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Des chroniques et des hommes…
Les chroniques du Yétibet sont nées de deux réflexions conjointes. Tout
d’abord, celle que je mène autour de mon dico des mots valises, qui, de loin en
loin, m’inspire de nouveaux termes. Ensuite le regard ahuri et chagrin que je
pose sur les échanges souvent violents, les attaques ad hominem, que j’ai pu
constater dans l’univers impitoyable de Médiapart.
Au final, le Yétibet m’est devenu indispensable et je pense qu’il finira par
s’enrichir. La chanson de geste du Yétibet a encore de beaux jours devant elle.
Cela étant dit, parfois les textes sont totalement incompréhensibles si la lecture
ne s’accompagne pas de celle du dico des mots valises. Il est là.
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Du Yétibet
Le Yétibet était une région montagneuse, située dans l’Himalayack1, culminant
à des altitudes où l’oxygène se raréfiait notablement. Alors qu’une nature
logique l’aurait peuplé de petits êtres aux poumons atrophiés, voilà que ce
royaume abritait des yétis, sorte de grands primates poilus, plutôt débonnaires
et très occupés par leur vie sociale. La taille moyenne du yéti variait, en
système métrique, entre 2,25 mètres et 3,88 mètres. En système yéti, on ne
connaissait pas l’étalon, ce qui faisait écrire aux chroniqueurs locaux des
descriptions curieuses : « il est grand comme l’arbre à salami abattu par la
tempête de l’an 52 du règne de Yétibère », ou encore « la demoiselle peut
effleurer le plafond de son yétivoli avec sa houppe nuptiale ».
Ce pays, inconnu des hommes ou presque, comportait quatre régions : le
Pourceaugnac, le Chevreaugnac, le Lapereaugnac et l’Arme-à-Gnac. Chacune
de ces régions avait des caractéristiques sociologiques marquées. Le
Pourceaugnac se consacrait essentiellement à l’élevage de zébulbes 2. La
mission du Chevreaugnac consistait à ramasser les zébulots dans les rivières,
à cultiver le brouissaioli3 et à fabriquer les farfeluths4. Le Lapereaugnac
1
Himalayack : Chaîne de montagnes pointues et pentues qui abrite le Yétibet.
2
Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet.
Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de
l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors
des grandes fêtes rituelles.
3
Broussaioli : Arbre à mayonnaise. Les morustiques préfèrent d'ailleurs les
bottes de broussaioli aux bottes de foin.
4
Farfeluth : Instrument de musique atypique, à cordes et dont le nombre est
compris entre 1 et 1253. La caisse de résonance est en bois, mais on connaît
des farfeluths en zinc. On raconte que Stradivariusufruit mena des recherches
avec des matériaux comme le coton ou le marbre. Il n'a pas laissé d'écrits sur
ses découvertes éventuelles. Le farfeluth possède un manche au minimum. À
partir de 8 manches, l'instrument devenant compliqué à jouer, on parle de
farfeluths à plusieurs mains. Ce qui caractérise cet objet, c'est son inutilité dans
un orchestre symphonique. En effet, quelle que soit la manière dont il est joué,
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s’occupait, quant à lui, de la construction en dur, yétipis5 et autres yétivolis6.
L’Arme-à-Gnac était le siège du pouvoir, l’administration centrale, le bric-à-brac
de l’état.
D’un point de vue historique, le Yétibet était une vieille civilisation, aussi vieille
que le plissement herniaire qui avait créé les reliefs. Il n’avait pas toujours été
un empire. Dans les temps d’avant l’histoire, de nombreuses escarmouches
avaient opposé les yétis blanc-banal aux yétis blanc-rare, pour des raisons
ethniques aussi vaseuses qu’idiotes. Le conseil des sages de l’an 483 après
Yéthimus et Yétumulus7 mit fin à ces querelles. Il institua l’empire héréditaire
doté d’une constitution parlementaire. Mais le gouvernement restait compliqué,
voire complexe.
Chacune des régions avait sa propre assemblée, votait ses lois, négociait ses
échanges avec ses voisines. Le bien commun n’était jamais à l’ordre du jour,
seuls les intérêts particuliers, les népotismes calculateurs motivaient les élus.
En cela, le Yétibet était exceptionnel. Chacun sait que, sur le reste de la
planète, ces travers des démocraties n’ont plus cours. Le Yétibet, isolé, ignorait
que d’autres types de gouvernances étaient possibles.
on n’est jamais certain de la note qui voudra bien s'envoler. Ce qui pose
problème avec des partitions classiques.
5
Yétipi : espace aménagé dédié à la consommation partagée d’arnicalumets.
6
Yétivoli : Grotte aménagée pour les yétis qui ne vivent pas dans une ferme,
afin de célébrer leurs mariages. Les yétis libidineufs et libidineuves installent
souvent un coin yétivoli dans leur grotte personnelle.
7
Yéthimus et Yétumulus (vers -225/-175 av. JC) : Jumeaux à qui la légende
attribue la création du Yétibet. Ils auraient lancé chacun une boule de neige du
haut d'un pic perchés, qui, prenant du volume, se seraient violemment
entrechoquées au bout de quelques heures de roulade. Il en aurait résulté un
gigantesque nuage de poudreuse qui, en retombant, aurait délimité les
frontières du pays. On suppose que la Mairiche du Yétibet est située à l'exact
emplacement du point d'impact.
