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CONDITIONS DE PUBLICATION Toute personne intéressée à soumettre un article au Comité de rédaction doit en faire parvenir la version définitive, sur support papier ou électronique, avec ses coordonnées, au rédacteur en chef, au moins 60 jours avant la date de parution, à l’adresse suivante: Cahiers de propriété intellectuelle Rédacteur en chef 430, rue Saint-Pierre Montréal (Québec) H2Y 2M5 Courriel: [email protected] L’article doit porter sur un sujet intéressant les droits de propriété intellectuelle ou une question de droit s’appliquant à de tels droits. Les articles de doctrine ne doivent pas dépasser 50 pages dactylographiées, sans les notes; les textes relatifs à des commentaires d’arrêts, à de l’information et à de la législation ne doivent pas être de plus de 20 pages dactylographiées. Les textes doivent être en langue française, dactylographiés à double interligne sur format 21 cm x 28 cm (81 2" x 11"). Le texte sur le support électronique ne doit pas être justifié à droite et il doit être aligné à gauche; aucun code ne doit être employé et l’auteur doit indiquer le type d’appareil et le programme utilisés. Les notes doivent être consécutives et reportées à la fin du texte. Les articles de doctrine doivent être accompagnés d’un résumé en langue française, libre à l’auteur de joindre une version anglaise. Les titres de volumes et de revues, les décisions des tribunaux, ainsi que les mots et expressions en langue autre que le français doivent être soulignés ou en italiques; les articles de revues doivent être cités entre guillemets. Enfin, il est inutile d’apposer les guillemets pour les citations en retrait du texte. L’auteur conserve son droit d’auteur mais une licence de première publication en langue française, pour l’Amérique du Nord, doit être accordée par lui à la revue et à l’éditeur. L’auteur est seul responsable de l’exactitude des notes et références ainsi que des opinions exprimées. Les Cahiers de propriété intellectuelle, propriété de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc. Les Cahiers peuvent être cités comme suit: (volume) C.P.I. (page). Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation du titulaire des droits. Une telle autorisation peut être obtenue en communiquant avec COPIBEC, 1290 rue Saint-Denis, Montréal (Québec) H2X 3J7 (Tél.: (514) 849-8540; FAX: (514) 849-6239). © Les Éditions Yvon Blais, 2002 C.P. 180 Cowansville (Québec) Canada Tél.: (450) 266-1086 Fax: (450) 263-9256 Site web: www.editionsyvonblais.qc.ca ISSN: 0840-7266 Publié trois fois l’an au coût de 125 $. Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec les Éditions Yvon Blais, 430, rue Saint-Pierre, Montréal (Québec) H2Y 2M5, tél.: (514) 842-3937. Pour abonnements: 1-800-363-3047. PRÉSENTATION En pleine canicule, la révision de tapuscrits pourrait s’avérer pénible. Pas avec ce numéro, le 43e, qui ouvre la quinzième année de publication des Cahiers de propriété intellectuelle avec des sujets d’actualité, variés et intéressants. Un numéro qui donne d’ailleurs grande place au droit d’auteur. François Larose1 traite du statut de l’auteur des œuvres musicales composées pour les films2. Éric Lefebvre3 se fait historien de la gestion collective du droit d’auteur au Canada avec une analyse poussée du tarif de l’exécution publique par radio entre 1935 et 19774. Le pont entre le droit des marques et le droit d’auteur est reconstruit par Jean-Philippe Mikus5 qui aborde la dualité de protection6. Sur le front européen, Estelle Derclaye7 commente l’abus de position dominante et droits de propriété intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté européenne à la suite de l’affaire IMS8 1. Avocat chez Desjardins Ducharme Stein Monast. 2. On peut ou non être d’accord avec la thèse de l’auteur mais l’article a l’avantage de relancer un débat de fond depuis trop longtemps occulté. 3. Avocat et secrétaire de la Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM). 4. On attend d’ailleurs avec impatience ce qui pourrait une 2e partie, soit de 1977 à aujourd’hui. 5. Avocat du cabinet Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier. 6. La première partie de cette étude traitait, on s’en souviendra, du chevauchement entre le droit des brevets et le droit des marques. 7. Herchel Smith Senior Research Fellow, Queen Mary, Université de Londres, Royaume-Uni. 8. Décision de la Commission 2002/165/CE du 3 juillet 2001 relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaire COMP D3/38.044 – NDC Health/IMS Health: mesures provisoires), notifiée sous le numéro C(2001) 1695, JOCE, L 59 du 28.02.2002, p. 18-49. 9 10 Les Cahiers de propriété intellectuelle alors que Stefan Martin9 analyse la nouvelle réglementation communautaire10 des dessins et modèles. Beaucoup de développements et donc beaucoup de capsules. Sur le front du droit d’auteur, Daniel Gervais11 commente l’affaire Théberge12 (Cour suprême du Canada) et René Pepin13, l’affaire CCH14 (Cour d’appel fédérale); Charles Morgan15 présente les amendements proposés à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit d’auteur16 (projet de loi C-48). La déferlante du droit d’auteur est brisée par Nathalie Jodoin17 et Monique Sullivan18 qui se penchent sur les conséquences de l’affaire Baker Petrolite19 (Brevets – Cour fédérale d’appel). Sur le front des comptes rendus, Hugo Hamelin20 présente Marques, dessins et modèles: Stratégie de protection, de défense et de valorisation – Une initiation au droit français des marques de Nathalie Dreyfus et Béatrice Thomas, Benoit Marion21 présente Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI de Cam Quyen Corinne Truong alors que Brigitte Vézina22, elle, présente Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine de Alexandre Cruque9. Avocat du cabinet Fraser Milner Casgrain. 10. Règlement no 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001. 11. Professeur agrégé, Faculté de droit (section de common law), Université d’Ottawa. 12. 2002 CSC 34, arrêt du 2002-03-28. 13. Professeur à la Faculté de droit, Université de Sherbrooke. 14. CCH Canadian Ltd. c. Law Society of Upper Canada, 2002 FCA 187 (C.A.F., coram, les juges Linden, Sharlow et Rothstein), arrêt du 2002-05-14. 15. Avocat du cabinet McCarthy Tétreault, s.r.l. 16. 1re session, 37e législature, 49-50-51 Elizabeth II, 2001-2002, adopté le 2002-06-18 mais non encore en vigueur. 17. Avocate, ingénieure et agent de brevets, Nathalie Jodoin est associée du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 18. Étudiante à l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec, Monique Sullivan (Ph.D. biochimie) est en stage auprès du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 19. Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 FCA 158 (C.A.F.; coram les juges Evans, Rothstein et Strayer). 20. Étudiant, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 21. Étudiant à l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec, en stage auprès du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 22. Étudiante, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. Présentation 11 naire. Ghislain Roussel23 n’est pas en reste et y va de deux ouvrages, savoir la 5e édition du Copyright – Cases and Material de Robert A. Gorman et Jane C. Ginsburg et The WIPO Treaties 1996 – The WIPO Copyright Treaty and the WIPO Performances and Phonograms Treaty – Commentary and Legal Analysis de Jörg Reinbothe et Silke von Lewinski. Dans sa présentation du numéro marquant le 10e anniversaire des CPI, Ghislain Roussel, alors rédacteur en chef, nous donnait rendez-vous pour le numéro d’octobre 2007: cela est apparu bien lointain à l’actuel rédacteur en chef qui préfère, moins essouflants, les plans quinquenaux. Dès lors, pour souligner le 15e anniversaire de parution des CPI Ghislain Roussel et Laurent Carrière24 vous offrent une mise à jour consolidée des index des auteurs, des sujets et des titres des numéros parus depuis octobre 1987. Sur ce, je nous souhaite un bon anniversaire. Bonne lecture! Laurent Carrière, Rédacteur en chef25 23. Secrétaire général et directeur des affaires juridiques de la Grande Bibliothèque du Québec. 24. Là, la note de bas de page n’est pas vraiment utile mais... D’autant plus que ce mois-ci, il n’y a pas de victimes pour le perlier! 25. J’aurais bien écrit dictateur en chef ou rédacteur en cheuffe ou autres variations qui font parfois sourire mais il paraît que cela ne fait pas assez digne, d’où l’expédient de la note de bas de page. LES CAHIERS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE INC. CONSEIL D’ADMINISTRATION Lise BERTRAND Société Radio-Canada, Montréal Danielle BOUVET, avocate Ministère de la Justice du Canada Claude BRUNET Ogilvy Renault, Montréal Laurent CARRIÈRE Léger Robic Richard, Montréal Vivianne DE KINDER, trésorière Montréal Hélène d’IORIO, avocate Gowling, Lafleur, Henderson, Montréal Marcel DUBÉ Faculté de droit Université de Sherbrooke Mistrale GOUDREAU, vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Ottawa Lucie GUIBAULT Instituut voor Informatierecht, Amsterdam Honorable Denis LÉVESQUE Cour supérieure du Québec, Montréal Ejan MACKAAY Faculté de droit, Université de Montréal Stefan MARTIN, secrétaire Fraser Milner Casgrain, Montréal Victor NABHAN Droit d’auteur OMPI, Genève Annie ROBITAILLE Bombardier inc., Montréal Ian ROSE Lavery De Billy, Montréal Ghislain ROUSSEL, président La Grande bibliothèque du Québec, Montréal Rédacteur en chef Laurent CARRIÈRE Rédacteur en chef adjoint Stefan MARTIN Comité de rédaction Lise BERTRAND, avocate Société Radio-Canada, Montréal Danielle BOUVET, avocate Ministère de la Justice du Canada Claude BRUNET, avocat Ogilvy Renault, Montréal Laurent CARRIÈRE, avocat Léger Robic Richard, Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Hélène d’IORIO, avocate Gowling, Lafleur, Henderson, Montréal Marcel DUBÉ Faculté de droit Université de Serbrooke Johanne FORGET, avocate Les Éditions Yvon Blais inc., Montréal Mistrale GOUDREAU, professeur vice-présidente du comité Faculté de droit, section de droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Lucie GUIBAULT Instituut voor Informatierecht Amsterdam Honorable Denis LÉVESQUE, juge Cour supérieure du Québec, Montréal Ejan MACKAAY, professeur Faculté de droit, Université de Montréal Stefan MARTIN, avocat secrétaire du comité Byers Casgrain, Montréal Annie ROBITAILLE Bombardier Inc., Montréal Ian ROSE Lavery De Billy, Montréal Ghislain ROUSSEL, avocat président du comité La Grande bibliothèque du Québec, Montréal Comité exécutif de rédaction Laurent CARRIÈRE Mistrale GOUDREAU Stefan MARTIN Ghislain ROUSSEL Comité éditorial international François DESSEMONTET Professeur de droit Universités de Lausanne et de Fribourg Directeur du Centre de droit de l’entreprise (CEDIDAC) Lausanne, Suisse Paul E. GELLER Avocat et professeur adjoint University of Southern California Law Center Los Angeles, USA Jane C. GINSBURG Professeur de droit Columbia University School of Law New York, USA Teresa GRZESZAK Université de Varsovie, Pologne André LUCAS Professeur de droit Université de Nantes, France Nebila MEZGHANI Professeur de droit Université de Tunis, Tunisie Victor NABHAN Droit d’auteur OMPI, Genève Antoon A. QUAEDVLIEG Doyen, Faculté de droit Université catholique de Nimègue Nijmegem, Pays-Bas Paolo SPADA Professeur de droit Institut de droit privé Université Degli Studi di Roma «La Sapienza» Rome, Italie J.A.L. STERLING Avocat et professeur de droit Center for Commercial Law Studies Queen Mary & Westfield College Université de Londres Londres, Grande-Bretagne Alain STROWEL Avocat et professeur de droit Facultés universitaires Saint-Louis Bruxelles, Belgique Kamen TROLLER, Avocat De Pfyffer Argand Troller et associés Genève, Suisse Silke von LEWINSKI Institut Max-Planck pour le droit étranger et international des brevets, du droit d’auteur et du droit de la concurrence Münich, Allemagne TABLE DES MATIÈRES Articles Abus de position dominante et droits de propriété intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté européenne: IMS survivra-t-elle au monstre du Dr Frankenstein? Estelle Derclaye . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 L’auteur des œuvres musicales composées pour un film: auteur d’une œuvre dramatique? François Larose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 La gestion collective du droit d’exécution publique: historique du tarif de la radio de 1935 à 1977 Éric Lefebvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Les dessin et modèle communautaires: analyse du Règlement no 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Chevauchements de droits en propriété intellectuelle – Deuxième partie: la cavalcade du droit d’auteur et du droit des marques de commerce Jean-Philippe Mikus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 17 18 Les Cahiers de propriété intellectuelle Capsules L’affaire Théberge Daniel Gervais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure: des principes «taillés sur mesure» Nathalie Jodoin et Monique Sullivan . . . . . . . . . . . 241 Jumping to iCrave’s Conclusion?: Les amendements proposés à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit d’auteur Charles Morgan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel: le droit de reproduire la documentation juridique est limité René Pepin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269 Compte rendus Marque, dessins et modèles: stratégie de protection, de défense et de valorisation – Une initiation au droit français des marques Hugo Hamelin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293 Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI Benoit Marion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Copyright – Cases and Material Ghislain Roussel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301 Table des matières 19 The WIPO Treaties 1996 – The WIPO Copyright Treaty and the WIPO Performances and Phonograms Treaty – Commentary and Legal Analysis Ghislain Roussel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine Brigitte Vézina. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 Livres parus Ghislain Roussel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 Index Auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 Titres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 Sujets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357 Vol. 15, no 1 Abus de position dominante et droits de propriété intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté europénne: IMS survivra-t-elle au monstre du Dr Frankenstein? Estelle Derclaye* Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 1. Comparaison des décisions antérieures . . . . . . . . . . . . 26 1.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 1.1.1 Le comportement des parties . . . . . . . . . . . 28 1.1.2 La situation des entreprises en position dominante . . . . . . . . . . . . . . . . 29 1.1.3 Les relations entre les parties au litige . . . . . 29 1.1.4 Les produits ou services en cause . . . . . . . . 30 1.2 Les conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 2. L’affaire IMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 © Estelle Derclaye, 2002. * Herchel Smith Senior Research Fellow, Queen Mary, Université de Londres, Royaume-Uni. 21 22 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.1 La procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2.2 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 2.3 La décision de la Commission . . . . . . . . . . . . . . 39 2.3.1 Le marché en cause . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2.3.2 Position dominante . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2.3.3 Abus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 2.3.4 Effet sur le commerce entre États membres . . . 41 2.4 Ordonnance du Président du Tribunal du 10 août 2001 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 2.5 Ordonnance du Président du Tribunal du 26 octobre 2001 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 2.6 Critiques et commentaires . . . . . . . . . . . . . . . . 44 2.6.1 Détermination de l’essentialité de la structure sur base de l’avis des clients de l’entreprise en position dominante . . . . . . . . . . . . . . . . 44 2.6.2 Application tronquée du dispositif de l’arrêt Bronner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 2.6.3 Non-application du dispositif de l’arrêt Magill . 48 2.6.4 Titularité du droit d’auteur sur la structure . . . 48 3. Quelle devrait être l’issue de l’affaire IMS?. . . . . . . . . . 50 3.1 Ressemblances et différences entre les faits de l’affaire IMS et les faits des décisions antérieures . . . . . . . . 50 3.1.1 Le comportement des parties . . . . . . . . . . . 50 3.1.2 La situation des entreprises en position dominante . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Abus de position dominante 23 3.1.3 Les relations entre les parties au litige . . . . . 51 3.1.4 Les produits ou services en cause . . . . . . . . 51 3.2 À quel résultat arrive-t-on si l’on applique le test tripartite de Bronner? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 3.3 Que se passe-t-il si on applique les conditions de Magill?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Annexe: Tableau comparatif des décisions . . . . . . . . . . . . 54 Introduction L’affaire IMS a fait éclater au grand jour la confusion actuelle qui règne à propos de la manière dont doivent être réglés les rapports entre l’article 82 du Traité instituant la Communauté européenne1 et les droits de propriété intellectuelle. Le juriste se trouve devant la jurisprudence communautaire relative aux refus abusifs de concéder une licence d’exploitation sur des droits intellectuels comme un explorateur sans carte, boussole ni torche en pleine nuit noire dans une forêt broussailleuse, labyrinthique, parsemée de ronces, constellée de sables mouvants et dans laquelle se terre le monstre du Dr Frankenstein. Le titulaire de droit, lui, est plutôt confronté à une roulette russe culinaire que lui proposerait le monstre: il ne sait pas s’il va être mangé et si oui, à quelle sauce. Quant aux instances communautaires, elles sont dans la peau du malheureux Dr Frankenstein, désolé et horrifié devant sa création incontrôlable. Bref, pour reprendre les mots simples mais si efficaces d’un certain professeur de droit dont on taira ici l’identité à propos de la jurisprudence d’une haute instance judiciaire, et qui résument bien la situation dans laquelle se sont empêtrées les instances judiciaires communautaires et ont entraîné à leur suite les juristes et les titulaires de droits intellectuels, «l’affaire n’est pas claire». Les conditions auxquelles un titulaire de droits intellectuels peut se voir imposer une licence obligatoire2 par les instances communautaires sont obscures: la ou les 1. La nouvelle numérotation de la version consolidée du Traité instituant la Communauté Européenne («TCE») issue de la révision du Traité de Rome par le Traité d’Amsterdam sera adoptée tout au long de l’article. Cependant pour les décisions antérieures à la version consolidée, les anciens numéros des articles seront maintenus. Ainsi le nouvel article 82 sera désigné par l’expression «ex-article 86». 2. Dans cet article, on entend par «licence obligatoire» uniquement l’imposition par les instances judiciaires communautaires à un titulaire de droits intellectuels d’une obligation d’octroyer à des tiers une licence d’exploitation sur ses droits d’auteur. Il ne s’agit pas des licences non volontaires (qui comprennent les licences légales et les licences appelées elles aussi obligatoires) prévues expressément par les lois relatives aux droits d’auteur comme des exceptions aux droits exclusifs des auteurs. Pour des détails, voir par ex. A. STROWEL, (1991), «Licences non volontaires et socialisation du droit d’auteur: un danger ou une nécessité?», C.P.I., p.161 et s. 25 26 Les Cahiers de propriété intellectuelle conditions sont-elles uniques, multiples, cumulatives ou alternatives? Le présent article tente de débroussailler la jurisprudence et de déterminer quelle devrait être l’issue de l’affaire IMS. Pour tenter de voir plus clair dans l’imbroglio jurisprudentiel communautaire, les décisions antérieures à IMS ayant impliqué des droits de propriété intellectuelle sont comparées (section 1) et les différences et ressemblances tant dans leurs faits (1.1) que dans les conditions auxquelles une licence obligatoire peut être imposée (1.2) sont mises en lumière. L’affaire IMS est ensuite exposée, commentée et critiquée (section 2). Ces développements permettent de déterminer quelle devrait être l’issue de l’affaire IMS (section 3). Un tableau comparatif reprenant les faits et dispositifs des décisions clôture la présente étude. Vu que la majorité des affaires concernaient le droit d’auteur3, l’accent sera mis sur celui-ci, avec des références aux autres droits de propriété intellectuelle lorsqu’elles sont pertinentes. L’article ne se concentre pas sur la jurisprudence nationale relative aux refus abusifs de concéder des licences. Un examen et une critique de l’application de la théorie ou doctrine des installations essentielles aux droits de propriété intellectuelle dépasseraient également les limites de cet article. Pour des raisons de place, la présente étude ne développe pas en détail des solutions pour remédier à l’état de la jurisprudence. 1. Comparaison des décisions antérieures Cette section comparative ne peut, pour des raisons de place, présenter en détail les cinq affaires pertinentes à savoir: Renault4, 3. L’expression «droit d’auteur» est utilisée dans cet article dans son sens large, c’est-à-dire comprenant tant le droit d’auteur au sens de propriété littéraire et artistique (pays de droit civil) que le copyright (pays de common law). 4. CJCE, Consorzio italiano della componentistica di ricambio per autoveicoli et Maxicar C. Régie nationale des usines Renault, 5 octobre 1988, aff. 53/87, Rec., p. 6037. Abus de position dominante 27 Volvo5, Magill6, Ladbroke7 et Bronner8. Pour de plus longs commentaires sur ces affaires, on renvoie le lecteur à l’abondante littérature qu’elles ont générée et au tableau comparatif. 5. CJCE, AB Volvo c. Erik Veng (UK) Ltd., 5 octobre 1988, aff. 238/87, Rec., p. 6211. Sur les affaires Renault et Volvo, voir I. GOVAERE (1996), The use and abuse of intellectual property rights in EC law: including a case study of the EC spare parts debate, London, Sweet and Maxwell, p. 195 et s.; V. KORAH (1988), «No duty to licence independent repairers to make spare parts: the Renault, Volvo and Bayer & Hennecke cases», EIPR, p. 381; P. GROVES (1989), «The use of registered designs to protect car body panels», BLR, p. 117. Une fois cités, l’article se référera dans la suite aux articles de doctrine uniquement par l’auteur, la date et la page. 6. TPI (deuxième chambre), Radio Telefis Eireann c. Commission, 10 juillet 1991, aff. T-69/89, Rec., II, p. 485 et TPI (deuxième chambre), ITP c. Commission, 10 juillet 1991, aff. T-76/89, Rec., II, p. 575 (les jugements du Tribunal ont la même substance); CJCE, Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c. Commission, 6 avril 1995, aff. jtes C-241/91 P et C-242/91 P, Rec., p. 743. La décision de la Commission, les arrêts du Tribunal, l’opinion de l’avocat général et l’arrêt de la Cour, ont soulevé beaucoup de critiques et de commentaires, voir entre autres Y. POULLET (1991), «CEE, Commercialisation des informations: droit d’auteur et droit de la concurrence à propos de programmes de télévision (affaire Magill)», DIT, 1991/4, p. 60; T. VINJE (1992), «Magill: Its impact on the information technology industry», EIPR, p. 397; B. SUFRIN (1992), «Comment on the Magill Case», Ent. LR, p. 67; A. REINDL (1993), «The magic of Magill: TV program guides as a limit to copyright law?», IIC, p. 60; C. MILLER (1994), «Magill: time to abandon the ‘specific subject matter’ concept», EIPR, p. 417; M. SHERWOOD-EDWARDS (1994), «The Advocate General’s opinon in Magill: will it persuade the ECJ», Ent. LR., p. 151; R. THOMPSON (1995), «Magill: ECJ upholds use of article 86 to control conduct of copyright holders on ancillary markets», Ent. LR, p. 143; R. GREAVES (1995), «Magill est arrivé», ECLR, p. 244; S. TAYLOR (1995), «Copyright versus right to compete: the judgment of the ECJ in Magil», CTLR, p. 99; T. VINJE (1995), «The Final Word on Magill. The Judgment of the ECJ», EIPR, p. 297; M. VIVANT (1995), «La propriété intellectuelle entre abus de droit et abus de position dominante (À propos de l’arrêt Magill de la Cour de Justice)», J.C.P., I, no 47, 3883; H. LUGARD (1995), «ECJ upholds Magill: it sounds nice in theory, but how does it work in practice?», EBLR p. 231; C. DOUTRELEPONT (1995), «Les organismes de télévision abusent-ils de leur position dominante dans l’exploitation d’informations protégées? Une remise en cause de la fonction essentielle du droit d’auteur», CDE, p. 648; H. CALVET et T. DESURMONT (1996), «L’arrêt Magill: une décision d’espèce?», RIDA, n. 167, p. 3; O. RÉGNIER (1996), «Propriété intellectuelle et concurrence dans l’affaire Magill: vrai malaise ou faux conflit?», A&M, p. 29; I. GOVAERE (1996), p. 135-150, nos 5.47-5.67; S. ANDERMAN (1998), EC Competition law and intellectual property rights: the regulation of innovation, Clarendon, Oxford, p. 204 et s. 7. TPI, Tiercé Ladbroke SA c. Commission, 12 juin 1997, aff. T-504/93, Rec., II, p. 923. Pour des commentaires sur cette affaire, voir par ex. D. FITZGERALD (1998), «Magill Revisited», EIPR, p. 154-161; V. KORAH (1998), «The Ladbroke saga», ECLR, p. 169-176. 8. CJCE, Oscar Bronner GmbH & Co. KG contre Mediaprint Zeitungs-und Zeitschriftenverlag GmbH & Co. KG, Mediaprint Zeitungsvertriebsgesellschaft mbH & Co. KG et Mediaprint Anzeigengesellschaft mbH & Co. KG, 26 novembre 1998, aff. 7/97, Rec., p. 7791. Bien que cette affaire ne concerne pas un droit de 28 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.1 Les faits 1.1.1 Le comportement des parties Renault et Volvo, qui détenaient des droits de modèles sur des pièces de carrosserie de voitures, refusaient d’octroyer une licence aux réparateurs indépendants, les empêchant ainsi de fabriquer des pièces de rechange. Les télédiffuseurs irlandais et britanniques BBC, RTE et ITP9, titulaires de droits d’auteur sur leurs grilles hebdomadaires de programmes, refusaient d’accorder une licence de reproduction de celles-ci à l’éditeur de guides de télévision irlandais Magill. Les sociétés de courses françaises refusaient de donner à Ladbroke, une société belge preneuse de paris, une licence de retransmission en direct des courses hippiques françaises. Mediaprint, éditeur autrichien de quotidiens, refusait de distribuer le quotidien d’Oscar Bronner par son système national de livraison de quotidiens à domicile. Seul le refus des télédiffuseurs a donné lieu à l’imposition d’une licence obligatoire. Dans aucun des autres cas, les titulaires ne se sont vus forcés d’octroyer une licence. À première vue, les faits des cinq affaires semblent substantiellement les mêmes. Mais il y a bien une différence entre Magill et les autres décisions et elle est de poids. La différence, c’est que le produit de Magill (un guide hebdomadaire exhaustif reprenant les programmes télévisés séparés des trois télédiffuseurs) est nouveau. Les réparateurs indépendants de voitures Renault et Volvo ne voulaient pas créer de nouveaux produits. Ils devaient fabriquer des produits fatalement identiques. Une pièce remplaçant la pièce de carrosserie d’origine doit nécessairement reproduire les mêmes caractéristiques que cette dernière sinon elle ne pourra pas s’emboîter dans la carrosserie. Ladbroke souhaitait une licence de retransmission sur les courses hippiques en direct non pas pour créer un nouveau produit propriété intellectuelle, elle est néanmoins pertinente parce qu’elle remodèle les dispositifs des affaires précédentes et surtout parce que la Commission s’est largement, sinon uniquement, appuyée sur son dispositif pour juger l’affaire IMS. Pour des commentaires sur l’affaire Bronner, voir par ex. P. TREACY (1998), «Essential facilities – is the tide turning», ECLR, p. 501; F. WOOLDRIDGE (1999), «The essential facilities doctrine and Magill II: The decision of the ECJ in Oscar Bronner», IPQ, p. 256; M. BERGMAN (2000), «The Bronner case, a turning point for the essential facilities doctrine», ECLR, p. 59. 9. ITP n’était pas à proprement parler un organisme de radio- ou télédiffusion mais s’était fait assigner le droit d’auteur dans les programmes de télévision des télédiffuseurs ITV et Channel 4. Pour des raisons de simplicité, on l’assimilera à un télédiffuseur dans le reste de cet article. Abus de position dominante 29 mais simplement pour les diffuser telles quelles et ainsi agrémenter son activité de preneur de paris. Bronner ne souhaitait pas non plus innover, il désirait seulement avoir accès au système de Mediaprint pour distribuer son quotidien existant. 1.1.2 La situation des entreprises en position dominante Dans les affaires Volvo, Renault et Bronner, le refus d’octroyer une licence résultait du comportement d’une seule firme. Dans Ladbroke, le Tribunal de Première Instance mentionne que les sociétés de courses ont une position dominante collective mais, comme il ne trouve pas d’abus, il n’examine pas cette condition en détail. Dans Magill, comme il n’y avait pas collusion entre les trois télédiffuseurs, la Commission n’avait pas choisi d’attaquer sur base de l’ex-article 85 TCE mais bien sur base de l’ex-article 86. Cependant, la Cour au point 47 semble sous-entendre qu’ils ont une position dominante collective: «Par la force des choses, RTE et ITP [...] disposent, ensemble avec BBC, d’un monopole de fait sur les informations servant à confectionner les grilles des programmes de télévision»10. Or il faut une collusion pour avoir une position dominante collective. Ainsi, dans Magill, il semble plutôt qu’on ait eu affaire à un hybride entre position dominante individuelle et position dominante collective11. Un tel comportement est proche d’un accord ou d’une pratique concertée prohibés par l’article 81 TCE et est d’autant plus suspect puisqu’il est le fait de sociétés chacune en situation de monopole. Le comportement d’une firme seule est moins répréhensible que le comportement de plusieurs firmes12. Peut-être ce comportement atypique, exceptionnel, a-t-il également joué dans la décision d’ordonner aux télédiffuseurs de concéder une licence. 1.1.3 Les relations entre les parties au litige Dans aucun des cinq cas les demandeurs d’accès n’étaient des clients existants des sociétés en position dominante. Ceci est important car, dans les affaires antérieures, la Cour avait jugé que le refus était abusif parce qu’il excluait toute concurrence du marché en 10. C’est nous qui soulignons. À l’instar de la Cour, ni la Commission ni le Tribunal n’avait dit explicitement que les trois télédiffuseurs détenaient une position dominante collective. 11. R. THOMPSON (1995), p. 144. Contra: R. WHISH (2001), Competition Law, 4e éd., Butterworths, p. 612 pense qu’il s’agissait d’une position dominante individuelle de chaque firme. 12. Comme semble le suggérer P. AREEDA (1989), «Essential Facilities: An Epithet in Need of Limiting Principles», Antitrust Law Journal, p. 842 et 852. 30 Les Cahiers de propriété intellectuelle cause, notamment ou principalement parce qu’il entraînait la rupture de relations contractuelles entre le fournisseur en position dominante et le client13. Vu qu’il n’est pas clair que les conditions de l’arrêt Magill sont cumulatives ou non14, on ne peut être certain que le fait d’exclure toute concurrence du marché par le biais du refus est une raison primordiale, nécessaire ou suffisante pour laquelle la Cour a décidé de sanctionner le comportement des télédiffuseurs. 1.1.4 Les produits ou services en cause Dans tous les cas, sauf Bronner, il s’agissait d’un produit ou service protégé par un droit de propriété intellectuelle. 1.2 Les conditions On dresse ici un résumé chronologique des conditions ou circonstances dans lesquelles une licence obligatoire peut être imposée. Dans chacun de ses arrêts, la Cour15 rappelle d’entrée de jeu le principe selon lequel la simple possession et le simple exercice d’un droit de propriété intellectuelle (en l’occurrence le simple refus d’octroyer une licence) n’engendrent ni une position dominante ni un abus de celle-ci16. Pour qu’il y ait abus, il faut «quelque chose en plus»17. Ce quelque chose constitue les exceptions à ce principe. Les arrêts Volvo et Renault constituent les premiers exemples non exhaustifs18 de circonstances exceptionnelles dans lesquelles le refus d’un titulaire de droits de propriété intellectuelle en position 13. Voir CJCE, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents Corporation c. Commission, 6 mars 1974, aff. jtes 6 & 7/73, Rec., p. 223; CJCE, United Brands, 14 février 1978, aff. 27/76, Rec., p. 207; CJCE, Hugin Kassaregister AB c. Commission, 31 mai 1979, aff. 22/78, Rec., p. 1869; CJCE (cinquième chambre), Centre Belge d’Etudes de Marché Tele-Marketing c. CLT, 3 octobre 1985, aff. 311/84, Rec., p. 3261. 14. Voir discussion infra. 15. Par contre, le Tribunal ne rappelle pas le principe dans son arrêt Ladbroke. 16. Ce principe a été pour la première fois énoncé dans l’affaire Parke (CJCE, Parke, Davis & Co. c. Probel, Reese, Beintema-Interpharm et Centrafarm, 29 février 1968, aff. 24/67, Rec., p. 81) qui ne concernait pas un refus de livrer mais le blocage d’importations par un titulaire de brevet. 17. H. CALVET et T. DESURMONT (1996), p. 29, à propos déjà des arrêts Volvo et Renault. 18. La Cour utilise les termes «l’exercice du droit exclusif [...] peut être interdit par l’article 86 s’il donne lieu [...] à certains comportements abusifs, tels que le refus arbitraire...». Abus de position dominante 31 dominante peut être abusif (points 9 de l’arrêt Volvo et 15 de l’arrêt Renault). Il s’agit: – du refus arbitraire de fournir des pièces de rechange à des réparateurs indépendants, – de la fixation de prix pour ces pièces de rechange à un niveau inéquitable19, – de la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un modèle particulier alors que beaucoup de voitures incorporant ce modèle sont toujours en circulation. Dans l’affaire Magill, la Cour ne reprend qu’une des circonstances énoncées dans Volvo et Renault, à savoir le refus arbitraire qu’elle rebaptise «refus injustifié», et ajoute trois circonstances dans lesquelles un titulaire peut être forcé d’accorder une licence. Toutefois, du fait de la formulation vague des relations entre ces conditions, on ignore si la première condition (point 54) est suffisante pour constituer un abus de position dominante ou bien si les deux autres conditions (points 55 et 56) se cumulent alternativement ou cumulativement avec la première20. L’arrêt est donc sujet à plusieurs interprétations à savoir: 19. On remarquera par ailleurs que la fixation de prix à un niveau inéquitable n’est pas à proprement parler un refus de livrer ou de concéder une licence. D’ailleurs les deux arrêts parlent plus généralement d’exercices de droits exclusifs par les titulaires de droits de propriété intellectuelle donnant lieu à des comportements abusifs. Toutefois R. WHISH (2001), p. 611 qualifie les refus au sens de l’article 82 de «constructifs» et y inclut la fixation de prix inéquitables, l’imposition de conditions commerciales pour la fourniture inéquitables ou la discrimination entre différents clients. Le refus de livrer ne se trouve d’ailleurs pas repris dans l’article 82, à l’opposé de la fixation de prix inéquitables (art. 82a)) et la discrimination entre partenaires commerciaux (art. 82c)). 20. Au point 54, la Cour semble vouloir dire que la première circonstance est suffisante en soi («54. Le refus, par les requérantes, de fournir des informations brutes en invoquant les dispositions nationales sur le droit d’auteur a donc fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau, un guide hebdomadaire complet des programmes de télévision, que les requérantes n’ offraient pas, et pour lequel existait une demande potentielle de la part des consommateurs, ce qui constitue un abus suivant l’article 86, deuxième alinéa, sous b), du traité.») tandis qu’au point 57, elle semble par contre laisser entendre que les trois conditions (points 54 à 56) sont cumulatives («57. Étant donné l’ensemble de ces circonstances, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en qualifiant le comportement des requérantes d’abus de position dominante au sens de l’article 86 du traité») (c’est nous qui soulignons). S. ANDERMAN (1998), p. 209-210 et H. LUGARD (1995), p. 233, se demandent également si les conditions de l’obstacle à la création d’un produit nouveau et celle de se réserver toute concurrence sur un marché dérivé sont cumulatives; V. KORAH (2002, a), «Symposium: The Federal 32 Les Cahiers de propriété intellectuelle Pour qu’un refus d’accorder une licence d’un droit de propriété intellectuelle constitue un abus de position dominante, il faut et il suffit: (1) de faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs (point 54), ou (2) de faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs et de refuser d’accorder une licence sans justification (point 55) et de se réserver le marché secondaire des guides de télévision hebdomadaires en excluant toute concurrence sur ce marché21 (point 56), ou (3) de faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs et de refuser d’accorder une licence sans justification, ou (4) de faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs et de se réserver le marché secondaire des guides de télévision hebdomadaires en excluant toute concurrence sur ce marché. Ensuite, dans Ladbroke, le Tribunal ne reprend que la première circonstance de Magill mais en ajoute une, clairement alternative. Un refus de livrer est contraire à l’article 82 (point 131): (1) s’il concerne un produit ou service essentiel à l’activité en question dans le sens où il n’y a aucun substitut réel ou potentiel ou (2) est un nouveau produit dont l’introduction est empêchée malgré la demande potentielle spécifique, constante et régulière22 des consommateurs. Circuit and Antitrust: The Interface Between Intellectual Property and Antitrust: The European Experience», Antitrust Law Journal, p. 810 et 814, voit les trois conditions comme cumulatives. 21. Cette condition provient de l’arrêt Commercial Solvents c. Commission, 6 mars 1974, aff. 6/73 et 7/73, Rec., p. 223, point 25 à laquelle la Cour se réfère. 22. Les termes «constante» et «régulière» sont redondants. Un des deux devrait suffire. Abus de position dominante 33 Ainsi si on combine la lecture de Magill avec celle de Ladbroke, le Tribunal élargit les circonstances dans lesquelles un refus d’accorder une licence est abusif puisqu’une circonstance alternative supplémentaire est énoncée qui n’existait pas dans Magill23. Il est important de remarquer que cette condition supplémentaire est un obiter24 et on peut douter de sa force. De surcroît, le Tribunal requalifie plus précisément la «condition de produit nouveau», reprenant ainsi sa propre formulation telle qu’énoncée dans ses décisions ITP et RTE25. Dans ce sens, on peut dire qu’il restreint la condition telle qu’énoncée par la Cour dans Magill. Si à ce stade, on combine les dispositifs des décisions Volvo, Renault, Magill et Ladbroke, il y a vraisemblablement six circonstances (alternatives ou cumulatives) dans lesquelles le refus d’accorder une licence peut entraîner une infraction à l’article 82: (1) le refus arbitraire ou injustifié de fournir le produit ou service en question ou d’accorder une licence à des concurrents (généralisation du dispositif des arrêts Volvo, Renault et Magill), (2) la fixation de prix pour les produits ou services à un niveau inéquitable (Volvo et Renault), (3) la décision de ne plus produire des pièces de rechange pour un modèle particulier alors que beaucoup de voitures incorporant ce modèle sont toujours en circulation (Volvo et Renault), (4) entraver l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle [spécifique, constante et régulière] des consommateurs (Magill et Ladbroke), 23. Contra: V. KORAH (1998), p. 169 et 173, soutient que Ladbroke interprète de manière restreinte le dispositif de l’arrêt Magill. 24. Voir point 131 «à supposer même que...». Le Tribunal n’avait en effet pas besoin d’aller plus loin puisque comme il avait établi qu’il n’y a pas de restriction de concurrence, les conditions de l’article 82 n’étaient pas remplies. E. SHEEHAN (1999), «Unilateral refusals to deal and the role of the essential facility doctrine, A US/EC comparative analysis», World Competition, p. 84; V. KORAH (2002, a), p. 814, notant quand même qu’il n’y a pas de distinction claire dans les décisions du Tribunal et de la Cour entre les obiter dicta et les ratio decidendi. 25. Points 62 de la décision RTE et 48 de la décision ITP. 34 Les Cahiers de propriété intellectuelle (5) se réserver un marché secondaire ou dérivé en excluant toute concurrence sur ce marché (Commercial Solvents, Magill), (6) le refus de livrer concerne un produit ou service essentiel à l’activité en question dans le sens où il n’y a aucun substitut réel ou potentiel (Ladbroke). Dans l’affaire Bronner, la Cour juge que pour qu’il y ait abus, il faut que (point 41): (1) le refus du service compris dans la livraison à domicile puisse éliminer toute concurrence dans le marché des quotidiens de la part de la personne demandant ce service (Commercial Solvents, Magill), et (2) qu’un tel refus ne soit pas capable d’être objectivement justifié (Magill), et (3) que le service en lui-même soit indispensable pour continuer l’activité de cette personne, dans la mesure où il n’existe pas de substitut actuel ou potentiel pour ce système de livraison à domicile (Ladbroke). La Cour qualifie ces trois conditions. Premièrement, il doit y avoir des obstacles techniques, juridiques ou économiques qui rendent impossible, ou même déraisonnablement difficile, pour un éditeur de quotidiens d’établir, seul ou en coopération avec d’autres éditeurs, son propre système de livraison national (point 44). Deuxièmement, il faut au moins établir qu’il n’est pas économiquement rentable de créer un second système de livraison à domicile pour la distribution de quotidiens ayant un tirage comparable à celui des quotidiens distribués par le système existant (point 46). Le contenu du dispositif de la décision Bronner ne diffère pas des dispositifs des décisions antérieures en ce qu’il reprend quelques-unes des circonstances déjà énoncées dans les arrêts Magill et Ladbroke. Cependant, la différence et la nouveauté majeures par rapport aux dispositifs antérieurs consistent en ce que c’est la première fois que la Cour applique clairement des conditions de manière cumulative. Elle s’écarte donc du dispositif de la décision Ladbroke26. De la sorte, d’une part, la Cour restreint sa jurisprudence puisque ce 26. E. SHEEHAN (1999), p. 84. Abus de position dominante 35 n’est qu’à la condition que les trois circonstances soient remplies qu’il y aura refus abusif. D’autre part, la Cour néanmoins semble abandonner la première circonstance énoncée dans Magill (celle de l’entrave à l’apparition d’un produit nouveau). Elle donne à penser que cette circonstance n’est plus pertinente pour juger les cas de refus de livrer ou d’octroyer une licence. Ainsi, si l’on interprète l’arrêt Magill comme cumulant toutes les conditions, le test tripartite de Bronner étend la jurisprudence. La raison pour laquelle l’arrêt Bronner ne reprend pas cette circonstance est probablement que dans cette affaire, le refus de Mediaprint ne faisait pas obstacle à l’apparition d’un produit nouveau. La Cour n’a donc pas senti l’obligation de réitérer cette condition primordiale. Toujours est-il qu’on reste perplexe: cette condition est-elle toujours d’application ou la Cour a-t-elle reviré de jurisprudence? Quelques commentaires additionnels s’imposent pour clôturer ce résumé de la jurisprudence. Premièrement, on voit que la Cour dans Bronner ajoute le qualificatif d’objectivité à la justification du refus. Mais on constate que dans toutes les décisions, tant la Cour que le Tribunal sont restés muets sur la notion exacte de refus (objectivement) justifié. Aucune explication ni exemple ne sont donnés. La condition selon laquelle le titulaire doit justifier son refus va, à notre avis, totalement à l’encontre de la substance même des droits de propriété intellectuelle. Un titulaire de droit d’auteur ne devrait pas justifier son refus, car le refus fait partie de son droit exclusif27. Cette condition ne devrait pas jouer dans la détermination du caractère abusif du refus d’un titulaire de droits de propriété intellectuelle au sens de l’article 82. Deuxièmement, on a beaucoup écrit que dans Bronner, la Cour avait finalement adopté la doctrine des installations essentielles déjà amorcée par le Tribunal dans l’affaire Ladbroke et même dans l’arrêt Magill28. Pourtant, tant le Tribunal que la Cour se gardent bien de citer cette théorie dans le texte. De plus, vu la confusion qui règne, d’une part, à cause de l’incertitude sur le caractère cumulatif ou alternatif des conditions de Magill et, d’autre part, parce que l’on ne sait si dans Bronner la Cour a abandonné la «condition de produit nouveau» énoncée dans Magill, même si on admet que la doctrine a été adoptée, on ne connaît toutefois pas avec certitude sa substance exacte ni ses conditions d’application précises. 27. Voir par ex. R. THOMPSON (1995), p. 145; O. RÉGNIER (1996), p. 31. 28. Certains font remonter ladite doctrine à l’arrêt Commercial Solvents, voir par ex. R. WHISH (2001), p. 612. 36 Les Cahiers de propriété intellectuelle Comme on peut le voir apparaître maintenant de manière plus évidente, la jurisprudence de la Cour en matière de refus abusif d’octroyer une licence est loin d’être limpide. On ignore en fin de compte dans quelle(s) circonstance(s) «exceptionnelle(s)» – le sont-elles vraiment? – un titulaire de droit d’auteur peut se voir contraint d’accéder à la demande de concurrents et de leur fournir une licence. Dans l’affaire IMS, la Commission se base uniquement sur le test tripartite de Bronner, confirmant ainsi l’apparent mouvement de la Cour vers l’adoption de la doctrine des installations essentielles. L’état équivoque de la jurisprudence constitue d’ailleurs la raison principale pour laquelle le Président du Tribunal de première instance surseoit provisoirement à l’exécution de la décision. 2. L’affaire IMS29 2.1 La procédure L’affaire IMS est née d’une plainte devant la Commission de National Data Corporation Health Information Services («NDC») selon laquelle l’entreprise Intercontinental Marketing Services Health Inc. («IMS») abuse en Allemagne de sa position dominante sur le marché des fournitures de données sur les ventes régionales de produits pharmaceutiques, position dominante acquise grâce à la création d’une structure, permettant l’établissement de ces données, et sur laquelle elle a des droits d’auteur au titre de base de données. 29. L’affaire IMS a déjà fait couler quelque encre, voir par ex. P. LANDOLT et J. YSEWYN (2001), «Intellectual property rights and EC Competition law», 111 Copyright World, p. 19-21; D. PAEMEN et C. NORALL (2001), «IMS Health reveals EC’s steel resolve», Managing IP, September, p. 60; C. STOTHERS (2002), «The end of exclusivity? Abuse of intellectual property rights in the E.U.», EIPR, p. 86-93; D. HULL, J. ATWOOD et J. PERRINE (2002), «Intellectual property and compulsory licensing», European Antitrust Review, p. 97-100; J. RATLIFF (2002), «Major events and policy issues in E.C. Competition law, 2001: Part 2», ICCLR, p. 64-65; R. O’DONOGHUE et D. ILAN (2002), «Court halts Commission Shake-up of compulsory licensing rules for intellectual property», 118 Copyright World, p. 8-9; V. KORAH (2002, a), p. 801-839; V. KORAH (2002), «Essential facilities and a duty to licence – IMS», papier présenté à la Fordham Intellectual Property Conference, New York, 4-5 avril 2002, qui reprend substantiellement l’article cité précédemment et critique très fort la décision de la Commission; J. TEMPLE LANG (2002), «Comment on Professor Korah’s paper: «Essential facilities and a duty to licence – IMS»», papier présenté à la Fordham Intellectual Property Conference, 4-5 avril 2002; F. FINE (2002), «NDC/IMS: what is the real subject matter?», 121 Copyright World, p. 19-21. Abus de position dominante 37 Le 3 juillet 2001, la Commission enjoint provisoirement à IMS (dans l’attente de la décision finale de la Commission) de cesser d’abuser de sa position dominante30. IMS dépose devant le Tribunal de première instance une demande d’annulation (au principal) de la décision de la Commission31. Entre-temps, IMS prie également le Président du Tribunal de première instance de prendre des mesures provisoires pour surseoir à l’exécution de la décision de la Commission32. Le Président rendra deux ordonnances (une du 10 août 2001 et une du 26 octobre 200133) suspendant l’exécution de la décision de la Commission. NDC se pourvoit devant le Président de la Cour contre l’ordonnance du Président du Tribunal du 26 octobre 2001. Le 11 avril 2002, le Président de la Cour confirme l’ordonnance du Président du Tribunal34. D’autre part, en parallèle à la procédure communautaire, s’est déroulée une procédure en référé devant les juridictions allemandes. En bref, IMS a obtenu devant le Tribunal régional (Landgericht) de Francfort que PI Pharmaintranet («PI», maintenant absorbée par NDC), NDC et Azyx, qui reproduisaient la structure à 1860 modules ou des structures dérivées de celle-ci, cessent d’enfreindre son droit d’auteur35. Les appels de PI, NDC et Azyx ont été rejetés36. Le 30 août 2001, le Landgericht de Francfort a sursis à statuer dans la procédure de contrefaçon du droit d’auteur opposant IMS et NDC et a posé des questions préjudicielles à la Cour37. 30. Décision de la Commission 2002/165/CE du 3 juillet 2001 relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaire COMP D3/38.044 – NDC Health/IMS Health: mesures provisoires), notifiée sous le numéro C(2001) 1695, JOCE, L 59 du 28.02.2002, p. 18 – 49. 31. Sur base de l’article 230, paragraphe 4 TCE. 32. Sur base des articles 242 et 243 TCE. 33. Aff. T 184/01 R, en cause IMS c. Commission, AzyX Deutschland GmbH Geopharma Information Services, NDC et NDC Health GmbH & Co. KG, toutes deux disponibles sur http://www.curia.eu.int. 34. Ordonnance du Président de la Cour, 11 avril 2002, aff. C-481/01 P(R), disponible sur http://www.curia.eu.int. Comme elle présente peu d’intérêt sur le fond, elle ne sera pas discutée dans cet article. 35. Le tribunal de Francfort a ainsi confirmé la protection de la structure par le droit d’auteur. 36. Pour les détails de la procédure nationale, voir points 28 à 31 de la décision de la Commission. 37. La même affaire est donc maintenant devant deux instances communautaires: le Tribunal et la Cour. Dans un tel cas, le Tribunal suspend normalement la procédure pour la reprendre après que la Cour ait rendu son arrêt; si les questions préjudicielles visent également à annuler l’acte, le Tribunal peut se déclarer non compétent. Pour plus de détails, voir art. 47 §3 du Statut de la Cour. Pour un exemple procédural en matière de concurrence, voy. CJCE, 14 décembre 2000, Masterfoods Ltd. c. HB Ice Cream Ltd., aff. C-344/98, Rec., p. 11369. 38 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2 Les faits Le fonctionnement du marché peut être décrit de la manière suivante. Il y a plusieurs acteurs: les laboratoires pharmaceutiques, les grossistes en produits pharmaceutiques, les pharmacies et les fournisseurs de données. IMS, NDC et Azyx38 fournissent aux laboratoires pharmaceutiques allemands des informations, données ou rapports sur les ventes par secteurs (ou ventes régionales) de produits pharmaceutiques en pharmacie et sur les prescriptions médicales. Les laboratoires recourent à ce système pour pouvoir contrôler l’évolution de leurs ventes, le succès de leurs produits, la performance de leurs représentants en produits pharmaceutiques qui visitent les médecins, etc. En bref, ces données leur permettent de prendre des décisions stratégiques pour pouvoir améliorer la vente de leurs produits. De tels marchés existent dans les autres pays de la Communauté mais la présente procédure ne vise que la position d’IMS sur le marché allemand. La fourniture de ces données est soumise à la loi fédérale allemande sur la protection des données (Bundesdatenschutzgesetz)39. Pour fournir ces données aux laboratoires en respectant ladite loi, la loi allemande oblige de créer une structure qui regroupe au moins trois pharmacies. Pour établir leurs rapports sur les ventes, les fournisseurs de données font appel aux grossistes. Ceux-ci doivent établir un rapport sur base des ventes qu’ils font aux pharmacies en respectant la structure déterminée par les fournisseurs de données. Les fournisseurs de données établissent à leur tour des rapports sur base des informations qui leur sont données par les grossistes selon cette structure. Les rapports des fournisseurs de données sont destinés aux laboratoires pharmaceutiques. IMS a créé une structure, appelée la structure «en 1860 modules». Celle-ci consiste en un découpage du territoire allemand en 1860 zones géographiques (ou «modules») dans laquelle chaque module regroupe un certain nombre de pharmacies et qui sert à l’établissement de données sur les ventes. Comme on l’a vu, cette structure est protégée par un droit d’auteur au titre de base de données40. Jusqu’en 1999, IMS était en situation de monopole dans la 38. Les situations d’Azyx et NDC étant très semblables, on discutera exclusivement celle de NDC. 39. Qui découle de la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JOCE, L 281 du 23.11.1995, p. 31. 40. V. KORAH (2002, a), p. 824 parle, à tort, d’une méthode commerciale («business method»). C. STOTHERS (2002), p. 92 parle de «method of presenting data». Ces termes ne sont pas utilisés par la Commission. Abus de position dominante 39 fourniture de données sur les ventes régionales en Allemagne. PI fait son entrée sur le marché allemand en 1999 avec une autre structure mais les laboratoires la rejettent parce qu’elle n’est pas compatible avec la structure en 1860 modules. Par la suite, NDC, qui a alors racheté PI, crée une structure compatible avec la structure en 1860 modules d’IMS qui est un dérivé de cette dernière et peut ainsi convenir aux laboratoires. IMS poursuit alors NDC devant les juridictions nationales pour contrefaçon à son droit d’auteur sur la structure en 1860 modules et NDC se voit condamnée par ordonnance à cesser d’utiliser cette structure dérivée. Elle construit alors une autre structure (à 3942 modules) non dérivée de celle d’IMS. NDC se plaint alors à la Commission qu’IMS abuse de sa position dominante en lui refusant l’accès à sa structure ou en d’autres termes, en refusant de lui concéder une licence d’utilisation de sa structure. 2.3 La décision de la Commission 2.3.1 Le marché en cause41 Le marché de produits est le marché des services de fourniture de données sur les ventes régionales (de produits pharmaceutiques) en Allemagne. Le marché géographique est l’Allemagne uniquement car la demande de données régionales se limite au pays concerné et parce que les marchés des produits pharmaceutiques ont tendance à être nationaux (du fait que les médicaments sont différents dans chaque État membre – différences en ce qui concerne les marques, emballages, modes de remboursement, langues des modes d’emploi, etc.). 2.3.2 Position dominante42 IMS est en situation de quasi-monopole, car avant l’arrivée d’Azyx et NDC, IMS était seule sur le marché et les parts de marché de NDC et Azyx sont minimes43. La Commission en conclut donc qu’IMS a une position dominante dans une partie substantielle du marché commun, c’est-à-dire l’Allemagne, qui est par ailleurs le plus grand marché d’Europe pour la fourniture de données sur les ventes régionales. 41. Points 45 et s. de la décision. 42. Ibid., points 57 et s. 43. Leurs valeurs n’ont pas été révélées par la Commission pour protéger le secret d’affaires. 40 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.3.3 Abus La Commission interprète à juste titre la décision Ladbroke comme établissant des circonstances alternatives44 et choisit de se baser uniquement sur le test tripartite de l’arrêt Bronner pour évaluer s’il y a abus. Elle examine dans le désordre si les trois conditions de Bronner sont remplies. La Commission passe d’abord en revue la troisième condition énoncée dans Bronner, c’est-à-dire si la structure d’IMS est essentielle à l’activité de NDC dans le sens où il n’existe pas de substitut réel ou potentiel45. Pour déterminer si la structure est essentielle, elle se base sur le fait de savoir si les utilisateurs de données sur les ventes régionales souhaitent acheter des données formatées selon une autre structure. En d’autres termes, elle base sa détermination de l’essentialité de la structure sur l’attitude des clients d’IMS46. Comme, selon la Commission, la structure est devenue une norme sectorielle, il ne serait pas économiquement rentable pour les firmes pharmaceutiques de se tourner vers une autre structure. Elles sont devenues captives de ce standard. Les coûts de changement de structure seraient si élevés que les firmes pharmaceutiques ne décideraient pas de changer. Et la Commission d’énumérer et de commenter en détail cinq raisons pour lesquelles les firmes sont captives du standard47. Premièrement, elles utilisent les données formatées selon la structure en 1860 modules sur des périodes variant de 1 à 5 années; donc, si elles changeaient de structure, elles ne pourraient plus comparer les données. Deuxièmement, il y a un problème de compatibilité des données car les données fournies dans la structure à 1860 modules sont aussi utilisées en connexion avec d’autres logiciels ou autres données qui utilisent aussi la structure. Troisièmement, les firmes n’auraient pas tendance à se tourner vers une autre structure car un tel changement aurait pour conséquence la rupture des relations entre les médecins et les visiteurs médicaux. Quatrièmement, un changement de structure nécessiterait une modification des contrats de travail de certains représentants médi44. «Cet arrêt [Ladbroke] indique clairement qu’un refus de licence peut constituer un abus non seulement lorsqu’il entrave l’apparition d’un nouveau produit, mais aussi lorsque le produit ou le service en question est essentiel pour l’exercice de l’activité concernée» (point 68 de la décision). 45. Ibid., points 75-123. 46. À cet effet, elle se base sur les réponses qu’elle a obtenues d’un certain nombre de laboratoires. 47. Points 93 et s. de la décision. Abus de position dominante 41 caux parce que le secteur dans lequel ils travaillent (qui est un regroupement de plusieurs modules) forme la base de leurs contrats de travail. Finalement, un changement de structure impliquerait également un changement des logiciels et des applications utilisant la structure. Ensuite, la Commission semble, sous le titre «Il est peu probable que les concurrents créent une autre structure»48, discuter la première condition énoncée dans Bronner, c’est-à-dire celle selon laquelle le refus doit pouvoir éliminer toute concurrence dans le marché des fournitures de données sur les ventes régionales de la part de la personne demandant ce service, en l’occurrence NDC. La Commission déclare que les possibilités de créer une autre structure sont minces parce qu’il y a des contraintes juridiques (respecter la loi sur les données personnelles) et techniques (nécessité de respecter les limites du code postal). Au surplus, toute structure alternative devra s’écarter très sensiblement de la structure en 1860 modules parce que, dans le cas contraire, les laboratoires rechigneront à l’adopter de peur qu’elle n’enfreigne le droit d’auteur d’IMS. Ceci diminue plus encore les chances de créer une structure alternative49. Enfin, la Commission examine la deuxième condition du test tripartite de Bronner, la justification du refus de l’octroi de licence50. Elle estime qu’il n’existe aucune raison objective justifiant le refus d’IMS d’accorder une licence à NDC ou Azyx. Pour ce faire, elle n’avance pas beaucoup d’arguments. Le refus d’IMS d’accorder à Azyx une licence alors qu’Azyx propose une redevance plus élevée que celle proposée par NDC semble suffire pour qualifier le refus de non objectivement justifié. Le fait qu’il y a une plainte pour vol de certains documents d’IMS (non relatifs à la structure) par des employés de NDC mais qu’il n’y a pas d’inculpation n’est pas non plus une raison valable pour refuser une licence. La Commission ne mentionne pas d’autres raisons objectives. 2.3.4 Effet sur le commerce entre États membres La Commission n’a pas eu de difficulté à trouver que la conduite d’IMS a un effet sur le commerce entre États membres51. Le refus 48. 49. 50. 51. Ibid., points 124 à 166. Ibid., point 145. Ibid., points 167 à 174. Ibid., points 175 à 178. Cette condition est en effet généralement assez aisément remplie parce qu’elle a été interprétée largement. Voir par ex. R. GREAVES (1998), «The Herchel Smith Lecture 1998: Article 86 of the E.C. Treaty and intellectual property rights», EIPR, p. 380. 42 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’IMS a pour but d’éliminer Azyx et NDC du marché et plus généralement empêche toute concurrence sur le marché (qu’elle provienne de firmes allemandes ou d’autres États membres52). La structure de la concurrence dans le marché commun est ainsi altérée. La Commission conclut donc à l’abus de position dominante vu que les trois conditions cumulatives énoncées dans Bronner s’appliquent: le refus injustifié d’IMS élimine toute concurrence du marché des services de fourniture de données régionales, car la structure est indispensable pour continuer l’activité d’Azyx et NDC, dans la mesure où il n’existe pas de substitut actuel ou potentiel à cette structure53. La Commission répète encore qu’«[a]insi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt Ladbroke, il n’est pas nécessaire qu’un refus de livrer empêche l’apparition d’un nouveau produit pour qu’il soit considéré comme un abus»54. La Commission impose en conséquence de cause à IMS «d’accorder sans délai et sur une base non discriminatoire, à toutes les entreprises qui sont actuellement présentes sur le marché des services de fourniture de données sur les ventes régionales en Allemagne, une licence d’utilisation de la structure à 1860 modules, afin de permettre à ces entreprises d’utiliser et de vendre des données sur les ventes régionales formatées selon cette structure»55. 