostic de maladie contagieuse…).
Une action de régulation est nécessaire dans la mesure où les prestataires
et les acheteurs pourraient ne pas prendre suffisamment en compte ces
effets externes.
Enfin, troisième raison, les services prestés par les membres de professions libérales peuvent être considérés comme des biens publics présentant une valeur pour l’ensemble de la société. Ce serait le cas, par
exemple, pour une bonne administration de la justice ou le développement d’un environnement urbain de qualité. Il est impératif qu’une réglementation vienne assurer le contrôle de ces biens publics.
Il ne faut toutefois pas se méprendre, la Commission reste dans une
logique de dérégulation vis-à-vis des Ordres professionnels. Elle ne
manque pas de rappeler que le secteur des professions libérales « se
caractérise par un niveau élevé de réglementations et qu’il s’agit souvent d’un mélange de législations nationales, d’autoréglementation et de
coutumes et pratiques ayant évolué au fil des années »(16). Elle souligne
que les règles régissant les professions libérales peuvent « empêcher les
professionnels de travailler de manière efficace par rapport au coût, de
réduire les prix, d’améliorer la qualité ou d’innover »(17). La Commission
reste attentive et invite les autorités nationales à l’être tout autant. Dans
un rapport récent relatif à la France, mais qui est de nature à s’adresser
(15) Communication de la Commission, « Rapport sur la concurrence dans le secteur
des professions libérales », février 2004, COM(2004) 83, final, points 24-28.
(16) Communication de la Commission, « Rapport sur la concurrence dans le secteur
des professions libérales », op. cit., point 2.
(17) Ibidem, point 7.
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aux autres États membres, elle estime que dans de nombreuses professions libérales « aucune réforme horizontale n’a été engagée pour éliminer les restrictions injustifiées dans les secteurs et professions réglementées » et que « les restrictions excessives dans ces secteurs pèsent sur la
concurrence et tentent à faire grimper les prix »(18).
L’actualité des autorités de concurrence atteste de ce que les Ordres
professionnels sont à la croisée des chemins. Il leur appartient de passer
au filtre du droit de la concurrence leurs réglementations, leurs pratiques
et leurs comportements afin de supprimer les restrictions excessives de
nature économique tout en maintenant celles qui se justifient dans la
poursuite de leur mission d’intérêt général. Cet arbitrage peut s’avérer
délicat. Dans de nombreux cas, la marge de manœuvre reste floue, mais
les risques importants au vu de la sévérité des sanctions prononcées
par les autorités de la concurrence et des enjeux qu’impliquent pour les
Ordres le maintien de leurs compétences d’autorégulation.
Ces dernières années, quatre domaines d’intervention des Ordres ont
retenu l’attention des autorités de concurrence : la fixation des honoraires, les règles en matière de communication commerciale, le pouvoir
disciplinaire et la formation professionnelle.
La fixation des honoraires
Les interventions des autorités de concurrence en matière de fixation
des honoraires constituent sans doute l’illustration la plus claire, et la
moins contestée, de l’application du droit de la concurrence aux activités des Ordres. Ces interventions peuvent revêtir différentes formes :
l’adoption de barèmes, la fixation d’un prix minimum ou d’un prix maximum, l’édiction d’une charte de prix…
Les architectes français, anglais et belges ont vu leur barème d’honoraires condamnés par les autorités compétentes. Ainsi, en Belgique, la
Commission européenne a condamné un système de barèmes, comportant des honoraires minimums, prévoyant que les honoraires des architectes étaient calculés en pourcentage de la valeur des travaux réalisés,
par catégorie d’ouvrages et par tranche de dépenses. La Commission a
(18) Voy. recommandation du Conseil du 9 juillet 2013 concernant le programme
national de réforme de la France pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme
de stabilité de la France pour la période 2012-2017, J.O. du 30 juillet 2013, p. 27, 2013/C
217/08, adoptée sur la base de la recommandation de la Commission du 29 avril 2013,
COM(2013) 360 final.
