Carthage au siècle d`Hannibal

Transcription

Carthage au siècle d`Hannibal
HANNIBAL
BARCA
L’histoire véritable
et le mensonge de Zama
Du même auteur :
• Les Cendres de Carthage (Roman, 1993)
• Les Étoiles de la colère (Roman, 1999)
• Le Retour de l’éléphant (Roman, 2003)
• Amours mosaïques (Roman, 2005)
• Le Signe de Tanit (Roman, 2008)
• Hannibal fils d’Hamilcar (Essai, 2008)
• La Femme en rouge (Roman, 2010)
• Hannibal, l’histoire véritable (Essai, 2011)
• 14 janvier, l’enquête (Essai, 2013)
«Celui à qui nul roi ne pouvait se comparer,
ni pour l’audace ni pour la puissance.»
Plutarque
«Voici la vie la plus vaste, la plus sérieuse,
la plus énergique qui fût jamais : c’est celle d’Hannibal.»
Adolphe Thiers
«Si l’on use de l’épée, ce doit être pour bâtir un monde.»
J. P. Brisson
«Il [Hannibal] demeura vainqueur dans tous les combats qu’il nous
livra.»
Cornelius Népos
“Nous trouverons un chemin, ou nous en ferons un.”
Hannibal
«Je ne mène pas une guerre d’extermination, c’est pour
maintenir le rang de ma patrie et pour lui assurer l’hégémonie
que je combats.»
Hannibal
Remerciements
Mes remerciements vont à tous les membres du Club Hannibal Tunisie. J’ai
aussi une pensée empreinte d’émotion pour Feu Ali Salem.
Je voudrais également remercier Khaled Melliti pour son aide précieuse et
le Pr. Yozan D. Mosig, de l’Université du Nebraska, en qui l’histoire d’Hannibal trouvera rarement un si grand défenseur. Je veux enfin rendre hommage
à tous ceux qui ont su dépasser le monolithisme des sources directes et qui
m’ont ainsi ouvert la voie de la réécriture de l’histoire d’Hannibal.
Avant-propos
Une
biographie de plus, pourquoi ?
Dans les années qui ont suivi la mort d’Hannibal, ses
biographies1 circulaient partout en Méditerranée, mais,
progressivement, tout ce qui pouvait être positif à son égard
a fini par être éliminé. La désinformation a commencé lors
du débarquement de Scipion en Afrique, a culminé avec le
siège et la destruction de Carthage, et s’est poursuivie des
siècles durant. Pour justifier l’holocauste, Rome a diabolisé
Carthage et a tenté de diffamer Hannibal.
Cette désinformation est allée crescendo, ce qui a donné
une certaine fiabilité à la première source qui nous est
parvenue : «Les Histoires» de Polybe. Mais ce dernier était
loin d’être impartial ; il était au service de Scipion Emilien,
petit-fils de l’Africain et, dans une Rome où le prestige
familial représentait un important capital politique, il a
beaucoup fait fructifier celui de son maître.
Cependant, Polybe et les historiographes qui l’ont suivi
ont souvent laissé glisser dans leurs écrits de quoi nous
donner une vision plus juste des événements. Caton
1 - Au moins quatre biographies contemporaines d’Hannibal ont été mentionnées par les
Anciens.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
l’Ancien, connu pour sa haine des Barca, n’a pu s’empêcher d’écrire, en visitant l’Espagne et en y découvrant leur
œuvre de développement : «Aucun dirigeant ne mérite
d’ être nommé dans l’ histoire à côté du nom d’Hamilcar
Barca»1.
Bien avant que les historiens contemporains n’ouvrent
de profondes brèches dans l’historiographie romaine,
plusieurs personnalités ont perçu la dimension de l’épopée
des Barca et du plus connu d’entre eux : Hannibal. Citons
Adolphe Thiers, qui déclare : «A côté de la vie d’Alexandre,
à la fois si pleine et si vide, voici la vie la plus vaste, la plus
sérieuse, la plus énergique qui fût jamais : c’est celle
d’Hannibal.»
En quoi sa vie fut-elle vaste, sérieuse et énergique ?
Hannibal ne laissait rien au hasard. Communication,
information, tactique, stratégie, politique, tout était minutieusement prévu et exécuté dans les moindres détails.
• Pour sa campagne militaire contre Rome, Hannibal
met en place une puissante propagande qui le présente
comme investi d’une mission divine : Zeus désigne
Héraklès2 pour guider Hannibal dans son œuvre3 civilisatrice. Cette déification d’Hannibal doublée de l’étonnante traversée des Alpes l’a propulsé dans la légende,
avant même son premier combat sur le territoire italien.
• Sur les plans stratégique et tactique, nous avons du
mal à réaliser l’intemporalité de son génie. La plupart des
1 - Cité par Theodor Mommsen, Histoire romaine, III, 4, 6.
2 - Hercule pour les Romains, Melqart pour les Carthaginois.
3 - Le Regard des autres : les origines de Rome vues par ses ennemis. Page 53, Dominique
Briquel - 1997 - Presses Univ. Franche-Comté.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
grands généraux de l’histoire se sont targués d’avoir utilisé
la tactique du Carthaginois.
- Les trois plans d’attaque allemands sur la France de
1870, 1914 et 1940, sont inspirés de la tactique du
Carthaginois.
- Le dernier grand plan de bataille en date, «Tempête du
désert» (Irak 1991), est, selon les propres termes de son
concepteur, «totalement inspiré de la tactique d’Hannibal»1.
Ainsi, à l’ère des satellites et des armes intelligentes, la
tactique d’Hannibal reste le fantasme absolu de tous les
grands généraux.
• L’autre volet, bien moins connu, de l’œuvre du
Carthaginois, est politique. L’objectif d’Hannibal consistait à démembrer la Confédération italique et stopper l’entreprise de domination de Rome sur le monde. Pour
concrétiser cet objectif, les Barca ont édifié un régime
politique puissant, «présidentialiste». Ils l’établiront en
Espagne et en Italie, puis Hannibal tentera, après la paix,
de le développer à Carthage.
Si le sort a finalement consacré la victoire romaine, ce
n’est pas parce que Rome a héroïquement résisté au
rouleau compresseur des Barca, mais plutôt parce que le
gouvernement carthaginois s’est déchargé d’un conflit
dont il ne mesurait pas l’ampleur, et parce qu’Hannibal
était trop féru d’humanisme pour transformer son combat
en une guerre d’extermination.
Rome n’a pas eu les mêmes scrupules. Elle a fini, un
demi-siècle après, par saccager Carthage; puis par réaliser
1 - Lire l'excellent article intitulé "Norman Schwarzkopf and Hannibal" de John Diamond.
(Timewatch : Sept 13, 1996)
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
en partie l’objectif du Carthaginois : l’unité de la
Méditerranée. Mais cette Pax Romana s’est réalisée au
détriment de la liberté et de la diversité ; Rome a laminé
les autres civilisations en imposant une standardisation,
dont les effets ont été humainement, culturellement et
politiquement dévastateurs.
