en un éclair - Le chasseur abstrait
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en un éclair - Le chasseur abstrait
en un lr éc ai la Lettre de Haïkouest Édition n°18, décembre 2010. __________________________________ C comme coup de cœur par Jean Le Goff Haïkus des quatre saisons, Seuil, 2010. Il s'agit d'un ouvrage qui s’apparente à un petit bijou et venant enrichir la collection « Classiques en images » des éditions du Seuil. Plaisir des mots, plaisir des yeux… Au gré des saisons, les grands auteurs japonais livrent ici quelques pépites : La brise fraîche emplit le vide ciel de la rumeur du pin Onitsura Un éclair au matin ! Bruit de rose s'égouttant dans les bambous Buson Le papillon bat des ailes comme s'il désespérait de ce monde Issa Si l'univers du haïku est une île où il fait bon poser ses bagages, avec ce petit volume, c'est un peu comme si un archipel tout entier pouvait tenir en poche. Parfois, il nous arrive de rencontrer des ouvrages avec lesquels on souhaiterait se retirer, seul, pour rêver. Pour ce qui me concerne, Haikus des quatre saisons est de ceux-là. Sous des dehors de carnet coloré, il recèle aussi de merveilleuses estampes de Hokusaï, en contrepoint des mots distillés dans un souffle. Dans le n° 12 d’« En un éclair », Roland Halbert présentait avec tout le talent et l'érudition qu'on lui connaît, le parcours, l'œuvre de Katsushira Hokusaï (1760-1849). Artiste foisonnant, Hokusaï a livré au monde 30 000 pièces, c'est dire si l'amateur d'estampes a l'embarras du choix ! Celles qui sont reproduites ici figurent à l'inventaire de la Bibliothèque Nationale de France. Elles traduisent toute cette dimension à la fois chaleureuse et mélancolique que le grand maître japonais a su transmettre. Il faut avoir vu la richesse subtile de volubilis, la frêle nostalgie de silhouettes extraites d'une scène de la vie quotidienne, l'expression d'une femme qui amuse un chat. Oui, le talent de Hokusaï est phénoménal ; son œuvre intemporelle nous subjugue vraiment. Si marier le trait de Hokusaï, ses couleurs avec la plume de Bashō, Chiyo-Ni, Shiki et j'en oublie, n'est guère original, il n'empêche que se balader avec un tel trésor tout contre soi, incline à se sentir léger, plus léger ! Haïku de Kitō et estampe de Hokusaï sur double page. Haïkus des quatre saisons avec des estampes de Hokusaï. Texte en français de Roger Munier (les haïkus sont traduits de l’anglais et non du japonais). Éditions du Seuil, octobre 2010, collection « Classiques en images ». Couverture dure. 19 €. ***** C comme concours Les éditions L'iroli vous invitent à participer à leur concours de haïbun et micronouvelle. 575 mots max, avant le 31 janvier 2011 Thème : Quel animal ! Règlement complet www.editions-liroli.net à l'onglet « Concours. » D comme découverte Résumé : Pépère est très inquiet (toujours harcelé par les questions de sa femme) quant à la création poétique du haïku. Après sa totale insensibilité au bruit de l’eau de l’étang quand la grenouille a plongé, il reste sur une grande interrogation. Se rappelant la lecture d’autres haïkus, soudain… E Les recueils des haïkus sélectionnés, lors des concours, pour les expositions La Reverdie et Moissons d’été sont édités. Vous pouvez passer commande à : [email protected] 10 €, frais d’envoi compris. comme Editions La Sente aux coquelicots d’Annick Dandeville vient de sortir des presses (cf. La Lettre n°15, septembre 2010). Passer commande à : [email protected] 10 €. Recueils disponibles chez Haïkouest : www.haikouest.net, page Librairie. J comme jules par Alain Legoin Le Vieux Vélo de Jules par Chantal Couliou Éd. La Renarde Rouge, novembre 2010. 