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considéré qu’« un barème d’honoraires minima est une décision d’une
association d’entreprises qui est susceptible d’affecter le commerce
entre États membres et qui a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de
fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun »(19). La
Commission condamne le barème établi en considérant qu’il tend à coordonner les politiques de prix des architectes et qu’il n’est pas nécessaire
pour le bon exercice de la profession. Elle souligne que les honoraires
doivent refléter les compétences, l’efficacité des architectes et les coûts
supportés. En conséquence, les honoraires doivent être fixés librement
entre l’architecte et son client, et de manière indépendante des concurrents. La Commission européenne exclut l’application de l’exception
Wouters dans ce cas.
Préalablement, en France, l’Autorité de la concurrence a condamné
une pratique similaire du Conseil national des architectes qui consistait
à établir et diffuser auprès de ses membres un tableau indicatif des taux
usuels de rémunération de la prestation d’architecte. L’autorité française
a rappelé à cette occasion que « l’élaboration et la diffusion à l’initiative
d’une organisation professionnelle d’un document destiné à l’ensemble
de ses adhérents constituent une action concertée »(20). Elle considère que
ledit tableau constitue un cadre de références susceptibles d’empêcher
l’architecte de se fonder sur ses propres coûts dans l’établissement de ses
honoraires. L’autorité en conclut que « l’élaboration et la diffusion d’un
tel document a pour objet de restreindre le jeu de la concurrence »(21).
Des décisions similaires ont été rendues au Royaume-Uni, l’Office
of Fair Trading considérant que des orientations diffusées par l’Institut
royal des architectes britanniques (RIBA) relatives aux honoraires étaient
de nature à favoriser la collusion. En revanche, dans cette même affaire,
l’Office of Fair Trading a validé des orientations diffusées par l’Institut
des architectes fondées sur des informations historiques et sur la compilation des tendances de prix, qui ne fournissent pas d’information sur
les prix de l’année en cours(22). Cette position est également partagée par
l’Autorité française de concurrence qui précise, dans un avis rendu en
(19) Décision de la Commission européenne, 24 juin 2004, Ordre des architectes
belges, COMP/A.38549, J.O.U.E. L 004 du 6 janvier 2005, pp. 0010-0011.
(20) Autorité de la concurrence (F), 10 juin 1997, décision relative à des pratiques mises
en œuvre par le Conseil national de l’Ordre des architectes, no 97-D-45 (toutes les décisions
de l’autorité française sont disponibles sur leur site : www.autoritedelaconcurrence.fr).
(21) Ibidem.
(22) OFB/Royal Institute of British Architects, 14 mars 2003 publiée sur le site de
l’OFB : www.oft.gov.uk/business/legal+powers/ca98+publications.htm.
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matière agricole, qu’il « est uniquement admis qu’un organisme professionnel puisse diffuser des informations en matière de coûts ou de prix
sous forme de mercuriales ou d’indices, c’est-à-dire de données passées,
anonymes et suffisamment agrégées pour exclure l’identification d’un
opérateur »(23). Elle ajoute par ailleurs que la mercuriale doit se borner
« à publier des prix constatés pendant une période passée déterminée et
établis par des méthodes scientifiques »(24).
Pour ce qui concerne la fixation d’honoraires minimums, la position
de la Commission européenne n’est guère plus flexible que celle des
ses homologues nationaux. Elle considère que « les prix minimums sont
vraisemblablement les instruments les plus néfastes pour la concurrence,
dans la mesure où ils suppriment ou réduisent fortement les avantages
que le marché concurrentiel présente pour les consommateurs »(25).
Le 11 juin 2013, l’Autorité française a eu à connaître de la licéité
d’une charte de prix mise en place pour organiser l’intervention de vétérinaires sur les animaux recueillis par la Société protectrice des animaux
(S.P.A.) de Strasbourg. Elle prévoyait l’application d’une grille tarifaire unique pour les soins vétérinaires. En vertu de cette charte, les prix
étaient identiques quel que soit le vétérinaire instrumentant. L’autorité
de la concurrence a condamné l’objet anticoncurrentiel de l’entente entre
les vétérinaires, dans la mesure où elle faisait « obstacle à toute compétition par des prix entre les vétérinaires adhérents dans leur relation avec
la S.P.A. de Strasbourg »(26).
