Vers une campagne plus apaisée - The Institute for European Studies
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Vers une campagne plus apaisée - The Institute for European Studies
International SAMEDI 18 JUIN 2016 5 Le meurtre de la députée Jo Cox devrait refroidir les velléités des deux camps Vers une campagne plus apaisée «Il va y avoir une prise de conscience de la part des pro-Brexit car la ligne rouge a été dépassée» Frédéric Esposito Les hommages à la députée travailliste Jo Cox se sont poursuivis à Londres, Birstall ainsi que dans tout le pays. Keystone profite 2 Acequicrime? K THIERRY JACOLET Grande-Bretagne L Le psycho- drame britannique autour du Brexit a tourné à la tragédie jeudi avec l’assassinat de la députée travailliste Jo Cox, militante du maintien dans l’Union européenne. Si le mobile de ce meurtre sauvage reste encore flou, l’attaque a secoué tout le pays jusqu’à la campagne politique elle-même: les deux camps ont suspendu leurs déplacements, débats et discours jusqu’à aujourd’hui. Au- delà de l’émotion suscitée par le meurtre, une question surgit: à une semaine du scrutin, une nouvelle campagne a-telle commencé? Décryptage. 1 Quel sera l’impact sur la campagne? A part le temps mort, la campagne ne devrait pas subir de réel bouleversement. «Les conséquences seront relativement mineures», assure Philip Cowley, professeur de politique à la Queen Mary University de Londres. Le seul changement attendu se situe au niveau du climat électrique de la campagne. «Le ton devrait s’apaiser», espère Frédéric Esposito, politologue au Global Studies Institute, à l’Université de Genève. «Une autre campagne commence. I l va y avoi r u ne pr ise de conscience de la part des proBrexit par rapport à leurs excès car la ligne rouge a été dépassée.» Les partisans les plus bruyants de la sortie pourraient faire profil bas, en baissant notamment d’un cran leur rhétorique contre l’immigration, leur cheval de bataille. A première vue, le meurtre de la militante pour le maintien devrait avantager son camp. Même si l’enquête révèle que Jo Cox n’a pas été tuée en raison de s e s conv ict ion s pro - eu ro péennes, des électeurs hésitants pourraient se rabattre sur le vote-sanction, en se rangeant du côté des partisans antiBrexit. «S’il y a un impact politique, ce serait celui-ci, estime Philip Cowley. Ce serait interprété comme un vote de sympa- thie et cela s’inscrirait dans l’idée que ceux qui plaident pour le Brexit font une campagne violente ou vicieuse.» Dr Jamal Shahin, professeur à l’Institute for European Studies à la Vrije Universiteit Brussel et professeur adjoint à l’Université d’Amsterdam, est plus prudent: «Cet acte tragique aura clairement un impact dans les médias, mais de là à dire que cela influencera, d’une manière quelconque, le vote de l’électeur britannique, c’est impossible à dire pour l’instant», estime-t-il. Frédéric Esposito n’imagine pas un changement de camp de la part des électeurs. «Les pro-Brexit vont tenter de se séparer du geste d’une personne isolée qui n’a peut-être rien à voir avec leur camp.» La question à un penny: leurs adversaires vont-ils instrumentaliser cet assassinat? la campagne 3 Pourquoi est-elle si virulente? L’assassinat de la députée travailliste survient à la fin d’une campagne au climat très pesant, pour ne pas dire violent. Le véritable COMMENTAIRE Mourir pour des idées, mais de mort violente Contrairement à la chanson de Brassens, la députée pro-européenne Jo Cox est morte pour des idées, mais pas de «mort lente»: de mort violente. Voilà bien, en effet, le terme qu’on n’avait pas imaginé devoir utiliser pour décrire la campagne du référendum sur le divorce éventuel entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Même si les raisons du crime doivent encore être élucidées – motif politique, pathologie mentale, etc. – le meurtre de la jeune députée symbolise en quelque sorte une rupture avec une certaine tradition de retenue britannique. Certes, les menaces personnelles et la virulence verbale font partie des campagnes électorales outre-Manche. Les attaques outrancières contre des hommes politiques y sont fréquentes, relayées par une presse populaire n’hésitant pas à caricaturer en permanence les comportements ou les idées des représentants du pouvoir. Toutefois, même la campagne référendaire très exacerbée de 2014, sur la possible séparation de l’Ecosse et du Royaume-Uni, n’avait pas connu pareille dérive. Comme toujours en