2.4 Ordonnance du Président du Tribunal du 10 août 2001 Dans cette ordonnance «intermédiaire», le Président dit en substance qu’il est clair que les circonstances de l’affaire IMS diffèrent de celle de l’affaire Magill56. Il semble qu’IMS a prouvé prima facie que la Commission s’est fourvoyée et a mal appliqué les conditions de l’arrêt Magill. Vu qu’IMS devrait potentiellement subir des conséquences économiques importantes du fait que la décision de la Commission lui ordonne de concéder une licence sur sa structure et que cela serait un empiètement substantiel sur son droit d’auteur, le Président décide de surseoir temporairement à l’exécution de la décision de la Commission jusqu’à ce qu’une ordonnance finale ait été 52. Azyx par exemple est une firme belge, ce qui prouve que le refus a des effets sur le commerce entre États membres. Voir aussi D. PAEMEN et C. NORALL (2001), p. 63. 53. Points 180 et 181 de la décision de la Commission. 54. Ibid. 55. Article 1 de la décision. 56. Point 24 de l’ordonnance. Abus de position dominante 43 rendue dans la procédure en référé. Cette ordonnance finale est celle du 26 octobre 2001. 2.5 Ordonnance du Président du Tribunal du 26 octobre 2001 Le Président adhère aux arguments d’IMS et met l’accent sur l’arrêt Magill, qui semble être considéré comme l’arrêt de référence en la matière et que la Commission semble avoir passé sous silence dans son raisonnement. Le Président répète qu’il est clair qu’il y a des différences entre les faits de l’affaire Magill et ceux de l’affaire IMS. Il souligne que la Commission a aperçu ces différences mais qu’elle n’a pas sérieusement contesté leur importance57. Le Président résume la décision de la Commission. Pour cette dernière, il y aura exploitation abusive si le titulaire du droit de propriété intellectuelle refuse d’accorder une licence à de nouveaux concurrents qui veulent procurer le même service ou de nouvelles variantes du même service sur le marché concerné et que ces nouveaux concurrents sont incapables de fournir ce service car ils ne peuvent pas reproduire la structure du titulaire de propriété intellectuelle sans enfreindre son droit d’auteur58. Selon le Président, la Commission interprète ainsi de manière élargie le dispositif de l’arrêt Magill. Elle semble appliquer de manière non cumulative les conditions assimilées à des «circonstances exceptionnelles» dans l’arrêt Magill59 car il ne semble pas que la Commission considère indispensable, pour trouver des circonstances exceptionnelles, le fait de faire obstacle à l’apparition d’un produit ou service nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs (point 54 de l’arrêt Magill)60. En effet, la Commission annonce clairement qu’elle se base sur le dispositif alternatif de l’arrêt Ladbroke pour exclure l’examen des faits de l’affaire IMS sous la circonstance de l’obstacle à la création d’un produit nouveau. Comme, selon l’arrêt Ladbroke, un abus peut résulter de l’une comme de l’autre circonstance, elle ne se base que sur le test tripartite établi dans l’arrêt Bronner. Le Président conclut qu’il y a incertitude juridique quant à la question de savoir si les conditions ou circonstances exceptionnelles 57. 58. 59. 60. Ibid., point 100. Ibid., point 101. Voir par ex. point 67 de la décision de la Commission. Points 100 et 102 de l’ordonnance. 44 Les Cahiers de propriété intellectuelle énoncées dans l’arrêt Magill sont cumulatives ou non61. Tant IMS que la Commission peuvent avoir raison. Ce conflit d’interprétations de la notion de circonstances exceptionnelles ne peut être résolu qu’en statuant au principal. Ainsi, comme il existe un différend sérieux sur le point de savoir s’il existe bien des circonstances exceptionnelles qui justifient l’imposition d’une licence, IMS prouve bien qu’elle est en droit d’obtenir une mesure provisoire. Il y a également urgence car ramener le droit d’auteur à un droit économique de bénéficier des redevances de licences édulcore l’essence même de ce droit et est, en principe, de nature à entraîner un préjudice potentiellement grave et irréparable à son titulaire62. Comme la balance des intérêts penche en faveur de la sauvegarde du droit d’auteur d’IMS63, le Président surseoit à l’exécution de la décision de la Commission. 2.6 Critiques et commentaires On peut faire une série de remarques critiques sur la décision de la Commission. 2.6.1 Détermination de l’essentialité de la structure sur base de l’avis des clients de l’entreprise en position dominante En ce qui concerne l’application de la condition de produit ou service essentiel, on peut à juste titre se demander s’il est opportun de déterminer l’existence de l’abus sur base de l’attitude des clients de la société en position dominante64. Dans le raisonnement de la Commission, il semble que ce soit le rejet par les utilisateurs d’une structure alternative qui rende la structure à 1860 modules essentielle. La détermination du caractère indispensable de l’installation dépendrait donc essentiellement de la volonté des utilisateurs. La Commission procède à une évaluation principalement subjective et non objective. Certes, il est vrai qu’elle trouve qu’il existe des contraintes légales (la loi sur la protection des données et le droit d’auteur d’IMS) et techniques (les contraintes du code postal) qui rendent déraisonnablement difficile (selon elle) la création de struc- 61. 62. 63. 64. Ibid., point 104. Ibid., point 125. Ibid., point 144. Sur ce point, voir V. KORAH (2002, b), p. 11 et 15. Abus de position dominante 45 tures alternatives65 – soit dit en passant: qu’entend-on par déraisonnablement difficile66? Toutefois, son raisonnement est surtout basé sur l’appréciation subjective des clients d’IMS67. On notera encore que si la contrainte légale ou encore l’obstacle réglementaire qui rend déraisonnablement difficile la constitution d’une autre structure consistait exclusivement dans le droit d’auteur d’IMS, cela reviendrait à tourner purement et simplement une doctrine qui se veut exceptionnelle en principe. En effet, cela voudrait dire que la condition établie au point 44 de l’arrêt Bronner68 serait automatiquement remplie à chaque simple refus d’accorder une licence par un titulaire de droit d’auteur en position dominante! Cette affirmation de la Commission est donc extrêmement lourde de conséquences. On ne peut donc accepter l’argument selon lequel c’est parce que les utilisateurs ne veulent pas d’un produit ou service alternatif qu’il n’y a pas de substitut potentiel ou réel. Si une meilleure structure était mise en place, très certainement les entreprises changeraient. C’est même peut-être parce que la structure à 1860 modules est actuellement la meilleure et que les structures de NDC et Azyx ne sont pas aussi compétitives que les laboratoires pharmaceutiques ne veulent pas en changer. On ne peut reprocher à IMS d’avoir su créer la meilleure structure existante puisque la notion même de concurrence encourage les firmes à être les meilleures69. Par ce raisonnement, la Commission semble en effet protéger les concurrents plutôt que la concurrence70 et donc le bien-être de la société en général. 65. Point 127 de la décision. Elle ajoute qu’il existe aussi «d’autres contraintes objectives» mais ne les cite pas. 66. Cette notion n’a pas été expliquée par la Cour dans Bronner et la Commission ne s’aventure pas non plus dans une définition. 67. La Commission rejette d’ailleurs le point de vue d’IMS que cette évaluation subjective est inopportune, voir point 129. 68. «[...] il existe des obstacles techniques, réglementaires ou même économiques [...] de nature à rendre impossible [ou] même déraisonnablement difficile, pour tout autre éditeur de quotidiens, de créer, seul ou en collaboration avec d’autres éditeurs, son propre système de portage à domicile à l’échelle nationale et de l’utiliser pour la distribution de ses propres quotidiens». 69. Il ne faut pas oublier que les compétitions existent pour être gagnées et que le concurrent le plus innovateur qui produit les biens les plus performants et répond le mieux aux attentes des consommateurs gagnera sur ses concurrents souvent en acquérant une position dominante, voire un monopole. Voir R. WHISH (2001), p. 11 et la fameuse citation du juge Learned Hand dans l’affaire US c. Aluminium Co of America, 148 F.2d 416 (1945), à la page 430: «The successful competitor, having been urged to compete, must not be turned upon when he wins». 70. Comme le lui reproche le Président du Tribunal, voir point 145 de l’ordonnance du 26 octobre 2001. 46 Les Cahiers de propriété intellectuelle Si la détermination du caractère essentiel d’une installation était basée sur les attitudes des consommateurs, cela signifierait que chaque fois que les consommateurs ne voudraient pas changer de produit et que des concurrents souhaiteraient pénétrer le marché, le refus de l’entreprise en position dominante serait abusif et l’entreprise en position dominante devrait leur accorder une licence. Quelle aubaine pour les autres entreprises potentiellement concurrentes! Elles n’auraient qu’à attendre qu’une firme investisse dans la création d’un produit, qu’il devienne un standard, que le standard soit bien installé et que les habitudes des consommateurs soient bien ancrées, pour demander une licence. Si elle leur était refusée, rien ne serait perdu, au contraire, puisque la Commission la leur accorderait par le biais de l’article 82. Si c’est ce que le droit de la concurrence favorise, il a des effets désastreux puisqu’il décourage, voire annihile, la création d’œuvres. Les entreprises espéreront toutes qu’une d’entre elles fasse cet effort mais aucune ne le fera car elles savent ce qui les attend. Appliqué de cette manière, le droit de la concurrence a un effet contraire à celui recherché c’est-à-dire l’augmentation du bien-être sociétal puisqu’il n’y aura plus d’innovation et donc de progrès. Par contre, si on laisse les choses en l’état (pas d’imposition de licence), les firmes qui désirent concourir avec le «monopoleur» actuel devront pour l’évincer créer un produit ou service nouveau et meilleur et convaincre les utilisateurs de l’adopter71. Un tel état des choses force le «monopoleur» actuel à rester sur la balle et à constamment améliorer son produit ou service car il ne souhaite pas être détrôné par d’éventuelles innovations de concurrents potentiels. Une telle situation favorise la concurrence. Ce raisonnement est d’ailleurs très proche des critiques généralement formulées à l’encontre de l’application de la doctrine des installations essentielles aux droits de propriété intellectuelle et aussi plus généralement72. Comme l’affaire Bronner n’impliquait pas des 71. Voir T. COTTER (1999), «Intellectual property and the essential facilities doctrine», Antitrust Bulletin, p. 239 et s. (citant J. LOPATKA et W. PAGE (1995), «Microsoft, monopolization and network externalities: some uses and abuses of economic theory in antitrust decision making», Antitrust Bulletin, p. 317 et 336) qui relève que beaucoup de produits (spécialement des produits bénéficiant d’un effet de réseau, à l’instar de la structure d’IMS) dans lesquels les consommateurs apparaissaient être «piégés» à un moment donné ont néanmoins cédé devant des améliorations technologiques. 72. Voir par ex. W. LAVEY (1982), «Patents, copyrights, and trademarks as sources of market power in antitrust cases», Antitrust Bulletin, p. 440; P. AREEDA (1989), p. 841; S. TAYLOR (1995), p. 102; A. OVERD et B. BISHOP (1998), Abus de position dominante 47 droits de propriété intellectuelle, la Cour a peut-être été plus encline à bien ancrer la théorie des installations essentielles. On peut dès lors se demander si le test tripartite de Bronner devrait servir pour juger des cas impliquant l’usage de droits de propriété intellectuelle ou bien si au contraire les décisions pertinentes doivent être Volvo, Renault, Magill (et éventuellement Ladbroke), avec Magill comme «arrêt de référence». Plus généralement, la question est posée quant au rôle et à la place exacte de la théorie des installations essentielles dans la Communauté73. Au surplus, une analyse plus en profondeur mériterait probablement d’être effectuée pour déterminer si les firmes sont réellement (devenues) captives du standard. En effet, la Commission elle-même note dans son historique de la structure en 1860 modules (points 22 et 23 de la décision) que ladite structure a évolué depuis 1969, époque à laquelle elle n’était constituée que de quelques centaines de modules, pour aboutir après de nombreux changements à une structure en 1860 modules. Ainsi les entreprises ont quand même du s’adapter à ces changements successifs. 2.6.2 Application tronquée du dispositif de l’arrêt Bronner La Commission n’a pas été au bout du raisonnement effectué par la Cour dans l’arrêt Bronner. En effet, si l’on applique les points 45 et 46 de l’arrêt Bronner aux faits de l’affaire IMS, pour démontrer que l’accès à la structure existante d’IMS est indispensable et pour qu’IMS soit forcée d’octroyer une licence, il ne suffit pas que la création d’une autre structure ne soit pas économiquement rentable en raison du faible «tirage» (on pourrait dire «pourcentage») des rapports sur les données à distribuer. Il faut au moins établir qu’il n’est pas économiquement rentable de créer une seconde structure pour la distribution de rapports sur les données ayant un «tirage» comparable à celui des rapports sur les données distribués par la structure existante. Comme cette condition n’a pas été examinée, on ne peut être sûr qu’une licence obligatoire s’imposait. Le Tribunal dans la procédure au fond ou la Cour sur question préjudi«Essential facilities: the rising tide», ECLR, p. 183; T. COTTER (1999), p. 234; E. SHEEMAN (1999), p. 87; M. BERGMAN (2000), p. 59 et s.; M. BERGMAN (2001), «The role of the essential facilities doctrine», Antitrust Bulletin, p. 403; A. CAPOBIANCO (2001), «The Essential Facility Doctrine: Similarities and Differences Between the American and the European Approach», ELR, p. 555, à propos précisément de la décision de la Commission dans l’affaire IMS. 73. E. SHEEHAN (1999), p. 86. 48 Les Cahiers de propriété intellectuelle cielle devraient en conséquence porter toute leur attention sur ce point. 2.6.3 Non-application du dispositif de l’arrêt Magill Comme le Président du Tribunal le remarque très justement, la Commission fait fi de la circonstance énoncée au point 54 de l’arrêt Magill. Autrement dit, la Commission ne trouve pas nécessaire de prendre en compte le fait que le demandeur d’accès a l’intention ou pas d’innover74. Mais peut-on le lui reprocher au vu de l’évolution de la jurisprudence? L’arrêt Magill est abscons (on ignore si ses conditions sont alternatives ou cumulatives). La décision Ladbroke a clairement émis deux conditions alternatives. Quant à l’arrêt Bronner, il semble avoir relégué la circonstance de l’entrave à l’apparition d’un produit nouveau aux oubliettes, tout en cumulant clairement certaines conditions provenant de décisions antérieures. Il est difficile de reprocher à la Commission sa lecture chronologique, et somme toute assez logique, de la jurisprudence de la Cour. En fait, la question fondamentale que l’affaire IMS pose est, que doit-on appliquer: les conditions de Magill, de Ladbroke ou de Bronner, ou bien encore une combinaison des trois, et si oui laquelle? Le Président perçoit avec raison qu’il y a une incertitude quant aux circonstances qu’il faut considérer pour décider de la nécessité d’une licence obligatoire. La jurisprudence n’est pas claire et ce, même si l’on tente de faire une distinction entre les décisions de la Cour concernant les droits de propriété intellectuelle (Magill, Ladbroke) et celles concernant des droits de propriété tout court (Bronner). En fin de compte, tant la Commission que les parties au litige et les justiciables en général sont victimes de ce flou jurisprudentiel. Le Président préfère prendre une décision de statu quo (on ne brise pas le droit d’auteur d’IMS) et laisser au juge du fond la lourde tâche de démêler l’imbroglio juridique, et c’est une chose très sage. 2.6.4 Titularité du droit d’auteur sur la structure Il semble qu’il y ait de sérieuses divergences de vues ou à tout le moins, un flou artistique quant à la titularité du droit d’auteur sur la structure. À maintes reprises, la Commission estime que le groupe de travail mis sur pied par IMS (qui regroupe les clients, c’est-à-dire les laboratoires pharmaceutiques) a joué un rôle important dans la 74. Voir aussi R. O’DONOGHUE et D. ILAN (2002), p. 9. Abus de position dominante 49 conception de la structure actuelle. Elle cite même des firmes pharmaceutiques qui affirment que la structure est le résultat d’une collaboration entre les différents acteurs de ce groupe75. Si tel est bien le cas, le droit d’auteur dont IMS se prétend titulaire ne lui appartiendrait pas à elle seule mais la structure serait en fait l’œuvre de plusieurs auteurs (œuvre collective, de collaboration ou la catégorie exacte prévue par le droit d’auteur allemand en l’espèce). D’autre part, J. Temple Lang, qui conseille IMS dans cette affaire, est d’avis pour sa part qu’IMS a fait tout le travail à elle seule même s’il est vrai qu’elle a obtenu des commentaires utiles de ses clients. Il ajoute qu’aucune de ces firmes pharmaceutiques ne revendique une part de titularité dans le droit d’auteur76. L’Oberlandesgericht de Francfort a aussi jugé le 19 juin 2001 que les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas joué un rôle déterminant dans le développement de la structure. Quoi qu’il en soit, toute la lumière mériterait d’être faite sur ce point. Cette question ne pourra a priori pas être décidée par les juridictions communautaires puisque le droit d’auteur d’IMS a été présumé mais celles-ci pourraient soulever la question et la «renvoyer» à la juridiction allemande. Pour terminer, on ne peut s’empêcher d’attirer l’attention sur une contradiction dans le raisonnement de la Commission. Elle conclut son analyse en affirmant qu’«il est impossible de répliquer l’œuvre en question pour les contraintes techniques, juridiques et économiques citées ci-dessus par voie d’une création parallèle qui n’enfreindrait pas le droit d’auteur.»77 L’expression utilisée par la Commission est quelque peu maladroite. Bien évidemment «l’œuvre en question», telle quelle, elle-même, ne peut être répliquée puisque cela enfreindrait le droit d’auteur d’IMS. La Commission aurait dû dire «une œuvre concurrente». Aussi se contredit-elle: il n’est pas impossible de créer une œuvre parallèle qui n’enfreint pas le droit d’auteur d’IMS (puisqu’Azyx et NDC ont chacune créé des structures 75. Il est plus que frappant de constater que même le directeur d’IMS déclare que ce sont les firmes pharmaceutiques qui ont eu le «dernier mot quant à la définition précise des différents segments» (point 80 de la décision). MERK abonde dans ce sens: «Toute la structure RPM est donc fondée sur un consensus de l’ensemble des commerciaux des laboratoires pharmaceutiques. IMS n’a fait qu’adopter le résultat de leurs travaux» (point 81 de la décision). Voir aussi la conclusion de la Commission au point 180 de sa décision: «MS a créé, en collaboration avec le secteur pharmaceutique et sur une période prolongée, une structure modulaire qui est devenue la norme de fait du secteur pour la présentation des données régionales et que le Tribunal de Francfort a jugée constituer sa propriété intellectuelle» (c’est nous qui soulignons). 76. J. TEMPLE LANG (2002), p. 2. 77. Point 184 de la décision de la Commission (c’est nous qui soulignons). 50 Les Cahiers de propriété intellectuelle concurrentes non contrefaisantes) mais il est seulement, selon elle du moins, déraisonnablement difficile de le faire. 3. Quelle devrait être l’issue de l’affaire IMS? 3.1 Ressemblances et différences entre les faits de l’affaire IMS et les faits des décisions antérieures 3.1.1 Le comportement des parties À l’instar des réparateurs indépendants, de Ladbroke et de Bronner et à l’inverse de Magill, Azyx et NDC ne veulent pas créer de nouveaux produits ni a fortiori améliorer les produits d’IMS. Azyx et NDC souhaitent une licence d’utilisation de la structure à 1860 modules pour l’utiliser telle quelle et non pour créer des rapports différents ou meilleurs que ceux fournis par IMS aux laboratoires mais des rapports similaires. Ceci est une première différence importante qui plaide en défaveur de l’application du résultat de l’arrêt Magill aux faits de l’affaire IMS. Une autre différence considérable entre les affaires Magill et IMS est que, contrairement à l’affaire Magill, où les télédiffuseurs avaient la mainmise sur les informations brutes pour constituer un guide de télévision hebdomadaire, IMS n’a pas de monopole sur les matériaux de base nécessaires à la construction d’une nouvelle structure. Ces informations nécessaires pour créer une structure (telles que les codes postaux, les adresses des pharmacies, des médecins, etc.) sont dans le domaine public78. On ne peut donc souscrire à l’assertion que le droit d’auteur est ici utilisé pour protéger une méthode de présentation des données, protégeant ainsi l’idée sousjacente79. Quiconque a accès aux informations brutes; elles ne sont pas protégées par le droit d’auteur. Azyx et NDC ont d’ailleurs chacune pu créer une nouvelle structure. Ainsi, la Commission s’égare lorsqu’elle énonce que «[d]ans l’affaire Magill précitée, les informations brutes sur les programmes de télévision ont été considérées comme un élément essentiel pour permettre à une entreprise de livrer concurrence sur le marché en aval (celui des guides hebdomadaires de télévision). Les circonstances sont similaires dans le cas présent, en ce que l’utilisation de la structure est un élément indispensable pour per78. Voir également J. TEMPLE LANG (2002), p. 2 et note 6. 79. Comme le prétend C. STOTHERS (2002), p. 92 (c’est nous qui soulignons). Nous supposons que l’auteur veut dire que l’idée est celle de créer une structure. Abus de position dominante 51 mettre à des entreprises de livrer concurrence sur le marché des données sur les ventes régionales en Allemagne.»80 Le niveau auquel il faut se placer n’est pas celui de la structure mais des éléments de la structure. Les éléments de la structure d’IMS sont dans le domaine public alors qu’ils ne le sont pas dans Magill. Les télédiffuseurs étaient les créateurs de l’information brute et avaient des droits d’auteur tant sur la structure de leurs grilles que sur les éléments de celles-ci tandis que le droit d’auteur d’IMS ne repose que sur la structure. Voici donc une deuxième différence importante qui plaide en défaveur de l’imposition d’une licence obligatoire à IMS. 3.1.2 La situation des entreprises en position dominante À l’inverse des trois télédiffuseurs en position dominante individuelle ou collective dans l’affaire Magill, IMS est une firme agissant seule. Si l’on considère que cela a été un élément important dans la décision d’imposer une licence obligatoire aux télédiffuseurs, ceci peut possiblement être une raison supplémentaire pour ne pas briser le droit d’auteur d’IMS. 3.1.3 Les relations entre les parties au litige Le refus d’IMS exclut Azyx et NDC du marché. Or Azyx et NDC ne sont pas des clients existants d’IMS comme dans Volvo, Renault, Magill, Ladbroke, Bronner et à l’inverse des affaires ne concernant pas des droits de propriété intellectuelle81. Il n’y a que l’arrêt Magill qui pourrait jouer en défaveur d’IMS si les conditions de l’arrêt sont considérées comme alternatives (ce qui est loin d’être évident). 3.1.4 Les produits ou services en cause Comme dans Volvo, Renault, Magill et Ladbroke, la structure en cause est protégée par un droit de propriété intellectuelle. Or la Commission dans l’affaire IMS choisit justement d’appliquer le dispositif de l’arrêt Bronner au lieu de celui de l’arrêt Magill à l’affaire IMS. C’est plutôt le dispositif de l’arrêt Magill qui devrait être la base de la décision de l’affaire IMS. 80. Point 184 de la décision de la Commission. 81. Commercial Solvents etc., voir supra. 52 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.2 À quel résultat arrive-t-on si l’on applique le test tripartite de Bronner? Le refus d’IMS d’accorder une licence d’utilisation de sa structure en 1860 modules n’élimine pas toute concurrence dans le marché des fournitures de rapports sur les ventes régionales puisqu’Azyx et NDC ont pu créer des structures alternatives non contrefaisantes. Même si l’on devait considérer que cette condition est remplie parce qu’il y a des obstacles techniques, juridiques ou économiques, qui rendent déraisonnablement difficiles pour NDC et Azyx d’établir leur propre structure, l’absence de justification objective au refus n’est pas une condition pertinente pour juger si un refus est abusif car elle va à l’encontre de la substance même de leur droit. Enfin, la structure en 1860 modules n’est pas indispensable pour permettre à NDC et Azyx de poursuivre leurs activités, dans la mesure où elles ont chacune créé un substitut. Si l’on devait néanmoins considérer ces conditions comme remplies, il reste encore à établir qu’il n’est pas économiquement rentable de créer une seconde structure pour la fourniture de rapports sur les ventes régionales ayant un «tirage» comparable à celui des rapports distribués selon la structure existante. Comme à notre avis, au moins une condition n’est pas remplie, l’accès à la structure n’est donc pas essentiel pour délivrer des rapports sur les ventes régionales aux laboratoires pharmaceutiques et le refus d’IMS n’est pas abusif. Subsidiairement, on répète que le dispositif de cet arrêt n’est peut-être pas approprié pour juger des refus d’octroyer des licences d’exploitation de droits intellectuels. 3.3 Que se passe-t-il si on applique les conditions de Magill? Si les conditions sont cumulatives, il suffit de vérifier si la première (entrave à l’apparition d’un produit nouveau) est remplie. Le refus d’IMS n’empêche pas l’apparition d’un nouveau produit. Au contraire, NDC et Azyx ne veulent ni changer ni améliorer la structure et désirent simplement fournir des produits identiques ou similaires à ceux d’IMS (les rapports sur les ventes régionales de produits pharmaceutiques). Il n’y a pas non plus de demande potentielle [substantielle, constante, régulière et spécifique] des consommateurs (c’est-à-dire les laboratoires pharmaceutiques) pour cet autre hypothétique produit. Au contraire, les laboratoires pharmaceutiques ne désirent pas d’autre structure. Force est donc de constater que le refus d’IMS d’octroyer une licence sur sa structure n’est pas abusif. Même si le test de Magill n’est pas cumulatif, les deux autres Abus de position dominante 53 conditions, qui apparaissent également dans l’affaire Bronner, ne sont pas, comme on l’a vu, remplies. En conséquence, tant si l’on applique la circonstance telle que formulée au point 54 de Magill, que si elle cumule les trois conditions de Magill ou encore si on décide de suivre la jurisprudence Bronner, il faut décider que le refus d’IMS n’est pas abusif. 5. Conclusion Il est plus que temps, vu l’incertitude juridique82 sérieuse relative aux circonstances dans lesquelles le droit d’auteur peut être sacrifié sur l’autel de l’article 82, que la Cour mette de l’ordre dans sa jurisprudence. L’affaire IMS lui donne une occasion unique. Idéalement elle devrait formuler des conditions claires et précises (c’est-àdire que leur signification soit un tant soit peu expliquée83), nettement alternatives ou cumulatives, communes à tous les droits de propriété ou distinctes si elle trouve approprié de distinguer entre les droits de propriété corporels et intellectuels. La théorie des installations essentielles a des effets néfastes sur l’innovation. Elle a été à maintes reprises décriée. Justifier un refus d’accorder une licence d’exploitation de droits intellectuels annihile la substance même du droit. On suggère que la Cour (ou le Tribunal), pour déterminer si un refus d’accorder une licence sur un droit de propriété intellectuelle est abusif, opte plutôt pour une application de la condition de produit (ou service) nouveau et substantiellement meilleur et pour lequel il existe une demande substantielle, potentielle, spécifique et constante des consommateurs84. Subsidiairement, la Cour (ou le Tribunal) devrait mentionner le problème de la titularité de la structure et renvoyer la décision de cette question au niveau national. En conclusion, l’issue de l’affaire IMS devrait être qu’aucune licence obligatoire ne devrait être imposée à IMS. Ainsi le monstre devrait l’épargner et on espère que ce sera parce que le Dr Frankenstein aura rattrapé et maîtrisé sa créature... 82. E. SHEEHAN (1999), p. 88, à propos de la doctrine des installations essentielles. 83. Si par exemple, elle retient (ce que l’on ne lui conseille pas de faire) les mots «refus objectivement justifié» et «déraisonnablement difficile», elle devrait donner des explications ou des exemples. 84. Qualifiant ainsi plus précisément le point 54 de l’arrêt Magill. 54 Les Cahiers de propriété intellectuelle ANNEXE TABLEAU COMPARATIF DES DÉCISIONS Abus de position dominante 55 Source: compilé par l’auteur. NB: la définition des marchés n’est pas toujours explicite dans les décisions ellesmêmes. Cette définition est donc dans la plupart des cas la nôtre. Vol. 15, no 1 L’auteur des œuvres musicales composées pour un film: auteur d’une œuvre dramatique? François Larose* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 2. Les conditions intrinsèques à l’œuvre . . . . . . . . . . . . . 64 2.1 L’apport, une création intellectuelle . . . . . . . . . . . 64 2.2 L’importance de l’apport pour l’œuvre créée en collaboration: la musique, composante essentielle de l’œuvre cinématographique . . . . . . . . . . . . . . . 66 2.2.1 Importance de la musique au sein de l’œuvre selon l’industrie du cinéma . . . . . . . . . . . . 67 2.2.2 Importance de la musique au sein de l’œuvre selon les juristes. . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 2.2.3 Le rôle du compositeur . . . . . . . . . . . . . . 76 © François Larose, 2002. * Avocat chez Desjardins Ducharme Stein Monast. L’auteur s’est inspiré de son mémoire de maîtrise intitulé «Le compositeur de la musique du film: coauteur de l’œuvre cinématographique», présenté à la Faculté d’études supérieures et de recherche de l’Université McGill, en novembre 2001. L’auteur désire remercier Mes Anne-Marie Lizotte et Sophie Picard pour leur aimable collaboration dans la préparation de ce texte. 57 58 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. La relation de l’artiste avec les autres collaborateurs . . . . 78 3.1 Communauté de création . . . . . . . . . . . . . . . . 78 3.1.1 Le caractère non distinct des apports . . . . . . 78 3.1.2 La collaboration entre les auteurs . . . . . . . . 80 3.2 Absence de subordination hiérarchique . . . . . . . . . 84 4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 1. Introduction My job is to take over where the director left off, to tell those things that you can’t tell in pictures or in words, and to do it elegantly. – Hans Zimmer, compositeur L’identification du créateur d’une œuvre protégée en vertu de la Loi sur le droit d’auteur1 peut habituellement s’opérer aisément: l’écrivain du roman, le compositeur de la chanson, le peintre du tableau. Cette identification s’avère nécessaire pour déterminer la titularité de l’œuvre2. La situation se corse toutefois dans le cas d’œuvres complexes, telle l’œuvre cinématographique. Une production cinématographique n’est généralement pas le fruit du travail d’une seule personne, mais naît plutôt de la collaboration de plusieurs individus. Il devient dès lors plus difficile d’identifier ses créateurs: le producteur de l’œuvre? Le réalisateur? Le caméraman? Toutes ces réponses? On retrouve dans plusieurs lois de juridictions étrangères3, en matière de droit d’auteur, une liste des coauteurs présumés de l’œuvre cinématographique ou audiovisuelle. Cette liste facilite l’identification des auteurs ou à tout le moins énonce des présomptions de titularité de l’œuvre au profit de certains auteurs; la liste comprend habituellement le scénariste, l’auteur de la musique composée spécifiquement pour le film (le «compositeur») et le réalisateur. Cette sélection permet d’associer le créateur correspondant à chacun des aspects principaux du film que nous identifions ainsi: une intrigue (écrite par le scénariste), mise sur pellicule et montée en son et 1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42 (la «LDA»). 2. Par. 13(1) LDA: l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur de cette œuvre, sous réserve d’exceptions prévues à la LDA: par. 13(2) (gravure, photographie ou portrait commandé) et 13(3) (l’œuvre exécutée dans l’exercice d’un emploi). 3. Par exemple, la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas. 59 60 Les Cahiers de propriété intellectuelle en image (responsabilité du réalisateur), accompagnée d’une musique (créée par le compositeur). Bien entendu, il s’avère possible que d’autres intervenants jouent un rôle créateur important dans l’élaboration du film – par exemple, le monteur qui sélectionnerait les images à la place du réalisateur lors du découpage ou le caméraman qui donne libre cours à son imagination dans la prise des images lors du tournage plutôt que de suivre systématiquement les indications du réalisateur. C’est pourquoi ces juridictions précisent pour la plupart que la liste des coauteurs présumés n’est pas limitative et, de même, que la présomption peut être renversée4. Notons que les législations de tradition de common law font exception à cette tendance en favorisant plutôt le producteur, soit en lui attribuant le statut d’auteur de l’œuvre5, soit en refusant la qualité d’«œuvre» au film en le désignant plutôt comme «autre objet de droit d’auteur» qui appartient au responsable de sa confection6. Au Canada, bien que la LDA tire ses origines de la Copyright Act of 1911 du Royaume-Uni7, elle s’en est distanciée depuis pour développer sa propre personnalité8. 4. Pour ainsi éviter que celui qui porte un des titres énumérés dans la liste, mais n’ayant pas véritablement fait de contribution au film, se voie octroyer un droit d’auteur auquel il n’a pas droit. 5. En vertu de la doctrine américaine du work made for hire. Voir J.-M. BAUDEL, La législation des États-Unis sur le droit d’auteur, étude du statut des œuvres littéraires et artistiques, musicales et audiovisuelles, des logiciels informatiques et de leur protection par le Copyright (Paris, Éd. Frison-Roche, 1990), 333 p. 6. L’Australie et le Royaume-Uni. Notons toutefois que dans une décision récente, Norowzian c. Arks Ltd., [1999] E.W.J. No 5678, F.S.R. 79 (C.A.), la Cour d’appel anglaise conclut qu’un film pouvait aussi être une œuvre dramatique. 7. La première loi canadienne portant sur le droit d’auteur, la Loi modifiant et codifiant la législation concernant le droit d’auteur, 11 & 12 George V, c. 24, sanctionnée le 4 juin 1921, s’était inspirée de la Copyright Act of 1911 du Royaume-Uni. 8. Ysolde GENDREAU décrit ainsi les différences de la LDA par rapport aux autres lois en matière de droit d’auteur: «From the outset, it is [clear] that the Canadian copyright act does not come within the family of the droit d’auteur or author’s right tradition. Then, even though it belongs to the copyright school of copyright, the Canadian legislation does not fall perfectly into line with the U.S. legislation. Neither can it be seen as a piece of legislation that has maintained strong ties with its British counterpart: the major British revisions that have led to the Copyright Act, 1956 and the Copyright, Designs and Patents Act 1988 have not made a concrete impact on the state of the Canadian Copyright Act»: Y. GENDREAU, «Canadian Copyright Reform: We Do It Our Way» dans H.P. Knopf, éd., Copyright Reform – The Package, the Policy and the Politics (Toronto, Insight Press, 1996) à la p. 353. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 61 Au Canada, la LDA ne précise pas qui est l’auteur du film9. La jurisprudence canadienne a très peu traité de la question10. La doctrine canadienne récente semble conclure que le film est une œuvre créée en collaboration11. En discutant avec certains intervenants du milieu de l’industrie canadienne du cinéma, on peut percevoir l’intention d’accorder au réalisateur et au scénariste la titularité initiale de l’œuvre. C’est d’ailleurs ce qui semble ressortir du document de consultation du gouvernement fédéral de la phase III de la réforme de la LDA. En annexe de ce document de consultation intitulé Cadre de révision du droit d’auteur12, on donne un aperçu des enjeux liés au droit d’auteur. Parmi ces enjeux se trouve la question de la titularité du droit d’auteur de l’œuvre audiovisuelle. On se demande si le droit d’auteur d’une œuvre cinématographique doit revenir au producteur, au scénariste ou au réalisateur13. Peu s’aventurent par contre à accorder au compositeur cette titularité – peut-être est-ce faute de pression ou de lobbysme en leur 9. 10. 11. 12. 13. On doit se rapporter à la règle générale énoncée à l’article 13 de la LDA qui prévoit que le premier titulaire du droit d’auteur d’une œuvre est l’auteur de cette œuvre. Ainsi, tous les participants à la création du film peuvent espérer se voir octroyer la titularité du film, chaque production étant un cas d’espèce. Cette situation peut sembler favorable aux créateurs autres que ceux présumés dans les listes des autres juridictions, mais maintient l’incertitude quant à l’auteur de l’œuvre cinématographique. Voir R. c. Shamy, (1990) 25 C.I.P.R. 130 (C.S.) (le scénariste, en obiter) et Films Rachel inc. (Syndic de), J.E. 95-2103 (C.S.) (une seule personne, à la fois scénariste et réalisateur). D. LÉTOURNEAU, Le droit d’auteur de l’audiovisuel: une culture et un droit en évolution – Étude comparative (Cowansville, Yvon Blais, 1995), 186 p.; N. TAMARO, Le droit d’auteur – Fondements et principes (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994) [ci-après «Fondements et principes»] à la p. 36; N. CHALIFOUR, «Le droit d’auteur, cet objet de convoitise» dans Congrès annuel du Barreau du Québec (2001), Service de la formation permanente (Montréal, Barreau du Québec, 2001), 1049. Cadre de révision du droit d’auteur, Gouvernement du Canada, disponible à l’adresse Web: http://strategis.ic.gc.ca/SSGF/rp01101f.html. Ce document décrit le processus de réforme utilisé par Industrie Canada et le ministère du Patrimoine canadien pour la réforme de la LDA, «afin de faire en sorte que cette dernière demeure parmi les lois les plus modernes et avant-gardistes du monde, tel que promis dans le discours du Trône de janvier 2001». La question de la titularité du droit d’auteur de l’œuvre cinématographique avait fait l’objet de sévères critiques de la part des réalisateurs et des scénaristes, lors de consultations sur le projet de loi C-115 qui devait être adopté pour mettre en œuvre l’ALÉNA. On proposait alors d’attribuer au producteur la titularité initiale du droit d’auteur. À la suite de ces critiques, la Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, 3e session, 34e législature, 40-41-42 Elizabeth II, 1991-92-93, a été adoptée sans régler la question, le législateur optant pour le statu quo. La règle générale, édictée à l’article 13 LDA, continue ainsi à s’appliquer. 62 Les Cahiers de propriété intellectuelle faveur14? Toutefois, les obligations internationales du Canada en matière de droit d’auteur relativement à l’œuvre cinématographique nous portent à croire que le compositeur de la musique du film devrait se trouver aux côtés du réalisateur et du scénariste en tant que coauteur du film15. Le compositeur devrait-il se voir octroyer cette cotitularité, à côté du réalisateur et du scénariste? Outre ce qui précède, nous croyons que pour répondre à cette question il faut étudier l’aspect factuel, c’est-à-dire vérifier si les 14. Ou encore, à cause du rôle effacé du compositeur: «Seldom in the annals of music history has a new form of musical expression gone so unnoticed.»: R. PRENDERGAST, A Neglected Art, A Critical Study of Music in Films (New York, New York University Press, 1977), à la p. vii. 15. La Convention de Berne donne une certaine indication des rôles importants parmi les collaborateurs: l’alinéa 14bis (2)b) et le paragraphe 14bis (3) précisent que l’exclusivité des droits d’auteur ne peut être octroyée qu’aux auteurs des scénarios, des dialogues et des œuvres musicales créées pour la réalisation du film, ainsi qu’au réalisateur principal, à moins que la législation nationale n’en décide autrement. En 1995, l’Association littéraire et artistique internationale (ALAI) publiait un rapport sur la propriété des œuvres audiovisuelles: Association littéraire et artistique internationale, Congrès du Premier siècle du cinéma, Les œuvres audiovisuelles et la propriété littéraire et artistique, Paris, Unesco, 17-22 septembre 1995. Ce rapport fait état de la situation de 15 pays sur la titularité de l’œuvre audiovisuelle ou cinématographique. On considère qu’au Canada l’œuvre cinématographique est une œuvre de collaboration avec plusieurs auteurs qui sont des personnes physiques (p. 202). Le rapport de l’ALAI précise qu’il est difficile de proposer une liste des auteurs qui doivent être normalement considérés comme auteurs de l’œuvre cinématographique dans les pays où il n’y a pas de telle liste, tel le Canada, puisque dans ces systèmes ce sont la jurisprudence et la doctrine qui mentionnent ceux qui peuvent ou doivent être considérés comme coauteurs (p. 206). Néanmoins, le rapport mentionne qu’il existe, dans les pays où la loi nomme les coauteurs du film, «un accord substantiel sur l’application de la qualification de co-auteur de l’œuvre audiovisuelle aux auteurs du scénario, des textes littéraires (argument, adaptation, dialogues, textes), et de la musique spécialement réalisée pour cette œuvre» (p. 206), précisant même que cet accord est absolu pour les auteurs du scénario et de la musique composée pour l’œuvre et du réalisateur. On ajoute plus loin, en désignant le réalisateur et les auteurs des scénarios, dialogues et de la musique créée pour le film, qu’»il existe une tendance évidente, en ce qui concerne la détermination des personnes qui doivent être considérées comme co-auteurs de l’œuvre audiovisuelle» (p. 221 et 222) et qu’ «il semble qu’on pourrait essayer d’établir à un niveau international l’attribution de la qualité d’auteur au réalisateur, nécessairement. À côté du réalisateur on pourrait inclure, suivant les différentes traditions législatives, dans une liste non exhaustive, les autres créateurs déjà mentionnés dans la Convention de Berne et dans les Directives [européennes]: auteurs des scénarios, des dialogues (texte parlé) et de la musique». L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 63 conditions nécessaires pour qualifier une œuvre «d’œuvre créée en collaboration» sont remplies. Le professeur Linant de Bellefonds affirme que «la définition de collaboration répond à deux exigences: un travail créatif conduit par plusieurs coauteurs qui réalisent leurs créations respectives animés d’une inspiration commune et en se concertant durant le processus de création»16. Le professeur Sirinelli avance qu’on peut dégager deux éléments fondamentaux pour qu’il y ait collaboration: l’élément matériel (création effective) et l’élément intellectuel (communauté d’inspiration et concertation, que nous préférons qualifier d’élément intentionnel)17. Dans la jurisprudence canadienne récente, l’affaire Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd. 18 , une décision de la ColombieBritannique, le tribunal utilise un test dans lequel on retrouve ces deux éléments matériel et intentionnel. Ce test comporte trois étapes auxquelles doit satisfaire le demandeur pour être reconnu coauteur de l’œuvre créée en collaboration (en l’occurrence, une chanson): 1) Le demandeur doit d’abord apporter une contribution originale et significative à l’œuvre (élément matériel); 2) Les parties doivent avoir l’intention de joindre leurs contributions respectives pour créer l’œuvre finale (élément intentionnel); 3) Chacune des parties doit avoir l’intention que l’autre partie soit coauteur de l’œuvre (élément intentionnel). Le tribunal précise que ce test s’applique aux faits en l’espèce. Nous n’avons alors aucune réserve à minimiser l’importance de ce troisième critère. À notre avis, la seule intention de travailler en collaboration pourrait être insuffisante19 voire non nécessaire, particulièrement pour les œuvres complexes. Par exemple, dans la création du film, il demeure probable que les scénariste, réalisateur ou compositeur ne se rencontrent jamais. Il importe plutôt de retrouver un dessein commun20, c’est-à-dire l’intention des 16. X. LINANT DE BELLEFONDS, Droit d’auteur et droits voisins, Propriété littéraire et artistique, 2e éd. (Paris, Delmas, 1997), à la p. 81. 17. P. SIRINELLI, Propriété littéraire et artistique et droits voisins (Paris, Dalloz, 1992), à la p. 42. 18. Neudorf c. Nettwerk Productions Ltd., [1999] B.C.J. No. 2831, (2000) 3 C.P.R. (4th) 129 (B.C.S.C.) [ci-après Neudorf], décision portée en appel. 19. N. TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, Texte annoté, 4e éd. (Scarborough, Carswell, 1998), à la p. 83. 20. N. TAMARO, «Fondements et principes», supra, note 12, à la p. 46; D. LÉTOURNEAU, «Qui est l’auteur de l’œuvre cinématographique au Canada?» (1995) 8 C.P.I. 9-47 [ci-après «L’auteur»], à la p. 35. Me Létourneau énumère, à la p. 36, des décisions où la notion de «dessein commun» a été déterminante pour apprécier une œuvre en collaboration: Levy c. Rutley, (1871) I.R.C.P. 523; Tate c. Thomas, [1921] 1 Ch. 503; Thibault c. Turcot, (1926) 34 64 Les Cahiers de propriété intellectuelle parties de créer l’œuvre finale, issue de leur collaboration respective, ou une œuvre qui, une fois terminée, constitue un tout. On semble retrouver l’exigence de ce dessein commun au deuxième critère du test de la décision Neudorf. L’intention devra ressortir du but recherché, c’est-à-dire qu’on pourra possiblement faire abstraction de l’intention initiale pourvu que les faits démontrent ce dessein commun. Cette intention de créer l’œuvre finale demeure, selon nous, déterminante. L’étude des systèmes de tradition civiliste, des systèmes de common law et du système canadien, et de leurs concepts respectifs d’œuvre créée en collaboration21, nous amène à partager les exigences à satisfaire en quatre critères que nous avons regroupés dans deux parties. À la première partie, nous étudions deux de ces critères qui sont intrinsèques à l’œuvre (l’élément matériel): l’aspect créatif de l’apport et l’apport créatif au sein de l’œuvre finale, que nous déterminons en mesurant l’importance de l’apport pour l’œuvre finale. À la seconde partie, nous explorons les critères eu égard à la relation entre les collaborateurs (l’élément intentionnel): la communauté d’inspiration, qui s’apparente au dessein commun, et l’absence de subordination entre les collaborateurs. 2. Les conditions intrinsèques à l’œuvre Ce titre peut porter à confusion puisqu’il n’indique pas à quelle œuvre il se rapporte: l’apport ou l’œuvre finale. En fait, il se rapporte aux deux. D’une part, l’apport doit répondre au critère d’originalité exigé par la loi. D’autre part, cet apport doit contribuer à l’originalité de l’œuvre finale. Nous mesurons cette originalité selon l’importance de l’apport – la musique – dans l’œuvre finale – le film. 2.1 L’apport, une création intellectuelle L’exigence fondamentale pour se voir attribuer la titularité d’une œuvre protégée par droit d’auteur demeure l’aspect créatif. Que l’œuvre soit créée pour être incorporée à une autre œuvre qui R.L.n.s. 415, 416, 419 et 420 (C.S. Qué.); A.T.V. Music Publishing of Canada Ltd. c. Rogers Radio Broadcasting Ltd. et al., (1982) 35 O.R. (2d) 417 (H.C. Ont.) et Goulet c. Marchand, J.E. 85-964 (C.S. Qué.). Voir aussi C. COLOMBET, Grands principes du droit d’auteur et des droits voisins dans le monde, approche de droit comparé (Paris, Litec, 1990), aux p. 28 et s. 21. Ces systèmes et leurs concepts ont fait l’objet d’une étude plus approfondie dans le mémoire de maîtrise de l’auteur de ces lignes. Voir supra note p. 57. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 65 résulte de la collaboration ne change rien, l’exigence doit subsister. Selon Me Danielle Létourneau, la première condition pour espérer obtenir le statut de coauteur demeure l’originalité de l’apport dans l’œuvre finale22. L’œuvre cinématographique «s’édifie par apports successifs, par retouches et remaniements. La contribution de chacun au fur et à mesure de l’avancement de la production se résorbe, se fond dans un ensemble qui se forme progressivement»23. Encore faut-il que ces apports soient l’objet d’un travail créatif. Selon le professeur Linant de Bellefonds, il faut «avoir imprégné l’œuvre de l’empreinte de sa personnalité»24. Bien entendu, celui qui se contente de fournir l’idée d’une œuvre n’est pas auteur de cette œuvre25. Déterminer si l’apport est suffisamment créatif ou original pour être protégé par droit d’auteur demeure une question de faits26. En ce qui concerne le compositeur de la musique du film, il ne fait aucun doute que ses compositions musicales sont des œuvres protégées en vertu de la LDA27. Ces compositions doivent toutefois contribuer à la création intellectuelle de l’œuvre cinématographique afin que le compositeur puisse prétendre détenir un droit d’auteur sur le film. Pour mesurer cet apport, il faut établir son importance dans l’œuvre finale. Cet exercice suit à la section suivante. Précisons que, pour que le compositeur puisse espérer se voir octroyer un droit d’auteur sur le film, la doctrine s’entend pour affirmer qu’il faut que sa musique ait été composée spécifiquement pour le film28. Cette exigence relève toutefois du critère de la collaboration que nous étudierons plus loin. 22. D. LÉTOURNEAU, supra, note 11, à la p. 53. Voir aussi A. SINGH, «Les œuvres de l’esprit créées par plusieurs personnes en droit français», (1998) 10 C.P.I. 581-599, à la p. 582. 23. R. SARRAUTE et M. GORLINE, Droit de la cinématographie (Paris, Librairie du journal des notaires et des avocats, 1955), à la p.116. 24. X. LINANT DE BELLEFONDS, supra, note 16, à la p. 81. 25. N. TAMARO, «Fondements et principes», supra, note 11, à la p. 39. 26. Ibid, aux p. 42 et s. Nous n’élaborerons pas davantage sur la notion d’originalité puisque le présent article ne porte pas sur cette notion qui pourrait elle-même inspirer la rédaction d’un ouvrage complet ou distinct. 27. Article 2 LDA, définition d’«œuvre musicale»: «Toute œuvre ou toute composition musicale – avec ou sans paroles – et toute compilation de celles-ci». 28. La contribution du compositeur d’une musique incorporée dans un film sans qu’elle ait été créée pour ce film sera, en droit français, une œuvre dite composite. La loi mexicaine semble permettre au compositeur d’une musique composée indépendamment du film de jouir du statut de coauteur du film. 66 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2 L’importance de l’apport pour l’œuvre créée en collaboration: la musique, composante essentielle de l’œuvre cinématographique Nous tenterons dans cette section de démontrer, grâce aux commentaires de différents intervenants, que la musique occupe généralement29 une partie importante au sein du film, donc que son apport contribue à l’aspect créatif exprimé dans l’œuvre cinématographique. La musique complète les images et l’intrigue et donne la dimension unique au film. De nos jours, sans la musique, une œuvre cinématographique demeure, selon nous et sous réserve de quelques rares exceptions, incomplète. Il convient de préciser que l’importance d’un apport pour l’œuvre créée en collaboration ne doit pas être évaluée selon le «mérite», par exemple pour récompenser l’aspirant auteur pour ses efforts ou parce qu’il a fourni l’idée de l’œuvre. Comme le souligne le professeur Caroline Carreau, «la tentation est grande, en jurisprudence, de prendre prétexte de la collaboration pour assigner de ce fait à l’un quelconque des auteurs un moindre mérite, sa seule prestation n’étant pas suffisante à couvrir l’œuvre entière, ou à tout le moins, n’étant pas entièrement le résultat d’un choix réellement autonome»30. Dans la décision Neudorf, la Cour, pour mesurer l’importance d’un apport, a utilisé une approche quantitative et qualitative: There is no bright line test for what constitutes a significant or substantial contribution. I think that the test must include both quantitative and qualitative considerations of the contribution of the joint authors. For example, one must look at the 29. Nous précisons généralement puisque, bien entendu, si pour un film la musique est presque inexistante, elle perd cette importance et ne pourra probablement pas faire de son auteur un des coauteurs du film. En moyenne, un film d’une durée de deux heures contient entre 50 et 60 minutes de musique: L. SEGER et E.J. WHETMORE, From Script to Screen, The Collaborative Art of Filmmaking (New York, Henry Holt, 1994), à la p. 307. Dans une telle situation, il appartiendra aux tribunaux de déterminer si la trame musicale remplit ou non cette exigence quantitative. 30. C. CARREAU, Mérite et droit d’auteur, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1981, par. 394. Elle cite en exemple un arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 7 juillet 1956, Ann. 1956, 211 dans lequel la Cour s’est malencontreusement penchée sur le mérite du scénariste d’avoir découvert le sujet de la création pour éviter que ce dernier ne soit privé de droits sur sa création originaire. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 67 amount and importance of the expressions to the work as a whole. And, while a claimant need not contribute a major part of the work to be considered a joint author, «someone who tinkered with and improved the work of another might not have done enough to show joint authorship».31 Cette approche sera reflétée dans notre étude. 2.2.1 Importance de la musique au sein de l’œuvre selon l’industrie du cinéma La musique joue un rôle primordial au cinéma. Elle peut servir à donner naissance à de nouvelles tendances ou à en faire revivre d’anciennes, comme les costumes peuvent influencer la mode32. Elle peut également servir d’outil promotionnel au film par la distribution en magasin de disques de la bande sonore33. Certains auteurs, en décrivant la musique de film et son rôle, ne peuvent s’empêcher de le faire de façon presque poétique: L’orchestre, dans le Prélude orageux, commence par planter un décor psychologique et météorologique à la fois. Par la suite, l’action une fois engagée, il ponctue les déplacements des personnages, met à jour leurs pensées et leur inconscient, fait chanter le printemps, et salue l’entrée des nouveaux arrivants, en suivant, non son cours propre, celui de ses rythmes, mais le rythme des paroles, des gestes et des sentiments.34 Il existe deux types de musique de film: la musique de source35 (ou musique réaliste36) et la musique de fond37 (ou musique fonctionnelle38). La musique de source reproduit la musique créée dans le déroulement des scènes par les personnages, tel un acteur qui chante 31. Neudorf, supra, note 18, à la p. 146. 32. Garth H. DRABINSKY, Motion Pictures and the Arts in Canada (Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1976), à la p. 110. 33. Ibid., à la p.114. 34. M. CHION, La musique au cinéma (Paris, Fayard, 1995), à la p. 191. 35. «Source music» en anglais: I.K. ATKINS, Source Music in Motion Pictures (Toronto, Associated University Presss, 1983), 190 p.; M. LUSTING, Music Editing for Motion Pictures (New York, Hasting House, 1980), à la p. 27. 36. R. MANVELL et J. HUNTLEY, The Technique of Film Music (New York, Focal Press, 1957), aux p. 59 et s. 37. On l’appelle aussi «score» en langue anglaise: M. LUSTING, supra, note 35. 38. R. MANVELL et J. HUNTLEY, supra, note 36. 68 Les Cahiers de propriété intellectuelle dans une comédie musicale ou un pianiste qui s’enflamme sur son piano dans un saloon. Cette musique de source doit être composée avant le tournage de la scène puisque les acteurs doivent pouvoir se repérer39. La musique de fond correspond plutôt à une musique ajoutée pour créer une atmosphère au profit du spectateur. Cette musique est généralement composée après le tournage40. Le présent texte porte davantage sur la musique de fond. Selon M. Colpi, dans un film musical, où la musique de source est omniprésente, le compositeur de la musique, si elle a été composée pour ce film, est un collaborateur indispensable de l’œuvre cinématographique41. Il ne fait aucun doute que la musique de source est un élément essentiel du film musical. La musique de fond qui joue un rôle différent est toutefois tout aussi importante et fait selon nous partie intégrante de l’œuvre42. M. John Huntley qualifie la musique de partie intégrante du scénario et de chaînon essentiel dans l’élaboration du film43. Selon M. Giovanni Fusco, la fonction propre à la musique du film doit être de «souligner, sans jamais déborder, tel ou tel moment du récit, d’éclairer musicalement certaines situations particulières, de contribuer de loin à la texture dramatique de l’œuvre, donc à aider le spectateur à comprendre ses plans les plus secrets et surtout, à 39. H. COLPI, Défense et illustration de la musique dans le film (Lyon, Société d’édition, de recherches et de documentation cinématographiques, 1963), à la p. 59. 40. Ibid., aux p. 59-60. 41. «S’il s’agit d’un film musical, le compositeur est très entouré dès l’abord. En effet, l’enregistrement doit intervenir, en totalité ou en partie, avant que la première image ne soit impressionnée. [...] Dans ce cas, le [compositeur] se trouve être un collaborateur sine qua non du film»: ibid., à la p. 59. 42. Quoi qu’en dise Alphonse Fournier lorsqu’il dénonce la comparaison entre l’œuvre cinématographique et une œuvre dramatico-musicale, tel un opéra. Selon lui, «[s]auf pour les parties chantées [...], la musique ne fait pas corps avec les paroles. Elle crée une ambiance d’accompagnement, à la lumière d’une musique de scène, et remplit surtout les intervalles ‘non parlés’. Texte et musique ne sont pas mariés, mais plus ou moins apparentés. Ils s’harmonisent, mais dans une indépendance réciproque. Le lien d’indivisibilité fait défaut»: A. FOURNIER, «Une œuvre en quête d’auteurs», (1956) 13 RIDA 3-23, aux p. 17 et 19. Bien que nous reconnaissions la différence entre la musique de source et la musique de fond, cette dernière demeure selon nous une partie intégrante de l’œuvre cinématographique. Nous ne croyons pas que le simple fait que le texte ou dialogue et la musique ne soient pas mariés fasse échec au lien d’indivisibilité. Voir dans la seconde partie, sous-section 1, «le caractère non distinct des apports», ci-dessous. 43. J. HUNTLEY, British Film Music (London, Skelton Robinson, 1947), aux p. 18-19. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 69 fouiller l’intérieur des personnages»44. On voit que le rôle de la trame musicale est multiple. Elle peut servir à saisir la psychologie des personnages, à nous faire plonger dans leurs émotions ou encore à comprendre l’action qui se déroule devant nous. M. Roy M. Prendergast, dans son excellent ouvrage sur la musique de film, reprend les conclusions de M. Aaron Copland qui résume l’utilité de la musique du film et dégage cinq fonctions de la trame musicale au sein du film45. Nous utiliserons ces fonctions pour démontrer l’importance de la musique sous plusieurs angles. La musique peut recréer une atmosphère d’espace-temps plus convaincante. Pour situer le spectateur, le compositeur aura recours à une musique qui correspond à l’endroit ou à l’époque recréés dans le film46. Cette atmosphère d’espace-temps permet, par exemple, à un jeu de cornemuse de nous transporter en Écosse. Elle permet de déplacer l’action en Inde grâce à un chant indien. La musique rock techno peut nous amener dans une période récente au sein d’un groupe de vampires.... La musique peut être utilisée pour créer un effet psychologique. La musique peut contrôler le public dans sa perception des images. Par exemple, une scène qui peut nous paraître banale pourra susciter un sentiment d’épouvante si une musique morbide accompagne la scène. Au contraire, une scène tragique peut soudainement faire sourire l’auditoire si un air joyeux s’y ajoute. La musique peut en outre révéler un élément psychologique plus facilement et plus subtilement qu’un dialogue pourrait le faire. Selon M. Palmer, «[a] composer’s job is to interpret and illuminate, rather than gratuitously to illustrate or describe, even if some element of illustration may often be involved in the illuminating»47. À l’opposé d’un récit ou d’une simple image, la musique semble 44. Témoignage sur Antonioni, dans P. LEPROHON et M. ANTONIONI, Cinéma d’aujourd’hui (Paris, Seighers, 1961), cité dans F. PORCILE, Présence de la musique à l’écran (Paris, Éditions du Cerf, 1969), à la p. 44. 45. R.M. PRENDERGAST, supra, note 14, aux p. 201 à 214. Ces conclusions sont tirées d’un article publié par Aaron Copland dans The New York Times, le 6 novembre 1949. Voir aussi M. FINK, Inside the Music Industry – Creativity, Process, and Business, 2e éd. (New York, Schirmer Books, 1996), aux p. 169 et s. 46. Sous réserve des anachronismes intentionnels que l’on retrouve dernièrement au cinéma. Voir par exemple A Knight’s Tale et l’excellent Moulin Rouge. 47. C. PALMER, The Composer in Hollywood (London, Marion Boyers, 1990), à la p. 11. 70 Les Cahiers de propriété intellectuelle s’étendre sur plusieurs dimensions. C’est d’ailleurs la comparaison que fait M. Palmer: The camera is restricted to a two-dimensional representation of what it has to communicate. Music, being by nature fluid, ambiguous and elusive of definition, can set up emotional vibrations in the mind of the audience that may complement, supplement or even contradict the visual image. It supplies an all- important third dimension.48 Dans l’ouvrage de M. François Chevassu, M. Olivier Clouzot explique en ces mots: «[La] [m]usique [est] magique non parce qu’elle modifie le donné image, mais parce qu’elle agit sur le psychisme du spectateur, amenant ce dernier à accepter implicitement la métamorphose, elle est un des artifices qui rendent l’univers cinématographique plus vrai, plus dense que la réalité»49. La musique peut servir en tant que musique de fond neutre. La musique peut parfois jouer un rôle plus effacé. Elle peut servir à soutenir une conversation entre deux personnages. Elle peut aussi servir à procurer un effet subliminal en accentuant l’image ou l’effet dramatique. Cette musique de fond ajoutera à l’image vie ou saveur. La musique peut contribuer à maintenir une impression de continuité. M. Prendergast donne l’exemple du montage des images qui peut paraître plus fluide grâce à la musique50. M. Christopher Palmer explique ainsi l’utilité technique de la musique dans le film: Frequently music’s role in film is utilitarian or cosmetic. Where cutting from one shot or scene to another is fast and constant, music has to supply continuity. [...] It can ease transition between one scene and another. It can reinforce action and emotion. As for speeding action and slowing it down, one has only to experience the interminable time that credit titles played without music seem to last to realize the power wielded by music in negating our time sense.51 48. Ibid. 49. F. CHEVASSU, L’expression cinématographique: les éléments du film et leurs fonctions (Paris, Pierre Lherminier, 1977), à la p. 164. 