L’histoire d’Hannibal nous enseigne que la liberté n’est
pas négociable. Son combat demeure, car le monde dans
lequel nous vivons aujourd’hui reste tributaire de cet
impérialisme que le Carthaginois a combattu toute sa vie,
mais qui a fini par triompher de lui, faute d’alliés assez
clairvoyants pour comprendre que ce combat était celui
de tous.
En somme, vingt-deux siècles plus tard, l’humanité en
est toujours au même point.
Carthage au siècle d’Hannibal
Hannibal1 surgit de l’ombre lors de la bataille du Tage,
en 2202. On ignore tout de son enfance.
Avant la destruction de Carthage, on pouvait lire des
biographies d’Hannibal en carthaginois ou en grec, et
peut-être même une autobiographie, mais rien ne nous
en est parvenu. Le temps n’a en rien atténué l’effroi qu’il
a provoqué chez les Romains, pour qu’ils laissent
subsister un quelconque témoignage favorable à son
action.
Nous ne savons du personnage que ce que ses pires
ennemis ont bien voulu nous en dire : rares hommages
à ses qualités de chef de guerre, noyés dans un flot de
calomnies.
A l’époque de sa naissance, en 2473, la Méditerranée
orientale connaît une évolution de grande importance :
la constitution de royaumes grecs, à partir des débris des
conquêtes d’Alexandre le Grand. L’Egypte, la Syrie,
l’Asie Mineure obéissent désormais à des descendants de
1 - Hannibal, « Hann-Baâl », signifie en punique : « Faveur de Baâl».
2 - Tous les événements relatés ici ayant eu lieu avant J.-C., par commodité, nous ne
mentionnerons pas : "av. J.-C."
3 - An 567 de la fondation de Carthage.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
ses généraux et connaissent un afflux de colons grecs. Les
nouveaux monarques apportent avec eux la culture
grecque, tout en sauvegardant les vieilles civilisations
qu’ils y rencontrent : fidèles à l’esprit d’Alexandre, ils
travaillent à une sorte de fusion des peuples, dans laquelle
l’apport grec ne joue que le rôle de ferment. Ainsi se
constitue un nouveau modèle culturel qui donne
naissance à un art, une littérature, un style de vie et des
conceptions politiques d’inspiration grecque.
Les vestiges mis au jour à Carthage par les archéologues,
fournissent une certitude : dans la cité natale d’Hannibal,
on lit et parle le grec, on utilise ou imite tous les produits
de la civilisation hellénistique. Sans pour autant cesser
d’être punique, Carthage est, alors, partiellement
hellénisée.
A cette même époque, la Première Guerre punique
modif ie profondément l’équilibre des forces en
Méditerranée occidentale. Au début du IIIe siècle av.
J.-C., Carthage occupe une position dominante dans ce
secteur. Ses comptoirs de Sicile, de Sardaigne, de Corse,
des côtes espagnoles et nord-africaines jalonnent solidement les routes maritimes qui, par-delà le détroit de
Gibraltar, mènent soit vers l’or du golfe de Guinée, soit
vers l’étain des côtes britanniques. Cet empire économique est fondamentalement pacifique : Carthage n’aime
pas faire la guerre et les agressions de ses ennemis la
prennent souvent au dépourvu. La seule forme d’activité
militaire qu’elle maîtrise est sa marine de guerre : forte de
plus de trois cents navires d’une exceptionnelle capacité
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
manœuvrière, celle-ci contrôle en permanence la
Méditerranée occidentale pour garantir la sécurité de son
monopole commercial.
Mais, depuis la prise de Tarente en 272, Rome a terminé
sa conquête de l’Italie et commence à convoiter la Sicile.
A partir de 264, elle y fait progresser ses armées, menaçant
des possessions carthaginoises. Face à un conflit qui n’en
finit pas, Rome comprend qu’il faut battre l’ennemi sur
son terrain et se dote d’une flotte puissante. En revanche,
l’effort de guerre n’est pas soutenu par les sénateurs
carthaginois qui se bornent à envoyer en Sicile, en 247, un
nouveau commandant en chef qui, malgré la faiblesse des
moyens accordés et grâce à son génie militaire, va
reprendre l’initiative des combats.
Hamilcar Barca
Hamilcar1 Barca, nouvellement nommé à la tête des
forces carthaginoises de Sicile, va jouer un rôle décisif en
guidant Carthage dans les choix qui s’imposent à elle.
Hamilcar appartient à l’une des grandes familles de
l’aristocratie punique qui se disputent le contrôle de la
vie politique. Il a bien compris les leçons du monde
hellénistique : il donne à ses fils des précepteurs grecs,
tout en manifestant ouvertement son attachement aux
cultes les plus traditionnels de Carthage. Il se révèle, en
outre, un homme d’action de premier ordre.
L’année où Hannibal vient au monde, Hamilcar,
membre influent du Parti des réformateurs, se voit
confier le commandement des forces carthaginoises de
Sicile. La tâche est difficile car la situation militaire est
désespérée : l’armée carthaginoise est acculée dans la
pointe ouest de l’île et ne parvient plus à enrayer la
progression romaine2. Hamilcar la reprend en main, lui
enseigne de nouvelles techniques de combat et lui
redonne courage.
1 - Hamilcar, « Abd Melqart », signifie en punique : « Serviteur d'Hercule ».
2 - Faut-il voir, dans cette nomination tardive, l’intention des gérontes de faire porter par
Hamilcar, leur ennemi politique, la honte d’une défaite annoncée?
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Malgré des moyens limités, il installe dans les lieux les
plus stratégiques de Sicile1 un camp principal, à partir
duquel il planifie, sur terre, des opérations de commando,
et sur mer, des raids contre le littoral italien. Peu à peu, il
reprend le contrôle de toute la partie occidentale de l’île.
Pour se défendre et reprendre l’initiative, Rome institue
un emprunt de guerre forcé2. C’est ainsi qu’elle arme 200
quinquérèmes3 et les envoie sur les côtes siciliennes, sous
le commandement du consul Lutatius Catulus. Après un
premier revers en 242, Catulus attaque, le 10 mars 241,
une f lotte carthaginoise de transport de renforts et
d’approvisionnement.
Disposés en file et alourdis par leur chargement, les
navires carthaginois tombent dans le piège de Catulus,
qui range ses vaisseaux allégés en une seule ligne.
Carthage perd 50 navires, 70 autres sont capturés et
10 000 marins sont faits prisonniers.
Bien qu’important, le revers n’est pas catastrophique,
Carthage s’est relevée d’échecs beaucoup plus graves. Mais
les conservateurs au pouvoir veulent la paix. Les succès
militaires d’Hamilcar, qui enflamment le peuple de
Carthage, sont-ils pour quelque chose dans le choix des
gérontes ? Toujours est-il qu’ils avancent que les caisses
sont vides, l’économie ruinée et que Carthage n’a plus les
moyens de poursuivre le conflit. Ils ne considèrent plus la
1 - Au mont Eircté - Monte Pellegrino -, près de Palerme, puis sur le mont Eryx - Erice - près
de Trapani.
