Correspondance Alphonse Daudet - Frédéric Mistral 1860

Transcription

Correspondance Alphonse Daudet - Frédéric Mistral 1860
Correspondance
Alphonse Daudet - Frédéric Mistral
1860 - 1897
1860
1 - A. Daudet à F. Mistral
Cher Monsieur Mistral,
1860
Vous souvient-il de la bonne invitation que vous me fîtes il y a quelques années en buvant chez moi
du Châteauneuf avec le brave Garcin?
Si jamais vous venez dans le Midi, disiez-vous, je tiens à vous y avoir!
Aujourd’hui je cours là-bas (?) (tache d’encre) pour cause de santé, avec un ami. Nous sommes tous
deux curieux de vivre un jour ou trois auprès du maître des Félibres. Si donc nous ne vous importunons pas, nous viendrons vous pousser une petite visite.
Que dites-vous de mon sans-façon, cher et admirable poète?
Alphonse Daudet
Nîmes. Alph. Daudet, chez Mr Montégut, pharmacien, rue Trélis.
2 - A. Daudet à F. Mistral
Mon cher ami,
1860
Je pars samedi matin par le train de 9 heures. Mieux que moi vous savez à quelle heure j’arriverai à
Graveson. Je serai fort heureux que vous m’y attendiez. Mon compagnon de route, un peu malade,
me fera peut-être faux bond. En tout cas, comptez au moins sur un hôte et un ami
Alphonse Daudet
3 - A. Daudet à F. Mistral
Alger, 24 Xbre 1861
chez Mr Emile Reynaud, Rue de la Marine, Impasse Micipsa.
Cher Mistral,
Ta lettre m’arrive en Afrique. Je t’embrasse de tout mon cœur et t’aime de même.
Je n’ai pas encore vu Tavan. Excuse-moi auprès de Roumanille. Embrasse tous nos amis et dis à
Mathieu que je tiendrai ma promesse à mon retour.
Ton frère
Alph.
Des baisers à ta mère. Et un poutoun à la pichoto. [Et un baiser à la petite.]
N. B. - D’Alphonse Tavan (1833-1905), poète bohème, grillon du Félibrige auquel on doit un recueil
sentimental: Amour et Plour, il est plusieurs fois question dans la Correspondance. Quant aux relations avec Roumanille, elles ont été dès le début entachées de malentendus et empreintes de réticences de la part d’A. Daudet.
4 - A. Daudet à F. Mistral.
Vite vite cher Mistral,
Si tu es riche, envoie-moi cent francs sous double enveloppe chez Mr Emile Reynaud, receveur,
Impasse Micipsa. Ces Arabes sont des Turcs. Je te rendrai cela et autre chose que je te dois, à Nîmes
où j’ai quelques mines.
Que tu puisses ou non, je t’embrasse tout de même Et c’est de bon cœur, va.
Ton Chaperon rouge Alphonse
P.S. Rencontré Tavan en sergent de ville. Embrassé sur les deux joues, en pleine place. Et déjeuné
avec lui, le tout pour notre Mistral.
Adieu.
5 - A. Daudet à F. Mistral
début 1862
Merci.
Je t’embrasserai, je l’espère, dans une quinzaine.
Tavan est parti.
Alger.
Ton Chaperon Rouge pour la Vie.
Alph.
6 - A. Daudet à F. Mistral
A. Daudet chez Mr Lefebvre, à la préfecture.
Mon ami Mistral,
Ajaccio 14 Jvier 1863
Pardonne au plus folâtre des hannetons son inexcusable silence. Toujours autant je t’aime et je pense
à toi. L’Ami Gaudemar qui a vécu que peu de temps à Paris près de moi, sait avec quelle voix émue
je prononce ton nom sibyllin. Mais que veux-tu, a vie, les courants, les tourbillons, le maelström...
J’écrirai demain, puis demain, et demain encore... total, jamais.
Je suis en Corse, je viens de passer dix jours admirables, seul comme Dieu le père, dans le phare des
Iles Sanguinaires. La mer, le ciel, le vent, la pluie, des rochers arides, qques chèvres sauvages, un
lazaret ruiné, deux gardiens philosophes...
— J’ai vécu là, heureux; par malheur il faisait froid, j’ai dû rentrer dans cet Ajaccio, ville triste
comme un bonnet de nuit sale, et où je me propose de rester le moins possible...
Je pense m’en aller fin janvier. Si je pars vers cette époque, je viendrai te serrer la main en passant,
et voir Si tu ne m’en veux pas trop, en te demandant une hospitalité de quelque 24 heures.
Réponds-moi à ce sujet (comme à d’autres), dis-moi si tu seras à Maillane, si ma présence ne te
gênera pas trop, et pour peu que je cause de l’embarras, trouve-moi une chambre à louer, chambre
ou taudis peu importe dans le village.
Passer quelques jours près de ta belle âme ferait du bien au pauvre moi qui signe
Ton Alphonse D.
Rappelle-moi au souvenir de Mme Mère.
N.B. En décembre 1862 et janvier 1863, A. Daudet fit en Corse, à Ajaccio, à Bastia, et aux Iles
Sanguinaires, un séjour qui lui a laissé de vivaces et complexes impressions, dont l’on retrouve des
traces nombreuses dans son œuvre, particulièrement dans un groupe de trois des Lettres de mon moulin (Le phare des Sanguinaires, L’agonie de la Sémillante, Les douaniers). Goncourt notera dans son
Journal, le 1er août 1894:
— Ce soir, Daudet me parlait de son séjour, pendant cinq semaines, dans le phare des Sanguinaires,
cinq semaines qu’il avait passées, jour et nuit, tout au spectacle de la tempête, sans écrire une ligne...
En réalité, les cinq semaines, la lettre écrite sur le vif le prouve, se réduisent à dix jours: ébullition,
dilatation toutes méridionales du souvenir... Quant aux gardiens, ils étaient trois, et il faut lire le récit
intitulé Les Sanguinaires, de beaucoup postérieur (La Fédor, 1896), pour découvrir les dessous des
caractères, idéalisés dans les Lettres de mon moulin. Trois types très différents, ces gardiens, avec
une passion commune: la haine. Ce qu’ils se haïssaient tous les trois...
7 - A. Daudet à F. Mistral.
Ami Frederi,
Mardi 5 (un mot illisible)
1863
Je m’ennuyais trop là-bas, je me suis en allé. J’habite Fontvieille depuis quatre jours et je travaille.
Je viens de voir une affiche qui m’apprend que c’est dimanche fête à Maillane. Si je ne suis pas trop
souffrant, car la machine n’est pas encore fameuse, je viendrai passer ma journée de dimanche avec
toi
Ton
Chez Mr Ambroy, Maire.
Alphonse Daudet
8 - A. Daudet à F. Mistral.
CORPS
LEGISLATIF.
Paris, le 22 août 1863
PRESIDENCE.
Le frérot d’Alphonse veut aussi signer la lettre.
Ernest Daudet.
Monsieur le Chevalier,
J’ai éprouvé, en lisant le Moniteur du 16, une des plus grandes joies de ma vie. Nul ne méritait
comme toi, cher grand poète, le petit chiffon rouge.
Ah! mon ami, quelle fête pour Maman Mistral!
Quand viendras-tu à Paris?
Quand sera fini le second chef-d’œuvre?
A quelle époque ton Opéra?
Donne-moi quelques renseignements sur les choses de la vie. Ton Chaperon rouge est toujours tel
que tu l’as connu; il a vingt-trois ans sonnés, et pas plus de raison qu’un cent de mouches.
Je vois Gaudemar presque tous les jours; à cette heure je parle provençal comme un ange.
Adieu, Mon Chevalier,
Je t’embrasse toi et ta Mère
Alphonse Daudet.
Bonjour à Aubanel, à Mathieu, à tous.
9 - A. Daudet à F. Mistral.
Fontvieille. mardi soir février 1864?
Mon ami, si tu es encore à Maillane, voici qui va te surprendre. J’habite Fontvieille depuis deux
jours, et viens y passer un mois, désespéré de tomber dans la vallée des Baux au moment où tu la
quittes.
Vendredi j’apparaîtrai à Maillane sur le coup de midi; si tu n’es pas parti pour Paris, je t’embrasserai; sinon j’embrasserai ta mère et m’en irai content.
Adieu
Alphonse Daudet
Chez Mr Ambroy, maire.
10 - A. Daudet à F. Mistral.
Nîmes, chez Mr Montégut, pharmacien place Curaterie.
Printemps 1864
Mon cher ami,
Je suis à Nîmes. J’ai quitté Fontvieille. Si bons que fussent mes cousins, ils m’avaient invité pour
deux mois, et les deux mois finis, j’ai cru devoir m’en aller. Je suis installé à Nîmes, j’habite à l’hôtel et je mange chez ma tante. Si tu trouves 25 ou 30 francs dans un coin de ta bourse, envoie-les moi
bien vite. Ça fera 125 francs que je te devrai, et que j’espère te rendre ce mois de... Ah! puis, je suis
bête; si tu as 25 frs envoie-les moi vite, voilà tout. J’ai écrit à deux ou trois amis de Paris que je grève
de cet impôt; j’aime mieux, explique cela si tu peux, m’adresser à un poète et le gêner que demander une faible somme à un parent.
Ce n’est pas tout; tu serais bien gentil d’écrire un petit mot aux Ambroy. Ils se faisaient une telle fête
de te mener en Camargue, et ça a été un tel crève-cœur de ne pas t’avoir que tu devrais leur mander
un petit mot. Voici quelques vers provençaux que j’ai écrits sur l’Album de Chasse de la Camargue:
La Cabano
Coume fai bon quand lou mistrau
Pico à la porto emé si bano
Estre soulet dins la cabano
Tout soulet coume un mas de Crau
E vèire per un pichot trau
Alin, bèn liuen, dins lis engano
Lusi li palun de Girau
E rèn ausi que lou mistrau
Pican la porto emé si bano,
Pièi de tèms en tèms li campano
Di rosso de la tour dóu Brau!...
Ce sont mes premiers vers provençaux, mon pucelage, le dernier.
Hier j’ai passé mon après-midi aux Baux chez Cornille! Oh! cher ami, que tu avais raison; c’est là
qu’il faut que je vienne habiter dès que j’aurai un peu de loisir... Je suis encore ébloui de cette admirable ville.
Adieu. Je t’embrasse de tout mon cœur.
Alphonse Daudet, félibre de la tour dóu Brau.
Ces vers, accompagnés de leur traduction française (avec une légère variante à l’avant-dernier vers)
ont été publiés par A. Daudet d’abord dans l’Armana Prouvençau, puis en épigraphe au dernier récit
paru de son vivant, Le Trésor d’Arlatan (1897).
11 - A. Daudet à F. Mistral.
CORPS
LEGISLATIF.
PRESIDENCE.
Paris, le … 1864?
Mon cher ami, dimanche j’ai résolu de travailler tout le jour; je ne pourrai donc pas dîner avec vous,
comme nous en étions convenus, mais si dimanche soir toi et Gaudemar pouviez venir passer une
heure à la maison, vous me feriez bien plaisir.
Je dois fixer un jour de la semaine prochaine pour dîner avec d’Hervilly et toi.
Ton
Alphonse D
N. B. Ernest d’Hervilly, alors âgé de vingt-cinq ans, n’avait publié encore aucun volume. Il devait se
rattraper plus tard en dispersant sa production dans tous les genres, si bien qu’il est presque totalement oublié aujourd’hui, malgré un beau recueil de vers à la fois sensuels et parnassiens: le Harem
(1874), commencé dès 1862.
12 - A. Daudet à F. Mistral.
A quand Ta Mireille? As-tu des places?
Cher ami.
Février ou mars 1864
Je suis allé chez Jules et chez toi au moins dix fois, sans vous pouvoir mettre la main dessus... As-tu
vu T. Trimm, lui as-tu donné les notes sur ta vie, qu’il m’avait demandées?
Carjat voudrait bien que tu ailles chez lui un matin, faire faire ton portrait. Il te mettrait dans son
Panthéon littéraire, et je serai chargé de faire la notice au bas de ta carte. Si tu veux y aller, dis-le. Je
viendrai te quérir un de ces matins.
Voilà. Je soigne ta renommée, et te colporte dans les qques coins où l’on t’ignore encore.
Bon vèspre à tóuti dous.
Alfonso
Vous n’allez donc jamais au Café de Madrid? Je fais la course presque tous les jours!
N.B. 1 - Timothée Trimm était le pseudonyme de Léo Lespès, chroniqueur du Petit Journal (18621869), puis du Petit Moniteur, auquel il donnait deux articles par jour! Il venait de faire paraître, l’année précédente, Les quatre coins de Paris. Il publia, après avoir rencontré Mistral, un article intitulé
“La Mireille de Mistral“, paru dans le Petit Journal du 3 mars 1864.
N. B. 2 - Etienne Carjat, photographe et littérateur, s’était associé dès 1856 à deux amis de jeunesse
d’A. Daudet, Charles Bataille et Amédée Rolland, pour fonder Le Diogène, avec portraits-charges
des célébrités littéraires, scientifiques ou dramatiques. Cette série de portraits comiques et psychologiques se continua dans Le Gaulois, puis dans le Boulevard.
N. B. 3 - Le Café de Madrid était peu à peu devenu le rendez-vous favori des journalistes, puis de
l’intelligentsia gauchiste du second Empire. Alphonse Daudet, qui l’a évoqué dans un chapitre des
Lettres à un absent, intitulé Une champignonnière de grands hommes, y écrit avec autant de verve
que de rosserie, oubliant ses prédilections d’antan: — Cette machine à poignées de main qu’on
appelle Carjat, installée à la vitrine du café, harponnait les gens au passage, et grâce à son jeu puissant et continu, le café de Madrid devint en peu de temps la buvette littéraire à la mode...
Plus loin, ce chapitre, l’un de ceux qui firent scandale quand l’ouvrage parut en 1871, trace un portrait satirique d’un jeune stagiaire du nom de Gambetta et de toute sa bande de satellites politiques
(… Les stagiaires vont par bandes, comme les étourneaux…) qui avaient à leur tour adopté le Café
de Madrid comme quartier général...
13 - A. Daudet à F. Mistral
20 mars 1864
Mon beau Mistral, voici la vraie impression de la soirée d’hier. Demi-succès pour Gounod, grand
succès pour Mistral. Les gens de lettres que j’ai vus sont enthousiasmés de toi. Cet opéra a eu cela
de bon qu’il a fait lire et relire ton livre, et qu’on est ébloui.
Xavier Aubryet du Nain Jaune, que la musique de Gounod a fatigué, parlera peu de la musique et va
te consacrer un article aussi fanfaresque que possible.
St Victor est fou de Mireille et tu peux t’attendre à un article aux pommes.
Donc, grand succès pour notre Mistral, et c’est ce que je voulais surtout. Quant à l’argent, tu peux
compter que tu as désormais une jolie petite terre au soleil, et que les récoltes seront bonnes. Je te
parle d’après les renseignements pris aux bons endroits, (i bon rode, Gouno disas) on dit seulement
que Gounod doit une fameuse chandelle à Mistral, à l’originalité de ce paysage, de ces mœurs, de
ces costumes, et à MM. Faure, Lefebvre, Carvalho et à ce bon Ismâel.
Adieu, mon frère et mon maître; j’embrasse la Provence sur les joues de mon Capoulié.
Alphonse Daudet
Ecrit dimanche matin, aux Ternes, pendant que vous êtes en train de vs empéguer chez Bravais.
N.B. 1 - Mireille opéra en cinq actes tiré du poème provençal de Frédéric Mistral par Michel Carré,
musique de Charles Gounod, venait d’être représenté pour la première fois, au Théâtre Lyrique, le
19 mars 1864.
N. B. 2 - X. Aubryet publia en effet, dans Le Nain jaune tu 26 mars 1864, un article intitulé Mireille
et Mirèio. En revanche, je n’ai pas trouvé trace d’un compte rendu de Paul de Saint-Victor.
14 - A. Daudet à F. Mistral.
123 bis r. de l’Université.
Paris, 28 janvier (sic pour 28 décembre) 1865
Cher grand poète que j’aime,
Je te souhaite une bonne année et je t’embrasse de tout mon cœur.
Alphonse Daudet
Quand vendra Calendau?
Es pèr lou cop que cantaren tóuti
Alègre! Alègre!
Dieu nous alègre!
Calendau vèn!
Je t’ai indignement pillé cette semaine dans Le Petit Moniteur, j’ai pris les détails que tu donnes dans
tes notes sur la fête de Noël. Je ne t’ai pas nommé parce qu’à la fin janvier je veux faire un article
sur les félibres dans le même Petit Moniteur, et que je me réserve de parler de toi ce jour-là coumo
se dèu...!
N. B. Allusion à la lettre intitulée La Noël en Provence, toute consacrée au folklore poétique et gastronomique de cette fête en Provence, publiée dans Le Petit Moniteur universel du soir du 31 décembre 1865.
15 - A. Daudet à F. Mistral
Mon Frédéric
Château de Saint-Laurent
près Jonquières
par Beaucaire
Gard.
mars 1866
Ai-je besoin de te dire merci pour ta lettre de l’autre jour; non! n’est-ce pas?
J’habite depuis deux semaines les environs de Beaucaire. Je suis seul, nourri comme un paysan pèr
ma bailesso. Je suis bien, et maintenant me voilà logé jusqu’à la fin de mon livre.
Théodore m’a écrit pour me demander un rendez-vous, tu sais, un de nos rendez-vous. Je lui réponds
qu’à partir du 13 mai, je lui appartiens, qu’il m’écrive deux jours à l’avance et me donne rendez-vous
à Beaucaire. J’en suis à 3/4 d’heure.
