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L’expansion des mafias italiennes en Europe
UNE DIVERSIFICATION FONCTIONNELLE
L’union Européenne doit faire face à une réalité : celle des mafias, notamment italiennes, qui infiltrent son économie et ses cercles
politiques, dans une demi-obscurité qui masque l’ampleur du phénomène. Les cadavres de six mafieux calabrais découverts à côté de la
gare centrale de Duisbourg le 16 août 2007 ont contraint à ouvrir les yeux sur une réalité que peu voulaient voir : l’intégration réussie
d’individus aux pratiques douteuses souvent considérés jusque là uniquement comme des entrepreneurs successful.
Les stratégies territoriales de ces mafias, le choix de leurs implantations et des types d’activités correspondants, comment elles tirent
profit des opportunités économiques et des disparités entre les systèmes juridiques de chaque Etat membre, toutes ces questions décisives
peuvent trouver un début de réponse au vu de ce que l’on sait du parcours d’un certain nombre d’individus italiens.
Ce qui apparaît immédiatement, c’est une diversification fonctionnelle de leurs implantations hors de l’Italie, pour reprendre le terme
employé par un chercheur d’Oxford, Paolo Campana : ils choisissent certains lieux pour faire des affaires légales, d’autres pour organiser
leurs relations avec des hommes d’affaires d’autres pays, des lieux pour blanchir et d’autres enfin pour une villégiature plus ou moins
forcée. Il est très rare qu’une de ces implantations remplace le territoire italien de base ou que l’organisation du pouvoir mafieux y soit la
même.
En 1996, Antonio La Torre et son frère Augusto, à l'époque à la tête du clan familial, sont arrêtés lors d'un voyage à Amsterdam, où ils ont
aussi des intérêts, et sont extradés vers l'Italie pour être jugés. Alors qu'Augusto écope d'une peine de 22 ans de prison, Antonio est relâché
à la condition de ne pas revenir en Campanie, la région de Naples. Celui-ci décide alors de s'installer quelques temps dans la ville de Terni,
près de Rome, afin d'assurer le commandement du clan. Par manque de prudence, celui-ci passe la plupart de ces ordres par téléphone,
utilisant un code peu élaboré et changeant peu souvent de téléphone.
Ceci permet à la police italienne de les mettre sur écoute, lui et son clan, pendant sept mois et de récolter un nombre impressionnant
d'informations sur les membres du clan, leurs relations et leurs activités.
Paolo Campana, chercheur à l'université d'Oxford, a utilisé ces informations pour étudier de près le fonctionnement de l'organisation
mafieuse et son implantation à l'étranger.[1] Après les avoir classées, leur avoir attribué des codes et effectué des tris statistiques celui-ci
s'est rendu compte que l'implantation du clan à l'étranger relevait de ce qu'il a appelé une « diversification fonctionnelle ».
Aberdeen : où les mafiosi sont des entrepreneurs comme les autres
Aberdeen, la « ville de granit », est la troisième ville d'Écosse : une ville côtière tranquille au Nord-Est du pays, dont l'économie est nourrie
par la rente pétrolière des plateformes de la mer du Nord et dans une moindre mesure par une industrie de la pêche encore vigoureuse. La
ville compte une communauté italienne d'environ 600 personnes.
L'un d'entre eux fut il y a quelques années, Roberto Saviano, auteur du livre Gomorra sur la Camorra, la mafia napolitaine organisée en
« clans ».[2] Pour infiltrer cette dernière, Saviano se fit employer chez Pavarotti's, restaurant italien réputé pour son risotto aux fruits de
mer.[3] Il révéla le premier que la paisible et prospère ville à l'Est des Highlands était le centre décisionnel et névralgique des activités du
clan napolitain La Torre pour toute la Grande-Bretagne.
Originaire de Mondragone, petite ville de 27 000 habitants au Nord de Naples, le clan La Torre est, selon des sources policières, actif depuis
les années 1970. Dans les années 1980, Antonio La Torre, l'un des fils du fondateur du clan, s'installa à Aberdeen et fut rejoint par son
cousin Michele Siciliano et la femme de ce dernier. Il s'établit comme restaurateur, activité qui lui permit d’abord de blanchir l'argent
provenant des différentes activités illégales du clan en Italie.