2 - Rome a promis aux bailleurs de fonds le remboursement des frais engagés en cas de
victoire et, en bonus, des parts de marché sur les territoires à conquérir.
3 - Navire d'environ 50m de long avec cinq rameurs par rang de trois rames (1-2-2), construit
sur le modèle d'une quinquérème carthaginoise qui s'était échouée.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Sicile comme un enjeu fondamental pour l’avenir de
Carthage, contrairement aux réformateurs qui, sous l’impulsion d’Hamilcar et de ses partisans, veulent garder
l’île, persuadés que l’avenir de Carthage se joue contre
Rome. Les partisans de la paix l’emportent et Hamilcar
reçoit l’ordre d’engager des pourparlers avec Catulus. Il
s’acquitte de son devoir, assure le retour de ses soldats en
bon ordre, puis démissionne pour marquer son refus de la
politique défaitiste de Carthage.
Avec le traité de 241, Carthage perd la Sicile et les îles
environnantes. Tout son système de politique commerciale est détruit, la « Mer carthaginoise » devient une mer
ouverte à toutes les nations, et principalement au
vainqueur.
Pour Carthage, ce n’est qu’une épreuve de plus, car elle
a déjà subi les Marseillais1, les Etrusques2 et les Grecs de
Sicile. L’empire qui lui reste - l’Afrique, le sud de
l’Espagne, les portes de l’océan Atlantique - est assez riche
pour lui assurer la puissance, mais il lui faut désormais
compter avec l’impérialisme romain.
Rome ratifie la paix. Elle sait qu’Hamilcar a gardé
l’armée intacte et que la conquête de l’Afrique n’est pas
encore possible. Mais elle y songe et Carthage le sait. En
fait, la paix de 241 n’est qu’une trêve. Il faut que Carthage
se prépare à l’inévitable reprise des hostilités.
1 - Massaliotes.
2 - Peuple d’origine probablement orientale et dominant l'Italie centrale jusqu’à sa domination
par Rome au milieu du IIIe siècle avant J.-C.
La Guerre des Mercenaires
Dans Carthage, la vie politique s’articule autour de
deux partis, celui des conservateurs et celui des
réformateurs.
Avec Hannon1 à sa tête, le Parti conservateur s’appuie
sur le pouvoir exécutif 2 , le Sénat 3 et la haute
magistrature4.
Le Parti réformateur, qui s’appuie sur le peuple5, est
représenté notamment par les officiers de l’armée de
Sicile, attachés à leur chef Hamilcar.
Les deux partis se renvoient la responsabilité de la
défaite, quand éclate la crise des mercenaires.
Pour aider le gouvernement à s’acquitter progressivement du paiement des mercenaires, les officiers de Sicile
les avaient rapatrié par contingents. Mais en repoussant
indéfiniment ses obligations financières, le gouvernement provoque le mécontentement puis l’émeute.
Ensuite, l’imprudence des conservateurs change
1 - Dit « le Grand » par les Romains, probablement du fait de son allégeance à leur égard.
2 - Le Suffétat, en fait Présidence de la République.
3 - Conseil des Anciens
4 - Le «Conseil» ou «Tribunal des Cent Quatre».
5 - Assemblée du peuple.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
l’émeute en révolution et leur incompétence militaire
mène l’État à deux doigts de sa perte.
Au bord du gouffre, et certainement de mauvaise
volonté, les conservateurs rappellent1 alors Hamilcar, le
héros de Sicile.
Retour d’Hamilcar
à la tête de l’armée
Combattre ses anciens soldats est une terrible épreuve
pour Hamilcar, qui tente d’abord d’user de diplomatie.
Mais, excités par leurs meneurs et leur réussite sur le
terrain militaire, les mercenaires ignorent ses appels à la
paix. La guerre se généralise et s’aggrave en raison de l’incompétence d’Hannon2 et des interventions secrètes de
Rome qui finance et aide les mercenaires. Cependant,
Hamilcar, qui combat souvent à une proportion de un
contre dix, réussit à rétablir la situation militaire et, grâce
à son autorité sur les soldats soulevés, à ses négociations
habiles avec les princes numides et à ses qualités d’organisateur et de capitaine, il apaise la terrible révolte et soumet
les mercenaires en 237, probablement du côté d’Al
Monchar3.
1 - Comme pour la Guerre de Sicile, les conservateurs ne nomment les hommes compétents
que lorsque la situation est désespérée.
2 - Avec qui Hamilcar accepta le partage du commandement.
3 - A l’ouest de Hammamet, entre Sidi Jedidi et Hamam Bent Jedidi se trouve une colline
nommée «Al Monchar» (La scie), et dont la forme évoque très clairement l’endroit indiqué par
Polybe : «La ressemblance de cet endroit avec l’instrument ainsi appelé lui a fait donner ce
nom.» (I, 85, 7).
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Rome
déclare la guerre
Profitant de la situation et au mépris des traités, Rome
déclare alors la guerre à Carthage. Affaiblie par le conflit
dont elle vient de se relever miraculeusement, celle-ci
accepte toutes les conditions des Romains et abandonne
la Corse et la Sardaigne.
Le
retour des réformateurs aux affaires
Cependant, la victoire d’Hamilcar donne aux réformateurs une assise politique encore plus grande, qui leur
permet de dénoncer la corruption, l’incompétence, l’esprit
de clan et la lâche soumission des conservateurs à Rome.
Ces accusations provoquent des remous politiques importants et poussent ces derniers à comploter pour saper
l’assise populaire d’Hamilcar. Ils l’accusent d’avoir
provoqué la guerre des mercenaires en promettant leur
paie à ses soldats, sans y avoir été autorisé par la
République. Mais l’Assemblée populaire défend
fermement Hamilcar qui négocie avec le pouvoir une
réforme inst it ut ionnel le d ’u ne exc ept ionnel le
importance.
Hamilcar, général en chef
Suite aux négociations, les conservateurs gardent leurs
privilèges gouvernementaux en contrepartie d’une réforme
institutionnelle donnant à l’armée le droit de désigner son
chef. C’est ainsi qu’Hamilcar est nommé, pour un temps
21
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
indéterminé et de façon complètement indépendante du
pouvoir exécutif, commandant suprême pour toute
l’Afrique. Seule l’Assemblée du peuple peut le rappeler et
l’obliger à rendre des comptes. Pour ses adversaires, ce
pouvoir exceptionnel est contraire à la Constitution. Mais
la validation, par l’Assemblée du peuple, du choix de
l’état-major, valide cette réforme qui fait de l’armée le
domaine réservé des réformateurs.
Après la guerre des mercenaires, Hamilcar s’occupe de la
pacification des territoires carthaginois. Les escarmouches
avec les tribus numides se poursuivent et il occupe
Tébessa, la « ville aux cent portes ». Sa popularité grandit
et gêne les gérontes qui acceptent de mauvaise grâce son
indépendance : ils préfèrent éviter de se mettre à dos un
peuple qui soutient son sauveur.