Je prie Théodore de te prévenir, et de venir avec Grivolas. Je n’ai pas de plus grand désir que de nous
trouver tous les quatre une journée.
Adieu, moun Capoulié, t’ame bèn.
Anfos
Quelle belle épigraphe à l’Œuvre de mon Mistral j’ai trouvée dans mon Montaigne: — Soubvienne
vous de celuy à qui, comme on demandait à quoy faire il peinait si fort en un art qui ne pouvoit venir
à la cognaissance de guères de gens: J’en ay assez de peu, répondit-il. J’en ay assez d’un. J’en ay
assez de pas un. Il disait vray.
Comme cela s’applique bien aux belles rimes, aux rythmes savants, à toute la partie purement artistique de Calendal et de Mireille. Seulement encore au-dessus de tout cela, il y a la poésie.
Adieu
N. B. 1 - Il s’agit du Petit Chose. L’atmosphère ambiante de la création a été évoquée par A. Daudet
dans l’Histoire du Livre publiée en tête de la nouvelle édition Dentu-Charpentier (1882), et recueillie ensuite dans Trente Ans de Paris.
N. B. 2 - Théodore Aubanel.
N. B. 3 – Peintre avignonnais adepte du Félibrige, Grivolas était l’un des complices favoris des escapades gastronomiques et passionnelles d’A. Daudet. Il fut l’un des participants de la fameuse Ribote
de Trinquetaille évoquée par Mistral. (Cf. une lettre de Daudet adressée en 1865 au compositeur
Ferdinand Poise, qui avait écrit l’année précédente la musique de scène de l’opéra de Daudet, Les
Absents: — Je viens de passer trois jours de rigolade provençale, auxquelles tu as bien manqué (...).
Il y avait Mistral, Aubanel, Mathieu, et un autre qu’on appelle Grivolas...
N. B. 4 - A. Daudet a repris cette citation de Montaigne (Essais, I, XXXVIII. De la solitude) dans
son article le poète Mistral, paru dans l’Evénement du 21 sept. 1866, et recueilli ensuite dans les
Lettres de mon moulin.
16 - A. Daudet à F. Mistral
46, rue de Sèvres à Clamart (Seine)
Fin septembre ou début octobre 1866
Moun Frederi, ta letro m’a fa peno... Es tristo e pleno de causo negro... Ah! grand pouèto que siés,
comme voudriéu t’assoula ‘mé quàuqui paraulo, mai siéu trop liuen.
Lis article de Moun Moulin a bèn capita; e lou tiéu, qu’aviéu fa de tout mon cor e de touto ma sciènci,
ajuda quauque pau pèr Pauloun Areno, a agu forco retentissamen (sic)... Aro, quan vendra lou moumen de l’aparicioun de toun bèu libre, saren tóuti aqui pèr crida i Philistin: — Aco’ s bèu! venes
vèire...
Mai siéu foutrau. A-n-aquesto ouro, as pas pus besoun d’acò, e quand te fasèn d’article sur toun obro,
es, vanitous que sian, nous caufa un brisoun i rai de ta glòri.
Adiéu, Frederi. Un gros poutoun.
Anfos
Le vin est bu au trois quarts. Il était excellent. Maintenant, peux-tu envoyer à mon adresse un tonneau de même vin, et à quel prix? Ce n’est pas pour moi; tu recevras le paiement du tonneau à peine
le vin arrivé.
Réponse, je te prie.
Adieu
Alph.
N.B. La lettre de mon Moulin consacrée au Poète Mistral venait de paraître dans l’Evénement du 21
septembre 1866, sous le titre Le livre de l’hiver prochain. L’on remarquera que la présente missive
d’A. Daudet est fraternellement contresignée par Paul Arène, comme pour couper court dès lors aux
perfides insinuations de négritude qui courront plus tard sur sa collaboration avec Daudet...
17 - A. Daudet à F. Mistral.
Moun bèu Frederi,
1866
partirai de Founvièio dissate vers li dos ouro; arrivarai pedibus à Maiano vers li cinq ouro. Tambèn
se pòu que siegue malaut, alor te passeras de iéu. Partirai de Maiano dilun matin, vo beléu dins la
vesprado de dimenche. Ai besoun de te vèire et de parla de Calendau. Mi respèt à ta maire e dous
poutoun per tu.
Afonso
Founvieio. dijòu
Vène soulet, es ben entendu.
18 - A. Daudet à F. Mistral
Moun Capoulié,
Fin 1866 (?)
toi qui es l’âme et la tête de notre Provence, donne-moi un conseil:
Je porte dans ma tête un livre que voici: je voudrais écrire l’histoire, racontée par lui-même, d’un des
cinq cents Marseillais de 93 qui sont partis de (un mot mal lisible: Lascès (?)] par étapes sur Paris.
Commencer par la république à Marseille, ce qui décida le groupe d’exaltés à partir. Leur marche à
travers la France; cela me permettra de peindre au fur et à mesure les différents tempéraments des
pays qu’ils traversent. Je passerai ensuite à leur arrivée à Paris, et à la part qu’ils prirent aux massacres du 10 août, etc.
Quelques historiens nous représentent les Marseillais comme des bêtes féroces. Je ne le crois pas. Je
pense qu’il y aurait de belles pages à écrire sur l’ivresse produite dans les cervelles provençales par
les premières bouffées du Grand Mistral qui soufflait alors sur la France.
Sais-tu quelque source de renseignements où je pourrai puiser?... Pour Paris, j’ai mon affaire. Mais
pour là-bas... Je ne sais à qui m’adresser...
J’ai encore deux ou trois œuvres à faire avant celle-là. Mais comme elle nécessitera pas mal de
recherches, je veux m’y prendre d’avance.
Tu sais, ou tu ne sais pas, la rage que j’ai pour les voyages pédestres. Quand je verrai la possibilité
de faire mon livre, j’irai à Marseille pour quelques jours et j’en reviendrai à pied, le sac au dos,
comme j’ai fait en Allemagne. Je verrai ainsi très bien le pays en une vingtaine de jours. Tout cela
est soumis à ton jugement.
Ah! quel beau livre tu ferais toi avec ça... Et à ce propos, est-ce que tu n’es pas tenté d’écrire une
histoire de Provence? Quelle belle pierre d’assise pour... [la fin manque].
N. B. Cette lettre ne peut être antérieure à l’automne ou l’hiver 1866, par référence au mystérieux
voyage en Allemagne du Sud qu’A. Daudet fit au début de l’été 1866. Il ne me semble pas, en revanche, vraisemblable qu’elle soit postérieure à 1866, car Daudet va se marier en janvier 1867, et l’on
imagine mal qu’il parte alors pour Marseille pour en revenir seul à pied...
19 - A. Daudet à F. Mistral
Ami, réponse, courrier pour courrier.
Te me marie le 26 courant.
janvier 1867
Seras-tu à Paris à ce moment? Peux-tu avancer ton voyage de quelques jours? Calendal est-il prêt?
Je serais bien heureux de t’avoir pour témoin; tu sais mon admiration et mon amitié. Cela t’explique
mon désir.
Ernest m’avait promis de t’écrire. J’ignore s’il l’a fait.
Réponds-moi vite, vite.
Alphonse Daudet
123 bis rue de l’Université
N. B. 1 -En définitive, ainsi que l’atteste le faire-part joint à cette lettre, le mariage fut célébré le 29
janvier.
N. B. 2 - Ernest Daudet, frère aîné d’Alphonse.
20 - A. Daudet à F. Mistral.
1867
Mon ami, mon beau-père me prie de t’inviter à dîner chez lui 17 rue St Gilles (au Marais). Peux-tu
venir? Réponse, si non.
Personnages: Arène, toi et la famille. Pas de façon.
20 Rue Malher.
21 - A. Daudet à F. Mistral,
Printemps 1867
Dimanche
Mon Calendal,
On t’espère ici pour le dimanche des Rameaux qui est dimanche prochain. S’il t’ennuie de venir à
pied, la voiture viendra te prendre à St Gabriel. Le Château est hors du village, et nous n’en sortirons pas. La voiture te ramènera le soir. On déjeune à midi. C’est une vraie fête pour la maison, si tu
viens. Dans le cas où tu ne viendrais pas, écris-moi une petite lettre gentille dans laquelle tu ns inventeras un prétexte de voyage quelconque, plausible, bref une lettre que je puisse montrer.
J’attends, dans tous les cas, une lettre tout de suite.
Mille excuses e dous gros poutoun
Anfos
Qui est mort des suites du duel Séménov? Tout le monde, j’espère.
N.B.. J’ai eu beaucoup de mal à trouver le mot de cette petite énigme, d’autant que ce Sémenov
n’était pas, comme l’allusion de Daudet le laisse supposer, l’un des deux antagonistes, mais l’instigateur de ce duel, qui n’eut pas lieu... Finalement, un article d’Henriette Dibon, paru en 1972 dans
les Mémoires de l’Académie du Vaucluse m’a apporté une tradition et des détails, que je résume.
Le principe d’un duel entre deux félibres: l’Irlandais Bonaparte-Wyse (devenu provençal de cœur et
de langue) et Félix Gras, avait été arrêté à la suite d’une mauvaise plaisanterie de Bonaparte-Wyse,
qui avait assuré, par un jeu de mots linguistique douteux, que le nom propre Gras devait lointainement provenir d’un vieux mot anglais signifiant fat... Le comte de Séménov avait attisé cette absurde
querelle en assurant gravement que, selon le code de l’honneur, un pareil outrage ne pouvait se laver
que dans le sang!
C’est Mistral qui sauva la situation en faisant valoir astucieusement aux deux adversaires surexcités
qu’ils ne devaient pas se battre le ventre vide, si bien que ceux-ci se réconcilièrent après le succulent
repas mitonné, toujours sous les auspices de Mistral, par l’auberge Abrieu, au Chêne-Vert.
I1 existe à ce propos une coïncidence curieuse, sinon troublante: Mistral a recueilli dans “Les lles
d’or“ un poème très tendre, A Madame de Séménow, daté de 1867, où on peut lire ces éloges lyriques:
— O gente comtesse, étoile du Nord, que la neige rend blanche, dont Amour dore les boucles, ô
petite fée blonde, que boit le regard, je comprends que le vent joue dans tes cheveux! Tes yeux font
entendre ce qui est ineffable (...). Je comprends que l’âme se délecte dans tes yeux! (...) Mais de ta
patrie, quand tu fuis l’hiver, comtesse Marie, ah! que c’est dur pour elle! Car tu emportes, nonchalante, toutes les joies... je comprends que l’eau se transforme en glace!
D’autre part, vingt-cinq ans plus tard, en 1892, Mistral préfacera les Poésies du Chêne Vert d’un
Nicolas de Séménov. Enfin, Léon Daudet, dans Fantômes et Vivants, raconte qu’aux agapes autour
de Mistral participaient encore, mais au second plan, Félix Gras, Anselme Mathieu, le peintre
Grivolas, et un Russe original installé au Chêne-Vert, du nom de Séménoff...
22 - A. Daudet à F. Mistral.
mai 1867
Mon Frédéric le grand, j’ai depuis ton départ passé tout mon temps au chevet d’un ami, qu’il a fallu
défendre jusqu’à sa mort contre l’hôpital et la misère. Ça été dur et triste: mon pauvre Delvau a
expiré il y a cinq ou six jours... voilà pourquoi je ne t’ai pas écrit, au sujet des journaux.
Tu as lu sans doute l’article de Ratisbonne d’il y a dix jours environ.
Il vient d’en paraître un dans une sale petite Revue de Paris, d’un Mr de Cazanove. C’est bête, mais
il y a pourtant plus d’admiration qu’autre chose dans cet article. Faut-il te l’envoyer?
Qui doit te faire l’article au Temps? Je pourrais sans doute activer l’apparition.
Adieu, ami, quand te maries-tu? Je t’y engage et je te souhaite d’avoir la main aussi heureuse que
moi. J’ai épousé un poète exquis, et une âme divine.
Je t’embrasse
Alph. Daudet
20. Rue Malher.
N. B. 1 - N. B. Alfred Delvau était mort le 3 mai 1867, sans avoir eu la joie de voir paraître son dernier livre, Les Sonneurs de Sonnets. Alphonse Daudet a évoqué cette fin amère et douloureuse dans
une des nouvelles des Contes du lundi Le dernier livre.
N. B. 2 - Le jeune ménage ne devait demeurer que peu de temps dans ce sinistre petit logis du Marais
(Lucien Daudet). Madame Daudet trouva bientôt un appartement plus sympathique 24, rue Pavée,
dans l’ancien hôtel Lamoignon.
23 - A. Daudet à F. Mistral.
1867
Ami, en lisant Calendal, l’idée m’est venue de faire un poème, mes poèmes à moi ont l’alen courte,
hélas! sur le couvent de St Pons.
Dis-moi en deux mots ce que tu sais de ces bonnes dames, que l’amour féru si bien, et permets que
je te dédie mon œuvrette.
Vite un brin de réponse, s.t.p.?
Alphonse Daudet
20. Rue Malher.
N. B. Trente ans plus tard (!), Mistral, évidemment amusé par la filiation onomastique, écrivait à son
ami Pons la lettre suivante, qui accompagne et commente la lettre ci-dessus (et dont je donne la traduction française) .
Mon brave Pons,
En fouillant dans mes tiroirs, j’ai trouvé une lettre de mon vieux compagnon Daudet, dans laquelle
il manifestait l’intention de faire un poème sur le couvent de Saint-Pons, dont il est question dans
Calendal.
Je ne sais pas s’il a donné suite à son idée, du moins je n’en ai pas souvenance, mais si l’abeille de
Champrosay avait tant soit peu butiné sur la légende de Saint-Pons, il aurait cueilli un rayon de miel
plus fin que le miel lui-même, et c’est pour narguer, et pour donner regret aux amis de mon grand
ami, que malicieusement je dévoile un de ses rêves.
Et voilà pour l’album de la ~ Mandoline s.
Frédéric Mistral
Maillane, 29 mars 1897
24 - A. Daudet à F. Mistral
décembre 1867
Comment vas-tu, mon Mistral? Es-tu heureux? Que fais-tu? Un mot, s’il te plait.
Moi, je suis père; c’est étonnant! J’ai fait matelasser toutes les portes de mon cabinet pour ne pas
entendre le baby; mais bah! Je l’entends tout de même, et ses petits cris me mordent les entrailles
délicieusement.
La pauvre mère se lève depuis hier un peu. Elle a passé deux mois 1/2 au lit, et des souffrances!...
Les derniers jours, pour se distraire et gagner un peu d’argent, c’est cher un bébé, une nourrice, une
garde! Elle s’est mise à écrire des nouvelles. C’était la 1er fois qu’elle écrivait en prose, et il se trouve
qu’elle a tout simplement un talent adorable.
Le Moniteur a publié hier une fantaisie intitulée Les Etrennes de la Morte, signée M...M...: c’est ma
femme. L’Eclair en a publié une autre, signée J... C’est encore ma femme! Bien entendu, c’est un
secret. Aux journaux on n’en sait rien; on a trouvé cela très joli, et on en a commandé d’autres. Ma
pauvre chérie est dans le ravissement. Pense! Elle a gagné en huit jours, étant au lit, 50 francs. Le
mois de la nourrice.
Avec cela, le contraire d’un bas-bleu, simple, timide, farouche, et mourant d’amour pour le petit
enfant (i1 faut tout dire: Marie-Léon ressemble fort à son père). Moi aussi je l’aime beaucoup, je les
aime beaucoup, ma femme et mon petit!
Au fait, tout ça n’est rien. Parle-moi de toi. Tu as vu notre Mathieu? Comment va Théodore?
As-tu lu les journaux parlant du frère aîné?
Ecris-moi, Je t’en prie, e subre-tout parlo me de Mistral.
Alphonse
A propos, as-tu du bon vin ordinaire à me vendre? Ou connais-tu quelqu’un qui m’en pourrait vendre? A quel prix? C’est pressé
Autre chose. On m’apprend qu’une blague de bien mauvais goût a paru il y a quelques jours, sur
Gaudemar, dans un sale journal appelé L’Auvergnat. Mon nom, paraît-il, est mêlé à cela. On dit à
Gaudemar que j’ai été son ami et ne le suis plus. Je suis, comme tu penses, étranger à ça, comme à
ce que le Tintamarre avait publié sur ce pauvre poseur. Seulement on pense qu’il m’amusera
comme l’autrefois. S’il t’en parle, dis-lui bien que ce n’est pas. La vérité est que ce pauvre diable,
par sa fausse situation auprès de Bravais et au Lyrique, par ses embarras, ses mensonges, sa pose
enfin, s’est attiré beaucoup d’ennemis parmi les cabotins avec lesquels il se trouve en rapport tous
les jours, et qu’il en supporte toutes les conséquences. Adieu, mon Capoulié. E bon an.
Anfos
A cette lettre était joint un faire-part:
Monsieur et Madame Alphonse Daudet
ont l’honneur de vous faire part de la naissance de leur fils Léon.
Paris, le 16 novembre 1867.
N. B. 1 - Lucien Daudet a révélé, dans sa Vie d’Alphonse Daudet quelles dettes sournoises son père
traînait encore au moment de son mariage, et à travers quels expédients le jeune ménage vécut courageusement et secrètement durant des années.
N. B. 2 - Le frère aîné, drame en un acte d’Alphonse Daudet et Ernest Maouel (Ernest Lépine) avait
été représenté au Vaudeville le 19 décembre 1867. La pièce n’eut que peu d’échos (surtout peu de
bons!) et peu de représentations.
25 - A. Daudet à F. Mistral.