Les juridictions européennes sont sur la même ligne. Dans un arrêt
récent du 18 juillet 2013 rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice a jugé que des règles déontologiques prévoyant comme critères de
fixation des honoraires « outre la qualité et l’importance de la prestation
de service, la dignité de la profession, constituent une décision d’association d’entreprises au sens de l’article 101, § 1er, TFUE qui peut avoir
(23) Avis de l’Autorité de la concurrence (F) no 11-A-14 du 26 septembre 2011 relatif
au secteur viticole (vins de la région de Bergerac).
(24) Avis de l’Autorité de la concurrence (F) no 03-A-09 du 6 juin 2003 relatif à un
indice d’évolution du coût de la réparation automobile reprenant la décision du Conseil de
la concurrence no 99-D-08 du 2 février 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par
l’Académie d’architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
(25) Communication de la Commission, « Rapport sur la concurrence dans le secteur
des professions libérales », op. cit., point 31.
(26) Autorité de la concurrence (F), 11 juin 2013, décision relative à des pratiques
mises en œuvre dans le cadre des relations entre des vétérinaires et la Société protectrice
des animaux (S.P.A.) en région Alsace, no 13-D-14.
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pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché
intérieur »(27).
Le constat est clair. La Commission européenne et les autorités nationales font peu de concessions en matière de fixation des honoraires par
les Ordres. Ces fixations sont qualifiées d’ententes constitutives d’une
restriction de concurrence par objet et ne peuvent rentrer dans l’exception de l’arrêt Wouters. La fixation d’un prix n’est jamais une mesure
susceptible de favoriser l’intérêt général ou la protection du consommateur ou du patient(28). Seuls sont acceptés, voire même encouragés, les
comportements qui consistent, comme dans la décision de l’Office of Fair
Trading et les avis de l’Autorité de la concurrence française, à recueillir
et à publier des informations historiques sur les prix à partir d’enquêtes
réalisées par des entités indépendantes telles que des organisations de
consommateurs ou autres associations. Ces saines pratiques qui guident
tant les prestataires de services que leurs clients rencontrent ainsi l’un des
objectifs de la Commission, qui consiste à autoriser la réglementation des
services de professions libérales dans le but de réduire l’asymétrie d’information présente sur le marché.
Les communications commerciales
Les restrictions dans les communications commerciales imposées par
les Ordres ont fait l’objet elles aussi de différentes prises de position des
autorités.
Dans une affaire qui concernait une interdiction de réaliser de la
publicité comparative édictée par l’Institut des mandataires agréés par
l’Office européen des brevets(29), le Tribunal de l’Union européenne a
jugé qu’une interdiction pure et simple de la publicité comparative est
soumise à l’article 101, § 1er, TFUE. L’Institut justifiait ses réglementations en estimant que l’interdiction reposait, d’une part, sur les obligations de dignité et de courtoisie qui devaient régner dans l’exercice d’une
profession libérale, d’autre part, sur la nécessité d’assurer le respect de
(27) C.J.U.E., 18 juillet 2013, Consiglio nazionale dei geologi et Autorità garante della
concorrenza e del mercato, C-136/12, point 57.
(28) Pour d’autres exemples en matière de réglementation des prix : Autorité de la
concurrence (F), 15 janvier 2001, décision relative à des pratiques en matière d’honoraires
mises en œuvre par l’Ordre des avocats au barreau de Nice, no 00-D-52 ; Paris, 1re ch.,
section H, 10 novembre 1998, B.O.C.C.R.F., no 22, p. 707.
(29) T.U.E., 28 mars 2001, Institut des mandataires agréés c. Commission, T-144/99.
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l’éthique. Le Tribunal a estimé « qu’il ne peut être admis que des règles
organisant l’exercice d’une profession, par le seul fait qu’elles soient
qualifiées de “déontologiques” par les organismes compétents, échapperaient par principe au champ d’application de l’article 81 du Traité »(30).
Le Tribunal rappelle que « la publicité est un élément important de la
situation concurrentielle sur un marché donné, en ce qu’elle permet de
mieux appréhender les mérites de chacun des opérateurs, la qualité de
leurs prestations et leurs coûts »(31). Il ajoute que « l’interdiction pure et
simple de la publicité comparative limite les possibilités des mandataires
plus efficaces de développer leurs services. Cela a notamment pour effet
de cristalliser la clientèle de chaque mandataire à l’intérieur d’un marché
national »(32). Le Tribunal en conclut aux effets favorables de la publicité
pour la concurrence.