Plan d’Hamilcar
Après avoir subi les décisions des politiques et leur obstination à vouloir s’occuper des affaires militaires - avec les
conséquences que l’on connaît -, l’armée a désormais à sa
tête un inamovible professionnel de la guerre. Mais quelle
est cette armée ? Et quels sont ses moyens ?
Durant la guerre des mercenaires, les appelés carthaginois se sont bien comportés, mais l’objectif était alors de
sauver leur cité. En faire des soldats de métier est une tout
autre affaire. Carthage compte d’excellents officiers, mais
l’armée citoyenne n’est composée que de quelques
escadrons de cavalerie.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Hamilcar doit lever une armée avec des mercenaires et
des appelés des cités alliées, mais où trouver de l’argent ?
Il ne peut pas mettre à contribution les citoyens qui
subissent les conséquences d’une situation économique
désastreuse, au lendemain d’un quart de siècle de conflits.
Il doit donc trouver seul les ressources pour reconstituer
une grande armée et redonner à Carthage les moyens de
sa puissance.
Son idée consiste à conquérir de nouveaux territoires
pour compenser ceux enlevés par Rome (Sicile, Corse et
Sardaigne). Or, à l’ouest de l’Europe, se trouve une terre
riche et peuplée, dont la côte sud est jalonnée depuis des
siècles de comptoirs phéniciens devenus carthaginois.
Hamilcar compte les utiliser comme bases pour créer un
puissant Etat.
L’expédition d’Espagne
Au printemps 237, Hamilcar prépare secrètement son
expédition.
Le
serment d’Hannibal
Avant de quitter Carthage, Hamilcar aurait conduit son
fils Hannibal, alors âgé de neuf ans, au temple de Baal
pour lui faire jurer f idélité éternelle à sa cité.
L’historiographie romaine s’est emparée de ce thème en le
déformant et y présenter la justification de la seconde
guerre comme la volonté de revanche des Barca sur Rome.
Il n’est qu’à voir l’aggravation progressive de ce thème
chez les historiographes pour en constater l’irréalité ou
l’utilisation abusive. Polybe1 rapporte les termes suivants :
«Hamilcar lui fit jurer (...) de ne jamais être l’ami des
Romains.» Environ un siècle plus tard, Tite-Live2 enchaîne:
«Lui fit jurer (...) qu’ il ferait, dès qu’ il le pourrait, la guerre
aux Romains.» Et encore un siècle plus tard, Appien3
ajoute : «Lui fit jurer (...) de ne jamais cesser de travailler à
la ruine de Rome.» Devant un manque si manifeste de
1 - ~ 202 - 126 av. J.-C.
2 - 59 av. J.-C. - 17 apr. J.-C.
3 - ~ 90 - 160 apr. J.-C.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
fiabilité, nous ne pouvons que nous en remettre au bon
sens et en déduire qu’avant d’emmener son fils vers une
expédition si importante qui risquait de l’éloigner
longtemps de sa cité d’origine, Hamilcar a tout simplement fait jurer à son fils fidélité à Carthage. Nous voyons
mal un père de la trempe d’Hamilcar, pétri de culture et
d’humanisme au point de faire accompagner son jeune
fils - en pleine expédition militaire - de précepteurs grecs,
lui faire, par ailleurs, prêter un serment de haine. D’autre
part, tout, dans les faits à venir, exclut cette haine : le
comportement chevaleresque d’Hannibal envers ses
ennemis, son respect des lois de la guerre et ses multiples
appels à la paix1.
En lançant l’exécution de son plan, Hamilcar doit, pour
des raisons évidentes, dissimuler son objectif stratégique.
On pense qu’il va en expédition vers l’ouest. Son armée
longe la côte, au large de laquelle navigue la f lotte,
conduite par son gendre Hasdrubal.
Arrivé aux Colonnes d’Hercule, Hamilcar déclenche son
plan longuement mûri; l’armée embarque, franchit le
détroit et aborde en Espagne.
La
famille
Barca
en
Espagne?
Hamilcar a-t-il emmené avec lui tous ses fils ? Ou bien
les deux plus jeunes l’auraient-ils rejoint plus tard ? Si
c’était le cas, toute la famille serait partie en même temps
que les deux plus jeunes. Nous savons que le gendre d’Hamilcar était aussi de l’expédition. Pourquoi les femmes
1 Dont celui contenu dans le traité d’alliance carthago-macédonien qui nous est parvenu.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
n’auraient-elles pas rejoint leurs hommes dans les villes
qu’ils ont fondées ? Seraient-elles restées à Carthage pour
s’occuper du patrimoine familial, comme certains auteurs
l’ont laissé entendre ? Toujours est-il que les frères d’Hannibal, Hasdrubal et Magon, ont participé assez tôt à la
grande aventure, ce qui nous permet de supposer que si
Hannibal a fait partie de l’expédition, le reste de la famille
a dû rejoindre assez vite l’Espagne, surtout qu’Hamilcar
jouissait de solides bases arrière comme Gadès et d’autres
villes, plus à même d’accueillir les femmes et les enfants,
que le camp militaire.
L’État ibéro-carthaginois
L’Histoire n’a pas retenu dans le détail les œuvres accomplies en Espagne par Hamilcar ; par contre, nous savons
que trente ans après sa mort, Caton l’Ancien, qui admira
l’œuvre du Carthaginois sur place, s’écria, en dépit de sa
haine des Barca et de ses appels incessants à la destruction
de Carthage : «Aucun dirigeant ne mérite d’ être nommé
dans l’Histoire à côté du nom d’Hamilcar Barca…» Ce
témoignage d’un ennemi nous éclaire sur l’étendue de
l’œuvre de développement poursuivie par les Carthaginois
dans la péninsule.
Nous connaissons les succès d’Hamilcar durant les neuf
dernières années de sa vie (236-228), jusqu’au jour de sa
mort, sur le champ de bataille, dans la force de l’âge.
Nous savons les résultats obtenus après lui par
Hasdrubal, son gendre, héritier de sa charge, et qui,
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
durant huit années consécutives (228-221), a poursuivi ses
vastes travaux.
A la place d’un simple entrepôt commercial, avec
protectorat sur Gadès, Hamilcar a fondé un grand État
bâti sur le modèle hellénistique de fusion des peuples, État
consolidé, après sa mort, par Hasdrubal. Grâce à ces deux
hommes, les plus belles régions de cette grande terre, les
côtes du sud et de l’est ont connu un développement
considérable.
Plusieurs villes ont été bâties dont Alicante 1 et
Carthagène, avec son port - le seul bon port de la côte du
sud - et probablement aussi Barcelone.
L’agriculture est devenue florissante et les mines d’argent
les plus riches, trouvées et ouvertes dans le voisinage de la
nouvelle Carthage, rapporteront, durant des siècles, des
revenus considérables.
Presque toutes les cités jusqu’à l’Ebre, reconnaissent le
nouvel Etat ibéro-carthaginois. Hasdrubal a su rallier tous
les chefs des diverses peuplades.