50. R.M. PRENDERGAST, supra note 14, aux p. 209-210. 51. C. PALMER, supra, note 47, à la p. 10. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 71 Précisons que même si la fonction de la musique peut à l’occasion s’avérer purement technique, sa création ne l’est point. Il faut éviter la comparaison entre la fonction de l’apport et la fonction d’un participant à l’équipe de tournage, tel le caméraman52. La musique peut fournir la base pour une montée d’intensité d’une scène puis lui permettre d’atteindre son apogée. La musique peut préparer l’auditoire pour les scènes qui suivent. Plus l’intensité d’une scène augmente, plus les dynamiques, le volume ou le rythme de la musique s’accentuent. La musique peut bâtir l’impression du dramatique et l’intensité à un niveau plus élevé que n’importe quel autre moyen cinématographique. En outre, la musique suscite une réaction émotive qui ne peut être obtenue d’aucune autre façon. Alors, puisque la musique du film est si importante, comment se fait-il qu’elle ne soit pas davantage appréciée? Selon M. Chevassu: «[...] une grande partie de la richesse de la musique quand elle est bonne, s’entend, échappe au spectateur de cinéma»53. Il ajoute que, de plus, «le spectateur de cinéma n’est pas apte à suivre réellement trop de discours parallèles». Il ajoute plus loin qu’«il n’est [...] pas dans la fonction de la musique de film d’accaparer toute l’attention quand on ne le lui demande pas»54. M. Chevassu rapporte les paroles de M. Maurice Jaubert qui explique la fonction spécifique de la musique du film, sa fonction de complément des images: Nous demandons [à la musique] d’approfondir en nous une impression visuelle. Nous ne lui demandons pas d’expliquer les images mais de leur ajouter une résonance de nature spécifiquement dissemblable [...]. La musique ne doit jamais oublier qu’au cinéma son caractère de phénomène sonore a le pas sur ses aspects intellectuels et même métaphysiques.55 52. Voir à ce sujet Henri DESBOIS, Le droit d’auteur en France, 3e éd. (Paris, Dalloz, 1978), à la p. 13 et Cour d’appel de Paris, 2 novembre 1981, D.S. 1983 I.R. 91, obs. C. Colombet, cité dans D. LÉTOURNEAU, supra, note 11, à la p. 37. Voir toutefois Paris, 17 juin 1988: D. 1988. IR. 306: «le caméraman de plateau qui conserve le choix des éclairages et des prises de vue peut revendiquer la qualité de coauteur». 53. F. CHEVASSU, supra, note 49, à la p. 164. 54. Ibid., à la p. 165. Voir aussi E. DALE, How to appreciate motion pictures (New York, Arno Press, 1970), à la p. 176. 55. F. CHEVASSU, ibid., à la p. 168. 72 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans l’ouvrage de M. John Huntley, M. Maurice Jaubert s’exprime ainsi: «We do not go to the cinema to hear music. We require it to deepen and prolong in us the screen’s visual impression»56. M. David Newman l’explique ainsi: The idea of a film score is not to call attention to itself. The idea is to take this mass audience and beeline it toward the director’s vision. The function of the music is to describe or illuminate the «unspokenness» of whatever the scene is. These recurring themes or textures will take you through the movie. You’ll be engaged from the beginning to end, without thinking in terms of each little scene.57 M. James Limbacher compare la musique du film avec de la musique traditionnelle pour tenter de comprendre son utilité: «[Film music] is there, but are we really not supposed to hear it? Kurt London put it in a nutshell in his book Film Music. «Absolute music», he says, «is apprehended consciously, film music unconsciously». No wonder, then, that it is all so difficult to remember when you leave the theatre»58. 2.2.2 Importance de la musique au sein de l’œuvre selon les juristes L’opinion de l’industrie cinématographique est très utile pour nous aider à déterminer l’importance de l’œuvre musicale au sein du film. Parallèlement, il y a lieu de considérer l’opinion des juristes quant à la qualité de coauteur d’une œuvre créée en collaboration attribuée au compositeur de la musique du film. Signalons d’abord les sources de cette qualification en France. M. Alain Le Tarnec écrit que l’ancien article 14 de la Loi de 1957 (aujourd’hui l’article L.113-7 du Code de propriété intellectuelle) est: [...] la consécration de la solution antérieure à l’application de la loi de 1957. Si l’auteur de la composition musicale avait composé sa mélodie en vue de l’œuvre cinématographique, il était déjà sous le régime ancien, considéré comme un des collaborateurs en 56. J. HUNTLEY, supra, note 43, à la p. 18. 57. L. SEGER et E.J. WHETMORE, supra, note 29, à la p. 315. 58. J.L. LIMBACHER, Film Music: from violins to video (Metuchen, N.J., Scarecrow Press, 1974), à la p. 36. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 73 vue de la réalisation de cette œuvre. Étant un créateur d’art, il avait donc déjà droit à la qualité de co-auteur de l’œuvre.59 Cette solution antérieure semble provenir de la décision du Tribunal civil de Seine, le 5 mai 195460, et de l’affaire «Un seul Amour», jugement du tribunal de la Seine du 6 avril 194961. C’est dans cette dernière qu’on retrouve pour la première fois une énumération de ceux qui ont la vocation de principe à figurer parmi les coauteurs62. Toutefois, bien avant ces décisions, M. André Ruszkowski prêchait déjà de toute évidence en faveur du compositeur de la musique du film. Il affirme qu’aucun grand film ne pourrait se passer de partition musicale. Il précise: [I]l faut [...] donner à l’enregistrement de la partie sonore quelque chose de plus que la parfaite reproduction des sons réellement entendus au cours de la scène. Ce «quelque chose» qui vient se joindre à la réalité pour l’embellir ou pour en souligner le caractère, c’est l’accompagnement musical. Dans la plupart des cas on l’ajoute au film au cours d’une postsynchronisation. Il est souvent composé spécialement pour le film (il devrait toujours l’être). Son rôle est de faire ressortir l’atmosphère des scènes respectives et de souligner le rythme de l’action visuelle. Que ce soit l’accompagnement musical, ou une musique qui n’est que la reproduction de la réelle partie sonore d’une scène, cette musique est toujours intimement liée à l’ensemble de l’œuvre cinématographique. Non seulement par le fait de l’enregistrement sur la même bande de pellicule, mais surtout parce qu’elle constitue un élément entièrement incorporé dans l’œuvre cinématographique, elle doit en partager le sort. Tout ce qui concerne l’ensemble de l’œuvre cinématographique concerne automatiquement sa partie musicale. [...] La musique utilisée dans une œuvre cinématographique reste – en 59. A. LE TARNEC, Manuel de la propriété littéraire et artistique, 2e éd. (Paris, Dalloz, 1966), à la p. 253. 60. Gaz. Pal., 1954.2.121. 61. Blanchar et Zimmer contre Gaumont (Gaz. Pal., 1949, I, 249, J.C.P. 1950, II, 5462), confirmé par la Cour de Paris le 14 juin 1950 (J.C.P., 1950, II, 5927, D. 1951, 9). 62. G. LYON-CAEN et P. LAVIGNE, Traité théorique et pratique de droit du cinéma français et comparé, Paris, L.G.D.J., 1957, à la p. 281. L’attendu du tribunal se lit ainsi: «Le nombre des créateurs d’art ayant participé à un film est essentiellement variable selon les espèces; rentrent cependant dans cette catégorie généralement: les auteurs du scénario, du découpage littéraire, de la mise en scène et de la musique [...]»: ibid., aux p. 280-281. 74 Les Cahiers de propriété intellectuelle ce qui concerne son existence et son exploitation dans les cadres de cette œuvre – en dehors du domaine musical. Elle appartient désormais au domaine cinématographique.63 Notons que bien que son ouvrage date de 1936, ces affirmations demeurent, à notre avis, non seulement justes, mais également actuelles. En outre, il ajoute: C’est par l’accompagnement musical qu’on soulignera le caractère et l’importance de chaque scène, c’est par cet accompagnement qu’on donnera à la partie sonore du film cette nature artistique qui, au moins dans certains genres de scènes, est nécessaire pour produire l’effet complet. [...] Ce n’est pas une simple addition à l’œuvre cinématographique. Au contraire, c’est une de ses parties intégrantes, car sans son accompagnement toute la partie sonore de l’œuvre cinématographique n’aurait pas acquis au cours de sa reproduction artistique ce nouveau caractère qui la met sur le même pied que la partie visuelle. Certes, il y a des films, ou des scènes de films, dont le genre exige qu’on n’y ajoute aucun accompagnement, de même qu’on ne fasse aucune innovation visuelle dans la reproduction artistique des scènes de ce film. Mais ce manque d’accompagnement aura alors le sens d’une indication du genre et on peut certainement conclure que ces cas ne dérogent point au principe posé, au contraire, ils le confirment.64 La jurisprudence française a, à plusieurs reprises, affirmé l’importance de la musique au sein de l’œuvre cinématographique. Dans l’affaire du film «The Kid», de Charlie Chaplin, où on a jugé que l’ajout d’une musique sans l’approbation de l’auteur du film constituait une atteinte à son droit moral, la Cour d’appel de Paris affirme que «la musique d’accompagnement d’un film, lorsqu’elle est insérée dans une bande, agit d’une façon certaine et directe sur la sensibilité du spectateur dont elle est susceptible [...] de transformer profondément les impressions»65. 63. A. RUSZKOWSKI, L’œuvre cinématographique et les droits d’auteurs: étude de droit français, de droit comparé et des conventions internationales (Paris, Sirey, 1936), au par. 32. 64. Ibid., au par. 138. 65. Cour d’appel de Paris, 1e ch., 29 avril 1959, Charlie Chaplin c. Les films Roger Richebé, Gaz. Pal., 1959, p. 264, cité dans E. DERIEUX, Colloque international, «Les modifications des œuvres audiovisuelles», dans Droits d’auteur et patrimoine culturel, Colloque international, Actes du colloque du samedi 9 juin 1990 (Paris, INPI, 1991), à la p. 57. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 75 Dans une autre décision, la Cour précise qu’en plus de créer la mélodie spécialement pour l’œuvre, le compositeur l’adapte aux images66, ce qui contribue à faire de lui un des coauteurs du film67. Par ailleurs, en révisant sa loi sur le droit d’auteur, le législateur yougoslave avait décidé de reconnaître à l’auteur des compositions musicales la qualité d’auteur seulement si sa musique était un élément essentiel de l’œuvre cinématographique. M. Zivan Radojkovic a toutefois manifesté son désaccord en rappelant que la musique était toujours un élément important du film68. À l’opposé, soulignons que certaines juridictions ne croient pas que le compositeur doive être considéré comme coauteur du film, sauf si sa contribution joue un rôle significatif dans l’œuvre. Par exemple, le comité danois du droit d’auteur, dans ses travaux préparatoires, spécifiait que le compositeur de la musique du film était un collaborateur qui participait de façon créative, mais seulement à une partie du film. Ces collaborateurs, auxquels le comité danois assimile aussi les comédiens et l’auteur d’une œuvre littéraire de laquelle découle le film, possèdent le droit d’autoriser l’utilisation de leurs collaborations respectives dans l’œuvre69. Dans son étude de droit comparé sur la titularité du droit d’auteur de l’œuvre audiovisuelle, Mme Marjut Salokannel, sans nier le droit du compositeur de se voir attribuer le titre de coauteur, ne semble pas vouloir reconnaître pour celui-ci une présomption de coauteur de l’œuvre audiovisuelle: In individual cases there may also be other professionals participating in the film-making whose creative contribution contains such originality and independence that it could satisfy the requisites of originality set by the law. The level of the creative independence must be judged in the context of the film as a totality; a person’s individual contribution must be such that it leaves a decisive mark on the whole work. If this is the case, the 66. Cour de Paris, 11 décembre 1961, (1962) 34 RIDA 22, cité dans D. Létourneau, supra, note 11, à la p. 59, n. 264. 67. D. LÉTOURNEAU, ibid. 68. Z. RADOJKOVIC, «La nouvelle réforme de la législation yougoslave sur le droit d’auteur», (1969) 59 RIDA 53, à la p. 63. À la page 64, il justifie sa position: «La meilleure preuve est que la plupart des lois étrangères retiennent la solution [de considérer le compositeur comme coauteur de l’œuvre cinématographique]». 69. M. SALOKANNEL, Ownership of Rights in Audiovisual Productions, A Comparative Study (La Haye, Kluwer Law International, 1997), à la p. 148. 76 Les Cahiers de propriété intellectuelle person may be regarded as the co-author of the cinematographic work. As an example of this kind of person is mentioned the composer of the original film music if the music plays a significant part in the film. If this is not the case, i.e. the music plays only a minor role in the film, its composer (and possibly also the arranger, lyrics writer and translator) has rights in the musical work but not in the cinematographic work itself. [renvois omis; les italiques sont nôtres]70 Elle semble ainsi prétendre que la contribution du compositeur n’est pas toujours significative pour l’œuvre audiovisuelle. Son raisonnement semble se fonder sur l’importance quantitative de l’œuvre musicale. Bien sûr, le scénario et la réalisation s’étendent sur toute l’œuvre cinématographique tandis que la musique n’accompagne jamais chacune des scènes. Le film comporte toujours plusieurs scènes sans musique. On ne peut cependant déduire que le travail ou le rôle du compositeur est nécessairement moins important. Pour jouer un rôle efficace, la musique doit parfois cesser et ne se faire entendre qu’à certains moments opportuns. En outre, il n’est pas nécessaire que les contributions de chaque coauteur soient d’une importance égale71. 2.2.3 Le rôle du compositeur M. Henri Colpi décrit bien, avec une touche d’humour, le déroulement du travail du compositeur de la musique de fond: Le film, dramatique ou comique, demande simplement une partition à livrer après le tournage. Dans cette éventualité, le musicien est contacté, par politesse, avant le début des prises de vues. Parfois il assiste à quelques projections de travail réalisé. Enfin, un coup de téléphone le fait sursauter: le premier montage va lui être montré. Le compositeur arrive, s’assied, regarde. Lorsque la dernière image s’est évanouie dans la lumière redonnée à la salle, on s’affaire autour de lui. La partition devra être rapidement écrite, le mixage aura lieu dans trois semaines, une proche sortie en grande exclusivité est déjà réservée. Nanti des minutages pour les séquences qui réclament de la musique, le compositeur travaille d’arrache-pied. Au jour dit, il fournit le fruit de son labeur. On enregistre ses 70. Ibid., à la p. 150. 71. Neudorf, supra, note 18; A. SINGH, supra, note 22, à la p. 582. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 77 pages. La pellicule prend le chemin de la salle de montage. Elle sort pour l’opération des mélanges. Si le musicien y assiste, une jaunisse le guette. Mais le plus souvent on a oublié de le convoquer. Le film est prêt. Au terme de cette précipitation, on s’aperçoit que les délais de la programmation, évidemment retardée, laissaient tout le temps de soigner les travaux finaux, et particulièrement la musique.72 Malgré cette description qui semble dépeindre le travail du compositeur comme la pénible création de l’œuvre d’un oublié, il ne faut pas en déduire que le compositeur est tenu à l’écart et que, par conséquent, il ne collabore pas au sein de l’équipe des créateurs du film. Au contraire. Il faut retenir qu’un collaborateur peut demeurer tel même s’il ne travaille pas dans l’entourage des autres collaborateurs. Ses fonctions et les circonstances font en sorte qu’il doit s’isoler puisqu’il dispose de très peu de temps pour donner vie à son apport. De même, le compositeur, quoique son œuvre musicale soit souvent créée après le tournage et son apport incorporé uniquement à la toute fin, participe quand même à l’élaboration du film puisqu’il crée une œuvre musicale entière en s’inspirant des images qu’il visionne pour ensuite joindre la musique à ces images et faire en sorte que la musique trouve tout son sens. M. John Huntley explique ainsi le rôle du compositeur au sein de l’équipe des autres créateurs, en précisant que la musique doit parfois se plier aux caprices techniques, aux exigences du scénario, ou encore prendre toute la place: [The composer] must be prepared to give and take with the other technical departments of film making; to their requirements the music must be orchestrated, balanced and re-recorded to fit the scenario’s dialogue, the quality of the actor’s voice or the use of natural sound, while elsewhere it must dominate the screen.73 M. Prendergast résume l’importance du compositeur au sein de l’équipe de création de l’œuvre d’une façon qui nous permet de conclure que son travail se rapporte à l’ensemble de l’œuvre cinématographique: 72. H. COLPI, supra, note 39, aux p. 59-60. 73. J. HUNTLEY, supra, note 56, aux p. 18-19. 78 Les Cahiers de propriété intellectuelle The film composer must understand more about every other aspect of the filmmaker’s craft than any other individual involved in the production. Since the composer is usually called in on the project after the film is complete, he must know what the director, cinematographer, actors and editor are all trying to say dramatically.74 Il émane de ces nombreux témoignages que l’industrie du cinéma voue un grand respect aux compositeurs et à la trame musicale des films. Cette trame remplit un rôle de premier plan au sein du film. L’apport du compositeur à l’œuvre cinématographique est, selon toute évidence, très important. Observons maintenant les deux dernières conditions à satisfaire pour que le compositeur jouisse du statut de coauteur du film. Ces conditions se rapportent à la relation entre les différents collaborateurs. 3. La relation de l’artiste avec les autres collaborateurs La relation qui existe entre les coauteurs est primordiale pour déterminer s’ils appartiennent au groupe des coauteurs de l’œuvre créée en collaboration. Il s’agit dans un premier temps de déterminer s’il existe réellement une collaboration entre les différents aspirants au statut de coauteur. Puis, en second lieu, il y a lieu de déterminer si cette collaboration peut faire fi d’un possible lien de subordination entre certains de ces collaborateurs. 3.1 Communauté de création Dans la présente section, nous analyserons deux éléments de la définition de l’œuvre créée en collaboration: le caractère non distinct des apports entre les auteurs et la collaboration entre eux. 3.1.1 Le caractère non distinct des apports Certains juristes prétendent que la notion de «part distincte» dans la définition de l’œuvre créée en collaboration75 suffirait pour 74. R.M. PRENDERGAST, supra, note 14, à la p. 211. 75. «Œuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres». L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 79 exclure l’œuvre cinématographique de cette définition76. Toutefois, plusieurs autres juristes précisent que, malgré la divisibilité partielle de l’œuvre cinématographique, les différentes contributions qui peuvent s’en détacher ne sont pas des parties distinctes de celle-ci et peuvent quand même faire profiter leurs créateurs du statut de coauteur de l’œuvre cinématographique77. Dans un article portant sur le droit français, M. Asim Singh énonce que la notion d’intimité spirituelle qui existe entre les coauteurs d’une œuvre de collaboration entraîne les conséquences suivantes: • il n’est pas nécessaire que les contributions individuelles soient d’une importance égale; • il n’est pas nécessaire que les contributions individuelles soient créées simultanément; et • il n’est pas nécessaire que les contributions individuelles relèvent du même genre.78 Il conclut que les contributions n’ont pas à se fondre les unes dans les autres afin de n’être plus identifiables. Par exemple, on ne peut concevoir une œuvre formée de contributions ne relevant pas du même genre – telle une œuvre cinématographique composée d’œuvres littéraires, artistiques ou musicales – qui fusionnent pour ne plus être distinctes matériellement79. La fusion ou l’absence de fusion des contributions serait, selon l’auteur, sans incidence sur le sort de l’œuvre. Ce qui importe c’est une indivision intellectuelle et non une indivision matérielle. En outre, M. Singh énonce le parallèle entre le droit français et le droit canadien: 76. Voir par exemple Jacques BONCOPAIN, Le droit d’auteur au Canada, étude critique (Montréal, Le Cercle du livre de France, 1971), p. 157, cité dans D. Létourneau, «L’auteur», supra, note 20, à la p. 34, n. 122. 77. Voir notamment D. LÉTOURNEAU, supra, note 11; N. TAMARO, «Fondements et principes», supra, note 11; C. COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, 9 e éd. (Paris, Dalloz, 1999), à la p. 99; A. BERENBOOM, Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, 2e éd., Création Information Communication (Bruxelles, Larcier, 1997), à la p. 213. 78. A. SINGH, supra, note 22, à la p. 582. 79. L’œuvre cinématographique nous met en présence de créateurs dont chacun s’exprime par un art différent – écrivains, musiciens, décorateurs, etc. Les critères sont les mêmes pour une telle œuvre que pour une œuvre créée avec la collaboration d’auteurs d’un même art. 80 Les Cahiers de propriété intellectuelle Si le texte de loi [de la définition de l’œuvre créée en collaboration dans la loi canadienne] laisse clairement entendre que l’indissociabilité (sic) des apports est une condition sine qua non de l’existence d’une œuvre de collaboration, les choses ne sont toutefois pas aussi simples.80 Il conclut en citant Me Normand Tamaro qui précise qu’il importe plutôt de chercher si les auteurs ont travaillé à la poursuite d’un dessein commun81 et que la position canadienne n’est pas très éloignée de celle du droit français82. Nous croyons que l’apport du compositeur satisfait la présente condition puisque, quoiqu’elle puisse matériellement se détacher du film, la musique créée pour une œuvre cinématographique cherche avant tout à se fusionner dans les images et dans l’intrigue. Cette fusion intellectuelle fait en sorte que la musique se fond avec les apports des autres coauteurs. 3.1.2 La collaboration entre les auteurs Pour se trouver en situation de collaboration, on parle souvent de «communauté d’inspiration» ou de «dessein commun»83, selon que la tradition juridique soit civiliste ou de common law. Peu importe l’expression utilisée, il est nécessaire de trouver parmi les coauteurs une communauté de création, c’est-à-dire un travail de création de différents auteurs dans l’optique de créer l’œuvre finale. L’expression «en collaboration» n’est pas définie dans la LDA et n’a que tout récemment fait l’objet d’une étude approfondie par la jurisprudence canadienne84. M. Barry Torno mentionne que la première décision où on a défini la notion de «création en collaboration», Levy c. Rutley85, fait état de deux exigences: l’effort conjoint et le dessein commun86. 80. 81. 82. 83. 84. 85. A. SINGH, supra, note 22, à la p. 584. Voir supra, note 20 et texte correspondant. A. SINGH, supra, note 22, aux p. 584-585. D. LÉTOURNEAU, supra, note 11, à la p. 74. Neudorf, supra, note 18, à la p. 153. (1871) L.R. 6 C.P. 523. La Cour a interprété l’article premier de la Dramatic Copyright Act de 1833. 86. B. TORNO, La propriété du droit d’auteur au Canada – Étude en vue de la révision de la Loi sur le droit d’auteur (Ottawa, Consommation et Corporations Canada, 1981), aux p. 66-67. Voir également Neudorf, supra, note 18, aux p. 151 et s. Rappelons que l’intention que l’autre partie soit coauteur de l’œuvre n’est pas, selon nous, nécessaire pour les œuvres complexes tel le film. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 81 L’étude de la jurisprudence américaine nous permet de concevoir quelques principes relatifs à cette notion permettant d’établir un certain parallèle en droit canadien. Aux États-Unis, en 1915, dans l’arrêt Maurel c. Smith87, la Cour conclut que «pour constituer une œuvre de collaboration, il faut un dessein commun»88. Elle conclut également que les deux éléments constitutifs de l’œuvre créée en collaboration doivent refléter un travail en commun, c’est-à-dire que deux ou plusieurs auteurs réunissent leurs efforts et travaillent en étroite coopération, et un but identique, c’est-à-dire l’intention de créer une œuvre unique89. Me Baudel, commentant cet arrêt, ajoute qu’«il faut rechercher l’intention des auteurs et savoir s’ils apportent ou non leur collaboration dans le but de ne réaliser qu’une seule œuvre»90. Il donne comme exemple la cas du compositeur de musique et de l’auteur de livret: si ces deux auteurs ont l’intention de mêler leurs contributions pour réaliser un seul opéra, l’œuvre sera une œuvre de collaboration91. Torno cite également les deux décisions américaines qui suivent. Il convient de considérer les principes qui s’en dégagent. Dans Edward B. Marks Music Corp. c. Jerry Vogel Music Co.92, la Cour conclut qu’il y a «possibilité de création en collaboration même si les auteurs n’avaient pas œuvré ensemble dans leur dessein commun ni en même temps, voire même si l’un d’entre eux ne connaissait pas les autres»93. En fait, il suffit que chacun «ait eu, au moment de son apport, l’intention de collaborer à l’ensemble en sachant qu’il existait d’autres collaborateurs»94. Dans Shapiro, Bernstein & Co. c. Jerry Vogel Music Co.95, la Cour précise que même si l’un des auteurs était inconnu de l’autre, le statut de coauteur pouvait quand même lui être reconnu si l’autre auteur avait accepté que son apport soit complété par quelqu’un d’autre dans la création de l’œuvre. La Cour conclut que le fait que les auteurs ne se connaissent pas ou que leurs contributions 87. 220 F. 195 (S.D.N.Y. 1915), confirmé par la Cour d’appel dans 271 F. 211 (2d Cir. 1921). 88. Ibid. 89. J.-M. BAUDEL, supra, note 5, à la p. 114. 90. Ibid. 91. Ibid. 92. 140 F.2d 226 (2d Cir. 1944). 93. B. TORNO, supra, note 86, à la p. 67. 94. Ibid. 95. 161 F.2d 406 (2d Cir. 1946). 82 Les Cahiers de propriété intellectuelle soient effectuées à des périodes différentes n’a aucune incidence en l’espèce96. La notion de dessein commun a donc été interprétée dans ces décisions américaines comme visant l’intention des auteurs et non leur collaboration matérielle. Ces arrêts ont mené à la codification des principes dégagés à l’article 101 de la Loi américaine de 197697. Notons que Torno avance ces principes jurisprudentiels américains pour inciter le législateur canadien à modifier la définition de l’œuvre créée en collaboration dans la loi canadienne. Nous croyons toutefois qu’en interprétant largement la définition de l’œuvre créée en collaboration de la LDA, la seule interprétation logique qui puisse s’appliquer à l’œuvre cinématographique, à notre avis, mènerait à un résultat semblable au Canada. On semble d’ailleurs retrouver l’exigence du dessein commun au deuxième critère du test de la décision Neudorf98. Dans son article sur le droit français, M. Singh décrit les conditions à satisfaire pour qu’un créateur français puisse devenir coauteur d’une œuvre en collaboration. Il précise qu’il faut une intimité spirituelle entre les coauteurs. Il explique cette intimité spirituelle ainsi: Cette notion [d’intimité spirituelle] exige que les coauteurs œuvrent sur leurs contributions tout en ayant à l’esprit l’ensemble qui comprendra toutes les contributions individuelles. C’est donc au regard de l’ensemble créé à partir des contributions, et plus particulièrement la conception de cet ensemble, que l’esprit de concertation doit s’apprécier.99 Cette notion d’intimité spirituelle se rapproche beaucoup de la notion de dessein commun. De même, elle semble préciser que la 96. B. TORNO, supra, note 86, aux p. 67-68. 97. On y définit l’œuvre créée en collaboration: «A ‘joint work’ is a work prepared by two or more authors with the intention that their contributions be merged into inseparable or interdependent parts of a unitary whole.» 98. Neudorf, supra, note 18 et texte correspondant. 99. A. SINGH, supra, note 22, à la p. 582. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 83 seule intention de collaborer n’est pas déterminante, mais l’intention de créer l’œuvre finale l’est100. M. Pierre-Olivier Wellauer présente dans sa thèse sur l’œuvre cinématographique en Suisse que le seul critère applicable, en sus de la création d’une œuvre protégée, est la communauté de création. En analysant ce critère et en l’appliquant à la situation du compositeur, il affirme que: [...] force est de constater que le compositeur fait un acte de création commune avec les autres collaborateurs cinématographiques: il commence généralement l’exécution de sa prestation bien avant le tournage, en composant les thèmes principaux destinés à soutenir les scènes les plus importantes. Il participe parfois même au montage, surtout s’il s’agit de dessins animés: [o]n assiste généralement [à] une collaboration étroite entre le compositeur, le réalisateur et le monteur, car le contenu et la longueur des séquences nécessitant un support musical doivent être connus du compositeur.101 Il poursuit son analyse: À notre avis, la musique constitue sans aucun doute l’un des moyens d’expression cinématographique, dont le sujet est déterminé par le scénario déjà, qui unit ainsi le compositeur aux autres collaborateurs de l’œuvre commune. Certes, sa contribution est souvent susceptible d’être exploitée séparément; c’est d’ailleurs ce qui arrive fréquemment en pratique. Toutefois, cette semi-indépendance économique ne constitue pas un empêchement à l’acquisition par le compositeur de la qualité de coauteur, la communauté de création étant la condition nécessaire et suffisante.102 Il conclut: 100. 101. 102. Voir aussi, par exemple, un arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris, 7 juillet 1956, Ann. 1956, 211), où la Cour conclut: «Considérant qu’il importe surtout, de rechercher s’il y a inspiration commune, si les auteurs ont chacun dans leur domaine respectif cherché à atteindre le même but, si l’œuvre réalisée forme ou non un tout [...]» [nos italiques], cité dans C. CARREAU, supra, note 30, aux par. 396-397. P.-O. WELLAUER, L’œuvre cinématographique en Suisse, thèse de licence présentée à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne (Lausanne, Diffusion Publicitaire, 1981), à la p. 72. Ibid., à la p. 73. 84 Les Cahiers de propriété intellectuelle [D]ès le moment où le compositeur prend connaissance du scénario définitif, s’y conforme pour créer la musique et surtout participe à son intégration dans le film, il est, non par le biais d’une fiction juridique [comme la présomption de l’article L.113-7 du Code de propriété intellectuelle français, par exemple], mais au contraire en vertu des principes généraux du droit d’auteur, l’un des coauteurs de l’œuvre cinématographique.103 La collaboration entre le compositeur et les autres coauteurs existe à différentes étapes. Par exemple, le producteur, le réalisateur et le compositeur échangent habituellement leurs idées pour le genre de musique à incorporer pour chaque séquence avant la création de l’œuvre musicale104. Parfois, le compositeur prend connaissance du scénario avant le tournage pour ainsi déterminer dans quelle mesure il peut déjà prévoir un certain nombre de séquences musicales105. De temps à autre, le compositeur n’entre en jeu qu’après le tournage. Il faut toutefois faire abstraction de ce fait106 puisque la jurisprudence n’exige pas qu’il y ait simultanéité des efforts107 et que la succession dans le temps des contributions n’enlève pas la qualité d’œuvre de collaboration108. Dès lors que sa contribution est créée dans l’objectif de la joindre aux autres créations pour résulter en une œuvre distincte, le compositeur satisfait au critère de collaboration. Le dernier critère à satisfaire porte sur la subordination entre certains coauteurs. Cette subordination peut faire échec à la collaboration si elle est «hiérarchique». Elle ne lui fait pas échec si elle est «tempérée». 3.2 Absence de subordination hiérarchique Pour qu’un créateur puisse se voir octroyer un droit d’auteur sur le film, il ne doit pas être soumis à la subordination d’un autre à un point tel, par exemple, qu’il ne fait qu’exécuter ses ordres. Me Danielle Létourneau explique les rapports entre les différents participants à l’élaboration de l’œuvre cinématographique, en 103. 104. 105. 106. 107. 108. Ibid. M. FINK, supra, note 45, à la p. 171. Commentaires de Maurice Jarre, dans F. PORCILE, supra, note 44, p. 91-92. F. PORCILE, ibid., aux p. 20-21. Voir aussi P.-Y. GAUTHIER, Propriété littéraire et artistique, 3e éd. (Paris, Presses Universitaires de France, 1999). Voir D. LÉTOURNEAU, «L’auteur», supra, note 20, à la p. 34. Voir A. SINGH, supra, note 22. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 85 distinguant les participants soumis à la subordination de ceux qui collaborent entre eux: Il y a les coauteurs de l’œuvre cinématographique, c’est-à-dire ceux qui développent entre eux des rapports de collaboration ou de coopération, et les autres, c’est-à-dire ceux qui ont agi sous la direction du réalisateur ou du producteur. Ces derniers pourront néanmoins avoir accompli un travail créateur au sens de la propriété littéraire et artistique. Dans ce cas, un droit d’auteur leur sera reconnu sur leurs contributions propres tout en leur déniant la qualité de coauteur de l’œuvre cinématographique. [citation omise]109 Elle précise ensuite que leur exclusion «au titre de coauteur de l’œuvre cinématographique est fondée sur l’état de subordination dans lequel ils exercent leurs fonctions»110. Citant Henri Desbois, Me Létourneau ajoute que «[l]e critère de coopération exige que la réalisation des contributions diverses s’effectue dans un contexte de contrôle «mutuel»»111. Selon Mme Christine Hugon, «les rapports noués à l’occasion de la réalisation de l’œuvre peuvent être classés en rapports de collaboration ou de subordination»112. Elle distingue des coauteurs plusieurs intervenants qui, «sans avoir déterminé le film dans ses traits principaux, n’en ont pas moins accompli un travail créatif au sens de la propriété littéraire et artistique, suffisamment original pour générer à leur profit un droit distinct à l’exclusion de tout droit indivis»113. Quoique nous acquiescions à ces propos, nous croyons que, malgré un esprit de collaboration entre différents créateurs, il puisse quand même exister une relation de subordination entre certains d’entre eux. Nous préférons donc discuter de l’absence de subordination comme un critère distinct plutôt que comme un corollaire de l’absence de collaboration pour bien cerner cette exigence et nous assurer que le compositeur y réponde effectivement. En effet, nous avons vu au chapitre précédent que le compositeur travaillait dans un esprit de collaboration avec les autres créateurs de l’œuvre. Nous 109. 110. 111. 112. 113. D. LÉTOURNEAU, supra, note 11, aux p. 26-27. Ibid., à la p. 27. Ibid. Christine HUGON, Le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle (Paris, Litec, 1993), aux p. 75-76. Ibid., à la p. 94. 86 Les Cahiers de propriété intellectuelle savons toutefois que le compositeur doit adapter la musique selon les images qu’on lui impose. Il doit aussi suivre les directives du réalisateur ou du producteur quant au style de musique et quant à la présence ou l’absence de musique. Ainsi, ce lien de dépendance serait-il suffisant pour faire perdre le statut de coauteur au compositeur? Nous croyons que non. La subordination doit d’abord être nuancée. La subordination qui empêche un participant à la création de l’œuvre d’être considéré coauteur de cette dernière, que nous qualifions de subordination hiérarchique, se divise en deux types. D’une part, elle peut empêcher le participant d’être titulaire de sa propre prestation. Par exemple, si un membre de l’équipe exerce un contrôle presque absolu sur ce participant, à un point tel que ce dernier se borne à exécuter scrupuleusement ses instructions sans aucune liberté créatrice114, tel un technicien, la subordination empêche le participant d’être auteur ou titulaire de la création. D’autre part, elle peut empêcher un participant d’être coauteur de l’œuvre créée en collaboration: un des participants réalise un apport créatif, mais selon les directives d’un des coauteurs. Il crée sa prestation sans véritablement travailler à la création de l’œuvre finale. Par exemple, l’architecte décorateur. Son rôle peut se limiter à ne construire que quelques décors. Cependant, à notre avis, les situations où un collaborateur ne donne que des indications à un autre n’empêchent pas la qualification de coauteur. Par exemple, le réalisateur exerce une certaine emprise sur le compositeur puisqu’il lui indique le genre de musique à composer selon l’action qui se déroule à l’écran. Nous qualifions cette subordination de subordination tempérée. Selon Lyon-Caen et Lavigne, «la collaboration s’accommode parfaitement d’un lien de dépendance entre collaborateurs; elle ne suppose pas que le travail commun soit réalisé sur un pied d’égalité»115. On peut aisément associer la situation du compositeur à ces propos. Bien entendu, le compositeur doit travailler avec certaines contraintes. Mais, malgré ces contraintes, la relation qu’il entretient avec les autres coauteurs ne peut être qualifiée de subordination hiérarchique puisque, sauf exception, le compositeur ne se borne pas à exécuter les ordres et ins114. 115. F. POLLAUD-DULIAN, «Les auteurs de l’œuvre audiovisuelle», (1996) 169 RIDA 51-127, à la p. 67. G. LYON-CAEN et P. LAVIGNE, supra, note 62, aux p. 268-269. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 87 tructions d’une autre personne. Il compose une œuvre musicale grâce à ses efforts créateurs que nul autre collaborateur ne peut réaliser. Selon François Dessemontet: [...] le fait [que les auteurs principaux] travaillent sous le contrôle et la supervision du réalisateur ou du producteur ne leur ôte pas la qualité de coauteurs. [...] [L]es intéressés agissent en fonction de leurs propres connaissances, de leurs propres expériences et de leur propre goût en proposant des choix au réalisateur et au producteur. Certes, ils créent en équipe, mais ceci ne signifie pas qu’ils n’auraient aucune marge de manœuvre, aucun choix créateur, aucune alternative à proposer. [...] [S]’il est vrai qu’ils ne sont pas entièrement responsables de leur création, ils en sont maîtres en fait dans une très large mesure.116 En fait, selon un auteur, non seulement cette subordination tempérée ne serait pas un obstacle, mais elle serait plutôt une condition essentielle pour qu’une communauté d’inspiration soit établie117. Mme Marjut Salokannel ajoute que «[t]he requirement of independent creative contribution means also that the person may not act under orders of others, but must make the creative choices independently»118. C’est ce qu’accomplit le compositeur. Le réalisateur lui indique l’atmosphère qu’il veut recréer et les scènes à rehausser grâce à la musique, mais le compositeur seul peut composer la musique. Il opère de façon indépendante dans la création de son œuvre musicale. Le compositeur Hans Zimmer déclare justement que le compositeur joue le seul rôle que le réalisateur ne peut remplir: [The composer is] the first person the director can’t really talk to about what’s going to happen. He doesn’t know about it. He can speak about the scripts, the actors, he can look through the lens of the camera. But when it comes to the music, suddenly he loses control.119 116. 117. 118. 119. F. DESSEMONTET, Le Droit d’auteur, Lausanne, CEDIAC, 1999, à la p. 244. P.-O. WELLAUER, supra, note 101, à la p. 73. M. SALOKANNEL, supra, note 69, à la p.150. L. SEGER et E.J. WHETMORE, supra, note 29, à la p. 287. 88 Les Cahiers de propriété intellectuelle M. Zimmer ajoute qu’il est plutôt exceptionnel que le réalisateur ait une certaine connaissance technique de la musique. Ainsi, le compositeur conserve une certaine liberté créatrice dans l’exécution de ses tâches et demeure responsable de l’œuvre musicale. Les indications auxquelles le compositeur doit se conformer, qui donnent naissance à une subordination tempérée et non une subordination hiérarchique, ne suffisent pas à lui soustraire le statut de coauteur de l’œuvre cinématographique. 4. Conclusion I am too old to do the hard work that lies ahead and is so obviously needed for better author’s rights contracts in the film industry in many nations. Most of you are not. Don’t just sit there, do something! John M. Kernochan, professeur émérite et directeur du Center for Law and the Arts, Columbia University School of Law En pratique, les différents participants au film cèdent contractuellement leurs droits d’auteur dans l’œuvre au producteur, que ces droits existent ou non, afin de faciliter l’exploitation commerciale du film. Pourquoi est-ce alors important de déterminer qui sont les coauteurs de l’œuvre si, de toute façon, les droits seront éventuellement cédés au profit du producteur? Il faut se rappeler qu’il y a beaucoup plus dans un droit d’auteur que l’aspect économique. L’intérêt de déterminer l’auteur d’une œuvre s’explique aisément quand on pense au droit moral de l’auteur120, ainsi qu’à la détermination de la durée de protection de l’œuvre121 et au privilège de rétrocession des 120. 121. Articles 14.1 et 28.1 LDA. La loi canadienne prescrit deux types de droits moraux aux auteurs: le droit à l’intégrité de l’œuvre (c’est-à-dire le droit que l’œuvre ne soit pas, d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’auteur, déformée, mutilée ou autrement modifiée, ou utilisée en liaison avec un produit, une cause, un service ou une institution) et le droit à la paternité (c’est-à-dire le droit de revendiquer la création de l’œuvre). Il demeure bien entendu possible sinon probable qu’on exige des auteurs qu’ils renoncent au droit moral dans leur œuvre. Articles 9 LDA: le droit d’auteur d’une œuvre créée en collaboration subsiste pendant la vie du dernier survivant des coauteurs, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès. L’article 11.1 LDA énonce, quant à lui, la durée de protection des œuvres cinématographiques sans caractère dramatique. Dans ce dernier cas, l’identité des coauteurs importe peu puisqu’on se base sur la date de publication ou de création de l’œuvre. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 89 droits d’auteur au profit des successions après la 25e année du décès de l’auteur122. À cela, on peut ajouter l’existence des conditions d’obtention du droit d’auteur123, le prestige d’être reconnu auteur de l’œuvre et, tout simplement, la volonté que la situation juridique reflète la réalité. En outre, les auteurs y trouvent un argument supplémentaire pour faire croître leurs revenus lors de la négociation de leurs contrats, puisqu’ils ne négocient plus seulement les droits dans leurs contributions respectives, mais également leurs droits dans l’œuvre qui en résulte124. La détermination du ou des auteurs de l’œuvre cinématographique au Canada est une question de faits. Contrairement à plusieurs lois en matière de droit d’auteur ou de copyright émanant d’autres juridictions, la loi canadienne n’énonce pas qui est l’auteur du film, ni ne précise si l’œuvre cinématographique est une œuvre créée en collaboration. Après l’analyse de la jurisprudence et de la doctrine canadiennes, nous ne pouvons conclure que l’œuvre cinématographique au Canada n’est, sauf pour quelques rares exceptions, autre chose qu’une œuvre créée en collaboration. Lorsqu’on parle d’œuvre créée en collaboration, on doit déterminer qui collabore à la confection de l’œuvre. Ces collaborateurs ou coauteurs sont généralement reconnus dans les pays de droit civil par l’effet de présomptions énumérées sous leurs législations respectives. Habituellement, on y retrouve l’auteur du scénario et des dialogues, le réalisateur et l’auteur des œuvres musicales composées spécifiquement pour le film. En vertu de la LDA, tous les participants à la création du film pourraient théoriquement se voir qualifier de coauteurs puisqu’elle demeure muette sur la titularité du film. Nous devons donc nous en remettre à certaines conditions que nous avons pu dégager de la jurisprudence ou de la doctrine afin de déterminer si un auteur, et plus spécifiquement le compositeur de la musique composée spécialement pour le film, se qualifie à titre de coauteur de l’œuvre cinématographique: 122. 123. 124. Paragraphe 14(1) LDA. Article 5 LDA. Le paragraphe (1) énonce les conditions, non cumulatives, à remplir pour qu’une œuvre soit protégée. Parmi celles-ci: l’auteur ou le producteur doit être citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays partie à la Convention de Berne ou à la Convention universelle ou membre de l’OMC. Voir D. LÉTOURNEAU, «L’auteur», supra, note 20, à la p. 46. 90 Les Cahiers de propriété intellectuelle • Le compositeur doit contribuer un apport créatif. • Cet apport doit être important pour l’œuvre finale. • La musique doit avoir été composée dans un esprit de collaboration avec les autres coauteurs. • Le compositeur ne doit pas avoir subi une subordination telle qu’il n’aurait fait qu’obéir aux indications précises d’un des coauteurs. Le compositeur de la musique du film répond, sauf en quelques rares occasions, à ces conditions. Avec le projet de réforme de la Loi sur le droit d’auteur, de nouvelles dispositions concernant la titularité de l’œuvre cinématographique devraient être ajoutées. Certains juristes ou praticiens ont émis leurs suggestions pour les modifications futures à la LDA. Nous souscrivons à certaines d’entre elles, mais en rejetons également. Un de ces juristes, Me W.L. Hayhurst, suggère, dans un article sur les aspects de droit d’auteur des œuvres audiovisuelles, que la LDA soit amendée pour se rapprocher de la loi américaine et de l’ancienne loi britannique en adoptant le concept du producteur («maker») comme auteur, comme cela a été fait pour les enregistrements sonores à l’article 18 de la LDA125. Sa suggestion servirait à pallier l’éventuel problème de savoir si la contribution d’un créateur satisfait au critère d’originalité ou si celle-ci se limite simplement à l’apport d’une idée, puisque de toutes façons ce créateur ne se verra pas octroyer le droit d’auteur. E.R. Letain, dans un article portant sur les droits moraux des artistes de l’industrie cinématographique, suggère, quant à lui, des définitions plus claires et des dispositions plus importantes pour la protection des artistes de l’industrie cinématographique. En outre, il suggère que le producteur obtienne le droit économique et que le réalisateur se voie attribuer le droit moral (comme en droit britannique) ou une protection à plusieurs coauteurs (comme en droit français). Ainsi, les efforts des artistes seraient récompensés avec plus de certitude, ce qui assurerait une plus grande qualité du produit126. 125. 126. W.L. HAYHURST«, «Audiovisual Productions: Some Copyright Aspects», (1994) 8 I.P.J. 319-346, à la p. 333. E.R. LETAIN, «From Colourization to ‘Happy-ization’: Restrictions on Film Artists Enforcing Moral Rights in the Cinematographic Work», (1997) 11 I.P.J. 37-77, à la p. 75. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 91 Le but de la LDA demeure de protéger le créateur, «de récompenser et de favoriser le travail de création»127. Une telle protection des auteurs pourrait non seulement nous permettre de garder nos artistes au Canada mais permettrait peut-être également d’attirer des artistes de premier plan chez nous. M. Letain conclut en faveur de fortes mesures de protection des droits moraux au Canada: What is gained by strongly protecting film artists may be called cultural sovereignty, but it may also mean industrial survival, since the availability of strong moral rights may entice talented film artists to remain in Canada. Strong moral rights may also attract film artists from other nations to Canada, adding value and further enhancing an industry vital to the culture and economy of Canada.128 Dans la mesure où le Canada veut être à l’avant-garde avec sa Loi sur le droit d’auteur, nous avons tout intérêt à nous inspirer des nations qui ont su le mieux développer la protection des œuvres cinématographiques au moyen de leur législation. La France est un exemple à suivre. Me Létourneau encourage le législateur canadien à adopter des dispositions semblables à la loi française: Quoi qu’il en soit, le choix parmi les auteurs intervenants à la création d’une œuvre cinématographique demeure une question de faits, de droit et un peu de politique... Chose certaine, la détermination des coauteurs ne saurait être abandonnée au seul pouvoir d’appréciation des tribunaux. L’exploitation efficace des œuvres cinématographiques nécessite que l’énumé127. 128. N. TAMARO, «Fondements et principes», supra, note 11, à la p. 36. Tamaro cite, à la page 33, la Cour suprême du Canada qui reprend dans l’arrêt Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467 l’enseignement d’un ancien arrêt anglais: «la Loi sur le droit d’auteur a un but unique et a été adoptée au seul profit des auteurs de toutes sortes, que leurs œuvres soient littéraires, dramatiques ou musicales». Voir également Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information Inc., [1998] 2 C.F. 22 (C.A.F.) où le juge Décary, citant le juge Reed dans Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173, à la p. 200 (confirmé par [1988] 1 C.F. 67 (C.A.F.), puis par [1990] 2 R.C.S. 209), affirme qu’«il importe de ne jamais perdre de vue que les dispositions législatives relatives au droit d’auteur ont toujours eu pour objet, notamment, de protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un certain temps». Voir également Robertson c. Thomson Corp., 2001 CarswellOnt 3467 (C.S.O.C.). E.R. LETAIN, supra, note 126, à la p. 75. 92 Les Cahiers de propriété intellectuelle ration relève d’une intervention législative spécifique, comme c’est le cas en France, pour éviter le cas par cas et l’insécurité juridique qui en découle.129 Les auteurs seront ainsi mieux servis avec une présomption de cotitularité. Cette présomption pourrait être simple, c’est-à-dire qu’on pourrait, avec une preuve à cet effet, retirer la qualité d’auteur à l’un de ces auteurs présumés parce qu’il ne serait pas un véritable collaborateur. La liste devrait de plus être non exhaustive, c’est-àdire qu’on pourrait, grâce à une preuve à cet effet, attribuer la qualité d’auteur à un collaborateur qui ne se trouve pas dans cette liste. Il est essentiel que la liste d’auteurs présumés ne soit pas exhaustive, sinon la protection offerte serait plus restrictive qu’elle ne l’est présentement. Pour faciliter l’exploitation commerciale de l’œuvre, le législateur devrait également ajouter des dispositions prévoyant une présomption de cession des droits des coauteurs au profit du producteur. Lors du discours du Trône de janvier 2001, le gouvernement canadien a pris l’engagement suivant: [Le gouvernement] étendra aux idées et aux connaissances nouvelles la protection du droit d’auteur [...] Le gouvernement compte également s’assurer que nos lois et règlements, y inclus ceux qui concernent la propriété intellectuelle et la compétitivité, demeurent parmi les plus modernes et les plus progressifs (sic) du monde. [...] Nos politiques culturelles devront viser l’excellence en matière de créativité, encourager la diversité du contenu canadien et favoriser l’accès aux arts et au patrimoine pour tous les Canadiens.130 Avec l’ajout à la LDA des modifications que nous venons de suggérer, nous croyons que le législateur canadien ferait un pas dans la bonne direction pour faire de la LDA une loi davantage moderne et progressiste en droit d’auteur. Elle faciliterait l’identification des auteurs du film, favoriserait ces auteurs en leur donnant un pouvoir de négociation accru, permettrait aux créateurs qui ne jouissent pas de la présomption de coauteur de prouver que doit leur revenir la qualité de coauteur, et serait en conformité avec les principes de la Convention de Berne. Mais surtout, elle refléterait la réalité que les 129. 130. D. LÉTOURNEAU, «L’auteur», supra, note 20, à la p. 39. Cadre de révision du droit d’auteur, supra, note 12. L’auteur des œuvres musicales composées pour un film... 93 créateurs principaux du film, dont l’auteur de la musique créée spécialement pour le film, sont les coauteurs de l’œuvre cinématographique. ***** NOTE : depuis la rédaction du présent article, la Cour supérieure a rendu jugement dans Cité Amérique Distribution inc. c. C.E.P.A. Le Baluchon inc., J.E. 2002-1407 [ci-après Cité Amérique], jugement où le tribunal octroie la titularité du droit d’auteur dans une série télévisée au producteur, en vertu des paragraphes 34.1(1) et (2) de la LDA. Selon nous, pour devenir titulaire du droit d’auteur dans l’œuvre cinématographique, le producteur doit, en sus de son rôle de producteur, être son ou un de ses auteurs, en respectant les conditions édictées par la LDA, ou obtenir une cession de droit d’auteur de la part du ou des véritables auteurs. Cette approche ne semble pourtant pas avoir été suivie dans Cité Amérique. Notons que cette décision a été portée en appel. Ce jugement de la Cour supérieure fera l'objet d'un commentaire dans un prochain numéro des C.P.I. Vol. 15, no 1 La gestion collective du droit d’exécution publique: historique du tarif de la radio de 1935 à 1977 Éric Lefebvre* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 2. Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 3. L’évaluation du tarif de la radiodiffusion par la Commission Parker . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 4. Les décisions de la CADA de 1937 à 1946: les suites du rapport Parker. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 5. Les décisions de la CADA de 1947 à 1951 . . . . . . . . . . 113 6. Les décisions de la CADA de 1952 à 1964 . . . . . . . . . . 115 7. Les décisions de la CADA de 1965 à 1977 . . . . . . . . . . 121 8. Le tarif de la SRL certifié en 1971: une parenthèse. . . . . 129 9. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 © Eric Lefebvre, 2002. * Avocat et secrétaire de la Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM). L’auteur remercie Mme Lise Saint-Cyr, greffière de la Commission du droit d’auteur, pour sa diligence et son aide dans la recherche de documents archivés. 95 1. Introduction Il existe peu d’écrits analysant les décisions rendues par la Commission du droit d’auteur et son prédécesseur, la Commission d’appel du droit d’auteur (CADA)1. Signalons que le rôle de la CADA était limité à la validation et à la modification, le cas échéant, des tarifs applicables pour l’exécution publique des œuvres dramaticomusicales ou musicales2. Dans les lignes qui vont suivre, nous tenterons de circonscrire, autant que faire se peut, les paramètres utilisés par la CADA pour certifier le tarif de la radio. Dans un article subséquent, nous traiterons des décisions rendues par la CADA et la Commission du droit d’auteur sur le même sujet, à partir de l’année 1978. Nous estimons que le développement des nouvelles technologies de l’information et l’exercice de nouveaux droits, conjugués aux pouvoirs que la Commission du droit d’auteur détient pour déterminer le taux des redevances, font de cet organisme judiciaire fédéral un acteur incontournable dans le domaine du droit d’auteur. 2. Historique Les premiers balbutiements musicaux remontent à plusieurs milliers d’années, plus précisément à l’âge de pierre, au jour où 1. Nous avons dressé une liste non exhaustive, qui comprend les articles suivants: Stéphane GILKER, «Droit d’auteur et cyberespace – Développements récents en droit canadien», Droit et nouvelle économie du savoir – Journées MaximilienCaron 2000 (Montréal: Éd. Thémis, 2001), p. 29-59; H.G. INTVEN, «Révision judiciaire de la première décision de la Commission du droit d’auteur en matière de droits de retransmission», (1991-92) 4 C.P.I. 245-255; Éric LEFEBVRE, «La première décision de la Commission du droit d’auteur sur les droits voisins: un rendez-vous manqué et une stabilisation législative qui s’impose», (2000-2001) 13 C.P.I. 363-402; Serge PROVENÇAL, «Jurisprudence. L’affaire CTV Television Network Ltd. c. Commission du droit d’auteur ou Le droit d’exposer ses œuvres musicales», (1990-91) 3 C.P.I. 107-118; Pierre TRUDEL et France ABRAN, «Les interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur», (1995-96) 8 C.P.I. 377-446. 2. Voir l’art. 2 de la Loi modifiant la Loi modificative du droit d’auteur, 1 Édouard VIII, c. 28, qui précise, au paragraphe 10B(7), que le tribunal d’appel du droit d’auteur «apportera aux états les altérations qui lui sembleront judicieuses». 97 98 Les Cahiers de propriété intellectuelle le vent, effleurant la carcasse desséchée d’un animal, s’accrocha à un tibia fracturé, produisant une vibration, un son, en raison du choc de l’air sur le biseau de l’os: la première flûte était créée.3 Depuis toujours, les musiciens et les chanteurs sont intimement liés à l’évolution de la société et de la culture. Leurs interprétations des œuvres, leurs improvisations, bref, leurs prestations peuvent être mémorables, exécrables, divines ou encore insupportables. Elles demeurent toutefois fugaces et insaisissables et ne vivent qu’au moment de leur exécution. Or, après l’exécution, le silence. Ce silence est en fait le moyen pour le compositeur et l’artiste d’exercer sur l’œuvre un certain contrôle. Car ils peuvent dès lors déterminer le moment et l’endroit de l’exécution... moyennant compensation. La découverte du phonographe par Thomas Edison, en 1877, et de la radiophonie sans fil par Marconi, en 18974, allaient bouleverser ce rituel ancestral: l’œuvre du compositeur et la prestation de l’artiste peuvent dorénavant être fixées, reproduites, et diffusées pour être réécoutées plusieurs fois par des auditoires insoupçonnés. Les œuvres musicales des compositeurs et les prestations des artistesinterprètes sont dès lors requises dans le but d’être diffusées ou enregistrées à l’intention d’un auditoire inconnu. Nous faisons face, comme le souligne l’honorable James Parker, président de la Commission qui porte son nom, à de nouvelles inventions qui ont pour effet de modifier les pratiques établies en matière de droit d’auteur: La question du copyright pour les compositions musicales était relativement simple quand ces compositions étaient publiées sous forme de musique en feuille; mais la question de savoir quelle protection accorder aux auteurs est devenue bien plus compliquée avec l’invention des moyens mécaniques pour la reproduction du son, et avec l’usage d’un grand nombre de gramophones et d’autres instruments de musique. Puis vinrent la radio et les films sonores, qui donnèrent lieu à l’engagement de milliers de gens pour la production de la musique nécessaire 3. Gisèle FRÉCHETTE, notes sur l’histoire de la flûte. 4. En 1897, «le jeune Guglielmo Marconi, de l’Université de Bologne, combine plusieurs éléments: l’éclateur de Hertz, producteur d’étincelles, le radio-conducteur de Branly, l’antenne de Popov, le système morse de télégraphie... Marconi expérimente sur la mer et il fait breveter l’invention de son système à Londres», Pierre PAGÉ, La Radio dans la société québécoise: repères chronologiques (Montréal, Phonothèque québécoise, 1997). La gestion collective du droit d’exécution publique 99 aux émissions radiophoniques et aux représentations cinématographiques.5 Le juge Parker a émis ces propos en introduction du «Rapport de la Commission Royale chargée d’examiner les affaires de la Canadian Performing Right Society, Limited et autres sociétés du même genre», commission royale constituée en mars 1935. Laissons le juge Parker continuer: Dans ces conditions, l’auteur ou le compositeur se trouva individuellement dans l’impossibilité de s’assurer jusqu’à quel point la composition couverte par son droit d’auteur était exécutée sous l’une ou l’autre des multiples formes de représentation musicale qui avaient été créées. Il fallut donc aux auteurs et compositeurs un genre quelconque d’organisation pour protéger leurs intérêts.6 C’est ainsi que virent le jour, en Grande-Bretagne et aux ÉtatsUnis, les premières sociétés d’auteurs exerçant le droit d’exécution publique des œuvres musicales. La «Performing Right Society Limited (PRS)» de Grande-Bretagne, et la société «American Society of Composers, Authors and Publishers (ASCAP)», des États-Unis, furent toutes deux constituées en 19147. Rappelons que c’est en 1922 que les premières stations de radiodiffusion commerciales sont inaugurées au Canada8. Or, en 1925, la société britannique PRS crée la «Canadian Performing Right Society Limited (CPRS)» dans le but de percevoir les redevances pour l’exécution publique, au Canada, de son répertoire9. La société américaine ASCAP est devenue actionnaire de la CPRS en 1930 afin d’atteindre les mêmes objectifs10. De fait, la nouvelle société canadienne a véritablement commencé ses opérations lors du regroupement de la PRS et de l’ASCAP, en 193011. Plusieurs questions liées à l’importance de ces organisations furent posées: La formation de ces organisations souleva d’autres problèmes quant aux taux moyennant lesquels devait être [autorisée l’exé5. Commission royale chargée d’examiner les affaires de la Canadian Performing Right Society, Limited, et autres sociétés du même genre, Rapport de l’honorable juge Parker (Ottawa, Secrétariat d’État du Canada, 1935), p. 7. 6. Ibid. 7. Ibid., p. 12 à 15. 8. Pierre PAGÉ, La Radio dans la société québécoise: repères chronologiques (Montréal, Phonothèque québécoise, 1997). 