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Un empereur représentait le lien de la nation, mais à chaque décade
yétibétaine, le peuple élisait un gouvernement qui remettait le pouvoir à un
Présidense8. Évidemment, comme c’est l’usage, le Présidense abandonnait son
nom de baptême pour un pseudonyme politique, et s’entourait de sa clique de
moutontons9. Ainsi, quand Yétyran avait, enfin, après ruses et cajoleries,
promesses et engagements, revêtu la ridiculotte du pouvoir, il avait pris le doux
nom de Nictoplasme Razratis. Son action ayant été catastrophique pour le
Yétibet, il avait dû laisser la place, chaude et fumante, à Yétidem qui se choisit
le pseudonyme d’Anchois Morflande. D’ailleurs, Anchois était récurrent dans la
généalogie des Présidences. Déjà, Yétinox, à l’affût, envisageait de devenir
Anchois Mignon. Il se prévalait de son expérience de moutonton de
Nictoplasme Razratis.
Pour l’heure, Yétibère avait porté un projet de confédération des nations yétis,
organisé les échanges au sein des territoires, mis en circulation une monnaie
unique, le yétique, formalisé les règles de droit, de l’impôt, de l’éducation qui
étaient censées être communes. Mais la nature du Yéti étant versatile, chacune
des régions revendiquait une exception culturelle, des passe-droits, des
avantages, qu’elle déniait aux autres. Si les yétis avaient connu l’Homme, ils se
seraient sans doute inspirés de la douce bienveillance et de la collaboration
inébranlable qui reliaient les nations humaines entre elles. Mais ils ne le
connaissaient pas. À peine l’imaginaient-ils. Ils avaient parfois aperçu des
petites choses hurlantes et terrifiées, portant d’immenses plaques tressées aux
pieds, et qui détalaient à leur rencontre. Ils n’avaient pas compris qu’ils
partageaient la terre avec une espèce vaguement cousine qui devait cuire sous
8
Présidense: Homme ou femme de pouvoir omnipotent qui occupe le devant
de la scène avec un certain poids.
9
Moutonton : Oncle qui ne contrarie jamais personne - sens figuré : certains
collaborateurs des Présidenses de la république sont surnommés "Les
moutontons du Présidense"...
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le soleil des plaines. Et celles ou ceux qui évoquaient cette possibilité se
faisaient traiter d’icônnards ou d’icônasses10.
Pour faire bref, on était sous le règne de Yétibère ; sous la Présidense
d’Anchois Morflande, et la parole était monopolisée par la secte des
bordélégués11.
10
Icônnard, Icônasse : Lorsqu’un individu atteint au sublime quant à
l’expression d’un regard particulièrement vide et d’une parole particulièrement
creuse, qu’il faudrait élever un piédestal à ce vide, peindre un portrait de
l’impétrant, alors, on peut le traiter d’icônnard ou d’icônasse (genré).
11
Bordélégué : Grande gueule dans une multinationale. Le même terme peut
être utilisé, certes de manière un tantinet abusive, quand le bordélégué est un
yéti. En général, ce sont les réunions de yétivolis qui tiennent lieu de
multinationale.
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Où l’on rencontre Yétrissotine
Le Yétibet12 est un petit pays caché aux yeux des hommes. Il abrite cependant
une civilisation érudite et raffinée. Vue de la vallée, la grande montagne n’est
qu’un immense désert de neige qui se peuple, quand la pente se fait douce,
d’une forêt de conifères. Le monde des hommes et celui des yétis s’ignorent
depuis le début de l’histoire. Ils ne se voient pas. Sauf dans des occasions très
exceptionnelles…
C’était en l’an de grâce 156 du règne du grand Yétibère13…
Yétrissotine était une jeune donzelle au poil fourni, dont le blanc appartenait
aux nuances rares. Elle était au service de l’Empereur Yétibère depuis qu’elle
avait atteint sa majorité. Elle venait de fêter ses 55 ans et regardait l’avenir avec
ce sourire niais qu’ont les jeunes yéties quand elles ont rencontré un
légendre14. Yétrissotine était cependant une célibataire militante. Elle préférait
se consacrer à ses recherches. Elle était chargée de l’humeur de l’Empereur. Et
ce n’était pas une mince affaire que de s’occuper des émois et moiteurs du Yéti
suprême. Elle avait obtenu son doctorat de Pragmatique en Problématique et
était une des rares personnes habilitée et habile à résoudre n’importe quel
problème. Elle adorait son boulot, lui consacrant presque tout son temps.
12
Yétibet : Pays montagneux où vivent les yétis.
13
Yétibère (1710-1980) : Dernier empereur yéti dont l'action pour la libération
de la femelle a été déterminante. C'est lui qui, entre autres mesures, a interdit la
main aux fesses lors des congratulations du matin.
14
Légendre : Le légendre est au prince charmant, ce qu'une belle-mère
discrète, compréhensive et généreuse est à un jeune couple, extrêmement
rare. Toutes les femelles yétis rêvent de voir leur fille épouser un légendre.
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En dehors de son service, elle avait une autre passion : l’écriture. Elle passait
de longues heures à rédiger la geste du Yétibet, piquant çà et là son récit de
considérations personnelles. Et elle tenait un blog sur le Yétiweb15.
Elle entretenait des relations agréables et conviviales avec nombre de ses
congénères qui, comme elles, utilisaient l’outil de communication à des fins
d’échanges. Mais elle avait eu le malheur, au cours de ses pérégrinations
filaires, de se heurter à quelques importuns, des aristocrabes16 atrabilaires. Et
ces goujats, plutôt que de lui laisser vivre ses petits délires bien inoffensifs, la
poursuivaient de leur hargne pathologique. Parmi eux, il y avait…
… Yétivan, le poète officiel de la cour, maudit, qui œuvrait sous un pseudonyme
au FLY, le Front de Libération du Yétibet. Quasiment schizophrène, puisqu’il lui
fallait, dans la même heure écrire un hymne au souverain, et torcher un
pamphlet révolutionnaire.