Les Barca ont non seulement créé un nouveau et
immense débouché pour le commerce et les fabriques
carthaginois, mais les revenus des provinces espagnoles,
en plus de procurer les fonds nécessaires au fonctionnement de l’État et de ses armées, fournissent à Carthage un
important excédent.
En même temps, la grande armée carthaginoise
d’Espagne se développe et des levées régulières se font
dans tous les territoires alliés.
1 - Akra Leuké.
27
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Le professionnalisme d’Hamilcar consacre l’attachement
du soldat pour son général, et les longues campagnes
consolident cet attachement. Enfin, les combats acharnés
et continuels avec les vaillants Ibères et les Celtes, aux
côtés de l’excellente cavalerie numide, donnent à l’infanterie carthaginoise une capacité manœuvrière et une
solidité remarquables.
Le gouvernement carthaginois et les Barca
Comme les Barca ne demandent à Carthage ni assistance ni engagement, et qu’au contraire, ils lui envoient
régulièrement de l’argent, celle-ci les laisse faire. Grâce à
eux, le commerce carthaginois a retrouvé, en Espagne,
tout ce qu’il a perdu dans les territoires pris par Rome.
L’armée carthaginoise d’Espagne, qui a à son actif de
nombreuses victoires et d’importants résultats, devient
très populaire à Carthage même, au point que, dans les
moments critiques, à la mort d’Hamilcar notamment,
Carthage, soucieuse de sauvegarder son nouveau territoire,
envoie de nombreux renforts d’Africains en Espagne.
Le gouvernement romain et les Barca
L’éloignement laisse d’abord Rome indifférente aux
affaires carthaginoises en Espagne. Pour elle, l’Espagne
permet à Carthage de payer ses contributions de guerre.
Mais les rapides progrès et l’étendue des conquêtes carthaginoises éveillent l’attention des Romains.
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
En 226, ils négocient avec Hasdrubal le traité de l’Ebre
et l’invitent à ne pas pousser ses conquêtes au-delà du
fleuve : Rome veut arrêter les progrès de Carthage en
Espagne et s’assurer un solide point d’appui auprès des
peuplades du nord de l’Ebre.
Le Sénat romain ne se fait pas d’illusions sur la nécessité
d’une seconde guerre avec Carthage. Rome a le ferme
dessein - le plan de campagne de 218 le prouve - de porter
ses armes en Espagne et en Afrique et d’en finir, ainsi,
avec une rivale qui a retrouvé toute sa puissance militaire
et commerciale malgré deux grands conflits et la perte de
la Sicile, de la Sardaigne et de la Corse.
Mais Rome est également préoccupée par une urgence :
se débarrasser des Gaulois de la vallée du Pô.
Hannibal au pouvoir
Les projets d’Hamilcar ont été couronnés de succès. Il a
laissé une grande armée opérationnelle, habituée à vaincre
et une caisse se remplissant tous les jours.
Hasdrubal, homme politique plutôt que général, mais
digne successeur d’Hamilcar, tombe lui aussi sous le fer
d’un assassin, au début de l’an 221.
Les officiers de l’armée d’Espagne élisent alors pour lui
succéder le fils aîné d’Hamilcar.
Hannibal est bien jeune : né en 247, il a vingt-six ans.
Mais sa vie a été bien remplie : la première guerre punique
puis la guerre des mercenaires ont marqué son enfance,
surtout qu’il est le fils de la principale personnalité de
l’époque. Dans ses rêves d’enfant, il se savait appelé à un
destin exceptionnel. Très jeune, il a suivi son père dans les
camps ; à peine adolescent, il s’est distingué dans les
combats.
Malgré l’environnement militaire et la vie au camp,
Hannibal a reçu l’éducation habituelle chez les
Carthaginois des hautes classes. Il a appris assez de grec grâce aux leçons de son fidèle précepteur Sosylos de Sparte
- pour pouvoir écrire dans cette langue. Adolescent, il a
fait ses premières armes sous les ordres de son père : il l’a
vu tomber à ses côtés durant la bataille. Puis, sous la
30
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
conduite de son beau-frère Hasdrubal, il a commandé la
cavalerie. Sa bravoure éclatante et ses talents militaires
l’ont aussitôt singularisé entre tous. C’est à lui qu’il appartient de poursuivre l’œuvre de pacification et de développement de l’Espagne, amorcée par ses prédécesseurs.
Peut-être rêve-t-il également d’exporter hors d’Espagne
cette grande idée hellénistique d’une fusion des peuples ?
Beaucoup ont voulu diaboliser le personnage, mais
Hannibal traverse les siècles avec une aura toujours plus
grande. Si nous écartons la diabolisation et les fautes qui
lui ont été imputées et qui sont celles de ses alliés, il n’y a
rien que l’on puisse lui reprocher. Tous les chroniqueurs
lui accordent d’avoir, mieux que quiconque, réuni le sangfroid et l’ardeur, la prévoyance et l’action. Il a par-dessus
tout l’esprit d’invention. Il aime emprunter des voies
imprévues, propres à lui seul. Prolifique en stratagèmes, il
étudie avec un soin inouï les habitudes de l’adversaire qu’il
doit combattre. Son armée d’espions - il en a jusque dans
le Sénat de Rome - le tient au courant de tous les projets
de l’ennemi : on l’a souvent vu déguisé, portant de faux
cheveux, explorant et sondant ses hommes. Son génie
stratégique et tactique est écrit dans toutes les pages de
l’Histoire. Il a aussi été un homme d’État : après la paix
avec Rome, on le verra réviser la Constitution de Carthage
et lancer des réformes économiques. En Orient, il exercera
une immense inf luence sur la politique des empires
orientaux. Il sera amiral, architecte, urbaniste, écrivain…
Enfin, son charisme est attesté par la soumission,
incroyable et constante, de cette armée multinationale
31
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
qui, même dans les temps les plus désastreux, ne s’est pas
révoltée une seule fois contre lui.
La bataille du Tage
Dès qu’Hannibal est nommé général des armées, il veut
soumettre les Olcades. Il prend très vite Althée, leur
capitale. Les autres villes lui font immédiatement
allégeance.
Il passe l’hiver à Carthagène et, l’été venu, il lance une
expédition chez les Vaccaïens et prend d’emblée
Helmantica (Salamanque) et, plus difficilement, Arbucale.
Sur le chemin du retour vers Carthagène, Hannibal
apprend que le peuple le plus puissant d’Ibérie, les
Carpésiens, a pris la tête d’une coalition armée rassemblant tous les peuples voisins et beaucoup plus nombreuse
que les forces carthaginoises.
Hannibal évite la bataille rangée et organise une retraite
pour mettre le Tage entre ses ennemis et lui. Les vaillants
Ibères tentent de traverser à plusieurs endroits, mais à leur
débarquement, Hannibal lance sur les bords du fleuve des
charges d’éléphants, suivis par ses cavaliers. Les ennemis
sont écrasés par les pachydermes ou tués, lors de leur
retraite, par la cavalerie carthaginoise, très à l’aise dans
l’eau contre les fantassins. Enfin, Hannibal passe
lui-même le fleuve et fond sur ses ennemis. Il en laisse
plus de 40 000 sur le champ de bataille.