L’article 24 de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le
marché intérieur prévoit que :
« 1. Les États membres suppriment toutes les interdictions totales
visant les communications commerciales des professions réglementées.
2. Les États membres veillent à ce que les communications commerciales faites par des professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui vise notamment
l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession, ainsi que le
secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession.
Les règles professionnelles en matière de communication commerciale
doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse
d’intérêt général et proportionnées ».
La directive Services transposée dans l’ensemble des États membres
s’applique à la majorité des professions libérales, à l’exception des professions de santé. Elle libéralise très largement la communication commerciale sous toutes ses formes, que l’on parle de publicité, de publicité
comparative ou de démarchage. Ce texte qui concerne la matière de libre
prestation des services reprend en quelque sorte en son article 24.2 la
règle de raison édictée par l’arrêt Wouters en matière de concurrence,
elle-même inspirée de la jurisprudence Cassis de Dijon en matière de
libre circulation des marchandises(33).
(30) Point 64 de l’arrêt Institut des mandataires.
(31) Point 72 de l’arrêt Institut des mandataires.
(32) Point 74 de l’arrêt Institut des mandataires.
(33) Voy. en ce sens L. DEFALQUE, « L’application des règles de concurrence aux
réglementations des Ordres professionnels », J.T., op. cit., no 15.
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La communication commerciale, dont la publicité, la publicité comparative et le démarchage ne constituent que des variantes, ne saurait souffrir d’interdiction générale. La Cour de justice l’a confirmé en 2011 pour
le démarchage, en l’espèce, pratiqué par des experts-comptables français(34). Les restrictions doivent être strictement proportionnées à l’objectif d’intérêt général poursuivi sur pied de l’article 24.2 de la directive
Services en matière de libre prestation des services et sur pied de la règle
prétorienne de l’arrêt Wouters en droit de la concurrence.
Précisons à cet égard que si les articles 24.1 et 24.2 de la directive
Services ne s’appliquent pas pour les professions de santé, tel n’est pas
le cas de la règle de raison de l’arrêt Wouters en matière de concurrence.
Toutes restrictions de publicité édictées par un Ordre dans le secteur de
la santé se doivent d’être proportionnées aux objectifs de santé publique
qui conduisent à leur adoption.
Ainsi en Belgique, le Conseil de la concurrence s’est prononcé sur
la légalité de la prohibition de la publicité et des ristournes par l’Ordre
des pharmaciens belges(35). Selon l’autorité belge, la possibilité de faire
de la publicité est un élément essentiel de concurrence. Cet élément est
d’autant plus essentiel pour les pharmaciens, puisque le marché des
médicaments est encore, du moins partiellement, fortement réglementé
et que les entraves sont toujours existantes et empêchent ainsi le pharmacien de déterminer librement son prix de revente. Le Conseil est donc
d’avis, compte tenu des caractéristiques spécifiques de l’organisation de
la profession de pharmacien, que le simple fait de prohiber purement et
simplement la publicité dans les marchés pertinents et, est à considérer
comme une restriction grave ayant pour objet de restreindre la concurrence.
Si le maintien d’interdictions générales de toutes formes de communications commerciales par des autorités ordinales est exclu, il ne faut pas en
déduire pour autant que ces professions seront forcément livrées à l’avenir
à une publicité sauvage et anarchique. Les réglementations ordinales, à
condition qu’elles soient proportionnées à l’objectif d’intérêt général poursuivi, pourront veiller à limiter ou encadrer certaines formes de publicité
inadéquates pour une profession particulière. Un Ordre d’avocats pourra,
par exemple, veiller à ce que le démarchage accompli par un avocat ne
(34) Voy. en ce sens C.J.U.E., 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertises
comptables, C-119/09.
(35) Conseil de la concurrence, 26 octobre 2007, Ordre des pharmaciens, no 2007I/0-27.
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soit pas contraire aux règles déontologiques essentielles que sont les obligations de loyauté, de dignité et de délicatesse. Un Ordre pourra interdire
la communication commerciale qui consiste à tenir des propos inexacts ou
invérifiables, à proposer des services à des personnes en état de faiblesse,
par exemple accidentées ou malades, à promettre un meilleur résultat dans
une procédure que celui atteint jusqu’ici par l’avocat chargé du dossier.