Après quelques années de présence sur le sol écossais, celui qui passe pour avoir dirigé les finances du clan possédait des centres de
fitness et de remise en forme, des entreprises d'import-export, des pubs, des restaurants, des sociétés de paris à Aberdeen, Dundee,
Glasgow, Edinburgh, Stirling et Inverness, qui fonctionnaient pour l’essentiel légalement.
Pour autant cette spécialisation de la branche écossaise dans les activités légales n'est pas exclusive. Le groupe y applique une méthode
appelée « scratch » : des activités illégales servent de relais quand les entreprises licites connaissent un ralentissement. Par exemple des
billets de banques contrefaits sont utilisés pour faire face à des problèmes de trésorerie ou des bons du Trésor frauduleux vendus pour
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lever rapidement des fonds importants.
Amersterdam : un World Center
Également dans les années 1980, un cousin des frères La Torre, lui aussi membre du clan familial, s'est installé à Amsterdam. Cette
implantation aux Pays-Bas, deuxième porte d'entrée des drogues en Europe, a permis au clan de développer ses connections, notamment
avec les narcotrafiquants d'Amérique du Sud.
Contrairement à l'idée selon laquelle les organisations criminelles contractent aujourd'hui de larges alliances entre elles et constitueraient,
ainsi, un 'crime organisé international' quasiment unifié à l'échelle mondiale[4], Campana affirme que celles-ci passent des accords limités
concernant des approvisionnements ou des services particuliers.
A Amsterdam, véritable hub du trafic de drogues en Europe, des “bruggenbouwers”, littéralement « constructeurs de ponts », des
intermédiaires locaux, jouent le rôle de passerelles entre les narcotrafiquants sud-américains et les organisations disposant de réseaux de
distribution à l'échelle européenne comme la Camorra napolitaine ou la 'Ndrangheta calabraise.[5]
Tourisme et blanchiment en Espagne : Costra Nostra et Cosca de Sol
Les pays européens peuvent permettre aux mafieux italiens de recycler de l’argent sale afin de le réinvestir dans l’économie légale.
L’Espagne est en Europe la place de blanchiment des capitaux mafieux par excellence.
La localisation des réserves européennes des billets de 500 euros permet de comprendre l’importance des processus de blanchiment en
Espagne. En effet, un quart de la totalité de ces billets à l’échelle européenne se trouve en territoire espagnol[6]. Ils sont appelés les « Ben
Laden » car tout le monde sait qu’ils existent mais peu les ont vu[7]. Par sa forte valeur cette coupure se révèle très pratique pour les
processus de recyclage de l’argent sale, c’est pour cette raison que le gouvernement britannique a décidé d’en arrêter la distribution en
avril 2010.
Pour exemple, le boss camorriste Patrizio Bosti est arrêté en 2008 à Platja d’Aro avec quarante-huit billets de 500 euros en poche, soit
24 000 euros.
Vincenzo Scarpa a mis en place un réseau de blanchiment entre l’Italie et l’Espagne particulièrement efficace et retracé par Francesco
Forgione[8]. Ce boss camorriste de Torre Annunziata possédait plusieurs entreprises légales dont des pizzerias et une société d’importexport, Italscar, régulièrement sollicitée par l’ambassade d’Italie à Madrid pour des réceptions. Il organisait aussi un trafic illégal de
véhicules de luxe entre Madrid et Miami. Toutefois Italscar a connu plusieurs crises financières mais dont elle toujours ressortie.
En effet, Vincenzo Scarpa recevait régulièrement d’importantes sommes d’argent issues des activités illégales des clans de Torre
Annunziata qu’Italscar lui permettait de blanchir. Les clans récupéraient ensuite cet argent comme s’il provenait d’une source licite. De
cette manière le boss camorriste avait mis en place un système de blanchiment qui a parfaitement fonctionné jusqu’à son arrestation en
mai 2009 à Madrid.