14,50 € Chantal Couliou, giflée par le vent, nous invite dans un univers un peu rude. Les images de l’exil du soleil, des flaques d’eau, bottes et parapluies, même le premier jour d’école, se succèdent. Puis, elle évoque les feux de l’orage, le fouet de la pluie qui peut, cependant, avoir un bruit apaisant. Enfin – crescendo – on découvre le poids du silence de la neige, même en avril, et l’étreinte du gel. La vie est dure là-bas, en Bretagne, à l’extrême pointe de la fin de la terre… Mais Chantal Couliou profite de la plus petite éclaircie pour nous transporter vers la couleur et la joie de vivre : le temps des cerises, un brin de muguet, les géraniums, le bavardage des merles. Nous découvrons la légèreté et l’amour du pays : Sur le parvis de l’église des jeunes mariés sous une pluie de lavande Dans la cour de l’école une envolée de jupettes premier jour de printemps Dimanche d’été les cloches de Saint-Louis et les bruits du marché Près du bac à sable deux vieux sur un banc sans pelle ni râteau Le vieux cheminot au bout du rouleau voie sans issue Elle n’oublie personne : Sur le trottoir deux petites vieilles ratatinées à l’identique Ni quelques scènes très personnalisées de la vie quotidienne : Contre les casiers à homard le vieux vélo de Jules pause casse-croûte Au clair de lune veillant l’enfant malade le silence d’une mère En fond d’écran la photo de son amoureuse il déjeune seul Est-ce le vieux vélo de Jules et la bicyclette de la patronne qui sont amoureux ? Aucune des dix très fines aquarelles d’Evelyne Bouvier, éparpillées de-ci de-là, ne nous donne la réponse. C’est que peut-être personne ne doit le savoir ou ne doit le dire… En tous les cas, une fois que nous avons, nous aussi, rangé nos dossiers dans nos casiers et pris le temps d’une pause, on peut savourer un plat délicat et reposant : une généreuse tranche de Bretagne où il fait beau, plusieurs fois par jour, quand on sait regarder autour de soi, devant un thé à la violette. Livre en dépôt à Haïkouest www.haikouest.net, page Librairie. ***** L comme lauréats Le palmarès du Concours International de Haïku 2010 de Capoliveri (Italie) a été proclamé. Les deux lauréats français sont, par ordre alphabétique, Brigitte Briatte (sur le thème : le milieu viticole, le milieu marin, le milieu sylvestre) et Roland Halbert (sur le thème : le milieu viticole, le vin). Ils gagnent un séjour à l’île d’Elbe, au printemps prochain. Le règlement exigeait cinq haïkus dans la langue du pays d’origine des concouristes, accompagnés d’une traduction en italien et anglais ; ces poèmes paraîtront en 2011 dans l’anthologie du concours. Avec l’aimable autorisation de Giorgio Weiss, président du jury, et des auteurs, voici – seulement en langue française – trois haïkus de chacun des deux lauréats : parmi les grappes arpenter le vignoble – gorgées de soleil au fil des vagues, du plat de mes deux rames soulever la mer arbres abattus à la scie, à la hache, envol d'effluves Brigitte Briatte *** Le haïku est le saké du cœur (Santôka) rêvant de mille barriques, Dans le cellier frais, le vigneron dort. Il pleut sur les vignes… le Ciel veut-il que je mette de l’eau dans mon vin ? Versez-moi du vin jusqu’à ce que mon cœur roule au pressoir du chant ! Roland Halbert m comme mer LA PETITE MER (HAÏBUN) par Odile Linard la Petite Mer les tresses entrelacées : idole ondulée ! Défiant les courants d’entrée et de sortie du golfe du Morbihan, Gavrinis et son dolmen à couloir est l’un des joyaux de l’art mégalithique armoricain. grève de granit : stèles et dalles se lèvent sur l’estran lithique. Franchir l’entrée du dolmen, à la lueur de la torche, et avancer entre les deux rangées de piliers. statues ou silhouettes dalles parées de colliers – la Grande Déesse. Dans