… Yétipote, un bougon reconverti, pas vraiment méchant, mais pas vraiment
malin non plus. Yétipote appartenait à la secte des Antisceptiques17.
… Yétarte, le « qui sait tout de service », mais qui, en fait, passait son temps à
recopier les textes des autres, se donnant de la référence comme les vierges
se donnent de la pudeur.
… Yétilait, le bouffon de Yétibère, que l’obligation de faire rire le bonhomme
avait fini par remplir d’amertume et d’aigreur. Il jouait admirablement du
farfeluth18.
15
Yétiweb : réseau filaire qui permet aux yétis de communiquer en tout lieu du
Yétibet. Il emploie de nombreux membres qui répètent dans un cornet
acoustique toutes les nouvelles ou textes qui leur sont soumis.
16
Aristocrabe : Type d'individu appartenant à la vieille noblesse et qui longe
les murs pour le faire oublier.
17
Antisceptique : Un antisceptique croit que ceux qui croient qu'il ne faut pas
croire, ou croire en rien ni en personne, ne sont que des incroyants...
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… Et enfin, il y avait Yétipatique, le journaliste, pétri d’arrogance, bien que doté
d’un immense talent. Il troussait ses articles comme on trousse la walkirigole 19.
Il se piquait de pédagogie, alors qu’il donnait plutôt la « question », au sens
médiéval. Et sa pédagogie, la plupart des yétis pensaient par devers eux, qu’il
pouvait la traiter comme on traite un suppositoire.
Au moment où commence cette histoire, Yétrissotine venait de vivre sa
première querelle avec ses détracteurs. Elle n’était pas dupe, cette querelle
n’était qu’une escarmouche ridicule, dans laquelle elle avait, aussi, une part de
responsabilité. Mais comme c’était une yétie bien élevée, elle avait lâché,
pensant que chacun aurait tout à gagner à vivre sa vie de yéti sans trop se
préoccuper des autres. Quel était l’intérêt de se harceler alors que l’espace était
suffisamment vaste pour une cohabitation pacifique ? Manifestement, le
pléthoriquet20 ne voyait pas les choses ainsi. Le pléthoriquet souffrait de
manque d’humour pathologique, ce qui le rendait souvent hargneux.
Yétrissotine avait, de plus, la lourde charge de préparer le bain impérial. Il faut
savoir que, chez les yétis, la température de l’eau est un drame. Ils ne savent
se laver que dans la glace ou dans l’eau bouillante. L’eau tiède est un
inaccompli, pour eux.
18
Farfeluth : Instrument de musique atypique, à cordes et dont le nombre est
compris entre 1 et 1253. La caisse de résonance est en bois, mais on connaît
des farfeluths en zinc. On raconte que Stradivariusufruit mena des recherches
avec des matériaux comme le coton ou le marbre. Il n'a pas laissé d'écrits sur
ses découvertes éventuelles. Le farfeluth possède un manche au minimum. A
partir de 8 manches, l'instrument devenant compliqué à jouer, on parle de
farfeluths à plusieurs mains. Ce qui caractérise cet objet, c'est son inutilité dans
un orchestre symphonique. En effet, quelle que soit la manière dont il est joué,
on n’est jamais certain de la note qui voudra bien s'envoler. Ce qui pose
problème avec des partitions classiques.
19
Walkirigole : Personnage mythique de la chanson de geste yéti. La
Walkirigole est une sorte de sorcière enrobée, qui condamne les époux
infidèles à dépérire.
20
Pléthoriquet (à la houppe) : Groupe d'individus qui, bien qu'affichant sinon
de la laideur, du moins un physique ingrat, n'en demeurent pas moins des
princes. Certains sont roux. Gr. : attention, l'expression "un groupe de
pléthoriquets" est un pléonasme.
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Alors qu’elle polémiquait avec Yétipote tout en s’affairant à sa tâche, le malotru
lui lança, d’un air rogue : « Ma pauvre Yétrissotine, vous êtes incapable
d’inventer l’eau chaude ». Il ignorait, le bougre, qu’elle se débattait avec la
baignoire du palais. Au point que son pelage en faisait des tresses.
Mais là où n’importe quel yéti se serait réfugié à la cervelatrine 21 la plus proche,
Yétrissotine retint son souffle… elle avait trouvé. Grâce à l’aiguillon mesquin
planté par Yétipote dans le flanc de la donzelle, elle imagina… le fil à couper le
foie gras d’oie.
Il faudrait attendre encore quelques décennies avant qu’elle ne pense à
inventer le fil à couper le foie gras de canard.
21
Cervelatrine : Lieu d'aisance où se vider la tête. Certains yétis libidineufs
s'enferment régulièrement dans les cervelatrines.
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Inauguration au Yétibet
Yétoile était l’artiste, la commerçante, la touche à tout du Yétibet. Elle avait
obtenu un doctorat es Expérimentation Économiques et Politiques. Elle souffrait
d’armorsure22 chronique, et nul ne pouvait dire à quoi était due cette affection.
D’aucuns affirmaient qu’elle ne savait pas se situer dans le paysage politique
yétibétain, et que sa mine amertuméfiée23 était liée à ses doutes perpétuels.
