Henri Legros, le héros réunionnais oublié

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Henri Legros, le héros réunionnais oublié
Henri Legros, le héros réunionnais oublié
publié le 29 janvier 2012
Dans la nacelle d’un dirigeable, Henri Legros, à gauche, avec un collègue
mécanicien Fontaine. En dépit de son patronyme, ce dernier n’est pas
Réunionnais.
Lorsque le 19 juillet 1910, Roland Garros obtient son brevet de pilote, Henri Legros est
déjà un aérostier militaire confirmé. Son nom ne vous dit sans doute rien mais ce natif
des Colimaçons sur les hauteurs de Saint-Leu est le premier homme volant réunionnais
pour reprendre la belle expression de notre confrère Daniel Vaxelaire. L’histoire a
retenu l’aviateur, elle a oublié l’aérostier. Colonel de l’armée de l’armée de l’Air en
retraite, Gérard David, milite avec sa mère Léa, nièce d’Henri Legros, et la petite-fille
de celui-ci, Jeanne- Marie, pour sortir de l’oubli l’aérostier réunionnais Henri Legros.
Roland Garros a son nom au fronton de Gillot. La base aérienne 181 honore le lieutenant
Roland Garros. Sa statue trône sur le Barachois. Rue Roland-Garros une plaque rappelle le
lieu de sa naissance. Un lycée lui est dédié. A Paris, le tournoi de tennis de Roland- Garros lui
a assuré une renommée mondiale même si l’aviateur est le plus souvent assimilé à un
tennisman. Henri Legros, lui, doit se contenter d’une modeste rue "commandant Legros" à
Saint-Leu sans que rien ne rappelle que ce natif des Colimaçons fût un brillant aérostier et
surtout le premier "homme volant" réunionnais.
Colonel de l’armée de l’Air en retraite, Gérard David, sa mère Léa, nièce d’Henri Legros, et
sa petite-fille Jeanne-Marie, dépositaire des archives familiales (voir encadré) ne remettent
bien évidemment pas en cause le personnage de Roland Garros. Ils militent simplement pour
qu’Henri Legros sorte enfin de l’oubli et prenne sa juste place aux côtés de son frère d’arme.
Le plus bel hommage qui pourrait lui être rendu serait de donner son nom à l’aéroport de
Pierrefonds (voir encadré). Henri Legros voit le jour le 13 août 1876 aux Colimaçons sur les
hauteurs de Saint-Leu. Son père, Oliva, travaille aux Ponts et Chaussées, l’ancêtre de la DDE.
Il sera l’un des artisans de la construction de la route de Cilaos. Oliva Legros se marie quatre
fois et aura dix enfants. La mère d’Henri meurt alors qu’il n’a que 6 ans. Henri Legros n’est
pas un élève brillant mais il se passionne pour la mécanique. Il a tout juste 16 ans lorsqu’il
obtient une bourse et s’embarque pour l’Algérie où il intègre l’école d’apprentissage des Arts
et métiers de Dellys. Henri ne reverra jamais son île natale. Le 6 juillet 1896, Henri Legros
s’engage à Marseille dans la sixième compagnie d’ouvriers d’artillerie.
Au début du 20e siècle, l’aviation est encore très loin de s’être imposée et l’aérostation,
surtout les dirigeables, constituent une alternative intéressante. Henri Legros se passionne
pour les plus légers que l’air. En mai 1908 on le retrouve au premier régiment du génie de
Versailles comme sapeur aérostier et mécanicien de dirigeable. Le 1er août 1908, il effectue
son baptême de l’air à bord d’un dirigeable. Quand deux ans plus tard, le 19 juillet 1910,
Roland Garros passe son brevet de pilote, Henri Legros est déjà un aérostier confirmé. Il a
échappé par miracle à l’accident du dirigeable République le 25 septembre 1909 et a fait
partie de l’équipage du dirigeable Adjudant Réau qui s’attribue en 1911 plusieurs records
(voir encadré). Curieusement la situation militaire d’Henri Legros n’est régularisée que le 16
octobre 1911, date à laquelle il obtient le brevet de mécanicien de dirigeable n°3. Lorsque
éclate la Première guerre mondiale, Henri Legros est en première ligne. Il participe
notamment à des missions de bombardement au-dessus de l’Allemagne au cours desquelles
les bombes sont lâchées à la main depuis la nacelle des dirigeables. Son comportement et son
courage valent à Henri Legros deux citations et la Croix de guerre. Promu officier le 22
février 1915, le sous-lieutenant Henri Legros doit démissionner du corps du personnel
navigant. les mécaniciens d’équipage appartiennent à l’arme du génie et ne peuvent pas
exercer leur spécialité en tant qu’officiers. L’aérostier a à son actif 162 missions. Il est versé
dans un corps administratif et technique sans pour autant s’éloigner des ballons. Il en assure la
gestion et l’entretien, notamment celui des treuils pour ballons captifs au Parc aéro n°10, puis
effectue le contrôle de ces matériels à l’Inspection du matériel technique et des Installations
de l’aéronautique.
Henri Legros termine sa carrière avec le grade de commandant. Il sera le premier et le seul
commandant mécanicien de l’armée de l’Air pendant deux ans. Nommé chevalier de la
Légion d’honneur en 1919, il est promu officier dans cet ordre le 14 juillet 1933. En 1939,
pourtant dégagé de toute obligation militaire, il reprend volontairement du service et sert
jusqu’à l’armistice à la Direction du matériel aérien militaire. Trois ans avant sa mort, ultime
marque de reconnaissance, il reçoit la médaille de l’Aéronautique au titre de la promotion de
pionniers. Décédé le 6 août 1961, Henri Legros repose à Villers-Bocage dans le Calvados loin
de son île natale qu’il n’a jamais revue. La Réunion, elle, l’a oublié. Il ne serait que temps
qu’elle lui rende l’hommage qu’il mérite.
Alain Dupuis
Le petit cahier bleu
Dans les années cinquante, Henri Legros rassemble ses souvenirs dans un recueil intitulé
« cahier bleu ». "La lecture de ces pages, écrites à la plume sergent-major est absolument
bouleversante, souligne ému Gérard David qui l’a eu entre les mains. D’abord par leur côté
intimiste et personnel, puisqu’elles ont été écrites sous forme d’une lettre à son fils par un
« honnête homme » ainsi qu’il se décrit lui-même, observant avec recul le chemin qu’il a
parcouru depuis l’école communale de Saint-Leu, jusqu’aux bureaux de l’état-major des
Armées. Et de ce point de vue il faut reconnaître que la qualité rédactionnelle est à la
hauteur (si on peut dire) de leur hauteur. Emouvante aussi parce que ce récit comporte deux
parties, l’une que l’auteur consacre à l’insouciance de sa jeunesse, révélant au passage
quelque discrète confidence, et aux grandes satisfactions de sa carrière militaire,
l’autre nettement contrastée relate les malheurs ayant accompagné sa vie de retraité : il y
décrit en effet avec force détails et émotion le bombardement de la ville du Havre et la
destruction complète de sa maison et tout ce qu’elle contenait."

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