En vertu du principe de proportionnalité, plus l’intérêt général est susceptible d’être menacé, plus l’intervention de l’autorité ordinale sera appréciée. Cette réflexion rejoint à nouveau les trois raisons évoquées par la
Commission pour justifier une réglementation ordinale : l’asymétrie d’information (une publicité trompera plus facilement un consommateur peu
informé de la teneur de la prestation offerte par une profession libérale
que dans un autre cadre), les effets qu’une publicité pour une profession
libérale peuvent avoir sur les tiers, la nature même du service presté par les
membres d’une profession libérale qui impose un certain contrôle.
La formation permanente
Les réglementations relatives à la formation permanente des membres
d’un Ordre doivent, a priori, être considérées comme une activité étrangère à la sphère des échanges économiques(36) qui échappent à l’application de l’article 101 TFUE. La Cour de justice s’est toutefois prononcée
le 28 février 2013(37) sur question préjudicielle quant à la légalité d’un
règlement professionnel de l’Ordre des experts-comptables portugais qui
imposait à ses membres un système de formation obligatoire exclusivement dispensé par l’Ordre ou par un organisme homologué.
L’autorité de concurrence portugaise a infligé une amende à cet Ordre
estimant que le règlement avait causé une distorsion de concurrence sur
le marché de la formation obligatoire des experts-comptables sur l’ensemble du territoire national. C’est dans ce cadre que la Cour de justice a
été saisie d’une question préjudicielle portant sur l’étendue des prérogatives des Ordres en matière de formation. Elle a répondu qu’un règlement
adopté par un Ordre professionnel qui impose un système de formation
obligatoire destiné à ses membres ne peut pas soustraire du champ d’application du droit européen de la concurrence les normes arrêtées par cet
Ordre, pour autant que celles-ci soient imputables à ce dernier. Un règle(36) Voy. en ce sens : L. DEFALQUE, « L’application des règles de concurrence aux
réglementations des Ordres professionnels », J.T., op. cit., no 19.
(37) C.J.U.E., 28 février 201,3 Ordem dos Technicos Oficiais de Contas, C-1/12.
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153
ment adopté par un Ordre professionnel mettant en place un système de
formation obligatoire constitue une restriction de concurrence interdite
par le droit de l’Union pour autant qu’il élimine la concurrence sur une
partie substantielle du marché pertinent, au bénéfice de l’Ordre, et qu’il
impose, sur l’autre partie de ce marché, des conditions discriminatoires
au détriment des concurrents de l’Ordre(38).
Il ne faut pas voir dans cette jurisprudence le début d’une remise
en cause des obligations de formations permanentes imposées par les
Ordres professionnels. L’autorité de concurrence portugaise, comme la
Cour de justice, ne conteste guère l’imposition d’exigences de formations permanentes. Elles estiment par contre que dans la désignation des
organismes de formation extérieurs amenés à dispenser des formations
permanentes, un Ordre doit se montrer objectif et « prévoir un système
de contrôle organisé sur la base de critères clairement définis, transparents, non discriminatoires, contrôlables et susceptibles de garantir aux
organismes de formation un égal accès au marché en cause »(39).
Le raisonnement tenu par la cour d’appel de Bruxelles dans son arrêt du
4 mai 2004(40) saisie d’un recours relatif au règlement de l’Ordre national
des avocats sur la formation obligatoire des stagiaires reste d’actualité.
La cour de Bruxelles y estime que les objectifs du règlement de l’Ordre
national sont liés à la nécessité de concevoir des règles d’organisation,
de déontologie, et surtout de qualification des avocats, qui procurent la
nécessaire garantie de qualité d’expérience aux justiciables.
Les Ordres doivent par contre se montrer transparents dans les critères
d’homologation qu’ils fixent, et veiller à ce que les dispenses d’homologation qui seraient accordées se justifient pleinement(41). En pratique, les
Ordres veilleront surtout en la matière à faire preuve de prudence lorsqu’ils
refusent une homologation. Un tel refus se devra d’être motivé avec précision essentiellement sur le défaut de qualité de la formation écartée.