9. Rapport Parker, p. 12. 10. Ibid., p. 15. 11. Ibid., p. 29. 100 Les Cahiers de propriété intellectuelle cution] des œuvres musicales que ces organisations contrôlaient de la part de leurs adhérents. Elles acquirent le monopole d’un nombre assez considérable d’œuvres, et, dans une certaine mesure, les auteurs cessèrent de conclure personnellement des arrangements pour l’exécution de leurs œuvres, par qui que ce soit, autrement que par l’entremise de ces organisations.12 Notons qu’en 1934, la CPRS contrôlait un répertoire de 2 millions d’œuvres, incluant un total de 200 000 prestations musicales, exécutées en public au Canada en 193413. Selon les données de l’époque, ce nombre représente de 80 % à 90 % des prestations de musique populaire exécutées en public pendant cette période14. Le monopole exercé par la CPRS à partir de 1925, et le fait que cette dernière refusait de représenter des auteurs, compositeurs et éditeurs canadiens15, créa un mécontentement général qui fut grandement exacerbé par la décision de la CPRS d’augmenter substantiellement, en 1934, le coût des licences pour l’exécution en public d’une œuvre de son répertoire16. À titre d’exemple, signalons que la station de radiodiffusion de 100 watts, qui payait 100 $ pour une licence générale en 1931, doit débourser, en 1934, un montant de 353,40 $ pour chaque heure journalière de radiodiffusion musicale par année17. Ainsi, une station de 100 watts qui diffuse 10 heures de musique par jour paiera à la CPRS une somme totale de 3534 $ pour l’année. Déjà, en 1931, le législateur avait assujetti les sociétés de droits d’exécution des œuvres musicales à certaines obligations, dont celle de déposer, auprès du Ministre désigné par le gouverneur en conseil, la liste des œuvres de son répertoire et les tarifs qu’elle entend percevoir en contrepartie de la délivrance d’une licence18. Cette mesure est la première afin de contrôler le monopole de la CPRS. C’est dans cette perspective que le gouvernement fédéral a mis sur pied une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les pratiques de la CPRS et les conditions de délivrance des licences, comme le lui permettait la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur de 193119. La Commission Parker devait, de plus, évaluer si les rede12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. Ibid., p. 7. Ibid., p. 19. Ibid. Ibid., p. 13. Ibid., p. 31-32. Ibid., p. 35. Voir l’article 10 de la Loi modifiant la Loi du droit d’auteur, 21-22 Georges V, c. 8. 19. Voir le paragraphe 10(2) de la loi précitée. La gestion collective du droit d’exécution publique 101 vances exigées étaient excessives et, le cas échéant, proposer une redevance équitable20. Dans son rapport, le juge Parker a présenté une première évaluation tarifaire et recommandé au gouvernement de modifier la Loi sur le droit d’auteur de manière à «permettre l’établissement d’un tribunal d’appel pour régler des différends provenant de l’exécution de musique en public et pour examiner à l’occasion les tarifs de la CPRS avant qu’ils entrent en vigueur»21. Le gouvernement fédéral a donné suite à cette recommandation et a institué, en 1936, le Tribunal d’appel du droit d’auteur22. La première décision de ce nouveau tribunal administratif a été rendue lors de l’examen des tarifs de la CPRS pour 1938. 3. L’évaluation du tarif de la radiodiffusion par la Commission Parker Le premier tarif permettant l’émission de licences a été adopté par la CPRS en 1931. Ce tarif a été appliqué dans un cadre contractuel propre au droit privé et suite à l’obtention, par la CPRS, du droit d’exécution de ses sociétés mères23: les licences étaient ainsi émises dans l’exercice, par la CPRS, du droit exclusif d’exécution publique. Le caractère quasi réglementaire du tarif ne s’appliquait pas en raison d’une disposition législative ou réglementaire précise: elle découlait du monopole qu’exerçait la CPRS, se refusant d’accorder une autorisation à celui qui ne payait pas le tarif exigé. En théorie, celui qui exécute une œuvre en public doit verser à l’auteur une redevance24. À titre d’exemple, je devrais, en qualité d’artiste-interprète ou de producteur, verser à l’auteur une redevance distincte à chaque fois que l’œuvre de ce dernier est jouée dans un endroit public ou lors de sa radiodiffusion. Or, la lourdeur administrative et le coût d’un processus de contrôle permettant de percevoir une redevance distincte pour chaque exécution dépassent de beaucoup les sommes potentielles qu’un auteur peut s’attendre à obtenir pour l’exercice du droit. En conséquence, les sociétés d’exé20. Rapport Parker,p. 3. 21. Ibid., p. 50. 22. Voir l’article 2 de la Loi modifiant la Loi modificative du droit d’auteur de 1931, 1 Édouard VIII, c. 28. 23. Rapport Parker,p. 21. 24. Le droit d’exécution a été protégé par les lois britanniques de 1833 et 1842 et par la loi canadienne de 1921. En 1931, le législateur a toutefois précisé son étendue à l’égard de l’exécution des œuvres musicales. Voir la définition du terme «exécution», à l’article 3 de la Loi modifiant la Loi du droit d’auteur, 21-22 Georges V, c. 8. 102 Les Cahiers de propriété intellectuelle cution anglaise et américaine de l’époque ont opté pour un processus d’émission des licences plus simple, fondé sur trois éléments: – la longueur maximum de la période pendant laquelle le licencié désire exécuter en public des œuvres du répertoire de la société25; – l’auditoire maximum devant lequel le licencié désire exécuter en public des œuvres du répertoire de la société26; – le lieu d’exécution (théâtre, hôtel, exposition) dans le cas de l’exécution publique en présence, sur le lieu d’exécution, d’un artisteinterprète ou d’un appareil de reproduction des sons (gramophone, appareil radiophonique récepteur) et la puissance de diffusion des stations, dans le cas de la radiodiffusion27. Par ailleurs, la licence n’est pas délivrée à l’exécutant, mais au propriétaire du lieu d’exécution28 publique ou à la station de radiodiffusion. En l’absence d’un tribunal possédant le pouvoir de transformer une offre d’ordre contractuel en disposition réglementaire, on peut se demander quel est le fondement juridique qui permet à une société d’auteurs d’exiger de l’établissement le paiement d’une redevance pour l’exécution publique d’œuvres musicales, au lieu de l’exécutant ou de son commettant. Il est clair qu’il est plus facile pour la société d’assujettir l’établissement, ayant pignon sur rue, adresse connue et propriétaire identifiable. On peut de plus présumer que plusieurs établissements sont les employeurs des artistesexécutants ou propriétaires des gramophones (hôtels, restaurants). Ces considérations demeurent davantage d’ordre pratique que juridique. Nous risquons une explication: la Loi sur le droit d’auteur prévoit, dans sa version de 1921 comme dans sa version actuelle, le droit d’autoriser un tiers à accomplir un acte exclusif conféré à l’auteur29. Ainsi, l’établissement, en versant la redevance, est autorisé à «autoriser» lui-même l’exécution publique d’une œuvre du répertoire de la société, conformément aux conditions précisées dans la licence. Dans le cas où la licence n’est pas émise, l’établissement viole le droit d’auteur au même titre que l’exécutant, ayant «autorisé» un tiers à exécuter en public une œuvre du répertoire de la société, en violation de ses droits. 25. 26. 27. 28. 29. Rapport Parker, p. 29. Ibid. Cette déduction fait suite à l’examen du premier tarif certifié. Rapport Parker, p. 28. Paragraphe 3(1) in fine de la Loi modifiant et codifiant la législation concernant le droit d’auteur, 11-12 Georges V, c. 24. La gestion collective du droit d’exécution publique 103 Examinons de plus près la tarification applicable aux stations de radiodiffusion. Lors du premier tarif que la CPRS a déposé, en 1931, voici le montant de la redevance annuelle exigée30: Stations de moins de 500 watts 100 $ Stations de 500 à 999 watts 250 $ Stations de 1000 à 2499 watts 500 $ Stations de 2500 watts à 4999 watts 750 $ Stations de 5000 watts et plus 1 000 $ En 1934, la CPRS déposa un nouveau tarif, fondé sur le nombre d’appareils radiophoniques récepteurs détenus au Canada et en y appliquant un prix arbitraire de 10 ¢ par appareil récepteur31. Il faut se rappeler qu’à cette époque, l’achat d’un poste de radio récepteur s’accompagnait du paiement d’une licence d’utilisation, délivrée par le ministère du Transport. Pour évaluer le tarif proposé, la Commission Parker examina, dans un premier temps, les tarifs s’appliquant dans d’autres pays pour la radiodiffusion des œuvres musicales. Elle obtint les données suivantes32: Pays ¢ par appareil récepteur Danemark 13 ¢ Grande-Bretagne 7¾ ¢ Australie 30 ¢ États-Unis 9½ ¢ Allemagne 9¢ Autriche 10½ ¢ Norvège 16 ¢ Tchécoslovaquie 10 ¢ France 5¢ Finlande 5¢ Italie 30. Rapport Parker, p. 35. 31. Ibid. 32. Rapport Parker, p. 36. 13 ¢ 104 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Commission a par la suite relativisé l’importance des tarifs australien (30 ¢), britannique (7¾ ¢) et américain (9½ ¢). À cet égard, la Commission précise: – que la BBC contrôle tous les postes de radiodiffusion en GrandeBretagne et n’est pas confrontée au même degré de concurrence des stations situées dans les pays voisins (ex. France), puisque la langue des pays voisins est différente33; – que les postes américains jouissent d’une proportion plus considérable de publicité nationale que les postes canadiens, que plusieurs fréquences canadiennes ne sont pas exclusives et que les stations américaines livrent une concurrence aux stations canadiennes34; – que l’Australian Broadcasting Corporation fait payer directement aux propriétaires australiens d’appareil récepteur 4/5 de la redevance, de sorte que les stations privées n’ont plus qu’à payer 6 ¢ par appareil récepteur35; – qu’au Canada, bon nombre de propriétaires d’appareil récepteur ne détiennent pas de licence d’utilisation36. Somme toute, la Commission évalue à 8 ¢ par appareil récepteur la redevance qui pourrait être appliquée pour la radiodiffusion des œuvres musicales, en précisant «qu’un droit de 8 ¢ par poste récepteur au Canada assurerait un revenu généreux à la Canadian Performing Right Society Ltd. et ne serait pas injuste envers les stations de radiodiffusion»37. L’argumentation de la Commission Parker fait apparaître certaines tendances dans l’évaluation tarifaire. 1. le taux «raisonnable» déterminé dans les circonstances se fonde sur une moyenne des redevances comparables ver- 33. 34. 35. 36. 37. Ibid. Ibid. Ibid., p. 37. Ibid. Ibid. La gestion collective du droit d’exécution publique 105 sées dans d’autres pays, «moyenne» que l’on peut qualifier d’imprécise, empirique, mais qui n’est pas déraisonnable. Ainsi, à titre d’exemple, le juge Parker précise que si le nombre d’appareils récepteurs en circulation correspondait au nombre d’appareils récepteurs pour lesquels une licence d’utilisation a été émise, il y aurait lieu de réduire le droit de 8 ¢ à 7½ ¢, «pour le rendre conforme au tarif adopté en Grande-Bretagne». Or, aucune donnée statistique n’a été alléguée pour appuyer cette prétention. Le juge Parker a tout simplement utilisé un taux comparable, appliqué dans un autre pays, qui n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Une autre façon de laisser cours à ce que nous appelons la théorie de «l’arbitraire raisonnable». 2. l’état du marché environnant (ex.: nombre de stations de radiodiffusion, revenus publicitaires, part de marché etc.) est analysé afin de relativiser le taux «raisonnable». L’évaluation du marché environnant permet de nuancer les taux applicables dans d’autres pays et d’indiquer à quel point une caractéristique du marché environnant influence négativement ou positivement les usagers (ex.: publicité nationale plus importante aux États-Unis). Rappelons toutefois qu’une évaluation de l’état du marché ne permet pas d’évaluer par une formule mathématique le taux déterminé par la Commission. Il s’agit, encore là, d’un facteur parmi d’autres qui permettent de justifier le taux qui a été déterminé d’une façon arbitraire, mais justifiée et qui n’est pas déraisonnable. 3. le taux déterminé par la Commission doit, sur le plan financier, permettre d’atteindre raisonnablement les objectifs de la société de gestion et ne pas être injuste pour les usagers. En résumé, le juge Parker a déterminé la redevance en se fondant sur la demande que lui a formulée le gouvernement, soit d’enquêter sur «les principes qui guident la CPRS dans l’établissement équitable de ces honoraires, redevances ou tantièmes»38. 38. Ibid., p. 3. 106 Les Cahiers de propriété intellectuelle 4. Les décisions de la Commission d’appel du droit d’auteur de 1937 à 1946: les suites du rapport Parker De 1937 à 1946, le fondement du tarif de la radiodiffusion, tant pour des fins privées que publiques, n’a pas été modifié. En effet, le calcul de la redevance globale pour fins privées était lié au nombre de licences émises à l’attention des propriétaires d’appareil récepteur, alors qu’un montant forfaitaire constituait la redevance pour les appareils présents dans les lieux publics. Le tarif de la CPRS, déposé en 1935, a été modifié par le gouverneur en conseil en 193639 et prévoit une procédure relativement complexe pour calculer la redevance payable par les stations de radio40. Par ailleurs, l’on retrouve en annexe du tarif certifié, une liste des stations de radio canadiennes et le montant exact que chacune doit acquitter pour diffuser le répertoire de la CPRS. Cette pratique se perpétuera jusqu’en 1952. La première décision de la CADA a été rendue le 20 décembre 193741. Contrairement au juge Parker, à qui l’on avait demandé d’enquêter sur les principes permettant l’établissement «équitable» d’une redevance, la CADA a le pouvoir d’apporter «aux états les altérations qui lui sembleront judicieuses»42. Nous passons donc d’une redevance équitable à une redevance judicieuse. Nous constaterons, tout au long de notre analyse, que les termes employés, dans un contexte d’appréciation économique relativement souple, importent peu. Lors des premières audiences de la CADA, en 1937, la CPRS présenta de nouveau une demande visant à augmenter le taux de 8 ¢ à 14 ¢ pour 1938, en alléguant qu’il existait un nouveau taux appli39. Arrêté en conseil no CP 2305. 40. «The annual fee for a radio broadcasting station is determined by multiplying the number of radio receiving sets apportioned to its broadcasting centre by the rate per set multiplied by ten sixteenth of the average daily hours of operation of the station», Formula for distribution of performing rights fees for broadcasting stations, Arrêté en conseil no CP 2305. 41. DEPARTMENT OF THE SECRETARY OF STATE, Statements of Fees, Charges or Royalties which may be Collected by Canadian Performing Right Society Limited for the year 1937, Ottawa, Department of the Secretary of State, 1937, p. 4. 42. Article 2, paragraphe 10B(7) de la Loi modifiant la Loi modificative du droit d’auteur, 1 Édouard VIII, c. 28. La gestion collective du droit d’exécution publique 107 cable en Grande-Bretagne (14 ¢) et qu’un taux de 8 ¢ n’était pas un taux raisonnable compte tenu de l’entente signée entre les sociétés d’auteurs et les radiodiffuseurs britanniques43. La CADA refusa de modifier le taux de 8 ¢ en précisant qu’il n’y avait pas de preuve que la situation était différente, au Canada, de celle prévalant en 1935, lors de la rédaction du Rapport Parker: Le Tribunal ne peut pas souscrire à l’argument selon lequel la conclusion qu’une commission d’arbitrage a tirée, au RoyaumeUni, au sujet de ce qui peut constituer un rendement juste et raisonnable pour la société de perception des droits d’exécution de ce pays, compte tenu de la situation existant dans ce pays, est révélatrice de ce qui peut constituer un rendement juste et raisonnable au Canada, compte tenu de la situation qui y prévaut dans le domaine de la radiodiffusion.44 Quant au taux applicable pour les appareils récepteurs dans les lieux publics, le tribunal en arriva à la conclusion suivante, lors de son étude des tarifs pour l’année 1939: Étant donné qu’il est difficile d’établir un critère permettant de calculer ce montant, le Tribunal a conclu que, pour l’année 1939 seulement, il devrait autoriser la société à exiger la somme de 1 000 $ des postes émetteurs au Canada, ce montant devant être réparti entre les postes de la même façon que les honoraires qui s’appliquent aux appareils radiophoniques récepteurs privés.45 Par la suite, les années de guerre empêchèrent une révision sérieuse du tarif. Toutefois, bien que l’assiette tarifaire resta inchangée, la redevance globale de la CPRS augmenta graduellement puisque le nombre de licences émises pour des appareils récepteurs à des fins privées ne cessa de s’accroître, comme en font foi les données du tableau qui suit: 43. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour version non publiée, 20 décembre 1937, p. 3. 44. Ibid. 45. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour version non publiée, 31 décembre 1938, p. 5. du Tribunal l’année 1938, du Tribunal l’année 1939, 108 Les Cahiers de propriété intellectuelle TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 3) Année Réception par des appareils récepteurs à des fins privées Réception par des appareils récepteurs situés dans des endroits publics Assiette tarifaire: Montant total ¢/appareil récep- autorisé teur licencié Assiette tarifaire: montant forfaitaire Commentaires 1937 8¢ 69 999,94 $ 1938 8¢ 83 021,22 $ 1 000 $ 1939 8¢ 88 336,43 $ 1 000 $ 1940 8¢ 97 879,10 $ 1 000 $ 1941: CPRS 1941: BMI 8¢ 107 612,46 $ 1 000 $ 1¢ 13 451,57 $ Deux sociétés de gestion se partagent maintenant le répertoire: la CPRS et la BMI anada 1942: CPRS 1942: BMI 8¢ 116 377,04 $ 1 000 $ 1¢ 14 547,17 $ En raison de la 2e guerre mondiale, les opposants, la CPRS et la BMI, ont convenu de reconduire le tarif de 1941 1943: CPRS 1943: BMI 8¢ 129 879,12 $ 1¢ 16 234,89 $ 8¢ 138 310,40 $ 1¢ 17 288,80 $ 1944: CPRS 1944: BMI Taux certifié par le gouverneur en conseil 1 000 $ 1 000 $ Première décision motivée de la CADA La gestion collective du droit d’exécution publique 109 TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 3) Année 1945: CPRS 1945: BMI 1946: CAPAC46 1946: BMI Réception par des appareils récepteurs à des fins privées 8¢ 141 672,36 $ 1¢ 17 709,07 $ 8¢ 140 728,00 $ 1¢ 17 591,06 $ Réception par des appareils récepteurs situés dans des endroits publics Commentaires 1 000 $ 1 000 $ Un nouveau tarif voit le jour: le tarif 3A: radiodiffusion à ondes courtes vers d’autres pays: 3 000 $ (Radio-Canada) Les taux de 8 ¢ par appareil récepteur destiné à l’écoute privée et la somme forfaitaire de 1 000 $ pour les appareils présents dans les lieux publics furent donc appliqués jusqu’en 1946, sans modification. Dans sa décision visant l’année 1939, la CADA précise ce qui suit: [... ] l’intérêt public exige essentiellement que le taux recommandé par le juge Parker et approuvé par le gouvernement en 1936 demeure en vigueur pendant une période raisonnable, de cinq ans peut-être, à moins que la société ne puisse prouver que la situation a énormément changé, de sorte qu’une augmentation importante du taux de base semble justifiée.47 Malgré cette apparente stabilité du tarif, les redevances réellement perçues par la CPRS, entre 1937 et 1946, ont doublé, passant de 70 000 $ à plus de 140 000 $. On remarque de plus la certification, en 1941, d’un tarif émanant d’une nouvelle société de gestion, la BMI 46. La CPRS modifie son nom et devient la «Composers Authors and Publishers Association of Canada Limited (CAPAC)». 47. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport du Tribunal d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1939, version non publiée, 31 décembre 1938, p. 3. 110 Les Cahiers de propriété intellectuelle Canada, affiliée à la «Broadcast Music Incorporated», société de gestion américaine née à la suite d’un différend entre les radiodiffuseurs américains et l’ASCAP, la société d’auteurs américaine représentée au Canada par la CPRS. L’existence d’une deuxième société de gestion suscita plusieurs interrogations de la CADA, exprimées dans son rapport de 1941: L’avènement sur la scène de la radiodiffusion au Canada, d’une deuxième société qui octroie des licences relativement à des œuvres musicales crée un problème extrêmement difficile à résoudre; s’il persiste, il pourrait nécessiter dans un avenir rapproché un examen approfondi de toute la question de l’octroi de licences et de l’exécution d’œuvres musicales en ce qui a trait à la radiodiffusion. En définitive, des modifications fondamentales à la Loi sur le droit d’auteur pourraient s’avérer nécessaires en ce qui a trait à la radiodiffusion d’œuvres musicales, c’est-àdire, si les honoraires à percevoir par les organismes qui accordent des licences doivent être basés sur les utilisateurs réels : on peut espérer que ces modifications préviendraient la répétition des controverses opposant ces organismes aux radiodiffuseurs. Compte tenu de l’existence d’organismes rivaux qui accordent des licences, la méthode existante de calcul de la rémunération pourrait se révéler totalement impossible à appliquer. L’honorable juge Parker a traité, dans son rapport de 1935, de la coexistence de plus d’un organisme accordant des licences: «Les recommandations que j’ai formulées sont fondées sur le fait que la Canadian Performing Right Society Limited est l’unique société faisant affaire au Canada. Si une autre société ayant un répertoire substantiel devait faire concurrence à la Canadian Performing Right Society, il serait nécessaire de réviser son tarif.48 Sans donner de réponse à l’interrogation posée, la CADA certifia tout de même le projet de tarif présenté par la BMI. Dans son premier projet, la BMI Canada demanda une redevance de 1 ¢ pour chaque appareil récepteur licencié, qu’elle amenda par la suite afin d’obtenir un taux de 4 ¢. La CADA certifia un taux de 1 ¢. Bien que la CADA ait entrepris une analyse des répertoires de chacune des sociétés aux États-Unis afin de les départager et conclu qu’une portion substantielle de la musique qui parvient aux stations de radio48. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport du Tribunal d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1941, version non publiée, 12 mai 1941, p. 3. La gestion collective du droit d’exécution publique 111 diffusion canadiennes par l’intermédiaire des réseaux américains appartient au répertoire de la BMI49, elle écarta cette option en précisant que les données disponibles au Canada, comptabilisées pour une période trop courte, n’étaient pas représentatives. En certifiant le tarif de la BMI, la CADA n’a pas réellement motivé sa décision et a ainsi éludé la question relative à sa compétence. Elle a toutefois confirmé qu’en présence de données fiables sur le temps de diffusion des répertoires, elle pourrait en tenir compte dans l’évaluation de la redevance, pourvu que la Loi sur le droit d’auteur soit modifiée en conséquence50. Pouvait-elle, sans excéder ses pouvoirs, certifier le tarif d’une société concurrente? À cet égard, nous soumettons aux lecteurs quelques réflexions. D’une part, le paragraphe 10(1) de la Loi modifiant la Loi modificative du droit d’auteur de 1931 précise ce qui suit: 10. (1) Chaque association, société ou compagnie exerçant au Canada des opérations qui consistent à acquérir des droits d’auteur sur des œuvres musicales ou dramatico-musicales, ou les droits d’exécution qui en dérivent, et des opérations qui consistent à émettre ou à accorder des licences pour l’exécution, au Canada, d’œuvres musicales ou dramatico-musicales sur lesquelles un droit d’auteur subsiste, doit périodiquement déposer chez le Ministre, au Bureau du droit d’auteur, des listes de toutes les œuvres musicales et dramatico-musicales d’exécution courante à l’égard desquelles cette association, société ou compagnie réclame l’autorité d’émettre ou d’accorder des licence d’exécution, ou de percevoir des honoraires, des redevances ou tantièmes qu’elle se propose de percevoir, durant l’année civile suivante, en payement des licences qu’elle émettra ou accordera pour l’exécution de ses œuvres au Canada.51 En indiquant que «chaque société [...] doit [...] déposer», le législateur n’a pas seulement imposé le dépôt d’un projet de tarif à la CPRS, mais bien à toutes les sociétés qui délivrent des licences d’utilisation. Par ailleurs, les paragraphes 10(6)et 10(7) de la loi précitée se lisent comme suit: 49. Ibid., p. 5. 50. Ibid., p. 8. 51. Loi modifiant la Loi modificative du droit d’auteur de 1931, 1 Edouard VIII, c. 28. 112 Les Cahiers de propriété intellectuelle 10. (6) Aussitôt que la chose sera praticable, après que le Ministre aura déféré au Tribunal d’appel du droit d’auteur les états des honoraires, redevances ou tantièmes à percevoir, ainsi que les objections, s’il en est, qu’il aura reçues contre ces états, le Tribunal procédera à l’examen des états et des objections, s’il en est, et pourra lui-même, sans qu’aucune objection n’ait été présentée, s’arrêter aux points qui, à son avis, donnent lieu à l’objection. À l’égard de chaque objection, le Tribunal devra aviser l’association, société ou compagnie intéressée de la nature de l’objection soulevée, et lui procurer l’occasion d’y répondre. 10. (7) Lorsqu’il aura terminé son examen, le Tribunal d’appel du droit d’auteur apportera aux états les altérations qui lui sembleront judicieuses, puis il transmettra au Ministre les états altérés, révisés ou maintenus, lesquels seront certifiés comme étant des états homologués. Aussitôt que la chose sera praticable après la réception de ces états ainsi homologués, le Ministre les fera publier dans la société ou compagnie intéressée.52 Dès que le tribunal est saisi d’un tarif, il peut le modifier en apportant les «altérations» qui lui sembleront judicieuses. Il est clair qu’en apportant de telles modifications, la CADA doit tenir compte de la représentativité de chaque société au regard du répertoire. Il serait difficile de prétendre que les modifications apportées au regard du répertoire ne sont pas des «altérations judicieuses», compte tenu de l’obligation faite à toutes les sociétés de droit d’exécution de déposer leur projet de tarification. Il est vrai que dans sa première décision à l’égard de la CPRS et de la BMI, la CADA a certifié le tarif de la BMI en se fondant uniquement sur le projet de tarif de la BMI, sans examiner les répertoires des sociétés en présence. Sans mettre de côté l’obligation d’examiner le répertoire des sociétés, la CADA a tout simplement indiqué qu’elle n’était pas en mesure d’examiner cette question eu égard à l’expertise et aux données disponibles à cette époque. Enfin, un nouveau tarif visant la radiodiffusion à ondes courtes vers d’autres pays a été certifié en 1946, à la suite d’une entente 52. Ibid. La gestion collective du droit d’exécution publique 113 entre la Société Radio-Canada et la CAPAC et prévoyant une redevance annuelle de 3 000 $53. 5. Les décisions de la CADA de 1947 à 1951 La décision de la CADA en 1947 se démarqua des décisions antérieures: la CPRS, devenue la CAPAC, obtint enfin l’augmentation souhaitée. La CADA a ainsi certifié un taux global de 14 ¢ par appareil récepteur54. Il importe de préciser que les stations de radio se divisaient en deux groupes: les stations privées, représentées par l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) et celles de la Société Radio-Canada. L’ACR, la CAPAC et BMI ont conclu une entente prévoyant une redevance équivalente à 7 ¢ par appareil récepteur à l’avantage de la CAPAC et de 1,5 ¢ à l’avantage de la BMI55. De plus, Radio-Canada et BMI auraient conclu une entente prévoyant le versement d’une somme forfaitaire de 17 500 $56. Or, aucune entente entre la CAPAC et Radio-Canada n’a été conclue. La CADA a donc certifié un tarif global de 14 ¢ par appareil récepteur à l’avantage de la CAPAC, payables à raison de 7 ¢ par les stations de radio privée et de 7 ¢ par la Société Radio-Canada57. Le commissaire Paul Fontaine a signé un rapport minoritaire dans lequel il précise que la CADA n’avait pas à fixer de taux global (14 ¢) ni à préciser une clé de partage. Toutefois, il aurait appliqué le versement, par la Société Radio-Canada, d’une redevance de 5 ¢ par appareil récepteur58. Nous remarquons que cette première modification au tarif depuis la Commission Parker coïncide avec la nomination d’un conseiller à la commission, Vincent C. MacDonald, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Dalhousie. De 1948 à 1951, aucune modification n’a été apportée au taux certifié en 1947, à l’exception d’un ajustement pour les stations de radio situées dans la nouvelle province de Terre-Neuve, pour l’année 1950: 53. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour version non publiée, 2 avril 1946, p. 7. 54. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour version non publiée, 26 août 1947, p. 2-3. 55. Ibid. 56. Ibid. 57. Ibid. 58. Ibid. du Tribunal l’année 1946, du Tribunal l’année 1947, 114 Les Cahiers de propriété intellectuelle En ce qui concerne la province de Terre-Neuve, le Tribunal a décidé que la station de radio privée devait payer un droit de 925,40 $ et que la Société Radio-Canada devait verser 3 701,60 $. Ces montants ont été calculés en multipliant le nombre d’appareils récepteurs radiophoniques visés par une licence à Terre-Neuve, soit 33 050, par 14 cents, pour un total de 4 627 $ et en imputant 20 % de ce montant à la station privée et 80 % à la Société Radio-Canada.59 Voici comment la redevance a évolué, de 1947 à 1951: Année Réception par des appareils récepteurs à des fins privées (tarif no 2) Assiette tarifaire: ¢/appareil récepteur licencié 1947: CAPAC 1947: BMI 1948: CAPAC 1948: BMI 1949: CAPAC Montant total autorisé 14 ¢ 245 608,86 $ Stations privées: 122 804,43 $ Radio-Canada: 122 804,43 $ 1,5 ¢ ou 2¢ 26 315,76 $ 14 ¢ 253 095,34 $ Stations privées: 126 547,67 $ Radio-Canada: 126 547,67 $ 2¢ 36 156,48 $ 14 ¢ 272 163,78 $ Stations privées: 136 081,89 $ Radio-Canada: 136 081,89 $ Réception dans des endroits publics (tarif no 2A) Radiodiffusion à ondes courtes vers d’autres pays (tarif no 2B) Assiette tarifaire: montant forfaitaire Assiette tarifaire: montant forfaitaire 1 000 $ 5 000 $ (Radio-Canada) 1 000 $ 5 000 $ (Radio-Canada) 1 000 $ 5 000 $ (Radio-Canada) 59. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport du Tribunal d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1950, version non publiée, 4 février 1950, p. 2. La gestion collective du droit d’exécution publique Année 1949 : BMI 1950: CAPAC 1950: BMI 1951: CAPAC 115 Réception par des appareils récepteurs à des fins privées (tarif no 2) Réception dans des endroits publics (tarif no 2A) Radiodiffusion à ondes courtes vers pays (tarif no 2B) Assiette tarifaire: ¢/appareil récepteur licencié Assiette tarifaire: montant forfaitaire Assiette tarifaire: montant forfaitaire Montant total autorisé 2¢ 38 880,54 $ 14 ¢ 292 718,86 $ Stations privées: 144 971,33 $ Radio-Canada: 144 971,33 $ 2¢ 41 184,55 $ 14 ¢ 304 842,30 $ Stations privées: 152 421,15 $ Radio-Canada: 152 421,15 $ 1 000 $ 5 000 $ (Radio-Canada) 1 000 $ 5 000 $ (Radio-Canada) Nous remarquons, en 1948, une augmentation présumée du tarif de la BMI, sans motif connu. Les rapports de la CADA concernant le taux de la BMI se contredisent, celui de 1947 homologuant une entente entre l’ACR et BMI prévoyant un taux de 0,15 $ par appareil récepteur, alors que le rapport de 1949 certifie le taux de la BMI «au même taux que 1947, soit 2¢ par appareil récepteur»60. 6. Les décisions de la CADA de 1952 à 1964 En 1952, la CADA utilise une nouvelle assiette tarifaire, s’inspirant de la méthode américaine, applicable aux États-Unis depuis 1914: 60. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport du Tribunal d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1949, version non publiée, 19 janvier 1949, p. 2. 116 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le tarif proposé par la CAPAC en ce qui concerne la radiodiffusion diffère de façon appréciable de celui proposé et homologué pour l’année 1951 et pour les quatre années précédentes. Depuis la création de la Commission d’appel du droit d’auteur, les droits de radiodiffusion ont toujours été fixés en fonction du nombre d’appareils radiophoniques visé par une licence délivrée par le ministère du Transport. Au cours des cinq dernières années, ce droit a été fixé à 14 cents pour chaque appareil visé par une licence, 7 cents étant versés par la Société Radio-Canada et 7 cents par les stations de radio privées.61 Après une longue audience, la Commission en est venue à la conclusion que les droits de licence de radiodiffusion exigés par la CAPAC ne devraient plus être fixés en fonction du nombre d’appareils radiophoniques récepteurs visés par une licence. La Commission a adopté la nouvelle méthode de calcul suivante: les droits payables par la Société Radio-Canada seront de 1 cent par tête de la population du Canada et, en outre, de 1 3/4 p. 100 du «revenu brut» (tel qu’il est défini dans l’arrêté en conseil C.P. 5234 du 14 octobre 1949) tiré par la Société Radio-Canada de la diffusion commerciale au cours de son exercice se terminant le 31 décembre 1951. Les droits payables par les stations de radio commerciales privées seront de 1 3/4 p. 100 du «revenu brut», tel qu’il est défini par l’arrêté en conseil C.P. 5234 du 14 octobre 1949.62 Il est malheureux que la CADA n’ait pas motivé sa décision. La méthode consistant à fixer le tarif selon le nombre d’appareils récepteurs visés par une licence est fondée sur la prémisse que la possession d’un appareil récepteur est génératrice d’une redevance, puisqu’en bout de piste, l’exécution devient «publique» lorsqu’un auditeur peut entendre une œuvre musicale par le biais de son appareil récepteur privé. Dans l’hypothèse improbable qu’aucune licence pour un appareil récepteur ne soit délivrée par le ministère du Transport, aucune redevance ne serait versée. De plus, selon cette philosophie, la durée de l’écoute n’a pas d’influence: on présume que l’auditeur écoute la radio en tout temps. On peut toutefois affirmer 61. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1952, version non publiée, 22 mars 1952, p. 2. 62. Ibid. La gestion collective du droit d’exécution publique 117 que cette méthode permet d’évaluer objectivement l’évolution du marché de la radiophonie. La méthode consistant à verser un pourcentage des revenus bruts, revenus qui proviennent en grande partie des recettes publicitaires, rapproche davantage le taux de la redevance de son impact sur le marché et parallèlement, du taux d’écoute de la station. En effet, cette méthode est fondée sur la prémisse qu’une augmentation de la cote d’écoute de la station se traduit par une augmentation du montant des recettes publicitaires. Toujours selon cette méthode, la redevance versée aux sociétés d’auteurs sera proportionnelle à la santé financière des stations. Une station de radio qui a de la difficulté à vendre du temps d’antenne versera un montant moindre. En d’autres termes, l’on utilise, afin de déterminer si nous sommes en présence d’une exécution «publique», une mesure indirecte, soit le montant des revenus bruts, qui varie au même rythme que l’auditoire. Bien que différentes dans leur impact, les deux méthodes attribuent à la valeur de l’exécution publique un taux qui diffère selon l’utilisation, la première présumant que la possession emporte une écoute assurée, confirmant ainsi la qualité «commerciale» de l’œuvre musicale. Aucune donnée sur les coûts de réalisation d’une œuvre musicale n’a été déposée. Enfin, soulignons que la nouvelle assiette tarifaire appliquée par la CADA révèle une approche qui accentue davantage les différences entre les réseaux publics et privés. En effet, la Société RadioCanada est destinée à verser une redevance toujours plus importante, qui croît au même rythme que le taux de natalité, alors que les stations privées jouissent d’une période de repos dans les moments plus difficiles. Les années qui suivirent la décision de 1952 n’ont donné lieu à aucune modification dans la méthode de calcul de la redevance de la CAPAC, comme l’indiquent les données du tableau qui suit: 118 Les Cahiers de propriété intellectuelle TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 2): CAPAC Année Réception par des appareils récepteurs à des fins privées (tarif no 2) Stations privées Assiette tarifaire: % des revenus bruts de la station, tel que défini dans le tarif certifié 1952 1953 1954 1955 1956 1¾ % Radio-Canada: Assiette tarifaire: % des revenus bruts de la station + ¢ multiplié par le chiffre de la population canadienne d’après le dernier rapport du bureau fédéral de la statistique 1¾ % Réception dans des endroits publics (tarif no 2 B) Radiodiffusion à des ondes courtes vers d’autres pays (tarif no 2B) Assiette tarifaire: montant forfaitaire Assiette tarifaire: montant forfaitaire 1 000 $ 5 000 $ (RadioCanada) En 1957, la CADA a certifié un tarif reconduisant le tarif de la CAPAC de 1¾ % des revenus bruts à l’égard des stations de radiodiffusion privées et modifiant en partie l’assiette tarifaire de la CAPAC à l’égard de la Société Radio-Canada63. En effet, le nouveau tarif CAPAC-SRC intègre dans un seul poste tarifaire la radiodiffusion aux fins privées et la diffusion à ondes courtes: ce nouveau tarif prévoyait un taux de 1,6 ¢ par tête de la population du Canada d’après le dernier rapport établi par le Bureau fédéral de la statistique. La CADA a de plus aboli le vieux tarif de 1 000 $, applicable depuis 1939, pour la radiodiffusion visant des postes récepteurs installés dans les endroits publics. 63. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au secrétaire d’État du Canada pour l’année 1957, version non publiée, 10 janvier 1957, p. 2. La gestion collective du droit d’exécution publique 119 En 1958, la CADA a certifié un tarif prévoyant une augmentation de ¼ % du tarif applicable aux stations de radiodiffusion privée, faisant passer le tarif de 1¾ % des revenus bruts à 2 %. De 1958 à 1962, le tarif des stations privées est demeuré stable, alors que celui de Radio-Canada connaît une croissance régulière, passant de 1,6 ¢ à 2,5 ¢ en 1962, comme le précise le tableau qui suit: TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 2): CAPAC Année Tarif 2A Tarif 2B Tarif applicable aux stations de radio-diffusion privées pour la réception par des appareils récepteurs à des fins privées Assiette tarifaire : % des revenus bruts de la sation, tel que défini dans le tarif certifié Tarif applicable aux station de radiodiffusion de la Société Radio-Canada pour la réception par des appareils récepteur à des fins privées Assiette tarifaire: ¢ multiplié par le chiffre de la population canadienne d’après le dernier rapport du bureau fédéral de la statistique 1957 1¾ % 1,6 ¢ 1958 2,0 % 1,8 ¢ 1959 2,0 % 2,0 ¢ 1960 2,0 % 2,2 ¢ 1961 2,0 % 2,4 ¢ 1962 2,0 % 2,5 ¢ Les rapports de la CADA visant cette période ne dévoilent pas les motifs qui permettraient d’expliquer l’augmentation constante du tarif de Radio-Canada et la stabilité du tarif des stations de radio privées64. En effet, le tarif de Radio-Canada subit une double augmentation, correspondant à l’augmentation du taux de la population 64. Nous avons examiné à cet égard les rapports de la CADA du 7 novembre 1958, du 16 janvier 1959, du 12 janvier 1960 et du 13 janvier 1961. 120 Les Cahiers de propriété intellectuelle et à celui toujours croissant du tarif lui-même. Pendant cette période, la CADA homologuait, sans examen, les tarifs qui ne soulevaient pas d’objection ou qui faisaient l’objet d’entente entre les sociétés d’auteurs et les associations d’utilisateurs. Comme nous le verrons plus loin, l’augmentation constante du tarif de la Société Radio-Canada fera l’objet d’un examen plus sérieux à partir de 1965. Enfin, signalons qu’en 1963, la CADA a homologué un nouveau poste tarifaire, applicable aux stations de radiodiffusion non commerciales (tarif 2C). Quant au tarif de la BMI, il a subi une augmentation de plus en plus marquée, liée au nombre de licences d’utilisation des appareils récepteurs en progression exponentielle, comme nous le constatons à la lecture du tableau qui suit: TARIF DE LA RADIODIFFUSION: BMI Année Montant total autorisé 1952 44 248,70 $ 1953 46 278,88 $ 1954 55 534,66 $ 1955 55 534,66 $ 1956 98 296,35 $ 1957 98 646,35 $ 1958 100 000,00 $ En 1959, la CADA a certifié un tarif qui modifie la méthode de calcul des années précédentes en appliquant à la BMI la méthode de calcul de la CAPAC, soit un pourcentage des revenus bruts, établi à 0,75 % pour l’année 1959. Le tableau qui suit rend compte des taux applicables de 1959 à 1964: La gestion collective du droit d’exécution publique 121 . TARIF DE LA RADIODIFFUSION DE BMI VISANT LES STATIONS DE RADIODIFFUSION PRIVÉES Année Assiette tarifaire: % des revenus bruts de la station 1959 0,75 % 1960 0,75 % 1961 0,75 % Assiette tarifaire: % du revenu total que chaque station reçoit de la vente du temps de radiodiffusion 1962 0,60 % 1963 0,60 % 1964 0,60 % 7. Les décisions de la CADA de 1965 à 1977 Afin de mieux saisir la progression des tarifs, nous reproduisons, dans un premier temps, les tarifs de la CAPAC, depuis 1963, et de la BMI, depuis 1965: TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 2): CAPAC Année Tarif 2A Tarif 2B Tarif 2C Tarif applicable aux stations de radiodiffusion commerciales pour la réception par des appareils récepteurs à des fins privées Tarif applicable aux stations de radiodiffusion de la Société Radio-Canada pour la réception par des appareils récepteurs à des fins privées Tarif applicable aux stations de radiodiffusion non commerciales pour la réception par des appareils récepteurs à des fins privées 122 Les Cahiers de propriété intellectuelle TARIF DE LA RADIODIFFUSION (tarif no 2): CAPAC Année Tarif 2A Tarif 2B Tarif 2C Assiette tarifaire: % du montant brut payé durant le mois civil immédiatement antérieur au mois civil qui précède celui dans lequel cette licence doit prendre effet Assiette tarifaire: ¢ multiplié par le chiffre de la population canadienne d’après le dernier rapport du bureau de la statistique Assiette tarifaire: frais brut d’exploitation de la station 1963 1,85 % 3,00 ¢ 2% 1964 1,85 % 3,33 ¢ 2% 1965 1,85 % 3,66 ¢ 2% 1966 1,85 % 3,66 ¢ 2% 1967 1,85 % 3,85 ¢ 2% 1968 1,85 % 3,85 ¢ 2% 1969 1,85 % 4,00 ¢ 2% 1970 1,85 % 4,00 ¢ 2% 1971 1,85 % 4,24 ¢ 2% 1972 1,85 % 4,24 ¢ 2% 1973 1,85 % 4,49 ¢ 2% 1974 1,85 % 4,49 ¢ 2% 1975 1,85 % 4,94 ¢ 2% 1976 1,85 % 4,94 ¢ 2% 1977 1,85 % 4,94 ¢ 2% 1978 1,75 % 5,29 ¢ 2% 1979 1,75 % 5,56 ¢ 2% La gestion collective du droit d’exécution publique 123 TARIF DE LA RADIODIFFUSION (BMI) Tarif no 1A (stations privées) Assiette tarifaire: % du montant brut payé durant le mois civil immédiatement antérieur au mois civil qui précède celui dans lequel cette licence doit prendre effet Tarif no 1C Société Radio-Canada Radio et télévision Assiette tarifaire: ¢ multiplié par le chiffre de la population canadienne d’après le dernier rapport du bureau fédéral de la statistique 1965 0,60 % nd 1966 0,75 % nd 1967 0,75 % 1,10 ¢ 1968 0,75 % 1,10 ¢ 1969 0,90 % 1,14 ¢ 1970 0,90 % 1,14 ¢ 1971 0,90 % 1,14 ¢ 1972 1,00 % 1,21 ¢ 1973 1,15 % 1,28 ¢ 1974 1,15 % 1,28 ¢ 1975 1,15 % 1,41 ¢ 1976 1,15 % 1,41 ¢ 1977 1,15 % 1,41 ¢ 1978 1,45 % 1,76 ¢ 1979 1,45 % 1,85 ¢ Les données de ces tableaux conjuguées aux rapports de la CADA nous éclairent sur les motifs qui expliquent l’évolution de la tarification. Examinons, depuis 1965, les informations disponibles. 124 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’année 1965 semble marquer une nouvelle période pour la CADA, aux prises avec un nombre croissant d’objections de la part des opposants. Ainsi, en 1965, Radio-Canada s’oppose à la demande de la CAPAC d’augmenter son tarif, bien qu’une entente ait été conclue, alléguant qu’elle verse une redevance disproportionnée en regard du tarif applicable aux stations commerciales privées. La CADA refuse de se rendre aux arguments de Radio-Canada et homologue le tarif conformément à l’entente intervenue entre Radio-Canada et la CAPAC65. En 1966, la CAPAC revient à la charge et demande à la CADA d’augmenter le tarif de Radio-Canada à 5 ¢ par tête de la population de Canada. Sans en indiquer les motifs, la CADA répond ce qui suit: S’appuyant sur l’ensemble de la preuve déposée devant elle, la Commission est d’avis que le droit proposé au poste 2(b), qui s’élève à 5 cents par tête de la population du Canada établie pour l’année 1966 et qui serait payable par la S.R.C. à la CAPAC, est excessif. La Commission estime également qu’un droit de 3 2/3 cents par tête de la population du Canada, analogue à celui homologué pour le même poste pour l’année 1965, représente un droit suffisant pour l’année 1966 et qu’une augmentation du montant exigible pour 1966, au delà de l’augmentation entraînée par l’accroissement de la population, n’est pas justifiée.66 En 1967, la CAPAC requiert de nouveau une augmentation du tarif de Radio-Canada. Cette fois, la CADA répond en partie à la demande de la CAPAC: La Commission est d’avis que l’augmentation proposée par la CAPAC au poste 2(b) de son tarif, qui passerait d’un droit de 3 2/3 cents, homologué par la Commission pour l’année 1966, à 5 cents par tête de la population du Canada, n’est pas justifiée et elle a plutôt fixé et homologué pour l’année 1967 des droits de 3,85 cents par tête de la population du Canada. La Commission 65. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Justice, version non publiée, 18 janvier 1965, p. 1. 66. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au président du Conseil privé, version non publiée, 17 janvier 1966, p. 1-2. La gestion collective du droit d’exécution publique 125 est également d’avis que le droit de 2 cents par habitant du Canada, proposé au poste 1C du tarif de BMI, n’est pas justifié et elle a plutôt fixé et homologué pour l’année 1967 un droit de 1,10 cent par tête de la population du Canada.67 En 1968, la CADA certifie un tarif reconduisant le tarif de 1967, jugeant excessive la demande de la CAPAC d’augmenter le taux à 4,4 ¢ par tête de la population au Canada et précisant que le tarif certifié l’année précédente constituait un droit suffisant68. En 1969, Radio- Canada convient d’un tarif de 4 ¢ par tête de population au Canada avec la CAPAC et de 1,14¢ avec la BMI, ententes qui sont par la suite homologuées par la CADA69. En 1970, le tarif est reconduit sans modification70. En 1971, le tarif de Radio-Canada est certifié à 4,24 ¢ par tête de la population au Canada et celui de BMI, à 1,21 ¢, à la suite d’une entente conclue entre les parties71. Comment justifier cette augmentation? Voici ce que les parties ont répondu à cet égard, expliquée ici par la CADA: Les postes 2(b) du tarif de la CAPAC et 1C du tarif de BMI prévoient l’augmentation du droit exigible de la Société RadioCanada, mais aucune objection à cette augmentation n’a été formulée, hormis l’objection conditionnelle déjà mentionnée concernant l’éventualité où un tarif serait fixé en faveur de la Sound Recording Licences. La Commission a demandé à chaque société de perception de lui expliquer les faits justifiant l’augmentation. Elle a ainsi appris que les augmentations étaient le résultat d’ententes, entre la société et la S.R.C., fondées sur les effets de l’inflation depuis la dernière augmentation des taux. Ces ententes se fondent également, dans le cas de BMI, sur les pertes de revenus subies après que deux stations 67. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au registraire général du Canada, version non publiée, 30 janvier 1967, p. 2. 68. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 18 janvier 1968, p. 1-2. 69. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 5 février 1969, p. 2. 70. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 15 décembre 1969, p. 1. 71. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 13 mai 1971, p. 2-3. 126 Les Cahiers de propriété intellectuelle radiophoniques privées sont devenues des stations de la S.R.C. Compte tenu de ces ententes et de ces explications, la Commission a jugé qu’il n’y avait pas lieu de s’opposer aux augmentations et elle a homologué les postes sans les modifier.72 Nous comprenons que les motifs invoqués à l’appui de l’entente conclue entre les parties ne sont pas ceux de la CADA. Ces motifs constituent par ailleurs un premier pas vers une intégration des paramètres d’appréciation économique dans l’analyse d’un projet de tarif, soit l’inflation, qui, selon toute vraisemblance, affecte les sociétés de gestion et la situation du marché de la radiophonie. Le critère de l’inflation semble expliquer la plupart des augmentations consenties par la CADA depuis sa création. Malheureusement, aucune information à cet égard n’est révélée avant 1971. Or, en 1972, la CADA nuance sa position et refuse d’accorder une augmentation générale des tarifs en invoquant le motif suivant: De plus, dans le cas des postes tarifaires qui sont fixés sous forme de pourcentage des revenus bruts ou de pourcentage des dépenses pour des divertissements à caractère musical, l’augmentation des revenus d’un côté et l’augmentation des dépenses de l’autre ont pour effet d’entraîner chaque année une augmentation suffisante des droits pour compenser les pertes éventuelles du pouvoir d’achat relié au dollar.73 Cette année-là, un critère d’évaluation refait surface, soit le taux d’utilisation global de la musique. Nous rappelons au lecteur que la CADA, en 1941, avait été appelée à examiner le répertoire des sociétés en présence. Or, en 1972, la CADA précise «qu’il n’y a eu aucune croissance appréciable de l’utilisation globale de la musique qui permette de justifier l’augmentation des coûts totaux exigés des utilisateurs par rapport à ce qu’ils payaient antérieurement»74. De plus, la CADA tente d’évaluer l’utilisation réelle du répertoire qui est diffusé ou exécuté en public afin de verser à la CAPAC et à la BMI une redevance correspondant au répertoire réellement diffusé par chacune des sociétés. La CADA possédait-elle des données statistiques permettant de fixer la part de chacun? Nous sommes d’avis qu’elle ne possédait qu’un début de preuve, permettant un réajustement des redevances de la CAPAC et de la BMI: 72. Ibid. 73. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 19 avril 1972, p. 9. 74. Ibid., p. 8. La gestion collective du droit d’exécution publique 127 La Commission reconnaît que le rapport entre les droits perçus par BMI et ceux perçus par la CAPAC, tel qu’il a été établi au cours des années passées, est quelque peu disproportionné en ce qui concerne les dispositions tarifaires portant sur la radiodiffusion et la musique utilisée dans les boîtes de nuit à cause de l’augmentation continue de l’utilisation de la musique de BMI. La Commission tient toutefois à signaler que, comparativement au répertoire de la CAPAC, celui de BMI est davantage constitué de sélections dont la popularité est de plus courte durée. Or, c’est justement ce type de musique qui paraît bénéficier le plus, sur le plan de la popularité, de l’utilisation intensive qu’en font les radiodiffuseurs et sans laquelle il serait pratiquement impossible de s’attendre à ce qu’une bonne partie de ce répertoire obtienne une grande diffusion ou une certaine popularité, même pour un court laps de temps. Dans l’ensemble, la Commission en arrive à la conclusion qu’une certaine augmentation des taux exigés par BMI des radiodiffuseurs est justifiée. Mais, au lieu de majorer de 0,35 le pourcentage du revenu brut proposée par BMI, la Commission considère qu’en relevant de 0,1 le taux de 0,9 p. 100 qui a été fixé par une entente intervenue entre BMI et l’Association canadienne des radiodiffuseurs pour les années 1969, 1970 et 1971, on obtient une augmentation appropriée. En outre, les radiodiffuseurs devraient, sans trop de difficultés, être en mesure d’absorber cette augmentation en une seule année. La Commission consent donc à ce que le taux soit majoré à 1,0 p. 100 du revenu brut.75 Selon les critères de la CADA, une augmentation du tarif de l’une des sociétés emporte une diminution du tarif de l’autre société d’un montant équivalent. Cette règle a été appliquée par la CADA à l’égard du tarif no 2 de la BMI et du tarif no 6 de la CAPAC (cabarets, cafés, clubs, etc.)76. Or, selon la CADA, cette règle ne s’appliquerait pas si l’une des sociétés a conclu une entente avec un groupe d’utilisateurs: voilà pourquoi, en 1972, la CADA n’a pas réduit le tarif de la CAPAC à l’égard des stations de radiodiffusion privées, bien qu’elle ait augmenté celui de la BMI77. 75. Ibid., p. 9-10. 76. Ibid., p. 13. 77. Ibid., p. 10. 128 Les Cahiers de propriété intellectuelle En 1973, CAPAC et BMI ont conclu, avec l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), une entente d’une durée de cinq ans, fixant le taux des stations commerciales de radiodiffusion privées à 1,85 % (CAPAC) et 1,15 % (BMI) des revenus bruts de chaque station78. Par ailleurs, une entente similaire a été conclue avec la société Radio-Canada pour une durée de deux ans, fixant le taux à 4,49¢ (CAPAC) et 1,28¢ (BMI) par tête de la population du Canada79. Mentionnons de plus que la Commission a refusé d’homologuer le taux convenu entre BMI et l’ACR concernant la télédiffusion, au motif que ce taux était supérieur au taux déposé par la BMI dans son projet80. La CADA a ainsi appliqué la règle de l’ultra petita, qui précise qu’un tribunal ne peut adjuger pour un montant supérieur à celui demandé par une partie dans sa procédure initiale. Ce principe a été codifié, au Québec, à l’article 468 C.p.c. Nous sommes toutefois d’avis que ce principe s’applique essentiellement aux litiges de nature privée. Or, en l’espèce, la CADA est un tribunal ayant des pouvoirs spéciaux, garants de l’intérêt public. Nous avons de plus un doute quant à l’application de cette règle lorsque la CADA réajuste la redevance d’une société sans modifier le taux global de la redevance, toutes sociétés confondues. En 1975, une nouvelle entente est conclue entre la société Radio-Canada, BMI et la CAPAC, valable pour une durée de trois ans et prévoyant une légère augmentation du tarif applicable à Radio-Canada81. La CADA certifie le nouveau tarif, en précisant que ce tarif est raisonnable en regard du tarif des stations de radiodiffusion privées. Les tarifs de radiodiffusion applicables en 1975 sont reconduits en 197682 et en 197783. Signalons, en 1977, l’introduction d’un nouveau tarif de radiodiffusion visant «Canada All News Radio», au taux annuel de 3 500 $84. 78. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 27 février 1973, p. 3-4. 79. Ibid., p. 4. 80. Ibid., p. 5-7. 81. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 18 février 1975, p. 2. 82. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 6 janvier 1976, p. 1. 83. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 11 janvier 1977, p. 2. 84. Ibid. La gestion collective du droit d’exécution publique 129 8. Le tarif de la SRL certifié en 1971: une parenthèse Avant d’aborder la conclusion, nous aimerions revenir au tarif de 1971. En effet, l’année 1971 est marquée par le dépôt d’un projet de tarif par la «Sound Recording Licences», société de gestion représentant les producteurs de phonogrammes, essentiellement américains85. On se rappellera que les producteurs détiennent des droits d’exécution sur les enregistrements sonores qu’ils produisent depuis 1924, date d’entrée en vigueur de la loi canadienne de 1921. Avant la mise en vigueur de la loi précitée, les producteurs qui confectionnaient des «empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l’aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement» ne jouissaient d’aucun droit d’auteur sur ces supports. On comprend le désir des producteurs de l’époque de voir protéger les enregistrements qu’ils «confectionnaient», contre le piratage et la reproduction illicite. Le législateur de 1921 a introduit ce nouveau droit au paragraphe 4(3): Le droit d’auteur existe pendant le temps ci-après mentionné à l’égard des empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l’aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement, comme si ces organes constituaient des œuvres musicales, littéraires ou dramatiques. De 1924 à 1970, aucune modification importante n’a été apportée. Toutefois, en 1971, le législateur présente un projet de loi visant à diminuer considérablement la portée des droits dévolus aux producteurs en excluant l’exécution publique du phonogramme des actes qui requièrent l’autorisation du titulaire86. Telle était l’essence de l’ancien paragraphe 5(4), qui précisait que le droit d’auteur sur les «empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l’aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement» se limitait au droit de reproduction87. Il peut sembler étrange que le législateur ait modifié un droit plus de 46 ans après sa mise en vigueur. Il faut comprendre que les producteurs de phonogrammes de l’époque n’avaient pas, de fait, exercé le droit d’exécution publique... jusqu’en 1968, année où les compagnies de disques tentent de se prévaloir pour la première fois du droit d’exécution, par le biais de la «Sound 85. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 12 mars 1971, p. 2. 86. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1970, c. 4. 87. Ibid. 130 Les Cahiers de propriété intellectuelle Recording Licences (SRL) Ltd.»88. Les motifs invoqués à cette époque, pour soutenir l’intervention du Parlement, rappellent un thème déjà connu: d’une part, les redevances perçues seraient distribuées à des compagnies étrangères, puisque 90 % des disques vendus étaient fabriqués à partir de matrices étrangères, et on anticipait de sérieux problèmes liés à l’administration du droit d’auteur en association89. D’autre part, le Conseil économique du Canada, dans son rapport précédant les modifications de 1971, assimilait l’exécution publique des disques et autres supports sonores à un prêt public, effectué sans rémunérer le fabricant du disque, et estimait que l’industrie de l’enregistrement sonore n’avait pas besoin de stimulants supplémentaires90. La CADA a été appelée à se prononcer sur le projet de tarif de la SRL, avec, en toile de fond, un projet de loi visant à modifier la Loi sur le droit d’auteur. La Commission a homologué le projet de tarif de la SRL, avec d’importantes modifications, bien que certains opposants aient demandé à la CADA d’en différer l’homologation jusqu’à ce que le projet de loi prévoyant l’abolition des droits d’exécution à l’égard des phonogrammes, qui était à l’étude devant le Sénat, soit mis en vigueur91. La Commission s’est en effet déclarée compétente pour disposer du projet de la SRL: Le point 1 soulève lui aussi une question de droit. La Commission a-t-elle compétence, en vertu des articles 48 à 50 de la loi, pour se prononcer à l’égard des tarifs que pourrait appliquer une société qui délivrerait uniquement des licences pour l’exécution d’enregistrements de l’exécution de musique, ces enregistrements ne constituant pas, à ce que l’on prétend, des œuvres musicales au sens de l’alinéa 2(P) ni de l’article 48 de la loi? Il revient aux tribunaux de se prononcer, en définitive, sur cette objection. Cependant, la majorité des membres de la Commission sont d’avis qu’ils doivent homologuer et certifier les tarifs qui leur sont soumis, à moins d’être convaincus qu’ils n’ont aucune compétence en la matière. Or, selon la majorité 88. COMITÉ PERMANENT DES COMMUNICATIONS ET DE LA CULTURE, Une charte des droits des créateurs et des créatrices, rapport du sous-comité sur la révision du droit d’auteur, Ottawa, ministre des Approvisionnements et Service Canada, 1985, p. 54. 89. Ibid. 90. Ibid., p. 5. 91. COMMISSION D’APPEL DU DROIT D’AUTEUR, Rapport de la Commission d’appel du droit d’auteur au ministre de la Consommation et des Corporations, version non publiée, 13 mai 1971, p. 5-6. La gestion collective du droit d’exécution publique 131 des membres, la présente affaire ne tombe pas dans cette dernière catégorie. Par conséquent, la Commission a examiné et certifié les tarifs en cause, compte tenu du fait que cette mesure ne porte pas atteinte au droit des opposants de soulever cette question devant les tribunaux judiciaires. Par ailleurs, la Commission estime plus pratique de procéder ainsi pour mener à terme ses travaux plutôt que de refuser de se prononcer sur les tarifs jusqu’à ce que les tribunaux aient tranché la question.92 Ceci étant dit, la CADA a par la suite examiné le tarif de la SRL en relation avec les tarifs de la CAPAC et de la BMI. De cet examen, nous tirons deux conclusions: un tarif provenant d’une nouvelle société qui exerce pour la première fois un droit d’exécution doit: – s’intégrer progressivement et sans heurt dans la structure financière des utilisateurs: • La Commission est d’avis que les taux des droits réclamés dans les tarifs qui ont été déposés constituent une augmentation injustifiée, dans une seule année, des coûts d’exploitation que devraient supporter les utilisateurs de disques. En outre, si les droits doivent un jour atteindre des taux aussi élevés, il faudrait que leur progression soit suffisamment lente pour que les utilisateurs bénéficient d’une période d’adaptation qui s’étende sur un certain nombre d’années. Par le passé, les utilisateurs n’ont pas simplement pu utiliser les disques sans avoir à payer de droits d’exécution, ils ont en fait, dans le cas des stations de radiodiffusion, permis aux producteurs de disques, à leur demande, de bénéficier de la publicité qu’entraîne la diffusion des disques et, par le fait même, de la promotion de la vente de ceux-ci. Selon la Commission, il est inadmissible en l’espèce que les producteurs de disques puissent soudainement, en se regroupant, contraindre les utilisateurs à payer des droits si élevés que les coûts d’exploitation engagés par ces derniers subissent une augmentation importante.93 – et viser un répertoire précis: • De plus, la Commission n’est pas convaincue que la SRL possède le droit d’exécution ou le droit de délivrer des licences à 92. Ibid., p. 7. 