Le paysage yétibétain était assez particulier et plutôt singulier quant à son
fonctionnement. Deux partis s’affrontaient, au-dessus desquels l’empereur
arbitrait et trônait. Il y avait le parti des pisse-droit et le parti des pisse-gauche.
Les noms gardaient trace de l’époque où la femelle était exclue des débats, du
moins c’est ce que croyait le commun des yétis. La vulgate attribuait, à tort, à
des particularités anatomiques ces appellations. En fait, mais on l’avait oublié,
cela venait du moment lointain où ces partis s’étaient constitués par un choix
d’allégeance à l’un des deux jumeaux, pères de la nation: Yéthimus et
Yétumulus24. Ce choix faisait référence à la trajectoire empruntée par chacune
des boules de neige fondatrices. Les pisse-droit siégeaient à gauche et les
22
Amorsure : Sentiment particulier qui laisse des traces profondes, et parfois,
de douloureuses cicatrices.
23
Amertuméfié (e) - Amertuméfaction : Se dit d'un visage ou d'une
expression si douloureuse, si triste, si pleine de désespoir et de déception que
les yeux gonflent, les lèvres tremblotent, le front se plisse irrémédiablement, les
joues s'affaissent et le menton se met à fuir. Nul ne sait les raisons qui font que
certaines personnes déclenchent une crise d'amertuméfaction. Aux dires des
scientifiques qui se penchent sur la question, le fait de vivre une ugnon pourrait
accélérer l'apparition de la crise. Il paraît que Laurence d'Arabibine, sur la fin de
sa vie, avait la mine amertuméfiée. Sans doute l'abus d'apéros
gourgandinatoires.
24
Yéthimus et Yétumulus (vers -225/-175 av. JC) : Jumeaux à qui la légende
attribue la création du Yétibet. Ils auraient lancé chacun une boule de neige du
haut d'un pic perchés, qui, prenant du volume, se seraient violemment
entrechoquées au bout de quelques heures de roulade. Il en aurait résulté un
gigantesque nuage de poudreuse qui, en retombant, aurait délimité les
frontières du pays. On suppose que la Mairiche du Yétibet est située à l'exact
emplacement du point d'impact.
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pisse-gauche à droite de l’assemblée des pairs yétibétains. L’appartenance à
l’un des deux partis ne devait rien à la raison, mais tout au hasard. En effet,
quand un yéti atteignait l’âge de raison, très exactement le jour de son 42ème
anniversaire, il devait passer au panier à deux boules. Et tirer celle qui
déterminerait jusqu’à sa fin son appartenance politique. La boule bleue intimait
l’ordre de rejoindre les pisse-gauche, la boule rouge celui de militer chez les
pisse-droit. Bref, c’était complexe. Et Yétoile, n’y trouvant pas son compte,
aurait préféré tirer une boule blanche qui l’aurait libérée d’une quelconque
obédience. Sauf que la boule blanche n’existait pas. Le système aurait été vu
comme contestable, côté planète des humains, mais il avait l’avantage de ne
pas alimenter d’interminables débats sur la légitimité des votes. L’adoption des
lois et autres évolutions de la société ne devait rien à la discussion, mais tout à
la démographie et au tirage.
Yétoile, partagée et insatisfaite, avait rejoint une société secrète : « Les
adorateurs de la Bourrique Céleste », où elle était d’ailleurs la seule courtisane,
puisqu’elle en était la créatrice. Et sa mission, auprès du grand Yétibère25,
consistait à animer les activités artistiques, culturelles, mais non dépourvues de
but mercantiles, du royaume.
Et ce jour-là, Yétoile attendait, fébrile, l’heure de l’inauguration de son
exposition baptisée « Indignations à rendre ou à casser : un concept, des
produits ». Attentive au monde, elle savait, en humant l’air du temps, coller à
l’actualité, créer ces objets qui distrairaient ou feraient réfléchir. Elle avait
dressé un buffet coloré, où, onctueuses, les cinq crèmes26 de la gastronomie
25
Yétibère (1710-1980) : Dernier empereur yéti dont l'action pour la libération
de la femelle a été déterminante. C'est lui qui, entre autres mesures, a interdit la
main aux fesses lors des congratulations du matin.
26
Crèmasculée : Première des cinq sortes de crème qui sont confectionnées
au Yétibet. Chacune des crèmes a des fonctions festives et conviviales très
particulières. Toutes les préparations sont à base de lait de zébulbe. Il s’agit de
fouetter la crème sans le moindre arrêt durant une bonne dizaine d’heures. Le
yéti est solide et constant, mais quand même ! Souvent, quand sont lancées
des cuisines de crèmes, les familles s’organisent afin de se relayer. Le seul yéti
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yétibétaine, voisinaient avec la liqueurdelion27. On était à une heure du discours
de l’empereur, et, festondue28 de frais, elle pouvait enfin s’interroger sur sa
nouvelle proposition, autant que visiter ses souvenirs.
Certaines de ses créations avaient fait un flop, d’autres avaient été de réels
succès. Et, parmi ses œuvres, au moins deux lui revenaient souvent en
mémoire…
… « Les petits crédits », qui ne rencontrèrent, à prix initial, qu’un succès
d’estime. C’est quand elle les avait soldés qu’elle put vider son arrière-boutique
pour faire de la place à de nouveaux produits.
… « Les indulgences », qui elles, s’épuisèrent en quelques semaines. Elle avait
ouï dire que les humains (encore que l’existence des humains était sujette à
discussion) avaient récupéré le concept dans un temps pas si ancien que ça.