La discipline
Les réglementations des Ordres relatives à l’organisation disciplinaire
sont étrangères à la sphère économique. Ce constat évident ne saurait
(38) Point 108 de l’arrêt Ordem dos Technicos Oficiais de Contas.
(39) Point 99 de l’arrêt Ordem dos Technicos Oficiais de Contas.
(40) Bruxelles, 4 mai 2004, J.L.M.B., 2004, p. 922.
(41) Voy. sur cet arrêt Ph. HALLET et J. WILDEMEERSCH, « La formation continue seraitelle un enjeu économique ? », J.L.M.B., 2013/13, pp. 756 et s.
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ORDRES PROFESSIONNELS ET DROIT DE LA CONCURRENCE
être remis en cause, à condition bien sûr que les Ordres professionnels
s’abstiennent d’utiliser leur pouvoir disciplinaire comme un moyen de
pression pour obtenir de leurs membres l’adoption d’un comportement
anticoncurrentiel.
Dans une décision du 12 février 2009, l’Autorité française de la
concurrence a sanctionné le conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes
pour avoir écarté un partenariat avec une société de services spécialisés
intervenant pour des compagnies d’assurance et des mutuelles (la société
Santéclaire).
Le conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes avait mené
une campagne de boycott à l’encontre de la société Santéclaire et avait
menacé de sanctions disciplinaires les chirurgiens-dentistes qui étaient
engagés avec elle. L’Autorité rappelle que : « les pratiques de boycott
ont, par nature, un objet anticoncurrentiel ». Elle souligne ensuite que
ces pratiques « sont en l’espèce d’autant plus graves qu’elles émanent
d’instances qui ont l’autorité morale attachée à l’Ordre professionnel
qu’elles représentent pour inciter les membres à évincer effectivement
un prestataire de service »(42).
De son côté, la Commission européenne, dans sa décision du
8 décembre 2010 relative à l’Ordre des pharmaciens de France(43), estime
que les activités disciplinaires d’un Ordre professionnel ne peuvent en
soi constituer une pratique anticoncurrentielle, mais qu’elles peuvent
contribuer à renforcer les effets anticoncurrentiels des décisions de cet
Ordre. En l’espèce, la Commission reprochait à l’Ordre des pharmaciens
de poursuivre disciplinairement des membres biologistes qui ne respectaient pas des obligations fixées par l’Ordre, obligations jugées exorbitantes et restrictives de concurrence par la Commission.
Si les prérogatives disciplinaires d’un Ordre ne peuvent être considérées comme attachées à la sphère des échanges économiques, il ressort
de ces décisions que l’utilisation de ces compétences disciplinaires aux
fins d’imposer des comportements restrictifs de concurrence est sévèrement sanctionnée.
(42) Autorité de la concurrence (F), 12 février 2007, décision relative à une saisie de la
société Santéclaire à l’encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché de l’assurance
complémentaire santé, no 09-D-07, notamment les points 138 et 153.
(43) Décision de la Commission européenne, 8 décembre 2010, Ordre des pharmaciens
de France, COMP/39.510, J.O.U.E., 24 mars 2011, no C92, p. 16. Cette décision fait l’objet
d’un recours pendant devant le Tribunal de l’Union européenne.
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ORDRES PROFESSIONNELS ET DROIT DE LA CONCURRENCE
155
Une immense responsabilité et un outil majeur :
la confiance
Peut-on, au terme de cette analyse, isoler un critère précis et infaillible
qui permettrait à un Ordre professionnel d’évaluer l’adéquation d’un
comportement aux règles de la concurrence ? La réponse est assurément
négative, mais l’évolution exponentielle de la jurisprudence depuis une
quinzaine d’années permet d’y voir plus clair.
Plus de dix ans après l’arrêt Wouters, ses enseignements restent d’actualité. Le droit de la concurrence ne s’applique pas lorsqu’un Ordre
exerce des prérogatives typiques de puissance publique et lorsque l’État
conserve son pouvoir de décision en dernier ressort.