Cette première grande bataille d’Hannibal dévoile déjà
ses qualités de tacticien : utilisation du terrain pour
32
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
déstructurer l’adversaire puis lancement de toute sa force
de frappe.
L’affaire de Sagonte
A la suite de la bataille du Tage, tous les peuples au sud
de l’Ebre se soumettent sauf les Sagontins qui, peu après,
assaillent les Torbolètes, alliés des Carthaginois. Dès 219,
Hannibal investit leur ville. La cité, bien que située dans
la zone d’influence carthaginoise déterminée par le traité
de l’Ebre, demande la protection de Rome. Celle-ci, en
guerre contre les Illyriens, se limite à un vague
avertissement.
Après sept mois de siège, Hannibal prend la ville. Rome
dépêche ses ambassadeurs en Afrique et exige la remise
d’Hannibal et de ses officiers ! Les Carthaginois affirment
leur respect des traités, contrairement à Rome, que le
traité de 241 n’a pas empêchée de prendre la Sardaigne et
la Corse et d’aggraver la clause financière. Mais l’orateur
romain coupe court et lance théâtralement aux
Carthaginois qu’ils doivent choisir entre la paix et la
guerre. Ceux-ci lui rétorquent qu’il n’a qu’à choisir
lui-même. L’ambassadeur opte pour la guerre, et le défi est
aussitôt relevé. Nous sommes au printemps 218, Hannibal
a vingt-neuf ans.
La
responsabilité dans le déclenchement de la guerre
L’historiographie romaine et philoromaine, même
contemporaine, a soutenu la responsabilité d’Hannibal
33
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
dans le déclenchement de la guerre. Des légions d’historiens ont utilisé toutes les manœuvres possibles et imaginables - jusqu’à déplacer le fleuve Ebre ! - pour sortir
Sagonte de la zone carthaginoise et accuser les Barca
d’avoir voulu la guerre, et ce, du temps d’Hamilcar. Mais
ces manipulations ne résistent pas à l’analyse des sources
primaires, car comme l’a écrit Yann le Bohec1 : « Le débat
peut être éclairci grâce à une anecdote qui ne laisse aucune
place au doute car elle est racontée par un écrivain latin :
«Hannibal rapporta un jour à ses soldats un entretien qu’il
avait eu avec un représentant de ses ennemis :
- Ne passe pas l’Ebre, menace le Romain. Ne touche pas à
Sagonte !
- Mais, rétorque le Carthaginois, Sagonte est au sud de
l’Ebre !
- Ne bouge nulle part, s’entendit-il enfin ordonner.»2
Préparatifs de l’invasion de l’Italie
Après Sagonte, Hannibal revient à Carthagène pour y
prendre ses quartiers d’hiver (219-218). A l’annonce de la
déclaration de guerre, il élabore ses plans d’attaque et de
défense, puis il va à Gadès.
Hannibal
élabore sa propagande de guerre
Avant de voir le détail des plans de campagne, il faut
songer à cet étonnant voyage à Gadès, qui se trouve à
1 - Histoire militaire des guerres puniques, Editions du Rocher, 1996.
2 - Tite-Live XXI, 44.
34
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
environ 500 km à vol d’oiseau et à 1000 kilomètres par
route. Pourquoi, alors que la guerre est déclarée, Hannibal
fait-il un tel déplacement sans justification militaire ? En
fait, cette étape est d’une importance capitale, car il s’agit
de la mise en place du vecteur «communication» de la
guerre, qui sera assuré par une puissante propagande selon
laquelle, au temple de Melqart1, devant l’Assemblée des
dieux, Jupiter ordonne à Hercule de servir comme guide
à Hannibal pour son épopée.
Des fragments des écrits de Silénos2, historien grec de
Sicile, nous éclairent sur ce voyage. Biographe d’Hannibal, Silénos a participé à ses côtés à la grande expédition. Selon Cicéron, il a relaté les faits « avec le plus grand
soin ». Il était donc bien placé pour nous présenter la
vision carthaginoise des événements. L’historien sicilien
nous a laissé neuf fragments, dont six se rapportent à son
« Histoire d’Hannibal ». Or, sur ces six fragments, quatre
concernent directement ou indirectement HerculeMelqart. Cette importante présentation du héros prouve
l’existence d’un rapport étroit et voulu entre lui et
Hannibal, et on le décèle nettement dans les deux
fragments relatifs à Gadès. Si Hannibal s’est rendu au
temple d’Hercule-Melqart, c’est qu’il voulait ainsi mettre
sa campagne sous le patronage d’Hercule et, comme lui,
entamer la grande épopée à partir des fameuses Colonnes
d’où le héros avait commencé sa marche depuis les limites
occidentales de l’Univers. Cette figuration d’Hercule a
1 - Temple d’Hercule- Melqart, sur l’île de Sancti-Petri, Cadix.
2 - Historien grec de Sicile et biographe d'Hannibal. Peut-être même membre de son étatmajor. On a retrouvé neuf fragments de son œuvre.
35
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
été affirmée par le Carthaginois : « Hannibal se présente
lui-même comme émule d’Hercule, », dit de lui son adversaire avant la bataille de la Trébie1.
Il est évident que si Hannibal a pris pour modèle
Hercule, ce n’est pas seulement pour son rôle de « tueur
de monstres » - le seul retenu par l’historiographie
romaine - mais surtout pour son action civilisatrice, car, à
l’époque, Hercule n’est plus uniquement considéré comme
le héros qui terrasse tous ses adversaires. Son triomphe est
celui de la culture sur la nature sauvage et de la civilisation sur la barbarie des peuples, dont il parcourt le territoire. Il ouvre de nouvelles voies de communication et
introduit la justice et l’équité chez les barbares en les
débarrassant de leurs mauvais rois. Or, les actions d’Hannibal en la matière sont limpides : il ouvre de nouvelles
routes (les Alpes), libère les peuples soumis et défend les
forces démocratiques contre les aristocraties soumises à
Rome.
Plans d’attaque
et de défense
Hannibal a le commandement militaire de l’ensemble
des territoires carthaginois. Par conséquent, il a le devoir
de veiller à la protection de la métropole. Ses forces se
composent d’environ 120 000 hommes, 16 000 chevaux,
58 éléphants, 50 quinquérèmes, sans compter les éléphants
et les navires laissés à Carthage.
1 - Discours rapporté par Tite-Live XXI, 41, 7. « ... [7] et utrum Hannibal hic sit aemulus itinerum
Herculis...»
36
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Dans ses troupes, désormais composées d’escadrons
carthaginois et de contingents d’alliés d’Afrique et
d’Espagne, il n’y a aucun mercenaire.