Le tourisme et l’immobilier sont des secteurs qui ont permis de blanchir d’importants capitaux sur le territoire espagnol. La part du
tourisme dans le PIB de la troisième destination mondiale atteint 10,2%[9]. C’est ainsi que la Costa del Sol a été bétonnée par le recyclage
des capitaux mafieux italiens. Afin d’imager cette spéculation immobilière mafieuse la presse espagnole utilise le terme Costa Nostra et
Cosca del Sol ; en italien le terme cosca est utilisé pour désigner une famille mafieuse.
Le cas de Raffaele Amato et des « Espagnols » illustre bien ces processus de blanchiment par le tourisme et l’immobilier[10]. Raffaele
Amato dirigeait le clan camorriste des sécessionnistes de Secondigliano qui s’est opposé au clan Di Lauro au cours de la célèbre vendetta
de Scampia[11]. Il vivait en Espagne et ses hommes, que l’on appelle les « Espagnols », sont disséminés sur la Costa del Sol, à Madrid et
Barcelone. Raffaele Amato était le principal intermédiaire entre le clan camorriste et les narcotrafiquants sud-américains.
Les « Espagnols » sont en possession de plusieurs restaurants et établissements de nuit et le boss lui-même, qui investissait principalement
dans l’immobilier, disposait d’une série de sociétés financières. Les polices espagnoles et italiennes qui l’ont pisté estiment qu’au moins 50
kilomètres de la Costa del Sol ont été aménagés avec les profits des activités des « Espagnols » et avec de l’argent en provenance d’Italie.
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On connait aujourd’hui les impacts environnementaux de cette bétonisation de la côte méditerranéenne espagnole.
Finalement Raffaele Amato a été arrêté en février 2005 mais depuis sa prison il continuait de diriger les affaires du clan comme nous le
verrons par la suite. Il a finalement été libéré un an après pour cause de délais de détention dépassés. Il est repéré trois ans plus tard à
Madrid par la récente unité spéciale de lutte contre la criminalité organisée de la police espagnole. Faute de réception du mandat d’arrêt
international, la police espagnole a dû attendre deux mois avant d’arrêter définitivement Raffaele Amato à Marbella.
Eclairage
Au delà des péripéties de la répression policière, il y a certainement lieu de chercher si une bonne partie des programmes
immobiliers inutiles qui se sont avérés ruineux pour l’économie espagnole, n’ont pas eu comme raison d’être le blanchiment de
capitaux mafieux par des banquiers peu regardants.
Les activités mafieuses sapent maintenant les soubassements mêmes d’une société libre et prospère.
L’espace refuge et la terre d'accueil espagnols
Si les états de la péninsule ibérique se présentent souvent comme « l’eldorado des mafieux en Europe »[12], l’Espagne demeure leur pays
de refuge privilégié. Entre janvier 2000 et juillet 2009, sur le total des membres de Cosa Nostra, Camorra et ‘Ndrangheta arrêtés à
l’étranger, 30 % ont été arrêtés sur le territoire espagnol[13]. Sur 74 camorristes interceptés à l’étranger, 45% avaient notamment trouvé
refuge en Espagne. C’est principalement à Barcelone et dans les villes de la côte méditerranéenne (Marbella, Málaga, Fuengirola, Rincón de
la Victoria…) que ces camorristes ont été retrouvés.
Cette forte présence de mafieux italiens sur le sol espagnol est due à sa situation de plaque tournante des drogues et de place de
blanchiment. L’Espagne est effectivement le premier pays de transit des drogues en provenance de l’Amérique du Sud et de l’Afrique vers
l’Europe. Comme on l’a vu précédemment, les secteurs espagnols du tourisme et de l’immobilier ont été un outil de blanchiment
particulièrement efficace. Le cas des camorristes liés à Raffaele Amato, appelés les Espagnols, est exemplaire.