Et à force d’entendre râler le peuple yéti, elle avait décidé de se pencher sur la
question de l’indignation. Il y avait…
connu qui bricolait dans son coin ses crèmes, sans demander de l’aide, était le
Chef Yétilote. Mais le fait est contesté par les yétistoriens.
La crémasculée est constituée de la préparation de base, agrémentée de
férociboulette ou de tortulipe selon la saison. Son effet est assez curieux
puisqu’elle transforme les ténors yétis en haute-contre pendant 24 heures, qui
atteignent au sublime contre-ut. Certains chanteurs d’opérapiat mangent de la
crémasculée pour tenir la note.
(voir également : créméchée, crémincée, crémolliente et crémoustillée)
27
Liqueurdelion : Messieurs, si vous voulez que votre amoureuse vous prenne
pour un preux chevalier, offrez-lui une petite liqueurdelion !
28
Festondre : Façon de couper les poils, très à la mode chez les yétis, qui
consiste, à l'aide d'une festondeuse, à cranter délicatement, en vagues
ondulées, les différents niveaux de poils. L'art de la festonsure a vu son apogée
sous Yétibère, lui-même prenant grand soin d'avoir toujours le pli fait et l'arrondi
harmonieux
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… L’indignation révoltée qui s’agitait dès que paraissait une nouvelle, entrainant
rumeurs et peurs, qui, quand on l’ouvrait, braillait jusqu’à ce qu’on la referme ce
slogan bien curieux et souvent incompris : « No caravane »…
… L’indignation larmoyante qui arrosait celui ou celle qui prendrait le risque
d’ouvrir le cœur en sucre dans lequel elle était enclose.
… L’indignation vertueuse, dont le paquetage affichait une vierge en majesté,
adoratrice de la Bourrique céleste, et qui faisait de sa pureté la seule voie
possible. Quand on l’ouvrait, on entendait une berceuse acidulée qui susurrait :
« La jouiscivette29 est une brouette à mâles ! ». Pour sûr, les militantes de la
cause femelle allaient s’irriter, ne saisissant pas la caricature ! Savoir si elles
trouveraient, parmi toutes les propositions de Yétoile, de quoi nourrir leur ire…
… Mais il y avait une indignation qui ne serait jamais vendue… Elle était
mignonne pourtant, joliment emballée avec un ruban aux couleurs de l’arc-enciel. Elle s’appelait « Je découvre que je contribue à tout ce qui m’indigne ».
29
Jouiscivette : Certains yétis, les femelles plus exactement, seraient parfois,
au moment de l'extase sexuelle, débordantes et dégoulinantes d'une substance
particulièrement odorante. Les mâles les appellent alors des jouiscivettes. À
noter que les parfumeurs paieraient une fortune pour capturer une jouiscivette
et que l'empereur Yétibère était friand de ce type de femelles. Il faut croire que
cette spectaculaire explosion de plaisir enivre les yétis mâles.
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Yétipote, chanteur d’opérapiat
Yétpote était un membre de la secte des antisceptiques. Il militait pour l’arrêt de
la célébration des grands ancêtres. Il fustigeait, notamment sur le yétiweb, toute
sorte d’hommage ou de considération respectueuse. Il aurait voulu un Yétibet
révolutionnaire, où il aurait été obligatoire de se teindre la toison en blanc banal
afin de faire disparaître les marques discriminatoires liées à l’origine du pelage.
Il œuvrait pour que la ridiculotte30 supplante la culottarie31. D’ailleurs, sa devise
préférée était : « Oui à l’égalité ! Oui à la ridiculotte ! ». Il parsemait ledit crédo
sur les façades des palimpsestaminets32 avec une obstination frisant
l’obsession.
Et ce jour-là, Yétipote faisait une crise de cocutanévrose33. Cette maladie étant
d’origine psychosomatique et caractérisée par des plaques rosées qui
parsèment la pilosité, Yétipote n’osait plus sortir de chez lui. Il avait à régler la
névrose sous-jacente, dont il ignorait l’origine, mais qui selon ses camarades de
secte, était probablement due à un investissement intempestif dans un
honorable combat.
30
Ridiculotte : Sorte de pantalon bouffant que porte les yétis quand ils veulent
parader ou encore quand ils sont pris d’accès de pudeur. Ce sont plutôt les
mâles qui adoptent cet accoutrement. Le summum de l’élégance, pour un
couple, c’est monsieur en ridiculotte et madame en culottarie.
31
Culottarie : dessous des femelles yétis particulièrement expansif, noir et
glissant, voire visqueux pour les modèles de luxe.
32
Palimpsestaminet : Sorte de saharade qui est régulièrement tagué. Les
tagueurs grattent les précédentes créations pour créer des surfaces vierges afin
d’exprimer à nouveau leur créativité. Compte tenu des conditions climatiques
du Yétibet, c’est sur son territoire qu’on repère le plus de palimsestaminets.
33
Cutanévrose : Trace matérielle de l'existence d'une névrose. En général, il
s'agit d'éruptions rosâtres, urticantes, disséminées selon la nature de la
névrose. Parfois, l'éruption est cocutanée.
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Chez les Yétis, tout le monde le sait, l’automédication est la règle. C’est
pourquoi le garçon décida qu’il soignerait sa crise à la crèmasculée34. Il ignorait
qu’il était devenu allergique au lait de zébulbe35, parce qu’il avait été victime
d’une attaque d’arrimagie36 orchestrée par un congénère jaloux de sa crédibilité
politique. Lequel congénère tenta de faire porter le chapeau à Yétrissotine.