pareil cas, l’impact d’un choc aussi brutal à quelques encablures d’un scrutin fondamental suscite la controverse entre analystes. Si les sondages actuels (tendant plutôt vers un Brexit) devaient être spectaculairement infirmés, le 23 juin, on parlera sans doute d’un «sursaut citoyen». D’une fatalité tragique ayant permis de sauver, in extremis, le soldat Cameron. Reste que les sujets de Sa Majesté ne sont pas réputés pour leur versatilité politique. Au contraire. Preuve en est l’inamovible régime d’alternance au pouvoir, depuis des décennies, entre conservateurs et travaillistes. Seule certitude du moment, c’est bien la «fibre» morale des Britanniques, ce mélange subtil fait d’affect personnel et d’idées communes, qui est interpellée aujourd’hui au travers de cet événement. Et en particulier celle de ces 10% à 15% d’indécis qui feront la décision jeudi prochain. Un verdict qui pourrait aussi donner raison aux craintes d’un autre politicien, dont le nom résonne aujourd’hui singulièrement en écho au drame de jeudi puisqu’il s’agit de l’Irlandais Pat Cox. Il y a peu encore, cet ancien président du Parlement européen concluait sans optimisme: «L’Europe est entrée dans un temps d’incertitude, d’impatience et de populisme.» PASCAL BAERISWYL débat de fond, les raisons pour lesquelles le Royaume-Uni veut quitter ou pas l’UE, a été noyé sous un flot de boue quotidien charrié par des attaques verbales, des chiffres boursouflés et des polémiques en tout genre. Dernière en date, celle de Nigel Farage, chef du parti anti-européen, qui a dévoilé jeudi sa nouvelle affiche de campagne très controversée. L’irruption de l’ex-maire de Londres Boris Johnson a un peu plus électrisé le débat. Lui qui a osé les comparaisons fallacieuses comme la politique de l’Union avec la campagne d’Hitler. «C’est allé beaucoup trop loin, accorde Dr Jamal Shahin. J’ai l’impression qu’on a cherché plutôt le sensationnalisme que le débat de fond intelligent. Il y a eu des exagérations des deux côtés.» Si la campagne déchaîne les passions, c’est que les deux camps se sont focalisés sur des thèmes majeurs dont se préoccupe la population: l’économie et l’immigration, sur fond de souveraineté. «Il y a une dimension très émotionnelle du vote qui favorise ces propos extrêmes et très sectaires, souligne Frédéric Esposito. Ce vote britannique est aussi un vote européen. Chaque remarque des pro-Brexit traduit un malaise de la population européenne dont l’UE n’a pas su gérer les crises (migrants, dette publique, chômage...). C’est la première fois qu’un vote national cristallise tout cela.» Si la virulence de la campagne s’inscrit dans la tradition britannique, le débat est particulièrement enflammé. Et les journaux populaires, «Sun» en tête, ont jeté de l’huile sur le feu. «Cette campagne se déroule comme une campagne d’élections générales», pose Dr Jamal Shahin. Comme un vote pour «sélectionner» le prochain prem ier m inistre du Royaume-Uni entre David Cameron et Boris Johnson... L LES FAITS DU JOUR Extrême droite L La police bri- tannique enquêtait hier sur de possibles liens avec l’extrême droite du meurtrier présumé de Jo Cox, tuée en pleine rue jeudi à Birstall. La police a dit étudier la piste de possibles liens avec l’extrême droite du principal suspect, nommé Thomas Mair par les médias. L’homme de 52 ans aurait crié «Britain first!» («La Grande-Bretagne d’abord!»), selon des témoins. Selon le Southern Poverty Law Center, un groupe américain de défense des droits civiques, le suspect est un «partisan dévoué» d’un groupe néonazi basé aux Etats-Unis. Le quotidien The Guardian a affirmé que la police avait retrouvé des symboles nazis à son domicile, ainsi que de la littérature d’extrême droite et un manuel pour fabriquer des pistolets. «Mon frère n’est pas violent et n’est pas du tout politisé», a affirmé au Daily Telegraph Scott Mair, refusant de croire à cette théorie. Il a aussi souligné que son f rère sou f f ra it de troubles mentaux. Marchés rassurés L Les mar- chés financiers semblent estimer que le meurtre de la députée et la suspension de la campagne pourraient bénéficier au camp du maintien dans l’UE. Hier, la Bourse de Londres progressait cependant et la livre se reprenait face au dollar. Geste politique L Dans un geste de solidarité, le Parti conservateur a décidé qu’il n’alignerait pas de candidat face au Parti travailliste pour l’élection du remplaçant de Jo Cox dans la circonscription de Birstall. ATS/AFP/REU