Les antidépresseurs

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Les antidépresseurs
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Revue de la Mutuelle Centrale des Finances
ISSN 1141-4685
Prix 1,14 €
Octobre 2005
DossIER
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SavOIR
Antidépresseurs :
pourquoi et comment ?
Les antidépresseurs sont des médicaments utiles
lorsqu’ils sont bien prescrits et bien utilisés.
En respectant quelques règles simples, il est possible
d’en tirer le meilleur profit et de s’en passer,
le moment venu.
A
ncien cadre dans une grande
entreprise nucléaire, Roland
a aujourd’hui 70 ans.
Il se souvient encore, il y a douze ans, de sa
“mise au placard”. Pas de chance, sa femme
le quitte au même moment. “Je ne
m’intéressais plus à rien, ni à personne,
relate-t-il. Je me demandais ce que
je faisais sur terre.” Le traitement de sa
dépression passera par une hospitalisation,
plusieurs antidépresseurs et une
psychothérapie. Aucun examen médical
ne permet de détecter de façon certaine
une dépression nerveuse et ses symptômes
sont multiples. En outre, ils peuvent
se confondre avec d’autres troubles.
“Trop souvent, on se précipite sur
les antidépresseurs, par exemple après
un deuil ou un autre événement grave. Dans
un premier temps, je préfère aider le patient
à retrouver le sommeil avec un médicament
adapté, explique le Dr Jean-Marie Grandjean,
médecin chef du centre de traitement
et de court séjour de la Mutuelle générale
de l’Éducation nationale à Rueil-Malmaison
(Hauts-de-Seine). Je prescris un
antidépresseur dans le cas d’une
dépression qui se caractérise par la
permanence de la tristesse… qui n’a rien
à voir avec le chagrin !”, poursuit-il.
Les antidépresseurs sont des médicaments
qui améliorent la communication entre
les cellules du cerveau (neurones) en
agissant sur les intermédiaires chimiques
(neuromédiateurs), des substances
sécrétées par ces neurones. Au début du
traitement, votre médecin vous demandera
de le tenir au courant de votre état et de
revenir le voir au bout de quelques jours.
“On est parfois obligé de tâtonner pour
trouver la molécule la mieux adaptée.
Il faut au minimum trois semaines pour juger
de l’efficacité d’un médicament pris
correctement, précise le Dr Grandjean.
Le traitement est prolongé trois mois après
la disparition des troubles. Dans le cas
d’une rechute, il doit durer au moins un an.”
Des effets
secondaires
Comme tout médicament, un
antidépresseur peut provoquer des effets
Antidépresseurs et alimentation
Certains antidépresseurs peuvent entraîner des prises de poids, d’autres des troubles
digestifs. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
recommande d’adopter une alimentation équilibrée. Parlez-en à votre médecin,
qui vous dira si vous devez modifier vos habitudes. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut éviter
l’absorption d’alcool et de boissons alcoolisées pendant votre traitement.
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Les Français sont-ils accros ?
Depuis quelques années, des voix
s’élèvent pour dénoncer la
surconsommation des médicaments
psychotropes dans notre pays. Il est vrai
qu’avec 150 millions de boîtes en 2002,
ces médicaments occupent le deuxième
rang des prescriptions remboursées par
l’assurance maladie obligatoire(1).
Dans un rapport remis au ministre
de la Santé en 1996, Édouard Zarifian,
professeur de psychiatrie et de
psychologie médicale à l’hôpital de Caen,
notait que la consommation de
psychotropes en France est de deux à trois
fois supérieure à celle des autres pays
d’Europe. Le Pr Zarifian est l’auteur de
l’ouvrage Le prix du bien-être,
psychotropes et sociétés et de La force
de guérir (Éditions Odile Jacob).
Un autre livre, Antidépresseurs : la grande
secondaires. À tel point qu’il faut parfois
l’arrêter, mais toujours sur avis médical.
Jacqueline, 65 ans, en a fait l’expérience.
“Victime de harcèlement moral
professionnel pendant deux ans, raconte-telle, je me suis écroulée chez mon médecin,
qui m’a prescrit un antidépresseur.
Mais un matin, en arrivant au métro Étoile,
impossible de me lever pour changer de
ligne ! Mon corps n’obéissait plus à mon
cerveau ! J’ai appelé mon médecin et il m’a
dit d’arrêter le traitement immédiatement.”
À 36 ans, Cécilia a déjà seize ans
d’antidépresseurs derrière elle ! D’une jolie
voix calme, elle égrène ses malheurs :
régime drastique à 20 ans, liaison avec
un homme marié, licenciement et enfin
un divorce qui l’oblige à repartir à zéro
en logeant chez ses parents avec un “bout
de chou” de huit mois. Une vie chaotique
qu’elle ne supporte que grâce à la
fluoxétine. Quand elle se sent mieux
et qu’elle décide d’arrêter, elle se découvre
totalement dépendante. L’arrêt des
antidépresseurs pose en effet le problème
du sevrage. Seul un médecin pourra vous
conseiller sur la meilleure façon d’y parvenir,
en douceur, en diminuant progressivement
les doses.
Aujourd’hui, Roland, notre ancien cadre,
a repris goût à la vie. Après son traitement
antidépresseur et sept années de
psychothérapie, il a retrouvé un équilibre,
même s’il connaît sa fragilité. Il ne prend
plus de médicaments et porte un regard
de philosophe sur l’existence : “Ne dites pas
à un déprimé : ‘Secoue-toi, pars en voyage,
cela te fera du bien !’, conseille-t-il.
intoxication, écrit par Guy Hugnet,
journaliste indépendant, ancien cadre
commercial et marketing de l’industrie
pharmaceutique (Éditions Le Cherche
Midi), dénonce les prescriptions abusives
et l’attitude de certaines firmes
pharmaceutiques qui cachent de graves
effets secondaires.
(1) Étude Medic’AM, disponible sur le site de l’Assurance
Maladie www.ameli.fr
Dites-lui plutôt : ‘Plonge en toi-même
et tu y trouveras le meilleur !’.”
“Il faut considérer les antidépresseurs
comme un passage, une bonne béquille,
insiste le Dr Grandjean. C’est le traitement
des symptômes. Ils rétablissent l’humeur.
Après, il faut passer au traitement de fond,
avec le travail psychothérapeutique.
Il améliore la personnalité et permet
de dépasser le conflit pour que l’état
ne se reproduise pas.”
Enfin, rien ne remplacera une bonne
hygiène de vie. En premier lieu, il faut savoir
préserver son sommeil. “On ne doit pas
rester trois jours sans dormir, même pour
faire la fête, conclut le Dr Grandjean. On ne
doit pas travailler jour et nuit. Il faut savoir
se protéger et connaître ses limites.”
Nadine Allain