Moun Capoulié,
Fin octobre 1868
Erian pas de vòsti festo; empacho pas que vous aiman e vous amiran mai que mai.
toun felibrioun
Anfos Daudet
Mando me toun Tambour. La publicacioun, se fara, se vos dins lou Figaro au moumen de toun libre;
bessai la revisto di dous Mounde vaudra mies.
N. B. Sur Le Tambour d’Arcole et les circonstances de sa publication possible, voir la réponse de
Mistral (lettre suivante), qui est la première lettre de lui retrouvée. En définitive, la traduction du
Tambour par Daudet ne paraîtra que trois ans plus tard, le 7 novembre 1871, dans Le Soir.
26 - F. Mistral à A. Daudet.
Moun bèl Anfos,
Maiano, 24 d’outobre 1868
Siés toujour lou meme, escrivan finet, compli e engaubia, calignaire savènt de la nature, emé simplesso, gràci e tendresso de jouvènt, e de biais jusqu’au bout dis ounglo, ço que fas se recounèis entre
milo e pos dire ardidemen i Parisien ço qu’à Mirèio disié lou pastre Alàri:
Milo besti, d’avé, pourtant ma marco, en Crau
Mounton deman à la mountagno
E tous de bèsti fino.
La proumiero de toun moulin me doune envejo de legi aquéli que seguiran. Me dèves bèn cès pèr li
pèd de porc que me fas despiès proun tèms. Iéu te counvide au viage de Catalougno, e me respondes pas soulamen un mot. Mai sias bèn esta puni, car esta superbe noste viage, e de ta folo de vido
n’en capitaras soun parié! Tambèn, de la maliço, noun te fague assaupre li fèsto de St Roumié. Es
verai qu’acò me regardavo pas; es la vilo elo-memo que fasié counvidacioun (lou pichot St Roumié
a despensa pèr aquéli fèsto 10.000 fr!)... Là ancor, sabien que Anfos Millaud s’èro carga de te lou
dire. Mai, monstro, tu mestifaves! Cresiés qu’anavian faire li Martegau, li gargamèu!
Cresiès qu’anavian caga sus lou brès coume lis aucelun à la casso de la machoto... Eh! Bèn, noun,
tout a raissi miés que li magnan; e Arène, que se n’ès douna comme un diantre, a degu te dire li causo
coume fan. Tout vai bèn.
Lou plus poulit es lou Felibrige (Seicioun de Catalougna) passado di fièto de la pouësìo en aquéli la
liberta. Nostre Balaguer est d’aquesto ouro lou bon Diéu di Catalan. lout vai bèn, te redis
Me parles de moun tambour d’Arcole. escouto, St René Tallandier, que s’es dins nòsti fèsto amirablemen comporta, en quand ai dedica la pèço, vai assaja de la faire empremi dins la Revisto du Dous
Mounde coume Buloz, parèis, es uno sacro bèsti, St René noun es segur de l’afaire, e m’a demanda
de tèms fin qu’au bout de nouvèmbre. Alor saubrai ço qu’ai à faire, e sera pas trop tard pèr lou
Figaro. Quand couneiras aquéu pichoun pouèmo, veiras, d’aiour, qu’a dóu mau dóu fiò, es qu’es bon
en tout tèms... Anen, me fai plesi que sieguès countènt di Prouvençau qu’avès laissa en Prouvènço;
te responde que noustrau li sian d’aquéli qu’avèn à Paris, e n’en es i’a long tèms... M’an di qu’aquéu
raselet de Garcin avia escri uno letro au journal de Paris sur lis article ounte Sarcey l’estrilo... Se me
pretoco, sarien curious de vèire acò.
Aro, fasèn coume li gènt d’eici, passoun i coumplimen: douno lou bonjour à toun fraire, saludo di
tout moun cor ti bràvi gènt, e digo à ta gento mouié que sien un pau de sis ami, d’alord que sian lou
tiéu toujour que mai.
F. Mistral
Toco la man an aquéu bregand d’Arène, qu’es un brave drole.
P.S. Descacheta ma letro per te dire que sian ravi de la Cabro de M. Seguin. S’es jamai rèn fa de tant
poulit en prouvençau, ni à plus forto rejoun en francés. Es uno perlo de la mar de Cassis. Osco!
N. B. 1 - Les habitants de Martigues avaient la réputation en Provence d’être nafs et de s’étonner de
tout
N. B. 2 Victor Balaguer (1824-1901) poète catalan et castillan, avait délaissé sa carrière d’avocat à
Barcelone pour se consacrer à la Renaissance littéraire catalane. Il avait déjà publié l’année précédente un recueil de poésies catalanes intitulé Lo Trobador de Montserrat. A. Daudet s’est plu à donner son nom, à peine déformé (balaguère) au chapelain du célèbre conte Les trois messes basses.
N. B. 3 - Eugène Garcin venait de publier un ouvrage de polémique assez perfide intitulé Les
Français du Nord et du Midi.
27 - A. Daudet à P. Mistral
Début 1869
Moun CapouIié, vène de recaupre l’armana. voudriéu que fuguèsses eici pèr te faire un poutoun, mai
un poutoun gros coume la tourre-magno.
Qu’acò ‘s bèu! bèu! bèu!...
N’en ploure encaro... I’a rèn dins Mirèio, dins Calendau que siegue grand coum’ acò!
Un jour, i’a dous mes Garcin me vengué ansin davans vint persouno que risien, pas de iéu, t’en responde!:
— Sans doute Mistral est un habile faiseur de vers!
—Savès ce que i’ai respoundu, noun! cridè: Monsieur Garcin, je vous Emm...!
Devenguè blavo, e partiguè.
Lou regretté pas, moun bèu, moun Grand Capoulié
… e t ‘aime mai que mal.
Anfos Daudet
Te mande ma miolo dóu papo, la sorre de la Cabro. Gardo-la se vos, pèr l’armana de l’an que vèn!
28 - A. Daudet à F. Mistral.
Alphonse Daudet à Champrosay par Ris-Orangis
Automne 1869 (?)
Dins acò, moun Capoulié, te fau pas imagina que toun felibrihoun t’óublido, e d’abord pèr coumença, dous gros poutoun. Aro vaqui ço qui m’ameno:
Je fais un drame, L’Arlésienne, c’est un drame de passion tiré d’une de mes lettres du Moulin. Je n
‘ai pas la prétention d’y peindre la Provence ce n’est guère l’affaire du théâtre... Pourtant si j’avais
sous la main quelqu’usage du pays, pittoresque et point rebattu, je pourrais l’y faire entrer.
Ne connaîtrais-tu pas par exemple dans quelque coin de là-bas quelque particularité à propos des
accordailles, des fiançailles. Ne pourrait-on supposer quelqu’usage un peu coloré, pour le dimanche
de la publication des bans, premier, dernier, ou pour l’offre des présents, (ce que nous appelons la
Corbeille de Noces, et qui là-bas, je crois, se donne avant les Noces).
Cherche-moi quelque chose, je t’en prie; tu me rendras grand service.
Que fais-tu? Pour quand ton volume lyrique?... Et cette Reine Jeanne? Et ce dictionnaire?... Et les
Amours?
Donne-moi des nouvelles.
J’habite la campagne en ce moment. Si j’ai fini mon drame à la fin de la saison, je laisse les répétitions à faire sans moi et je vais passer l’hiver à Cassis ou aux Saintes-Maries. Seulement je ne sais
pas si aux Saintes il y a un médecin, et comme nous aurons Mr Daudet, le tout petit avec nous, j’ai
besoin d’avoir un médecin sous la main. C’est si fragile ces bambins.
Adieu, ami. Ma femme t’envoie une bonne poignée de main, et mon fils une révérence... Ah! le gredin, comme il est beau, mais comme il est féroce! Et gâté!...
Rappelle-moi au souvenir de ta mère et écris-moi.
Alphonse Daudet
D’un peu plus nous venions passer deux mois à St Rémy. On se serait vu le dimanche. Mais à St
Rémy s’il y a Mistral, il n’y a pas la mer. Et moi qui suis né marin enragé... Enfin Cassis n’est pas
loin, et tu viendras chercher Estérelle. Aime-moi!
N. B . A lire cette énumération, l’on apprend que, dès lors, Mistral avait le pressentiment de son
“Grand Œuvre“ dans ses diverses directions, et à travers un horizon de plus de vingt ans: le recueil
lyrique des lles d’or (Lis Isclo d’or) qui ne devait paraître qu’en 1876; le grand dictionnaire provençal-français intitulé Lou Tresor dóu Felibrige, dont le premier fascicule date de 1879, et les derniers
de 1887; peut-être même la tragédie provençale La Reine Jeanne. Cependant, la contiguïté de cette
Reine Jeanne et de la question — Et les Amours? incline à penser que Daudet fait tout ensemble allusion à la récente liaison, passionnée, de Mistral avec Jeanne de Tourbey, future comtesse de Loynes
(que Mistral lui-même appelait ma reine Jeanne) et, sans doute, aux amours romantiques et toujours
contrariées de Mistral avec Valentine Rostand, qui venaient de s’enflammer de plus belle au printemps de 18G8. L’allusion finale à Estérelle, surnom poétique de Valentine, tend à le confirmer.
29 - F. Mistral à A. Daudet
Mon cher ami,
Maillane, 12 décembre 1869
Ton nouveau livre, les Lettres de mon Moulin, a toutes les exquises qualités de tes précédentes
œuvres de plus, il est tout à fait provençal. Tu as réussi avec un merveilleux talent ce problème dif-
ficile: écrire le français en provençal. Aussi tu pourrais désormais t’abstenir de signer tes livres: tout
le monde les reconnaîtrait à la frappe, comme ces admirables monnaies grecques qui portent la tête
de Massilia.
Veux-tu connaître mes préférences? Maître Cornille et La Mule du Pape. Maître Cornille surtout est
une de tes créations les plus vraies, les plus touchantes. Quel est l’artiste, le poète ou l’honnête
homme qui, dans ce joli siècle de démocratie progressiste, n’est pas un peu démoli par les minoteries à vapeur!
Le livre est du reste tout entier à l’honneur du Félibrige et en bonne partie à l’honneur du Mistralet.
Cela se paye avec de l’amitié qui ne finit plus. Je n’ai pas osé faire lire à mon neveu (Cadet), encore
moins à sa famille, l’histoire navrante de l’Arlésienne. Tu devais avoir pris des notes, car le fait est
raconté comme si tu l’avais vu. Tu es toujours l’adorable Daudet de dix-huit ans (oh! ce monsieur
qui mange toute la barquette!), mais la fine ironie de ton expérience (Bixiou) ne gâte pas du tout ta
chanson de poète. Nous avons des gourmets, par ici, qui ne mangent qu’avec du sel les melons de
Cavaillon et les figues de Marseille.
Ton frère Ernest nous avait promis ta venue cet hiver... et tu n’es pas venu?... Dépêche-toi, mon cher
ami, si tu veux boire encore le rubis... [deux lignes et demie manquent à cause d’une déchirure du
papier] .
Je te prie de saluer de ma part, bien affectueuse, ta femme qui te fait heureux, et je t’embrasse comme
quand tu viens me voir avec ta trique en bois de myrte.
F. Mistral
N. B. Allusion charmée au début du récit des Lettres, tout à la gloire de Mistral, qui raconte une visite
à Maillane, et une lecture de Calendal (Le poète Mistral): ... L’envie m’est venue d’aller me échauffer un brin auprès de Frédéric Mistral (...). Sitôt pensé, sitôt parti: une trique en bois de myrte, mon
Montaigne, une couverture, et en route!
30 - A. Daudet à F. Mistral
Mon cher ami
Printemps 1870
C’est encore moi qui viens te déranger. J’ai besoin que tu m’aides à trouver quelques noms.
Voici: mon drame s’intitulait l’Arlésienne mais décidément ce joli titre ne peut pas rester, parce que
le public parisien n’est pas capable de sentir ce que je voudrais faire. Il n’y a pas d’Arlésienne dans
ma pièce: il n’y a que son ombre. On en parle, on en meurt; mais on ne la voit pas. Il faut donc que
je change ce titre, et que tu m’aides à en trouver un.
Mon action se passe en Camargue, aux bords du Rhône. Le mas que je dépeins est un mas que j’ai
vu là-bas, le Mas de Giraud, où le bateau s’arrête. Il faudrait baptiser ma pièce soit du nom du mas,
soit du nom de la famille à qui il appartient.
Donne-moi, veux-tu? quelques beaux noms de domaines et de gens. Mon drame est très sombre, un
peu fatal. Je ne peux malheureusement mettre sur l’affiche le mot mas, sans quoi ce serait bien
facile... Il me faudrait quelque chose comme La Mare au diable, un de ces noms qui indiquent que le
drame est campagnard. Tu m’avais signalé le beau nom des Arlatan. Mais sur l’affiche, les Parisiens
en voyant: Les Arlatan, liraient: les charlatans.
Je compte sur toi quand tu auras le temps.
Hé bien! Et vos élections?... Et les nôtres?... Et nos émeutes?... Et tes livres?... Et tes amours?...
Nous causerons de cela cet hiver. Car j’irai bessai m’acagnardi avau.
à Champrosay par Draveil
Seine et Oise.
Toun
Anfos
N. B. Allusion aux émeutes qui suivirent les funérailles du journaliste Victor Noir, tué par le prince
Pierre Bonaparte, cousin de l’empereur (qu’il était venu provoquer chez lui), puis l’acquittement du
prince Pierre par la Haute Cour, ainsi qu’au senatus consulte de mai 1870.
31 - A. Daudet à F. Mistral
Par ballon monté.
Moun Capoulié,
Paris, le 31 décembre 1870
Te manda par lou balloun mountan uno grosso poutounado e me fai plesi de pousqué te le manda en
lengo Prouvençalo; coum’ acò siéu asseyera que lou barbaro, s’un cop lou balloun se toumbo dans li
man, pourrai pas legi moun escrituro e publida ma lettro dins lou Mercuro de Souabe.
Fai fre, fai negre, manjan de chivau, de cat, de camèu, d’hippopotamo. Li fusiéu vous brulon li det,
lou bos se fai raro, lis armado de la Loire venon pas... Mai fai rèn! Li babaroto de Berlin s’emmascaran encaro quauque tèms davan li bàrri de Paris... Et pièi, se Paris es perdu, counouisse quàuqui
bon patriote que faran vèire de camin a Moussu Bismarck dins li pichóuni carrieiro de noste pauro
Capitalo.
Adièu, moun Capoulié, tres gros poutoun, un per iéu, l’autro pèr ma femo, lou darrié pèr moun drole,
em’ acò bono annado e longo mai de verai en un an.
Toun felibre
Anfos Daudet
Ton félibre
Alphonse Daudet
32 - A. Daudet à F. Mistral
Décembre 1871
Moun capoulié, t’ai manda pèr la posto li Lettres à un absent. Digo-me se lis as reçaupegudo.
As vist aquéu Frejoulin de l’Epine. Ah! vivo sèmpre lou miejour, lou soulèu e lis amo bèn en
deforo!... t’aime de cor.
Anfos D
24 rue pavée. Marais.
Je t’aime de cœur.
33 - A. Daudet à F. Mistral.
Décembre 1871
Mon brave Capoulié, je t’envoie mes souhaits de bonne année.
J’ai reçu la visite d’un tambourinaire auquel je vais essayer d’être utile. Je l’ai déjà fait entendre au
théâtre de l’Ambigu où j’ai une pièce en répétition; mais il n’a pas plu. Ces Parisiens comme je leur
ai dit, il faut leur apprendre ce qui est bon; sans quoi ils trouvent les grenades sans goût, et préfèrent
le verjus d’Argenteuil aux belles grappes en vermeil de Frontignan. Le tort de Buisson, qui est un
merveilleux musicien tambourinaire, est de n’être pas assez Provençal. Conçois-tu ça, c’est moi qui
lui apprends des airs de Provence! Il est venu ici avec des airs de Paris de 1812. 0 éternelle petite
ville!... Ah! tu verras, Mistral, quand je les mettrai ensemble dans le même livre nos deux midis, tu
verras si je les ai bien compris, le midi pastoral, biblique, le midi paysan, et le midi du cercle, de
petite ville, qui ne veut pas dire, pecaire! et qui dit peuchère...
Je vais du reste t’envoyer dans quelques jours mon Tartarin de Tarascon qui va paraître. Ce midi-là
est bien indiqué.
Je t’envoie ton tambour d’Arcole que j’ai essayé de traduire l’autre jour dans le journal Le Soir, où
j’étais avec About, Erckman-Chatrian, etc. C’est te dire que l’endroit est bon. Ton tambour a fait un
grand effet. Je l’ai publié, parce que je cherchais quelque chose d’héroïque. Je n’ai pas mis l’en-tête,
parce qu’il y était question de la Marseillaise, de la Révolution, etc. Pardonne- moi cette mutilation,
et ne vois dans tout cela que ma grande amitié, et mon admiration, et mon respect.
Ton
Alphonse D
Dis-moi si c’est convenablement traduit.
34 - F. Mistral à A. Daudet.
Mon cher ami,
Maillane, 4 novembre 1872
Ton Arlésienne a renouvelé dans mes souvenirs toutes les émotions du drame de famille auquel tu
me vis assister et prendre part, il y a quelques années. Mon récit avait dû te frapper bien vivement,
puisque je retrouve dans ton œuvre les choses vécues, les terreurs, les angoisses, et les cris de cette
catastrophe...
Mais ces scènes de mœurs provençales, cette importance des petites choses dans la vie primitive,
cette familiarité biblique, ces gracieux détails qui font partie de notre paysage, de notre histoire, de
notre caractère, Paris est-il bien en état de les sentir, de les comprendre, de les goûter? Ne rira-t-il pas
aux mots qui nous font pleurer, et ne s’ennuiera-t-il pas aux gaîtés qui nous font rire?