Mais si les organisations mafieuses italiennes trouvent refuge en Espagne c’est aussi dans le but de fuir la justice italienne ou les
représailles d’autres clans.
L’exil doré
L’Espagne est un territoire de repli bien connu des mafieux italiens qui offre deux avantages. Comme l’explique Francesco Forgione[14],
l’Espagne ne dispose pas d’une législation à même de lutter spécifiquement et efficacement contre la criminalité organisée. En effet la
saisie des biens et des capitaux d’origine criminelle relève d’un processus complexe et long. De plus, beaucoup de mafieux arrêtés ont
ensuite dû être libérés à cause de délais de détention dépassés.
Depuis la rentrée en vigueur du mandat d’arrêt européen en 2004 les forces de police espagnoles disposent d’une capacité d’action plus
importante sur les mafieux italiens. Ensuite le régime de détention espagnol est particulièrement plus tolérant que celui de la majorité des
états européens. De cette manière l’Espagne se présente comme une première étape sécurisée pour les mafieux voulant fuir la justice
italienne. Ce sont les villes de la côte du Sud-est qui offrent un refuge particulièrement agréable, là-bas il est possible de profiter et
d’afficher sa richesse.
De même, en Espagne Vincenzo Scarpa, mafieux lié aux clans camorristes de Torre Anunziata, se chargeait de mettre en place un réseau
de protection pour les membres de son clan et des clans associés voulant quitter le territoire italien. Il était donc en mesure d’assurer
accueil et sécurité à ses alliés. La terre de refuge espagnole apparait comme l’espace de repli le plus évident des mafieux italiens en
Europe.
Francesco Forgione aborde aussi le cas de Nunzio di Falco, membre du clan camorriste des Casalesi dont le fief est Casal di Principe. Nunzio
di Falco a choisi l’exil doré espagnol pour se protéger des guerres de clans mais aussi pour profiter de sa richesse.
A partir de Grenade, en Andalousie, il organisait le trafic de drogue colombienne vers l’Europe et détenait deux pizzerias. Ses ordres
envoyés en Italie, dans le cadre de la guerre des clans camorristes de Casal di Principe, étaient toujours appliqués par une poignée
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d’hommes ce qui lui permettait de garder une influence sur son territoire d’origine. Nunzio di Falco est finalement condamné par la justice
espagnole pour trafic de stupéfiants puis extradé en Italie en 2005.
Là-bas il est accusé du meurtre de don Peppino Diana, jeune curé populaire de Casal di Principe qui osait dénoncer les agissements de la
Camorra[15], et est condamné à la prison à vie. C’est aujourd’hui sa femme qui assure, toujours depuis l’Espagne, la gestion du trafic de
stupéfiants et les affaires du clan camorriste.
Les villages de vacances
L’article 41bis du code pénal italien a mis en place un régime de détention restrictif pour les personnes issues du crime organisé[16]. Le but
principal est de rompre les contacts entre l’incarcéré et son association criminelle. De cette manière les dispositions concernant notamment
les visites, les appels téléphoniques, les objets et sommes d’argent reçus de l’extérieur peuvent être rendues plus sévères. Ces modalités
contrastent nettement avec la souplesse du système pénitentiaire espagnol qui accorde aux mafieux emprisonnés la possibilité de
téléphoner mais aussi de recevoir des visites illimitées.
Ici les liens avec les autres membres du clan ne sont pas rompus, le détenu conserve donc son autorité, mais aussi sa capacité de
négociation et d’organisation des trafics. Ces modalités de détention influencent les mafieux en quête d’un pays refuge européen à choisir
l’Espagne.
Jusqu’à son arrestation, le 20 mai 2002, Santo Maesano semblait être un citoyen ordinaire et intégré à Palma de Majorque. Depuis Madrid il
organise pourtant un trafic de cocaïne en provenance de Colombie et à destination principale d’Italie du Nord, notamment Milan. Santo
Maesano dirigeait aussi à distance les activités des familles Maesano, Paviglianiti et Pangallo, membres de la ‘Ndrangheta.