l’espace resserré au fond du tombeau, vertige quand, sous le rai de lumière, s’éveillent des tourbillons de boucles et d’arceaux. la chambre d’échos : un igloo rectangulaire îlot sur le golfe. En sortir et, sur un autre seuil, à marée basse, découvrir le Golfe, vaste voie migratoire de l’Ouest européen et son infini de vasières, paradis des oiseaux d’eau libre. le ciel migrateur affouille le bri amorphe de ses cris farouches. Ces lieux magiques ne sont pas sans évoquer l’immémoriale origine d’une unité première où l’alliance de la Nature et du sacré allait de soi. Aujourd’hui, pour le promeneur, le poète ou le rêveur, retrouver les traces de cette alliance perdue, semble bien orienter les pas… Mais cette cohabitation de l’immémorial et de la Nature est un héritage que la modernité refuse. Pourtant, l’écoute silencieuse des origines et la Beauté sensible du monde à préserver, ne sont-elles pas les plus graves enjeux pour la survie de la planète ? sinuosités au percuteur piquetées de silence. D’échos en résonances, le chemin des mots remonte jusqu’à l’indéchiffrable. le cri des oiseaux griffe, rixe et coup de bec éclat de silex ! Devant ce qui demeure obscur, viennent alors des images évoquant, par exemple sur une dalle, « un écusson aux boucles latérales ramenées vers le haut » (Charles-Tanguy Le Roux, ArMen n°10). percer le secret des « oreilles de Mickey » : savoir écouter. Ainsi, peu à peu, la voix muette des pierres, celle de l’enfance de l’art et du printemps de l’humanité, soufflent, devant le mystère, de suivre un chemin d’étonnement et d’humilité. aux cris des oiseaux, fuse et siffle en flèche un bec empenné. L’oreille n’est-elle pas, avec son vestibule, son marteau et son enclume, une tailleuse de sons extrayant du filon la matière sonore en éclats ? Tous ces sons en l’air caquets et cacophonies lueur de l’éclair ! 1er novembre 2010 à 18 h. Passage Saint-Armel, au débouché de la rivière de Noyalo, le spectacle est grandiose ! Là où, après avoir affronté le dragon, le moine gallois fit halte, des milliers d’oiseaux, au gré du flot, se laissent aller à la dérive… Avec les bernaches, premières arrivées, règne sur l’eau une ambiance tapageuse et cancanière. Soudain, c’est l’alerte ! Le courant de jusant entraîne agitations bruyantes et envols successifs, en formations organisées, vers les zones de gagnage qui, bientôt découvertes, offriront une nourriture abondante aux affamés. haches du ciel chues pierre de foudre polie éclatent les chants ! Un nouveau seuil est franchi lorsque l’identification des oiseaux se précise. De la colonie ou du groupe, un individu se détache et son chant repérable ouvre de nouveaux espaces. un vol de colverts louvoie au plus près du vent vitesse grand V. Le chant, intimement accordé à la Nature, peut s’insinuer comme la mer, par un étier, pour rejoindre la terre. à l’œil du garrot, l’orbe d’or d’un iris d’eau rêve de l’hiver. De bonne humeur, le chant se fait volontiers naïf ou gamin, complice ou boute-en-train. le canard pilet cou en figure de proue passe en vol express. La Nature prodigue aime entraîner le chant dans le marais et la saline, semant sur son chemin les plus discrets prodiges. sarcelle d’hiver en son miroir irisé prunelle moirée. Mais le chant n’est-il pas pur commencement ? tout le ciel en liesse : tu-tu-tu-tu-tu-tu-tu le courlis corlieu ! Car, n’ayant nulle part où se poser, il est irrésistiblement attiré vers l’ailleurs et l’infini… frêle goélette au clair de lune la mouette lamée de lumière. novembre 2010, Odile Linard Avec mes remerciements à Roland Halbert. v 小 屋 丸 comme Visionnage KOYAMARU ou LE MIRAGE ILLIMITÉ Notes de visionnage par Roland Halbert Chapeau de carex, manteau de paille