Il commanda un quintal de crèmasculée chez le pâtissier le plus proche de chez
lui, et engloutit consciencieusement l’entremet. C’est au quatre-vingt-dixhuitième kilo que l’allergie se manifesta. Il se mit à chanter à tue-tête l’air le plus
connu de l’opérapiat37 « Le Minuscule des Vieux » de Wargnerdeboeuf. Il fallait
34
Crèmasculée : Première des cinq sortes de crème qui sont confectionnées
au Yétibet. Chacune des crèmes a des fonctions festives et conviviales très
particulières. Toutes les préparations sont à base de lait de zébulbe. Il s’agit de
fouetter la crème sans le moindre arrêt durant une bonne dizaine d’heures. Le
yéti est solide et constant, mais quand même ! Souvent, quand sont lancées
des cuisines de crèmes, les familles s’organisent afin de se relayer. Le seul yéti
connu qui bricolait dans son coin ses crèmes, sans demander de l’aide, était le
Chef Yétilote. Mais le fait est contesté par les yétistoriens.
La crémasculée est constituée de la préparation de base, agrémentée de
férociboulette ou de tortulipe selon la saison. Son effet est assez curieux
puisqu’elle transforme les ténors yétis en haute-contre pendant 24 heures, qui
atteignent au sublime contre-ut. Certains chanteurs d’opérapiat mangent de la
crémasculée pour tenir la note.
35
Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet.
Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de
l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors
des grandes fêtes rituelles.
36
Arrimagie : Sort qui se colle à vous avec une hargne frisant l’agressivité. Ce
type de sort est en général lancé à la demande d’un tiers qui a un compte à
régler avec la victime. Seuls les harrimages sont compétents pour organiser
leur mise en œuvre. L’orthographe atypique de « harrimage » est liée au fait
qu’il existe un homophone (même prononciation) dans une langue latine, dont
le sens est totalement différent… quoique.
37
Opérapiat : type de spectacle particulièrement ennuyeux. En effet, un seul
chanteur est chargé de jouer tous les rôles, qu’ils soient féminins, masculins ou
neutres. Du coup, la tessiture de l’artiste étant en général peu étendue, le public
ne comprend pas l’histoire. D’autant qu’un opérapiat est souvent écrit dans une
langue incompréhensible, sur la base d’un livret stupide. Wagnerdeboeuf s’est
risqué à composer quelques opérapiats ayant pour thème les légendes que se
racontent les yétis à la veillée. Sont particulièrement connus, mais rarement
joués : « Distant et Les Soldes » ou encore « Le Minuscule des Vieux ». Tous
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une tessiture de soprano pour venir à bout de l’épreuve. Et Yétipote, qui n’avait
jusque-là jamais pu sortir que quelques borborygmes vaguement mélodieux,
s’entendit venir à bout de la partition avec une rare maîtrise, réussissant même
à pousser le contre-ut qui occasionnait parfois aux artistes lyriques un
pilosilence38. C’était l’allergie qui exaltait les effets de la crèmasculée. Jusquelà, Yétipote, même sous overdose de crèmasculée, arrivait à peine à massacrer
un vieille berceuse traditionnelle : « Tiens, voilà du boudingue39 ! ».
Yétipote crut que ses incantations secrètes à la constellation de la Bourrique
Céleste avaient été entendues. En effet, jamais il n’aurait avoué à ses copains
de secte qu’il priait au moment du coucher, afin d’être comblé d’un don d’artiste.
Et ouiiiiii ! Yétipote aurait voulu être un artiiiiiiste ! Était-ce la raison de sa
hargne sur le yétiweb ?
Bravant sa crise de cocutanévrose et ses symptômes rosissant, il se piqua de
défier Yétiporphyre en duel d’opérapiat. Il le darda, le chercha, le taquina
jusqu’à ce qu’il le trouvât.
Au Yétibet, il y avait des clans, des contre-clans, des anti-clans, des pro-clans,
des sur-clans et des clans-peints. Un des clans était celui des « Gratte-moi le
neurone », composé de Yétiporphyre, Yétibig et acolytes, sous l’œil bienveillant
de la constellation de la Bourrique Céleste. Yétipote aurait tant voulu gagner
leur amitié ainsi que leur approbation ! Mais il aurait mangé sa ridiculotte plutôt
que de l’avouer. C’est pourquoi il défia Yétiporphyre en duel d’opérapiat dont ce
les opérapiats ont en commun une mise en scène appauvrie, un orchestre
réduit à sa plus simple expression, ils sont donc peu coûteux à mettre en
œuvre.
38
Pilosilence : Attaque sourde et muette d'un cheveu sur la langue.
39
Boudingue : Préparation traditionnelle yétibétaine à base de sang de
zébulbe. Souvent servi lors des commémorations rituelles, accompagné de
blinibards. L’effet du boudingue sur les yétis est fulgurant : ils se lancent dans
des carmagnôles effrénées. Le plat est si ancien qu’une des berceuses du
royaume, souvent fredonnée par les mamans, s’appelle « Tiens, voilà du
boudingue ! ».
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dernier était l’un des virtuoses du royaume. Ils se donnèrent rendez-vous au
yétipi40 dit « du creux de la glotte ».
Nul ne sut jamais ce qui se passa lors de ce duel, on entendit bien quelquesunes des répliques les plus connues de l’opérapiat…
-« Cyrano de Verge en Vrac ! »
-« Chiant comme une case à nova ! »
-« Putride écervelé !»