Une fois incarcéré à la prison de Valdemoro dans la région madrilène, il a pu tirer profit du système pénitentiaire espagnol pour conserver
son influence sur son clan. Grâce aux appels téléphoniques il pouvait passer commande et négocier auprès des différents intermédiaires qui
composaient les trafics qu’il organisait. Les visites lui permettaient un contact plus direct avec ses hommes et notamment avec son
second, Vincenzo Romeo, qui se rendait à la prison tous les mois.
De cette manière les mafieux gardent une capacité d’action et de contrôle sur l’extérieur. Santo Maesano est parvenu à mettre en place un
plan d’évasion de Valdemoro que la guardia civil a empêché avant d’être extradé en Italie en 2004.
Les collaborateurs de justice livrent des récits précieux pour la compréhension du fonctionnement des clans mafieux. Maurizio Prestieri est
un de ces collaborateurs de justice qui a notamment livré ses récits à Roberto Saviano[17]. Prestieri était un boss de la camorra et
participait à la direction de l'Alliance de Secondigliano qui fait partie des alliances criminelles italiennes les plus puissantes. Francesco
Forgione rapporte ses déclarations à propos des prisons espagnoles :
« là-bas, en Espagne, c’est tout fait autre chose. Quand j’ai été arrêté, en 2003, je me suis dit : c’est ça une prison ? Je pouvais voir ma
femme, même seul, je pouvais téléphoner, même avec une carte. Et quand j’avais fini les cartes qui m’avaient été accordées par mois,
j’achetais à moitié prix les cartes prépayées des malheureux qui étaient détenus avec moi : les Africains. On aurait dit un village de
vacances »[18].
Les bases et racines des réseaux restent en Italie
Selon l’étude de Peter Campana, ces implantations ne relèvent pas d'un déplacement de l'ensemble des activités d’un groupe vers un
nouveau point d'ancrage.
Au contraire chaque territoire est dédié à un certain type de tâches. En plein développement économique depuis la découverte de larges
réserves de pétrole et de gaz situées en mer du Nord dans les années 70 et ne disposant d'aucune expérience ni législation en matière de
mafias, en raison de l'absence, jusque-là, de celles-ci, Aberdeen était l'endroit idéal pour que le clan développe ses activités économiques
légales tout en demeurant discret.
Campana montre que le cœur des activités d'une mafia italienne, selon sa définition même[19], le racket, n'est pas pratiqué en dehors du
territoire d'origine du clan, Mondragone et sa région. De la même façon, c'est à ce territoire qu'est circonscrit autant que possible l'usage
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massif et systématique de la violence.
Malgré leur caractère transnational, les mafias semblent donc irrémédiablement attachées à leur territoire d'origine. Le lien qui les unit à ce
dernier fonde la majeure partie de leur pouvoir. Pour opérer une expansion extraterritoriale, une mafia se doit d'exercer sur sa région
d'extraction un contrôle économique et social hégémonique. Celui-ci lui permet, par exemple de faire pression à l'étranger sur des
ressortissants italiens ayant encore de la famille dans la région que contrôle la mafia.
Si un individu, un groupe ou un clan perd ce lien, il quitte – de fait – le réseau et par la même occasion, perd l'appui et la protection
internationale de celui-ci ainsi que la légitimité de son pouvoir.[20] Cet ancrage territorial est d'ailleurs partie intégrante de l'identité
mafieuse, celui qui s'en trouve dépourvu ne saurait être encore considéré comme « homme d'honneur »[21].
En outre, dans le cas du clan La Torre, Campana rapporte que Mondragone est aussi le lieu où 82% des membres vivent et opèrent; contre
seulement 8% à Aberdeen et 4% à Amsterdam et Terni[22]. De même pour le recrutement, 96% des membres du clan étant nés dans la
région de Naples.
A noter que la 'Ndrangheta, à l'organisation plus souple, fait exception à la règle; considérant que le territoire s'étend partout où il est
possible de faire des affaires, l'éloignement du chef de son territoire d'origine ne conduit pas nécessairement à une remise en cause de son
autorité[23].
