20120623 CR café rencontre BD

Transcription

20120623 CR café rencontre BD
Retranscription des échanges
Samedi 23 juin – CCI Lyon
Café-rencontre H/F : BD, les femmes sont-elles des hommes comme
les autres ?
Lyon BD festival
Les intervenant-e-s :
Olivier Jouvray : scénariste de BD, membre du syndicat national des auteurs, enseignant à l’école
Emile Cohl, école de Bande Dessinée et Dessin Animé de Lyon
Lucy Mazel : illustratrice, ancienne étudiante de l’école Emile Cohl
Maureen Wingrove (alias Diglee) : illustratrice, dessinatrice et bloggeuse BD, ancienne étudiante
de l’école Emile Cohl
Benjamin Reiss : dessinateur de BD mais également auteur, notamment de la BD Tokyoland
Virginie Ollagnier : écrivaine, co-scénariste de BD
Thibault Deloche : comédien, adhérent H/F
Chloé Begou : comédienne, metteure en scène, animatrice du café-rencontre
Compte-rendu des échanges
Chloé Bégou (CB) : Olivier, tu es scénariste de BD mais tu es également enseignant à l’école Emile
Cohl, tu vois donc émerger potentiellement la prochaine génération du milieu de dessin et de la
BD. Quel constat fais tu sur l’avancée de la question H/F chez ces jeunes en formation ?
Olivier Jouvray (OJ) : En cours, on fait un test en début d’année.
Au premier cours de première année, je demande aux élèves d’apporter pour la fois suivante, un
personnage masculin, un féminin et un enfant avec un texte qui décrit la psychologie des
personnages. Qu’ils le veulent ou non ils plaquent leur psychologie sur les personnages.
T’as des mecs, ils se projettent dans l’échec ou en clochard sympa. Les filles, elles, c’est le prince
charmant, systématiquement. Elles s’imaginent toutes en femme seule avec un enfant avec une
première expérience foireuse avec un mec, qui attend le prince charmant. La notion de pognon
est importante.
Benjamin Reiss (BR) : et les mecs, quelle vision de la femme ont –ils ?
OJ : la bimbo ou la femme enfant. Ça évolue entre la recherche du fantasme ou la maman !
Entre leurs discours, leurs convictions et ce qui sort de leurs crayons…
Pour changer le mode de pensée, c’est un travail en profondeur.
CB : Au niveau de l’école Emile Cohl, le pourcentage de femmes et d’hommes ?
OJ : c’est 50-50
Thibaut Deloche (TD) : Mais au niveau de la sélection , il peut y avoir 100 filles et 50 mecs ?
OJ : non, c’est 50-50 aussi
En revanche, ça se ressent dans les différentes branches, tu as un choix.
Jeu vidéo : mec, édition : des femmes. Dans la littérature jeunesse, t’as que des nanas !
Je me suis engueulée avec le jury parce qu’ils se sont retrouvés face à de la BD super trash,
violente créée par une fille et ils ont mal réagi. Face à une nana jolie, timide, ils étaient
interloqués. Si tu ne vis pas dans un milieu qui t’éduque là-dessus. Tu ne t’en sors pas.
BR : dans notre culture française on a trop de références solides comme Coluche, c’est l’histoire
d’un mec, c’est graveleux. Mais tu vois aussi l’émission « Bref ! », c’est toujours la vision du mec
de la vie.
CB: Comment tu expliques que même les femmes dans la BD qui se sentent mal considérées ne
s’investissent pas sur cette question d’égalité H/H ?
OJ : le milieu de la BD, paupérisation de plus en plus forte.
En tant qu’auteurs/trices, on est tous face aux éditeurs et les éditeurs c’est des vieux, de
l’ancienne génération. Et l’éditeur face aux hommes et aux femmes, c’est pas le même
comportement.
Je reproche aussi aux filles qui font que de la BD sur le shopping, les cupcakes…des trucs
« girly ». Elles ne dépassent pas ça.