93. Ibid. 132 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’égard de l’exécution publique d’une très grande partie des 16 000 pièces musicales dont elle prétend avoir le contrôle. De l’avis de la Commission, cette situation semble avoir deux effets négatifs. D’une part, elle réduirait la valeur d’une licence globale permettant de faire jouer n’importe quelle œuvre de la SRL. D’autre part, elle entraînerait une dépréciation accrue de la valeur de chaque licence puisque son titulaire n’aurait pas une idée exacte de ce qu’il obtient pour son argent, ni aucune garantie quant au fait que le paiement des droits prescrits à la SRL lui permet réellement d’exécuter une pièce en particulier.94 De plus, la CADA exprime une opinion étonnante sur la valeur des droits d’exécution: Outre ces considérations, la Commission est d’avis que, généralement, la valeur des licences délivrées pour l’exécution des compositions musicales qui font partie des enregistrements est plus élevée que celle des licences obtenues pour l’exécution publique de disques; en fait, ces dernières ne valent qu’une fraction des licences visant les compositions. Selon la Commission, cette situation de fait doit se traduire par un écart entre les droits exigibles par la SRL et ceux payables à la CAPAC et à BMI. De plus, même si on prend ce facteur en considération, il faut se rappeler que les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs n’utilisent pas uniquement de la musique enregistrée dans leurs émissions. Plus particulièrement, la Commission estime que les émissions de la S.R.C. comportent une proportion élevée de musique exécutée en direct ou qui, de toute façon, ne fait pas partie de la liste de pièces musicales enregistrées dont la SRL prétend détenir le droit d’exécution.95 Vous noterez que la décision du 13 août 1999 de la Commission du droit d’auteur dans le domaine des droits voisins aura pour effet de nuancer ces propos. Nous en traiterons dans un article subséquent. En pratique, le tarif de la SRL, certifié par la CADA pour les stations de radiodiffusion commerciales privées, est de 0,15 % des revenus bruts. Si l’on compare le taux de la SRL au taux combiné du tarif des stations de radiodiffusion privées de la CAPAC (1,85 %) et de BMI (0,9 %) pour 1971, soit 2,75 %, le taux de la SRL équivaut à 18,33 % de ce taux. On comprend dès lors la remarque de la CADA 94. Ibid., p. 9. 95. Ibid., p. 8. La gestion collective du droit d’exécution publique 133 selon laquelle la valeur de l’exécution publique des phonogrammes vaut une fraction de la valeur de l’exécution publique des œuvres musicales. Par ailleurs, la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur de 1971 est sanctionnée le 23 décembre 1971: le tarif de la SRL n’a plus d’effets juridiques et l’exécution publique des phonogrammes entre dans un long sommeil... jusqu’en 1997. 9. Conclusion La création de la CADA est le fruit d’une volonté politique clairement exprimée en 1935 de contrer les effets du monopole de la CPRS tout en assurant un contrôle public sur le taux des redevances d’exécution. En raison du rôle limité de la CADA à cette époque, il est difficile d’établir les critères d’évaluation des redevances, les rapports étant peu loquaces à cet égard. Nous retenons tout de même quelques «tendances»: – en l’absence d’entente entre les sociétés d’auteurs et les associations d’utilisateurs, la CADA acceptera une hausse des redevances uniquement en présence d’une modification importante de l’environnement économique des ayants droit ou des utilisateurs; – la CADA traite les redevances de droit d’auteur à l’instar d’un investissement, qui doit générer un rendement satisfaisant; – en présence d’une entente entre les sociétés d’auteurs et les associations d’utilisateurs, la CADA aura une tendance à homologuer les tarifs convenus entre les parties; – en présence d’un désaccord entre les parties quant à l’évaluation d’un taux, la CADA aura une tendance à «trancher la poire en deux» et convenir d’un taux à mi-chemin, établi d’une façon empirique; – au milieu des années 70, la CADA commence à évaluer plus sérieusement le taux d’utilisation des répertoires par les utilisateurs dans le but de déterminer la valeur d’un tarif. En acceptant par ailleurs des assiettes tarifaires différentes pour les stations commerciales privées et Radio-Canada, la CADA a ignoré l’utilisation d’outils objectifs d’évaluation afin de déterminer la valeur globale de l’exécution publique. Ce constat est à l’origine, 134 Les Cahiers de propriété intellectuelle selon nous, de l’augmentation constante du tarif de Radio-Canada en regard du tarif des stations commerciales privées. Somme toute, il nous est difficile de trouver un fondement rationnel à l’existence d’un tarif. Le taux applicable reflète une série d’événements historiques, qui expliquent en partie pourquoi un taux a été certifié plutôt qu’un autre. Les événements historiques en question reposent généralement sur la conjoncture: en effet, le tarif de 8 ¢ du juge Parker aurait peut-être été différent en présence d’une convention entre la PRS et les radiodiffuseurs britanniques, conclue quelques années plus tard et établissant la redevance à 14 ¢. Nous sommes toutefois surpris de constater que la valeur du droit est établie sans une connaissance raisonnable des coûts liés à la création des œuvres musicales, limitant ainsi l’analyse économique d’un tarif à son impact sur les utilisateurs. Curieusement, le juge Parker faisait une remarque similaire en 1935: Il est regrettable qu’aucun des auteurs ou compositeurs, membres de quelqu’une des sociétés, ne soit venu témoigner devant la Commission pour exposer le besoin qu’ont ces gens d’une plus forte rémunération pour le produit de leur esprit. Il est également regrettable qu’aucun des éditeurs ne soit venu exposer leur besoin d’un plus grand rendement sur leurs placements. S’ils avaient indiqué les placements que représentaient leurs maisons d’édition, ce qu’ils payaient aux auteurs et compositeurs pour obtenir leur autorisation et ce que rapportaient leurs placements, cela eût aidé considérablement à résoudre le problème.96 Nous poursuivrons notre étude dans un article subséquent. 96. Rapport Parker, p. 47. Vol. 15, no 1 Les dessin et modèle communautaires: Analyse du Règlement no 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 Stefan Martin* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 2. Le champ d’application du Règlement: la notion de dessin et de modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 2.1 Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 2.2 Les exclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 2.2.1 Les programmes d’ordinateurs et l’intervention de l’ordre public . . . . . . . . . 142 2.2.2 L’exclusion des dessins et des modèles dont les formes sont imposées par leurs fonctions techniques . . . . . . . . . . . . . . . 143 2.2.3 Les dessins et modèles d’interconnexion . . . . 143 2.2.4 L’interconnexion des systèmes modulaires . . . 144 © Stefan Martin, 2002. * Stefan Martin, M. Fisc. (Aix-en-Provence), LL.M. (Université Laval), D.E.A. (Paris II – Droit de la propriété intellectuelle), avocat auprès du cabinet Fraser Milner Casgrain et chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. 135 136 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2.5 Les pièces détachées . . . . . . . . . . . . . . . 144 3. Les conditions de la protection . . . . . . . . . . . . . . . . 144 3.1 La nouveauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 3.1.1 La divulgation publique: la nouveauté «relative» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 3.1.2 Nouveauté et art antérieur . . . . . . . . . . . 146 3.2 Le caractère «individuel» du dessin et modèle . . . . . 146 3.3 Le caractère apparent. . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 4. Le dépôt et l’enregistrement . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 4.1 Le lieu du dépôt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 4.2 Les personnes pouvant effectuer un dépôt . . . . . . . 149 4.3 Les exigences linguistiques . . . . . . . . . . . . . . . 149 4.4 Le contenu de la demande . . . . . . . . . . . . . . . 150 4.5 La détermination de la date de dépôt . . . . . . . . . 151 4.6 L’examen de la demande . . . . . . . . . . . . . . . . 151 4.7 L’enregistrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 5. Les droits exclusifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 5.1 Les droits patrimoniaux . . . . . . . . . . . . . . . . 154 5.1.1 Les droits attribués aux dessins et aux modèles . 154 5.1.2 Les exceptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 5.1.3 Les limites: la mise en œuvre du principe de l’épuisement des droits . . . . . . . . . . . . 155 5.2 Les droits moraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Les dessin et modèle communautaires 137 6. Le titulaire des droits sur le dessin ou modèle communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 7. L’exploitation des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 7.1 Les dispositions volontaires . . . . . . . . . . . . . . 156 7.2 L’exécution forcée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 8. Le contentieux des dessins et modèles . . . . . . . . . . . . 157 8.1 La demande en nullité . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 8.1.1 Les parties à la procédure devant l’Office . . . 158 8.1.2 Les motifs de nullité . . . . . . . . . . . . . . . 158 8.1.3 La procédure en nullité . . . . . . . . . . . . . 159 8.1.4 Le sort de la demande en nullité et ses effets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 8.1.5 Les recours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 8.2 L’action en contrefaçon . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 8.2.1 Les tribunaux compétents . . . . . . . . . . . . 160 8.2.2 Les parties à l’instance: la qualité pour agir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 8.2.3 Les actes de contrefaçon . . . . . . . . . . . . . 162 8.2.4 Les moyens de défense. . . . . . . . . . . . . . 162 8.2.5 Les sanctions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 8.2.6 Les voies de recours . . . . . . . . . . . . . . . 164 8.3 L’action en revendication . . . . . . . . . . . . . . . 164 9. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 1. Introduction Après la marque1 et l’obtention végétale2, le dessin ou modèle communautaire a vu le jour le 6 mars 2002, date de l’entrée en vigueur du Règlement sur les dessins ou modèles communautaires3. Cette initiative en matière de dessin ou modèle n’est pas nouvelle en soi: une directive d’harmonisation des législations des États membres a été adoptée le 13 octobre 19984. Mais la portée de cette directive s’avère limitée, tel que le soulignent d’ailleurs les cinquième et sixième considérants de l’exposé des motifs: Considérant qu’il n’apparaît pas nécessaire de procéder à un rapprochement total des législations des États membres sur les dessins ou modèles et qu’il suffit de limiter le rapprochement aux dispositions nationales qui ont l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur, qu’il conviendrait que les dispositions relatives aux sanctions, aux voies de recours et à l’application de la loi continuent de relever du droit national; que les objectifs de ce rapprochement limité ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres agissant seuls; Considérant que, en conséquence, les États devraient rester libres de fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, le renouvellement et la nullité des droits sur des dessins ou modèles ainsi que les dispositions relatives aux effets de la nullité. Le Règlement présente plusieurs innovations par rapport à la directive. Il constitue tout d’abord un code complet du dessin ou 1. Règlement (C.E.) no 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, JOCE L.11/1 du 14 janvier 1994. 2. Règlement (C.E.) no 2100/94, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, JOCE no L.227 du 1er septembre 1994. 3. Règlement (C.E.) no 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, JOCE L 3 du 5 janvier 2002 (ci-après le «Règlement»). 4. Directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles, JOCE no L.289. 139 140 Les Cahiers de propriété intellectuelle modèle européen et crée un véritable titre de propriété industrielle valable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Le Règlement répond également aux particularités des créations saisonnières que l’on retrouve fréquemment dans l’industrie du textile, de la mode, du papier peint, de l’habillement et de la bijouterie et prévoit une protection des dessins et modèles communautaires sans dépôt. On notera d’ailleurs que cette innovation s’accorde aux prescriptions du paragraphe 2 de l’article 25 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) qui stipule que «Chaque Membre fera en sorte que les prescriptions visant à garantir la protection des dessins et modèles de textiles, en particulier pour ce qui concerne tout coût, examen ou publication, ne compromettent pas indûment la possibilité de demander et d’obtenir cette protection. [...]» Le choix en faveur du régime de dessin ou modèle non enregistré n’est pas définitif. En effet, le Règlement prévoit un délai de grâce de 12 mois suivant la divulgation sur le territoire de la Communauté, lequel délai permet de tester le produit sur le marché et, le cas échéant, de procéder au dépôt du dessin ou du modèle afin de bénéficier d’une protection plus étendue et surtout plus longue (25 ans pour le dessin ou modèle enregistré au lieu de trois ans pour le dessin ou modèle non enregistré). Le Règlement ne remet pas en cause l’existence du cumul des régimes de protection des dessins ou modèles (droit d’auteur, droit des marques, droit des brevets ou encore droit de la concurrence déloyale)5. Cette règle permet de sauvegarder le principe de l’«unité de l’art» notamment consacré en droit français des dessins et modèles, selon lequel les œuvres d’art appliqué sont aussi des œuvres de l’esprit relevant du droit d’auteur. Le Règlement est entré en vigueur le 6 mars 2002. Il s’applique depuis cette date aux dessins et modèles communautaires non enregistrés. La mise en œuvre effective de la procédure de dépôt est subordonnée à l’adoption d’un règlement d’exécution, dont un projet fait actuellement l’objet de discussions. Les dépôts seront reçus et administrés par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur, situé à Alicante (Espagne). 5. Article 96 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 141 2. Le champ d’application du Règlement: la notion de dessin et de modèle 2.1 Principes généraux Il convient tout d’abord d’observer que le Règlement ne s’applique qu’à des réalisations formelles, déterminées et individualisées et non à des idées ou des genres de dessins ou de modèles. Le dessin ou modèle européen est défini comme «l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation»6. Cette définition doit être complétée par référence à celle de «produit» qui couvre «tout article industriel ou artisanal, y compris, entre autres, les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, emballage, présentation, symbole graphique et caractère typographique, à l’exclusion, toutefois, des programmes d’ordinateur» et de «produit complexe» qui s’entend de tout «produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit». La protection vise tant le dessin (bidimensionnel) qui se distingue par ses lignes, ses contours et ses couleurs, que le modèle (tridimensionnel) caractérisé par sa forme, sa texture, les matériaux qui le composent et son ornementation. On peut ainsi envisager la combinaison de figures géométriques, de couleurs ou encore d’objets tels que des lits, des tables de chevet, un ensemble de meubles de bureau. Le produit peut être d’origine artisanale ou industrielle, mais contrairement aux législations de certains pays de l’Union européenne, le Règlement n’exige pas qu’il ait une fonction utilitaire: des créations strictement décoratives, telles que des sculptures et des statues, sont donc susceptibles d’être protégées. Il peut s’agir de produits finis ou de pièces destinées à être assemblées, notamment des pièces détachées. La notion de texture ou de matériau renvoie à ce que la doctrine française qualifie d’«effets extérieurs» d’un produit7 et permet d’en6. Article 3(a) du Règlement. 7. Frédéric POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Paris, Éditions Montchrestien, 1999, p. 384. 142 Les Cahiers de propriété intellectuelle trevoir la protection d’«un heureux assemblage de fleurs, de feuillages, des rapprochements et des combinaisons de métaux aux tons différents, des emplois ou des juxtapositions de bois ou de pierre aux teintes variées, les oxydations, les émaillages, les flambages, des nuances de coloration»8 ou encore «l’aspect particulier donné à un tissu lamé et patiné par le temps, ou bien la trame apparente du tissu, son aspect plus ou moins lisse, brillant, rugueux, moiré, ou encore l’aspect marqueté, oxydé, transparent [...] donné à l’objet»9. Les éléments ou parties d’un produit sont également susceptibles d’être protégés10 s’ils «remplissent en tant que tel les conditions de nouveauté et de caractère individuel»11. Le texte demeure toutefois silencieux quant à savoir s’ils doivent être capables d’être distingués du produit principal et s’ils doivent être à même de faire l’objet d’une commercialisation indépendante du produit auquel ils se rattachent. La définition de «produit» s’avère assez large pour comprendre des jouets, incluant la réalisation en trois dimensions d’un personnage de bande dessinée ou d’un film, des meubles, des articles de vaisselle, des bijoux, des tissus, des vêtements, des articles ménagers, des matériaux de construction, des lunettes, des emballages, des présentoirs de produits, des luminaires, des rasoirs, des bouteilles, des pièces automobiles, des bicyclettes, des chaussures, etc. 2.2 Les exclusions 2.2.1 Les programmes d’ordinateurs et l’intervention de l’ordre public Les programmes d’ordinateurs et par-delà, les interfaces graphiques d’un logiciel, sont spécifiquement exclus12. Sont également écartés du champ d’application du Règlement les dessins ou modèles contraires à l’ordre public13. 8. 9. 10. 11. 12. 13. Rapport Prache à la Chambre des Députés, 1909, Annales, 1909, Annexes, p. 73, cité par Pierre GREFFE et François GREFFE, Traité des dessins et modèles, 6e éd., Paris, Litec, p. 21. Frédéric POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Paris, Éditions Montchrestien, 1999, p. 384. Article 3(c) du Règlement. Article 4.2(b) du Règlement. Article 3(b) du Règlement. Article 9 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 143 2.2.2 L’exclusion des dessins et des modèles dont les formes sont imposées par leurs fonctions techniques L’exclusion vaut également pour les dessins et modèles dont les caractéristiques sont exclusivement imposées par leurs fonctions techniques14. Ce principe est universellement connu et permet notamment de délimiter les champs d’intervention respectifs du droit des brevets et du droit des dessins et modèles: lorsque l’esthétique et les caractéristiques techniques d’un produit sont indissociables, le droit des brevets a préséance, à condition évidemment qu’il soit applicable. La délimitation de la portée de l’exclusion s’avère délicate. En effet, de par sa nature, le design industriel est intimement lié à la fonction des objets et obéit généralement à des impératifs techniques et économiques. A priori, le Règlement a minimisé les effets de cette règle. En effet, l’emploi, à l’article 8 du Règlement, du terme «exclusivement» a pour conséquence que si l’apparence du produit n’est pas strictement indispensable à ses fonctions techniques, le dessin ou le modèle pourra néanmoins être protégé. En ce sens, il est de nature à redonner un nouvel élan au critère de «la multiplicité des formes» développé puis condamné par la jurisprudence et la doctrine françaises, consistant à évaluer si «le même dessin peut être adapté en adoptant d’autres formes»15. Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à cette question, l’application de l’article 8 du Règlement devrait être écartée. En pratique, la mise en œuvre du principe risque de s’avérer délicate. En effet, on conçoit difficilement l’existence d’une forme unique à la mise en œuvre d’un effet technique particulier. 2.2.3 Les dessins et modèles d’interconnexion Le paragraphe 2 de l’article 8 du Règlement exclut la protection des «caractéristiques de l’apparence d’un produit qui doivent nécessairement être reproduites dans leur forme et leurs dimensions exactes pour que le produit dans lequel est incorporé ou auquel est appliqué le dessin ou modèle puisse mécaniquement être raccordé à un autre produit, être placé à l’intérieur ou autour d’un autre produit, ou être mis en contact avec un autre produit, de manière que chaque produit puisse remplir sa fonction». 14. Article 8 du Règlement. 15. Frédéric POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Paris, Éditions Montchrestien, 1999, p. 392. 144 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette disposition vise les éléments connus en droit anglais des dessins et modèles sous le générique de «must-fit». À titre d’exemple, on peut évoquer les «boules de remorquage» ou encore le système d’échappement d’une voiture dont les dimensions sont imposées par la configuration de son bas de caisse. 2.2.4 L’interconnexion des systèmes modulaires Le principe évoqué ci-dessus connaît une exception créée en faveur des dessins et modèles qui ont pour objet des raccords mécaniques de systèmes modulaires16. Ce régime devrait notamment profiter aux briques de Lego et à certains types d’ameublement. 2.2.5 Les pièces détachées Finalement, sont également exclus les dessins ou modèles portant sur des pièces détachées ou, pour reprendre la formulation de l’article 110 du Règlement, de «pièces d’un produit complexe qui sont utilisées dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale». L’article 110 vise tout particulièrement les pièces d’automobiles. Leur statut demeure régi par les législations nationales des États membres de l’Union européenne. L’exclusion est provisoire: la question devra être réexaminée par la Commission dans le cadre de l’analyse qu’elle doit présenter au plus tard le 28 décembre 2004 sur les effets de la Directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins ou modèles17. 3. Les conditions de la protection Il convient tout d’abord d’observer que le mérite ou la valeur esthétique du dessin ou du modèle n’est aucunement pertinent à l’évaluation de sa protection. La combinaison des articles 4 à 7 du Règlement subordonne la protection des dessins et des modèles à deux critères: nouveauté et caractère individuel, auxquels il convient d’ajouter celui de la «visibilité» pour les pièces intégrées à un produit complexe. 16. Article 8.3 du Règlement. 17. Article 110.1 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 145 3.1 La nouveauté Le critère de nouveauté est une condition traditionnelle et universelle de la protection des dessins ou modèles. L’article 5.1 du Règlement définit ce critère par renvoi à la notion de divulgation publique: un modèle est considéré comme nouveau si aucun modèle identique, ou ne différant que par des détails insignifiants, n’a été divulgué au public. 3.1.1 La divulgation publique: la nouveauté «relative» La divulgation consiste en la publication, l’exposition ou la commercialisation d’un produit couvert par le dessin ou le modèle. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’article 5.1 du Règlement, la notion de divulgation réfère non pas au consommateur, mais plutôt au «milieu spécialisé du secteur concerné, opérant dans la Communauté»18. Il s’agit donc d’une nouveauté relative liée à la notoriété du dessin ou du modèle dans le milieu commercial ou industriel concerné, étant par ailleurs précisé que la connaissance par les intervenants du secteur peut avoir été acquise à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire de l’Union européenne. La jurisprudence devra déterminer la composition du «milieu spécialisé» (créateurs, distributeurs, vendeurs au détail), mais également les contours du secteur concerné. À titre d’illustration, si l’on envisage un dessin de robinet, doit-on uniquement considérer les professionnels de ce secteur ou encore tous les intervenants de l’industrie de la construction? Le créateur d’un dessin ou d’un modèle bénéficie d’un délai de grâce d’un an depuis la date de divulgation jusqu’à la date de dépôt. Ce délai d’un an devrait notamment permettre au créateur ou à son ayant droit d’évaluer les chances de succès de la commercialisation du produit. Cette faculté devra être exercée avec prudence, notamment si le créateur entend solliciter la protection de son dessin ou de son modèle dans un pays où le dépôt est subordonné au critère de la nouveauté absolue. Enfin, il ne saurait y avoir de divulgation au sens de l’article 7 du Règlement lorsque le dessin ou le modèle a été communiqué sous le sceau implicite ou explicite de la confidentialité19 ou lorsqu’elle 18. Article 7.1 du Règlement. 19. Article 7.1 du Règlement. 146 Les Cahiers de propriété intellectuelle résulte d’un abus de droit d’un tiers par le fait d’un employé indélicat, par exemple. 3.1.2 Nouveauté et art antérieur La rédaction de l’article 5 du Règlement permet de conclure que seule l’antériorité de toutes pièces est destructrice de nouveauté. On ne peut donc combiner plusieurs dessins ou modèles: des antériorités fragmentaires ne peuvent dénier le caractère de nouveauté. De plus, l’antériorité doit être contemporaine. En prévoyant que le dessin ou modèle ne pouvait raisonnablement être connu des milieux spécialisés, l’article 7 du Règlement exclut l’opposabilité de dessin ou modèle dont le souvenir s’est perdu au fil du temps. L’art antérieur opposé à un dessin ou modèle doit être identique ou quasi identique: sont considérés comme identiques des dessins ou modèles ne différant «que par des détails insignifiants»20. Ainsi formulé, le critère de nouveauté ne s’oppose pas à la protection des compilations artistiques» prenant la forme d’une combinaison nouvelle de dessins ou modèles connus, même si ces derniers se trouvent dans le domaine public. À titre d’illustration, on peut évoquer des meubles inspirés de styles plus anciens. Par ailleurs, la jurisprudence devra déterminer si l’adoption de nouvelles dimensions, le changement de matière ou de couleur doivent être considérés comme des modifications secondaires ou des améliorations suffisantes pour donner droit à la protection. Finalement, l’appréciation de la nouveauté doit être réalisée non au moment de la création, mais à la date de dépôt pour les dessins ou modèles enregistrés, ou au jour de leur divulgation pour les dessins ou modèles non enregistrés21. 3.2 Le caractère «individuel» du dessin et modèle La nouveauté du dessin ou modèle n’est pas suffisante: il doit en outre présenter un caractère individuel, soit produire sur l’utilisateur averti une impression globale qui «diffère de celle que produit sur tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au 20. Article 5.2 du Règlement. 21. Articles 5.1 et 7.1 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 147 public, dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois; dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité»22. Le critère de l’individualité doit être distingué de celui de l’originalité du droit d’auteur d’Europe continentale. L’individualité réfère non pas à la créativité ou à l’empreinte de la personnalité de l’auteur du dessin ou du modèle, mais se définit plutôt par les différences du produit par rapport aux produits préexistants, telles que perçues par un utilisateur averti, personnage qui se situe à michemin entre le public «profane» et l’intervenant «du milieu spécialisé du secteur concerné» envisagé à l’article 7 du Règlement. L’article 6.2 du Règlement ajoute que le caractère individuel doit être apprécié au regard «du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle». Par conséquent, l’appréciation de ce critère devrait être moins exigeante dans le cadre d’un secteur d’activité comme l’industrie du textile, par exemple, où la marge de créativité s’avère par définition plus limitée et où de petites différences auront plus de poids que pour d’autres créations issues de secteurs moins «encombrés». L’interprétation de cette exigence d’individualité pourra notamment s’appuyer sur la jurisprudence anglaise (critère du «eye appeal»)23 et à certains égards, sur les décisions rendues en vertu du droit danois et suédois (critères de «distinction» et de «différence substantielle»)24. Finalement, on notera qu’aux termes de l’article 6.1 du Règlement, le caractère individuel doit être évalué au jour de sa divulgation publique pour un dessin ou modèle non enregistré et au jour du dépôt de la demande d’enregistrement pour un dessin ou modèle enregistré. 22. Article 6.1 du Règlement. 23. Pierre GREFFE et François GREFFE, Traité des dessins et modèles, 6e éd., (Paris, Litec), à la p. 822. 24. Ibid., p. 771 et 897. 148 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.3 Le caractère apparent La protection d’un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce complexe (produit se composant de pièces multiples) est subordonnée à ce que la pièce «une fois incorporée dans le produit complexe reste visible lors d’une utilisation normale du produit»25. Compte tenu de la vocation ornementale du dessin ou modèle, cette condition n’est pas discutable. Le texte ne précise pas si le produit doit être visible à l’œil nu ou à l’aide d’un instrument quelconque et s’il doit demeurer visible en permanence: que dire par exemple du dessin de la coque d’un bateau? La mise en œuvre de ce critère devrait notamment exclure les pièces automobiles se trouvant «sous le capot». La jurisprudence devra également définir ce que l’on entend par «utilisation normale» d’un produit. A priori, cette notion devrait exclure les pièces qui ne sont visibles que lors des opérations d’entretien et de réparation. 4. Le dépôt et l’enregistrement Le dépôt demeure facultatif mais présente une utilité certaine. En premier lieu, l’article 17 du Règlement crée une présomption de titularité en faveur du déposant et «la personne au nom de laquelle le dessin ou modèle communautaire est enregistré». En deuxième lieu, la durée de protection varie selon qu’il s’agisse d’un dessin ou modèle enregistré (cinq ans renouvelable jusqu’à un maximum de 25 ans)26 ou non enregistré (trois ans à compter de la première divulgation publique au sein de la Communauté)27. Enfin, l’article 85.1 du Règlement établit en faveur du dessin ou modèle enregistré une présomption de validité. 4.1 Le lieu du dépôt Le dépôt peut être effectué auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (l’«Office») situé à Alicante (Espagne), ou auprès du Service central de la propriété industrielle d’un État membre ou, pour la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, auprès du Bureau Bénélux des dessins ou modèles28. Le rôle des services 25. 26. 27. 28. Article 4.2 du Règlement. Article 12 du Règlement. Article 11 du Règlement. Article 35.1 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 149 centraux des États membres et du Bureau Bénélux est confiné à la réception et à la transmission à l’Office dans un délai de deux semaines du dépôt de la demande d’enregistrement29. 4.2 Les personnes pouvant effectuer un dépôt Contrairement au Règlement sur les marques communautaires30 qui subordonne la titularité d’une marque communautaire à la condition de nationalité (ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État signataire de la Convention de l’Union de Paris ou d’un pays membre de l’OMC, demandeur domicilié ou possédant un établissement dans un État de l’Union européenne ou un État membre de la Convention de l’Union de Paris) ou de réciprocité31, le droit des dessins et modèles communautaires a vocation universelle. Le dépôt peut être effectué par le titulaire32 ou un avocat exerçant dans l’un des États membres de l’Union européenne ou un agent habilité «à représenter des personnes physiques ou morales en matière de dessins ou modèles devant le Service central de la propriété industrielle d’un État membre ou devant le Bureau Bénélux des dessins ou modèles»33. Toutefois, au-delà du dépôt, «les personnes physiques ou morales qui n’ont ni domicile ni siège ni établissement industriel ou commercial effectif et sérieux dans la Communauté» doivent être représentés devant l’Office34. 4.3 Les exigences linguistiques La demande d’enregistrement doit être rédigée dans l’une ou l’autre des langues officielles de l’Union européenne35. Le demandeur doit, au moment du dépôt, indiquer une des langues de l’Office (allemand, anglais, espagnol, français, italien) dont il accepte l’usage comme langue éventuelle de procédure devant l’Office36. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. Article 35.2 du Règlement. Règlement no 40/94, JOCE L. 11/1 du 14 janvier 1994. Article 5 du Règlement sur la marque communautaire. Article 77 du Règlement. Article 78.4(c) du Règlement. Article 77.2 du Règlement. Article 98.1 du Règlement. Article 98.2 du Règlement. 150 Les Cahiers de propriété intellectuelle 4.4 Le contenu de la demande La demande d’enregistrement doit inclure une requête en enregistrement, des indications qui permettent d’identifier le demandeur, une représentation du dessin ou modèle apte à être produite ou, dans l’hypothèse d’une demande d’ajournement en vertu de l’article 50 du Règlement, un spécimen37, une liste des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou appliqué38 et dans l’hypothèse d’une revendication de priorité, une copie de la demande antérieure éventuellement traduite en l’une des langues de l’Office39 et, dans le cas d’une priorité d’exposition, la preuve que les produits dans lesquels le dessin ou modèle a été incorporé a effectivement fait l’objet d’une exposition internationale officielle ou officiellement reconnue au sens de la Convention sur les expositions internationales signée à Paris le 22 novembre 192840. Compte tenu des difficultés de stockage et de manutention, le dépôt de l’objet couvert par le dessin ou modèle n’est pas permis. Sur une base facultative, la demande peut également contenir une description expliquant la représentation ou le spécimen, une demande d’ajournement de la publication de l’enregistrement, des indications permettant d’identifier le représentant si le demandeur en a désigné un, une indication des classes des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué, et la désignation du créateur ou de l’équipe de créateurs ou une déclaration sous la responsabilité du demandeur attestant que le créateur ou l’équipe de créateurs a renoncé au droit à être désigné41. Le Règlement ne précise pas les effets juridiques de la description du dessin ou du modèle. Il appartient à la jurisprudence de déterminer si cette description est de nature à réduire ou, au contraire, augmenter la portée de la protection Plusieurs dessins ou modèles destinés à être incorporés ou à être appliqués à des produits relevant de la même classe selon l’Arrangement de Locarno du 8 octobre 1968, ou plusieurs dessins d’ornementation, peuvent faire l’objet d’une demande unique (demande d’enregistrement multiple, selon la terminologie retenue 37. 38. 39. 40. 41. Article 36.1 du Règlement. Article 36.2 du Règlement. Article 42 du Règlement. Article 44.3 du Règlement. Article 36.3 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 151 par l’article 37 du Règlement). Cette procédure devrait s’avérer utile aux fins du dépôt d’un certain nombre de dessins similaires dans le domaine de l’industrie textile notamment. Finalement, il convient de noter que ces exigences de forme du dépôt seront complétées par un règlement d’exécution42, dont un projet est actuellement en cours de discussion. 4.5 La détermination de la date de dépôt Sous réserve de l’effet d’un droit de priorité, la date de dépôt est celle de la réception, par l’Office ou le Service central de la propriété industrielle d’un État membre de la Communauté ou du Bureau Bénélux des dessins ou modèles d’une demande conforme aux prescriptions de l’article 36 du Règlement. Le titulaire d’un dépôt national régulier dans un État signataire de la Convention de Paris ou membre de l’Organisation mondiale du commerce, ou encore accordant sur une base de réciprocité un droit de priorité équivalent à celui prévu par l’article 41.5 du Règlement, bénéficie d’un droit de priorité de six mois à compter de la première demande, indépendamment du sort que pourrait connaître celle-ci43. Ce droit de priorité de six mois est également applicable à la divulgation de dessins ou de modèles à l’occasion «d’une exposition internationale officielle ou officiellement reconnue au sens de la Convention sur les expositions internationales signée à Paris le 22 novembre 192844. Par l’effet du droit de priorité, la date de la première demande d’enregistrement ou la date de la première divulgation à l’occasion d’une exposition officielle est considérée comme la date de dépôt d’un dessin ou modèle communautaire. 4.6 L’examen de la demande L’Office procède essentiellement à un examen de forme (contenu de la demande selon les exigences de l’article 36, désignation d’un représentant dans les cas visés par l’article 77, preuve de 42. Article 36.5 du Règlement. 43. Article 41.3 du Règlement. 44. Article 44.1 du Règlement. 152 Les Cahiers de propriété intellectuelle revendication de priorité prévue aux articles 42 et 44.2) et à un examen de fond limité au constat que la demande a pour objet un dessin au sens de l’article 3(a) du Règlement, et que celui-ci ne heurte pas l’ordre public ou les bonnes mœurs au sens de l’article 9 du Règlement. L’Office n’effectue ainsi aucune vérification quant aux conditions de nouveauté et d’individualité. Des irrégularités dans la demande peuvent être corrigées dans les délais prescrits par l’Office, qui sont de rigueur. Cependant, sur requête présentée à l’Office dans l’année suivant l’expiration du délai non observé, mais dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l’empêchement, un demandeur sujet à la perte de droits ou de moyens de recours qui, tout en ayant fait diligence, n’a pu respecter le délai prescrit, peut être rétabli dans ses droits45. Les décisions de l’Office doivent être motivées et ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des éléments de preuve au sujet desquels le demandeur a pu prendre position46. Elles doivent être notifiées au demandeur47. Les décisions finales sont susceptibles de recours dans un délai de deux mois du jour de la notification48. Le recours doit être exposé par écrit et doit être suivi dans un délai de quatre mois de la notification d’un mémoire exposant les motifs du recours49. Le recours suspend les effets de la décision attaquée50. Le recours est, dans un premier temps, soumis à l’instance dont la décision est attaquée pour fins de révision. Si la décision n’est pas infirmée dans un délai d’un mois, le recours est déféré à la Chambre de recours rattachée à l’Office51. Bien que les articles 64 et 65 du Règlement prévoient une procédure orale, la pratique développée à l’égard de la marque communautaire semble limiter l’examen des recours aux écritures des parties. La Chambre de recours peut renvoyer l’affaire à l’instance qui a rendu la décision attaquée et celle-ci se trouve alors liée par les motifs et le dispositif de la décision de la Chambre ou encore statuer en lieu et place de cette instance52. Les décisions de la Chambre de 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. Article 67.1 du Règlement. Article 62 du Règlement. Article 66 du Règlement. Article 57 du Règlement. Article 57 du Règlement Article 55.1 du Règlement. Article 58.2 du Règlement. Articles 60.1 et 60.2 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 153 recours peuvent être évoquées devant la Cour de justice des Communautés dans un délai de deux mois de leurs notifications53. 4.7 L’enregistrement Contrairement au Règlement sur la marque communautaire, le Règlement sur les dessins et modèles ne prévoit pas de procédure d’opposition. Si la demande est conforme aux conditions déjà évoquées, elle est portée au registre et publiée dans le Bulletin des dessins ou modèles communautaires dans toutes les langues de la Communauté54, étant par ailleurs précisé que la langue de dépôt ou, le cas échéant, la langue de l’Office désignée par le demandeur fait foi55. La publication a pour effet de rendre public le dossier relatif à la demande d’enregistrement selon des modalités qui devront être définies par le règlement d’exécution56. Le titulaire peut toutefois demander, au moment du dépôt, un ajournement de la publication pour une période ne pouvant excéder 30 mois à compter de la date du dépôt. Le dessin ou le modèle pourra être enregistré mais ne sera pas publié, et le dossier demeurera confidentiel57, à moins d’une autorisation délivrée par l’Office sur requête d’un tiers intéressé, notamment d’un défendeur à une action en contrefaçon engagée par le bénéficiaire de l’ajournement58. Cette faculté d’ajournement a pour but de permettre au titulaire de protéger le secret de la création jusqu’au jour de la mise en marché effective du ou des produits couverts par celle-ci, étant précisé qu’il peut y renoncer en tout temps59. 5. Les droits exclusifs Les droits réservés aux créateurs ou aux titulaires d’un dessin ou modèle sont essentiellement patrimoniaux, les droits moraux ne sont que symboliques. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. Article 61 du Règlement Articles 48, 49, 72, 73 et 98 du Règlement. Article 99 du Règlement. Articles 73.3 et 73.4 du Règlement. Articles 50.2 et 74.1 du Règlement. Article 74.2 du Règlement. Article 50.4 du Règlement. 154 Les Cahiers de propriété intellectuelle 5.1 Les droits patrimoniaux Les droits exclusifs relatifs au dessin ou modèle non enregistré naissent dès la première divulgation au public au sein de la communauté (article 11 du Règlement). Quant au dessin ou modèle enregistré, le droit existe dès l’acte de dépôt, à la condition que celui-ci aboutisse à un enregistrement par l’Office (article 12 du Règlement). Ces droits patrimoniaux sont classiques, de même que leurs exceptions et leurs limitations. 5.1.1 Les droits attribués aux dessins et aux modèles Le Règlement reconnaît au créateur ou au titulaire un droit de reproduction et un droit de diffusion comprenant «l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou le modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué ou le stockage du produit à ces mêmes fins»60. L’offre devrait notamment inclure la publicité visant la promotion du produit. La durée de protection est de cinq ans à compter de la date de dépôt prorogeable par période de cinq ans jusqu’à un maximum de 25 ans pour les dessins ou modèles enregistrés61, et de trois ans à compter de la première divulgation au public au sein de la Communauté pour les dessins ou modèles non enregistrés 62. 5.1.2 Les exceptions Aux termes de l’article 20 du Règlement, échappent au monopole du créateur ou du titulaire les actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales, les actes accomplis à des fins expérimentales, les actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement, pour autant que ces actes soient compatibles avec les pratiques commerciales loyales et ne portent pas indûment préjudice à l’exploitation normale du dessin ou modèle et que la source en soit indiquée. Sont également soustraits aux droits exclusifs les dessins ou modèles portant sur des équipements à bord d’un navire ou aéronef immatriculé dans un pays tiers, lorsqu’il pénètre temporairement sur le territoire de la Communauté, l’importation, dans la Communauté, de pièces détachées et d’accessoires aux fins de réparation de ces véhicules et l’exécution de réparations sur ces véhicules63. 60. 61. 62. 63. Article 19.1 du Règlement. Article 12 du Règlement. Article 11 du Règlement. Article 20 du Règlement. Le dessin et modèle communautaires 155 5.1.3 Les limites: la mise en œuvre du principe de l’épuisement des droits L’article 21 du Règlement réitère le principe de l’épuisement des droits selon lequel l’exercice des droits exclusifs ne permet pas de s’opposer à la commercialisation subséquente de produits qui ont été mis en circulation par le titulaire des droits ou par des tiers avec son consentement. Par essence, le principe de l’épuisement des droits ne vise que le droit de diffusion à l’exclusion du droit de reproduction. De plus, les effets du principe de l’épuisement des droits sont limités au territoire de l’Union européenne et excluent ainsi la commercialisation qui a eu lieu dans un État tiers. 5.2 Les droits moraux La reconnaissance des droits moraux par le Règlement est plus que timide et limitée à une conception relativement édulcorée du droit à la paternité. L’article 18 octroie au créateur le droit «d’être désigné en tant que tel auprès de l’Office et dans le registre». 6. Le titulaire des droits sur le dessin ou modèle communautaires L’article 14 du Règlement pose comme principe que «le droit au dessin ou au modèle communautaires appartient au créateur ou à son ayant droit». Dans l’hypothèse d’une œuvre de collaboration ou d’une œuvre collective, les droits sont réputés être détenus conjointement64. Ces dispositions n’appellent aucune observation particulière: elles rappellent des règles traditionnelles et connues. En ce qui a trait aux créations de salariés, le paragraphe 3 de l’article 14 dispose que «lorsqu’un dessin ou modèle est réalisé par un salarié dans l’exercice de ses obligations ou suivant les instructions de son employeur, le droit au dessin ou modèle appartient à l’employeur, sauf convention contraire ou sauf disposition contraire de la législation nationale applicable». L’employeur n’est pas ipso facto propriétaire des droits du seul fait de la qualité de salarié du créateur. Ce principe général étant rappelé, on ne peut toutefois que spéculer sur les effets de la substitution du concept de «création dans le cadre des fonctions du salarié» par celui de «réalisation dans 64. Article 14.2 du Règlement. 156 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’exercice de ses obligations suivant les instructions de son employeur». Il convient de préciser que cette règle d’attribution est sujette à toute convention contraire ou disposition de la législation nationale applicable65. Il est remarquable que le Règlement demeure silencieux quant à l’attribution des droits relatifs à un dessin ou modèle créé dans le cadre d’un contrat de commande. L’article 88.2 du Règlement renvoie cette question au droit du for. 7. L’exploitation des droits 7.1 Les dispositions volontaires Au titre de la disposition volontaire, il est admis que le titulaire peut céder66, concéder 67 ou donner en garantie68 les droits afférents au dessin ou au modèle. Il convient de noter que dans le cas d’une demande multiple, chaque dessin ou modèle peut faire l’objet d’une exploitation individuelle69. Ces actes ne sont soumis à aucune exigence de forme, leur opposabilité aux tiers étant régie par le droit de l’État membre sur le territoire duquel le titulaire a son siège ou son domicile ou établissement ou à défaut, le droit de l’État sur le territoire duquel l’Office a son siège, soit le droit espagnol70. Dans l’hypothèse d’une pluralité de titulaires rattachés à plus d’un État membre, le droit applicable est celui du titulaire désigné d’un commun accord ou du premier des cotitulaires dans l’ordre de leur inscription au registre71. Seule la cession de droit est soumise aux formalités obligatoires de publicité (inscription au registre et publication au Bulletin des dessins et modèles)72. Le non-respect des règles de publicité est sanctionné par l’inopposabilité aux tiers de la cession73. Les licences et les concessions de droits réels peuvent être inscrites au registre et publiées sur une base facultative à la demande d’une partie74. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. Article 14.3 du Règlement. Article 28 du Règlement. Article 32 du Règlement. Article 29 du Règlement. Article 34.4 du Règlement. Articles 27 et 33 du Règlement. Article 27.3 du Règlement. Articles 28(a) et 73 du Règlement. Article 28(b) du Règlement. Articles 29.2 et 32.5 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 157 7.2 L’exécution forcée Le dessin ou modèle enregistré est susceptible d’exécution forcée75. Le tribunal compétent est déterminé par l’application des critères de rattachement identiques à ceux déjà évoqués relatifs à l’opposabilité aux tiers des contrats de cession de licence, de gages ou de nantissement76. La publicité de l’exécution forcée est facultative: elle peut être inscrite au registre et publiée au Bulletin des dessins et modèles sur demande de l’une des parties. Le dessin ou modèle communautaires ou la part d’un copropriétaire peut faire l’objet d’une revendication dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité à la condition qu’elle ait été ouverte dans un État membre «sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur»77. Sur demande de l’autorité nationale compétente, la procédure d’insolvabilité est inscrite au registre et publiée au Bulletin des dessins et modèles78. 8. Le contentieux des dessins et modèles Le contentieux des dessins ou modèles s’articule autour des trois recours suivants: la demande en nullité, l’action en contrefaçon et l’action en revendication. 8.1 La demande en nullité Les limites très étroites de l’examen de la demande d’enregistrement par l’Office conjuguées à l’absence de procédures d’opposition permettent de saisir l’importance du recours en annulation des dessins ou modèles communautaires enregistrés. La demande peut être engagée à titre principal devant la Division de l’annulation de l’Office ou à titre de demande reconventionnelle dans le cas d’une action en contrefaçon intentée notamment par le titulaire devant un tribunal des dessins ou modèles communautaires de l’un des États membres. 75. 76. 77. 78. Article 30 du Règlement. Article 30.2 du Règlement. Article 31.1 du Règlement. Article 31.3 du Règlement. 158 Les Cahiers de propriété intellectuelle 8.1.1 Les parties à la procédure devant l’Office En principe, toute personne physique ou morale, ainsi qu’une autorité habilitée à cette fin, ont qualité pour introduire devant l’Office une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré79. 8.1.2 Les motifs de nullité Par application de l’article 25 du Règlement, la demande de nullité peut être fondée sur l’un ou l’autre des motifs suivants: • le dessin ou modèle ne répond pas à la définition du dessin ou modèle communautaire qui est énoncée à l’article 3(a) du Règlement; • l’absence de nouveauté ou de caractère individuel du dessin ou du modèle; • les caractéristiques du dessin ou du modèle sont exclusivement imposées par leur fonction technique; • le dessin ou modèle porte sur des produits d’interconnexion, à l’exception des produits d’interconnexion des systèmes modulaires; • le dessin ou modèle porte sur des pièces détachées; • le dessin ou modèle porte sur des pièces incorporées dans un produit complexe qui demeurent invisibles lors d’une utilisation normale du produit; • les droits sur le dessin ou modèle ont été usurpés par le titulaire de l’enregistrement, le «véritable» titulaire étant le seul à avoir qualité pour agir; • le dessin ou modèle est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs; • le dessin ou modèle est en conflit avec un autre dessin ou modèle national ou communautaire ayant été divulgué ou bénéficiant 79. Article 52.1 du Règlement. Le dessin et modèle communautaires 159 d’une date de dépôt ou de priorité antérieure, avec une marque de commerce nationale ou communautaire conférant à son titulaire le droit d’interdire son utilisation ou une œuvre protégée par le droit d’auteur d’un État membre, étant précisé que le seul titulaire de l’un ou l’autre de ces droits peut agir en nullité; • le dessin ou modèle est en conflit avec des emblèmes d’État, signes officiels de contrôle et emblèmes d’organisations intergouvernementales au sens de l’article 6 de la Convention de Paris, étant par ailleurs précisé qu’une demande d’annulation fondée sur ce motif ne peut être invoquée que par les personnes ou les organes titulaires des emblèmes ou de ces signes officiels. 8.1.3 La procédure en nullité Sous réserve des prescriptions pouvant résulter de l’adoption du Règlement d’exécution, la procédure de demande en nullité est relativement simple. La demande doit être présentée par écrit et motivée80. La procédure est essentiellement écrite et les parties sont invitées à présenter leurs arguments et émettre des observations81. L’Office, de son propre chef ou à la demande d’une partie, peut avoir recours à la procédure orale, incluant l’audition des parties, de témoins ou d’experts82. 8.1.4 Le sort de la demande en nullité et ses effets La nullité du dessin ou du modèle communautaire peut être totale ou partielle. Cependant, en cas de nullité partielle, l’enregistrement pourra être maintenu dans l’hypothèse où le dessin sous forme modifiée répond aux critères de protection et que l’identité du dessin ou modèle est conservée83. Les effets de la décision prononçant la nullité s’étendent à tous les États membres de la Communauté. La décision prononçant la nullité totale ou partielle fait l’objet d’une publication au registre84. La décision prononçant la nullité a un effet rétroactif: «un dessin ou modèle communautaire est réputé 80. 81. 82. 83. 84. Article 52.2 du Règlement. Article 53.2 du Règlement. Articles 64.1 et 65 du Règlement. Article 25.6 du Règlement. Article 53.3 du Règlement. 160 Les Cahiers de propriété intellectuelle n’avoir pas eu, dès l’origine, les effets prévus par le présent règlement, dès lors qu’il a été déclaré nul»85. En pareilles circonstances, doit-on envisager les résiliations ou la résolution du contrat d’exploitation? Le Règlement privilégie la résiliation86, en précisant toutefois que les redevances versées antérieurement à la déclaration de nullité peuvent faire l’objet d’une réclamation «pour des raisons d’équité» (article 26.2(b) du Règlement). D’une manière surprenante, la portée de cette règle ne s’étend pas aux sommes payées au titre d’une condamnation pour contrefaçon. 8.1.5 Les recours Les décisions de la division de l’annulation des dessins ou modèles sont susceptibles de recours devant la Chambre de recours et éventuellement devant la Cour de justice des communautés dans les délais et selon les modalités déjà exposés à l’occasion de l’analyse des voies de recours à l’encontre des décisions rendues en cours d’examen d’une demande d’enregistrement87. 8.2 L’action en contrefaçon 8.2.1 Les tribunaux compétents Les règles ayant trait à la compétence d’attribution sont énoncées à l’article 80 du Règlement: comme en matière de marque, les États membres devront désigner, au plus tard le 6 mars 2005, un «nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et deuxième instance», qui prendront la dénomination de tribunaux des dessins ou modèles communautaires; devant lesquelles devront être engagées, sur une base exclusive, les actions en contrefaçon et si la législation nationale les admet, les actions en menaces ou en constatation de non-contrefaçon88. En ce qui a trait à la compétence territoriale, le Règlement renvoie d’une manière générale à la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968)89. 85. 86. 87. 88. 89. Article 26 du Règlement. Article 26.2 du Règlement. Voir section 3(f). Article 81 du Règlement. Article 79 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 161 Toutefois, le contentieux de la contrefaçon obéit à certaines règles particulières. Les actions en contrefaçon d’un dessin ou modèle devront être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou un établissement ou, à défaut, devant les juridiction de l’État membre sur le territoire duquel le demandeur a son domicile ou un établissement90, ou à défaut, devant les tribunaux du siège de l’Office, soit les tribunaux espagnols91. En tout état de cause, sont également compétents «les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis»92. Toutefois, dans cette hypothèse, le tribunal ne pourra examiner que les actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé le tribunal93. 8.2.2 Les parties à l’instance: la qualité pour agir L’action en contrefaçon appartient en principe au titulaire du dessin ou du modèle. Le Règlement ne règle pas la question de la copropriété qui relève aussi du droit du for saisi94. Le droit du cessionnaire est subordonné à l’accomplissement des formalités de publicité et de l’inscription au registre des dessins ou modèles communautaires. L’article 32.3 du Règlement permet au licencié exclusif d’agir en contrefaçon lorsque dûment mis en demeure le titulaire néglige ou refuse d’engager les procédures qui s’imposent. Le licencié simple ne peut exercer l’action qu’avec le consentement du titulaire, qui peut notamment découler des termes du contrat de licence. Par ailleurs, tout licencié peut intervenir à l’action intentée par le titulaire afin d’obtenir réparation du préjudice qui lui est propre95. Finalement, le titulaire qui n’est pas partie à une action dans le cadre de laquelle le défendeur soulève la nullité du dessin ou modèle par voie de demande reconventionnelle peut intervenir au litige selon les modalités découlant des règles de procédure du tribunal saisi96. 90. 91. 92. 93. 94. 95. 96. Articles 82.1 et 82.2 du Règlement. Article 82.3 du Règlement. Article 82.5 du Règlement. Article 83.2 du Règlement. Article 88.2 du Règlement. Article 32.4 du Règlement. Article 84.3 du Règlement. 162 Les Cahiers de propriété intellectuelle 8.2.3 Les actes de contrefaçon C’est à l’occasion de l’examen des dispositions relatives à la défense du monopole que l’enregistrement révèle toute son utilité. Dans les deux cas, la contrefaçon résulte de l’atteinte portée aux droits exclusifs. Toutefois, alors que le titulaire d’un dessin ou modèle enregistré peut s’opposer à la reproduction, à l’importation, l’exportation et la commercialisation d’un dessin ou modèle identique ou similaire97, c’est-à-dire dont l’impression d’ensemble produite sur le consommateur ne diffère pas du modèle enregistré98, quand bien même résulterait-il d’une création indépendante, le titulaire d’un dessin ou modèle non enregistré ou qui fait l’objet d’un ajournement de publication, ne peut agir que dans l’hypothèse d’une copie servile (calque ou surmoulage)99. De plus, le succès de l’action pour contrefaçon de dessins ou modèles non enregistrés est subordonné à la connaissance par le contrefacteur présumé de ce dessin ou de ce modèle100. Cette précision condamne tout recours en cas de contrefaçon fortuite ou inconsciente. 8.2.4 Les moyens de défense Il convient tout d’abord de rappeler que le dessin ou modèle enregistré fait l’objet d’une présomption de validité101. Au delà de la contestation de la validité du dessin ou du modèle, de l’application du régime des exceptions et des limitations, le Règlement absout les actes commis par une personne qui, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, le cas échéant, avant la date de priorité, a utilisé ou effectué des préparatifs sérieux et effectifs en vue d’une utilisation des dessins ou modèle similaires à un dessin ou modèle enregistré102. Cette défense n’est pas recevable en cas de copie servile du dessin ou modèle enregistré103. Par ailleurs, ce droit fondé sur une utilisation antérieure ne permet pas l’octroi de licences à des tiers104 et ne peut être cédée «qu’avec la partie de l’activité de l’entreprise dans le cadre de laquelle l’utilisation a été faite ou les préparatifs réalisés»105. 97. 98. 99. 100. 101. 102. 103. 104. 105. Article 19.1 du Règlement. Article 10.1 du Règlement. Articles 19.2 et 19.3 du Règlement et 21e considérant de l’exposé des motifs du Règlement. Article 19.2 du Règlement. Article 85.1 du Règlement. Article 22.1 du Règlement. Ibid. Article 22.3 du Règlement. Article 2243 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 163 Il convient d’ajouter qu’une demande reconventionnelle soulevant la nullité d’un dessin ou modèle enregistré est irrecevable lorsqu’une décision définitive de l’Office a déjà statué entre les mêmes parties sur une demande ayant le même objet et la même cause106. Un tribunal saisi d’une demande reconventionnelle en nullité peut dès lors surseoir à statuer et ordonner au défendeur de présenter une demande en nullité auprès de l’Office107. Si le défendeur n’obtempère pas dans le délai imparti par le tribunal, sa demande reconventionnelle est réputée retirée108. La date de la demande reconventionnelle doit être communiquée à l’Office par le tribunal saisi et elle est inscrite au registre des dessins ou modèles communautaires109, de même que toute décision définitive disposant de celle-ci110. En cas de litige pendant résultant d’une demande reconventionnelle en nullité devant un autre tribunal des dessins ou modèles communautaires ou lorsqu’une demande en nullité engagée devant l’Office est pendante, le tribunal à la demande d’une partie ou de son propre chef, peut ordonner le sursis des procédures111 et, le cas échéant, arrêter des mesures provisoires ou conservatoires pour la durée de la suspension112. Finalement, il convient de noter que le Règlement demeure silencieux quant à la prescription des recours. 8.2.5 Les sanctions Au titre des mesures provisoires et conservatoires, le Règlement renvoie aux législations internes des États membres113. Les sanctions définitives peuvent prendre la forme de mesures d’interdiction, de la poursuite des actes de contrefaçon, de mesures de confiscation des produits contrefaits et des matériaux et instruments ayant servi à la perpétration des actes de contrefaçon si leur propriétaire connaissait le but de leur utilisation ou s’il ne pouvait 106. 107. 108. 109. 110. 111. 112. 113. Article 86.5 du Règlement. Article 86.3 du Règlement. Ibid. Article 86.2 du Règlement. Article 86.4 du Règlement. Article 91.2 du Règlement. Article 91.3 du Règlement. Article 90.1 du Règlement. 164 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’ignorer, ainsi que toute autre mesure, incluant la condamnation au paiement d’indemnités pécuniaires, prévues par le droit de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ont été commis114. 8.2.6 Les voies de recours Les décisions de première instance peuvent faire l’objet d’un appel et, le cas échéant, d’un pourvoi en cassation115. 