-« Pustule éclatée ! »
-« Palimpseste effacé ! »
-« Euh ! C’est quoi un palimpseste ? »
-« Pamplemousse desséché »
Mais une chose est certaine, jamais plus Yétipote ne s’automédicamenta avec
l’une des cinq crèmes traditionnelles de la gastronomie yétibétaine.
40
Yétipi : espace aménagé dédié à la consommation partagée d’arnicalumets.
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Quand Yétyrolienne yodelastiquait
« Clans et sectes sont les deux truelles de la démocratie
yétibétaine » - Virtoc Hugoret41, La Légende des Bègues,
1862, Éditions du Yétibet
Les clans et les sectes s’organisaient autour de causes importantes et
primordiales pour la vie du grand empire. Il y avait de ces organisations à peu
près sur tous les sujets, y compris les plus anodins, comme celui de la « vraie
recette de la galantinette42 » par exemple. Et depuis quelques années, un
journal indépendant, Yet’Med, relayait, souvent avec pertinence, les errements
de la vie politique yétibétaine. C’est d’ailleurs au sein de ce média que sévissait
Yétipatique, qui, compte tenu de sa position polémique, drainait, accrochée à
sa ridiculotte43, une cohorte d’adulateurs ou de détracteurs. Yet’Med publiait sur
le Yétiweb44.
Depuis peu Yétyrolienne se produisait dans les colonnes de l’auguste journal.
Elle se produisait, certes, mais n’argumentait que rarement. Son chuchotement
41
Hugoret Virtoc (1698-1895) : Ecrivain Yéti majeur. Fondateur de la littérature
classique et romantique du 19ème siècle. On lui doit la plupart des grandes
épopées lyriques et poétiques retraçant l'histoire du Yétibet et la mémoire des
grands rois ou empereurs qui régnèrent. Œuvres principales : La Légende des
Bègues, Notre Lame de Rami, Truie Naze.
42
Galantinette : Pâté de volailles qui ont été élevées à proximité des latrines.
Ne pas confondre avec la cervelatrine. Mais il est toujours possible de déguster
de la galantinette dans une cervelatrine. D'ailleurs, les yétis libidineufs lorsqu'ils
veulent se vider la tête aux cervelatrines, se munissent souvent de galantinette
car, parfois, l'opération prend un temps certain (ça dépend du yéti).
43
Ridiculotte : Sorte de pantalon bouffant que porte les yétis quand ils veulent
parader ou encore quand ils sont pris d’accès de pudeur. Ce sont plutôt les
mâles qui adoptent cet accoutrement. Le summum de l’élégance, pour un
couple, c’est monsieur en ridiculotte et madame en culottarie.
44
Yétiweb : réseau filaire qui permet aux yétis de communiquer en tout lieu du
Yétibet. Il emploie de nombreux membres qui répètent dans un cornet
acoustique toutes les nouvelles ou textes qui leur sont soumis.
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se résumait à lâcher de l’insulte comme d’autres des rôts après un apéro
gourgandinatoire45. Son langage fleurissait autour d’expressions imagées qui
ressemblaient à « Khouille46 de zébulbe47 ! », ou encore à « Galantinette de
Cervelatrine48 ! ». En soi, elle ne se démarquait pas d’un nombre certain de
yétis qui pensaient que conchier la personne valait pensée politique. Sur
n’importe quel média un tantinet cohérent, elle n’aurait pas pu s’étaler au-delà
de quelques éructations. Mais les modératocancaniers49 chargés d’assurer la
correction des débats sur Yet’Med se foutaient éperdument de leur boulot. Ils
n’avaient de préoccupation que de contribuer, eux-mêmes et anonymement,
aux pugilats, escarmouches et prises de bec… sous le regard navrés de tous
les abonnés appréciant le canard et souhaitant trouver un espace d’échange.
Yétyrolienne avait une personnalité assez curieuse. Une structure de
personnalité s’établit autour de tendances névrotiques, il y a donc des bases
paranoïdes ou schizophrènes et autres joyeusetés dans chaque yéti (cf le
grand psychanalyste Yétijeune50). Yétyrolienne, elle, souffrait de yétimanie51.
45
Gourgandinatoire : Sorte d'apéritif réservé aux messieurs et destiné à
nourrir autant leur estomac que leur libido. "Un apéro gourgandinatoire".
46
Khouille : Glande de l’agressivité chez les yétis. Elles sont au nombre de
deux, situées à la base du cou et de couleur noire, comme le charbon. On parle
usuellement d’une paire de khouilles. Ce mot est utilisé dans nombre
d’expressions, qu’elles soient amicales ou encore insultantes : « Khouille de
zébulbe ! » ; « Tu es ma petite khouille préférée : ».
47
Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet.
Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de
l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors
des grandes fêtes rituelles.
48
Cervelatrine : Lieu d'aisance où se vider la tête. Certains yétis libidineufs
s'enferment régulièrement dans les cervelatrines.
49
Modératocancanier (f. modératocancanière) : Participant au Yétiweb qui
est chargé de faire le tri entre la férociboulette et l’amouron. Ils sont en général
anonymes, et ne foutent strictement rien vu que rien n’est interdit.
50
Yétijeune (1725-2001) : Psychanalyste Yéti, théoricien de la structure de la
personnalité. N’appartient à aucune école connue. Il a notamment décrit une
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Cela aurait pu être drôle ou sympathique si la demoiselle yéti n’avait pas décidé
de venir nourrir son ego au fil des colonnes de Yet’Med. Elle yodelastiquait 52 à
longueur de temps. Elle yodelastiquait tant qu’elle n’était plus qu’une
somatisation de vulgairpès53 sur pattes. C’était triste.
