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Sports
La Gruyère No 3 / Samedi 9 janvier 2016 / www.lagruyere.ch
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A Yale, Ungersboeck découvre
l’esprit d’équipe et l’élitisme
////// Depuis cet été, Pascal Ungersboeck fréquente
aux Etats-Unis l’une des meilleures universités du
monde.
////// L’ancien champion de Suisse juniors de course
à pied étudie l’économie et s’entraîne tous les
jours avec l’équipe de cross.
////// L’élitisme, la compétition, les traditions et son
avenir, le Riazois de 21 ans raconte.
KARINE ALLEMANN
COURSE À PIED. Il y a des chances
pour que Pascal Ungersboeck
côtoie actuellement un futur
président américain. Peut-être
partage-t-il sa chambre avec
lui dans le campus de l’Université de Yale, ou s’est-il assis à
coté de lui, ou elle, au réfectoire?
«C’est bien possible, en effet»
rigole le coureur à pied, champion de Suisse chez les juniors
sur 1500, 3000 et 5000 m. Dire
que cette institution privée de
New Haven, dans le Connecticut
(près de New York), est prestigieuse, ne suffit pas. C’est l’une
des meilleures universités des
Etats-Unis, et du monde, fréquentée par George W Bush,
Bill et Hillary Clinton. L’été dernier pour la remise des diplômes, c’est le vice-président
Joe Biden qui est venu faire le
discours. «Bush Junior n’avait
pas de très bonnes notes. Tandis que les Clinton étaient vraiment brillants», rapporte Pascal
Ungersboeck, rencontré alors
qu’il est en visite chez sa maman, à Riaz.
La compétition poussée à
son extrême, l’élitisme de ces
grandes universités, la
fracture sociale générée par le système
américain, mais aussi
le chaleureux accueil de son équipe
de cross et les
belles performances sportives réalisées avec la casaque bleue de Yale: le
jeune homme de 21 ans
a le discours enthousiaste, intelligent et lucide, exactement à son
image. Car dans les universités de l’Ivy League,
qui regroupe les plus
grandes écoles du nordest que sont Harvard, Princeton, Dartmouth, Cornell,
Columbia, Pennsylvania et
Brown, on est loin des diplômes au rabais décrochés
par les sportifs quasi professionnels de certaines écoles.
Comment s’est passée votre
arrivée à Yale?
Cela a commencé le 24 août
par une semaine de camp avec
l’équipe de cross, dans une colonie de vacances située dans
la forêt, à deux heures du campus. Il s’agissait d’une sorte de
team building, car si la course
à pied est un sport individuel,
là-bas, les compétitions se
jouent en équipe. Sept ou dix
coureurs sont alignés, et les
cinq meilleurs résultats comptent. Nous avons un coach professionnel, un assistant et un
physio.
J’ai été très surpris par l’ambiance et la solidarité d’équipe,
ce que je ne connaissais pas en
Suisse. Dès mon arrivée, mes
coéquipiers m’ont beaucoup
aidé. Pour porter mes valises,
trouver ma chambre dans le
campus, choisir mes cours…
On peut qualifier les Américains
de superficiels, mais ce côté
chaleureux est très agréable.
Quelles branches avez-vous
choisies?
Si j’étais resté en Suisse,
je me serais dirigé vers l’économie, à Saint-Gall. Mais
j’avais envie de plus. A
Yale, nous prenons des
cours à la carte. Il faut
en choisir quatre ou
cinq chaque semestre. Mon intention
va vers l’économie,
que je complète
avec des maths et du
russe.
Quelle est votre semaine
type?
Mes douze heures de
cours par semaine correspondent à peu près à ce qui
se fait en Suisse. Des entraînements ont lieu tous les jours
Pascal Ungersboeck: «Les grandes universités privées travaillent beaucoup sur ce problème d’inégalité aux Etats-Unis.» CHLOÉ LAMBERT
et le dimanche nous avons le
traditionnel long run de 20 ou
30 km. J’ai la chance que mes
cours commencent à 10 h 30,
et je les termine à 12 h 30 ou à
14 h 10. Puis, c’est l’entraînement de l’après-midi, jusque
vers 18 h 30. De retour au campus, nous mangeons toute
l’équipe ensemble. Dès 19 h 30,
je travaille mes cours jusqu’à
2 h ou 3 h du matin.