8.3 L’action en revendication L’article 15 du Règlement permet de sanctionner l’usurpation des droits en dessins ou modèles enregistrés ou non enregistrés. L’action en revendication peut également être intentée par le copropriétaire lésé par son cotitulaire116. Cette action peut être engagée en parallèle à une action en contrefaçon117. Elle se prescrit pas trois ans à compter de la date de publication pour un dessin enregistré ou de la date de divulgation pour un dessin non enregistré118, sous réserve de la mauvaise foi de l’«usurpateur». L’action en revendication est inscrite au registre, de même que toute décision définitive et, le cas échéant, tout changement de propriété119. Dans cette dernière hypothèse, les contrats, incluant les licences consenties par l’«ancien titulaire», s’éteignent par inscription au registre du nouveau titulaire120. Cette règle qui affecte la stabilité des contrats est atténuée par la possibilité de demander dans un délai qui sera fixé par le Règlement d’exécution une licence non exclusive au nouveau titulaire inscrit au registre. Toute licence doit être concédée pour une période et à des conditions raisonnables121. Cette faculté n’est cependant pas ouverte en cas de mauvaise foi de l’«ancien titulaire»122. Le texte semble suggérer que le «nouveau titulaire» se doit d’accorder une licence, mais demeure silencieux pour la procédure à suivre en l’absence d’accord entre les parties. 114. 115. 116. 117. 118. 119. 120. 121. 122. Article 89.1 du Règlement. Article 92 du Règlement. Article 15.2 du Règlement. Article 15.2 du Règlement. Article 15.3 du Règlement. Article 15.4 du Règlement. Article 16.1 du Règlement. Article 16.2 du Règlement. Article 16.3 du Règlement. Les dessin et modèle communautaires 165 9. Conclusion Au terme de cette étude aussi sommaire qu’incomplète, un premier constat s’impose: le Règlement a évité avec soin de s’engager sur le terrain de la classification, aussi subtile qu’imparfaite, des genres de la création: technique, fonctionnelle, intellectuelle ou artistique. L’approche adoptée par le législateur européen est empreinte d’un réalisme indéniable. À la seule lecture du texte, à tout le moins, on constate que le dessin ou modèle est affranchi des notions subjectives telles que la créativité, ou l’originalité, écartant ainsi l’éternel débat relatif à la délimitation de l’art et de l’industrie. Le régime du dessin ou du modèle non enregistré crée un outil efficace. Pour les entreprises qui n’avaient jusqu’alors pas les moyens de protéger leurs créations par une série de dépôts dans les 15 pays membres de l’Union. Il est vrai que ce système est de nature à engendrer une certaine insécurité découlant de l’existence insoupçonnée d’un dessin ou modèle susceptible d’être opposé à la commercialisation d’un produit particulièrement ressemblant. Mais la portée de ce risque est limitée par le fait qu’en matière de contrefaçon d’un dessin ou modèle non enregistré, seule la copie servile se trouve sanctionnée, et encore, dans l’hypothèse où la preuve est rapportée que le contrefacteur a effectivement eu accès à la création contrefaite. En créant une formalité de dépôt unique suivie de la délivrance d’un titre valable pour l’ensemble du territoire de la communauté, le Règlement a atténué la portée des critiques de ce système. Sous réserve de contraintes additionnelles susceptibles de résulter de l’adoption du règlement d’exécution, la procédure des dépôts est simple et de nature à assurer la célérité de l’enregistrement. Le Règlement pose les bases d’une protection uniforme des dessins et modèles dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, élargissant ainsi d’une manière considérable le champ de leur protection. Vol. 15, no 1 Chevauchements de droits en propriété intellectuelle Deuxième partie: la cavalcade du droit d’auteur et du droit des marques de commerce Jean-Philippe Mikus* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 2. Fondements et traits essentiels des deux régimes . . . . . 170 2.1 Le droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 2.2 Le droit des marques de commerce. . . . . . . . . . . 173 3. Limites inhérentes de chaque régime . . . . . . . . . . . . 174 3.1 La protection des mots, phrases courtes et titres en droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 3.2 La protection des titres d’œuvres et personnages en droit des marques de commerce. . . . . . . . . . . 186 * LL.B., LL.M. (Cantab.). L’auteur est avocat au sein du cabinet Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier, à Montréal. L’auteur tient à remercier Me Marek Nitoslawski, associé du même cabinet pour ses précieux commentaires à la suite de la lecture d’une version préliminaire de cet article. L’auteur demeure cependant seul responsable de toute lacune ou inexactitude du texte. 167 168 Les Cahiers de propriété intellectuelle 4. Le départage des deux régimes dans le cas d’œuvres artistiques: les aléas de la fonctionnalité esthétique . . . . 199 5. Le conflit de titularité des deux régimes: le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre peut-il empêcher l’enregistrement de son œuvre à titre de marque de commerce? . . . . . . . . . 204 6. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 1. Introduction Nous avons décrit lors du premier article de cette série le voisinage ouvertement houleux du droit des marques de commerce et du droit des brevets. Rappelons pour mémoire que cette agitation tient en grande partie à la protection de l’habillage distinctif, tant en vertu des règles de common law ou des règles de droit de la concurrence déloyale équivalentes sous le Code civil du Québec qu’en vertu de la protection des signes distinctifs prévue par la Loi sur les marques de commerce1. Le voisinage du droit d’auteur et du droit des marques de commerce relève plutôt, à première vue, du charme discret de la bourgeoisie, mais nous verrons que sous une apparence de discrète politesse, il y a plusieurs points de tension qui ressortent et forcent les tribunaux à faire des choix difficiles. Chaque régime a sa personnalité propre dont les limites inhérentes les portent généralement peu à empiéter sur leurs domaines respectifs. Le droit d’auteur est affaire d’expression et d’élaboration et n’est pas ennuyé par les longueurs tandis que le droit des marques de commerce s’y perd, préférant une approche succincte qui lui permet de servir de trait distinctif entre les produits et services de concurrents. Notre première démarche consistera à brosser à grands traits le caractère de chaque régime, c’est-à-dire les objets qu’ils favorisent, sans toutefois prétendre décrire toutes leurs nuances. Nous explorerons par la suite certains secteurs clés à la frontière du droit d’auteur et des marques de commerce, dont, entre autres, la protection des titres d’œuvres par le droit d’auteur et le droit des marques de commerce, de même que la protection des marques de commerce ayant une fonction esthétique. Nous terminerons en discutant du conflit potentiel entre un droit d’auteur et un enregistrement de marque de commerce portant sur le même objet, mais entre les mains de personnes différentes. 1. L.R.C. (1985), c. T-13 (ci-après la Loi sur les marques de commerce). 169 170 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. Fondements et traits essentiels des deux régimes 2.1 Le droit d’auteur Le trait commun des diverses facettes de la législation sur le droit d’auteur est la protection de l’expression humaine, à divers degrés puisque certaines œuvres peuvent être beaucoup moins expressives que d’autres. Examiner ce qui fonde cette protection de l’expression humaine est un exercice qui a été entrepris par des générations de penseurs, soit pour soutenir l’introduction d’une ou plusieurs nouvelles facettes de droit, pour mieux en circonscrire l’application ou à des fins d’exploration conceptuelle, sans toutefois vouloir prétendre tracer des liens trop directs avec le droit positif. Un des champs de prédilection classique est la dichotomie idée/expression, soit la non-protection de l’idée combinée à la protection de l’expression, qui apparaît en droit positif2. La philosophie et l’économie sont les disciplines qui ont été plus sollicitées dans la quête des fondements du droit d’auteur. Certains systèmes ont mis plus l’accent sur les enseignements d’une discipline plutôt que l’autre, donnant naissance à une division classique entre les pays dits de «droit d’auteur», axés sur les fondements philosophiques, qui ont une vision gravitant autour de la notion de créateur3 et les pays de «copyright», axés plutôt sur les fondements économiques, qui accordent une attention prédominante aux mécanismes de marché4. L’archétype de cette dichotomie est une comparaison entre le droit des pays de common law, plus particulièrement le droit américain, et le droit de l’Europe continentale5. En raison de développements mus par un souci d’harmonisation des régimes juridiques, la pureté de cette dichotomie s’est quelque peu dissipée avec le temps. Une des ques2. Voir, à titre d’illustration, une cause où l’on refusa d’accorder la protection du droit d’auteur à l’idée de produire une cigarette plus «compacte»: Petel c. Imperial Tobacco Company of Canada Ltd., [1975] C.S. 97 (j. Forest); voir également au sujet de l’absence de protection par le droit d’auteur de l’idée, même innovatrice, d’un concours promotionnel: Moreau c. St-Vincent, [1950] R.C. de l’É. 198 (j. Thorson). 3. L’approche philosophique n’est pas univoque, puisque les travaux de plusieurs philosophes, dont Locke et Hegel, ont des influences de nature différente, voir par exemple: Justin HUGHES, «The Philosophy of Intellectual Property», (1988) 77 Georgetown L.J. 287. 4. Afin d’observer l’application d’une telle approche, voir, par exemple: William M. LANDES, Richard A. POSNER, «An Economic Analysis of Copyright Law», (1989) 18 J. Legal Studies 325. 5. À ce sujet, voir: Alain STROWEL, Droit d’auteur et copyright: Divergences et convergences: Étude de droit comparé (Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1993). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 171 tions qui se posent à l’heure actuelle est de savoir s’il y a ou non convergence des deux approches, entre autres par l’observation du droit positif des protagonistes principaux6. Ce débat se transpose également à un autre niveau où des auteurs avancent que les pays porte-étendards d’une ou de l’autre des approches n’ont jamais complètement embrassé dans leur droit positif les ramifications de leur approche ou encore que chaque approche n’explique pas complètement le comportement observé7. Il apparaît que les fondements du droit d’auteur sont multiples et ceux-ci peuvent donner des impulsions conflictuelles sur un aspect ou un autre de la protection du droit d’auteur. D’aucuns voient d’un mauvais œil l’existence de telles tensions entre fondements et proposent des approches qui tentent de les évacuer8. Ceci est d’autant plus vrai qu’un inventaire des diverses ramifications de ces fondements démontre qu’il y a bien plus qu’une simple dichotomie de l’approche philosophique et économique9, surtout qu’il n’est pas exclu que d’autres disciplines puissent intervenir. Par exemple, les discussions actuelles au niveau international de la protection du folklore peuvent vraisemblablement faire intervenir la sociologie et l’ethnologie, en plus de la philosophie et de l’économie, pour soutenir une éventuelle protection. 6. Voir, par exemple: Paul GOLDSTEIN, International Copyright: Principles, Law and Practice (Oxford, Oxford University Press, 2001), p. 3-8; Thomas DREIER, «Balancing Proprietary and Public Domain Interests: Inside or Outside of Proprietary Rights?» dans Rochelle COOPER DREYFUSS, Diane LEENHEER ZIMMERMAN, Harry FIRST, Expanding the Boundaries of Intellectual Property: Information Policy for the Knowledge Society (Oxford, Oxford University Press, 2001), p. 295, aux p. 298-303; Pamela SAMUELSON, «Economic and Constitutional Influences on Copyright Law in the United States», (2001) E.I.P.R. 409. 7. Voir, à ce sujet: David VAVER, «Some Agnostic Observations on Intellectual Property», (1990) 6 I.P.J. 125; Alfred C. YEN, «Restoring the Natural Law: Copyright as Labor and Possession», (1990) 51 Ohio State L.J. 517; Gary KAUFMAN, «Exposing the Suspicious Foundation of Society s Primacy in Copyright Law: Five Accidents», (1986) 10 Columbia-VLA J. Law & Arts 381; Paul Edward GELLER, «Must Copyright Be for Ever Caught Between Marketplace and Authorship Norms?», dans Brad SHERMAN, Alain STROWEL, Of Authors and Origins (Oxford, Clarendon Press), 1994, p. 158. 8. Voir, par exemple, un auteur qui tente de faire un amalgame des deux principales forces en présence: P.E. GELLER, loc. cit., note 7, p. 182-202; ou encore cet autre auteur qui argue que le salut se trouve dans la limpidité du droit positif: Norman SIEBRASSE, «A Property Rights Theory of the Limits of Copyright», (2001) 51 U. of T. Law. Journ. 1. 9. Voir, par exemple: J.A.L. STERLING, World Copyright Law, Londres (Sweet & Maxwell, 1998), p. 55-62; voir également notre propre tentative: Jean-Philippe MIKUS, Droit de l’édition et du commerce du livre (Montréal, Thémis, 1996), p. 251-256. 172 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans cette mer de dissertation, l’on est surpris de constater que les tribunaux et les auteurs de doctrine de droit positif canadien laissent peu de place à l’étude des fondements du droit d’auteur, lui préférant une approche historique10. Dans la jurisprudence, une notable exception à cet égard est un passage de l’arrêt de la Cour suprême, Bishop c. Stephens11, qui reprend avec approbation un passage d’un arrêt britannique selon lequel la loi anglaise sur le droit d’auteur de 1911 avait été adoptée au seul profit des auteurs de toutes sortes. Cet énoncé lapidaire ne saurait, à sa face même, être l’énoncé complet des fondements du droit d’auteur au Canada12. Si le fondement unique de la législation canadienne sur le droit d’auteur est la protection des auteurs, la loi aurait prévu l’incessibilité des droits économiques conférés par la loi afin que l’auteur puisse faire valoir à tous coups ses droits lors de l’exploitation de l’œuvre. Une lecture, même sommaire, de la loi canadienne démontre que tel n’est pas le cas. Nous sommes d’accord avec des auteurs qui estiment que l’approche canadienne est pragmatique, englobant à la fois le point de vue philosophique et le point de vue économique13. Il y a une convergence entre les diverses ramifications de ces fondements, mais également une tension qui doit se résoudre en trouvant un point d’équilibre qui pourra varier selon la facette du droit d’auteur dont il est question. Cette notion d’équilibre, à la différence de l’identification de fondements particularisés, ressort beaucoup plus fréquemment des décisions des tribunaux et de la doctrine14. Cela dit, mentionnons quelques traits essentiels du droit d’auteur en droit positif qui peuvent, de manière générale, le distinguer du droit des marques de commerce. Au chapitre de la contrefaçon, le droit d’auteur se préoccupe peu de la perception qu’ont les consommateurs de l’œuvre originale et de ce qui est allégué être sa contre10. Voir une récente exception à ce titre: Sunny HANDA, Copyright Law in Canada (Markham, Butterworths, 2001). 11. [1990] 2 R.C.S. 467, 478-479. 12. Soulignons d’ailleurs la reconnaissance dans une décision récente que de «protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs pendant un certain temps» est un des buts de la loi, mais on n’exclut pas pour autant qu’il puisse y en avoir d’autres: Setym International inc. c. Belout, REJB 2001-27041, par. 103 (j. Wery). 13. Jeremy J. PHILLIPS, Robyn DURIE, Ian KARET, Whale on Copyright, 5e éd. (Londres, Sweet & Maxwell, 1997), p. 17. 14. Voir: Théberge c. Galerie d’art du Petit-Champlain, 2002 CSC 34, par. 30 et s.; John S. McKEOWN, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3d ed. (Toronto, Carswell, 2000), p. 3; David VAVER, Copyright Law (Toronto, Irwin Law, 2000), p. 12-14. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 173 façon, c’est-à-dire plus spécifiquement de la consanguinité qu’ils pourraient flairer entre elles au premier abord. La contrefaçon se vérifie de manière objective en vérifiant au départ l’accès à l’œuvre contrefaite puis en ayant égard à la fois aux données quantitatives et qualitatives pour démasquer l’imitation déguisée15. Ce sera l’affaire d’experts de la discipline artistique concernée de venir guider le juge dans ces méandres. L’association d’un style particulier par le public à un auteur, producteur ou autre titulaire et la simple reprise de ce style par un admirateur ingrat connaîtra peu de retentissements devant la justice. Le droit d’auteur n’hésitera pas à étendre sa bienveillante protection à l’œuvre enfantée dans le secret ou l’indifférence. En effet, l’absence de connaissance du public ou l’absence de dissémination d’une œuvre auprès du public canadien de l’œuvre ne fait aucunement obstacle à la protection et même, à l’inverse, une œuvre notoire vendue à plus de 100 000 exemplaires n’aura pas un iota de protection de plus que le moins inspiré des navets n’ayant circulé qu’auprès des intimes du malheureux auteur. Le seul avantage est que la démonstration de l’accès du contrefacteur à une œuvre appréciée par un large public pourrait se révéler plus aisée. 2.2 Le droit des marques de commerce Nous avons expliqué au cours de la première partie de cet article les fondements du droit des marques de commerce, soit de permettre aux acheteurs d’exercer des choix dans un marché et de permettre au commerçant de protéger la notoriété qu’il acquiert dans la mise en marché de ses produits et services. On précise ces fondements en invoquant que l’existence des marques de commerce permet au consommateur de réduire le temps nécessaire pour sélectionner les produits et services qu’il veut se procurer en lui permettant de se référer à des symboles qu’il peut lier à des expériences antérieures de consommation16. Le second fondement est parfois perçu comme une conséquence du premier, en ce sens qu’il fournit un 15. Il est vrai cependant que lorsqu’il s’agit de déterminer si l’œuvre plagiée est bel et bien originale, une dose de subjectivité peut intervenir, mais il ne s’agira pas d’un examen de la perception subjective des éventuels consommateurs, voir: Setym International inc. c. Belout, précitée, note 12, par. 174 (C.S., j. Wery). 16. William M. LANDES, Richard A. POSNER, «Trademark Law: An Economic Perspective», (1987) 30 J. Law & Economics 265, 269; J. Thomas McCARTHY, McCarthy on Trademarks and Unfair Competition, 3e éd. (New York, Clark Boardman, Callaghan, 1992), p. 2-7. 174 Les Cahiers de propriété intellectuelle incitatif au commerçant à porter attention à la qualité de ses produits de manière à ce que le choix du consommateur se répète en sa faveur lors du prochain achat17. Il pourrait s’agir simplement de maintenir une certaine uniformité dans la qualité du produit, si le prix inférieur est le principal axe de la stratégie de mise en marché, ou encore assurer une qualité toujours supérieure au produit par rapport à la concurrence, si la recherche constante de qualité et d’innovation est l’axe principal de la stratégie de mise en marché. Mais ce second fondement ne se résume pas uniquement à un incitatif sur le plan de la qualité des produits et services, puisqu’il peut s’étendre à l’image qui résulte de la mise en marché du produit ou service et qui vient étoffer l’achalandage développé par le produit. Cet aspect explique la protection de gestes qui peuvent déprécier l’achalandage d’une marque de commerce ou la protection de marques de commerce notoires18. Le droit des marques de commerce est un droit qui est invariablement lié à la notion de marché, puisqu’il peut y avoir coexistence d’une multiplicité de marques identiques pour autant qu’il n’y ait pas de recoupements dans les marchés affectés ou réservés par les propriétaires de marques de commerce. Il s’attache essentiellement à contrôler la circulation de symboles identifiant des producteurs sur un marché, mais se désintéresse généralement de l’origine ou de la création de ces symboles. 3. Limites inhérentes de chaque régime Nous verrons successivement deux cas particuliers situés le long de la frontière séparant le droit d’auteur du droit des marques de commerce. Le premier cas que nous explorerons sera le traitement des mots, phrases courtes et titres en droit d’auteur, alors que le second sera la protection des titres et à un moindre degré, d’autres éléments issus d’œuvres par le droit des marques de commerce. 17. J. T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 2-4; Voir également: SA CNL-Sucal NV c. Hag AG, (1990) 3 CMLR 571 (C.E.J.). 18. Certaines personnes, y compris des juges, critiquent cet aspect de la protection du droit des marques de commerce comme donnant lieu à une inefficacité économique du fait d’engendrer des dépenses inutiles ou excessives simplement pour s’associer à l’image projetée par une marque de commerce: William M. LANDES, Richard A. POSNER, «Trademark Law: An Economic Perspective», (1987) 30 J. Law & Economics 265, 274. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 3.1 175 La protection des mots, phrases courtes et titres en droit d’auteur La protection des mots, phrases courtes de même que celle des titres donnent lieu à de délicates questions quant à leur protection en droit d’auteur. Le titre se distingue des autres mots et phrases courtes en ce qu’il bénéficie potentiellement d’un régime plus favorable en raison de la définition d’«œuvre» à l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur18a. La crainte d’accorder un droit d’auteur à un mot ou une phrase courte est que l’accumulation de tels droits d’auteur pourrait extirper du domaine public le vocabulaire permettant à tous de s’exprimer et de créer, ceci étant d’autant plus vrai compte tenu de la portée très circonscrite des exceptions prévues expressément à la Loi sur le droit d’auteur. Nous traiterons en premier lieu de la protection des titres en droit d’auteur, ce qui nous fera glisser vers la protection des mots et phrases courtes. Avant 1931, la législation canadienne sur le droit d’auteur ne traitait pas de la situation du titre d’une œuvre, cependant cette année-là une nouvelle définition est ajoutée à la loi précisant qu’une «œuvre comprend le titre de l’œuvre lorsque celui-ci est original et distinctif» (dans la version anglaise «"work" includes the title thereof when such title is original and distinctive»). Une lecture de cette définition peut être que le titre d’une œuvre constitue une œuvre distincte bien qu’intrinsèquement liée au corps du roman, de la chanson, du film, etc. désigné par le titre. Cette lecture aura tôt fait d’être soumise aux tribunaux, soit en 1936. Le titulaire des droits d’auteur d’une chanson intitulée «The Man Who Broke the Bank at Monte Carlo» intenta une poursuite contre le producteur d’un film portant le même titre, mais dont le corps de l’œuvre n’avait aucun lien avec la chanson, étant plutôt une adaptation d’une pièce de théâtre. La question portée devant les tribunaux concernait uniquement la reprise du titre. Lorsque le Conseil privé fut saisi de l’affaire, il ne cacha pas que de permettre un recours en contrefaçon pour la seule reprise du titre de l’œuvre dans le but de désigner une œuvre d’un genre différent était un résultat indésirable19. En effet, contrai18a L.R.C. (1985), c. C-42 (ci-après la Loi sur le droit d’auteur). 19. Francis Day & Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp. Ltd., [1939] 4 D.L.R. 353, 358 (C.P., Lord Wright): [...] The appellant’s contention was put as high as that copyright in a title is infringed by the application of that title to a work of a different character from that of the work to which it was originally applied. In the present case, the title was originally applied to a musical composition whereas it has been applied by the respondents to a motion picture or a film. The argument of the appellant company would be the same, it seems, if the applica- 176 Les Cahiers de propriété intellectuelle rement au droit des marques de commerce, la simple reproduction d’une œuvre suffit pour qu’il y ait contrefaçon sans nécessité de prouver que le public est susceptible d’être induit en erreur quant à l’auteur ou l’origine de l’œuvre. Toutefois, le Conseil privé précisa, en référant avec approbation à la jurisprudence antérieure, qu’il en était autrement si le titre avait une longueur d’une page complète. À notre avis, le Conseil privé erra puisqu’un texte d’une longueur de plus d’une ligne ou deux peut difficilement être un titre, à tout le moins à notre époque. En effet, la nature d’un titre est de «nommer» l’œuvre et il doit donc être d’une longueur modeste pour être plus facile à mémoriser et à employer afin de référer à l’œuvre20. Lorsqu’il fut question d’interpréter la définition du mot «œuvre» prévue par la législation canadienne, mais absente de la législation britannique, le Conseil privé choisit de ne pas suivre ce qui paraît être le sens ordinaire des mots de la définition d’«œuvre» à l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur. Lord Wright expliqua que le seul objet de cette définition était de préciser que le titre doit être traité comme étant une partie de l’œuvre qu’il désigne, pour autant que le titre soit original et distinctif21. Il existe cependant plusieurs mailles dans le raisonnement du Conseil privé. Parmi celles-là, la plus importante est que la définition réfère non seulement à l’originalité, le critère classique en droit d’auteur, mais aussi au caractère distinctif du titre, qui est un critère complètement étranger au droit d’auteur22. Il devient dans une telle optique plus difficile de croire que le législateur souhaitait simplement clarifier l’application des critères usuels du régime du droit d’auteur. Lord Wright indique lui-même dans ses motifs qu’il a de la difficulté à saisir le sens du mot «distinctif» dans cette définition. Par ailleurs, la définition d’«œuvre» exige que le titre soit original en soi. L’analyse classique de droit d’auteur consiste à examiner l’originalité de l’œuvre dans son ensemble et ne requiert pas que chacune de ses parties composantes soit tion of the title complained had been to a picture or a statue. On this reasoning it would be said that the title Adam applied to a work of statuary would be infringed if that title were used as that of a novel. These and other anomalous consequences justify the broad principle that in general a title is not by itself a proper subject-matter of copyright. 20. Voir: Stefan MARTIN, Les jeux de société et leur protection juridique, Québec, Sainte-Foy, Les publications du Québec, 1994, p. 67. 21. Francis Day & Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp. Ltd., précitée, note 19, 359. 22. William L. HAYHURST, «Copyright Subject Matter», dans Gordon F. HENDERSON (éd.), Copyright and Confidential Information Law of Canada (Toronto, Carswell, 1994), p. 28, à la p. 44. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 177 également originale. Encore une fois, il est difficile de persister à croire qu’il s’agit d’une simple clarification du droit antérieur. Au terme d’une lecture de l’arrêt du Conseil privé, on comprend clairement son approche quant à la politique législative, mais en ce qui concerne la logique de l’interprétation, cet arrêt laisse vraisemblablement plusieurs juristes sur leur faim23. Voyons maintenant ce qu’il est advenu de cette règle dans la jurisprudence subséquente. Une décennie plus tard, la question se pose en partie dans la décision Zlata c. Lever Brothers Ltd.24 où le juge Salvas de la Cour supérieure du Québec condamne l’appropriation d’une partie de la trame dramatique des albums «L’enfance de Bécassine», «Les cent métiers de Bécassine» et «Bécassine en apprentissage» ainsi que du nom et des expressions spéciales et caractères distinctifs du personnage principal «Bécassine». L’étendue de la protection accordée au titre de l’œuvre n’était toutefois pas directement en cause dans cette décision puisqu’il apparaît que mis à part le nom du personnage principal des albums, une partie substantielle du contenu des albums avait été reprise. Il est révélateur que le juge ne se penche aucunement sur la définition d’œuvre prévue par la législation sur le droit d’auteur. Quelques années plus tard, le juge Cameron de la Cour de l’Échiquier, dans la décision King Feature Syndicate, Inc. c. Lechter25, s’inscrit dans le sillage de l’arrêt du Conseil privé et embrasse du même coup ses ambiguïtés26. La Cour de l’Échiquier a dû arbitrer deux situations distinctes. La première est la reproduction du nom «POPEYE» en association avec les dessins de divers personnages de la bande dessinée du même nom sur des montres et la seconde situation est la reprise du nom «POPEYE» seul sur des montres. En ce qui a trait à la première situation, le juge Cameron estime que le titre «POPEYE» est original, en ce sens qu’il a été créé par son auteur et qu’il n’a pas été copié d’une autre œuvre, et qu’il est aussi distinctif, 23. Voir à ce titre, John S. McKEOWN, op. cit., note 14, p. 153; Hugues RICHARD, Laurent CARRIÈRE, Canadian Copyright Act Annotated, Vol. 1 (Toronto, Carswell, 1993), p. 2-617 – 2-618; Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 5e éd. (Carswell, Toronto, 2000), p. 61; Jacques BONCOMPAIN, Le droit d’auteur au Canada: Étude critique (Montréal, Cercle du livre de France, 1971), p. 30-31; un auteur n’hésite cependant pas à affirmer que la question est maintenant close: David VAVER, Intellectual Property Law: Copyright, Patents and Trade-Marks (Concord, Irwin Law, 1997), p. 39. 24. [1948] C.S. 459. 25. [1950] R.C.É. 297 (j. Cameron). 26. Un auteur semble plutôt conclure que cette décision se distingue de l’arrêt du Conseil privé, voir: N. TAMARO, op. cit., note 23, p. 61. 178 Les Cahiers de propriété intellectuelle sans préciser ce qui motive cette qualification. Il en tire la conclusion que le titre «POPEYE» forme une partie intégrante de l’œuvre (i.e. la bande dessinée). Il juge que la reproduction des quatre personnages sur les montres est la reproduction d’une partie substantielle de l’œuvre et donc une contrefaçon et ajoute, pour faire bonne mesure, que la reproduction du mot «POPEYE» en association avec ces personnages constitue de la même manière une contrefaçon27. Lorsqu’il considère la deuxième situation, soit la reprise du titre «POPEYE» seul, le juge Cameron affiche ses couleurs d’entrée de jeu en soulignant que cette question relève du droit des marques de commerce et non du droit d’auteur28. Il est sans doute conforté dans cette approche du fait que la demanderesse a admis qu’il n’y avait pas de droit d’auteur dans le mot «POPEYE», arguant plutôt que leur droit d’auteur dans le personnage permettait de restreindre l’utilisation de son nom29. Cette décision illustre qu’en pratique, même si un titre passe le test de l’originalité et du caractère distinctif, l’arrêt du Conseil privé fait en sorte que la portée de la protection ainsi conférée par le droit d’auteur est très limitée. En 1967, la Cour supérieure doit encore disposer d’une affaire impliquant le titre d’une œuvre, mais cette fois la protection accordée au titre indépendamment de l’œuvre qu’il désigne est à l’ordre du jour. Dans la décision Flamand c. Société Radio-Canada30, le juge Reid doit déterminer la légalité de la reprise du titre d’une série d’émissions et d’un livre, soit «Médecine d’aujourd’hui», pour désigner une nouvelle série d’émissions traitant aussi de la médecine mais sans reprendre la substance de l’œuvre antérieure. Le juge s’écarte des paramètres de l’arrêt du Conseil privé et dispose qu’il existe en droit d’auteur la possibilité de faire cesser l’usage du titre d’une œuvre si ce titre est à la fois original et distinctif conformément à ce qui est prévu par la législation sur le droit d’auteur31. Le juge 27. King Features Syndicate Inc. c. Lechter, précitée, note 25, p. 302. 28. Cette approche a été approuvée dans la décision British Columbia c. Mihaljevic, (1989) 26 C.P.R. (3d) 184, 190-191 (B.C.S.C., j. Macdonell) où il fut jugé que même si le titre d’une œuvre était original et distinctif, le droit d’auteur ne permettait pas de restreindre sa reproduction par des tiers s’il s’agit de la seule partie de l’œuvre qui est reproduite; voir également: Preston c. 20th Century Fox Canada Ltd., (1990) 33 C.P.R. (3d) 242, 275 (C.F.P.I., j. MacKay). 29. King Features Syndicate Inc. c. Lechter, précitée, note 25, p. 307: «Further, while admitting that there is no copyright in the name as such, they submit that the word “Popeye” is a purely fancy name denoting only the name of the character itself (which is admitted) that under copyright law they have such a right in the name itself that no others may use it.» 30. [1967] C.S. 424 (j. Reid). 31. Ibid., 431. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 179 disqualifie le titre «Médecine d’aujourd’hui» sans préciser clairement s’il se fonde sur l’absence d’originalité ou l’absence de caractère distinctif. Nous sommes d’avis que c’est plutôt l’absence de caractère distinctif, puisqu’il affirme que «[l]e titre veut tout simplement dire: Nous parlons de médecine d’aujourd’hui à notre manière»32. Une décision récente de la Cour supérieure de l’Ontario traite d’une réclamation déposée par le titulaire des droits d’auteur dans la chanson intitulée «Yukon Magic and Mystery» à l’encontre du département du tourisme du Yukon qui avait adopté ces mots comme slogan publicitaire, sans reprendre les éléments musicaux. Le juge explique d’abord que la réclamation ne peut être accueillie en raison du fait que ce titre est une idée pure, plutôt que l’expression d’une idée33. Au soutien de cette proposition il mentionne que des expressions similaires ont été employées depuis longtemps et qu’elles sont donc d’usage courant, bien qu’à notre avis ceci démontre plutôt une absence d’originalité. Le second motif du juge, qui montre un des talons d’Achille du droit d’auteur, est qu’il en vient à la conclusion que le slogan publicitaire a été créé de façon indépendante par le concepteur de la campagne, ce qui coupe net toute possibilité de réclamation en contrefaçon34. Si l’on adopte la position du Conseil privé, l’introduction de la définition d’«œuvre» en 1931 n’a pas eu l’effet d’accroître le champ de protection du droit d’auteur ou même de clarifier son étendue. En fait, cette nouvelle définition a, bien au contraire, limité le champ de protection du droit d’auteur. À notre avis, avant ce développement législatif l’analyse de contrefaçon pouvait prendre en considération la reprise du titre parmi les autres emprunts allégués afin de déterminer s’il y a eu reprise d’une partie substantielle de l’œuvre d’origine35. Depuis 1931, avant de pouvoir considérer la reprise du titre dans l’analyse de contrefaçon, il faut que celui-ci survive au test d’épuration suggéré par la définition d’«œuvre», c’est-à-dire de déter32. Ibid., 432. 33. Shewan c. P.G. Canada, (1999) 87 C.P.R. (3d) 475, 494 (Ont. S.C., j. Archibald); ce type de raisonnement semble également faire partie des motifs de la Cour d’appel du Québec dans une affaire concernant la contrefaçon de la marque VIA & DESSIN sous l’angle du droit d’auteur, mais également avec une référence au fait que ce mot est couramment employé: Via Rail Canada inc. c. Location Via-Route inc., (1992) 45 C.P.R. 96, 104-106 (C.A.Q.). 34. Ibid., 498-500. 35. C est l’approche qui est adoptée aux États-Unis, en l’absence d’une disposition expresse: Melville B. NIMMER, David NIMMER, Nimmer on Copyright (New York, LexisNexis, 1978), p. 2-188. 180 Les Cahiers de propriété intellectuelle miner si le titre est en soi original et distinctif. Le critère d’originalité se doit de n’être rien d’autre que le test habituel d’originalité connu en droit d’auteur36 qui, somme toute, n’est pas particulièrement exigeant. Certains auteurs s’étonnent du fait que certains titres puissent être disqualifiés au titre de l’originalité alors que le critère d’originalité tel qu’il a traditionnellement été connu en droit britannique exige simplement que l’œuvre émane de son auteur et qu’elle ne résulte pas du plagiat d’une autre œuvre37. La réponse à cette interrogation peut être double. En premier lieu, l’on résume souvent l’originalité en droit d’auteur en énonçant qu’elle résulte de l’intervention substantielle des habiletés, du travail ou de jugement de son auteur, mais évidemment pas uniquement du travail de l’auteur. À ce titre, une phrase purement descriptive, comme par exemple «Guide des restaurants du Québec», pourrait ne pas être originale tout simplement parce que l’effort requis pour la composer est négligeable38. Plusieurs auteurs font remarquer que l’analyse contemporaine du droit d’auteur met moins l’accent sur le travail et plus sur l’exercice d’habiletés et de jugement, pour autant que le travail requis ne soit pas négligeable39. En second lieu, l’on pourrait affirmer qu’une phrase descriptive est dépourvue de l’étincelle minimale de créativité requise par la jurisprudence canadienne depuis l’arrêt Télé-Direct (Publications) inc. c. American Business Information Inc.40. Il est toutefois concevable que plus de créativité soit présente dans une phrase courte que dans un texte de deux paragraphes, par exemple, les instructions d’assemblage d’un produit de consommation, étant entendu que ces instructions comprendront l’étincelle minimale requise. 36. Voir: Francis, Day & Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp., précitée, note p. 359; N. TAMARO, op. cit., note 23, p. 62; H. RICHARD, L. CARRIÈRE, op. cit., note 23, p. 2-619; J.S. McKEOWN, op. cit., note 14, p. 154. 37. Hugues RICHARD, Laurent CARRIÈRE, op. cit., note 23, p. 2-619. 38. Voir: David VAVER, op. cit., note 14, p. 33; voir également la décision Tomas c. Boaden Catering Ltd., (1995) 68 C.P.R. (3d) 275 (C.F.P.I., j. Simpson) où la Cour estime que des mots et phrases courtes de nature «générique» apparaissant dans un menu ne peuvent faire l’objet de la protection du droit d’auteur, sans préciser si cela résulte de l’effort négligeable où de l’absence d’une étincelle de créativité; certains auteurs estimeront dangereux de tenter d’identifier un seuil minimal de travail requis pour que ce qui résulte de ce travail soit protégé par le droit d’auteur: Normand TAMARO, Le droit d’auteur, fondements et principes (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994), p. 43. 39. Robert CLARK, Shane SMYTH, Intellectual Property Law in Ireland (Londres, Butterworths, 1997), p. 206; John CULLABINE, «Copyright in Short Phrases and Single Words», (1992) 6 EIPR 205, 206-207; Hugh LADDIE, Peter PRESCOTT, Mary VITORIA, The Modern Law of Copyright and Designs, 2e éd. (Londres, Butterworths, 1998), p. 50-51. 40. (1997) 76 C.P.R. (3d) 296 (C.A.F.). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 181 Il est utile de scruter l’évolution du droit britannique pour comprendre ce qui a motivé l’exclusion des mots et phrases courtes de la protection du droit d’auteur comme étant non originales. Le cadre du droit britannique est peut-être plus nuancé qu’il n’y paraît à première vue. La première affaire notable est la décision Weldon c. Dicks41 où il fut décidé que la reprise du titre «Trial and Triumph» était une contrefaçon de droit d’auteur d’autant plus que le juge estimait que le titre était une partie significative d’un livre. Somme toute, l’analyse du juge est assez sommaire, se limitant à la valeur du titre et aux conséquences néfastes de sa reprise par un tiers. Quelques années plus tard, la protection du titre «Splendid Misery» en droit d’auteur est portée devant la Cour d’appel qui rend un arrêt42 dont on a affirmé par la suite qu’il renversait la vapeur presque complètement, ne laissant subsister de protection que pour les «titres» d’une longueur d’une page. Une lecture plus approfondie de cet arrêt laisse voir que cette proposition est peut-être hâtive. Le motif réel de la Cour d’appel est que les mots «Splendid Misery» faisaient partie du domaine public puisqu’ils avaient déjà été employés comme titre d’une œuvre littéraire 80 ans auparavant et étaient en usage courant parmi la population, même peut-être bien avant la publication de cette première œuvre43. Un des trois juges, Lord Justice James, souhaitait décider qu’il était impossible d’obtenir un droit d’auteur dans le titre d’une œuvre, mais cet avis n’était pas partagé par les deux autres juges. L’élément qui a été retenu par la suite44, mais qui n’est aucunement représentatif des motifs de l’arrêt est la phrase suivante des motifs du juge Jessel: «Now I do not say that there could not be copyright in a title, as, for instance, in a whole page of title or something of that kind requiring invention»45. Ce que l’on omet de citer, c’est la phrase qui suit immédiatement et qui se lit comme suit «However, it is not necessary to decide that.» Ce qui est l’essence des motifs du maître des rôles Jessel est qu’un titre doit être «inventif» pour être protégé; c’est un terme étranger au droit d’auteur mais, à notre avis, il réfère à l’exercice d’habiletés et de jugement et peut-être même à un concept similaire au caractère «distinctif» qui apparaît à la définition d’«œuvre» à l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur. Dans l’arrêt du Conseil privé Francis, Day & 41. 42. 43. 44. (1878) 10 Ch. 247. Dicks c. Yates, (1881) 18 Ch. 76. Ibid., 89 et 92. Francis, Day & Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp., précitée, note 19, p. 358. 45. Dicks c. Yates, précitée, note 42, p. 89. 182 Les Cahiers de propriété intellectuelle Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp. Ltd.46, la Cour décide qu’en vertu des règles de droit britannique, la reprise du titre «The Man who Broke the Bank in Monte Carlo» n’est pas un geste qui vise une partie substantielle de l’œuvre puisqu’il ne s’agit que d’un nombre très restreint de mots, d’autant plus que les sujets abordés par la chanson d’origine et le film sont tout à fait différents47. Cette analyse est étonnante puisqu’il est inusité de faire intervenir le sujet des œuvres pour déterminer quelle proportion d’une œuvre serait une partie substantielle afin de décider s’il y a contrefaçon. Plus récemment, la Cour d’appel britannique a été placée dans une position très inconfortable lorsque Exxon Corporation a réclamé un droit d’auteur dans le mot «Exxon»48. Il n’était pas possible de caractériser ce mot comme étant d’usage courant, puisqu’il s’agit d’un mot inventé, et il n’était pas non plus possible d’écarter la protection sous prétexte qu’il résultait d’efforts négligeables puisqu’au contraire la preuve démontrait que des sommes et des efforts considérables avaient été mis à contribution pour inventer ce mot. La Cour admettra d’emblée que ce mot répond au critère d’originalité et ne le disqualifiera pas en affirmant que tout mot ou phrase courte est d’emblée exclu du champ du droit d’auteur49. Lord Justice Stephenson part donc à la recherche de motifs qui pourraient soutenir le refus de la protection d’un mot unique. Dans le cadre de cette quête, il est fait mention d’une décision intéressante à nos fins où le juge exprime en des termes explicites la non-protection d’un mot seul sous la forme d’une règle de conflit avec le droit des marques de commerce: seul le droit des marques de commerce peut permettre d’obtenir un monopole dans un seul mot50. Mais la Cour ne se laisse pas tenter par une telle approche comme pilier de son approche, quoiqu’il s’agit tout de même d’une considération qui vient à son esprit pour ensuite être écartée51. Elle préfère plutôt se rabattre sur l’intention du législateur telle qu’elle apparaît dans le préambule de la législation britannique sur le droit d’auteur de 1842. Son préambule mentionne qu’une œuvre littéraire vise à véhiculer de l’information, de l’instruction ou un plaisir esthétique et la Cour se sent autorisée sur cette base à nier la protection au mot «Exxon» parce qu’il ne participe 46. Précitée, note 19. 47. Ibid., 359 (Lord Wright). 48. Exxon Corporation c. Exxon Insurance Consultants International Ltd., [1981] R.P.C. 69 (C.A.). 49. Ibid., 84 (j. Stephenson). 50. Burberrys Ltd. c. J. Cording & Co. Ltd., (1909) 26 R.P.C. 701. 51. Exxon Corporation c. Exxon Insurance Consultants International Ltd., précitée, note 48, 89. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 183 à aucun de ces objectifs. Dans ce cas, le mot «Exxon» ne véhiculait rien du tout lorsqu’il a été créé, précisément parce que l’objectif visé était d’en faire une marque de commerce très distinctive. Or, ce ne sera pas le cas de tout mot ou phrase courte, particulièrement dans le cas de titres ou de slogans, parce qu’ils peuvent servir à fournir de l’information, de l’instruction ou un plaisir esthétique en relation avec l’œuvre à laquelle ils sont rattachés. Le second critère à respecter aux termes de la définition d’«œuvre» de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur est le critère du caractère «distinctif» du titre. Le Conseil privé a déjà indiqué que le caractère distinctif ne pouvait signifier simplement que le titre est employé pour identifier l’œuvre52. Cela va de soi car autrement l’emploi du mot «distinctif» serait pléonastique puisqu’un titre, par définition, est un mot ou une série de mots qui servent à identifier une œuvre. Le caractère distinctif est un concept qui est étranger au droit d’auteur et cela peut forcer l’interprète à puiser ailleurs son inspiration pour en saisir le sens. Certains auteurs suggèrent à ce titre que le droit des marques de commerce serait une source utile puisque le caractère distinctif est une notion bien usitée dans ce domaine53, tandis que d’autres se contentent d’affirmer qu’il est probable qu’à tout le moins les titres descriptifs, c’est-à-dire qui décrivent le contenu de l’œuvre, seront jugés non distinctifs54. L’article 2 de la Loi sur les marques de commerce55 renferme bien une définition, quelque peu hermétique faut-il avouer, du mot «distinctif»: «relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi». Les tribunaux traitent très fréquemment du caractère «distinctif» d’une marque, mais leurs efforts, s’il en est, pour définir cette notion de façon claire et cohérente n’ont pas véritablement porté fruits. Nous laissons à d’autres la tâche de proposer une définition 52. Francis, Day & Hunter Ltd. c. Twentieth Century Fox Corp., précitée, note 19, p. 359. 53. H. RICHARD, L. CARRIÈRE, op. cit., note 23, p. 2-619; en fait, il est dit que «[t]he essence of a protectable trade mark and the foundation of trade mark law, therefore, is and always has been distinctiveness»: Harold G. FOX, Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto, Carswell, 1972), p. 25. 54. J.S. McKEOWN, op. cit., note 14, p. 154. 55. L.R.C. (1985), c. T-13. 184 Les Cahiers de propriété intellectuelle cohérente du caractère distinctif et nous circonscrirons plutôt ses traits caractéristiques. Le caractère distinctif est d’abord et avant tout fonction des liens plus ou moins étroits entre la marque et la nature, les fonctions, les qualités, le lieu56 ou le mode de production des produits ou des services auxquels la marque se rattache. Si les liens sont étroits, par exemple BANANORANGE pour un jus dont des oranges et des bananes font partie de la liste des ingrédients57, on dira alors que la marque n’est pas distinctive puisqu’elle ne fait que décrire clairement les ingrédients du produit. Il faut cependant que la caractéristique décrite par la marque soit une caractéristique intrinsèque du produit et, à notre avis, il doit s’agir d’une caractéristique raisonnablement pertinente à la décision d’achat du consommateur58. À l’inverse, évidemment, une marque telle KODAK pour usage en association avec du film pour caméra a une relation très distante par rapport au produit et sera donc très distinctive. Le seuil minimal pour qu’une marque de commerce soit jugée d’emblée distinctive et enregistrable est qu’elle soit tout au plus suggestive de la nature, des fonctions, etc. des produits et services auxquels elle se rattache plutôt que clairement descriptive de ceux-ci. Le caractère distinctif est cependant aussi fonction de la perception par le public de la marque de commerce, puisque si le public en vient à associer une marque clairement descriptive à une seule source des produits et services visés, on dira que la marque a acquis un caractère distinctif59. 56. Par exemple, le mot «Décarie» fut jugé non distinctif car il réfère à un lieu géographique bien connu et employé par d’autres entreprises situées dans ce même lieu et évoluant dans le même secteur d’activité: General Motors du Canada c. Décarie Motors Inc., (2000) 9 C.P.R. (4th) 368, 376 (C.A.F.): «It is certainly reasonable to say, as contended by the appellants, that prima facie the mark DECARIE was unregistrable under paragraph 12(1)(b) of the Act due to its geographic descriptiveness («place of origin»)». 57. En fait, dans une affaire un juge a estimé que le mot BANANORANGE décrivait clairement la nature du produit ou du service, cela nous semble peut-être excessivement sévère, elle pourrait potentiellement être une marque valable bien que très faible: A. Lassonde Inc. c. Registraire des marques de commerce, (2000) 5 C.P.R. (4th) 517 (C.F.P.I., j. Blais), confirmé 2001 C.P.R. 207 (C.A.F.) 58. Dans une décision, on a jugé que la marque «KOOL ONE» était valable puisqu’elle ne décrivait pas une caractéristique intrinsèque du produit, mais bien un état dans lequel il peut être consommé: Provenzano c. Registrar of Trade-Marks, (1977) 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F.P.I., j. Addy), appel rejeté par la Cour d’appel fédérale à (1978) 40 C.P.R. (2d) 288 (C.A.F.); voir aussi: Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. c. T.G. Bright & Co. Ltd., (1984) 81 C.P.R. (2d) 103 (C.A.F.). 59. Notons à ce titre que la Cour d’appel fédérale a posé qu’il n’était pas nécessaire de démontrer que la marque avait été employée de façon exclusive pour pouvoir acquérir un caractère distinctif, c’est la perception du consommateur qui règne en roi et maître: John Labatt Ltd. c. Molson Breweries, a Partnership, (2000) 5 C.P.R. (4th) 180, 202-203 (C.A.F.), req. permission d’appeler à la Cour suprême Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 185 Si l’on souhaite s’inspirer du droit des marques de commerce, il nous apparaît peu recommandable d’incorporer la notion de caractère distinctif acquis puisqu’en droit d’auteur, l’étendue de la protection d’une œuvre est fixée dès le moment de sa création. Ce serait dénaturer le droit d’auteur que de permettre que la protection d’une œuvre varie selon le temps en raison des goûts du public. Par ailleurs, la définition contenue à l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur nous apparaît référer à un point précis dans le temps, soit le moment de la création de l’œuvre. Certains pays, comme la France, ont un long vécu jurisprudentiel en ce qui concerne la protection des titres par le droit d’auteur. On pourrait dès lors être tenté d’examiner cette tradition afin d’en extraire des lignes directrices. Malheureusement, les auteurs français, s’ils prennent note du fait qu’une protection est accordée à certains titres, se désolent de ne pas pouvoir extraire de telles lignes directrices60. Quelques constats sont faits au passage, entre autres, que les tribunaux s’intéressent de plus près au mérite de l’auteur du titre plutôt que de se concentrer sur une analyse d’originalité ordinaire de droit d’auteur61. Un autre constat est que les tribunaux n’appliquent pas le droit d’auteur avec autant de vigueur qu’à l’égard d’autres types d’œuvres; on peut référer à un arrêt de la Cour de cassation qui a tranché que même si des titres d’articles de journaux constituent des œuvres, leur propriétaire ne pouvait interdire leur reproduction dans un index informatique de presse62. Quant aux phrases courtes, les tribunaux français ont étendu la protection du droit d’auteur, à plusieurs reprises, à des slogans publicitaires63. 60. 61. 62. 63. du Canada refusée le 14/09/2000 (no 27839); toutefois, l’usage non exclusif sera un facteur dont la Cour devra tenir compte pour déterminer si un caractère distinctif a été acquis: Ibid., à la page 203; General Motors du Canada c. Décarie Motors Inc. précitée, note 56, 378. Voir: André LUCAS, Henri-Jacques LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, 2e éd. (Paris, Éditions Litec, 2001), p. 101-102; Claude COLOMBET, Stéphane COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, 9e éd., (Paris, Dalloz, 1999), p. 52. C. COLOMBET, S. COLOMBET, op. cit., note 60, p. 53; Caroline CARREAU, «Mérite et droit d’auteur», (1981) 108 R.I.D.A. 3, 83-105; François DESSEMONTET, Le droit d’auteur (Lausanne, CEDIDAC, 1999), p. 72-73. Cass. ass. plén., 30 oct. 1987, JCP G 1988, II, 20932, rapp. Nicot et note Huet. Christophe BIGOT, Droit de la création publicitaire, (Paris, L.G.D.J., 1997), p. 29-33. 186 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.2 La protection des titres d’œuvres et personnages en droit des marques de commerce Après avoir examiné la protection potentiellement limitée qu’offre le droit d’auteur canadien aux titres, mots et phrases courtes, la tentation est forte de se lancer avec ardeur vers le droit des marques de commerce. Il n’y a pas d’objection de principe à ce qu’un même produit, un film ou un livre, soit protégé à la fois par le droit d’auteur et le droit des marques de commerce pourvu que les conditions propres à chaque régime soient remplies64. En effet, de par sa nature le droit des marques de commerce est un outil puissant adapté au contrôle de l’usage de mots et de phrases courtes. Nous verrons cependant que les apparences peuvent parfois être trompeuses, particulièrement en droit américain. Nous glisserons également quelques lignes au sujet du recours au droit des marques de commerce pour protéger les personnages de films ou de séries télévisées et le style d’un artiste. Notre discussion se limitera cependant aux droits qui peuvent être acquis par la mise en marché de l’œuvre elle-même et non celle de produits dérivés tels des vêtements, produits alimentaires et autres. Nous avons vu en introduction que l’univers du droit des marques de commerce est bâti sur une double fondation, soit d’assurer au commerçant le bénéfice de la notoriété qu’il a acquise à l’égard de ses produits et services ainsi que de permettre aux consommateurs d’identifier l’origine de ces produits et services ou le contrôle exercé sur leurs qualité et caractéristiques par une même source. Il n’est donc pas surprenant de constater que la protection des symboles est limitée à des contextes qui s’inscrivent à l’intérieur de la zone dessinée par ces fondements, sans plus. Le symbole doit donc servir à distinguer le produit ou service offert, à savoir une œuvre protégée dans notre exemple, des produits ou services offerts par des tiers. La protection des titres d’œuvres par le droit des marques de commerce n’est pas un sujet qui a connu de grands rebondissements en droit canadien. On réfère généralement à de la jurisprudence d’âge vénérable à la fois canadienne et britannique qui assure une protection aux titres répondant aux critères usuels et, entre autres, que le titre soit distinctif. Dans cette veine, un titre qui décrit les caractéristiques ou les qualités du livre, de la chanson, du film, etc., recevra une protection faible voire aucune protection à moins de 64. J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 6-7 à 6-9, 6-30-6.30.3. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 187 démontrer que, par son emploi au Canada, il a acquis la signification secondaire de symbole indiquant l’origine du produit ou du service65. Dans le cas d’œuvres protégées par le droit d’auteur, les «caractéristiques» réfèrent généralement au contenu de l’œuvre ou encore à son sujet. Une restriction additionnelle s’applique en particulier aux œuvres ayant un contenu expressif où un titre, reprenant une expression populaire, ne donnera lieu à aucun recours à moins que la reprise d’un tel titre ne fasse partie d’un effort spécifique pour induire le public à croire que l’œuvre de la défenderesse a été produite par la demanderesse. Une question qui se pose est de savoir à qui profitent d’éventuels droits de marque de commerce résultant de l’exploitation d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. La réponse à cette question est d’une importance capitale puisqu’elle détermine l’identité de la demanderesse dans le cadre d’une action en concurrence déloyale à la fois selon la common law et selon l’article 1457 du Code civil du Québec. La question se pose avec une acuité particulière dans le cas d’œuvres qui sont créées grâce à l’intervention d’un nombre limité de personnes. Prenons l’exemple d’une œuvre littéraire dont le titre sera généralement associé à l’auteur66, même si ce titre résulte d’un choix de l’éditeur, que ce soit en vertu du contrat d’édition ou par les suggestions autrement faites à l’auteur. L’2intervention de l’éditeur est sans doute importante mais vise principalement les caractéristiques matérielles de l’œuvre, soit le choix du papier, la conception de la jaquette, etc., mais il demeure que dans le cadre d’œuvres littéraires de fiction, de telles considérations risquent fort bien d’être secon65. Kelly GILL, R. Scott JOLIFFE, Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 4e éd. (Toronto, Carswell, 2001), p. 4-51 à 4-56; voir également l’application de ces principes en droit britannique dans le domaine littéraire ou artistique: MESSIAH FROM SCRATCH Trade Mark, [2000] R.P.C. 44 (Reg. T.M., S. Thorley); Mothercare U.K. Ltd. c. Penguin Books Ltd., [1988] R.P.C. 113 (C.A.). 66. Voir par exemple cet énoncé judiciaire dans le contexte de la preuve de signification secondaire: Mathieson c. Sir Isaac Pitman & Sons, [1930] R.P.C. 541, 550: «It is often said that in cases of this kind you have to consider whether the descriptive words under which the goods have been sold have acquired a secondary meaning or special meaning. In connection with the title of a book, that means this: does the title used to indicate to the minds of the public some specific work in question with the author, or it may be in some rare cases with the publisher of it?»; ce passage a été cité avec approbation dans: CCH Canadian Ltd. c. Butterworths Canada Ltd., (1991) 36 C.P.R. (3d) 429 (C.F.P.I., j. Cullen) infirmée, 2002 F.C.A. 187 (C.A.F.) sur d’autres points; voir également: Brown c. Lyle Stuart, Inc., 141 U.S.P.Q. 936 (N.Y. Sup. Ct. 1964); In re Cooper, 254 F.2d 611, 615-616 (C.C.P.A., 1958); Waldman Publishing Corp. c. Landoll, Inc., 43 F.3d 775, 783 (2d Cir., 1994). 188 Les Cahiers de propriété intellectuelle daires aux yeux du public. Il est cependant possible, à tout le moins en droit américain, que l’auteur ne puisse exercer une action en concurrence déloyale s’il s’est départi du contrôle de son œuvre par une cession ou une licence exclusive, puisqu’il n’exerce pas de contrôle permettant de soutenir son association en tant que source du produit de consommation67. Voilà pourquoi la jurisprudence fait intervenir une présomption que l’association de source se fait avec le titulaire des droits d’auteur68. Dans le cas d’œuvres de collaboration, par exemple dans le cas d’œuvres cinématographiques de fiction, on peut se demander si le public fera le lien principalement avec la compagnie de production ou avec un ou plusieurs des créateurs, mais à tout événement, la probabilité que le lien soit fait avec la compagnie de production est plus grande. De telles situations sont assez inhabituelles en droit des marques de commerce puisque le produit ou le service est généralement sous le contrôle d’une entreprise qui fixe ses caractéristiques et normes de qualité. Ce genre de difficulté avait été perçu par la demanderesse dans une affaire américaine concernant les droits de marques de commerce dans le personnage de «Zorro», où une série de cessions avait permis d’obtenir les droits de marque de commerce de l’auteur de l’œuvre littéraire d’origine, M. Johnson McCulley, et de toutes les autres personnes faisant partie de la chaîne de titres69. Dans d’autres affaires américaines, le tribunal a appliqué les dispositions de «work for hire» du droit d’auteur américain au droit des marques de commerce pour justifier que le producteur soit considéré la source de l’œuvre70. Ce type d’approche laisse s’échapper un parfum d’artifice, puisque la règle de «work for hire», qui veut que la per67. M.B. NIMMER, D. NIMMER, op. cit., note 35, p. 2-193; Rebecca BRADLEY, «Fictional Characters and their Legal Homes», (1999) 16 C.I.P.R. 127, 134; voir également: Universal City Studios, Inc. c. Nintendo Co., 797 F.2d 70, 230 U.S.P.Q. 409, 413 (2d Cir. 1986); ce type de raisonnement se dessine également dans une décision canadienne, mais il ne s’agit cependant que d’une décision interlocutoire: CCH Canadian Ltd. c. Butterworths Canada Ltd., précitée, note 66, p. 430. 68. J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 10-20.1. 69. Sony Pictures Entertainment Inc. c. Fireworks Entertainment Group Inc., 58 U.S.P.Q. 2d 1556, 1557-1558 (C.D. Cal., 2001); voir également une autre cause où la validité de la chaîne de titres fut remise en question, entre autres en raison d’une licence de marque de commerce concédée au propriétaire des droits d’auteur d’une œuvre dérivée (et ancien propriétaire des droits de marque de commerce) qui confère un contrôle insuffisant au nouveau propriétaire des droits de marque de commerce: Morgan Creek Productions Inc. c. Capital Cities/ABC Inc., 22 U.S.P.Q. 2d 1881, 1883-1884 (C.D. Cal., 1991). 70. Waldman Publishing Corp. c. Landoll, Inc., précitée, note 66, p. 783-784. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 189 sonne retenant les services d’un tiers soit considérée l’auteur de l’œuvre, est une règle de droit d’auteur pur. Ce type de raisonnement a peu de chances de se transposer au Canada puisqu’il est plus rare que l’entrepreneur soit désigné comme l’auteur de l’œuvre plutôt que simplement le premier titulaire des droits d’auteur71. Il n’y a que quelques décisions canadiennes récentes qui se sont ajoutées au canevas. La plupart d’entre elles traitent de l’emprunt de personnages dans un contexte d’exploitation de produits dérivés. Par exemple, le personnage de Crocodile Dundee se vit accorder une protection au rayon des vêtements72 et le personnage de Miss Piggy balaya du plancher une requérante qui souhaitait enregistrer la marque MISS PIGGY pour des services de divertissement par des spectacles sur scène73. Il y a bien une décision plus récente qui illustre que le droit des marques de commerce, en fait plus spécifiquement l’action en passing off, n’est pas toujours une panacée pour le titulaire des droits d’auteur dans l’œuvre. Le titulaire des droits dans la chanson intitulée «Yukon Magic & Mystery» ne réussit pas à démontrer que ce titre avait acquis une réputation auprès du public, ce qui est une des conditions d’ouverture de ce recours en concurrence déloyale de common law74. Mentionnons au passage que le recours en concurrence déloyale sous l’article 1457 du Code civil du Québec ne doit pas nécessairement reprendre le carcan du recours de passing off d’inspiration 71. Comme exception à la règle générale du paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur, voir par exemple, le cas prévu au paragraphe 10(2) de la Loi sur le droit d’auteur. 