S’il agit en qualité d’association d’entreprises dans la sphère des
échanges économiques, les réglementations dont l’objectif est de préserver l’intérêt général sont considérées comme échappant aux interdictions
de l’article 101, § 1er TFUE. Des questions qui touchent à l’indépendance
d’une profession, à la qualité des prestations rendues, à la protection de la
santé publique, au respect du secret professionnel, à la sécurité publique,
au devoir d’éviter des conflits d’intérêts, à la bonne administration de la
justice seront considérées comme acceptables à condition qu’elles soient
proportionnelles à l’objectif poursuivi(44). En revanche, les décisions qui,
sous couvert d’intérêt général, visent en réalité la défense d’intérêts corporatistes sont par avance condamnées. C’est le cas des barèmes d’honoraires, des décisions de boycott(45), des interdictions générales de la
(44) Voy. pour d’autres exemples que déjà cités : l’arrêt de la Cour de cassation de
Belgique du 25 septembre 2003 qui fait une application identique à l’arrêt Wouters à un
règlement de l’Orde van Vlaamse Balies qui interdirait toute forme de collaboration entre
les avocats et d’autres professions pour toutefois considérer que dans le cas d’espèce les
effets restrictifs de l’interdiction, qui visait toutes formes de collaboration, étaient excessifs
(Cass., 25 septembre 2003, R.D.C., 2004, p. 55) ou encore l’avis de l’Autorité française
de concurrence sur le monopole de contreseing d’avocat des actes sous seing privé en
droit français (Autorité de la concurrence, 27 mai 2010, avis relatif à l’introduction du
contreseing d’avocat des actes sous seing privé, no 10-A-10).
(45) Voy. la décision de l’Autorité française relative aux chirurgiens-dentistes du
12 janvier 2009 invoquée ci-avant. Voy. aussi une décision de l’Autorité française de la
concurrence du 20 juillet 2005 relative au boycott d’un prothésiste dentaire par l’Ordre
des chirurgiens-dentistes (Autorité de la concurrence (F), 20 juillet 2005, décision relative
à des pratiques mises en œuvre par le conseil départemental de l’Ordre national des
chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le conseil national de l’Ordre des chirurgiensdentistes, no 05-D-43) et la décision de la même Autorité du 22 février 2002 concernant
les géomètres-experts (Autorité de la concurrence (F), 28 février 2002, décision relative
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ORDRES PROFESSIONNELS ET DROIT DE LA CONCURRENCE
publicité et du démarchage ou de la protection de certains centres de
formation par rapport à d’autres.
Les notions de confraternité ou de courtoisie, encore trop souvent
utilisées pour justifier des décisions ordinales, doivent être bannies des
attitudes des Ordres en la matière. Ces nobles vertus ne trouvent à s’appliquer que dans des rapports entre membres d’une profession en dehors
de la sphère des échanges économiques, sans que cela ne puisse avoir
de conséquence pour le client ou pour les tiers. Les meilleures déontologues n’ont-ils pas eux-même toujours enseigné que l’intérêt du client
constituait la limite de la confraternité(46) ? L’approche des autorités de
concurrence n’est guère différente.
Plutôt que de préférer des justifications au cas par cas, souvent floues
et imprécises, les Ordres veilleront à adopter des codes de conduite précis, transparents et à la disposition de tous. La directive Services dont il
fut déjà question ici l’expose clairement : « les États membres encouragent l’élaboration de codes de conduite au niveau communautaire, en
particulier par des Ordres, organismes ou associations professionnelles.
Ces codes de conduite devraient inclure, en fonction des spécificités de
chaque profession, les modalités de communications commerciales relatives aux professions réglementées, ainsi que les règles déontologiques
des professions réglementées visant à garantir notamment l’indépendance, l’impartialité et le secret professionnel »(47). Cette recommandation doit être retenue aussi en matière de concurrence dans tous les
domaines de compétences des Ordres professionnels.
Les comportements ordinaux anticoncurrentiels sont lourdement
sanctionnés, mais constituent surtout des risques pour l’ensemble des
Ordres professionnels de voir, pour ces raisons, raboter leurs compétences d’autorégulation.
La responsabilité des Ordres à cet égard est immense.