Comme les autres migrants
De plus en plus constituées en réseaux, les organisations criminelles de type mafieux n'ont plus beaucoup d'autre manifestation physique
que les individus qui les composent. Lorsque celles-ci émigrent et s'implantent dans un pays étranger, à leur base originelle, ce sont avant
tout ces individus qui migrent.
Il est donc possible d'appliquer à ces processus des outils d'analyse traditionnellement utilisés pour étudier les migrations de personnes. Le
concept de « Push & Pull » par exemple, traditionnellement utilisé en sociologie des migrations, est ici pertinent.
Le « Push » regroupe les facteurs répulsifs, qui pousse à émigrer, situation économique et sociale dégradées, guerre, massacre etc, et le
« Pull », les facteurs attractifs qui font choisir un pays d'accueil plutôt qu'un autre, meilleure situation économique et sociale, possibilité
d'obtenir un visa ou le statut de réfugié plus grande que dans un autre pays, compatriotes déjà présents sur le territoire.
Dans le cas qui nous intéresse, il n’est pas compliqué de repérer des facteurs répulsifs spécifiques, pression policière ou judiciaire
importante sur le territoire d'origine, querelle avec un autre clan mafieux, ainsi que des facteurs attractifs, faiblesse de la pression
judiciaire et policière, absence de concurrence criminelle, opportunités économiques et, comme dans l’émigration légale, présence de
compatriotes dans le pays d'accueil.
Eclairage
Face à la plasticité de réseaux mafieux difficilement saisissables, une riposte s’impose de plus en plus : regrouper dans des réseaux
transnationaux, aussi flexibles, les différents acteurs de la lutte anti-mafia : chercheurs, services de police, journalistes
d'investigation, institutions judiciaires, représentants de l'exécutif... et des citoyens, confrontés dans leur vie quotidienne, à ces
formes de criminalités dont ils deviennent les premières victimes.
Ceci permettra aussi de pallier le manque d'actualité de la littérature, notamment scientifique, sur ce sujet.
Le cadre européen paraît un minimum pour ce genre de projets coopératifs.
Ainsi, convaincu de la nécessité d'une plus grande coopération internationale au niveau de la recherche sur les criminalités
organisées, le Bureau Fédéral Allemand de Police Criminelle ( Bundeskriminalamt, BKA) a initié en 2008 le « International Research
Network on Organised Crime » regroupant à ce jour le « Groupe de Développement de la Recherche sur le Crime » du Home Office à
Londres, le « Centre de Recherche et de Documentation » (WODC) du Ministère néerlandais de la Justice, l'Académie de Police des
Pays-Bas et le « Conseil National Suédois pour la Prévention du Crime » (Brå). Ce réseau organise une conférence annuelle à laquelle
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participent de nombreux chercheurs européens.
La Commission Européenne a reconnu l'importance d'un réseau de ce type et l'a intégré au programme “ISEC – Prévention et Lutte
contre le Crime Organisé”.
Il faut cependant aller au delà, comme l’a montré en 2006 l’opération Tiro Grosso : l’Italie, la Colombie, l’Equateur, l’Espagne, les
Pays-Bas et la Croatie ont dû coopérer pour aboutir à l’arrestation de quarante-deux membres des clans camorristes Nuvoletta,
Mazzarella, Fabbrocino, La Torre et Pagnozzi.
Un des enjeux de la lutte anti mafia est désormais de mettre en place des programmes internationaux instaurant une coopération
réellement continue.
Ceci ne va pas sans conflit avec le populisme souverainiste en plein essor dans les pays européens, alors même que les activités
mafieuses, improductives par nature, contribuent pour une bonne part à la « crise » économique qui fait le lit de ceux-ci.