N’est-ce pas bien du courage que de vouloir intéresser ce public cosmopolite à nos modestes drames
de village, dérobés au public des cités par les branches de nos saules et le mur de nos cyprès? Je te
souhaite la victoire et de tout mon cœur te la souhaite.
Et moi aussi j’ai mon drame. La renommée t’aura appris sans doute que j’allais, il y a quelques mois,
épouser 5 ou 6 millions de dot. Une adorable belle fille est venue se jeter à mon cou, et j’ai jeté les
millions par la fenêtre. Ça a été toute une histoire dans le pays, et maintenant l’adorée, qui est digne
de tout point de mon amour, car c’est une héroïne, l’adorée a des montagnes à franchir pour mettre
sa main dans la mienne. Nous luttons contre une fatalité inouïe... Mais c’est égal, cette lutte est bien
savoureuse, à part les austérités de la séparation, aimer profondément et se sentir aimé, et aspirer sans
cesse l’un à l’autre est une vie supérieure et digne des dieux. Elle m’écrit ce matin:
— Oh! ami, cette année qui arrive nous verra fiancés, une voix me le dit, et nous irons au soleil: nous
irons la voir longuement cette chère Provence immortalisée par toi et tant aimée de moi...
Que le bon Dieu l’exauce!
Je t’embrasse de tout mon cœur et je salue la tienne bien affectueusement.
F. Mistral
Maillane.
N. B. 1 - A travers l’admiration fraternelle, c’est une consolation déguisée que Mistral apporte délicatement à son ami, car il pouvait difficilement ignorer (la première représentation de l’Arlésienne
au Vaudeville datait déjà du 1er octobre) que la pièce avait subi un triste échec. Lucien Daudet,
second fils d’Alphonse, a relaté avec franchise les circonstances de ce qu’il appelle un désastre sans
précédent. Un scandale dans le désastre, car il y a des insuccès qui passent inaperçus. Villemessant
{Directeur du Figaro, et protecteur d’A. Daudet} était brusquement sorti de sa baignoire au milieu
du quatrième acte en disant à haute voix:
— C’est impossible, cette pièce où il n’y a que de vieilles femmes!
En vain une jeune actrice exquise et inconnue, Mlle Bartet, avait prêté des accents divins à Vivette
pour dire à Frédéric:
— Cela m’empêchait de te croire, mais ça ne m’empêchait pas de t’aimer!
En vain Bizet avait adapté de vieux airs magnifiques de Provence et composé une musique de scène
qui aurait dû soulever toute la salle, rien n’y fit, et la salle ne sut que s’esclaffer de rire quand la
Renaude et le berger Balthazar se tonnèrent ce baiser d’amitié. Les deux seules personnes qui ne
riaient
N. B. 2 - A ce Que le bon Dieu l’exauce! répondra une conclusion ironiquement mélancolique: le
mariage de Valentine avec un autre homme, prétendant qui offre des garanties, un an plus tard, le 1er
décembre 1873. Cf. La belle Introduction de Pierre Rollet à Histoire d’un Amour: Mistral et
Valentine Rostand, et les lettres de Valentine (nous n’avons pas les lettres de Mistral).
N. B. 3 - Tout ce passage, depuis le début du paragraphe, est bordé d’un long trait de plume, avec
ces mots de la main de Mistral: discrétion sur ces détails. Mistral fait ici une allusion tardive à un
projet de fiançailles rompu avec l’une de ses cousines, la riche Jeanny, dans l’espoir de pouvoir enfin
épouser son grand amour, la complexe et décevante, romantique et positive Valentine Rostand, en
définitive esclave de ses parents et de la respectabilité.
35 - F. Mistral à A. Daudet
Maiano, 12 de mars 1873
Aquéu brave Daudet! es toujour lou même, un foulatoun, un fantasti, que fai dinda e trelusi tout ça
que toco, qu’emé soun rire clar fa perleja li plour, que trèvo la fourèst e lou chambroun de la chatouno, que jago dóu fifre sus lou front de l’armado o bèn pico tenèbro quand lou bon Diéu es en presoun.
Ti galant Contes du Lundi me vènon de faire passa ‘no bono matinado, en te mande mi gramaci, ami
Anfos! Uno causo que fa gau e plesi dins toun obro, es l’ardidesso e la valènço que despleges à tout
prepaus, à tout sujèt, à touto esprovo. Dises ço que te pènses largamen e francamen, e braves, quand
se rescontro aquelo tiranìo de la demoucracìo en règne, que, se rèn noun la prefound, va faire di latin
un pople de goujard e de marrias e de salop.
Crese pas que n’i ague forço que manejon comme tu la lengo de Franço! Comme la sabes! comme
la parles! comme la boulegues!... E’ ‘m’ acò, poudriéu publica ço que fes sènso ges de signaturo.
Entre te legi, tóuti cridarion: es de Daudet.
Nous-autre, eici, vivèn dins uno bourbouiado poulitico que dóu matin au vèspre treboulo l’aigo que
bevèn. Ounte soun li farandoulo ounte tout lou vilage s’arrapavo pèr la man! Ounte li voto galoio
ounte poudios touca lou vèire eme tout paure venènt! Ounte li gai batejat, li noço enfestoulido, li
proucessioun interminable, etc. Arri, sian rouge o blanc, e passan noste tèms à nous ahi lis un lis
autre.
Talamen siéu mau-coura de ço que vese, que me dise de fes en que bon! pèr quau travaian? Es
qu’aquéu mounde bas, es qu’aquelo umanita, que se crèi divino, s’amerito que pèr elo nous brulèn
lou sang e nous caven lis iue!
Jerusalèn, Jerusalèn,
au mai anan, au men valèn.
Ah! coume siéu urous d’avé garda la fe de moun enfanço, d’èstre demoura catouli! Aro coumprene
coume vai que, despièi dous milo ans tant d’ome e tant de femo soun ana s’embarra dins ùni clastro...
Mi salut e amista de cor à ta femeto, e à tu mi coumplimen e gramaci.
F. Mistral
Maillane, le 12 mais 1873
F. Mistral
N. B. Durant la Semaine Sainte, les enfants, en l’absence des cloches, annonçaient les Offices des
Ténèbres en agitant dans les rues des crécelles, ou autres instruments avertisseurs.
36 - F. Mistral à A. Daudet
Mon cher poète,
17 mai 1874
Il y a du plaisir à te voir poursuivre ton ascension, persévérant, laborieux, calme dans ton observation implacable, et toujours jeune de couleur et de grâce. Les femmes d’artistes sont du meilleur
Daudet, après tant d’autres œuvres fines, comme après le mois d’avril, le mois de mai, le mois de
juin nous apparaissent comme fils naturels et légitimes du soleil.
La préface, elle seule est un chef d’œuvre, et cela fait rêver les pauvres vieux garçons comme moi...
Qui a raison, du peintre ou du poète? 2 Bien certainement tous les deux, car il n’y a dans cette vie
rien d’absolument bon ni d’absolument mauvais:
Quan se marido fai bèn
Quan se marido pas tambèn!
Mais, ainsi que tu le dis si justement, il y a une chose légère, ailée, de nature divine, qui domine toutes les autres, c’est la poésie, et tu fais de la poésie continue, si grotesque sujet qu’il te plaise de peindre, et de la philosophie supérieure, si fantaisiste que soit la forme épousée par toi.
Je suis heureux, comme un vieux, comme un bon et véritable ami, de la santé d’esprit et de cœur que
révèle ce livre; puis, je me suis réjoui de la belle situation conquise par ton frère Que veux-tu? On
ne se voit pas souvent, on ne s’écrit guère, car la vie est bien affairée, mais on s’aime, on se souvient
de quelques-uns et l’on prend part à leur existence. C’est là la vraie famille.
Il m’est arrivé à moi une série d’aventures extraordinaires que je te conterai un jour. L’amour et la
fortune, comme on disait jadis, font de moi leur jouet depuis dix ans... et ma vie tous les jours peut
changer du tout au tout. En attendant, Je termine patiemment le dictionnaire de ma langue . Cela
m’occupe, m’intéresse et m’amuse beaucoup. L’art est long, et la gloire ne se vole pas.
Tu sais qu’on remonte Mireille à l’Opéra comique, et que Massé et Martin me font un opéra de
Calendal. Si l’une ou l’autre de ces pièces réussit, je pourrais bien retourner à Paris vers la fin de l’hiver prochain.
Je t’embrasse, mon cher ami, et je salue respectueusement la femme qui te permet d’écrire des
œuvres aussi parfaites.
F. Mistral
N. B. 1 - Dans cette préface, Daudet fait discuter un peintre et un poète des chances et surtout des
abîmes que peut receler le mariage d’un a artiste ” avec la compagne qu’il découvre seulement
ensuite... Par un artifice cher aux créateurs, et pour ne pas risquer de déplaire à la femme qu’il aime,
Daudet s’incarne dans le peintre, marié, qui déconseille le mariage parce qu’il considère son union
comme une réussite exceptionnelle, tandis que le poète, célibataire, prêche pour la sécurité dans la
tendresse.
N. B. 2 - Ernest Daudet, frère aîné d’Alphonse, avait accédé à la. direction du Journal officiel, qui
comportait alors une partie littéraire, ce qui permettra à Ernest de confier des chroniques à son
cadet et à l’épouse de celui-ci (Voir la lettre suivante).
N. B. 3 - Mireille fut en effet reprise à l’Opéra Comique en octobre 1874. Quant à Calendal, il faudra attendre le 21 décembre 1894 pour qu’il soit représenté à Rouen, au Théâtre des Arts.
37 - A. Daudet à F. Mistral.
Fin décembre 1875
Tu t’es trompé, mon Capoulié. L’article Karl Steen n’est pas de moi, il est de ma femme, qui signe
depuis deux ans de ce pseudonyme à l’Officiel. J’ai lu l’étude sur Mistral une fois parue; je n’y aurais
pas laissé Roumanille grand poète quoique j’aime bien Rouma et l’apprécie beaucoup. Du reste j’ai
été heureux de voir que Julia partageait mon admiration pour toi; je te dirai que, bien que très tendrement unis, nos sympathies littéraires ne sont pas toujours les mêmes. C’est une joie pour moi de
nous être rencontrés sur un de ceux que j’admire le plus, sur Celui que j’aime le mieux.
Alphonse Daudet
J’ai fait le nécessaire auprès du Figaro. Patientons et espérons. Ce serait un bon coup de vent pour
le livre. Je verrai Dalloz après-demain spécialement pour les Isclo. S’il n’a personne, je ferai l’article moi-même.
En hâte.
A bientôt.
N. B. Dalloz était directeur du journal Le Moniteur universel
38 - F. Mistral de A. Daudet
Mon cher ami,
Maillane, 28 février 1876
Tu montes de chef d’œuvre en chef d’œuvre. Ton Jack est délicieux, émouvant, plein de charme, de
profondeur et de force. Aux paysages les plus vrais, aux scènes de mœurs les plus naturelles, tu
mêles, sans t’en douter peut-être, une émotion particulière qu’on ne rencontre que dans tes livres.
Pauvres ratés! comme tu les flagelles! ces pauvres petites victimes de la destinée ou de la méchanceté des années, comme tu les fais aimer!
Il n’y a pas une de tes phrases qui ne soit vécue, et pas une de tes descriptions qu’on ne sente sincère. Cette véracité, cette bonne foi de toutes tes œuvres explique ton triomphe et ton ascension
continue. Ma bonne femme de mère, tout illettrée qu’elle soit, a dévoré Jack comme un conte de
Perrault; et une jeune parisienne de mon voisinage me disait: — je ne puis pas continuer la lecture
de ce livre, il est tellement vrai que mon cœur sanglote et que j’ai le mal du pays.
Va donc, mon vieux brave! Tu es maître, commande, et la lumière se fera.
Je t’embrasse et te prie de saluer de ma bonne part Karl Steen.
F. Mistral
P.S. J’oubliais de te dire une observation que j’ai faite. Mon œil, qui a pris des habitudes philologiques, fut frappé du mot buée qui dans ton livre exprime si bien les vapeurs chaudes des milieux habités. Et puis le mot buée revenait, je le remarquai encore, et je l’ai retrouvé quinze ou vingt fois. Je te
signale cela amicalement, non comme critique, mais comme curiosité. Cela prouve que le mot, d’emploi nouveau en littérature, t’avait bien empoigné.
39 - F. Mistral à A. Daudet
Moun bèl ami,
Dijoun (Costo d’Or)
25 d’avoust 1876
Me maride à Dijoun lou 27 dóu mes de setembre que vèn, un dimècre, em’ uno bello chato de dèse-nòu an que ié dison Marie Rivière.
Desempièi tant de tèms que courre la bello eisservo, finissiéu pèr me langui. Ai atrouva enfin l’encarnacioun de ço que cercave dins Mirèio e dins Esterello. Es de dire que fai un mariage de pouèto.
Siéu amourous
e
Es amourouso.
Me faras grand ounour, me faras grand plesi, se vos veni emé ta femo benastruga mi noço de ta presena. Dijoun es jamai qu’à cinq ouro de trin esprès de paris, coume de Maiano, à-n-Arle.
Noun i’aura à mi noço que quàuqui bons ami, entr’ àutri Emmanuel des Essarts, ma neço e moun
nebout, ma fiholo Mirèio, lou catalan Albert de Quintana, l’anglés Bonaparte-Wyse, etc.
La nòvio demoro rue du Château, 4, mai li counvida descendran hôtel de la Cloche o hôtel de
Bourgogne ounte anaren li querre... Digues rèn au publi, te n’en prègue, jusqu’au jour de la benedicioun, e crèi me toun fidèu, toun pu viei e toun meiour ami.
F. Mistral
Responde-mi à Maiano.
F. Mistral
N. B. 1 - Emmanuel des Essarts (1839-1909), qui avait été, en 1861-1862, le professeur de Mallarmé
au lycée de Sens, était devenu, depuis sa promotion au lycée d’Avignon, un intime de Mistral. Poète
charmant et critique aimable, il publiera un article sur Calendal.
N. B. 2 - Albert de Quintana était l’un des sympathisants au Félibrige qui accueillirent Mistral lors
de son voyage aux Jeux floraux catalans de fin avril-début mai 1868. Quant à William BonaparteWyse (1826-1892), Irlandais (et non Anglais), et descendant collatéral d’une dynastie princière, il
représente le cas presque unique d’un anglo-saxon ayant élu le provençal comme langue naturelle
(son principal recueil s’intitulait Li parpaioun blu (1868). Il fut l’unique majoral étranger du
Félibrige.
40 - A. Daudet à F. Mistral
Fin août 1876
La maison neuve, toute blanche au soleil, t’a porté bonheur. Vivat!
Tu peux compter sur nous pour le 27 septembre. Nous arriverons à l’hôtel de la Cloche, mais il faudra que tu nous précises l’heure.
Embrasse ta mère pour nous.
Ton fidèle
Alphonse Daudet
J’ai sur les bras un procès écœurant, des répétitions, un livre en train; mais tout cela ne m’empêchera
pas de venir à la noce de mon Mistral.
N. B. Le procès que Daudet évoque ici, et qu’il semble invoquer dans la lettre suivante comme son
principal empêchement de quitter Paris, lui avait été intenté par un certain Klein, personnage un peu
équivoque, alors collaborateur au petit Journal qui, se fondant sur certaines lettres assez familières
d’Alphonse Daudet, revendiquait un droit (et des droits...) de collaboration sur la pièce tirée de
Fromont jeune et Risler aîné, alors en répétitions (Cf. Gazette des tribunaux: Audiences des 16, 23
et 30 août 1876). Klein fut débouté, mais il est possible qu’il ait essayé de poursuivre ses tentatives
de chantage... Quant au livre en train, il s’agit évidemment du roman Le Nabab, qui paraîtra l’année
suivante, en 1877.
41 - A. Daudet à F. Mistral
Mon cher ami,
17 (?) septembre 1876
Il m’arrive un ennui, une grande peine. Je ne peux pas aller à ton mariage. Après nous être préparés
à cela comme à une fête, tu penses quel brise-cœur. Je suis revenu à Paris jusqu’à la fin du mois pour
une misérable affaire dont je ne t’entretiendrai pas; sache seulement que ma femme et moi sommes
désolés. Je t’aurais écrit, il y a trois jours, mais je viens de passer ces trois jours dans un tourbillon.
C’était la première de Fromont jeune! Cela s’annonce comme un succès; mais sapristi! que d’émotions!
Les tiennes en ce moment sont autrement précieuses, mon beau Frédéric. Il me semble que je te vois
plus rayonnant, plus auréolé que jamais, marcher en conquérant sur cette bonne vieille ville de Dijon
pour y chercher Mireio-Esterello qui te fait signe de loin avec sa main blanche parmi les tours et les
clochers. Oh! les belles noces de poète, le beau festin nouviau. Et dire que je n’y serai pas.
Je t’embrasse, le cœur bien gros.
Alphonse Daudet
Comptes-tu la mener à Paris? Comme nous serions heureux de lui faire fête.
N. B. La première représentation de la pièce tirée de Fromont jeune et Risler aîné eut lieu au
Vaudeville, le 16 septembre 1876.
42 - A. Daudet à F. Mistral.
Mistral, moun Capoulié,
Décembre 1878
Voici M. Zolling, un journaliste autrichien de la Nouvelle presse libre de Vienne qui veut voir Mistral
chez lui. Je te l’envoie, montre-lui ta belle face, communique-lui un peu de ton amour pour tes
Alpilles, et il fera au félibrige une belle propagande dans son pays.