Hannibal envoie 20 000 hommes en Afrique : une
partie pour aller défendre Carthage et son territoire
africain, l’essentiel restant cantonné à la pointe occidentale du continent1. L’Espagne garde 12 000 fantassins,
2 500 chevaux, à peu près la moitié des éléphants et la
flotte qui continue de stationner sur la côte. Hannibal
confie le commandement de l’Espagne à son frère
Hasdrubal2.
Il n’envoie que de faibles renforts à Carthage, capable de
se défendre. De même, en Espagne, où les levées nouvelles
se recrutent facilement, il assure ses arrières en laissant un
noyau solide d’infanterie et une bonne cavalerie.
En même temps, avec la flotte sur la côte et un corps
nombreux occupant l’actuel Maroc, il assure la sécurité du
détroit de Gibraltar et de ses communications entre
l’Afrique et l’Espagne.
Afin d’être encore plus sûr de la fidélité de ses soldats, il
affecte ses troupes dans des pays éloignés du lieu de leur
origine : il garde sous son propre commandement exécutif
les forces africaines (Libyens, «Tunisiens» et Numides),
envoie les Espagnols au Maroc et les Africains de l’Ouest
(«Marocains») à Carthage. Ainsi, concernant la défense,
tout est prêt.
Les dispositions pour l’offensive sont encore plus importantes. Carthage doit expédier une escadre de 20 000
1 - Maroc actuel. Est-ce parce qu’Hannibal n’exclut pas une perte de l’Espagne ?
2 - Que l’on ne doit pas confondre avec son gendre Hasdrubal «le Beau» mort en 221.
37
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
hommes avec mission d’attaquer la côte occidentale de
l’Italie. Une deuxième escadre - probablement aussi
importante - a pour objectif Lilybée1. Cette ville, perdue
après la première guerre, doit être réoccupée. Mais ce ne
sont là que les détails les plus modestes de son plan :
Hannibal fait confiance à Carthage pour leur bonne
exécution. Quant à lui, il a décidé de porter la guerre sur
le territoire de Rome, et pour cela, il part pour l’Italie avec
la grande armée.
Le
choix de la plaine du
Pô
Hannibal prépare une expédition dont l’objectif est à la
fois ambitieux et stratégique. Pour cela, il lui faut une base
d’opérations plus rapprochée que l’Espagne ou l’Afrique.
Il ne peut pas compter sur les régions occupées par la
Confédération italienne. Elles ont tenu ferme devant le
Grec Pyrrhus, elles ne se dissoudront pas à l’apparition
d’un général carthaginois.
Seuls les Ligures et les Gaulois offrent à Hannibal tous
les avantages. Ces peuples, qui viennent de perdre leur
indépendance, sont étrangers aux Italiques. Ils voient
s’élever chez eux les premières enceintes des citadelles
romaines et se construire ces grandes voies qui les enveloppent et menacent leur existence. Ils accueilleront en
sauveurs les Carthaginois et leur armée, où combattent
leurs frères de race, les Celtes d’Espagne. Pour Hannibal,
ils constitueront un premier point d’appui où il trouvera
de nouvelles recrues et assurera ses approvisionnements.
1 - Grande cité et base navale carthaginoise. Aujourd’hui Marsala, Sicile de l'Ouest.
38
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Ses espions se sont déjà assurés de l’alliance avec les
Boïens et les Insubres, qui ont promis des guides à son
armée et des vivres sur la route. Ils doivent se soulever
aussitôt que les Carthaginois auront mis le pied sur le sol
de l’Italie.
Les événements de l’est sont également propices à une
invasion par le nord : la Macédoine, qui vient de consolider son empire en Grèce, est en mauvais termes avec
Rome. Et la plaine du Pô constitue le meilleur endroit
pour réunir, contre l’ennemi commun, des armées venues
d’Espagne et de Grèce.
Ainsi, les circonstances désignent l’Italie du Nord
comme le meilleur point d’attaque.
Expédition terrestre
ou maritime?
Hannibal préfère la voie de terre à la voie de mer. Ni la
puissance navale des Romains 1 ni leur alliance avec
Marseille ne peuvent empêcher le débarquement d’une
force d’invasion carthaginoise sur la côte de Gênes. La
traversée sans heurts que fera plus tard Magon Barca (en
205) le prouve. Mais Hannibal préfère éviter de s’exposer
aux aléas d’une traversée, aux incertitudes d’une bataille
navale et il veut surtout - outre son choix de la voie
Herculéenne - surprendre son adversaire. Il pense qu’il est
plus sage d’aller au-devant des Boïens et des Insubres,
dont l’alliance lui est acquise. D’ailleurs, débarquant à
Gênes, il aurait eu également la montagne à franchir, sans
1 - Dont il faut relativiser la prétendue supériorité, car un simple décompte des navires à partir
des opérations navales citées par les Anciens démontre que les forces navales des
belligérants étaient sensiblement équivalentes.
39
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
l’avantage de la surprise ni la possibilité de récupération
physique.
L’armée d’Hannibal
Au printemps 218, Hannibal réunit donc à Carthagène
la plus formidable armée de tous les temps : 90 000 mille
hommes d’infanterie et 12 000 cavaliers, les deux tiers
africains, un tiers espagnols. Il emmène 37 éléphants,
plutôt pour impressionner les ennemis que comme force
de combat. Il sait que c’est une arme à double tranchant,
toujours susceptible de désorganiser ses propres rangs,
aussi n’en use-t-il qu’avec circonspection et en petit
nombre.
Précédé depuis longtemps par ses nombreux espions,
Hannibal emporte aussi dans ses rangs une impressionnante superstructure composée de plusieurs corps d’armée
spécialisés, dont ses fameux commandos – des hommes
parfaitement entraînés pour des opérations spéciales, et
que dirige très probablement son frère Magon Barca.
Hannibal dispose aussi d’officiers du génie et d’une
division « communication» qui, par l’utilisation de différentes techniques1, donne à l’état-major une capacité de
réaction immédiate.
Hannibal transporte également une mini fonderie pour
la fabrication de monnaie et d’éléments d’armes. Il
1 - Pour une communication rapide et efficace, les troupes carthaginoises utilisaient un
système équivalent au morse : à l’aide de petits drapeaux représentant, dans la main gauche,
les quintes de lettres, et dans la main droite, les lettres elles-mêmes. Polybe évoque ce
système (X, 7).
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Hannibal Barca, l’Histoire véritable
emporte aussi de grandes quantités d’or, d’argent et
d’étain.
Enfin, Hannibal est parfaitement informé de l’organisation des forces romaines, par ses espions d’abord, mais
peut-être aussi, comme l’évoque Serge Lancel1, par le
travail de Fabius Pictor qui, à l’occasion de l’invasion
gauloise de 225, a dressé un tableau des effectifs romains.
Plan
de guerre de
Rome
Selon Polybe, les Romains peuvent mobiliser 700 000
fantassins et plus de 70 000 cavaliers.
Au moment de la déclaration de guerre, Rome dispose
des quatre légions consulaires, qui comptent 60 000
hommes2, et des légions de Tarente et de Sicile qui totalisent 30 000 hommes.