On imagine à quel point une
telle université peut être élitiste. Un aspect d’ailleurs totalement assumé. Comment le
ressentez-vous au quotidien?
En effet, le système est basé
sur l’élitisme, mais aussi sur la
compétition. Par exemple, nous
ne sommes pas notés sur notre
performance à l’examen. Mais
sur notre performance par rapport aux autres. Si tu veux un
A, il faut être dans les premiers
15% de la classe. Soit dans les
50 sur 350. Moi, j’adore ça, je
trouve ce système génial! Il y
«Nous ne sommes pas notés sur notre performance à l’examen, mais sur notre performance
par rapport aux autres. Je le prends comme
un défi et un jeu.» PASCAL UNGERSBOECK
en a pour qui c’est une pression
supplémentaire. Pour moi, c’est
un défi et un jeu. Tous les gens
que je rencontre sont des gars
et des filles hyper investis dans
ce qu’ils font.
Intellectuellement, cela doit
être vraiment stimulant.
Oui! On débat de tous les sujets actuels. Même une fois
qu’on a quitté la classe, on
continue de faire fonctionner
le cerveau. Après, le point négatif est que nous ne sortons
jamais de notre bulle. En quatre
mois, je n’ai rencontré personne
en dehors du campus. Alors
que la ville de New Haven est
grande comme Lausanne.
Les étudiants viennent-ils tous
d’un milieu très aisé?
Oui, quasiment. Les problèmes sociaux américains sont
connus: leur éducation publique est misérable. Et, malheureusement, suivant dans
quel quartier tu nais, tu n’auras
pas accès à la même éducation.
Après, les grandes universités
privées travaillent beaucoup
sur ce problème et font des efforts pour favoriser des étudiants d’un autre milieu. Le
prix de l’écolage est basé sur le
revenu des parents. Il va de 0 à
70000 francs par an selon leur
fortune. Pour les familles pauvres, les études à Yale peuvent
être les moins chères du pays.
Et des programmes existent en
Afrique et en Asie du sud-est.
Ils essaient d’y recruter des esprits brillants pour les accompagner dans leur scolarité.
Les universités comme Yale
semblent basées sur de longues
traditions. Comment cet héritage se ressent-il?
En effet. Au sein de notre
équipe de cross, qui existe depuis cent vingt ans, des choses
se font chaque année depuis le
début, comme le grand banquet
de Noël. L’événement le plus
important est le match YaleHarvard-Oxford-Cambridge.
L’été dernier, c’était en Angleterre. Ce sera chez nous
en 2016. Il s’agit de la plus ancienne rencontre internationale d’athlétisme. Encore plus
ancienne que les jeux Olympiques modernes. Cet événement a contribué au développement et à l’histoire de l’athlétisme. En tant que passionné,
ça me touche.
Quelque chose de très historique également est l’énorme
rivalité avec Harvard. Dernièrement, je suis allé assister au
Sa «plus belle expérience sportive» dans un parc du Bronx
Sur le plan sportif, comment se sont passé ces quatre mois?
J’étais dans l’inconnu par rapport à mon avenir
athlétique. Car mes deux dernières années avaient été
misérables, en raison d’une inflammation des tendons
d’Achille qui revenait sans cesse. Je viens de faire
quatre mois sans blessure, ce qui ne m’était plus arrivé
depuis longtemps. Nous sommes 25 dans l’équipe,
dont 18 à faire du cross. Le coach en a pris 10 pour la
première course, puis seuls sept athlètes ont fait les
voyages pour les championnats. J’ai commencé à la 8e
place et, actuellement, je suis bien installé à la 6e. J’ai
donc pu participer à toutes les compétitions. J’ai notamment réalisé une excellente course à un grand meeting national avec un temps de 24’50 sur 8 km. J’ai
terminé 186e sur 350… J’avais déjà connu des départs
aux championnats d’Europe de cross où ça poussait
beaucoup. Mais, là, c’était trois fois pire. Dans les pe-
lotons, il y a une grosse densité de bons coureurs qui
sont autour des 30 minutes sur 10 km.