Je t’aime toujours fraternellement, et te prie de présenter à ta femme l’hommage de mon respect, à
ta mère nos meilleurs souvenirs.
18. rue des Vosges.
Ton
Anfos Daudet
43 - A. Daudet à F. Mistral
29 août 1880
Télégramme.
Pour St Rémy de Nîmes. N° 387. Mots 18. Dépôt le [cachet de
la poste St Rémy de Provence, 2e. 29 août 80] .h 10 mn du
Frédéric Mistral Maillanne exprès St Rémy B. du Rh.
Demain lundi onze heures serai St Rémy gare. Viens
Alphonse Daudet
44 - F. Mistral à A. Daudet
Mon cher ami,
Maillane, 30 août 1880
Il y a quelque temps, je reçus la visite d’un jeune homme de 22 à 25 ans qui m’apportait un petit
manuscrit pour avoir mon avis. C’était une série de charmants tableaux de nos mœurs et de nos usages rustiques, écrits par une plume de poète et de provençal de bonne race. Je crus même sentir un
certain bouquet émanant de ta manière... Je l’engageai à ne pas lancer cela de la province, car ce
serait autant de perdu pour lui, mais à attendre qu’une occasion lui ouvrît les colonnes d’un journal
parisien ou lui ménageât un éditeur de Paris.
Or il se trouve que ce garçon est de Saint-Andéol, où se trouve, je crois, la campagne de M. Parrocel,
qui peutêtre le connaît déjà. Il s’appelle Moulin, et est licencié ès lettres, et professeur au lycée de
Béziers.
Si un dimanche, en allant vous promener à Saint-Andéol, vous lui faisiez la surprise d’une visite, car
il y est en vacances, vous combleriez, je crois, un de ses rêves, et vous pourriez vous faire lire un des
jolis morceaux qu’il a écrits sur ce village.
J’aurais pu le prévenir et l’engager à vous aller voir, mais je crois plus discret de te laisser ta liberté
à cet égard de faire ce que tu voudras... [Je crois que j’ai idée que ce jeune homme est un des bien
doués parmi les fils de notre Sonia [?] a arlésienne.
Ma femme serait bien heureuse de connaître Madame Daudet avant votre départ. Voici comment on
pourrait arranger les choses. Ton hôte vous amènerait à St Rémy, et là vous prendriez (au Cheval
blanc) une voiture pour Maillane, et vous viendriez déjeuner avec nous, etc. Mais ne vous préoccupez pas encore de cette course, amusez-vous bien, écrivez-nous, au pied des Alpilles bleues, les choses les plus provençales du monde, et à la garde de Dieu!
Je vous embrasse de tout mon cœur.
F. Mistral
N.B. La fâcheuse habitude qu’avait Alphonse Daudet de ne dater presque jamais ses lettres fait souvent de leur classement probable, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, un puzzle et un casse-tête... Dans
le cas présent, il semble bien, non seulement que le télégramme précédent d’A. Daudet se soit croisé
avec la présente lettre de Mistral, mais que Daudet, en villégiature au château de Saint-Estève, au
Plan d’Orgon, chez ses nouveaux amis les Parrocel, descendants de la lignée des peintres de ce nom
(séjour auquel la lettre de Mistral fait expressément une allusion) soit venu une fois seul voir Mistral
(Cf. le télégramme et cette phrase d’une lettre de Daudet à Timoléon Ambroy, datée précisément de
cette époque par Lucien Daudet:
— Je n’ai pas osé vous encombrer de ma smala augmentée d’un bébé bruyant et despotique (le petit
Lucien, né l’année précédente) à rapprocher de ma tribu et moi... dans la lettre qui suit, ainsi que cette
autre phrase:
— Julia ne pourrait pas venir, à cause de son bébé qu’elle ne quitte pas..., puis, ayant quelque peu
prolongé son séjour, adresse à Mistral l’appel à un revoir, avec les siens, cette fois, de la lettre suivante, qui commence par: Un mot en hâte.
45 - A. Daudet à F. Mistral
Début septembre 1880
Un mot en hâte,
mon vieil ami.
Je remonte vers Paris plus tôt que je ne pensais, emportant le regret de n’avoir pas vu ta femme et
de l’avoir pas faite amie de la mienne. Excusez-nous.
Nous passerons quatre ou cinq heures à Avignon où nous devons dîner avec Aubanel et Gras .
Comme ce serait d’un bon ami, comme cela nous ferait tous jeunes, si tu venais, si vous veniez
dîner avec nous.
Le rendez-vous est samedi 4 heures à la gare d’Avignon, à l’heure de l’arrivée du train de cavaillon, par lequel ma tribu et moi débarquerons pour repartir à 8 heures 1/2 par le Rapide.
Tu vois que c’est peu de temps à être ensemble, mais notre vieille et indéracinables amitié à bonnes dents et mettra les bouchées doubles.
Fraternellement
Ton, votre
Alph. Daudet
N. B. Félix Gras (1844-1901), disciple et ami de Mistral (voir la lettre n° 21), était le beau-frère de
Roumanille, car il avait épousé en 1863 Rose-Anaïs, qu’il avait préalablement couronnée aux Jeux
floraux d’Apt, en 1862. Parmi des œuvres multiples, il s’est essayé au poème épique en deux œuvres
attachantes: Li Carbounié (Les Charbonniers), en 1876, et Toloza (Toulouse), en 1880. Bien qu’aussi
rouge que Roumanille était catholique et royaliste, il deviendra capoulié à la mort de Roumanille, en
1891.
46 - A. Daudet à F. Mistral
Septembre 1881
3, avenue de l’Observatoire
Mon cher ami,
Ton beau-père me fournissait de Dijon un Romanée blanc qui faisait la fierté de ma table. J’ai écrit
pour lui en commander encore. La Poste me réponds: Parti, adresse inconnue. Si Mr Rivière ne fait
plus le commerce de vins, il doit avoir gardé de relations à Dijon, et s’il pouvait me donner une
adresse sûre, je lui en serait reconnaissant.
Numa Roumestan va paraître. Tu auras un des premiers exemplaires comme toujours.
Salue ta femme pour nous.
On t’aime.
Alph. Daudet
47 - A. Daudet à F. Mistral
(Carte de visite autographe)
1883
3 avenue de l’Observatoire
Un journal m’apprend ta grande peine. Pour ma femme, mes enfants et moi, je t’embrasse de toute
la pitié de nos cœurs.
Alphonse D.
48 - F. Mistral à A. Daudet
Automne 1883?
Cher ami, voici un brin de prophétie assez connu. Je te l’adresse à tout hasard. Si elle t’avait échappé,
la voilà: elle pourra te servir pour motiver les terreurs de fin du monde dans lesquelles ton futur
roman va plonger les compatriotes de Barnabé Amy .
Vous êtes repartis sans donner signe de vie. Je vous attendais encore avant-hier, où F. Gras m’apprit
le départ de la gente famille. Je suis resté deux mois malade, et je me suis souvenu trop tard que
Madame Daudet m’avait demandé Calendau pour lire à Saint-Estève . Pardon de l’oubli.
Nous irons vous voir, si rien n’empêche, vers mars ou avril. D’ici là tenez-vous tous gaillards, et àdiéu-sias
F. Mistral
N. B. Après une cure à Néris-les-Bains, pour tenter d’enrayer la maladie de la moelle épinière qui
commençait insidieusement, Alphonse Daudet et son épouse étaient allés de nouveau passer quelques jours plus gais de l’arrière été dans le château de leurs amis Parrocel (Cf. Lettres familiales, p.
152-153).
49 - A. Daudet à F. Mistral
Cher ami,
Novembre ou début décembre 1883
Merci pour la prédiction.
Tu as donc été malade. Voilà qui ne te sied guère. Tiens-toi solide et sain pour le triomphe de ta Nerte
à Paris; j’ai encore dans les oreilles le cristal de tes petits vers lumineux et vifs, dans les yeux la
splendeur de tes évocations. Et pourtant j’avais en t’écoutant un chien de rhumatisme au cœur!... Il
fallait que la petite Nerte fût bien belle.
Ma femme embrasse la tienne qu’il nous tarde de voir rayonner sous le ciel gris; et moi je t’aime et
je t’admire avec ma foi de vingt ans.
Alphonse Daudet
Le premier mot de Julia revenant du Midi et courant à la bibliothèque: — Où est Calendal? Elle t’a
relu trois soirs de suite.
50 - F. Mistral à A. Daudet
Cher ami,
Maillane, 20 Xbre 1883.
J’avais chargé mon éditeur de t’offrir en mon nom un des premiers exemplaires de Mireille illustrée.
La commission se fit, mais par erreur on te porta un exemplaire broché, que j’ai fait remplacer par
un relié, quand j’ai appris la chose. Hachette sera aussi l’éditeur de Nerto, qui paraîtra fin mars, et
c’est à cette époque que nous irons revoir les amis de Paris, où nous croyons passer un mois ou deux.
Mais voilà que j’oublie le principal de ma lettre. Je viens, selon l’usage, te prévenir que je dédie un
chant de Nerto à Madame Daudet... Le nom de ta vaillante femme nous portera bonheur.
Donc, à trois mois de date, comme disent les marchands.
Je t’embrasse de tout cœur.
F. Mistral
Boni fèsto de Calèndo
Cantas nouvè, nouvè, nouvè, etc.
Nàutri, pecaire, aquest an
Pausan pas cachio-fiò.
N. B. Hachette venait de publier une très belle édition de luxe de Mireille, dans le format grand in4, illustrée d’un portrait de l’auteur, de 24 eaux-fortes hors-texte, et de 5 3 vignettes d’Eugène
Burnand. (50 fr.). L’éditeur avait en effet, à part des exemplaires brochés, fait relier des exemplaires
dorés sur tranche, sous une couverture de chagrin crème portant une branche d’olivier enlaçant le
titre: Mireille, tandis qu’une feuille s’en détache, et qu’un sombre hibou s’envole vers le bas de la
page (je décris en détail d’après mon propre exemplaire).
La préparation de l’édition avait été longue et minutieuse. Des fragments d’une lettre de Mistral à
Burnand, datée du 25 juillet 1881, en donneront une idée:
— ... Je suis charmé d’apprendre que vous faites avec plaisir les planches de Mireille. J’en verrais
volontiers les épreuves, si vous devez les tirer avant votre retour en septembre. Mais si j’ai le temps
de vous donner mon appréciation quand vous viendrez à Maillane, autant vaudrait attendre. Vous
ferez comme vous le jugerez convenable. (...) Je suis sûr que vous verserez dans votre illustration
toute la jeunesse, toute l’originalité et toute la fleur de votre talent. En septembre, les travaux des
blés seront terminés, mais nous pourrons, je crois, faire poser des travailleurs et des mulets dans les
poses voulues. Ne pourrait-on pas, dans tous les cas, renvoyer au mois de juillet 1882 la composition de cette planche? Nous verrons. On pourrait aussi retrouver le foulage des gerbes en septembre,
en remontant vers les montagnes de Provence... (René Burnand. Eugène Burnand au pays de
Mireille. s.d. Ed. Spes. Lausanne. p. 85-86)
51 - A. Daudet à F. Mistral.
Mon grand Mistral,
Fin décembre 1883
Quel beau cadeau tu nous as fait. Quelle miraculeuse Mireille. C’est le soleil dans la maison.
Ma femme, très fière et heureuse, te remercie de mettre son nom à un des chants de ta Nerto. Elle a
gardé de ton poème, et de votre accueil, et de la lecture à la table de la bonne et charmante Mme
Mistral un souvenir exquis que cette dédicace fixe avec un clou d’or.
Moi, tu sais comme je t’aime.
Alphonse Daudet
Pas encore fait la longue étude que les Américains m’ont demandée sur toi et ton œuvre. J’attends
d’avoir écrit le livre que j’ai en train, livre noir et laid. Je me nettoierai dans ta lumière.
N. B. Il ne peut guère s’agir que du roman Sapho, qui paraîtra en mai 1884. Cependant, comment et
pourquoi parler de Sapho comme d’un livre noir et laid, sinon par la conscience amère de la maladie
incurable dont la grande aventure passionnelle de jadis se révèle maintenant la cause; par nostalgie
des heures lumineuses vainement englouties; par le pessimisme voulu de la conclusion du roman,
modèle de sombre essai de délivrance par une auto-punition psychologique?...
52 - A. Daudet à F. Mistral.
Décembre 1883
Mon cher ami, j’ai souvenir d’une marseillaise dont le prénom était Divonne. Est-ce un nom provençal? L’as-tu rencontré déjà, Divonne? Je voudrais savoir aussi comment s’orthographie le Château
de l’Er, en terre papale, où je suis retourné cette année avec les Mathieu, Grivolas, Aubanel. Tu te
rappelles, n’est-ce pas, la belle ruine féodale au bord du Rhône, et la taneto de l’abbé Pougnié.
Envoie-moi en deux lignes ces deux renseignements, et le romancier te bénira. .
J’ai eu la visite de Burnand, te l’ai-je écrit? Il m’apportait ses excuses pour qques mots sur mon
compte qu’un journal suisse t’attribuait. D’abord ces mots n’avaient rien de blessant; et puis de toi
rien ne saurait me blesser.
Je t’admire et je t’aime Capoulié, comme au premier jour, comme à dix-neuf ans, quand je couchais
dans ta chambre et qu’on disait bonsoir en passant à Maman Mistral derrière son paravent. A toi et
à ta femme, nous deux.
Alph. Daudet
N. B. En sollicitant la caution de Mistral (qui la refuse dans la lettre suivante...) pour l’affiliation provençale du prénom Divonne, Daudet songe à son roman Sapho, où il maintiendra cependant comme
conquérante de l’âme et du nom de l’oncle Césaire, une Jolie fille de pécheurs, Divonne Abrieu, née
dans l’oseraie au bord du Rhône, vraie plante fluviale à la tige ondulante et longue. (Sapho, Chapitre
V).
53 - F. Mistral à A. Daudet
22 janv. 1884
Divonne m’est inconnu comme nom de femme. La marseillaise qui le portait le tenait peut-être d’un
papa érudit qui le lui aurait donné en souvenir de Divona, nom gaulois de la ville de Cahors, à moins
que Divonne ne fût le féminin d’un nom de famille (Divon? Dibon?) qui pourrait bien exister.
Le château de Lers s’écrit Lers de temps immémorial. C’est un nom qu’on rencontre assez souvent
dans le Midi où il est écrit l’Ers. Il dérive du vieil adjectif provençal ers, ersa, élevé, dressé (du latin
erctur ou erectus). Le mot erso (vague de la mer) vient de là. Pour plus amples renseignements, cherche dans mon Dictionnaire aux mots ers et lers.
Ma femme lit en ce moment-ci l’Enfance d’une parisienne a dont elle admire le sentiment délicat et
le style suavement féminin. Elle remerciera Julia à loisir; et puis, au mois d’avril nous irons vous
embrasser.
Nous avons eu la visite de Paul Arène et du Dr Charcot, avec sa charmante belle-fille. J’ai mené
Arène voir La Mourgo, ce sphinx de notre plaine auquel se rattache la légende de mon poème de
Nerto. Nous y mènerons un jour ton gentil Léon, pour lui prouver que les légendes sont parfois plus
vraisemblables que la réalité.
MilIe amitiés, cher ami, et tout à toi.
F. Mistral
N. B. 1 - l’Enfance d’une Parisienne, ouvrage de Mme Alphonse Daudet, avait paru l’année précédente sous la forme d’un livre-bibelot édité seulement à 525 exemplaires.
N. B. 2 - Il s’agit évidemment du grand neurologue Jean Martin Charcot (1825-1893), médecin et
ami d’Alphonse Daudet, dont il avait diagnostiqué le premier la maladie de la moelle épinière.
Autant que son père, Léon Daudet appréciait ses aperçus sur les abîmes de la personnalité. Il l’a souvent évoqué, aussi bien dans des ouvrages de philosophie clinique tels que l’Hérédo ou Le Monde
des images que dans divers volumes de ses souvenirs.
54 - A. Daudet à F. Mistral. Carte pneumatique.
19 avril 84 (d’une autre main que celle d’Alphonse Daudet).
Mon cher ami,
Merci pour le beau livre et sa rayonnante dédicace arrivés ce matin. On va se délecter.
Et voici le but de ce télégramme:
Garde-nous ta soirée, votre soirée du mardi 29. Vous dînerez ce soir-là avenue de l’Observatoire avec
Zola et d’autres amis de Mistral. Après dîner, des tas de poètes et gens de lettres viendront saluer le
capoulié provençal.
Je prie Mme Mistral d’inscrire sur son carnet cette date du mardi 29 (dîner) que tu pourrais oublier
dans ton brouhaha glorieux.
Alphonse Daudet
55 - A. Daudet à F. Mistral.
21 avril 84 (d’une autre main que celle d’Alphonse Daudet).
Chère Madame Mistral, je m’adresse à vous, n’ayant pas eu de réponse de votre cher mari. Nous
avons arrangé un dîner et une soirée à la maison pour le mardi 29 de ce mois, êtes-vous libres? Nous
comptons absolument sur vous deux! Mistral trouvera là des amis, un auditoire digne de lui, Zola,
Banville, Leconte de Lisle, Goncourt, etc.
Donc à mardi 29, 7 heures, 3, avenue de l’Observatoire, et en attendant, un petit mot qui dise — Oui.
Réponse le plus tôt possible.
Alphonse Daudet
N. B. Aucune réponse de Mistral ne figure au dossier. Il semble probable qu’il ait décliné l’invitation, s’effarouchant d’un grand dîner, comme tendraient à le prouver les termes de la seconde lettre
d’une nouvelle invitation, le mois suivant (Ce n’est pas d’un dîner qu’il s’agit de...); invitation encore
une fois déclinée par Mistral pour les raisons qu’il donne dans sa lettre du 20 mai.