et pèlerine d’hiver chez les paysans de Koyamaru. Chaque instant telle la réverbération d’une neige. Marc Guyon Koyamaru (France, 2009), film documentaire en noir et blanc. Diffusion sur Arte, le dimanche 10 octobre 2010, 1er volet (88 mn) : L’hiver et le printemps et, le dimanche 17 octobre, 2e volet (84 mn) : L’été et l’automne. Réalisateur : Jean-Michel Alberola qui est aussi sérigraphe, lithographe et peintre, rattaché à « La Figuration libre ». La belle formule de l’auteur : l’œuvre comme « coagulation d’un doute ». Deux années et demie de tournage. Témoignage ethnographique. Grand moment de cinéma. Premier volet : L’hiver et le printemps. Koyamaru, petit village de montagne, préfecture de Niigata (Japon). Sa fondation remonte à 500 ans. Autrefois, 22 maisons ; aujourd’hui, 5 seulement. Autrefois, 120 habitants ; aujourd’hui, 6 seulement. Personnes âgées de 60 à 85 ans. Hameau à demi-abandonné, situé sur « le chemin du Lièvre », ancienne route des samouraïs. Enclave paysanne dont l’équilibre naturel a été rompu. Conséquence de la mondialisation : abandon de la culture du riz qui ne vaut plus rien sur le marché mondial (les Américains imposent au Japon l’achat de riz thaïlandais). Rupture des cycles agraires et de la vie en autarcie. Perte d’identité due aux responsables politiques : « Ils ont nié l’âme japonaise. » (Furamu Kitagawa, directeur du festival de Niigata). Voix off : « Ça filme, là ? » Interview d’Alberola (il refuse de montrer son visage) : « Je parle du paysan universel… » Hiver long et rigoureux (6 mois de l’année !). Grosse neige (de 2 à 6 mètres). Isolement du village. Déneigement à la pelle. Obturation des fenêtres par des planches. Confinement sombre. C’est la « réclusion d’hiver » ou la « retraite hivernale » (fuyugomori), expression qui est aussi un mot de saison. Je redresse un clou, j’ouvre une boîte de thon… – Réclusion d’hiver. Vêtements modernes : bonnets, capuchons, polaires, pulls, bottes synthétiques. Mais certains des paysans portent encore le chapeau conique traditionnel (kasa) et le carré d’étoffe qui sert de foulard (zukin) contre le vent glacial. Autour du poêle à mazout, évocation des anciens moyens de chauffage : la table chauffante (kotatsu), l’âtre (irori) aux places réglementées (d’abord, le maître de maison, puis la mère, puis l’invité etc.), la bûche (kuizo) – « La fumée va vers les jolies filles. » Évocation des anciens vêtements artisanaux : manteau de paille (mino), bottes de paille (shibigarami) et sandales de paille (waraji) pour l’hiver ; tongs en bois (geta) pour l’été. Autant de mots de saison pour le haïkiste. Parler dialectal. Pas d’échanges verbaux selon le schéma usé des questions-réponses, mais vraie conversation, grâce au précieux truchement d’une jeune femme. N. B. ses Aa, aa (« Ah ! », « Ah, bon ! ») d’approbation. Pathologie d’hier : rachitisme, trachome. Plaintes douces et rires. Médecine magique toujours pratiquée : fumigation propitiatoire par fagots, renvoyant au bûcher rituel (sagichō) du Nouvel An. « Grand-père, approchez. Respirez cette fumée : vous serez en forme !… » Préparation détaillée d’un gâteau aux herbes à base d’armoise (yomogi) séchée, gage de bonne santé. Interview d’Alberola : « Je parle du paysan universel, du cinématographe… » Alternance du seize millimètres et du numérique noir et blanc. Cinq caméras : une caméra de poing, une Beaulieu seize millimètres, une Aaton super-seize, une caméra numérique professionnelle et une super-huit. Longs plans fixes ; séquences silencieuses ; silhouettes. Plongée, contre-plongée. Corps fantomatiques ; ombres et simulacres. Image renversée. Depuis Anaxagore, on sait que la neige est également noire. Son direct. Le bruit