Quelle a été la plus belle course?
Un championnat de conférence, dans un parc du
Bronx, à New York. C’est ma plus belle expérience
sportive. Je me sentais vraiment bien et je me suis classé
5e place au niveau de l’équipe, alors que le parcours
avec des talus où il fallait quasiment mettre les mains
ne me convenait pas du tout. Nous avons terminé 3e sur
les huit équipes de l’Ivy League. Soit notre meilleur
résultat depuis 1991. Notre coach était au bord des
larmes. Cela a fait pas mal de bruit, le directeur athlétique
de Yale est venu nous féliciter le lendemain. Et, deuxième
satisfaction, Harvard n’avait terminé que 7e...
Il y avait énormément de monde. Comme de nombreux anciens étudiants travaillent à New York, beaucoup
avaient pris sur la pause de midi pour venir assister à
la course. Là aussi, on sentait la rivalité entre les universités. Sur mon finish, il y avait un étudiant de
Harvard juste devant moi. J’entendais beaucoup de
gens hurler «Go Yale! Chope-le!»
Quelles sont vos ambitions sportives?
Nous allons débuter avec les courses sur piste en
indoor, puis en outdoor. Le niveau que j’aimerais retrouver, ce sont mes 8’29 sur 3000 m. Mais je suis beaucoup moins focalisé sur une performance à la seconde
près. Disons que la corrélation entre mon temps sur
10000 m et mon bonheur personnel est moins élevée
que par le passé. Toutefois, j’aime toujours autant la
compétition. Je n’aurais pas de plaisir à faire un footing
ou à participer à une course en ville déguisé. Mon
plaisir, ça reste de courir vite sur une piste. KA
match de foot américain YaleHarvard, qui a lieu depuis cent
cinquante ans. Ils comptent les
points depuis le début. Pour
l’instant, Yale est toujours devant.
Comment cela se passe pour
vous sur le plan scolaire?
Au début, j’ai pas mal galéré
avec la langue. Aujourd’hui,
j’arrive à penser en anglais et à
écrire directement dans la
bonne langue. Les notes, ça va
bien, j’ai des A et des A –. Je
suis très content, mais je travaille beaucoup pour cela. Ne
pas tout mettre en œuvre pour
réussir, ce serait quand même
gâcher ma chance. ■
«Une expérience
irremplaçable»
Sa participation aux championnats d’Europe juniors de cross, en
2013, avait attiré l’attention des
recruteurs américains. «C’est là
qu’est née mon idée d’aller étudier aux Etats-Unis», rappelle
Pascal Ungersboeck. En 2014, il
écrit à différentes universités.
«Sur 25 envois, je n’ai obtenu que
cinq réponses. J’ai dû remplir un
dossier avec mes résultats scolaires, des lettres de recommandation des profs et des rédactions
personnelles. En Ivy League, il n’y
a pas de bourse pour les sportifs.
Les coaches peuvent juste soutenir une candidature, ce qu’a fait
celui de Yale.» A-t-il été retenu
pour ses performances scolaires
ou sportives? «Le soutien du
coach a sûrement compté. Mais,
sans les résultats scolaires, on en
serait restés là. Bien sûr, c’est un
investissement, et nous avons dû
en parler avec mes parents. Mais
je suis persuadé que cela va
payer, sur le plan financier et celui
de mon développement. Cette
expérience est irremplaçable.»
Son avenir professionnel, Pascal
Ungersboeck le voit bien du côté
de New York, dans la finance. KA