Les réserves immédiatement mobilisables sont constituées de quatre autres légions. Quant aux dernières
réserves, celles qui sont constituées par les hommes en âge
d’être mobilisés, elles se montent donc, par rapport au
chiffre cité par Polybe, à plus de 600 000 hommes fantassins et cavaliers réunis - auxquels il faut ajouter les
hommes que les Romains ont mobilisés dans l’extrême
urgence après Cannes : les esclaves et les repris de justice.
La flotte de Rome compte 220 quinquérèmes, toutes
revenues depuis peu de l’Adriatique.
Depuis de longues années, Rome a prévu qu’à la
première alerte, ses légions débarqueraient en Afrique.
1 - Hannibal, Fayard, 1995.
2 - La question des effectifs sera traitée dans le chapitre concernant la bataille de la Trébie.
41
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Plus tard, elle a songé à une offensive combinée en
Espagne, pour y retenir les forces carthaginoises susceptibles d’aller défendre Carthage.
Ainsi, le gros de l’armée romaine est réservé pour l’expédition d’Afrique, alors qu’une armée sous les ordres du
consul Publius Cornélius Scipion1 reçoit l’ordre d’aller vers
l’Ebre, en Espagne. Mais une révolte éclate dans la plaine
du Pô2 et Scipion a pour mission de s’y rendre avec ses
troupes. L’expédition d’Espagne se fera donc avec du
retard et au moyen d’autres légions.
Hannibal sur l’Èbre et dans les Gaules
Pendant ce temps, Hannibal est arrivé sur l’Ebre où il se
heurte à une tenace résistance des alliés de Rome. Il les
bat et atteint les Pyrénées. Là, il renvoie chez eux une
partie de ses soldats, 10 000 hommes et 1 000 cavaliers,
et confie autant d’hommes à l’un de ses généraux pour la
défense de l’Ebre. Polybe dit que c’est avec 50 000 fantassins et 9 000 cavaliers qu’il franchit les Pyrénées. Il
manque donc plus de 20 000 hommes au décompte.
Quelles que soient les pertes, elles ne peuvent atteindre ce
chiffre.
Polybe n’explique pas ce déficit.
Longeant la côte dans la région de Narbonne et de
Nîmes, Hannibal avance rapidement au milieu des
Gaulois que ses envoyés spéciaux ont depuis longtemps
avertis. Fin juillet, il arrive sur le Rhône.
1 - Le père du futur «Africain».
2 - Hannibal et son armée d'espions y sont-ils pour quelque chose ?
42
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
Scipion débarque à Marseille
Sur sa route pour l’Espagne, le consul Scipion débarque
à Marseille où il apprend que son expédition vers l’Ebre
n’a plus de sens à présent que le Carthaginois a franchi les
Pyrénées. Jusque-là, Rome ne se doutait même pas
qu’Hannibal préparait une expédition vers l’Italie. Le
consul abandonne sa marche sur l’Espagne et décide
d’opérer une jonction avec les peuplades celtiques de la
région, obéissant toutes, par l’intermédiaire des
Marseillais, à l’influence romaine.
Scipion projette d’arrêter Hannibal sur le Rhône, mais il
est encore à Marseille, à quatre jours de marche en aval,
quand les envoyés des Gaulois accourent et lui apprennent
l’arrivée du Carthaginois sur les rives du fleuve.
Le passage du Rhône
Hannibal se prépare à franchir le Rhône avec sa cavalerie
et ses éléphants. Sur l’autre rive, dans une position très
favorable, des Gaulois hostiles, alliés de Rome, interdisent
tout débarquement.
Par ordre du Carthaginois, toutes les barques employées
à la navigation sur le Rhône sont achetées et on en
construit d’autres en abattant des arbres. L’armée pourra
en un seul jour accomplir son passage. Reste le problème
des Gaulois de l’autre rive.
Un fort détachement de cavalerie commandé par
Hannon, fils de Bomilcar, reçoit l’ordre de remonter le
fleuve au-delà d’Avignon. Trouvant un endroit plus facile
43
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
à traverser et non défendu, il aborde sur l’autre rive au
moyen de radeaux rapidement assemblés, puis redescend
vers le sud, pour tomber sur le dos des Gaulois qui
menacent la traversée de l’armée carthaginoise. Trois jours
après, Hannibal voit le signal convenu pour annoncer la
présence du détachement d’Hannon. Aussitôt, il donne
l’ordre de traverser. Au premier mouvement de la flottille
carthaginoise, les Gaulois accourent sur la rive, mais ils
sont attaqués par l’arrière et découvrent en même temps
que leur camp est en feu. Fragilisés, ne pouvant résister ni
à ceux qui les attaquent ni à ceux qui passent le fleuve, ils
s’enfuient et disparaissent.
Polybe déclare qu’après la traversée du Rhône, les
troupes d’Hannibal comptent 38 000 fantassins et 8 000
cavaliers. Treize mille soldats manquent au décompte
depuis les Pyrénées. Hannibal aurait-il jalonné sa route
depuis l’Espagne de bastions pour garder les voies de
communication entre ses troupes et la base espagnole ?
Ou s’agit-il d’une erreur de Polybe quant aux chiffres de
départ ? On sait que l’historien de Mégalopolis a trouvé
ces informations au cap Lacinion, gravées par ordre
d’Hannibal sur une table en airain. Comme le dit Polybe :
« Je ne pouvais suivre de meilleurs mémoires. »
Scipion tergiverse
Pendant ce temps, Scipion, incapable de prendre une
initiative, est toujours à Marseille. Il prépare son plan
pour une attaque sur le Rhône, mais les rapports qu’il
44
Hannibal Barca, l’Histoire véritable
reçoit le troublent. Les Gaulois ont beau lui envoyer des
messages demandant une intervention urgente, il ne veut
pas marcher vers Hannibal, refuse de croire aux nouvelles
qu’on lui apporte et se contente d’expédier sur la rive
gauche, en éclaireur, un corps de cavalerie. Ce corps se
heurte à l’armée carthaginoise tout entière, qui a déjà
traversé le fleuve. En fuyant, l’escadron romain rencontre
près d’Avignon quelques cavaliers carthaginois, eux aussi
partis en éclaireurs. Ils se livrent un combat vif et
sanglant, le premier de cette guerre. Les Romains fuient
et s’en vont rendre compte de la situation au quartier
général. Scipion part alors à marche forcée, mais quand il
arrive, les derniers corps d’armée carthaginois sont partis,
depuis trois jours déjà, vers le nord-est.
Scipion peut encore retourner avec toute son armée pour
opérer sa jonction avec les corps stationnés dans le Pô et
attendre Hannibal, mais il ne comprend pas le sens de la
marche du Carthaginois vers le nord-est. Il est incapable
de concevoir qu’Hannibal a l’intention de traverser les
Alpes. Il décide alors de faire embarquer son armée pour
l’Espagne sous le commandement de son frère, tandis que
lui retourne à Pise avec quelques milliers d’hommes.

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