Ils doivent s’intéresser au droit de la concurrence avant que le droit
de la concurrence ne s’intéresse trop à eux. Leurs représentants doivent
être formés à cette matière et des programmes de conformité être adoptés
au sein de chaque Ordre. Ces programmes sont des outils qui permetà la situation de la concurrence dans le secteur d’activité des géomètres-experts et des
géomètres-topographes, no 02-D-14).
(46) A. NYSSENS, Introduction à la vie du barreau, 7e éd., par A. BRAUN et F. BRUYNS,
barreau de Bruxelles, 2010, p. 11.
(47) Considérant no 114 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et Conseil
relative aux services dans le marché intérieur, 12 décembre 2006.
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ORDRES PROFESSIONNELS ET DROIT DE LA CONCURRENCE
157
tent aux Ordres de mettre toutes leurs chances de leur côté pour éviter
des infractions. Ils reposent non seulement sur des mesures destinées à
créer des réflexes de respect des règles, mais aussi sur des mécanismes
d’alertes, d’audit et de responsabilisation. La Commission européenne et
l’Autorité française de la concurrence proposent à cet égard des orientations pour assurer le bon respect des règles de concurrence.
C’est ainsi que dans une décision du 28 février 2013 relative aux pratiques mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données
fiscales et comptables, l’Autorité française de la concurrence(48), reprenant les orientations présentées dans son document-cadre(49), a enjoint au
conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables de se conformer à
un certain nombre d’engagements pris, parmi lesquels celui de mettre en
œuvre un programme de conformité comprenant :
— une prise de position de l’Ordre, via une délibération, en faveur du
programme de conformité ;
— la désignation d’un délégué à la concurrence chargé de mettre en
œuvre le programme de conformité ;
— les mesures effectives et régulières d’information, de formation
et de sensibilisation comportant notamment l’organisation de ces
champs obligatoires de formation ;
— un dispositif effectif de suivi.
Les Ordres doivent être à même de revoir leurs règles de bonne pratique, de les écrire, ou de les réécrire.
Ils doivent tout autant saisir la perche que leur tendent les autorités de
la concurrence tant au niveau européen que national au travers des nombreuses consultations publiques lancées par ces autorités sur des sujets
les intéressant. La coopération avec les autorités de concurrence permettra aux Ordres de faire comprendre leurs spécificités et les nécessités de
préserver certaines réglementations.
Le marché des services tel qu’ils sont prestés par les membres des Ordres
professionnels est un marché où la confiance est primordiale. Les Ordres ont
un rôle significatif à jouer sur ce terrain. Ils apportent de la confiance, des
garanties aux clients en résolvant le problème d’asymétrie de l’information
qui rend plus délicate pour un consommateur la recherche d’un service de
(48) Autorité de la concurrence (F), 28 février 2013, décision relative à des pratiques
mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales et comptables
sous format EDI à l’administration fiscale, no 13-D-06.
(49) Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles
de concurrence, disponible sur le site de l’Autorité française.
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qualité auprès d’un avocat ou d’un pharmacien que pour l’achat d’un produit de consommation quotidienne. L’enjeu aujourd’hui est de convaincre
les autorités de concurrence que les Ordres ont, entre autres, la fonction
économique de produire et de maintenir dans le temps cette confiance qui
passe par une réglementation soucieuse de la protection de l’intérêt général.
Cette approche légitime le maintien des valeurs déontologiques des
Ordres professionnels et leur inscription dans la modernité. Ces valeurs
ont une nécessité au sein même du marché, tant pour les prestataires que
pour leurs clients.
Les règles de concurrence et de déontologie ne sont pas incompatibles.
Elles balisent chacune à leur niveau l’exercice de ces professions particulières, permettant ainsi au marché de rester sur les rails. Aux Ordres de
ne pas se contenter de regarder passer le train qui y circule(50).
(50) Cette conclusion nous est inspirée par la réflexion de Koen Geens : « De gedachte
dat zuivere deontologische regels strijdig zouden zijn met het mededingingsrecht is
daarentegen een contradiction in terminis. Zij zijn er immers beide, deontologie en
mededingingsrecht, elk op zijn manier, om de randvoorwaarden te creëren die een falende
markt in goede banen kunnen leiden. Vrij beroep en mededinging : deontologie is een
remedie tegen, tucht dikwijls een gevolg van marktfallen », T.P.R., 2004, p. 295.
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