56 - A. Daudet à F. Mistral.
Milieu de mai 1884
Etes-vous libres tous deux vendredi prochain?
Voulez-vous venir dîner, sans façon, en jaquette, avec quelques amis? Ça nous ferait bien plaisir.
Un mot, s.v.p.
Et tendrement au ménage.
Alph. Daudet
57 - F. Mistral à A. Daudet (Publiée par J. Véran)
Mon cher Alphonse,
Paris, 20 mai 1884
Je mène depuis un mois et demi une vie effrénée: tous les jours des dîners, des soirées interminables,
des relations qui se multiplient à l’infini. Il fallait avoir l’économie de quinze ans de retraite au désert
pour résister à ce débordement
Il faut savoir se réserver, me diras-tu. Oui, s’il ne s’agissait que de moi. Mais je représente une
idée, une cause, et je ne dois rien négliger pour sa diffusion. J’ai donc mis à profit le quart d’heure
d’attention que Paris a bien voulu prêter à mon chant de cigale.
Il me reste encore un coup de collier à donner: c’est dimanche, à la fête organisée à Sceaux par les
félibres parisiens. S’il fait beau, ce sera joli, et il y aura du peuple. Il faut donc se préparer par un
peu de repos et de sommeil. C’est pourquoi je ne pourrai aller vous embrasser vendredi. Nous irons
vous saluer et remercier après la fête. Du reste, j’ai encore beaucoup d’affaires à régler avec mes éditeurs et compositeurs. Cela me retiendra à Paris jusque vers le 10 juin.
Nerto a eu un succès que je n’espérais pas, édition de 2 000 exemplaires enlevée en quinze jours,
quatre demandes de traduction à l’étranger, etc. Ce pauvre provençal n’est donc pas tout à fait mort:
à chivau blasteima lou péu lusis.
Nos meilleures amitiés à toute la maisonnée. Ton bon ami.
F. Mistral
58 - A. Daudet à F. Mistral.
Date en marge (de la main de Mistral?): 21 mai 84.
Moun bèu, ce n’est pas d’un dîner qu’il s’agit. Il n’y a que Banville, Goncourt, Aicard, et vous deux.
On se sépare à 10 1/2. Tu seras chez toi à onze heures. Allons, acceptez. Banville serait si content,
et nous donc!
Un mot, et toujours tendrement.
Alph. Daudet
Dîner vendredi 7 heures, jaquette!...
59 - A. Daudet à F. Mistral.
(Carte de visite autographe.)
Après 1884
31, Rue de Bellechasse
Mon cher ami, ce petit mot te sera remis par M. Roy: un artiste de beaucoup de talent, chargé d’illustrer les Lettres de mon moulin Faislui accueil comme à ton vieil Anfos et guide-le, tu m’obligeras.
A. D.
60 - A. Daudet à P. Mistral
(Carte de visite autographe portant l’adresse: 31 rue de Bellechasse.)
1885 (?)
Mais nom d’un! tu oublies avec ton Espagne et ton Italie, tu oublies que je suis un bourgeois de
Nîmes; qu’à douze ans, à Redessan j’avais dous cop de bano de bòu dans lou... ce qui est une estampille méridionale suffisante. Les mêmes droits à parler Midi qu’Aubanel et Félix Gras. Et Lesage de
Quimper n’a rien d’Espagnol, non.
Em’aco, siés Frederi e siéu
Anfos
que t’amo.
61 - A. Daudet à F. Mistral
Je pars tout à l’heure pour Paris.
Cher ami.
Octobre 1885
J’ai beaucoup souffert ces derniers jours, et n’ai pu aller à Maillane, à notre grand regret à tous.
J’ai reçu un mot de Mariéton, pour la reproduction, dans sa revue, de l’Etude Américaine sur Mistral.
N’ayant pas l’adresse de ce jeune et charmant diacre, je te charge de la réponse.
Il faut que j’écrive à New York pour savoir si le travail a paru. Je compte alors le donner au Temps,
ce qui sera pour ton nom une belle publicité, pour moi un billet de mille; après, si Mariéton veut
reproduire, comment donc!
Ma femme embrasse ta félibresse.
Moi je suis ton fidèlement ami.
Alph. Daudet
N. B. 1885 est la première année où, le mal dont souffrait A. Daudet se faisant soudain agressif et
brutal, il dut, la mort dans l’âme..., aller subir sa première cure à Lamalou, où la lettre est expédiée.
Lamalou-les-Bains, complexe de trois stations thermales dans l’Hérault, était dès lors réputée pour
ses vertus curatives des affections du système nerveux central, notamment du tabes (ataxie) sous toutes ses formes. Ainsi que l’écrit Lucien Daudet (Vie d’Alphonse Daudet p. 188): “ Entre la reprise
de l’Arlésienne et la première représentation de Sapho, et en même temps que paraissait Tartarin sur
les Alpes, cet éclat de rire, se place la première saison de Lamalou, le pays de la Douleur, ordonnée
par Charcot, et se placent aussi les premières notes prises sur la Doulou.
[Au recto de la page suivante, ces deux lignes de Mistral, adressées à Paul Mariéton]: Une lettre de
Daudet que je te prie de me renvoyer.
F. Mistral
suivies de cette réponse de Paul Mariéton
Merci. Je lui réponds. Nous reproduirons ça, après le Temps. Les billets de mille ne sont pas de notre
compétence. J’ai signé, l’autre jour, une dépêche de condoléances à Péladan, de nos deux noms: il te
remercie. L’abbé Roux est revenu. Goupil publiera aussi l’héliogravure de mon buste. Affections.
Paul Mariéton
N. B. Le Sar Joséphin Péladan, auteur de romans passionnels et mystiques trop oubliés, tels que
L’Initiation sentimentale, A cœur perdu, etc., en très bonnes relations d’ailleurs avec Mistral qui le
mentionne dans ses Mémoires et Récits, venait de perdre son frère Adrien le 29 septembre, par suite
de la négligence coupable d’un pharmacien de Leipzig qui, au lieu d’une dose homéopathique, lui
avait envoyé une dose mortelle de strychnine.
62 - A. Daudet à F. Mistral.
Début 1886
Pas besoin de te dire que je vais me mettre en quête pour cette vieille médaille de Mathieu, un clou,
une niche, mais Paris ne lui vaudrait rien. Le nez de notre ami ferait une saillie trop vive dans ce paysage anodin. Marseille ou Nîmes. J’ai déjà écrit à Marseille. Enfin, je cherche.
J’ai toutes les livraisons du Dictionnaire. Mais sois assez bon pour faire mettre ma nouvelle adresse.
Et puis il me semble qu’il y a des temps que je n’ai payé. Préviens ton éditeur que la Caisse est
ouverte.
Tendrement jusque dans le tombeau, et longtemps après.
Alph. Daudet
N. B. Alphonse Daudet ayant quitté l’avenue de l’Observatoire pour le 31, rue de Bellechasse (a ma
nouvelle adresse N) et faisant d’autre part allusion à toutes les livraisons (reçues) du Trésor du
Félibrige de Mistral sans exclure une suite (le Dictionnaire de Mistral ne finira de paraître qu’en mars
1887),il ne semble pas invraisemblable de dater cette lettre du début de 1886, en corrélation avec les
remerciements de Mistral dans la lettre suivante.
63 - F. Mistral à A. Daudet
16 février 1886
Mille remerciements émus, mon cher ami, pour ce pauvre poète que tu viens de faire secourir si
promptement et si cordialement . Je lui envoie tout de suite ton précieux billet de vie et de gloire.
Le Dir. de la Revue illustrée des 2 mondes, qui doit publier ton étude sur moi, me demande mon portrait en pied. Il est fait de main de maître par Clément, de Donzère. Malheureusement une convalescence de bronchite empêchera le brave peintre d’aller à Paris jusqu’à la fin février. Qu’on retarde
donc l’impression jusqu’à ce que Clément puisse faire photographier son œuvre à Paris. Ce sera parfait.
Vous saludan et embrassan tout.
Toun
F. Mistral
[en marge, à gauche]: M’an di qu’ères gari: osco e vivo Tartarin!
Ci-incluse une lettre d’un Américain enthousiaste de ton héros que tu as fait aimer de tout le monde,
même des Tarasconnais.
N. B. Il s’agit presque sûrement (voir lettres 62, 66, 74, 75) du félibre Anselme Mathieu, qui, longtemps riche de ses vignes de Châteauneuf-du-Pape, et aussi propriétaire trop généreux de l’Hôtel du
Louvre, à Avignon, avait fait de mauvaises affaires, s’était endetté, et s’était retrouvé un jour ruiné...
64 - A. Daudet à F. Mistral.
Mon Mistral,
Eté 1886
Es-tu là? Veux-tu, peux-tu jeudi prochain venir embrasser ton vieil ami et le jeune carabin. Je t’attendrai de 2 à 4 h de l’après-midi sous les pins de Montauban-Fontvieille où vire mon moulin. La
voiture de Timoléon Ambroy nous conduira ensuite à Tarascon où nous dînerons ensemble, toi, Léon
et moi, en attendant l’express.
Des détails trop longs et embêtants à t’expliquer m’empêchent d’aller te chercher à Maillane. Si
Mme Mistral se sent le courage de t’accompagner, je serais bien heureux de la saluer. Mais c’est un
déplacement et une fatigue.
Embrasse-la de ma part.
Alphonse Daudet
Si tu ne peux pas venir, envoie-moi une dépêche chez Timoléon Ambroy, propriétaire à Arles. Mais
ce sera un Gros Cœur (sic) pour moi.
N. B. A partir de 1886, Alphonse Daudet, ne voulant pas infliger à son épouse le spectacle de ses
misères physiques, ne fit plus sa cure à Lamalou qu’accompagné de son fils Léon, étudiant en médecine (le jeune carabin). Il essaiera chaque année de se ménager ensuite une oasis en passant par la
Provence pour se délasser quelques jours auprès de son vieil ami Timoléon Ambroy (dans le château
duquel il écrivit, on le sait, une partie des Lettres de mon moulin, et aussi pour rencontrer Mistral
(voir la lettre suivante).
65 - A. Daudet à F. Mistral
Mon cher ami,
Eté 1887
Lamalou Hérault.
Vas-tu à Paris?
Es-tu déjà en route?
Si tu veux que nous dînions vendredi qui vient en Tarascon, comme l’an dernier, j’en serais bien heureux.
Réponds-moi, fixe le rendez-vous, le café, vers les 5 heures 5 heures 1/2, tu nous verras paraître mon
carabin et moi.
Je salue Madame Mistral.
Je t’embrasse à tour de bras.
Alph. Daudet
Réponse pressée.
Plus bas, de l’écriture de Mistral
Promis d’attendre à la gare entre 4 et 5 h du soir.
66 - F. Mistral à A. Daudet.
Mon cher ami,
Maillane, 25 octobre 1887
Encore quelques lignes de ta bonne écriture pour ce pauvre Mathieu, qui a plus que jamais besoin de
secours.
Réfugié à Givors chez son neveu (qui est employé au chemin de fer), le pauvre félibre de la farandoulo mange les miettes de cette grande table. On m’écrit qu’il n’a même plus de vêtements pour
sortir, et dans quelques jours, cette poétique petite maison de Châteauneuf, où les poètes comme toi
et moi vinrent tant de fois boire l’ivresse ou le soleil du pays, va être mise en vente forcée par un
créancier de 500 fr.
Les 300 frs. de pension tomberaient bien à point.
Nos cordialités à ton aimable femme, à Léon et à Lucien.
F. Mistral
67 - F. Mistral à A. Daudet
Maillane, 5 janvier 1888
Merci, mon cher ami, pour ton joli cadeau de bonne année: Trente ans de Paris, un coup d’œil du
voyageur qui monte encore, un rapide coup d’œil ému sur le chemin parcouru derrière, sur les mon-
ticules clairs, sur les ravins scabreux où blanchit l’écume de la jeunesse en fuite!
Tout y est intéressant, et charmant de naturel, de simplicité, de bonhomie même... et les pages sur le
Félibrige primitif a, très touchantes, et de bonne venue provençale. Merci pour Mistral, pour nos illusions héroïques, pour tous les élans sacrés qui nous hissèrent sur la foule!
A ma femme et à moi, cela nous a fait bien plaisir... Mais la perle du volume, c’est le post-scriptum
final, pendant que je corrige l’épreuve, etc., suprême démonstration de ta conclusion, suprême en
philosophie comme en tout, ειπδυεια!
Je t’embrasse en te chargeant de nos vœux et saluts
pour Madame Daudet, pour Léon, et les deux autres.
F. Mistral
N. B. Lucien, le second fils, et la toute petite Edmée Daudet, née en juillet 1886.
68 - A. Daudet à F. Mistral.
Septembre 1888
Après lecture de ton beau drame d’histoire, voici faire cet hiver chez Lemerre ton vol. à 5 francs in8°.
Songer ensuite à l’édition illustrée, soit chez Lemerre, soit ailleurs, nous n’aurons pas de peine à trouver Exiger de Lemerre entre-temps l’apparition des Isclo, de Nerto, et des proses; mais ne pas se
fâcher avec lui, car c’est encore un des meilleurs et des plus solides. Je rentre à Paris le 1er 8bre, je
le verrai tout de suite, si tu veux, et l’on commencera l’impression
On pourrait aussi s’occuper d’une petite Mireille populaire à images, si Hachette traînasse à la faire.
Ecris-moi un mot. Dis-moi si je dois te renvoyer ton manuscrit hiératique à Maillane. Je n’aime pas
beaucoup la traduction, mais ton texte provençal est superbe, échappe au ronron tragicocandard.
Toute la maison envoie au cher et beau ménage ses tendres amitiés.
Alph. Daudet
69 - A. Daudet à F. Mistral
Mon Mistral,
Début mars 1889
Merci de tes Iles d’or que j’ai relues tout ce matin, et qui me semblent le plus beau de tes livres.
Notre maison vient d’être frappée d’un grand chagrin. Ma femme a perdu son père, que nous aimions
tous très tendrement, et qui est parti sans que j’aie pu lui serrer la main, car j’étais dans mon lit moimême, malade, ainsi qu’il m’arrive quelquefois.
Je t’aime de cœur, mon grand Frédéri, et je salue Mme Mistral bien cordialement aussi.
Alph. Daudet
31. Rue de Bellechasse
70 - F. Mistral à A. Daudet
8 juin 1889
(datée à la fin)
Voici la forme exacte du refrain populaire relatif à la célèbre fenêtre du Château de Tarascon:
De brin o de bran
Cabussaran, dóu fenestron
de Tarascon, dedins lou Rose:
n’envoulèn plus
d’aquéli gus,
d’aquéli gus
de sans-culoto.
chanté après la réaction thermidorienne, en 1794, lorsqu’on défenestra les terroristes qui s’étaient
signalés à Tarascon.
Les autres fragments que je t’ai donnés appartiennent à une autre chanson de la même époque et doivent être rétablis comme suit:
Li marrit bougre
toumbon de mourre
l’entarro-mort à soun coustat:
un bastoum de quatre pan
sur lis esquino
sur lis esquio un bastoun de quatre pan
sur lis esquino di bregand’.
se chantait sur l’air:
Aro qu’an tout acaba
Li sans culoto, etc
que tu dois connaître.
Voici un autre joli couplet que les républicains chantaient après 1830:
Charles Dès es is isclo
Que pelo de vergant,
Pèr n’en couifa li fiho
Qu’amon ou verd e blan.
A l’époque d’Henri V, on le chantait comme suit:
Enri Cinq es is isclo, etc.: (Henri V est aux iscles (îles et oseraies du Rhône et de la Durance) qui
pèle de l’osier pour en coiffer les filles qui aiment le vert et blanc (parce que les fillettes royalistes
portaient des rubans verts et blancs en coiffure).
à ton service pour tout autre renseignement. bien affectueusement
F. Mistral
71- A. Daudet à F. Mistral.
Cher ami,
Eté 1889
J’ai été prévenu trop tard, tous les rôles distribués depuis longtemps. D’ici à la première de ma pièce,
rien à faire; mais mon drame joué, s’il réussit, je te promets de recommander ta protégée à Koning.
Si j’échoue, je ne vaudrai pas un croûton de pain aux yeux de mon directeur, et mon appui serait plus
tôt (sic) nuisible.
Champrosay est splendide. Venez donc dîner jeudi avec Mariéton. Nous parlerons de Mlle Chaudet.
Ton
Alph. Daudet
72 - A. Daudet à F. Mistral
Début 1891 - 31, rue te Bellechasse. (Carte de visite bordée de noir.)
Si nous n’étions pas deux vieux cœurs fidèles, on pourrait dire que cette semaine nous nous sommes
passé la casse et le séné. Astu reçu Port-Tarascon?
Moi, les larmes me sont venues au beau, limpide et savoureux morceau de ces souvenirs, à cette
ripaille de jeunesse.
M’as apara à boulet rouge, en phrases robustes et de belle humeur.
Mon ménage saute au cou du tien.
A. D.
73 - A. Daudet à F. Mistral
Début de janvier 1891
31, rue de Bellechasse. (Carte de visite bordée de noir.)
Sais-tu où est le vieux Mathieu? Je lui ai écrit à Châteauneuf.
Réussi, le premier Aïoli! Mais maintenant qu’on a vu le joli dessin de Burnand, il faudrait le réduire
d’un tiers et le mettre en frontispice; comme celui du Charivari. Tu gagnerais vingt lignes de texte
en 1ère page.
Bon an au journal, à ta femme, et à toi.