TD : mais tu peux faire de la BD girly et dépasser ça.
OJ : oui, peut-être. L’idée c’est de faire ça de façon intelligente, de savoir ce que tu fais.
BR : Il faudrait mettre un avertissement en début de BD : les femmes c’est pas que ça !
CB : il faut bien dire que les femmes n’ont pas à faire leurs preuves deux fois plus que les
hommes !
TD : y’a quand même une évolution dans la BD au niveau des auteures femmes. Depuis
l’émergence des blogs BD ça a ramené des auteures féminines par ce biais.
OJ : pas que ce biais là, y’a beaucoup de choses qui se sont mis en place.
Y’a aussi le fait que la BD sort de son adolescence. On est passé des Schtroumpfs, la BD SF et de
cul, puis l’autobiographie où on parle de soi et on a commencé à s’ouvrir à autre chose. Y’a de
plus en plus d’auteurs qui considèrent que le monde ne s’arrête pas à leur nombril, ils vont
regarder comment le monde fonctionne. Y’a des sujets plus intelligents donc il y a plus de
femmes qui s’intéressent à la BD. Il y a des femmes qui ont fait de la BD et fait des cartons
comme Marjane Satrapi par exemple. La BD attire du public d’abord attiré par le sujet avant
d’être attiré par le média contrairement à avant.
Ça fait évoluer des tonnes de choses !
Et ce qui me fait plaisir c’est que parmi mes élèves y’a de plus en plus de filles qui vont faire de la
BD, ça augmente chaque année (ça fait 6 ans que je suis prof)
CB : c’est important qu’il y ait un modèle, une auteure emblématique et Satrapi a eu ce rôle là qui
a pu débloquer des femmes
TD : et les éditeurs, ils entrent dans cette brèche ?
OJ : les éditeurs sont aussi cons avec les hommes qu’avec les filles. Quand ils voient un truc qui
marchent ils ont tendance à les cantonner dans un secteur. Ils cloisonnent les femmes dans un
modèle type. Alors que dans mes cours, les femmes font de tout (réaliste, SF, girly..)
TD : donc le problème viendrait des éditeurs ?
OJ : en partie. Les femmes, tu vois l’influence du père.
Y’a plus un rapport de fans chez les femmes que chez les hommes. Les femmes sont attachées à
un auteur, les hommes moins. Ils vont être attirés par une série…
Par exemple, Lepage et Pedrosa attirent beaucoup un public féminin de par leur sensibilité.
Y’a aussi des nouveaux médias qui s’intéressent à la BD, c’est plus seulement des magazines
spécialisés, mais aussi de la presse généraliste et féminine.
BR : Au Japon, ils ont des années d’avance au niveau de la maturité. Au niveau des mangas, il y a
plein de styles différents. Pour les filles jusqu’à 18 ans, pour les ménagères jusqu’à 50, les ados
jusque 15 ans. Il y a une sorte de cahier des charges super précis.
Les japonais se donnent beaucoup dans l’univers virtuel. Là bas être une femme et dessiner, c’est
normal. J’ai bossé avec différents auteurs japonais dont une femme qui publiait dans un
magazine destiné aux ménagères de 50 ans. C’était un peu spécial. Au Japon quand t’es une fille
t’es poussée vraiment à faire des gamins et t’es pas encouragée du tout à faire des études. Dans
le manga, les artistes ils vouent tout leur temps au manga, ils ont 50 pages à faire par mois et s’ils
ne le font pas ils peuvent mettre une croix sur leur carrière. Du coup c’est compliqué pour les
femmes car elles sont poussées à faire des enfants mais si elles veulent faire des mangas c’est
compliqué. Elles ne sont pas mises en avant. D’un point de vue professionnel c’est accepté mais
au niveau sociétal c’est compliqué. C’est une culture où quand t’es marginal, on te montre pas du
doigt.
En tout cas, elle ne voulait pas d’homme assistant dans son équipe, je ne sais pas pourquoi.