de la neige trouve sa signature. Blanc sur blanc. Hiroshige et Hokusaï rôdent en douce dans les images… On songe aussi au mot de Robert Bresson : « Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l’immobilité. » Même chose pour le haïku. Voix off (humoristique) : « Inutile de filmer une vieille femme courbée ! » Mars-avril. Signes du changement de saison : bourgeons des cerisiers (sakura [no mé], kigo du printemps), jonquilles (suisen). Autre indice sûr (le film n’en dit rien, mais la prise de son en témoigne) : chants d’oiseau. Oriole ou bouscarle du Japon (uguisu, autre mot de saison printanier), fauvette (gyōgyōshi). En contrepoint, la flûte droite (shakuhachi) d’un villageois musicien. Petit concert en plein air. « Je cherchais toujours le son juste. » Le haïkiste aussi cherche le son juste... Cascade. L’eau vitale, fille des neiges. « Il est important qu’il neige ! » sinon pas d’alimentation de la nappe phréatique. Reprise des travaux. « Tout repose sur l’équilibre de la nature. » Le seul jardinier ? ce vent à l’aumône blanche qui va sans visage. « Homme de terre » (Osamu Soda). Patronymes des villageois en lien avec leur environnement immédiat : dans le village, tout le monde s’appelle Yanagi « Saule » (littéralement « arbre souple »). Importance des surnoms pour distinguer les familles : Mizuba « Point d’eau ». Tamuro « Derrière les rizières ». Shintaku « Maison neuve »… Le grand cèdre en guise de repère spatial (la lune se lève juste derrière l’arbre) et temporel (il indique l’ancienneté du village). Et le perchiste dans le champ de prise de vue comme repère d’échelle. Interview d’Alberola : « Je parle du paysan universel, du cinématographe, et tout ça au milieu de la mondialisation et de la virtualisation des images. » Le réalisateur fait visionner aux villageois la ligne du T.G.V. Shinkansen « Nouvelle ligne principale » et son entrée dans Tōkyō : Accélération. Mégalopole rutilante. Gratte-ciels. Pubs, enseignes claironnantes. Contraste visuel. Humour d’un vieil homme : « On voit bien la différence entre Tōkyō et Koyamaru ! » Oui, en effet, on voit. Dernier plan : le train pénétrant dans un tunnel… Trou noir. Second volet : L’été et l’automne Villageoises de Koyamaru. À droite, la dame haïkiste. Où que j’aille je ne m’éloigne pas, pourtant il reste plus seul que l’homme le plus abandonné. Marc Guyon Jeux d’écho : une vieille femme s’amuse à crier. La poésie comme recherche de l’écho en langue. Voix off : « On y va ! » Madame Yanagi, rieuse, lit dans un cahier ses poèmes à haute voix : « Selon mon humeur, les haïkus me viennent à l’esprit, spontanément. » Elle dit un haïku, écrit en 1997, année où il a peu neigé (elle a montré son poème à son maître, car l’art du haïku ne se bricole pas à partir de manuels, mais se transmet de maître à disciple) : Pour le Nouvel An / suis allée en bottes au temple… / La neige me manque ! (Madame Yanagi, trad. R.H.) Son mari : « Elle compose pour son propre plaisir. » Elle lit seulement trois haïkus « C’est assez. » Elle déclame sur un ton légèrement chantant, hésite un peu, s’excuse : « Je me suis trompée ! » Elle vérifie la métrique en comptant avec application sur ses doigts… Cinéma : vues à travers la baie vitrée ou dans le rétroviseur d’une camionnette. Écran dans l’écran. Caméra plus proche. Plans serrés, mais refus d’intrusion dans la vie des villageois. Ego du réalisateur « en retrait » (Alberola), grande leçon artistique. À mettre en parallèle avec le regard pudique de Raymond Depardon sur notre monde rural dans Profils paysans. « Toujours curieux de ne pas passer à côté des choses simples, si simples que je risquais de ne plus les voir... » Tressage de chapeaux en carex (kasasugi). Bâches et parapluies sur les légumes pour les protéger pendant la saison des pluies (tsuyu), autre mot de saison. Filets sur les cultures potagères contre les corbeaux et les blaireaux. On entend le chant des grillons, des grenouilles. Bonjour, Bashô ! Salut, Issa ! Coucou, Santōka ! Le facteur fait sa tournée en moto. Le monde est loin ; le monde est proche ; le monde est flottant… La vieille dame pollinisant ses fleurs de pastèques (suika) à la main, « mais les abeilles le font mieux que moi ». L’insecte (un sphinx ?) qui vient butiner l’œil de la caméra. Les légumes sont considérés comme des « enfants » (kodomo). Courges (hechima), concombres (kyuuri), aubergines (nasu), soja (daïzu), citrouilles (kabocha) qui est un mot de saison pour l’automne. Et cette nouveauté : le brocoli. La femme à la hotte (se-ita). Culture de champignons sur souches (nameko et shiitaké). Horizon bouché – Coulemelles et girolles, le sous-bois s’allume ! À côté, champs abandonnés, jardins laissés en friche. « On m’a dit que pour diminuer la quantité de CO2, c’était très bien qu’il y ait des herbes. », ironise l’ancien riziculteur. Mal de vivre des paysans. La femme dépressive. Nombreux cas de suicide : « trop grand pas à faire ». 15 août, fête des Morts (Bon) : danse, déguisement, cadeaux. Lourds souvenirs de guerre… Animaux ensorcelants : belettes et renards. Évocation des légendes toujours vivantes : « le Renard lumineux » (kitsuné). Les gens semblent y croire encore. S’interrogent sur les temples dédiés à Inari, le Renard, divinité de la Moisson. Racontent des histoires de fantôme (comme au cinéma, il y est question de lumière et de voix). Voix off : « Il filme encore ? » Nouvelles perspectives : Boyko Stoïanov, musicien bulgare, installé à Koyamaru, depuis quelques années (d’abord seul, puis, avec sa jeune femme brésilienne et, plus tard, avec ses quatre enfants). Il parle couramment le japonais. Il célèbre la nature. Il chante le bruit de la pluie. « Je pense que ma musique est liée à ces montagnes et à tous ces gens. » Il crie à la cantonade : « Vous m’entendez ? », puis : « Magnifique ! », puis : « Merci, merci ! » L’un de ses gosses joue du tambour, en extérieur. Répercussions. Autres horizons visuels et sonores… Dernière minute : le tambour dans la montagne creuse un puits d’échos. Interview d’Alberola : « Koyamaru est un film politique. Il exprime ce que nous sommes profondément, mais que la société refuse que nous soyons. » « Ko.ya.maru » 小屋丸. Le nom du village peut se traduire par « Petit (小) toit (屋) cercle (丸). » Pourquoi ce modeste trou terrestre, à la vie réglée sur les saisons, n’aurait-il pas sa place sous le ciel, au même titre que Tōkyō, New York ou Paris ? On pense à la forte parole de Paul Virilio : « Le temps humain n’est pas le temps-machine. » La vitesse du poème n’est pas la vitesse électronique. Crête du présent à trouver. Comment s’appelle la maison qui a produit ce beau film ? « Mirage illimité. » Comme le cinéma. Et comme le haïku. Le poème va vers les jolies filles. Roland Halbert, président de Haïkouest Arte France VOD, 33, 98 €. v comme Voilà… Dix-huitième édition de « la lettre » pour une participation active de la part de nous tous : une idée, une réflexion, une lecture, un article etc. « La Lettre » reste toujours à construire autour des objectifs de communication et de partage qui nous réunissent. Bonne réception et à bientôt. Très cordialement. en lr un éc ai la Lettre de Haïkouest Édition n°18, décembre 2010. ____________________________________ ISSN 2105-097X http://www.haikouest.net Haïkouest : Tous droits de reproduction et de représentation réservés ©Conception et réalisation Alain Legoin et Roland Halbert 2010