Ton ami
Anfos
74 - F. Mistral à A. Daudet
10 janvier 1891
Mon cher ami, Mathieu est maintenant, pour toujours, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), chez son
frère aîné. Nous lui avons fait, à Avignon, deux fêtes amicales. Il est vieux! Hélas! comme l’hiver
qui souffle. Il t’est bien reconnaissant! et nous avons bien parlé de toi...
— Coume vai que respondes pas, lui disais-je, i letro que t’escriven?
— Eh! badau, répondit-il, emé tant d’ami coume ai?, se respoundiéu, me faudrié lou mens dès sou
de timbre pèr jour, e mounte li prendriéu?
Je lui glissai cent francs dans la main. Il se mit à pleurer, en me disant:
— Sara pèr moun taba... i a siéis mes qu’ai pas fuma.
Tu feras donc bien de lui continuer, au plus tôt, si ce n’est déjà fait, tes bons offices.
Je suis content d’apprendre que notre journal t’a plu. Nous le soignerons, et je viens d’écrire à
Burnand pour qu’il réduise au tiers sa jolie vignette, qui n’est pas très bien venue sous la presse.
Nous avons tiré à 4 000 exemplaires. Marseille en absorbe 1200. Nous avons des dépôts dans toutes
les villes et bourgades de Provence, ainsi qu’à toutes les gares des chemins de fer provençaux, plus
dans 7 kiosques de Paris (Odéon, Théâtre français, Grand Hôtel, Montmartre, etc.).
Quel fascinateur que tu es, avec tes grands yeux noirs toujours radieux de jeunesse et ta voix de provençal poète! Tu peux te vanter d’avoir fait un heureux avec le brave Bonnet, de Bellegarde! Voici
la moins enthousiaste des lettres qu’il m’écrivit après les visites qu’il te fit.
Bonne année à toute la famille. A tu, moun bèu, un poutoun!
F. Mistral
P.S. et tu sais que l’Aïoli tubara e cremera que mai, le jour où tu auras un quart d’heure de loisir pour
lui verser un filet de ton huile de gloire...
75 - A. Daudet à F. Mistral.
Janvier 1891 (?) l
Lettre dictée, et seulement signée de la main de Daudet.
Mon cher ami,
Figure-toi que le pauvre Mathieu venant me voir il y a un an ou deux avec son ami Constantin, le
pape Constantin Ier, m’avait dit n’avoir plus besoin des 500 francs du Ministère; et cette subvention
étant très recherchée, j’avais été heureux de la rendre aux bureaux pour qu’une autre cigale en profitât. J’aurai plus de mal à la ravoir, maintenant. Mais enfin je vais essayer, je crains que cela soit difficile. Mais si notre Mathieu crève trop la faim, fais-moi signe, on tâchera de lui envoyer quelques
louis en attendant.
Pauvre Mathieu!... figure-toi qu’il a le nez gelé, maintenant. Cette trompe de glace m’est entrée dans
la joue quand nous nous sommes embrassés, et je la sens encore, obscène et froide. Pauvre vieux
Mathieu!
Je t’embrasse de tout mon cœur pour les belles choses que tu me dis de mon garçon dont je suis fier
comme de mon plus beau livre, et je salue Madame Frédéric bien cordialement.
A. Daudet
N. B. Je n’ai pas encore réussi à identifier sûrement le personnage connu sous ce sobriquet ésotérique, à moins qu’il s’agisse d’Eugène Constantin, substitut à Carcassonne, deux fois couronné aux
Fêtes latines internationales de Forcalquier, en mai 1882, notamment pour un sonnet sur Forcalquier,
photographie ensoleillée de cette ville, dit le Palmarès.
1891-Alphonse Daudet - FM
Lettre d’Alphonse Daudet à Frédéric Mistral.
Carte de visite bordée de noir.
[Paris] 31, rue de Bellechasse [s.d.] [début janvier 1891].
Musée Mistral, Maillane
‘Sais-tu où est le vieux Mathieu [Anselme]? Je lui ai écrit Châteauneuf
Réussi, le premier Aiòli. Mais maintenant qu’on a vu le joli dessin de Burnand, il faudrait le réduire
d’un tiers et le mettre en frontispice, comme celui du Charivari. Tu gagnerais vingt lignes de texte
en 1 page.
Bon an au journal à ta femme, et à toi.
ton ami Anfos
***
Lettre de Frédéric Mistral à Alphonse Daudet. Maillane, 10 janvier ,1891.
Collection privée
“[...] je suis content d’apprendre que notre journal t’a plu. nous le soignerons, et je viens d’écrire à
Burnand pour qu’il réduise au tiers sa jolie vignette, qui n’est pas très bien venue sous la presse.
nous avons tiré à 4 000 exemplaires. Marseille en absorbe 1 200. nous avons des dépôts dans toutes
les villes et bourgades de Provence, ainsi qu’à toutes les gares des chemins de fer provençaux, plus
dans 7 kiosques de Paris (Odéon, Théâtre français, Grand Hôtel, Montmartre, etc,).[...]
76 - A Daudet à F. Mistral
Février 1891
Baile-pastre, ai legi la Catarina. Me parèis un pau loungueto, veiren acò lou vint-e-set. S’es necite,
l’adoubarai pèr lou journau sènso ié apoundre moun noum.
De toute façon, je me suis juré de faire une troumpetado à ton savoureux Aiòli. On m’a demandé au
Figaro Supplément la Lettre à Mistral qui est dans la Riboto à Trinco-taio, je comptais me servir de
cela pour annoncer votre feuille provençale La Catherine de Sienne me conviendrait mieux; mais, je
te dis, je crains qu’au Supplément on trouve le morceau trop long, si délicieux qu’il soit. Enfin nous
allons voir.
Es-tu content? Moi, l’abonné, je suis ravi. Le tian de Carpentras m’a délecté les yeux et la bedaine.
Nos jolis nòvi sont en route pour Bordighera. Au retour, ils viendront vous embrasser ta femme et
toi.
Ton
A. Daudet
N B. Repris de l’Armana Prouvençau de 1870. Le tian véritable, écrivait Mistral, est une barbouillade d’herbes assaisonnée avec de l’ail, du sel, du poivre, et liée avec des œufs, du fromage, du lait,
et surtout de l’huile (...). Quand ça sort du four, c’est blondet comme l’or; pour en manger vous vous
feriez rat...
77 - A. Daudet à F. Mistral.
Mon Mistral,
Février ou mars 1891
Comme je le craignais, la Catherine de Gras est jolie, mais trop longue pour être offerte au
Supplément.
J’ai sur ma table li poudera de vigno, une belle page inédite, je crois, de Batisto Bonnet, sentant bon
la terre, le raisin, l’anchois et la cèbe. Si tu donnais ça dans l’Aïoli, ou quelque chose de toi, je suis
prêt à traduire pour faire un peu de publicité à votre journal dont je suis toqué.
As-tu vu nos amoureux? Embrasse-les pour moi.
Nos affectueux souvenirs à Madame Mistral et pour toi ma fidèle amitié.
Alph. Daudet
N. B. Le couple de jeunes mariés (Léon Daudet-Jeanne Hugo-Daudet) dont il est question dans la
lettre précédente.
78 - A. Daudet à F. Mistral.
Fin août 1891
(Lettre dictée et seulement signée de la main de Daudet.)
Mon cher ami,
J’ai lu dans la Gazette de France, sous la signature Charles Maras (sic pour Maurras) que j’avais écrit
de Mistral qu’il manquait de passion: ceci est une de ces infamies comme il s’en écrit tous les jours
sur mon compte, mais j’y suis sensible parce qu’il est question de toi. Depuis trente ans et plus que
j’ai écrit ce nom de Mistral pour la première fois, je n’ai eu pour lui que des hommages de respect
et d’admiration. Je ne sais pas où ce jeune Maras qui est pourtant un écrivain de talent a déniché
pareille menterie, mais j’ai tenu à te dire qu’on t’avait trompé.
Il parait qu’au banquet de Tarascon, deux jeunes couillons auraient bu à ma mort. Cela m’a paru un
peu excessif et d’autant plus incroyable que tu étais là, m’a-t-on dit.
Ma femme envoie à la tienne ses souvenirs bien affectueux, et moi je t’embrasse... comme quand
nous ribotions à Trinquetaille
Alph. Daudet
N. B. 1 - En effet, dans le numéro de la Gazette de France daté 16-17 août 1891, à cheval sur deux
pages, figure sur deux colonnes un article de Charles Maurras (non signalé par Talvart dans sa
Bibliographie), et daté: Marseille, 12 août, où un éloge circonstancié de Mistral enrobe une référence
à Daudet assez perfide, et au demeurant tout à fait gratuite:... Je sais peu de poètes comparables à
Frédéric Mistral. Des dons supérieurs qui font le génie de l’artiste, des facultés irréductibles et premières, je n’en vois point qui lui fassent défaut. Mistral est synthétique. Alphonse Daudet a écrit
quelque part qu’il était un poète froid et que la passion lui manquait...
N. B. 2 - Voir, dans la lettre suivante, la référence à cet incident, et la mise au point de Mistral. Quant
à cette petite guerre à coups d’épingles et de plumes entre certains tenants du Félibrige et A. Daudet,
à ses dessous et à ses développements comme à ses causes profondes, l’on voudra bien se reporter à
la Préface de cette édition.
79 - F. Mistral à A. Daudet
Maillane, 3 sept. 1891.
Mon cher ami, je n’ai pas lu l’article de Maurras auquel tu fais allusion. Mais l’aurais-je lu, je n’en
aurais pas été troublé le moins du monde, attendu que je suis ferré depuis longtemps sur la hâte et
l’impromptu avec lesquels sont bâtis les articles de ce genre, et la rapidité avec laquelle ils sont
oubliés. Cela ne m’aurait-il valu que ton amicale et ardente protestation, je devrais m’en réjouir.
Quant aux fêtes de Tarascon et au banquet, il n’a été fait aucune allusion de mauvais goût à ton épopée tartarinesque, je te l’assure. Tout le monde y était de trop bonne humeur pour s’y livrer sottement
à une rancune quelconque. Marius Girard, de Saint-Rémy, seulement, a prononcé, m’a-t-on dit, un
discours de réception aux Parisiens dans lequel il a mis, très anodinement, Tartarin en scène. Je
n’étais pas encore Tarascon quand Girard a parlé; mais ce speech, qui doit être publié dans la cornemuse de Marseille (dirigée par un Tarasconnais) te sera envoyé dès qu’il paraîtra Tout le monde m’a
dit que c’était de la g amicale, sous forme d’un testament de Tartarin.
Arrivons au toast. J’ignorais absolument cet incident perdu, quand la Revue Bleue, sous la signature
d’un juif hollandais appelé Vandérem, m’en a toute l’horreur. Nous étions 250 à table. Quelques jeunes étaient dans un coin avec ledit Vandérem, et c’est là que s’est perpétré à demi-voix le petit brinde,
que personne que lui n’a entendu. J’ai interrogé à ce sujet un de ces jeunes, Marius André, qui m’a
assuré que cela s’était lâché comme galéjade de buveurs, sans autre intention méchante, pas plus que
tu n’en mis dans la Mort ou la Fin de Tarascon. Mais cela prouve une fois de plus ce que tu as si bien
démontré, que les mots, dans le Midi, n’ont pas le même sens que dans le Nord, et que les Hollandais
qui écoutent à nos portes s’exposent éternellement à prendre nos vessies pour des lanternes de
picrate.
Ce petit juif, du reste, était bien parti de Paris avec le ferme propos d’en finir une fois pour toutes
avec la Provence et le Félibrige. Lis son article et tu verras qu’il n’y reste de nos pauvres illusions
que des ombres dolentes et des miettes: le Rhône une eau sale, nos monuments de la pâtisserie brûlée, nos Arlésiennes des laiderons, Aubanel un petit bourgeois, Mistral un béat qui vit depuis 30 ans
sur un article de Lamartine; Mireille, Calendal, les Iles d’or, des pauvretés insignifiantes. Roumanille
seul a trouvé grâce, parce qu’il ne s’est pas traduit, et que, naturellement, il n’a pu le passer au crible de sa critique.
N. B. 1 - Dans le reportage de Fernand Vandérem auquel se réfère expressément Mistral un peu plus
loin, reportage paru dans la Revue Bleue des 22 et 29 août 1891 sous le titre: Parmi les Félibres,
Notes de voyage, ce premier incident est ainsi évoqué: a Tarascon. (...) A la mairie, après les discours
d’usage, un gros monsieur à barbe blanche se lève, s’appelle-t-il Costecalde, s’appelle-t-il Bézuquet?
et lit un énorme pamphlet contre Daudet, un simili-testament de Tartarin, où le héros malmène à mort
son historien. On a la rancune aussi longue que le pont, à Tarascon. Pourtant un voisin, d’un mot,
calme mon émoi: galéjade, dit-il en souriant. Galéjade, plaisanterie, blague voilà, à Tarascon, si l’on
consent à galéjader autrui, on n’a pas qu’autrui vous galéjade. De ce Marius Girard (1838-1906) que
Mistral désigne nommément, les auteurs d’un récent Précis de littérature provençale (1972,
Imprimerie Mistral à Cavaillon), Charles Rostaing et René Jouveau, disent avec esprit qu’il est au
moins d’un chef d’œuvre: sa fille, la belle et fine Marie Gasquet fut Reine du Félibrige. Mistral disait
de Girard, son voisin, que sa poésie était enthousiaste, mais naïve et honnête (bouniasso).
N. B. 2 - Vandérem confirme que Mistral n’arriva que tard: Mistral fait une brève apparition. Il est
de haute taille, le teint rouge, barbiche et moustache blanches, un grand feutre beige posé de côté.
On se retourne sur son passage, on susurre: — Mistrau! Mistrau! et un sourire de béate satisfaction
agit les lèvres du grand homme provençal.
N. B. 3 - Voici ce que relate Vandérem: — Au dessert, toasts de Mistral. Dans notre coin, un jeune
félibre se lève, je reviendrai prochainement sur le jeune félibrige, se lève, et étincelants, boit à la mort
de Daoudet. On fait approcher pauvres petits gosses déguisés en chevaliers de la Tarasque, ils répètent le toast homicide, ainsi que de jeunes Annibals sommeillés. Rassurez-vous. Daudet serait là
qu’on l’acclamerait.
Galéjade! Galéjade!
N. B. 4 - Marius André écrira plus tard la première grande œuvre consacrée à Mistral: La Vie harmonieuse de Mistral (Plon, 1928).
N. B. 5 - Mistral exagère à peine, bien qu’il synthétise parfois. Pour Vandérem, le Rhône est jaunâtre et sale..., les monuments traités par prétérition. En revanche, s’il écrit avec quelque hauteur dédaigneuse: a Il ne faut pas trop se fier aux descriptions indulgentes des indigènes ni aux récits des voyageurs allouvis qui peignent les Arlésiennes comme d’invincibles reines de beauté: en quelques villes
d’Italie et à Trieste par exemple, on trouve des femmes du peuple beaucoup plus belles que les
Arlésiennes, il veut bien reconnaître que a celles-ci (les Arlésiennes) ont quelque chose que celleslà
n’ont pas. Si irréguliers que soient les traits de certaines, il y a dans leurs yeux brillants, dans la douce
gravité de leur visage, et surtout dans leur démarche souple et noble, un attrait aristocratique e t rare
que jamais ailleurs je n’ai aperçu.
Quant à Mistral, Vandérem le traite effectivement avec une irrévérence simplificatrice et blessante
qui laisse pantois...
Evidemment, depuis 1859, il {Mistral) vit sur l’article de Lamartine. Ç’a été son credo, son vade
mecum. Lamartine, après l’avoir qualifié de Virgile et d’Homère, lui avait prédit qu’il serait le Tasse
et l’Arioste de son pays. Il a voulu réaliser la prédiction, la dépasser même (...) Tout cela bien
consciencieusement, laborieusement (...) Personne n’étant venu lui dire que ses songes de suprématie intellectuelle n’était que des songes, il croit encore aujourd’hui il croit depuis trente ans qu’il est
un des premiers poètes de France, sinon le premier; et, une fois, un article de journal aura eu ce résultat admirable de faire heureuse toute une vie d’homme...
Mille affections de ma femme à la tienne, à ta belle Noro, à tes dieux lares.
Survivrons-nous à la tripotée que vient de donner au Midi ce nouveau Montfort? Tout acò es dins lis
astre... pièi fau mouri qu’un cop.
Je te croyais à Lamalou, où Baret, l’autre jour, m’assura que tu étais: si bien que j’avais chargé une
jeune rhumatisante de Maillane de te donner le bonjour.
80 - F. Mistral à A. Daudet
Mon cher ami,
Maillane, 23 mars 1892.
Tu es un vrai rosier remontant, un bèu blad renadiéu. Tes dernières productions sont de plus en plus
fraîches et saines et viriles. Rose et Ninette est un beau coup d’épée dans le flanc du Divorce, et ma
femme t’en félicite avec moi.
Mariéton m’a fait en forme le reportage de la réception que tu fis à Gras et à Boissière et à Thérèse
Roumanille. Les nòvi sont revenus triomphants de ton accueil, et Gras aussi; mais je vois d’ici tes
observations intimes, et ta gracieuse ironie.
La poste avait perdu la bonne nouvelle de la naissance de ton petit-fils, ô patriarche. Tu donneras à
Léon et à sa belle et bonne Dame ma carte de félicitations.
J’espère bien que tu n’auras pas cru un mot du canard qui a couru les journaux, Mistral posant sa
candidature à l’Académie française . Sieu bèn coume siéu, em’ acò pas mai!