OJ : ça modifie les rapports humains ou alors ils ont peur que ça les modifie. En France ça
fonctionne beaucoup comme ça aussi quand il y’a des pools de dessinateurs qui se rassemblent
en atelier, c’est souvent du même sexe. Pour éviter aussi des histoires de séduction, je pense.
BR : Elle a repéré que j’étais français et que je devais donc avoir des qualités culinaires. J’ai dit
oui parce que je voulais essayer. Du coup c’est moi qui faisais à manger pour l’atelier.
CB : En tout cas, il y a des études qui montrent que les entreprises mixtes sont plus productives
que les non mixtes !
OJ : ma femme, quand elle a signé chez son éditeur, ils lui ont dit : « je te préviens, selon les
statistiques, dans 2 ans tu vas divorcer » ! Ça crée de la jalousie dans le couple, des tensions.
Vous avez 80% de chances de divorcer, et vous allez perdre 30% de vos amies.
Virginie Ollganier (VO) : selon une étude, un homme qui publie un bouquin, il a 80% de retours
dans les médias en plus.
OJ : on commence juste à avoir quelques éditrices. Le milieu est quand même tenu par des gros
pontes. Les femmes qui montent les maisons d’édition doivent avoir un caractère assez trempé.
VJ : Mais les filles rentrent tout doucement dans ce milieu là.
Maureen Wingrove (MW) : Moi, comme je suis dans une sphère qui est dite très girly, on me
catalogue « ça raconte de filles qu’aux filles ». Si une fille raconte sa vie, on va croire que ça
s’adresse qu’aux filles.
Lucy Mazel (LM) : oui et puis on me dit que je vais raconter ma vie alors que non, moi je fais
aussi de la fiction. En revanche, on est aussi mal payés en tant que femme qu’en tant
qu’hommes : pas d’inégalités là-dessus !
TD : et comment ça se passe à la sortie d’étude ?
LM : j’ai eu de la chance on est venus me voir. J’ai beaucoup bossé, j’ai pas pris de vacances. J’ai
été à la rencontre des gens.
OJ : quand j’en discute avec des élèves ou dessinatrices, quand elles se retrouvent face aux
éditeurs, la négociation est plus forte quand les filles se retrouvent face aux éditeurs
LM : moi je l’ai pas ressenti face aux éditeurs, on est plein à ne pas de laisser faire.
MW : c’est pas facile de négocier un contrat quand t’arrives ! T’y connais rien
LM : au final c’est simple mais les formulations t’embrouillent l’esprit.
Mais fille comme mec, c’est un peu le même combat.
Y’a très peu d’éditrices aussi. J’en compte 3…
TD : et ces maisons d’éditions elles publient quoi ?
OJ : de tout !
Les rapports sont pas toujours évidents parce qu’elles sont confrontés à des hommes et elles
doivent doublement se battre.
MW : moi je me rends compte que je bosse souvent avec des éditions de femmes.
OJ : ouais mais c’est des postes subalternes. Plus tu montes dans la direction, plus c’est des mecs.
BR : Mais tu vois de plus en plus de tandems homme/femme.
MW : moi j’ai des remarques de femmes qui me disent que je fais de la BD anti féministe parce
que des fois je parle de fringues… ! Tous les mecs qui parlent de trucs de mecs sur leur blogs on
les emmerde pas ou beaucoup moins ! moi je reçois des mails d’insultes ! Moi je m’attendais pas
à ça ! C’est aussi le média internet qui fait ça.
Mais je suis pas sûre que Boulet (bloggueur masculin) se prenne autant de remarques !
OJ : est-ce que vous avez reçu des remarques machistes ?
MW : moi oui, y’a un auteur de blog qui me fait tout le temps des remarques
L : moi aussi. Je suis avec quelqu’un qui est dans le milieu de la BD et on me dit que c’est grâce à
mon mec…
OJ : Et le jury du diplôme de Cohl, y’a une femme maximum !

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