Et voilà qu’un jour, elle s’en prit à quidam au hasard, lequel ne s’en laissa pas
compter et décida de réagir, ne voyant pas pourquoi il encaisserait, muet, les
horreurs que la demoiselle déversait sur son compte. Mais on n’est jamais à
égalité avec des êtres qui ne se donnent pas de limites et qui, campés sur
l’absolue certitude de la légitimité de leurs propos, inconscients de leurs failles,
vont jusqu’à la haine pour calmer leurs angoisses.
La crise de yétimanie était, en ce temps-là, si virulente, qu’elle (Yétyrolienne)
traquait sa victime, d’article en article, pour gueuler l’obsession imaginée que lui
portait le monsieur. Elle en était pathétique. Et quelques un s’émurent du
silence complice des modératocananiers. Pour sa part, Yétyrolienne ne risquait
pas d’être contestée dans son espace personnel, elle n’écrivait rien
d’intéressant, tabassait virtuellement tout contradicteur avec la verve d’un
névrose désormais bien connue, qui, quand elle verse dans la psychose se
manifeste de manière ubuesque : la yétimanie.
51
Yétimanie : Maladie de type névrotique, voire psychotique, qui fait accroire à
un yéti que tout mâle ou femelle passant à ses côtés, croisant ses effluves
musqués ou son verbiage fleuri, se prend automatiquement d’intérêt pour lui ou
elle. Et que cet intérêt verse rapidement dans l’obsession.
52
Yodelastiquer : Chanter, tout en gloussant et en proférant des insultes
grasses. Un des symptômes du vulgairpès, mais ce n’est pas le seul.
53
Vulgairpès : Tic de langage, un peu à la « Syndrome Gilles de la Tourette »,
mais chez les yétis. Maladie invalidante et contagieuse qui s’accompagne
d’insultes et de cloques poussant à chaque insulte. Non seulement le langage
titube, mais en plus, il laisse des traces de sa vulgarité. On pense, dans les
milieux éclairés que le mode de transmission serait viral, mais on n’a pas de
certitude. L’attaque de vulgaipès peut-être unique, à intervalles longs ou encore
permanente. Cette maladie se soigne par écoute massive de xanaxiomes ou
homélivides, notamment ceux de Bossuaire. Maladie souvent associée à la
névrose yétimanie.
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charretier, et fermait inéluctablement le lieu de l’expression de l’autre. Sa
yétimanie s’accompagnait d’une visible lâcheté.
Elle était capable, dans la même phrase, d’aligner une nombre incalculable de
qualificatifs dont on pouvait se questionner quant à la légitimité médicale qui
l’autorisait à porter une tel diagnostic sur son interlocuteur : « Passable, sans
talent, petit, sans intérêt, transparent, dans l'ombre, violent, colérique, vulgaire,
prétentieux, vaniteux, mégalomane rancunier, pervers, prédateur, lâche,
peureux, sournois tricheur, pompeur, manipulateur, menteur, faux. ». Ou encore
de traiter Yétrissotine de « suçeuse de réac » parce qu’elle avait témoigné du
bien-fondé de la ire du quidam. Bref, un élégant dégueuli.
Mais le plus ahurissant, c’est que Yétyrolienne se donnait des airs de militante
de la cause femelle, et que, ce faisant, elle discréditait absolument toutes les
dames qui, dans leur coin, gentiment ou fermement mais sans hargne,
travaillaient à obtenir l’égalité entre yétis et yéties.
Évidemment, il devint nécessaire, afin de faire cesser ces allégations
diffamatoires, d’alerter la rédaction de Yet’Med. Laquelle rédaction ne trouva
pas mieux que de tancer les deux interlocuteurs. Il s’agissait bien d’une
« justice » facile et faignasse : ne pas lire et disputer tout le monde, mettre à
pied d’égalité l’agresseur, Yétyrolienne, et l’agressé, le quidam. Mais, au-delà,
cela revenait philosophiquement à considérer que les ceusses qui n’avaient
aucun scrupule à couvrir d’ordures un yéti les contestant, gagneraient à chaque
coup bas. Parce que l’autocensure n’était pas de leur monde, ils continueraient
à s’épandre merdiquement, et que, pour conserver la possibilité de s’exprimer
dans les colonnes de Yet’Med, il était intimé l’ordre de ne pas répondre. Ceux
qui avaient à se lire insultés, devaient, en plus, se taire. Et ça militait pour
l’égalité, la fraternité, la transparence ? Quelle mascarade ! Le monde
yétibétain appartenait désormais à ceux que la nuance n’avait pas frappés au
berceau.
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Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes du monde humain ne
serait que fortuite. Tout le monde sait bien que, sur le net, nul ne se conduit
avec une violence telle que décrite dans cette histoire imaginaire… et que la
police du web est justement faite sur tous les sites où peuvent contribuer des
passants habituels ou occasionnels. Que personne, jamais, ne se comporte en
malade mental ou ne traite les autres de malades mentaux… Quel dommage
que le Yétibet ne connaisse pas la sérénité du monde des humains, où la toile
sert à enrichir, partager, et œuvrer pour un monde meilleur ! Où l’on débat des
propos et des actes, mais où, jamais, l’on n’agresse la personne.
On peut avoir un mouvement d’humeur, qu’on peut réparer d’ailleurs…
s’obstiner est une faute.
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