Laura Bachellerie, Jonathan Richard, C-H de Choiseul
[1]Eavesdropping on the Mob: the functional diversification of Mafia activities across territories. European Journal of Criminology. Mai 2011.
http://euc.sagepub.com/content/8/3/213
[2]Dons on the Don. Rédaction du Scotsman. Site de Scotsman :
http://www.scotsman.com/news/scottish-news/top-stories/dons-on-the-don-1-1429273
[3]The incredible story of the mafia gang who set up shop in Scotland. Rédaction du Daily Record. Site du Daily Record :
http://www.dailyrecord.co.uk/news/uk-world-news/exclusive-the-incredible-story-of-the-mafia-gang-995387
[4]Sterling (1994) et Castells (2000)
[5]De ’Ndrangheta in Nederland. Aard, criminele activiteiten en werkwijze op Nederlandse bodem. Korps andelijke Politidiensten – Dienst
Nationale Recherche. 2011.
[6] Evasion fiscale : faut-il supprimer le billet de 500 euros ? Rédaction du Monde. 15/04/2013. Site du monde :
http://www.lemonde.fr/argent/article/2013/04/15/evasion-fiscale-faut-il-supprimer-le-billet-de-500-euros_3159787_1657007.html
[7] 500 euro note – why criminals love it so. Dominic Casciani. 13/05/2010. Site de BBC news :
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/magazine/8678979.stm
[8] Mafia export. Comment les mafias italiennes ont colonisé le monde. Francesco Forgione. Actes Sud, collection questions de société. 2010
[9] Espagne : la crise pèse sur le tourisme. Mathieu de Taillac. 06/06/2012. Site du figaro :
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/06/04/20002-20120604ARTFIG00680-espagne-la-crise-pese-sur-le-tourisme.php#
[10] Mafia export. Comment les mafias italiennes ont colonisé le monde. Francesco Forgione. Actes Sud, collection questions de société.
2010
[11] La mafia napolitaine dans le quartier de Scampia. Rédaction de mafias.fr : http://www.mafias.fr/?p=77
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[12] Les mafias italiennes et la fin du monde bipolaire. Relations « politico-mafieuses » et activités criminelles à l’épreuve des relations
internationales. Fabrice Rizzoli. Thèse de doctorat. 2009
[13] Mafia export. Comment les mafias italiennes ont colonisé le monde. Francesco Forgione. Actes Sud, collection questions de société.
2010
[14] Mafia export. Comment les mafias italiennes ont colonisé le monde. Francesco Forgione. Actes Sud, collection questions de société.
2010
[15] Don Peppino, eroe in tonaca ucciso dal Sistema dei clan. Roberto Saviano. Site de la Repubblica :
http://www.repubblica.it/2009/03/sezioni/cronaca/camorra-8/camorra-8/camorra-8.html
[16] Le système pénitentiaire italien. Franco della Casa. Site de la fondation pénale et pénitentiaire :
http://www.internationalpenalandpenitentiaryfoundation.org/Site/documents/Stavern/22_Stavern_Report%20Italy.pdf
[17] Camorra voyage au bout des ténèbres. Roberto Saviano. Site du Figaro :
http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/12/01003-20110312ARTFIG00004-camorra-voyage-au-bout-des-tenebres.php
[18] Mafia export. Comment les mafias italiennes ont colonisé le monde. Francesco Forgione. Actes Sud, collection questions de société.
2010
[19] Mafia : Entreprise économique illégale impliquée dans la production, la promotion et la vente de protection privée. Gambetta. 1993.
[20]Atlante delle mafie. Enzo Ciconte, Francesco Forgione, Isaia Sales. Volume primo. Rubbettino. 2012
[21]Les mafias italiennes et la fin du monde bipolaire. Relations « politico-mafieuses » et activités criminelles à l’épreuve des relations
internationales. Fabrice Rizzoli. Thèse de doctorat. 2009
[22] Eavesdropping on the Mob: the functional diversification of Mafia activities across territories. European Journal of Criminology. Mai
2011. http://euc.sagepub.com/content/8/3/213
[23] Les mafias italiennes et la fin du monde bipolaire. Relations « politico-mafieuses » et activités criminelles à l’épreuve des relations
internationales. Fabrice Rizzoli. Thèse de doctorat. 2009
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