En attendant tes Pou, l’Aiòli, le jour de Pâques, donnera à ses lecteurs ta version provençale de la
Miolo dóu Papo. Tu permets, n’est-ce pas?
Je t’mbrasse et en toi, tous les tiens.
Ton vieux
F. Mistral.
N. B. 1 - Rose et Ninette, mœurs du jour dédicacé à Léon Daudet, venait de paraître. A. Daudet avait
écrit ce bref roman dans une espèce de pressentiment et comme une conjuration, hélas! vaine... d’un
divorce qui allait deux ans plus tard s’appesantir sur son fils Léon et sa première épouse, née Jeanne
Hugo. La rencontre, dans la même lettre, des félicitations pour la naissance de l’enfant né de ce
mariage et pour la naissance du livre, n’en est que plus singulière et plus mélancolique...
N. B. 2 - Paul Mariéton disciple fervent de Mistral; auteur, entre autres de La Terre provençale
(1890). De Félix Gras (1844-1901) qui fut capoulié du Félibrige, et auquel s’intéressait Daudet l’on
sait déjà qu’il est plusieurs fois question dans la correspondance Quant à Jules Boissière, mort très
jeune (1863-1897), il n’a laissé que des poèmes provençaux épars recueillis après sa mort sous le
titre Li Gabian (Les Goélands).
N. B. 3 - Charles Daudet, né en février 1892.
81 - A. Daudet à F. Mistral.
(Lettre dictée, et seulement signée par A. Daudet.)
Fin décembre 1892
Je ne veux pas que tu croies, mon cher ami, malgré ma petite lettre de l’autre jour, que mon amitié
et mon admiration pour toi se soient refroidies. Pour que tu n’en doutes, je t’envoie une interview de
l’Eclair. J’en ai eu une autre, dans le Gil Blas, du même me genre, il y a quinze jours, mais je ne la
retrouve pas. Je te mande aussi la missive d’un Niçard imbécile qui te prouvera que je passe pour un
séparatiste, ce que je ne suis fichtre pas!
A toi de tout mon cœur, et à ta chère femme nos meilleurs souvenirs.
Alph. Daudet
82 - A. Daudet à F. Mistral
(Lettre dictée, et seulement signée par A. Daudet)
Cher vieil ami.
Eté 1893 (?)
Qui diable a pu te faire croire que nous étions à Fontvieille? et peux-tu t’imaginer que je serais à
quelques lieux de toi sans venir t’embrasser et saluer ta chère femme? Non, nous n’avons pas quitté
Champrosay où l’on parle souvent de toi, Où nous avons l’arbre de Mistral, celui contre lequel tu
t’appuyais en nous chantant le lan laire de la Reine Jeanne.
Je te renvoie les pièces de cette touchante histoire, touchante du moins du côté de Marius André;
l’autre, la belle filadelphe (sic) (quel fichu nom!) me paraît un de ces types inquiets, une de ces femmes à puces romanesques dont je croyais la race éteinte depuis George Sand et Madame Bovary. Elle
peut avoir du talent, même du génie. Je n’envie pas celui qui la mènera au pré, car elle lui donnera
vraiment trop à faire. L’a-t-elle assez torturé, le petit malheureux! Pas un jour de repos: elle tousse,
elle crache, elle se plaint, elle expire, finit par dire des horreurs de sa mère, ce qui ne m’a pas étonné,
car je connaissais ce type de jeune personne. Comment, Mistral, toi, avec tes grands yeux si fins, tu
ne l’as pas vue, ta douce filadelphe, tu ne la sens pas d’ici la femme qui vous dit: — pleure sur mon
épaule, et qui a tout le temps le feu quelque part?
Ah! le pauvre Marius André. Je ne le connais pas, mais je me le figure au ton de ses lettres; c’est lui
qui tousse, c’est lui qui ne prend pas soin de sa santé, c’est lui qui devrait avoir des pressentiments
de mort, lui, et non pas son Esclarmonde... Au fait, vois-tu c’eût été trop beau, et le roman que tu
m’as envoyé commençait trop bien aux premières pages, après les fêtes éblouissantes où ils s’étaient
aimés dans l’or et dans l’azur. Se retrouver près de la cheminée du vieux maître d’école, la voir faire
le feu, balayer l’âtre, rôtir un poulet, aimer son pauvre malade, aider la vieille maman à le soigner...
un moment, j’ai été ému... puis non, plus du tout, et je suis sûr que je ne me trompe pas.
Maintenant, mon cher Mistral, en toute conscience, si je pouvais trouver à ce jeune poète de talent
que tu aimes la place qu’il lui faudrait pour se marier et vivre, je le ferais bien volontiers, mais il y
a un tel encombrement partout, une poussée si brutale. . En fait de place du gouvernement, d’abord,
à moins d’être député, il n’y a rien à espérer. Quant à moi, comme je ne sors presque plus, réduit à
toujours écrite au lieu de me présenter, d’enlever l’affaire moi-même, je sens de plus en plus combien magique et puissante est la présence réelle.
J’ai un pauvre provençal de mes amis qui a trente-deux ans, vit à Brignoles avec cent francs par mois
dans un bureau. Je m’efforce à lui trouver un coin à Paris, et j’ y ai un mal! En tout cas, je ne pourrais m’occuper de Marius André qu’après que j’aurais casé Antoine Albalat, qui est le nom de mon
jeune homme. Mais il n est pas possible que ton poète n’ait pas dans ses relations un ou deux députés, il aura par eux ce qu’il voudra.
A toi tendrement et fidèlement, mes respects affectueux à Madame Frédéric Mistral.
A. Daudet
Tu vas voir le brave Baptiste. Embrasse-le pour moi.
N. B. 1 - Cette lettre se réfère clairement à des confidences épistolaires de Marius André concernant
son amour pour la poétesse Philadelphe (c’était son prénom...) de Gerde; histoire vécue qui, transposée, l’allusion à Esclarmonde le confirme, constitue l’embryon autobiographique du poème romanesque publié en 1894 (ce pourquoi je suis enclin à dater la lettre de l’année précédente) par Marius
André sous le titre La Gloire d’Esclarmonde, avec une Préface par Félix Gras. En 1898, Mistral préfacera les Chansons d’Azur de cette poétesse...
N. B. 2 - Antoine Albalat avait publié en 1884 un essai intitulé l’Amour chez Alphonse Daudet. Il a
laissé des Souvenirs de la vie littéraire (n. cd. 1924) où, entre autres personnalités, il évoque Daudet
avec admiration Mistral avec une estime réservée.
83 - A. Daudet à F. Mistral
(Carte de visite seulement signée par A. Daudet.)
1894 (?) 3l rue de Bellechasse.
Cher ami, que donnes-tu pour la souscription au buste de Roumanille? Voudrais-tu remettre la même
somme pour moi, que je te rembourserai immédiate
Veux-tu dire à Madame Frédéric Mistral que je lis avec joie son Venise, et qu’elle gagne ses éperons
d’or dès sa première chevauchée. Aussitôt que j’aurai fini le tas de besogne franchimane que j’ai en
train, je me mettrai à mi pou.
Ton fidèle
A. Daudet
N. B. 1 - Le Voyage à Venise de Mme Mistral, suite de L’Excursion en Italie de son mari, avait paru
au printemps dans la Revue Internationale. Le monument de Roumanille à Avignon fut inauguré le
13 août 1894, et Mistral prononça le principal discours de célébration.
N. B. 2 - Suit une carte de visite écrite par le secrétaire: Voici, cher ami, pour le buste de Roumanille:
deux louis.
84 - A. Daudet à F. Mistral
(Carte de visite autographe)
juillet 1895
31. rue de Bellechasse
As-tu lu l’article de Léon au Figaro sur le théâtre d’Orange? Il fait un fier tapage et va gêner l’élection prochaine de Lockroy dans ce nouveau fief qu’il visait. .
Depuis quelques mois je me méfie de Demetrio et ne lui réponds plus. Il a commencé, il y a quatre
ans, par m’offrir son yacht pour Chicago, ayant eu déjà une proposition de ce genre, je ne me suis
pas mis en garde, mais l’importance qu’il apportait à ses 150 000 frs pour me lancer dans la vie politique, m’a donné l’éveil. Seulement les Annales, reproduction et de coups de ciseaux, on reproduit
un écho déjà ancien que je n’ai pu démentir. En réalité, il y a là-dessous une fumisterie; peut-être
aussi est-ce un fou. Moi je n’ai pas voulu parler d’argent avec lui; mais à ta place j’aurais agi comme
toi. N’importe? Si tu n’en dis rien, je n’en soufflerai mot, moi non plus. C’est tout de même bien
bouffon.
Tendres souvenirs de mon ménage au tien.
A. Daudet
N. B. 1 - Message daté par l’allusion à l’article de Léon Daudet dans le Figaro paru le 30 juin 1895.
N. B. 2 - Edouard Lockroy (1840-1913), député de Paris qui avait toujours siégé à l’extrême gauche,
était alors ministre de la Marine, après l’avoir été du Commerce, puis de l’Instruction publique. A.
Daudet avait eu envers lui des sentiments, sinon d’amitié, du moins de camaraderie. Le mariage de
son fils Léon avec Jeanne Hugo, dont Lockroy, second mari de Mme Charles Hugo mère de Jeanne,
était le beau-père les avait naturellement rapprochés. Puis, quand des ferments de discorde étaient
apparus dans le jeune ménage, Lockroy, au lieu d’être un conciliateur, avait plutôt jeté de l’huile
bouillante sur les plaies... Alphonse Daudet, en décembre 1894, avait tenté auprès de lui, inutilement,
une longue et poignante démarche, dont parle Lucien Daudet, qui accompagnait son père. Le divorce
prononcé au début de 1895 l’on comprend l’amertume du père comme du fils...
Voici le passage de l’article de Léon Daudet qui vise, sans le nommer, Edouard Lockroy: — Des
représentations dramatiques avaient été organisées au Théâtre antique d’Orange, avec le plus vif succès (...). Là-dessus, quelques malins singes se dirent qu’il fallait exploiter cette ardeur, et non la
savourer (…). Les commissaires voyageurs en commissions qui rôdent par la France en quête de
proies inoffensives se mirent à postuler, commissionner, organiser avec fureur...
(...) Habitants d’Orange, méfiez-vous. Je présume vaguement que cette bénigne commission couve
des œufs parlementaires. Maint Turlupin de la politique, brûlé dans son fief actuel, convoite sans
doute vos suffrages pour les élections prochaines, et sous couleur l’intérêt à votre théâtre, s’apprête
à solliciter vos voix. Réservez-leur seulement vos clameurs... D’après le Larousse du XIXème siècle, Lockroy fut de 1881 à sa mort député de Paris et jamais d’Orange...
85 - A. Daudet à F, Mistral.
(Carte de visite, seulement signée par A. Daudet)
1895
31. Rue de Bellechasse
Admire, mon cher Mistral, l’intelligence de la poste qui a l’idée de te faire chercher chez moi.
As-tu lu l’instantané de Léon au Figaro?
Tendrement à toi. Ta croix d’officier est absolument sûre.
A. Daudet
86 - A. Daudet à F. Mistral
(Carte de visite dictée, signée des initiales)
1895 (?)
31. Rue de Bellechasse.
Mon cher ami, j’ai fait mon possible, mais vainement, pour me procurer un journal ayant reproduit
mon toast en trois langues à la Brandade; mais tu n’y perds rien car c’était assez ordinaire surtout
pour la partie provençale. Ce qui comptait, c’était ceci: A Baptiste Bonnet, le paysan du Midi, l’artiste ingénu et admirable qui a su creuser dans les pierres brûlées de nos garrigues un sillon immortel, même après la moisson du grand Mistral.
Toute ma maison à la tienne.
A. D.
87 – A. Daudet à F. Mistral
vers 1895
(Lettre dictée, seulement signée)
Cher ami,
Sais-tu ce qui est arrivé à Joseph Gautier, le marie de cette charmande Brémonde? Si tu le sais tu
peux me le dire, je le garderai pour moi. Je voudrai tenter quelque chose pour cette malheureuse
femme, mais surtout que personne n’en sache rien; je viens d’écrire à ce brave Amy (d‘aquéu
couioun!) qu’il ne fallait pas compter sur moi. La vérité est que je suis un cible toujours offerte, presque toujours touchée, tapée même bien souvent et que j’en suis las; n’empêche que je voudrais bien
faire avoir un peu de ce qui se mange, à la félibresse et à ses petits.
Mon salut à ta chère femme, et pour toi ma fidèle amitié.
Alph. Daudet
88 - A. Daudet à F. Mistral
(Lettre dictée sauf le dernier mot et la signature)
Mon Mistral,
Fin septembre 1896
Je viens de lire ton interview du Gaulois. Mais bête que tu es, je n’ai songé qu’à toi et à détourner la
campagne que je voyais commencer par les Lepelletier et autres blagueurs contre ton séparatisme,
j’ai regretté que le Northmann qui est venu me voir ait si lourdement traduit mes paroles et surtout
qu’il n’ait pas dit mon admiration longuement motivée sur ton Rhône... Oh! que siés badau...
Toun
Anfos
Champrosay (Seine-et-Oise)
89 - A. Daudet à F. Mistral
(Lettre dictée et seulement signée par Daudet)
Mon cher ami,
1896?
J’ai reconnu ta jolie petite écriture, inébranlablement jeune, sur la bande du Petit Provençal, qui
m’arrive ce matin, et je veux, en réponse à l’interview que je lis dans ce journal, te crier: — cassecou!. Oui, la province est bête de se laisser manger par Paris, et surtout par le boulevard hideux. Je
suis pour les petites capitales, et si le vent de misère ne m’avait jeté sur le trottoir parisien, jamais
mon instinct, jamais mes goûts ne s’auraient porté au Nord. Seulement, prends garde, je vois la
grande guerre survenant, les Allemands encore une fois en France, et quelques jeunes couillons frénétiques parlant alors de fonder l’empire du soleil avec le grand Frédéric Mistral pour panache. Là,
mon ami, tu passerais un fichu moment, et ta responsabilité serait vraiment trop lourde. Je t’en prie,
laisse faire, laisse dire, mais toi, ne parle pas.
Tu connais mon amitié, elle te restera fidèle jusqu’au bout, sans fêlure ni rayure, mais après ce que
j’ai lu ce matin, j’ai cru devoir te dire: — Mesfiso-te!
J’embrasse le ménage tendrement.
Alph. Daudet
90 - A. Daudet à F. Mistral.
(Lettre dictée, et seulement signée par A. Daudet)
Janvier 1897
Quand je fais un roman parisien, je tâche de donner à mes personnages l’accent, le dialecte et l’atmosphère de Paris; j’en fais autant pour les miejournaux [Méridionaux], et ici avec plus de joie
encore, car j’en suis, du Midi, j’en suis bien. Toute ma sensibilité d’enfant, ma source naturelle vient
de là; alors que signifie cette figure louche de raubatòri ou de voleur de grand magasin que tu veux
me donner, et à moi seul? Je comprends d’autant moins que jamais je n’ai parlé du Midi sans saluer
très bas les maîtres de la Renaissance provençale, et Mistral avant tous. que ces accusations de larcin font le jeu d’un tas de Maurras, sourds-muets de naissance, qui prétendent que j’ai volé les
Lettres de mon moulin à Paul Arène. Enfin cela durera jusqu’au jour où j’en aurai assez et alors le
Félibrige en entendra de vertes, sans que j’oublie jamais cependant ce que je dois au génie et à l’amitié.
A toi de cœur, mon cher Mistral.
Alphonse Daudet
En relisant ma lettre, je souris de la trouver aussi nerveuse, car je suis plus philosophe d’habitude,
mais on me je parle d’un numéro de la Revue Encyclopédique au moment où je venais de lire l’Aiòli
et le patron Marc m’est revenu:
Sabès que commencès de m’esclapa li... sabès ben!
91 - A. Daudet à F. Mistral.
(Carte de visite seulement signée par A. Daudet)
Février 1897
31, rue de Bellechasse.
Je lis tous les soirs le Rhône en français à ma femme, puis je lis pour moi en provençal, je suis au
VIIe chant et j’éprouve un des grands enthousiasmes de ma vie littéraire. C’est aussi jeune que
Mireille, plus beau que tout ce que tu as fait de beau.
J’ai beaucoup de travail, et toujours souffrant j’écris d’une façon irrégulière, mais le jour, je ne sais
quand, où j’aurai terminé, j’espère bien dire la joie et l’éblouissement que tu me causes.
Alphonse Daudet
92 - F. Mistral à Mme A. Daudet
Chère Madame,
Maillane, 17 Xbre 1897.
Je m’unis, avec ma femme, à l’immense douleur qui voile votre vie. Souffrant depuis si longtemps,
mais vaillant et allègre comme nous l’avions toujours vu, il semblait que Daudet eût dompté par sa
force d’âme les assauts de la maladie et qu’il dût nous rester encore, pour de longues années, comme
le représentant de notre jeunesse enfuie.
C’était du moins l’effet qu’il me faisait toujours, à moi son compagnon des premiers enthousiasmes,
et sa subite mort m’a d’autant plus étonné.
Ce n’est pas à vous, Madame, ni à notre Léon, ni à vos chers enfants que j’ai besoin de redire les
qualités de premier ordre qui composaient et affinaient son organisation d’élite. Mais, comme adieu
suprême, je tiens à attester qu’il fut pour ses amis un fidèle, un dévoué, un actif incomparable, et
qu’il fut le premier génie, le premier écrivain de race provençale qui ait vraiment apporté à la langue
française le brio et le charme et le naturel exquis de la nation dont il sortait
Agréez, chère Madame, l’expression de mes hommages et de ma sincère douleur.
F. Mistral
© CIEL d’Oc - Avoust 2007

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