72. Paramount Pictures Corp. c. Howley, (1991) 5 O.R. 573, 39 C.P.R. (3d) 419 (Ont. Gen. Div., j. Van Camp). 73. Henson Associates, Inc. c. 119201 Canada Inc., (1987) 15 C.P.R. (3d) 285 (Comm. Opp., D.J. Martin); comparer cependant à un arrêt où la Cour a reconnu des droits dans le personnage de la panthère rose, mais a refusé de conclure qu il y avait probabilité de confusion à l’égard d’un salon de coiffure: United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp., (1998) 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.). 74. Shewan c. P.G. Canada, précitée, note 33; les autres conditions du recours en passing off sont de démontrer que l’emploi de la marque de commerce donne lieu à une fausse représentation auprès du public lui laissant croire que les produits ou services offerts proviennent de la demanderesse et enfin de démontrer que le fait d’induire le public en erreur de la sorte cause un dommage à la demanderesse: Reckitt and Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, 880 (H.L., Lord Oliver); comparer à la cause impliquant le jeu TRIVIAL PURSUIT où tous les critères furent remplis: Horn Abbott Ltd. c. Thurston Hayes Developments Ltd., (1997) 77 C.P.R. (3d) 10 (C.F.P.I., j. Reed). Pour une analyse de droit comparé des critères du recours en passing off dans diverses juridictions de common law, voir: Joanna R. JEREMIAH, Merchandising Intellectual Property Rights (New York, John Wiley & Sons, 1997) 190 Les Cahiers de propriété intellectuelle britannique75. Le droit de la responsabilité civile prévoit un recours général qui s’adapte à toutes les situations plutôt qu’une série de recours spécifiques avec au regard de chacun, des conditions d’ouvertures différentes auxquelles une partie demanderesse doit se plier. Toutefois, les tribunaux québécois se réfèrent souvent aux règles de common law lorsqu’il est question de concurrence déloyale76. À la source du caractère très marqué de cette tendance se trouvent les motifs du juge Gonthier de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.77 où l’on explique qu’«[a]u Québec, les principes du passing-off sont largement inspirés de la common law». Cette affirmation est à sa face même erronée puisque tant en vertu du droit québécois que du droit français, le recours en passing off n’existe pas et n’est, selon les mots mêmes du juge Gonthier, que «l’une des facettes de la concurrence déloyale et sa sanction est basée sur le droit de la responsabilité civile»78. De plus, un tel commentaire ne peut être qu’obiter puisque l’affaire dont il traite provient de l’Ontario, une juridiction de common law. D’ailleurs le droit de la concurrence déloyale en France, fondé sur l’article équivalant à l’article 1457 du Code civil du Québec, a développé plus de ramifications que ce que l’on retrouve dans le cadre du recours en passing off, tout comme plusieurs autres juridictions civilistes d’Europe continentale79. Il suffit de mentionner aux fins de cet article que les situations réprimées par le recours en passing off peuvent également être réprimées en vertu du droit québécois de la responsabilité civile, mais qu’il est également possible que certains gestes de concurrence déloyale ou de parasitisme puissent être réprimés par le droit civil sans qu’il y ait de recours équivalent en common law. 75. Louis CARBONNEAU, «La concurrence déloyale au secours de la propriété intellectuelle», dans BARREAU DU QUÉBEC, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (1995) (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995), p. 239 aux p. 273-276. 76. Voir, par exemple: Les Industries Thermalite inc. c. Marchitello, REJB 1999-11069 (C.S.Q., j. Poulin); Le marchand de vin inc. c. Vincor international inc., REJB 1998-04523 (C.S.Q., j. Arsenault); Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber & Associates Inc., REJB 1998-05902 (C.A.Q.); Isoqual inc. c. 3101-7213 Québec inc., REJB 2001-24711 (C.S.Q., j. Laramée). 77. [1992] 3 R.C.S. 120. 78. Ibid., 133. 79. Voir: Jean-Jacques BURST, Concurrence déloyale et parasitisme (Paris, Dalloz, 1993); Philippe LE TOURNEAU, Le parasitisme, agissements parasitaires et concurrence parasitaire, protection contre les agissements et la concurrence parasitaires, sauvegarde du savoir-faire, des informations, des données et des connaissances des entreprises (Paris, Litec, 1998). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 191 La jurisprudence américaine est au beau fixe en ce qui concerne les titres d’œuvres protégées par le droit d’auteur, mais sur un tout autre registre que le droit canadien. En premier lieu, le bureau des marques de commerce américain a eu tôt fait d’imposer un embargo complet sur l’enregistrement de marques de commerce qui sont le titre d’une œuvre protégée, pour un usage en association avec l’œuvre protégée par opposition à des produits dérivés comme des vêtements, des articles de maison, des articles de sport, etc. Les titres de séries d’œuvres protégées, comme par exemple les périodiques ou les séries télévisuelles, font exception à cette règle. Qu’importe que des sondages soient apportés pour démontrer l’acquisition d’une signification secondaire au bénéfice de la requérante, rien n’y fera. Le raisonnement qui plane dans les corridors du bureau des marques de commerce est qu’une œuvre protégée par le droit d’auteur est unique en son genre et donc son titre est la seule appellation générique pour la décrire80. La représentation d’un personnage de l’œuvre peut cependant échapper à cette règle s’il est possible de démontrer qu’il agit véritablement comme marque de commerce, soit afin d’identifier des œuvres provenant d’une même source, plutôt que simplement une illustration d’un personnage de l’œuvre81. L’approche radicale du bureau des marques de commerce américain ne manque pas de soulever l’ire des auteurs de doctrine82. Bien sûr, les praticiens du droit des marques de commerce n’ont pas manqué d’user de subterfuges pour faire bénéficier leurs clients d’un enregistrement de marque de commerce, mais ils connurent peu de succès. Dans une affaire, on fit valoir que la page couverture d’un livre soumis comme échantillon aux fins de l’enregistrement comportait plusieurs autres indications et donc, que la marque INSTANT KEYBOARD n’était pas la seule désignation possible de l’ouvrage et qu’elle n’était pas de ce fait générique83. Dans le cas du titre d’une comédie musicale, on argua que chaque représentation de la pièce avait des caractéristiques différentes en raison de changements d’acteurs, de musiciens, de techniciens, etc. et dès lors qu’il s’agissait d’une série d’œuvres, chaque représentation ou groupe de représentations était une variante distincte84. 80. On voit la première manifestation de ce raisonnement dans la décision In re Cooper, précitée, note 66. 81. In re Frederick Warne & Co., 218 U.S.P.Q. 345 (T.T.A.B.); Quoiqu’en pratique il soit difficile de répondre à ce test, voirà titre d’illustration plus récente: In re Caserta, 46 U.S.P.Q. 2d 1088 (T.T.A.B., 1998). 82. Voir: J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 10-10. 83. In re Hal Leonard Publishing Corp., 15 U.S.P.Q. 2d 1574 (TTAB, 1990). 84. In re Posthuma, 45 U.S.P.Q. 2d 2011 (T.T.A.B., 1998). 192 Les Cahiers de propriété intellectuelle Mais ce n’est pas tout. Même si le titre d’une œuvre protégée par le droit d’auteur ne décrit aucunement les qualités, la nature, le contenu, les caractéristiques, la trame dramatique ni tout autre aspect de l’œuvre, et donc est parfaitement distinctif, les tribunaux américains exigeront une démonstration que le titre a acquis une signification secondaire, soit de désigner l’origine du produit incorporant l’œuvre. Cette règle ne s’applique qu’aux titres qui ne désignent qu’une seule œuvre, tandis que les titres qui désignent une série d’œuvres sont exemptés de cette démonstration85. Le raisonnement des tribunaux suit ce que nous avons décrit plus haut quant à l’enregistrement de marque de commerce, soit que chaque œuvre est unique, un marché distinct à l’intérieur duquel le titre de l’œuvre est le seul moyen d’identifier le produit qui y est transigé86. La rigueur de cette règle a souvent été tempérée par les tribunaux qui se montrent flexibles quant aux éléments requis pour démontrer la signification secondaire. Dans le cas de films qui ont fait l’objet d’une campagne de publicité et de promotion à grands frais à la grandeur du pays et d’un succès commercial considérable, la signification secondaire est facile à démontrer87. Il est admis qu’une campagne de publicité et de promotion seule peut donner naissance à une signification secondaire même avant que le film, le livre ou le disque ne soit consommé par le public88. Ceci contourne en partie un des risques importants qui affligent les symboles dont la signification secondaire est une condition de leur éclosion à titre de marque de commerce protégée: lors des premiers pas de la mise en marché, le symbole peut être la proie de concurrents, sans que le titulaire potentiel de droits de marque de commerce puisse s’y objecter. Une série de décisions a ancré au moins en partie la preuve de signification secondaire au fait que l’œuvre protégée par le droit d’auteur a été accueillie favorablement par la critique, ou au moins a fait l’objet de comptes rendus 85. Dans un arrêt britannique, le fait qu’un titre s’applique à une série d’œuvres littéraires a été retenu comme argument en faveur de la protection par le droit des marques de commerce, sans toutefois en être une condition préalable: Games Workshop Limited c. Transworld Publishers Ltd., [1993] F.S.R. 705, 711-712 (C.A.). 86. J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 10-6–10-8; Dorothy J. HOWELL, Intellectual Properties and the Protection of Fictional Characters (New York, Quorum Books, 1990), p. 72; voir également la description des fondements de cette règle par un juge fédéral siégeant dans l’État de Virginie: Evans c. Paramount Pictures Corp., 54 U.S.P.Q. 2d 1484, 1487-1488 (E.D. Va., 2000). 87. Morgan Creek Productions Inc. c. Capital Cities/ABC Inc., précitée, note 69, p. 1882-1883. 88. Voir, par exemple Orion Pictures Company, Inc. c. Dell Publishing Co. Inc., 471 F. Supp. 392, 395-396 (S.D.N.Y., 1979). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 193 dans les médias89. Par contre, ces approches favorables à la preuve de signification secondaire n’éviteront pas un des pièges de la protection des titres par le droit des marques de commerce, c’est-à-dire que si une œuvre a connu un succès à une époque mais tombe par la suite dans l’oubli, la signification secondaire autrefois acquise peut se dissiper avec le temps90. Les œuvres protégées par le droit d’auteur, lorsqu’elles sont mises en marché aux États-Unis, font donc figure de parents pauvres du droit de la concurrence déloyale. Hélas, elles ont été davantage appauvries lorsque les tribunaux américains ont fait intervenir le droit à la liberté d’expression dans l’équation. Le système du droit d’auteur comprend certains aménagements favorables à la liberté d’expression dont, en tout premier lieu, le fait qu’une condition essentielle de la contrefaçon est qu’une partie substantielle de l’œuvre ait fait l’objet d’un geste réservé au titulaire des droits d’auteur, telle la reproduction; en règle générale la reprise d’un ou d’un nombre limité de mots ne donne pas ouverture à un recours. Ce type de mécanisme nourrissant le droit à la liberté d’expression existe moins en droit des marques, le seul mécanisme qui puisse jouer ce rôle à l’égard de marques de commerce enregistrées étant la définition restrictive du geste réservé au propriétaire de la marque de commerce, soit l’usage de la marque91. En effet, le recours du titulaire d’une marque de commerce enregistrée n’existe que si les gestes faits par la partie défenderesse constituent un «usage» de la marque au sens de la Loi sur les marques de commerce92. Les tribunaux américains ont donc fait intervenir directement le droit à la liberté d’expression lorsqu’il est question de déterminer si les droits de 89. J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 10-23. 90. Voir, à titre d’exemple: Hawaii Calls, Ltd. c. Perfumes Polynesia, Ltd., 399 F. Supp. 604, 188 U.S.P.Q. 190 (D.C. Haw., 1975). 91. Pour un survol des diverses limites apportées à la notion d’«usage» de la marque de commerce en droit canadien, voir, entre autres: Sheldon BURSHTEIN, «Trade-Mark Use in Canada: The Who, What, Where, When, Why and How (Part 1)», (1997) 11 I.P.J. 229; dans une décision américaine on trace un lien direct entre la définition d’«usage» et la liberté d’expression: Charles Atlas Ltd. c. DC Comics Inc., 56 U.S.P.Q. 2d 1176, 1181-1182 (S.D.N.Y., 2000). 92. Ce n’est pas le cas dans plusieurs juridictions étrangères, dont le Royaume-Uni où il peut potentiellement y avoir recours du propriétaire à l’encontre de gestes qui ne répondent pas à la définition statutaire d’«usage» mais qui sont accomplis dans le cadre d’une activité commerciale: Spyros MANIATIS, «Aspects of Trade Mark Use and Misuse», dans Norma DAWSON, Alison FIRTH (éd.), Trade Marks Retrospective: Perspectives on Intellectual Property Series (Londres, Sweet & Maxwell, 2000), p. 229, à la p. 237. 194 Les Cahiers de propriété intellectuelle marque de commerce ont été violés par la défenderesse. L’arrêt qui a donné un bon élan à toute cette théorie est Rogers c. Grimaldi93 qui mettait en scène le droit des marques de commerce, en l’espèce un recours pour fausse désignation d’origine sous l’article 43(a) du Lanham Act94, et la notoriété artistique de la vedette Ginger Rogers. Mme Rogers se plaignait du fait qu’un film intitulé «Ginger and Fred» dont les personnages et l’intrigue comportaient des parallèles avec sa propre carrière en compagnie de Fred Astaire, induisait le public à penser qu’elle avait approuvé ou commandité le film. La Cour d’appel fédérale du deuxième circuit rejette le recours et explique dans ses motifs que les titres d’œuvres protégées par le droit d’auteur ont une nature hybride qui combine l’expression artistique du ou des auteurs et la promotion commerciale du produit résultant de cette création. Le titre est une partie intégrante de l’expression artistique et ne doit donc pas être indûment restreint notamment au bénéfice du public qui serait autrement privé d’une composante expressive de l’œuvre95. La solution proposée par le tribunal est de limiter l’application du recours en fausse désignation d’origine au cas où il y aura une fausse représentation explicite quant à la source ou au contenu de l’œuvre lorsque le titre a une certaine pertinence artistique au regard de l’œuvre. Si le titre n’a aucune pertinence artistique, les foudres du droit de la fausse désignation d’origine pourront alors s’abattre sur le défendeur sans de telles ambages96. Ce type de considération a pris place en un rien de temps dans l’arsenal des parties défenderesses d’actions en violation de droit de marques de commerce dans des titres. On avisera alors la Cour que la preuve de confusion doit être particulièrement convaincante lorsque le titre a une pertinence artistique97. Cependant, dans l’application courante de ces principes, certains juges ont usé de subtilités pour restreindre la règle de l’affaire Rogers c. Grimaldi en la confinant au contexte de titres portant atteinte aux droits de personnes célèbres, et en le contrastant avec un contexte d’œuvres concurrentes où l’intérêt du public de ne pas être induit en erreur prend le dessus98. Notons au passage que des considérations liées à la liberté 93. 94. 95. 96. 97. 875 F.2d 994 (2d Cir., 1989). 15 U.S.C. 1125(a) (1982) (ci-après le Lanham Act ). Rogers c. Grimaldi, précitée, note 93, p. 998. Ibid., 999. Sugar Busters LLC c. Brennan, 177 F.3d 258, 269 (5th Cir., 1999); Twin Peaks Productions, Inc. c. Publications International Ltd., 996 F.2d 1366, 1379 (2d Cir., 1993); Westchester Media c. PRL USA Holdings, Inc., 214 F.3d 658 (5th Cir., 2000). 98. Morgan Creek Productions Inc. c. Capital Cities/ABC Inc., précitée, note 69, p. 1884-1885; comparer à la décision suivante où le juge applique la règle de la Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 195 d’expression apparaissent aussi en droit britannique, notamment dans une affaire concernant la reprise d’une marque de commerce dans le titre d’un livre portant précisément sur le propriétaire de cette marque, en l’espèce un groupe de musiciens, mais elle se manifestera par une interprétation restrictive de la notion d’usage99. Il nous reste à examiner deux aspects du droit américain qui touchent de près à la frontière entre le droit d’auteur et le droit des marques de commerce. Le premier concerne ce qu’il advient des marques de commerce qui désignent des œuvres dans le domaine public, en d’autres termes, principalement leur titre. Dès ce moment, le public entier peut faire les gestes autrefois réservés au titulaire du droit d’auteur et, ce faisant, chaque personne reprendra le titre de l’œuvre. Si l’on suit un raisonnement parallèle à celui de la Cour fédérale du Canada dans un arrêt traitant de l’interaction entre le droit des marques de commerce et le droit des brevets100, il serait injuste a priori de priver une personne des droits de marque de commerce sous prétexte que le droit d’auteur sur le produit visé est expiré si ce droit ne permettait pas de contrôler l’usage du titre. Les tribunaux en droit américain ont plutôt choisi de limiter dans ce contexte la protection offerte par le droit des marques de commerce à l’égard de titres d’œuvres101. La règle est qu’il n’est pas possible d’empêcher que le public emploie le titre d’une œuvre alors qu’elle tombe dans le domaine public, quand bien même le titre aurait acquis une signification secondaire, à moins qu’il ne soit employé pour induire le public à croire que cet usage de l’œuvre tire son origine de l’ex-titulaire de droit d’auteur, ou ait été autrement approuvé par lui102. Le deuxième aspect intéressant concerne l’application du «reverse passing off» au voisinage du droit d’auteur. Nous avons décrit plus haut le recours en fausse désignation d’origine en vertu 99. 100. 101. 102. preuve convaincante de confusion dans un contexte n’impliquant pas une vedette: Toho Co. c. William Morrow and Co., 46 U.S.P.Q. 2d 1801, 1805. Bravado Merchandising Services Ltd. c. Mainstream Publishing (Edinburgh) Ltd., [1996] F.S.R. 205 (C. Sess., Lord McCluskey). Thomas & Betts Ltd. c. Panduit Ltd., (1998) 4 C.P.R. (4th) 498 (C.A.F.); requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée, (2000) 7 C.P.R. (4th) vi Dans d’autres contextes, les autorités américaines indiquent que l’expiration de droits d’auteur dans une œuvre, un personnage de bande dessinée, par exemple, n’entraîne pas à sa suite une restriction à l’exercice de droits de marque de commerce, voir: J.T. McCARTHY, op. cit., note 16, p. 6-50 à 6-52. M.B. NIMMER, D. NIMMER, op. cit., note 35, p. 2-193–2-194. 196 Les Cahiers de propriété intellectuelle du Lanham Act américain, qui en est une manifestation. Il s’agit d’un recours visant à contrer un défendeur qui introduit sur le marché des produits ou services similaires à ceux d’un tiers afin de s’approprier la réputation de ce tiers en induisant les consommateurs en erreur. La common law britannique a admis, après une certaine hésitation, ce genre de recours103. À la simple lecture de la description de ce recours, on comprend son pouvoir attractif dans un contexte de droit d’auteur. À la limite, une simple contrefaçon de l’œuvre d’un auteur ayant atteint une certaine notoriété donne lieu à une fausse désignation d’origine. Il s’agit d’une application toutefois jugée exorbitante du droit des marques de commerce par les tribunaux, puisqu’il faut plus qu’une simple contrefaçon; il faut que la contrefaçon donne lieu à une confusion quant à l’origine de l’œuvre contrefaite104. Dans un cas d’espèce, le fait que le nom du contrefacteur apparaisse clairement sur l’emballage de l’œuvre contrefaite a induit un juge à conclure que le consommateur présumera que le contrefacteur est à la source de l’œuvre105. La ligne de démarcation est donc parfois ténue, mais cela fait en sorte que ce recours puisse servir de substitut partiel du droit moral lorsqu’un auteur acquiert une réputation suffisante à l’égard de la mise en marché d’une œuvre. Dans le cas d’espèce cité, le recours en fausse désignation avait toutefois été intenté par le distributeur américain d’un film, plutôt que par l’auteur. La fausse désignation d’origine a été apprêtée à toutes les sauces, dont pour faire valoir des droits de marque dans la performance des «Three Stooges» dans un extrait de film faisant partie du domaine public. La Cour d’appel fédérale du neuvième circuit a estimé qu’il s’agissait là d’une tentative inadmissible de contournement des règles du droit d’auteur en précisant que «[i]f material covered by copyright law has passed into the public domain, it cannot then be protected by the Lanham Act without rendering the Copyright Act a nullity»106. Cet énoncé est probablement maladroit, puisqu’il cadre difficilement avec d’autres décisions auxquelles nous avons fait allusion plus tôt qui affirment que les protections du droit des marques de commerce et du droit d’auteur peuvent coexister 103. 104. 105. 106. Voir: Christopher WADLOW, The Law of Passing-Off (Londres, Sweet & Maxwell, 1995), p. 330-338. Agee c. Paramount Communications Inc., 35 U.S.P.Q. 2d 1169, 1177-1178 (2d Cir., 1995); Merchant c. Lymon, 828 F. Supp. 1048, 1060 (S.D.N.Y., 1993); Kregos c. Associated Press, 937 F.2d 700, 710-711 (2d Cir., 1991); United States Media Corp. c. Edde Entertainment Inc., 40 U.S.P.Q. 2d 1581, 1588-1589 (S.D.N.Y., 1996). United States Media Corp. c. Edde Entertainment Inc., précitée, note 104, p. 1589. Comedy III Productions Inc. c. New Line Cinema, 53 U.S.P.Q. 2d 1443, 1444 (9th Cir., 2000). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 197 dans le même élément et que la perte d’un des droits n’invalide pas nécessairement l’autre droit107. Il faut prendre l’énoncé de cette Cour d’appel dans son contexte, c’est-à-dire que le droit des marques de commerce vise à préserver la capacité de choisir des produits et des services et de ce fait, la simple reprise d’un extrait de film sans le transformer ou l’associer autrement à un nouveau contexte tombe à l’extérieur de cette sphère. La partie demanderesse avait bien vu ce hic puisqu’elle avait fait valoir que cet extrait spécifique était particulièrement distinctif du style des comédiens. Quelques mois plus tard, la frontière du droit d’auteur et du droit des marques de commerce était à nouveau à l’ordre du jour de la même Cour d’appel. Cette fois, la partie demanderesse alléguait avoir des droits de marque de commerce dans l’ensemble de l’œuvre musicale intitulée «Sing, Sing, Sing (With a Swing)» composée par Louis Prima et rendue populaire par Benny Goodman et son orchestre108. Le titulaire des droits d’auteur dans cette œuvre avait été approché pour qu’elle serve de trame musicale dans une annonce télévisée d’un fabriquant de bâtons de golf dont le slogan était «Swing, Swing, Swing». Le fabriquant trouva le titulaire de droits d’auteur trop gourmand. Il opta pour une autre pièce musicale dans le style «Benny Goodman» dont le propriétaire avait un appétit plus modeste. On retiendra du droit d’auteur que deux pièces peuvent être très similaires, dans leur style ou autrement, sans qu’il y ait de contrefaçon si elles ont été composées de manière indépendante. Cette limite importante est absente du droit des marques, d’où l’intérêt d’alléguer que la composition musicale est une marque de commerce. Cette fois-ci, les juges s’appuient clairement sur les fondements du droit des marques de commerce pour rejeter les prétentions du titulaire des droits d’auteur. La Cour explique que l’objet 107. 108. Voir également un arrêt où la manière de présenter une œuvre littéraire tombée dans le domaine public a été jugée être du ressort du droit des marques de commerce, mais ce faisant la Cour fait une hybridation de l’analyse de droit d’auteur et de droit des marques de commerce: Waldman Publishing Corp. c. Landoll, Inc., précitée, note 66, p. 783: «The similarities between the books extend beyond the underlying story which is in the public domain. In creating the Waldman adaptations, the authors had to choose which episodes to summarize, which scenes to illustrate and what chapter headings to use. All these aspects are original to the adaptations and are not taken from the underlying works. The Landoll books are substantially similar to the Waldman books in all these respects. Thus, absent a showing of independent creation, the inference is that Landoll falsely designated the origin of its books by indicating its own authors as the source of the adaptations.» EMI Catalogue Partnership c. Hill, Holliday, Connors, 56 U.S.P.Q. 2d 1270 (2d Cir., 2000). 198 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’une marque de commerce est de servir de symbole pour désigner l’origine d’un produit ou d’un service, le symbole et le produit ou le service étant distincts l’un de l’autre109. Le fait que l’œuvre musicale interprétée par Benny Goodman était à la fois le produit et le symbole qui devait le désigner était inadmissible; l’œuvre musicale ne pourrait servir de marque de commerce qu’à l’égard d’autres produits ou services mais non à son propre bénéfice. Cette limite est nécessaire pour éviter que le droit des marques de commerce n’usurpe le rôle du droit d’auteur. Dans la même veine, le droit des marques de commerce a été mis à contribution pour tenter de protéger le style d’un artiste. Dans un contexte commercial ordinaire, les tribunaux acceptent fréquemment de protéger le «style» adopté par un commerçant dans le cadre de la mise en marché de ses produits et services lorsque la configuration d’un ensemble d’éléments visuels est distinctive; on n’a qu’à penser par exemple à la protection de décors de restaurants. Une des limites de cette protection accordée au «style» est que ses caractéristiques doivent pouvoir être décrites de manière claire et précise sans être générique, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les «styles»110. Une transposition de ces principes dans l’industrie des cartes de souhait, soit le style distinctif d’une gamme de cartes de souhaits111, avait incité un tribunal new-yorkais à protéger dans une décision subséquente le style particulier d’un peintre112. Cette dernière décision a provoqué une levée de boucliers notamment du fait 109. 110. 111. 112. Ibid., 1275; le fait qu’une œuvre musicale puisse servir de marque de commerce a été énoncé dans un autre arrêt, mais d’un même trait la Cour a refusé de considérer qu’une interprète pouvait s’approprier une chanson comme étant sa marque de commerce même si l’interprétation de cette chanson avait été l’accomplissement principal de sa carrière: Oliveira c. Frito-Lay Inc., 58 U.S.P.Q. 2d 1767 (2d Cir., 2001). Voir par exemple ces exemples proches du droit d’auteur où une réclamation en droit des marques de commerce a été rejetée faute de pouvoir décrire la marque à la satisfaction du tribunal ou, dans le cas d’œuvres architecturales, lorsque la représentation a titre de marque n avait pas de constance: Sony Pictures Entertainment Inc. c. Fireworks Entertainment Group Inc., précitée, note 69, p. 1569-1570; Yurman Design Inc. c. PAJ Inc., 59 U.S.P.Q. 2d 1813, 1822 (2d Cir., 2001); Rock and Roll Hall of Fame c. Gentile Productions, 45 U.S.P.Q. 2d 1412, 1417-1418 (6th Cir., 1998). Hartford House Ltd. c. Hallmark Cards, Inc., 846 F.2d 1268 (10th Cir., 1988). Romm Art Creations c. Simcha Int’l, Inc., 786 F. Supp. 1126 (E.D.N.Y., 1992); il faut souligner qu’antérieurement à cette décision, dans la même juridiction, à la fois le style d’Andy Warhol et de Salvador Dali n’avaient pu recevoir de protection en droit des marques de commerce: Hughes c. Design Look, Inc., 693 F. Supp. 1500, 1505 (S.D.N.Y. 1988); Galerie Furstenburg c. Coffaro, 697 F. Supp. 1282, 1290 (S.D.N.Y., 1988). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 199 que dans les arts visuels le style d’une œuvre fait partie intégrante du produit et dès lors ne peut agir comme marque de commerce à son égard. On dira aussi que le style n’est pas une marque de commerce car il désigne l’artiste et non les produits qui peuvent tirer leur origine de cet artiste113. Une décision subséquente n’a pas suivi l’exemple du juge new-yorkais et a estimé qu’un photographe ne pouvait réclamer de droits de marques de commerce sur le sujet qu’il avait photographié, soit une sculpture intitulée «Bird Girl» sise dans un cimetière, même si cette photographie l’a rendu célèbre et est associée à lui par le public114. Le juge estime que le sujet d’une œuvre artistique est une idée non protégée par le droit d’auteur et qu’il n’est pas permis par l’intermédiaire du droit des marques d’obtenir un monopole sur cette idée, sans trop préciser ses raisons. Les motifs de ce choix font sans doute intervenir le droit à la liberté d’expression, puisque si chaque artiste s’approprie un sujet il y aura bientôt une pénurie de sujets, de sorte que les générations à venir ne pourront plus s’exprimer. Nous avons vu que dans un contexte commercial ordinaire ce type de restriction à l’acquisition de droits de marque de commerce est absent et il y a donc une ligne de démarcation à tracer entre le domaine «artistique» et le domaine «commercial». Il est concevable que ce qui est a priori artistique déborde vers le domaine «commercial», auquel cas le droit des marques de commerce pourrait prendre son plein envol y compris par une certaine protection des idées, notamment dans le cas de produits dérivés d’œuvres artistiques. 4. Le départage des deux régimes dans le cas d’œuvres artistiques: les aléas de la fonctionnalité esthétique En apparence, le droit d’auteur et le droit des marques de commerce peuvent avoir un objet identique lorsqu’il s’agit d’œuvres visuelles ou de marques de commerce formées d’un dessin. En examinant la situation principalement à travers la lorgnette du droit des marques de commerce, les tribunaux ont identifié des situations où il n’y aura pas coexistence des deux droits. L’objet du droit des mar113. 114. Voir: William P. FITZPATRICK, «The Hazards of Extending Copyright or Trademark Protection to an Artist’s Visual Style», (1993) 17 Columb.-V.L.A. J. L. & the Arts 453; Mark TRAPHAGEN, «Stretching the Canvas: Protection of Visual Artistic Styles in Works of Fine Art Under Section 43(a) of the Lanham Act», (1992) 10 Ent. & Sports Law 3; voir, par contre, une approche moins clairement défavorable à cette décision: Jane C. GINSBURG, «Exploiting the Artist s Commercial Identity: The Merchandising of Art Images», (1995) 163 R.I.D.A. 3, 33-47. Leigh c. Warner Bros., 48 U.S.P.Q. 2d 1172 (S.D. Ga., 1998). 200 Les Cahiers de propriété intellectuelle ques, comme nous l’avons vu plus tôt, est d’assurer la protection de mots, de dessins ou d’autres symboles qui servent à distinguer un produit sur le marché parmi d’autres quant à son origine ou du contrôle exercé par une seule source sur ses caractéristiques. Les tribunaux ont donc tenté de tracer une ligne au delà de laquelle le dessin, pour prendre cet exemple, cesse d’être un moyen d’identification au bénéfice du consommateur et se transforme en un simple aspect esthétique du produit. Les tribunaux ont d’ailleurs baptisé cette règle le test de «fonctionnalité esthétique» ou encore, plus particulièrement aux États-Unis, le test du caractère ornemental ou décoratif. Nous examinerons en premier lieu les règles élaborées par les tribunaux canadiens à ce sujet et nous jetterons ensuite un regard sur la jurisprudence américaine. Les deux décisions canadiennes les plus près de l’intersection du droit des marques de commerce et du droit d’auteur concernent le dessin d’une fleur taillé dans les pièces composant un service de table115 et un dessin de sapin appliqué à un carton parfumé pour chasser les odeurs de l’habitacle d’un véhicule automobile116. Il est utile de préciser que dans ces deux affaires la partie alléguant détenir des droits de marque de commerce ne se réclamait pas, par la même occasion, de la protection du droit d’auteur. Ces décisions ne sauraient donc pas élaborer de règle de conflit définitive entre le droit d’auteur et le droit des marques. Dans la première affaire, le rejet du dessin floral comme marque de commerce est motivé principalement du fait qu’au cours d’une longue période de temps plusieurs personnes ont appliqué sur le même type de produit au Canada des dessins similaires à la connaissance de la demanderesse117. En effet, dans un tel contexte, toute marque de commerce, peu importe qu’il s’agisse d’un dessin ou non, perd sa capacité d’identifier une seule source et des droits dans cette marque ne sauraient être valablement reconnus par un tribunal. Mais dans cette affaire la Cour poursuit tout de même son raisonnement sur le terrain qui nous intéresse. Le juge Gibson exposera que le dessin floral a été employé par les parties uniquement dans le but de rendre leur ensemble de table plus attrayant à des fins de vente et qu’à ce titre 115. 116. 117. W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. c. Morawiec, (1970) 62 C.P.R. 21 (C. d’É., j. Gibson). Samann c. Canada’s Royal Gold Pinetree Mfg. Co. Ltd., (1986) 9 C.P.R. (3d) 223 (C.A.F.), qui a infirmé la décision du juge Pinard de la Cour fédérale de première instance rapportée à (1985) 3 C.P.R. (3d) 313 (C.F.P.I.). W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. c. Morawiec, précitée, note 115, 28-29. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 201 cet «ornement» n’est pas adapté aux fins de distinguer l’origine des produits118. Il ne s’attarda pas à définir les contours de la règle, par exemple si un dessin apprécié pour ses qualités esthétiques par les consommateurs est nécessairement disqualifié de ce simple fait au titre de la protection par le droit des marques de commerce. C’est en fait sur ce dernier aspect qu’a porté la décision concernant le «sapin parfumé» mentionnée plus haut. La Cour d’appel fédérale viendra préciser qu’il est concevable que toute marque de commerce comportant un dessin aura un aspect ornemental et donc que le fait de posséder un caractère ornemental n’est pas suffisant en soi pour disqualifier un dessin de la protection par le droit des marques de commerce119. Elle limite donc la disqualification automatique aux faits qui avaient été présentés au juge Gibson, soit que la seule fonction du dessin soit ornementale. Cela n’empêche pas, selon la Cour d’appel fédérale toujours dans le même passage, que le dessin doive se conformer aux conditions essentielles aux fins de l’enregistrement d’une marque de commerce. La Cour réfère alors sans aucun doute au fait que le dessin doit servir à distinguer l’origine des produits. À la lecture de cet arrêt, la tentation est forte d’énoncer que, même si la nature prédominante du dessin est celle d’un ornement qui sera convoité par les consommateurs pour ses qualités esthétiques, le droit des marques de commerce pourra protéger le dessin en plus du droit d’auteur pour autant qu’il existe un rôle secondaire à titre d’indicateur de la source du produit. Dans une décision subséquente qui a reconnu des droits de marque de commerce dans la forme d’une couture ornant la poche d’un pantalon, le juge Joyal a indiqué que la principale raison d’être du dessin était de distinguer les pantalons de la demanderesse de ceux des autres manufacturiers120. Il n’a cependant pas laissé entendre qu’il était nécessaire que ce soit la principale raison d’être du dessin pour qu’il se qualifie à titre de marque de commerce. 118. 119. 120. Ibid., 30-31. Le juge Walsh de la Cour fédérale en viendra à une conclusion identique en ce qui a trait aux trois lignes parallèles revendiquées par la compagnie Adidas en tant que marque de commerce en association avec des vêtements de sport: Adidas (Canada) Ltd. c. Colins Inc., (1978) 38 C.P.R. (2d) 145, 169 (C.F.P.I., j. Walsh); comparer cependant à la décision suivante où des lignes en «V» furent jugées distinctives et n’ayant pas de fonction esthétique: Sun Ice Ltd. c. Kelsey Sportswear Ltd., (1993) 47 C.P.R. (3d) 443 (C.F.P.I., j. Joyal). Samann c. Canada’s Royal Gold Pinetree Mfg. Co. Ltd., précitée, note 116, p. 231. Santana Jeans Ltd. c. Manager Clothing Inc., (1993) 52 C.P.R. (3d) 472, 478 (C.F.P.I., j. Joyal). 202 Les Cahiers de propriété intellectuelle La décision «Corn Flower»121 est inspirée de l’arrêt américain Pagliero c. Wallace China Co.122 pour introduire le concept de fonctionnalité esthétique au Canada. Pourtant cet arrêt américain a fait l’objet de nombreuses critiques, à tel point que la jurisprudence actuelle de la même Cour d’appel fédérale s’est repentie et semble entièrement rejeter le test de fonctionnalité esthétique123. Les critiques de l’arrêt Pagliero ont fait remarquer que le test qu’il énonce, soit qu’un élément est esthétiquement fonctionnel lorsqu’il est un ingrédient important du succès commercial du produit124, est inapproprié puisque toute marque de commerce devient nécessairement un ingrédient important du succès commercial du produit au moment où ce succès se manifeste. On peut se demander alors quel mécanisme est employé par la Cour d’appel pour écarter du champ de protection certains aspects esthétiques à l’égard desquels l’octroi de droits de marque de commerce, en pratique perpétuels, serait inapproprié. On peut illustrer ce genre de situation par une affaire dans laquelle la demanderesse invoquait des droits de marques de commerce pour prétendre à un droit exclusif de mettre en marché une coutellerie comportant une ornementation baroque125. La Cour d’appel du deuxième circuit a écarté la protection du droit des marques de commerce sur la base de la fonctionnalité esthétique, mais non à l’aide du critère énoncé dans Pagliero, puisque la marque alléguée aurait eu pour effet d’exclure tout compétiteur sur le marché de la coutellerie baroque, un style historique qui, la preuve l’a démontré, constitue un marché en soi. Mais aurait-il été possible d’écarter cette protection sur un fondement autre qu’un test de fonctionnalité esthétique? Il aurait peutêtre été souhaitable de considérer que le style baroque en l’espèce ne fonctionne pas comme marque de commerce car ce style est le produit plutôt qu’un symbole permettant d’identifier son origine126. C’est donc adopter un test de fonctionnalité qui observe la situation de 121. 122. 123. 124. 125. 126. W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. c. Morawiec, précitée, note 115. 198 F.2d 339 (9th Cir., 1952). Clicks Billiards Inc. c. Sixshooters Inc., 58 U.S.P.Q. 2d 1881, 1885-1886 (9th Cir., 2001); voir également: Vuitton et Fils, S.A. c. J. Young Enters., 644 F.2d 769 (9th Cir., 1981); Fabrica Inc. c. El Dorado Corp., 697 F.2d 890 (9th Cir., 1983); voir: NOTE, «The Broad Sweep of Aesthetic Functionality: A Threat to Trademark Protection of Aesthetic Product Features», (1982) 51 Fordham L. Rev. 345. Pagliero c. Wallace China Co., 198 F.2d 339, 343 (9th Cir., 1952). Wallace International Silversmiths, Inc. c. Godinger Silver Art Co., 916 F.2d 76 (2d Cir., 1990). C est peut-être en dernière analyse ce type de raisonnement qu’a tenu la Cour d’appel du neuvième circuit sous le couvert d’une analyse de fonctionnalité: International Order of Job’s Daughters c. Lindeburgh & Co., 633 F.2d 912 (9th Cir., 1981). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 203 l’autre bout de la lorgnette, soit celui des fondements du droit des marques de commerce. On doit relever au passage que dans le cadre de ce type d’analyse une même œuvre artistique peut parfois fonctionner comme marque de commerce ou parfois faire partie du produit. L’industrie du vêtement, et plus particulièrement celle des t-shirts, a fourni de nombreux exemples de ce type de distinction et même des exemples qui visent des mots ou phrases courtes plutôt que des œuvres artistiques. La demande d’enregistrement de marque de commerce du slogan «BLACKER THE COLLEGE SWEETER THAN KNOWLEDGE» sous forme graphique consistant en lettrages gras remplissant presque tout l’avant d’un t-shirt a été refusée car l’examinateur a estimé qu’il ne fonctionnait pas comme marque de commerce dans ce contexte particulier, mais serait plutôt perçu comme un élément créant une thématique ornementale127. De manière générale, une œuvre artistique occupant un espace important sur l’avant ou l’arrière du vêtement court plus de risques de ne pas donner lieu à un usage en tant que marque de commerce en association avec des vêtements, tandis que le contraire est vrai si l’œuvre artistique est reproduite dans un format plus petit à un endroit où l’on trouve généralement la marque du fabriquant128. Un raisonnement similaire fut employé dans le cadre d’un recours en concurrence déloyale où la demanderesse tentait de faire valoir des droits de marque de commerce dans les mots «Cats Coming and Going» en association avec des t-shirts comportant à l’avant une représentations de chats vus de face et à l’arrière une représentation de chats vus de l’arrière. Le tribunal estima que les mots ne faisaient que décrire le dessin sur le t-shirt sans par ailleurs servir à désigner l’origine du vêtement129. Il faut cependant éviter d’appliquer avec trop d’enthousiasme ce genre d’approche puisque cela pourrait donner lieu à des résultats inéquitables. Prenons une affaire britannique où un tribunal a jugé que l’écusson d’une équipe de football était non pas une marque de commerce mais un symbole de soutien, de loyauté ou d’affiliation à la cause de l’équipe par les consommateurs de vêtements qui l’arboraient130. 127. 128. 129. 130. In re Pro-Line Corp., 28 U.S.P.Q. 2d 1141, 1142 (T.T.A.B., 1993); on voit un raisonnement similaire dans l’affaire canadienne suivante portant sur un avis sous l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce: Riches, McKenzie & Herbert c. Source Telecomputing Corp., (1992) 46 C.P.R. (3d) 563 (Reg. T.M., 1992). Voir, par exemple: REEF Trade Mark, [2002] R.P.C. 387, 395 (Ch. Div., j. Pumfrey). Grupke c. Linda Lori Sportswear Inc., 40 U.S.P.Q. 2d 1088, 1094-1095 (E.D.N.Y., 1996). Arsenal Football Club Plc c. Reed, [2001] R.P.C. 922, 939-940 (Ch. Div., j. Laddie); comparer à l’arrêt américain suivant: Boston Professional Hockey Ass’n, Inc. c. Dallas Cap & Emblem Mfg., Inc., 510 F.2d 1004 (5th Cir., 1975). 204 Les Cahiers de propriété intellectuelle Il n’en demeure pas moins que plusieurs cours d’appel américaines continuent d’employer le test de fonctionnalité esthétique sous une forme assouplie. Cela étant dit, plusieurs arrêts semblent indiquer que le fait qu’un symbole joue un rôle esthétique n’exclut pas qu’il puisse par ailleurs fonctionner aussi comme marque de commerce131. L’application du test de fonctionnalité semble donc, dans ce contexte, n’exclure de la sphère du droit des marques de commerce que les symboles dont la seule fonction est esthétique. Quant à la formulation précise et appropriée du test de fonctionnalité, un auteur relève une grande variété de formules avec chacune des conséquences différentes de sorte que ce terrain prend des allures de sables mouvants132. 5. Le conflit de titularité des deux régimes: le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre peut-il empêcher l’enregistrement de son œuvre à titre de marque de commerce? Une question se pose avec acuité dans le cas des œuvres visuelles, du fait qu’elles sont généralement protégées par le droit d’auteur mais peuvent potentiellement faire l’objet de droits de marque de commerce: le titulaire des droits d’auteur est-il en mesure de s’opposer à la demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui incorpore l’œuvre133 ou encore peut-il, à défaut, intenter une action devant la Cour fédérale du Canada pour faire radier l’enregistrement134? Dans le cadre d’une procédure d’opposition, plusieurs moyens s’offrent au titulaire de droits d’auteur. Il peut soutenir que le requérant a faussement déclaré être convaincu qu’il avait le droit d’employer la marque au Canada puisque qu’il n’a pas obtenu une licence permettant les gestes liés à cet emploi135. Il peut également invoquer que la marque n’est pas enregistrable puisqu’elle est scandaleuse ou immorale ou suggère faussement un lien avec une personne vivante parce qu’elle incorpore sans droit une œuvre protégée136. Enfin, il pourrait se plaindre du fait que la marque ne peut 131. 132. 133. 134. 135. 136. Voir, par exemple: WSM, Inc. c. Tennessee Sales Company, 709 F.2d 1084, 1087 (6th Cir., 1087); Esercizio Fabriche Automobile E Corse c. Roberts, 944 F.2d 1235, 1247 (6th Cir., 1991); Ford Motor Co. c. Lloyd Design Corp., 62 U.S.P.Q. 2d 1109, 1116-1117 (E.D. Mich., 2002). Mitchell M. WONG, «Note. The Aesthetic Functionality Doctrine and the Law of Trade-Dress Protection», (1998) 83 Cornell L. Rev. 1116. Loi sur les marques de commerce, art. 38. Ibid., art. 57. Ibid., al. 38(2)(a) et art. 30(i). Ibid., al. 38(2)(b) et art. 9(1)(j) et (k). Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 205 être distinctive au bénéfice de la requérante puisqu’elle est irrémédiablement liée au titulaire des droits d’auteur137. Les décisions rendues jusqu’à présent laissent entrevoir que chacun de ces moyens ne bénéficie pas également de force de persuasion. Avant d’attaquer la description des forces et faiblesses de chacun de ces moyens, examinons tout d’abord l’expérience des tribunaux anglais qui ont eu tôt fait de trancher ces questions. Dans une première décision il était question d’une demande d’enregistrement d’une marque formée des mots KARO STEP et d’un dessin138. La demande d’enregistrement en cause avait été déposée au RoyaumeUni par un distributeur anglais d’articles de literie, au grand dam des membres de l’association des producteurs allemands de ces articles. En plus d’être titulaire de la marque correspondante en Allemagne, l’association de producteurs était titulaire des droits d’auteur sur le dessin. Elle soulevait l’article 11 du Trade Marks Act 1938 britannique en vigueur à l’époque qui disposait que l’usage de la marque ne doit pas être contraire à la loi. On relève dans les faits de cette cause que la requérante anglaise disposait d’une licence lui permettant d’apposer la marque KARO STEP & DESSIN en liaison avec la vente d’articles de literie, pour autant qu’il s’agissait d’articles produits par les membres de l’association allemande139. Le juge estima que le fait qu’il était possible que la requérante puisse apposer le dessin sur des articles produits par des tiers dans le cadre de cet usage, donc hors du champ de la licence et dans l’illégalité, justifiait le rejet de la demande d’enregistrement de la requérante anglaise140. Quelques années plus tard, un juge anglais devait traiter d’une opposition formulée par la compagnie sans but lucratif organisant la célèbre soirée des Oscars à l’encontre d’une demande d’enregistrement comportant la représentation de la forme de la statuette remise aux gagnants des prix141. Le juge adopta le raisonnement de l’affaire KARO STEP et conclut à l’invalidité de la demande d’enregistrement, d’autant plus que la requérante anglaise n’était titulaire d’aucune forme de licence lui permettant de reproduire la statuette. Mais le juge adopta également un motif soulevé en obiter dans la 137. 138. 139. 140. 141. Ibid., al. 38(2)(c). KARO STEP Trade Mark, [1977] R.P.C. 255, 273-274 (Ch. Div., j. Whitford). Ibid., 269-270. Ibid., 273. OSCAR Trade Mark, [1980] F.S.R. 429 (Ch. Div., j. Graham). 206 Les Cahiers de propriété intellectuelle décision KARO STEP142: la requérante ne pouvait alléguer qu’elle était propriétaire de la marque conformément aux exigences de la loi britannique, puisqu’elle n’avait pas le droit absolu d’employer la marque en raison du droit d’auteur appartenant à un tiers. Le juge de l’affaire KARO STEP avait poussé le raisonnement plus loin en posant que seul le titulaire des droits d’auteur dans le dessin pouvait être propriétaire de la marque de commerce, ce que le juge de l’affaire OSCAR approuva d’emblée143. Plusieurs autres pays possèdent des dispositions dans leur loi sur les marques de commerce faisant de l’illégalité de la marque un motif d’opposition et il est généralement fait référence à ces deux décisions britanniques pour les interpréter144. L’approche dans ces décisions issues de juridictions de common law est en harmonie avec l’approche des tribunaux français, qui établissent qu’une œuvre protégée par le droit d’auteur qui est la propriété d’un tiers est tout simplement indisponible à titre de marque de commerce145. Les tribunaux français ne poussent cependant pas le raisonnement à son extrême limite, à savoir que seul le titulaire des droits d’auteur peut valablement être titulaire de la marque de commerce correspondante; on admet que des droits de marques de commerce peuvent être valablement obtenus par une personne bénéficiant d’une autorisation du titulaire des droits d’auteur146. Ayant fait ce bref survol de la situation à l’étranger, nous pouvons maintenant passer en revue la force de persuasion des moyens cités plus haut. On remarque immédiatement, en relisant ceux-ci, que la loi canadienne ne mentionne aucunement qu’une demande d’enregistrement est invalide si l’usage de la marque de commerce est illégal. Le motif législatif au soutien d’une éventuelle indisponibilité à titre de marque de commerce doit donc être trouvé ailleurs. 142. 143. 144. 145. 146. KARO STEP Trade Mark, précitée, note 138, 273-274. OSCAR Trade Mark, précitée, note 141, 442; Depuis ces décisions la législation britannique sur les marques de commerce a fait l’objet d’une réforme et le paragraphe 47(2) du Trade Marks Act 1994 mentionne explicitement qu’une marque de commerce ne peut être enregistrée si son usage pouvait être interdit par un droit antérieur autre que de marque de commerce dont, nommément, un droit d’auteur ou un dessin industriel. Voir, pour ne citer qu’un exemple: R. CLARK, S. SMYTH, op. cit., note 39, p. 557. Voir: Joanna SCHMIDT-SZALEWSKI, Droit de la propriété industrielle, 2e éd. (Paris, Litec, 2001), p. 201; Paul MATHELY, Le droit francais des signes distinctifs (Paris, Librairie du journal des notaires, 1984), p. 194. Ibid., p. 195-196. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 207 Le premier moyen est de soutenir que le contenu de la demande d’enregistrement de marque de commerce ne répond pas aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce. Cet article décrit tous les éléments qui doivent apparaître dans la demande du requérant, comme par exemple la description dans les termes ordinaires du commerce des marchandises et services visés. Un des énoncés requis est de portée très générale, soit que le requérant est convaincu qu’il a le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande147. Plusieurs décisions canadiennes ont tranché qu’un reproche fondé sur la fausseté de la déclaration n’est valable que si l’opposante peut invoquer une autre disposition de la Loi sur les marques de commerce qui lui donne priorité, par exemple si l’opposante a employé la marque de commerce au Canada antérieurement148. Nous croyons cependant que ces décisions lues dans leur contexte n’excluent pas de faire intervenir un motif extérieur à la Loi sur les marques de commerce, puisque la question ne se posait pas en ces termes. En effet, dans ces décisions, l’opposante tentait plutôt de contourner la faiblesse de sa cause en droit des marques de commerce en invoquant ce vice de forme général sans le soutenir par une disposition substantive de quelque nature que ce soit. La Commission des oppositions canadienne a eu l’occasion à deux reprises de mettre en œuvre ce moyen. Dans une première affaire, le fabriquant de cognacs Rémy Martin s’est opposé à l’enregistrement d’une marque dessin comportant une représentation stylisée d’un centaure149. Cette société amena en preuve l’identité de l’artiste ayant créé la sculpture de laquelle avait été dérivé le dessin, une copie certifiée d’un acte de cession de droits d’auteur en sa faveur et, enfin, une preuve que ce dessin avait été disséminé au Canada sur des étiquettes. Nous présumons que ce dernier élément était présenté dans le but de montrer que la requérante avait eu accès à l’œuvre. La Commission des oppositions se dit convaincue qu’une démonstration prima facie de contrefaçon de droit d’auteur a été accomplie. En l’absence de preuve de la part de la requérante d’éléments contraires, par exemple une preuve de création indépendante, elle rejeta la demande d’enregistrement de marque de com147. 148. 149. Loi sur les marques de commerce, art. 30(i). Voir: Optagest Canada Inc. c. Services Optométriques Inc. (S.O.I.) inc., (1991) 37 C.P.R. (3d) 28 (C.F.P.I., j. Joyal); voir aussi: K. GILL, S. JOLIFFE, op. cit., note 65, p. 58-5 – 5-86. E. Remy Martin & Co. S.A. c. Magnet Trading Corporation (HK) Ltd., (1988) 23 C.P.R. (3d) 242 (Comm. Opp., D.J. Martin). 208 Les Cahiers de propriété intellectuelle merce du fait que la requérante ne pouvait s’assurer qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada. Dans une seconde affaire150, toujours devant la Commission des oppositions, la titulaire de droits d’auteur ne connut aucun succès. La Commission reprocha à la titulaire des droits d’auteur qui était opposante de n’avoir allégué d’aucune façon que la requérante avait eu connaissance de l’existence de son droit d’auteur151. La décision est peu explicite sur le fondement précis de ce reproche, mais on peut en envisager deux, soit d’une part, qu’une preuve prima facie de contrefaçon doit nécessairement comprendre des éléments pouvant démontrer que la requérante a eu accès à l’œuvre, ou encore que sans cette preuve la requérante satisfera aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce puisque sa déclaration aura été faite de bonne foi, dans l’ignorance d’éventuels droits de l’opposante. Le concept de bonne foi ou de mauvaise foi dans le cadre de cette déclaration a été déjà été introduit dans l’affaire Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co.152. La bonne foi de la requérante pourrait potentiellement prendre plusieurs formes, comme par exemple le fait qu’elle croyait que l’œuvre était dans le domaine public ou qu’elle croyait bénéficier d’une licence suffisante de la part du propriétaire. Nous entretenons certains doutes sur l’effet d’un enregistrement de droit d’auteur sur la preuve de bonne foi. L’ancienne rédaction de l’article 39 de la Loi sur le droit d’auteur prévoyait explicitement qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une œuvre fait l’objet d’un droit d’auteur si celle-ci est enregistrée. La nouvelle rédaction de l’article 39, plus spécifiquement le paragraphe (2) de cet article, est plus succincte153 et risque de ne pas s’étendre à la question de la bonne foi au regard de la Loi sur les marques de commerce. Toujours est-il que la Loi sur les marques de commerce exige que la déclaration de la requérante indique qu’elle est «convaincue» qu’elle a le droit d’employer la marque de commerce; nous estimons que ceci laisse entendre à tout le moins que la requérante doit avoir fait certaines démarches raisonnables au préalable pour s’assurer de son droit d’employer un dessin. 150. 151. 152. 153. Interactiv Design Pty Ltd. c. Grafton-Fraser Inc., (1998) 87 C.P.R. (3d) 537 (Comm. Opp., J.W. Bradbury). Ibid., 541. (1974) 15 C.P.R. (2d) 152 (Reg. T.M., N.M. Thurm). Loi sur le droit d’auteur, art. 39(2): «Le paragraphe (1) ne s’applique pas si, à la date de la violation, le droit d’auteur était dûment enregistré sous le régime de la présente loi.» Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 209 Le second motif de rejet de l’opposition par l’officier de la Commission des oppositions est plus explicite. Même si un allégué selon lequel la requérante avait connaissance du droit d’auteur avait été fait, il estime que la requérante aurait pu, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement, être convaincue de pouvoir employer la marque de commerce puisqu’elle pouvait soulever certaines défenses valables à un allégué de contrefaçon. En effet, l’opposante soulevait l’existence d’un droit d’auteur dans les mots «EARTH CREW» alors que la protection du droit d’auteur de deux mots est discutable et, enfin, que la preuve de chaîne de titres en droit d’auteur paraissait incomplète154. La requérante a soulevé une question additionnelle fort pertinente qui a trait indirectement à la portée de la déclaration requise. En effet, la requérante soulevait que la Commission des oppositions n’avait pas juridiction pour traiter d’une question de contrefaçon de droit d’auteur, cette compétence étant dévolue aux tribunaux. Ceci pourrait également être formulé de la manière suivante: la déclaration requise par l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce ne porte que sur le droit d’employer un mot ou symbole en vertu du droit des marques de commerce et ne fait référence à aucun autre droit. En réponse à cet argument, la Commission des oppositions estime qu’elle a juridiction et donc, par extension, que la déclaration de la requérante requise par l’article 30 vise l’usage des mots au regard de toute réglementation contraire qui s’appliquerait au Canada. L’officier trouve réconfort dans le fait que dans plusieurs autres affaires, la Commission des oppositions a adopté la même position en examinant la conformité de la marque de commerce à d’autres textes législatifs155. À notre connaissance aucune décision de la Cour fédérale du Canada n’est venue confirmer ou infirmer cette interprétation. En terminant notre discussion de ce premier moyen, nous nous devons de soulever que, même dans le cadre d’une demande d’enregistrement d’une marque dessin ou tridimensionnelle, la re154. 155. Interactiv Design Pty Ltd. c. Grafton-Fraser Inc., précitée, note 150, p. 542; voir également cette décision anglaise où une opposition échoua en raison de difficultés similaires: ANNE FRANK Trade Mark, [1998] R.P.C. 379 (T.M. Reg., Mr. M. Reynolds). Voir: Canada Post c. Metromail Corp., (1997) 84 C.P.R. (3d) 511 (Comm. Opp., C.R. Vandenakker); Institut national des appellations d’origine c. Brick Brewing Co., (1995) 66 C.P.R. (3d) 351 (Comm. Opp., D.J. Martin); voir également: Co-operative Union of Canada c. Tele-Direct (Publications) Inc., (1991) 38 C.P.R. (3d) 263 (Comm. Opp., G.W. Partington); Canadian Bankers Association c. Richmond Savings Credit Union, (2000) 8 C.P.R. (4th) 267 (Comm. Opp., G.W. Partington). 210 Les Cahiers de propriété intellectuelle quérante se dit propriétaire des droits d’auteur ou possède une licence des droits économiques, il est possible qu’elle ne puisse pas se déclarer convaincue d’avoir le droit d’employer la marque de commerce au Canada vu l’intervention du droit moral. En effet, le droit à l’intégrité de l’œuvre conféré par la Loi sur le droit d’auteur est violé s’il y a emploi d’une œuvre en liaison avec un produit, un service, une cause ou une institution et que cet emploi est de nature à porter atteinte à la réputation de l’auteur156. Bien sûr, cette problématique est évitée si le titulaire des droits économiques aura pris soin d’obtenir de l’auteur une renonciation à son droit moral tel que le permet la Loi sur le droit d’auteur. Le second moyen que nous examinerons dans le cadre d’une opposition à une demande d’enregistrement de marque de commerce est que la marque incorporant sans droit une œuvre protégée par le droit d’auteur est une marque interdite au sens de l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce. Cet article énonce une longue liste de symboles qui ne peuvent être employés à titre de marque de commerce, comme par exemple, l’emblème de la Croix-Rouge ou les drapeaux des pays membres de l’Union de Paris. Parmi cette liste on trouve certains énoncés de portée plus générale qui peuvent être pertinents au contexte qui nous intéresse, soit, d’une part, tout dessin ou mot scandaleux, obscène ou immoral157 et, d’autre part, toute matière qui peut faussement suggérer un rapport avec un particulier vivant158. Voyons en premier lieu le caractère «scandaleux, obscène ou immoral», en nous concentrant plutôt sur les mots «scandaleux» et «immoral». Le fondement du caractère scandaleux d’une marque se retrouve dans plusieurs législations étrangères, notamment en droit américain et en droit britannique. En droit britannique, la disposition comparable comprend également le fondement du caractère illégal de la marque de commerce, ce qui a donné lieu aux deux décisions étudiées plus tôt dans cette section159. L’application principale de cette interdiction a porté sur les marques à connotation sexuelle, 156. 157. 158. 159. Loi sur le droit d’auteur, par. 28.2(1); voir: Ysolde GENDREAU, «Moral Rights», dans Gordon F. HENDERSON (éd.), Copyright and Confidential Information Law of Canada (Toronto, Carswell, 1994), p. 161, aux p. 177-178; Laurent CARRIÈRE, «Droit d’auteur et droit moral: quelques réflexions préliminaires» dans BARREAU DU QUÉBEC, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (1991) (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991), p. 243, aux p. 268 et s. Loi sur les marques de commerce, par. 9(1)j). Ibid., art. 9(1)k). KARO STEP Trade Mark, précitée, note 138, p. 273-274; OSCAR Trade Mark, précitée, note 141. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 211 mais il nous apparaît réducteur de limiter sa portée exclusivement à ce contexte. Par définition, quelque chose qui est scandaleux est une matière ou un geste immoral qui suscite l’indignation. Il est plausible qu’une variété de gestes puissent violer les principes de la morale contemporaine sans avoir de connotation sexuelle ou vulgaire. Au même titre, il est concevable que l’appropriation d’une œuvre protégée par le droit d’auteur aux fins d’usage comme marque de commerce puisse être contraire à la morale. Une première question qui se pose est de déterminer si le geste doit porter atteinte à la morale de la majorité de la population ou si un groupe plus restreint suffit. La position du droit américain sur cette question est qu’elle ne doit pas être nécessairement déterminée du point de vue de la majorité; il suffit de démontrer que les principes moraux d’un segment substantiel du grand public seraient atteints160. Par ailleurs, ce droit prévoit également que le caractère scandaleux ou immoral doit être apprécié en ayant à l’esprit les produits et services spécifiquement visés par la demande d’enregistrement161. Ce moyen n’a pas encore, à notre connaissance, été soulevé au Canada dans un contexte de contrefaçon de droit d’auteur. Il nous apparaît que la nature immorale ou morale de la contrefaçon pourrait sans doute varier, mais pas nécessairement en décroissant plus le produit ou le service visé s’éloigne des industries culturelles. Le défi de ce moyen est de démontrer de manière objective l’atteinte aux principes moraux d’un segment substantiel de la population, puisque la morale personnelle de l’auteur, du titulaire des droits d’auteur ou même de l’officier de la Commission des oppositions ne sont pas directement pertinentes. La même approche pourrait vraisemblablement s’appliquer à la contrefaçon qui suggère faussement un lien avec une personne vivante, c’est-à-dire une approche objective fondée sur la perception d’une portion substantielle du public. Cette interdiction peut compléter la protection accordée par le droit à l’intégrité en droit d’auteur, puisqu’en effet ce droit est restreint par la nécessité de démontrer que l’emploi en association avec des produits et services porte atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. Dans la mesure où à la fois l’auteur et son œuvre bénéficient d’une reconnaissance publique suffisante, on pourrait envisager que la reproduction 160. 161. In re Riverbank Canning Co., 95 F.2d 327, 329 (C.C.P.A., 1938); voir également: Kimberley A. PACE, «The Washington Redskins Case and the Doctrine of Disparagement: How Politically Correct Must a Trademark Be?», (1996) I.P.L.R. 157, 174-178. Voir: In re Mavety Media Group Ltd., 33 F.3d 1367, 31 U.S.P.Q. 2d 1923 (Fed. Cir. 1994). 212 Les Cahiers de propriété intellectuelle de l’œuvre soit suffisante pour que le public pense que l’auteur est associé à la mise en marché des produits, à tout le moins en l’ayant autorisée. La pratique américaine en marques de commerce semble avoir pris une tangente différente. En effet, certaines décisions administratives de niveau équivalent à celui de la Commission des oppositions du Bureau canadien des marques de commerce interprètent cette interdiction comme ne s’appliquant que lorsque la marque est similaire au nom ou à l’identité de l’opposante162. Il nous apparaît que ce critère restreint indûment la portée de l’interdiction. Une autre balise issue du droit américain nous semble plus appropriée, à savoir que le public pertinent qui doit pouvoir être induit en erreur quant au lien entre l’auteur et le produit ou service soit restreint aux consommateurs potentiels des produits et services visés par la demande d’enregistrement de la marque sous étude et non le grand public. Passons maintenant à notre troisième, mais pas tout à fait dernier, moyen. Il s’agit de soulever que la marque de commerce n’est pas distinctive au sens du paragraphe 30(2) de la Loi sur les marques de commerce parce que l’œuvre reproduite dans la demande d’enregistrement est liée au titulaire des droits d’auteur. Le caractère distinctif est une caractéristique fondamentale des marques de commerce puisque son objet est de permettre de départager les produits ou services provenant d’une source ou sous le contrôle d’une source de ceux provenant de tiers163. Dans la mesure où une marque de commerce est déjà liée à un commerçant, elle ne peut vraisemblablement pas être distinctive à l’égard d’un nouvel arrivant. Dans l’affaire Interactiv Design Pty Ltd. c. Grafton-Fraser Inc.164, dont nous avons discuté plus tôt dans cette section, ce moyen fut mis de l’avant par l’opposante qui alléguait être titulaire des droits d’auteur dans l’«œuvre» EARTH CREW. Ce moyen ne fit pas très bonne figure. La Commission des oppositions nota qu’aucune preuve n’avait été apportée par l’opposante de l’usage au Canada de l’œuvre protégée par le droit d’auteur165. Comme le caractère distinctif s’apprécie en fonction des gestes faits au sein du marché pertinent, la Commission rejeta le moyen de l’opposante puisque dans ce contexte, le marché pertinent n’avait eu aucune possibilité d’associer les mots EARTH CREW à l’opposante. 162. 163. 164. 165. In re Sauer, 27 U.S.P.Q. 2d 1073 (T.T.A.B., 1993); Buffett c. Chi-Chi’s, Inc., 226 USPQ 428 (T.T.A.B., 1985). Loi sur les marques de commerce, art. 2, «distinctive». Précitée, note 150. Ibid., p. 540-541. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 213 Ceci nous amène à nous questionner sur le résultat probable d’une opposition au cours de laquelle une preuve de l’étendue de l’utilisation d’une œuvre protégée sur le marché canadien serait apportée. Deux approches sont possibles: une première voudrait que le titulaire des droits d’auteur dans l’œuvre allègue que la dissémination de l’œuvre visuelle au Canada a donné naissance à des droits de marques de commerce antérieurs à son bénéfice, tandis qu’une seconde approche consiste à soutenir que personne hormis le titulaire des droits d’auteur ne peut bénéficier de droits de marques de commerce en liaison avec l’œuvre. Contrairement à ce qu’il pourrait paraître à première vue, les deux approches sont intimement liées. Dans les deux cas la question à trancher est de savoir si l’œuvre est susceptible de servir aux fins de distinguer les produits et services d’une personne de ceux d’un tiers. En effet, si l’œuvre protégée par le droit d’auteur forme une partie significative du produit ou du service, elle ne peut agir à titre de marque de commerce puisqu’elle devient l’objet de la transaction avec le consommateur plutôt qu’un symbole servant à faciliter le choix entre des produits d’origines différentes. La ligne de démarcation est parfois difficile à tracer. Ce qui est proprement une marque de commerce peut prendre une importance surprenante en raison du fait que le consommateur peut souhaiter intégrer l’image de marque comme une extension ou une expression de sa personnalité, en plus du rôle que la marque joue pour indiquer l’origine ou le contrôle de qualité du produit ou du service. C’est du rôle de la marque de commerce que découle probablement le test de fonctionnalité esthétique dont nous avons discuté plus tôt dans le cadre de cet article. Les mêmes considérations s’appliquent. Deux décisions britanniques récentes illustrent la mise en œuvre de ce type de distinction dans le contexte de la protection des personnalités connues. Dans l’arrêt ELVIS PRESLEY Trade Marks166, la Cour d’appel britannique tranchait que les mots ELVIS et ELVIS PRESLEY ne pouvaient agir à titre de marques de commerce; ce que les consommateurs achetaient en l’occurrence était la commémoration de la personnalité et de la carrière d’Elvis Presley plutôt que l’objet sur lequel apparaissaient ces mots167. Dans la décision JANE AUSTEN Trade Mark168, la Cour confirma que les mots JANE AUSTEN, nom de la célèbre romancière anglaise, ne pouvaient être distinctifs à l’égard des produits de parfumerie de la requérante car le public associera ces mots à une référence à la 166. 167. 168. [1999] R.P.C. 567 (C.A.). Ibid., p. 585. [2000] R.P.C. 879 (Reg. T.M., M. Reynolds). 214 Les Cahiers de propriété intellectuelle nature et au sujet auquel le bien réfère, soit la commémoration de l’œuvre littéraire de la romancière169. Il avait été mis en preuve un usage de JANE AUSTEN en association avec des souvenirs ou des événements commémoratifs. Il est utile de noter au passage que le droit des marques de commerce britannique est traditionnellement assez hostile au phénomène des produits dérivés d’œuvres protégées comme des films et des séries animées ou télévisées et un raisonnement aussi extrême n’est peut-être pas directement transposable au Canada170. Notre dernier moyen, pour amateurs avertis seulement171, consiste à mettre en œuvre les dispositions de l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur qui prévoit que le titulaire des droits d’auteur peut prendre possession de tout exemplaire contrefait de l’œuvre. La demande d’enregistrement, le registre des marques de commerce, de même que le certificat d’enregistrement reproduisent tous sans droit une œuvre protégée et constituent donc des exemplaires contrefaits qui pourraient être saisis par le titulaire du droit d’auteur «comme s’il en était propriétaire». En plus, comme l’Office de propriété intellectuelle du Canada est situé au Québec, la procédure de saisie avant jugement prévue par le Code de procédure civile du Québec pourrait être entreprise. Évidemment, c’est une chose de ‘prendre possession’ des documents contrefaisant le droit d’auteur et une autre de déterminer quel pourrait être l’effet d’une telle prise de possession dans la sphère des droits incorporels. En d’autres termes, est-ce qu’une prise de possession a l’effet d’annuler la demande d’enregistrement de marque de commerce ou, mieux encore, cela permettrait-il au titulaire des droits d’auteur de se faire attribuer la titularité de la demande d’enregistrement de marque de commerce? Au soutien d’une telle position soulignons que la Cour fédérale du Canada a, d’une part, juridiction sous le paragraphe 38(2) de la Loi sur le droit d’auteur de rendre toute ordonnance qu’elle estime appropriée dans les circonstances et, d’autre part, juridiction sous l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce d’ordonner qu’une inscription au registre soit biffée ou modifiée parce qu’elle n’exprime ou ne définit 169. 170. 171. Ibid., 888. On peut se référer à cet égard à la description faite par Lord Justice Walker dans le cadre de sa discussion du caractère distinctif des marques ELVIS et ELVIS PRESLEY: ELVIS PRESLEY Trade Mark, [1999] R.P.C. 567, 580-584; comparer à un arrêt américain portant sur un sujet similaire: Elvis Presley Enterprises Inc. c. Capece, 46 U.S.P.Q. 2d 1737 (5th Cir., 1998). On retiendra à cet égard que le juge Binnie de la Cour suprême ne compte pas parmi le nombre de ces amateurs, voir ses motifs dans l’arrêt suivant: Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34. Chevauchement de droits en propriété intellectuelle 215 pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce. La jurisprudence a interprété cette dernière juridiction de la Cour fédérale du Canada comme ne s’appliquant qu’à l’enregistrement d’une marque de commerce plutôt qu’à une simple demande d’enregistrement, ce qui limite d’autant l’application potentielle de ce dernier moyen en le décalant dans le temps. Nous devons conclure que la rédaction même des deux lois pertinentes peut donner ouverture à un recours devant la Cour fédérale, à tout le moins pour faire radier l’enregistrement. Une simple saisie avant jugement ou une prise de possession ordonnée par un tribunal autre que la Cour fédérale du Canada ne nous apparaît pas donner ouverture à la radiation d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement de la marque de commerce concernée. Les droits de marque de commerce s’acquièrent au Canada à la fois par l’usage et par l’enregistrement, mais nous n’avons exploré jusqu’ici que la contestation d’une demande d’enregistrement de marque de commerce. À cet effet, nous nous contenterons de référer au fait qu’une action en passing off de common law ne permet pas de faire intervenir les tribunaux pour interdire l’usage d’une marque de commerce illégale172. Nous n’avons cependant pas pu retracer de décision qui a refusé de protéger un achalandage acquis illégalement à l’aide d’une contrefaçon de droit d’auteur. Le dernier point que nous souhaitons soulever est la portée de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce, qui prévoit que le propriétaire d’un enregistrement de marque de commerce se voit conférer le droit exclusif d’employer la marque dans tout le Canada en ce qui concerne les produits ou services visés. Est-ce que cette disposition peut servir de bouclier pour protéger le titulaire de l’enregistrement contre une action en contrefaçon de la part du titulaire du droit d’auteur? La question se pose particulièrement à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Molson Canada c. Oland Breweries Ltd.173 qui postule qu’un enregistrement de marque de commerce est une défense complète à l’encontre d’une réclamation fondée sur une marque non enregistrée bénéficiant d’une priorité d’usage si cet enregistrement n’est pas contesté avec succès dans le cadre des mêmes procédures ou des procédures parallèles et contemporaines. Peut-on transposer cette règle dans le cadre 172. 173. C. WADLOW, op. cit., note 103, p. 471. (2002-05-27) ONCA C35893. 216 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’un conflit entre le titulaire des droits d’auteur et le propriétaire d’une marque de commerce enregistrée qui incorpore l’œuvre? On peut arguer que si le titulaire du droit d’auteur a la faculté de s’opposer à l’enregistrement d’une marque de commerce, le corollaire devrait être que s’il ne s’est pas opposé, l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce l’empêchera d’invoquer la contrefaçon à moins de contester avec succès l’enregistrement. Si une telle approche est adoptée cependant, la protection conférée au titulaire de l’enregistrement de marque de commerce se limitera à l’usage de l’œuvre uniquement en tant que marque de commerce selon les définitions restrictives découlant de la Loi sur les marques de commerce. On peut également soutenir que l’objet de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est d’assurer une sécurité juridique uniquement vis-à-vis des tiers souhaitant revendiquer des droits de marque de commerce, et non d’écarter tout motif de reproche à l’égard de l’usage de la marque de commerce. Par exemple, on conçoit aisément qu’un enregistrement de marque de commerce ne sera pas une défense valable à l’encontre d’une accusation de publicité trompeuse résultant de l’usage de la marque de commerce. 6. Conclusion La frontière entre le droit d’auteur et le droit des marques de commerce semble parsemée de controverses, particulièrement lorsque l’on compare la législation de pays voisins. Plusieurs contentieux le long de cette frontière peuvent se résoudre en ayant recours à la nature intrinsèque de chacun des régimes, mais il n’est pas exclu que dans certains cas les démarcations entre les deux régimes pourront nécessiter un arbitrage plus direct. L’étude des recours possibles du titulaire des droits d’auteur à l’encontre d’une marque de commerce qui porte atteinte à ses droits illustre encore une fois la complexité des interactions notamment en raison du nombre limité de liens tissés entre les textes des lois du droit d’auteur et du droit des marques de commerce et, à ce titre, si l’on compare la rédaction de la Loi sur les marques de commerce au Canada aux législations étrangères, on constate que cette interaction est mieux encadrée ailleurs qu’au Canada. Vol. 15, no 1 L’affaire Théberge Daniel Gervais* 1. Première partie: analyse de la décision . . . . . . . . . . . 219 1.1 Un bref rappel des faits . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 1.2 Résumé des procédures . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 1.3 Les lignes de force de la décision majoritaire . . . . . 221 1.3.1 Conflit entre deux droits: titulaire du droit d’auteur c. propriétaire d’un exemplaire . . . . 221 1.3.2 Y a-t-il eu production ou reproduction? . . . . . 223 1.3.3 Conflit common law-droit civil et les origines du droit d’auteur au Canada . . . . . . . . . . 227 1.3.4 Caractère «exceptionnel» d’une saisie sans autorisation judiciaire . . . . . . . . . . . . . . 229 1.4 Quelques points de détail intéressants. . . . . . . . . 231 1.4.1 Autres œuvres «transférées» sur d’autres supports. . . . . . . . . . . . . . . . . 231 © Daniel Gervais, 2002. * Professeur agrégé, Faculté de droit (section de common law), Université d’Ottawa. Texte présenté le 7 mai 2002 à Montréal à l’invitation de l’Association littéraire et artistique internationale (ALAI Canada). 217 218 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.4.2 Fixation (par. 25) . . . . . . . . . . . . . . . . 231 1.4.3 Droit moral c. droits économiques . . . . . . . 232 1.4.4 Introduction de la notion d’œuvre dérivée . . . 232 2. Deuxième partie: conséquences et impact de la décision . . 232 2.1 Impact à court terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 2.2 Impact à plus long terme . . . . . . . . . . . . . . . . 234 2.3 Le lien avec l’affaire du Barreau du Haut-Canada . . 236 La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Galeries d’art du Petit Champlain inc. c. Théberge1 est considérée par certains comme un désastre pour les auteurs et créateurs canadiens. D’autres y voient un nécessaire rééquilibrage entre les droits des auteurs et ceux des utilisateurs de leurs œuvres. Ce qui est certain, c’est que cette décision marque un point tournant dans l’histoire du droit d’auteur au Canada. Pour analyser cette décision, nous procéderons en deux temps. Après un bref rappel des faits, nous tracerons dans une première partie les lignes de force de la décision, soit en premier lieu le rapport entre auteur et utilisateurs, en deuxième lieu la question de savoir si un entoilage réalisé à partir d’une affiche papier («poster») constitue un acte nécessitant une autorisation de l’auteur et, enfin, le conflit entre la common law et le droit civil et son rôle dans l’interprétation de la notion de reproduction. Nous terminerons cette première partie par un coup d’œil sur quelques détails intrigants de la décision. Dans une seconde partie, nous étudierons l’impact de la décision à court puis à plus long terme, et en particulier son lien avec d’autres décisions que la haute Cour pourrait être amenée à rendre au cours des prochains mois. 1. Première partie: analyse de la décision 1.1 Un bref rappel des faits Le peintre Claude Théberge autorisa la reproduction, par un tiers appelé EGI, de son œuvre intitulée Célébration sur divers produits de papeterie, en particulier des reproductions 50x60 cm, des cartes et une liste d’autres produits de même nature. Les Galeries d’art appelantes achetèrent de ce tiers des affiches et photolithographies qu’elles entoilèrent par un processus qui consiste à retirer l’encre des affiches. Sans entrer dans les détails du procédé d’entoilage, il faut comprendre qu’il ne permet pas la multiplication des 1. 2002 CSC 34 (QL) 28.03.2002. 219 220 Les Cahiers de propriété intellectuelle exemplaires. En d’autres termes, à partir d’une affiche, on ne peut produire qu’un seul entoilage. Il n’y avait aucune restriction contractuelle entre le peintre intimé et EGI quant à l’utilisation des affiches. Une des raisons qui motivèrent probablement l’appelante à produire ces entoilages est que lesdits entoilages ont une valeur commerciale nettement plus élevée que les affiches imprimées. L’intimé ne fut évidemment payé qu’en fonction de la valeur des affiches et non des entoilages. Il faut aussi ajouter que l’artiste a vu son marché des entoilages considérablement réduit pour cette œuvre, sans pour autant qu’il ait profité de la valeur élevée des entoilages. On notera donc dès le départ que si le but de la branche patrimoniale du droit d’auteur, que la haute Cour appelle les «droits économiques», est de permettre au titulaire du droit d’auteur de contrôler les principales formes d’utilisation de son œuvre, cela ne fut pas le cas ici. La lecture des faits amène un premier commentaire: une personne qui passe un contrat avec un peintre ou autre créateur des arts visuels qui lui permet de produire des affiches et des entoilages a tout intérêt à ne produire que des affiches, payer 10 %, 12 % ou 15 % sur la valeur des affiches papier et ensuite produire elle-même des entoilages qu’elle vendra 100 $ ou plus et sur lesquels elle devrait autrement payer des redevances se situant entre 10 $ et 15 $. 1.2 Résumé des procédures Alléguant qu’il s’agissait d’une contrefaçon, l’intimé utilisa la combinaison bien connue au Québec des articles 38(1) de la Loi sur le droit d’auteur (ci-après «la Loi») et 734 C.p.c. et fit saisir avant jugement les entoilages «comme s’il en était le propriétaire». La Cour supérieure, en se basant sur une affaire ontarienne Fetherling c. Bougner2, dont nous reparlerons un peu plus loin, accorda la mainlevée demandée par les Galeries d’art. La Cour d’appel jugea qu’il y avait eu reproduction de l’œuvre et, partant, contrefaçon. Les juges Michaud et Delisle en arrivèrent sur ce point à des conclusions identiques mais en passant par des chemins un peu différents3. Le juge en chef insista sur le fait que les reproductions autorisées étaient toutes sur des supports papier et que l’entoilage correspondait donc à un changement dans la nature de l’utilisation de l’œuvre. 2. (1978) 40 C.P.R. (2d) 253 (H.C. Ont.). 3. Bien que ce ne soit pas l’objet de ce commentaire, il faut souligner que la décision de la Cour d’appel aurait pu insister davantage sur plusieurs éléments de son raisonnement. L’affaire Théberge 221 On peut immédiatement constater le contraste évident dans la lecture des faits entre les décisions de la Cour d’appel et celle de la Cour suprême, puisque le juge Binnie, qui écrit la décision majoritaire, parle de simple «modification de l’affiche». Autrement dit, selon la majorité, ce qui était une affiche est encore une affiche après l’entoilage, que la décision compare plutôt à un encadrement. Analysons maintenant la décision majoritaire de l’honorable juge Binnie, qui écrit aussi au nom de trois de ses collègues. Ajoutons cependant que les trois juges québécois, le juge Gonthier en tête, sont dissidents et que les juges Arbour et Bastarache ne participèrent pas à la décision. 1.3 Les lignes de force de la décision majoritaire 1.3.1 Conflit entre deux droits: titulaire du droit d’auteur c. propriétaire d’un exemplaire D’entrée de jeu, le juge Binnie déclare qu’il s’agit d’un conflit entre les droits de l’auteur et ceux du propriétaire de l’exemplaire et reproche à son collègue le juge Gonthier d’avoir fait trop peu de cas des droits de ce dernier. En d’autres termes, pour l’appeler par son nom, c’est le conflit titulaire de droit – utilisateur. En effet, qui est l’utilisateur, sinon le détenteur, d’un exemplaire de l’œuvre? Selon le juge Binnie, les droits d’auteur (ou, du moins, les droits économiques) sur les affiches furent épuisés par la vente de cette affiche. Ce raisonnement est tout à fait justifié en matière de brevet, par exemple, mais il ne tient pas compte d’un principe en matière de droit d’auteur. Pensons par exemple au droit de location, qui survit au transfert d’exemplaires. Malgré cela, selon la décision majoritaire le droit économique de l’auteur et le droit de propriété de l’acheteur de l’exemplaire doivent en quelque sorte être «équilibrés». Lisons à ce propos le début du paragraphe 30 de la décision: La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur. 222 Les Cahiers de propriété intellectuelle Puis le paragraphe 32, l’un de ceux qui seront de toute évidence les plus cités dans les années à venir dans toutes les causes de contrefaçon: Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime (legitimate use/fair use). Ce risque fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière par l’inclusion, aux art. 29 à 32.2, d’exceptions à la violation du droit d’auteur. Ces exceptions visent à protéger le domaine public par des moyens traditionnels, comme l’utilisation équitable d’une œuvre aux fins de critique ou de compte rendu, ou à ajouter de nouvelles protections, adaptées aux nouvelles technologies, telles que la reproduction limitée d’un programme d’ordinateur et l’«enregistrement éphémère» de prestations exécutées en direct. Ce que déclare la Cour suprême, c’est donc que les utilisateurs (appelons-les «propriétaires d’exemplaires») ont non seulement des intérêts mais des droits opposables à l’auteur de l’œuvre. Des droits découlent de la propriété d’un exemplaire. C’est ce qui explique que plusieurs commentateurs, dont mon collègue Michael Geist, ont immédiatement parlé de rééquilibrage à la sauce américaine du fair use4. En fait, avec le DMCA5 et d’autres mesures législatives anti-piraterie qui sont en préparation6, les États-Unis sont en train de renforcer la position des ayants droit et non l’inverse. Le professeur Geist, en parlant du droit américain, écrit: «US law is noteworthy for the balance that it seeks to enshrine by establishing a limited copyright term and by focusing on the societal benefits of creativity.» Il ajoute que la Cour suprême a bel et bien adopté le point de vue selon lequel le droit d’auteur se justifie non pas 4. Michael GEIST, «Key Case Restores Copyright Balance», Globe and Mail, 18/04/02. Voir www.globetechnology.com. 5. Digital Millenium Copyright Act du 28 octobre, 1998. États-Unis d’Amérique, Pub. L. No. 105-304, 112 Stat. 2860. 6. Voir par exemple Declan McCULLAGH, «Another Punch for Copy Protection», Wired Magazine, 28.03.2002. Disponible à l’adresse http://www.wired.com/ news/politics/0,1283,51400,00.html. L’affaire Théberge 223 comme un droit naturel ou même un droit de la personne, mais comme un contrat entre l’auteur et la société. Divulgation et enrichissement du patrimoine collectif contre rémunération en quelque sorte. C’est la justification commune du droit d’auteur et du droit des brevets aux États-Unis7. La décision Théberge a donc un mérite évident, celui de préciser le fondement théorique du droit d’auteur au Canada. Cette absence de théorie canadienne en la matière avait d’ailleurs fait l’objet de plusieurs commentaires récents en doctrine. Nous y reviendrons. 1.3.2 Y a-t-il eu production ou reproduction? Le paragraphe 3(1) de la Loi édicte que l’auteur a le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque. Selon la décision majoritaire, «en bout de ligne, aucune nouvelle reproduction des œuvres de l’intimé n’a été créée»8, mais le juge Binnie ajoute: «[...] je reconnais d’emblée que l’apparence d’une affiche papier est très différente de celle d’une affiche sur toile»9. Il est indéniable que des entoilages qui n’existaient pas auparavant ont été créés. Cependant, en créant l’entoilage, on a détruit l’affiche, puisque l’encre en a été transférée. On distingue deux éléments cruciaux dans la décision majoritaire sur ce point de savoir s’il y a eu violation de l’article 3. D’abord, on nous dit que le mot «production» ne veut essentiellement rien dire. À preuve, les Britanniques l’ont retiré de leur loi en 195610. D’accord, mais le législateur canadien ne l’a pas fait. En second lieu, la Cour dit qu’il n’y a pas eu reproduction, puisqu’il n’y a pas eu multiplication. C’est une des clés du débat. Le juge Gonthier interprète le mot «reproduction» de façon beaucoup plus libérale. Il note que Le Robert définit ce terme comme incluant le fait de «produire de nouveau» ou de «faire exister des choses semblables à un modèle». 7. Voir Feist Publications, Inc. c. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991), à la p. 349. 8. Par. 2. 9. Par. 7. 10. Par. 48. Il cite à ce sujet un article de Me Claude BRUNET, «Copyright: The Economic Rights», dans G. Henderson (éd.), Copyright and Confidential Information Law of Canada (Toronto, Carswell, 1994), qui y défend en fait la thèse contraire. 224 Les Cahiers de propriété intellectuelle Au niveau philosophique, il y a là un débat qui va à l’essentiel de la notion de reproduction. Pour le juge Binnie, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre net d’exemplaires («no new reproduction was brought into existence»)11 alors que pour le juge Gonthier, «ce que l’on compte afin de déterminer s’il y a eu reproduction, ce n’est pas le nombre total de copies de l’œuvre en existence suite à la rematérialisation, mais bien le nombre de matérialisations survenues dans le temps»12. Intéressant. On peut se demander pourquoi la Loi, à l’article 3, fait une distinction entre «production» et «reproduction» si celle-ci est inutile. La distinction entre la production et la reproduction d’une traduction, par exemple, n’a-t-elle aucun sens? Ajoutons au débat une référence de common law britannique que la décision majoritaire ne mentionne pas. Une loi anglaise de 1862, le Fine Arts Copyright Act13, qui fut fusionnée lors de l’adoption de la fameuse loi britannique de 1911 (qui servit de modèle à notre première loi en la matière)14, nous éclaire davantage sur la relation entre reproduction et multiplication. Compte tenu de l’importance accordée au droit anglais dans la décision majoritaire, cette source semble assez pertinente. Cette loi anglaise prévoyait expressément que l’auteur avait «the sole and exclusive right of copying, engraving, reproducing and multiplying» à son article premier. Reproduction et multiplication n’étaient donc pas, selon les principes habituels d’interprétation de lois, des synonymes en droit anglais du copyright. Cela dit, sans même parler de reproduction, il est indéniable qu’un nouvel entoilage a été produit. En d’autres termes, un exemplaire de l’œuvre sur toile qui n’existait pas a été créé. Sans qu’il y ait une augmentation du nombre net d’exemplaires existant à un moment bien précis, il y a de toute évidence eu production d’un nouvel exemplaire. Si ce n’est, au sens de l’article 3, ni une reproduction ni une production, ce doit donc être quelque chose comme une «transproduction». 11. 12. 13. 14. Par. 2. Par. 149. Voir aussi Bradbury, Agnew and Co. c. Day, (1916) 32 T.L.R. 349. Le droit britannique a connu une période pro-auteur. C’est à la toute fin de cette période, soit en 1911, qu’est intervenue la décision Morang que cite le juge Binnie et qui est résolument pro-auteur et semble issue de la thèse du droit naturel. Voir à ce sujet M. WOODMANDSEE, «The Cultural Work of Copyright: Legislating Authorship in Britain, 1837-1842», A. Srata et T.R. Kearns (réd.), Law in the Domains of Culture (Ann Arbor: University of Michigan Press, 2000), 65-96. L’affaire Théberge 225 Ce qui ressort de la décision, c’est que le propriétaire d’un exemplaire peut le transférer sur un support différent sans autorisation additionnelle, à condition que l’exemplaire de départ soit simultanément détruit pendant le processus de transfert. Ce droit du propriétaire de l’exemplaire peut sans doute être restreint par contrat. L’intimé aurait certes pu interdire la production d’entoilages par EGI, mais cette restriction n’aurait produit ses effets qu’inter partes et on comprend mal comment Les Galeries d’art auraient été liées par cette obligation. Le cocontractant de l’auteur aurait ainsi eu beaucoup moins de «droits» qu’un tiers. Faudra-t-il à l’avenir imprimer des restrictions précises à l’endos d’affiches papier et espérer que les tribunaux accepteront la validité de ce contrat d’adhésion? Il est étonnant que la décision majoritaire ait conclu que le changement de support n’a pas d’importance pour au moins une autre raison. En effet, l’article 13(4) LDA prévoit spécifiquement qu’une licence peut scinder l’utilisation d’une œuvre en fonction du support. C’est une forme de découpage du droit d’auteur qui y est expressément mentionnée. La décision majoritaire n’a malheureusement pas abordé ce point15. La décision majoritaire ne dit cependant pas que les droits de l’acheteur-utilisateur de l’exemplaire sont d’ordre public et qu’on ne peut donc en principe y déroger par contrat. Jusqu’à preuve du contraire, le contrat demeure donc un outil disponible pour se prémunir contre la montée des droits des utilisateurs ce qui, à terme, n’est pas dans l’intérêt de ces derniers. Cela fait écho au débat qui a cours aux États-Unis en ce moment qui concerne la notion de fair use et le fait de savoir si on peut limiter le fair use par contrat16. En pratique, ce débat est de plus en plus théorique puisque si on ne peut pas le faire par contrat, on peut certainement le faire en utilisant des moyens techniques de protection dont le contournement est illégal (DMCA). La dilution à court terme des droits des auteurs n’est donc pas nécessairement une victoire pour les utilisateurs. 15. (4) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé. 16. Voir notamment à ce sujet Lucie GUIBEAULT, Copyright Limitations and Contracts. An Analysis of the Contractual Overridability of Limitations on Copyright (Londres, Kluwer, 2002), 392 p. 226 Les Cahiers de propriété intellectuelle Jetons maintenant un coup d’œil sur certaines décisions citées par la majorité pour étayer son interprétation de la notion de reproduction. Elle insiste sur la décision ontarienne de 1978 Fetherling c. Boughner. C’est également le précédent qui a emporté la décision de la Cour supérieure du Québec. C’est un précédent étonnant pour deux groupes de raisons. Quant à la nature de la décision d’abord, il s’agit d’une décision rendue oralement séance tenante, sur une requête interlocutoire, «without hearing the evidence» et qui n’avait jamais été citée avant l’affaire Théberge. Sur le fond, le juge y déclare d’abord que «the plaintiff’s case that the defendant’s process involved copying is not such that I would ever describe it as frivolous, but I do not think it is sufficiently strong to justify the granting of an interlocutory injunction». Le juge rejette la requête non pas parce qu’il n’y a pas eu de reproduction, mais parce que le requérant n’a pas établi son droit (titularité). En principe donc, tout ce qui est dit sur la notion de reproduction est obiter dictum. Mais surtout, le juge rend sa décision sans faire d’analyse de l’article 3. Le juge dit cependant qu’il y a eu production d’un produit (entoilage), sans pour autant discuter de la notion de production ou reproduction de l’article 3. La majorité de la Cour suprême cite aussi l’affaire No Fear de 199717. Il s’agit d’une décision du protonotaire sur une requête pour détails dans laquelle le protonotaire s’est lancé dans une belle analyse de la situation juridique de la diffusion de musique sur Internet. Nous avons maintenant la décision sur le tarif 2218. Pour en terminer avec ce point sur la notion de reproduction, on notera ces étranges propos dans la décision majoritaire: «Je n’écarte pas la possibilité qu’un changement de support puisse, dans le cadre d’un ensemble de modifications plus importantes, équivaloir à une reproduction sous une nouvelle forme»19. Selon cette décision, il n’y a donc pas eu de changement de forme. Le juge Binnie nous dit aussi que si on avait tenté de reproduire les marques des coups de pinceau, il y aurait probablement eu reproduction au sens de l’article 320. Autrement dit, une reproduction plus «parfaite» (mais toujours sans multiplication) aurait pu être considérée comme une reproduction. 17. No Fear Inc. c. Almo-Dante Mfg. (Canada) Ltd., (1997) 76 C.P.R. (3d) 414 (C.F.P.I.). 18. SOCAN et al. c. CAIP et al., 1er mai 2002, [2002] FCA 166 (C.A.F.). 19. Par. 41. Sans vouloir tomber dans l’ironie, comment peut-on dire qu’il n’y a pas eu de changement de forme alors qu’une affiche se vend 25 $ et un entoilage, quatre ou six fois plus? 20. Par. 68. L’affaire Théberge 227 Enfin, le juge nous dit aussi que si le transfert d’encre avait servi à combiner Célébration (ou une partie substantielle), avec une autre œuvre (imaginons une photo du peintre), il y aurait aussi eu une reproduction au sens de l’article 321. Donc en combinant l’œuvre Célébration avec une photographie par exemple, il y aurait eu reproduction. Or, ce dernier exemple me semble être un cas typique de violation du droit moral, mais la décision majoritaire nous dit textuellement et clairement que les droits économiques ne doivent pas être interprétés de manière à couvrir les mêmes actes que le droit moral22. Il reste donc un certain flou sur cette notion de reproduction. 1.3.3 Conflit common law-droit civil et les origines du droit d’auteur au Canada Sur ce point, la décision est apparemment limpide. Par contre, il me semble qu’il n’était pas nécessaire d’entrer dans ce débat qui, comme le souligne d’ailleurs le juge Gonthier23, portait sur un point de droit très précis et d’ailleurs bien circonscrit par la permission d’appeler accordée par la Cour d’appel, c’est-à-dire «seulement en ce qui concerne l’annulation de la saisie et la mainlevée»24. Selon la décision majoritaire, le point de vue du juge Gonthier est basé sur une perception erronée des origine et fondement du droit canadien en matière de droit d’auteur. En réponse à cette erreur, le juge Binnie se lance dans une longue explication des origines de notre droit. À la limite, tout ça pourrait être perçu comme un long obiter, puisque cela ne faisait pas partie de l’essentiel du débat. Cela dit, le fait de considérer l’essentiel de la décision majoritaire comme un obiter tient de l’artifice. En outre, la majorité insiste sur le fait que la notion de reproduction en droit civil est plus vaste et englobe un droit de contrôler l’utilisation, ce qui fait du débat common law c. droit civil (du moins aux yeux de la majorité) un aspect pertinent du débat de fond que la haute Cour était appelée à trancher. Mais cette longue explication après des années de disette à la Cour suprême en matière de droit d’auteur25 indique vraisemblablement autre chose. 21. 22. 23. 24. 25. Par. 41. Par. 57 à 61. Par. 88. Ibid. Depuis Compo Co. c. Blue Crest Music, [1980] 1 R.C.S. 357. 228 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Cour avait-elle des messages à faire passer? Lorsque la majorité écrit qu’un «contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique à son utilisation légitime»26, on comprend mal comment le fait de décider si le propriétaire d’une affiche peut ou non en transférer les pigments sur une toile va affecter la créativité sociétale. En d’autres termes, à la lecture de la décision nous avons eu le sentiment que la Cour se sentait investie de la mission d’orienter le droit d’auteur. C’était non seulement la première décision de la Cour suprême dans le domaine depuis plus de dix ans, mais également sa première décision depuis les profondes modifications à la Loi de 1988 et 1997. Le droit d’auteur canadien à la recherche de ses origines, en quelque sorte. L’auteur de ces lignes était de ceux qui pensaient que le Parlement avait nettement marqué son désir de «canadianiser» le droit d’auteur, adoptant une loi et des principes inspirés à la fois de la common law et du droit civil, mais aussi des solutions qu’on pourrait qualifier de sui generis27. Tout cela a maintenant été clairement et définitivement écarté, mis de côté. La décision majoritaire est claire: bien que le droit d’auteur au Canada soit purement statutaire28, cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un droit sui generis ou «mixte». Cela veut assurément dire qu’il n’y a pas de common law antérieure résiduelle (non codifiée), contrairement à ce qu’on trouve aux ÉtatsUnis, mais il n’en demeure pas moins que le «statut» est bel et bien issu de la common law britannique. Aucun doute en ce qui concerne les droits économiques: «Le droit canadien en matière de droit d’auteur s’intéresse traditionnellement davantage aux droits économiques qu’aux droits moraux. Notre loi, entrée en vigueur en 1924, reprenait essentiellement la loi anglaise...»29. S’agissant du conflit common law c. droit civil, aussi connu comme conflit entre droit d’auteur et «copyright», le juge Binnie ajoute qu’il «n’est pas du tout commode («helpful») que, dans les versions française et anglaise de la Loi, les mots droit d’auteur et copyright soient traités comme des équivalents. Historiquement, la 26. Par. 32. 27. Voir la décision du juge Gonthier, au par. 116. 28. Ce qui avait été répété plusieurs fois dans des décisions précédentes, dont notamment Compo c. Blue Crest, op. cit. 29. Par. 12. L’affaire Théberge 229 notion de copyright est liée aux droits économiques dans les systèmes de common law, alors que l’expression droit d’auteur est la vénérable expression française qui englobe tout un ensemble de droits comportant à la fois des aspects économiques et moraux»30. Puis, dans la section suivante de son jugement, le juge Binnie a recours aux décisions et aux auteurs britanniques pour interpréter la notion de reproduction. En fait, après une analyse de notions civilistes (et le recours aux ouvrages d’André Lucas et Alain Strowel31 dans la section suivante de son jugement32, le juge Binnie fait l’analyse de ce qu’il appelle les «ressorts comparables» (en anglais: «like-minded jurisdictions»). Et ces «like-minded jurisdictions», ce sont tour à tour les États-Unis (plus précisément le Texas et l’état de New York), l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Enfin, après avoir écrit que «le droit de destination s’applique dans des pays de tradition civiliste»33, il ajoute que «sous le régime de notre Loi, le droit de destination n’existe pas en soi»34. Le droit canadien est donc un droit de common law à part entière, même s’il n’est pas (encore) exclu que, pour interpréter la violation du droit moral, la Cour suprême accepte d’avoir recours aux sources civilistes, puisqu’elle reconnaît que c’est là la vénérable origine du droit35. La décision majoritaire ajoute même, s’agissant du droit moral, que «la tradition civiliste a surgi très tôt dans la jurisprudence de notre Cour» et il mentionne ensuite l’affaire Morang de 191136. On peut douter du fait que la tradition civiliste qui a surgi en 1911 pour ne pas réapparaître fasse vraiment partie de l’avenir du droit d’auteur. Après tout, n’oublions pas que le fait de parler de droit d’auteur plutôt que de copyright n’est pas «commode». 1.3.4 Caractère «exceptionnel» d’une saisie sans autorisation judiciaire Une facette de ce jugement qui n’est peut-être pas évidente pour les juristes québécois est le fait que la saisie en vertu de l’article 734 C.p.c. qui se fait sans autorisation judiciaire (si ce n’est la signature d’un fonctionnaire du greffe) est «choquante» pour un juriste de 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. Par. 62. Par. 63. Par. 66 à 69. Par. 64. Par. 65. Par. 62. Morang and Co. c. LeSueur, (1911) 45 R.C.S. 95. 230 Les Cahiers de propriété intellectuelle common law. Franchement, nous serions partisan d’une réforme afin que ce type de saisie se fasse seulement à la suite d’une autorisation ex parte (comme sa cousine de l’article 733 C.p.c.) lorsque l’origine du droit de «propriété» est l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur. Il est clair, à la lecture de la décision majoritaire, que la saisie avant jugement pratiquée «automatiquement» est difficile à accepter. Le juge Binnie en parle d’ailleurs ainsi: Il n’existerait pas de ligne de démarcation raisonnablement «claire» entre une conduite attentatoire et une conduite non attentatoire, ce qui serait particulièrement nuisible en ce qui concerne la saisie avant jugement pratiquée à l’instigation du demandeur, sans surveillance judiciaire.37 Et il ajoute que «l’artiste qui s’oppose à une «modification» de la reproduction autorisée pourrait ainsi esquiver l’évaluation indépendante d’un juge en pratiquant une saisie avant jugement au Québec»38. Il parle de procédure «draconienne et dérogatoire»39, citant une décision du juge Gonthier, alors juge à la Cour supérieure du Québec, qui traitait non pas du motif de la saisie mais plutôt du respect de la procédure en la matière. Or, la majorité en tire une conclusion de fond et non de forme: le motif de la saisie ici est un droit de propriété «hors du commun» qui s’affronte au (vrai) droit de propriété du détenteur de l’affiche. Il n’y a qu’un pas à franchir conceptuellement pour dire que les droits économiques de l’auteur doivent être interprétés de façon restrictive puisque leur violation donne lieu à cette restriction au fructus et à l’abusus du droit de propriété de propriétaire de l’exemplaire. À cet égard, il faudrait peut-être se demander, ce que ne fait pas explicitement la Cour, si l’article 38 fait vraiment naître un droit de propriété au sens où l’entendent l’art. 734 C.p.c. et le droit civil québécois. Mais ça, c’est un autre débat. En terminant sur ce point, ajoutons qu’un des rares éléments sur lesquels les deux décisions semblent s’accorder est que la violation du droit moral n’entraîne pas de contrefaçon. Les recours habituels sont néanmoins possibles en cas de violation, notamment l’injonction et les dommages-intérêts. Sans contrefaçon, l’article 38 ne s’applique pas et sans cette quasi-propriété, pas de saisie avant jugement (du moins sans autorisation). 37. Par. 40. 38. Par. 60. 39. Par. 77. L’affaire Théberge 231 1.4 Quelques points de détail intéressants Avant d’entreprendre l’analyse de l’impact de cette décision, certains détails moins fondamentaux de la décision méritent d’être soulignés. 1.4.1 Autres œuvres «transférées» sur d’autres supports La décision majoritaire mentionne deux exemples historiques pour illustrer le fait qu’un transfert de support ne nécessite pas d’autorisation. Ces deux exemples sont les œuvres de Raphaël qui ont dû être enlevées des églises pour leur rénovation et les objets d’art et autres mosaïques de Pompéi. Ces exemples sont fort peu convaincants. D’abord, il est évident que lors de leur transfert ces œuvres étaient depuis fort longtemps tombées dans le domaine public. Mais ce qui rend l’emploi de ces exemples presque risqué, c’est que personne n’a demandé aux artistes pompéiens ou à Raphaël la permission de restaurer ces œuvres. Si Raphaël ou ses héritiers s’étaient opposés formellement à l’enlèvement des œuvres alors que celles-ci étaient encore protégées, le transfert aurait-il eu lieu? 1.4.2 Fixation (par. 25) Selon la décision majoritaire, «la fixation a un sens relativement bien établi plutôt différent en matière de droit d’auteur. Cette notion sert à distinguer les œuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur des idées générales qui sont la propriété intellectuelle de tous». Cela est inexact, du moins en matière d’œuvres musicales et de prestations d’artistes interprètes. Par ailleurs, si la fixation est à ce point essentielle, ne devrait-elle pas être un acte nécessitant l’autorisation de l’auteur? À ce propos, il semble que le procédé de transfert a au moins constitué une nouvelle fixation sur toile de l’œuvre, ce avec quoi la décision majoritaire est d’accord puisqu’elle parle des entoilages comme d’affiches «fixées à nouveau»40. Il faut également noter dans ce passage la référence au concept de «propriété intellectuelle de tous», qui rejoint le concept de «intellectual commons» que défend notamment Lawrence Lessig dans son dernier livre The Future of Ideas: The Fate of the Commons in a Connected World41. 40. Par. 50. 41. (New York: Random House, 2001). 232 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.4.3 Droit moral c. droits économiques La majorité déclare que le droit moral ne peut s’appliquer aux mêmes actes que les droits économiques42. Il y a des limites au droit moral qui ne s’appliquent pas aux droits économiques. Or, les articles 29 à 32 de la Loi ont de façon évidente été édictés pour limiter les droits économiques. En fait, la décision majoritaire nous dit que le doit moral et les droits économiques sont complètement distincts, mais rien dans la Loi ne dit qu’ils ne peuvent pas s’appliquer en même temps à une situation donnée. 1.4.4 Introduction de la notion d’œuvre dérivée La décision majoritaire a recours au concept d’œuvre dérivée qui n’existe pourtant pas dans la Loi. Cela n’est cependant pas choquant. Il est évident que le concept existe de facto en droit canadien. On le retrouve également dans la Convention de Berne. Il ne s’agit pas d’un grand changement au droit en la matière. Il s’agit aussi d’un concept clé de droit américain, mais le libellé de la loi des États-Unis est trop différent pour nous permettre d’interpréter la nôtre sur ce point43. 2. Deuxième partie: conséquences et impact de la décision 2.1 Impact à court terme À moins que la violation apparente du droit moral de M. Théberge ne donne droit à des dommages conséquents, par exemple le double des royautés qui auraient dû être versées sur le prix de vente des entoilages (et non des affiches), les utilisateurs/propriétaires d’affiche vont perdre au change, car les artistes n’autoriseront plus les affiches. Il va falloir payer le prix pour des entoilages. Cela ne renforce pas de façon évidente l’équilibre entre ayants droit et utilisateurs recherché par la majorité, mais il s’agit là d’un point relativement peu important. S’agissant d’une décision de la Cour suprême qui, à l’évidence, n’a pas accepté d’entendre cette affaire pour résoudre la question des entoilages d’affiches d’art, laquelle ne semblait pas a priori être d’intérêt national, il faut chercher le sens de la décision et son application dans d’autres secteurs du droit d’auteur. 42. Par. 22 in fine. 43. Par. 72 et 73. L’affaire Théberge 233 L’une de ces extensions les plus évidentes de la portée de la décision est de l’appliquer à d’autres transferts de support. Par exemple, si un utilisateur transfère un fichier MP3 d’un ordinateur à celui d’un ami alors que s’effacent les bits de son disque dur au fur et à mesure de la transmission, il n’y a pas de reproduction. De la même manière, si je prends une vidéocassette et la transfère sur DVD, il n’y a toujours pas de reproduction, à condition que la cassette s’efface à mesure. Mieux encore: contrairement à la décision ontarienne dans l’affaire Robertson44 et celle de la Cour suprême des États-Unis dans la fameuse affaire Tasini c. New York Times45, les auteurs n’ont pas le droit de s’opposer à la numérisation de leurs textes par les éditeurs de journaux et périodiques, à condition bien sûr que le processus de balayage («scan») efface à mesure l’encre d’un exemplaire du journal46. L’auteur qui a consenti à une reproduction papier n’a donc pas de droit distinct en ce qui concerne un support électronique ou numérique, puisque le transfert de support est sans conséquence sur le droit de reproduction. À moins, bien sûr, que la décision majoritaire ne vise vraiment que les entoilages et que tous les autres cas de transfert de support ne soient en fait des exceptions à la règle, comme celles qu’entrevoit la décision majoritaire au fameux paragraphe 4147. S’agissant du rééquilibrage entre les droits des auteurs et ceux des propriétaires d’exemplaires/utilisateurs, il aura bel et bien lieu. Prenons la décision de la Cour d’appel fédérale relative au tarif 2248. Le juge Evans se plie déjà à la nouvelle consigne: Although originally enacted to provide a statutory protection to intellectual property rights that the common law did not recognize, the Copyright Act is not concerned exclusively with advancing the interests of writers, composers, artists and other creative people. As Binnie J. said in Galerie d’art du Petit Champlain inc. v. Théberge, at paragraph 30: 44. Roberston c. Thomson Corp., (2001) 15 C.P.R. (4th) 147 (C. d’Ont.). 45. Tasini c. New York Times et al., 121 S.Ct. 2381 (2001). 46. À notre connaissance, cette technologie n’existe pas encore, mais le fait de l’inventer pour les fins de ce commentaire permet de mieux en illustrer la portée. 47. Il faut lire attentivement ce paragraphe: «Je n’écarte pas la possibilité qu’un changement de support puisse, dans le cadre d’un ensemble de modifications plus importantes, équivaloir à une reproduction sous une nouvelle forme (peut-être, par exemple, si l’œuvre de l’intimé était intégrée au moyen de la méthode de transfert d’encre à l’œuvre originale d’un autre artiste), mais ce n’est pas le cas en l’espèce.» 48. Voir note 18, supra. 234 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur... Hence, its provisions should be interpreted with an eye to striking an appropriate balance between these competing interests.49 On peut certainement interpréter les passages sur le rééquilibrage dans la décision majoritaire comme permettant de restreindre la portée des droits exclusifs des auteurs. À la limite, un avocat représentant des utilisateurs pourrait aussi essayer de dire qu’il y a maintenant une exception générale en droit canadien dans les cas où les intérêts ou droits des utilisateurs sont brimés. Une sorte de fair use jurisprudentiel en quelque sorte. Sur ce point, je citerai encore mon collègue Michael Geist, qui établit même un lien direct avec le processus législatif, que l’on appelle généralement la phase III de la réforme de la Loi: By sending a clear message about its support for a fair copyright balance, the Supreme Court has indirectly provided the most important submission on the current digital copyright reform consultations. The court has begun to sketch the limits of copyright protection – those limits include recognizing the rights of users as well as the fact that more copyright protection does not necessarily foster more creativity and innovation. Supporters of copyright reform have often sought to label their opponents as thieves looking for free music or pirated movies. With this decision it would appear that the opponents have been joined by a group not so easily dismissed: the Supreme Court of Canada.50 2.2 Impact à plus long terme La décision majoritaire est sans doute entachée de certaines faiblesses et la logique de son raisonnement n’est pas toujours implacable, mais la critique de l’arrêt doit s’arrêter ici, car c’est dorénavant «The law of the land». C’est aussi peut-être le début d’une importante 49. Ibid, par. 119. 50. Voir note 4, supra. L’affaire Théberge 235 réforme jurisprudentielle du droit d’auteur au Canada. La Cour n’avait pas à prendre un dossier dont les faits n’étaient pas d’intérêt national. Elle n’avait pas non plus à se lancer dans ces grandes envolées qui, sur le fond du débat, étaient essentiellement inutiles. Il y avait, et il y a peut-être encore, une bataille philosophique relative au droit d’auteur au Canada, et la décision majoritaire a tranché. Le fait de décider que le droit canadien est un droit de common law pur aura-t-il des conséquences? Au niveau de l’interprétation des droits patrimoniaux, sans doute, puisque comme le dit la décision majoritaire, «il est souhaitable, dans les limites permises par nos propres lois, d’harmoniser notre interprétation de la protection du droit d’auteur avec celle adoptée par d’autres ressorts guidés par une philosophie analogue à celle du Canada»51. Or, dans le jugement, ces juridictions analogues, on l’a vu, sont le Royaume-Uni mais surtout les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, dont les lois n’ont pas été influencées par les civilistes de l’Union européenne. Si notre analyse est juste, la Cour sera tentée de rédiger dans le même sens la décision sur l’appel de madame Desputeaux52. Que fera la haute Cour de l’analyse inspirée des enseignements de Claude Colombet adoptée par la Cour d’appel53? La seule façon de réconcilier Desputeaux et Théberge est d’insister sur l’indépendance des deux droits et sur le fait que le droit civil est la source du droit moral et que celui-ci ne doit donc pas être cuisiné à la sauce de la common law. La décision majoritaire n’interdit pas ce raisonnement. La majorité fait également fi de la distinction entre le marché de la papeterie et celui des entoilages. Or, en ce qui concerne les biens informationnels, ne faut-il pas analyser chaque segment du marché et laisser les ayants droit organiser ces segments dans le but d’optimiser l’exploitation de l’œuvre? Toute l’industrie du cinéma, pour ne nommer que celle-là, en dépend. 51. Par. 6. 52. Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2001] R.J.Q. 945 (C.A.), permission d’appeler accordée le 8.11.2001. 53. «Le droit d’auteur est reconnu comme bi-frontal, droit de la personnalité et droit pécuniaire. L’œuvre protégée par le droit d’auteur est, en effet, à la fois une émanation de la personnalité de l’auteur et une source d’intérêts énonomiques. Une œuvre n’est pas seulement un produit que l’on peut vendre, c’est le résultat d’un acte de création personnelle. L’auteur communique sa pensée, ses émotions de sorte que l’œuvre fait partie de la personnalité de l’auteur et lui demeure attachée toute sa vie.» Ibid. 236 Les Cahiers de propriété intellectuelle Encore une fois, si notre analyse est juste, la haute Cour sera sans doute tentée d’accorder une permission d’appeler dans l’affaire relative au tarif 2254 et ce sera, avec Théberge et Desputeaux, la fin d’une trilogie qui aura marqué à la fois un tournant et une confirmation historique de ce qu’est le droit d’auteur au Canada. L’affaire Barreau du Haut-Canada55 pourrait s’ajouter à cette liste, ce qui serait d’ailleurs souhaitable. 2.3 Le lien avec l’affaire du Barreau du Haut-Canada Malgré les efforts déployés par la Cour suprême pour préciser la position canadienne, des doutes subsistent, en particulier parce qu’il existe plus d’une version du copyright de common law. À preuve, dans sa récente décision portant sur les photocopies d’extraits judiciaires56, la Cour d’appel est revenue sur ses pas en rejetant ses conclusions de l’affaire Télé-Direct sur la notion-phare d’originalité. Dans Télé-Direct, inspirée par la décision de la Cour suprême américaine dans l’affaire Feist57, la Cour d’appel fédérale avait défini l’originalité en matière de compilations comme comprenant un minimum de créativité. Il s’agissait d’une décision qui tranchait le débat relatif à la notion d’originalité et qui opposait les tenants de la thèse créativiste à ceux, inspirés du droit britannique, qui penchaient pour la thèse du simple labeur («industrious collection»). La Cour d’appel fédérale australienne vient de rendre une décision dans le même sens, dans laquelle elle refuse de suivre Feist et se sent liée par les précédents anglo-australiens. Mais un des juges souhaite que la Haute Cour australienne intervienne58, et un autre en appelle au Parlement59. Le problème qui se pose est que la décision majoritaire dans Théberge accorde une certaine importance aux précédents américains et parle des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande comme des ressorts comparables. Or, en ce qui concerne la notion d’originalité, sans doute la plus importante dans le domaine du droit d’auteur, les ressorts comparables mènent à des solutions opposées. Mais, à la lecture de Théberge, on ne sait plus très bien à quel saint de common law se vouer. 54. Voir note 18, supra. 55. CCH Canadian Ltd. c. The Law Society of Upper Canada, 14.05.2002, [2002] FCA 187 (C.A.F.). 56. Ibid. 57. Voir note 7, supra. 58. Desktop Marketing Systems Pty Ltd. c. Telstra Corporation Limited, [2002] FCAFC 112, par. 217. 59. Ibid. par. 429. L’affaire Théberge 237 Il faut ajouter que le concept britannique d’originalité est sans doute une erreur historique. Ce concept est insensé. En effet, comme le souligne d’ailleurs la Cour d’appel australienne, puisque toute compilation factuelle non copiée est protégée, il est interdit de copier ces faits à moins de procéder à un processus de collecte indépendant. Ce que le droit d’auteur protège, ce sont donc des faits et les efforts de collecte de ces faits. Or, le droit d’auteur n’est pas censé protéger les faits60 et son but n’est pas de protéger les efforts de collecte factuelle (ce qui peut éventuellement relever de la concurrence déloyale) mais la création d’œuvres. La Chambre des Lords britannique a d’ailleurs elle-même dépassé le stade du simple labeur et exige que ce labeur soit «original»61. Mais, dans l’affaire LSUC, tout cela «passe à la trappe» et on en revient au droit «anglo-canadien» pur et dur. Il serait donc très utile que la Cour suprême nous dise quelle common law s’applique en la matière en cas de conflit entre le droit américain et le droit britannique. On devine la réponse. Le Canada reviendra-t-il à University of London Press62, que la Cour d’appel australienne était tentée de rejeter pour passer à une version plus moderne, et que même la vénérable Chambre des Lords a nuancé depuis63. Il faut aussi dire que descendre le niveau d’originalité au minimum n’est dans l’intérêt de personne. D’abord, l’industrie des bases de données aux États-Unis après l’affaire Feist a vraiment crié au loup, mais en vain. Cette industrie se porte très bien, malgré Feist et malgré l’absence d’un droit sui generis64. En fait, en protégeant tout 60. À la limite, ce serait même une violation de l’Accord sur les ADPIC (TRIPS), dont l’article 9(2) prévoit «La protection du droit d’auteur s’étendra aux expressions et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels.» 61. Dans Newspaper Licensing Agency Ltd c. Marks & Spencer plc, [2001] UKHL 38; [2002] R.P.C. 4, au par. 19: «[...] copying of certain of the ideas expressed in that [fabric] design which, in their conjoined expression, had involved original artistic skill and labour, constituted the copying of a substantial part of the artistic work. [...] The notion of reproduction, [...] is sufficiently flexible to include the copying of ideas abstracted from a literary, dramatic, musical or artistic work, provided that their expression in the original work has involved sufficient of the relevant original skill and labour to attract copyright protection.» Voir aussi Designers Guild Ltd c. Russell Williams (Textiles) Ltd., [2000] 1 WLR 2416, [2001] 1 All E.R. 700. 62. University of London Press Ltd. c. University Tutorial Press Ltd., [1916] 2 Ch. 601. 63. Voir note 61, supra. 64. Voir S. Leigh FULWOOD, «Feist v. Rural: Did The Supreme Court Give License To Reap Where One Has Not Sown?», (1991) 9 Comm. Law, 15, 19; Jessica LITMAN, «After Feist», (1992) 17 U. Dayton L. Rev. 607, 608. Contra, Paul T. SHEILS et Robert PENCHINA, «What’s All the Fuss About Feist? The 238 Les Cahiers de propriété intellectuelle et n’importe quoi par le biais du droit d’auteur, on dévalorise le droit d’auteur des vrais créateurs. En protégeant les faits, on donne aux opposants du droit d’auteur et au lobby des utilisateurs de sérieux arguments pour prétendre que ce droit est abusif. Lorsque le droit d’auteur est appliqué aux faits, qui sont pourtant à l’évidence de libre parcours, on irrite les utilisateurs qui réclament alors à juste titre un rééquilibrage, mais ce rééquilibrage entamé par la décision majoritaire ne serait en fait plus «nécessaire» si le droit d’auteur, et en particulier la notion d’originalité – qui en est le filtre –, était correctement appliqué et interprété. Comme nous avons eu l’occasion de le démontrer auparavant65, le concept de common law britannique issu de University of London Press ne fonctionne pas, ni en théorie ni en pratique. À la limite, un auteur qui travaille très fort sur une page blanche (sur laquelle il tente d’écrire une œuvre musicale par exemple) y a mis tout son talent et son labeur. Sa page blanche mérite-t-elle protection pour autant. Comme le souligne très justement la Cour d’appel australienne dans Telstra66, l’effet pratique de l’adoption d’un test de simple labeur (donc de «sweat of the brow» ou «skill and labour») est de protéger non pas l’œuvre mais le travail de l’auteur. Dans le cas d’œuvres factuelles, on ne protège pas directement les faits (dit-on), mais le travail de cueillette67. Est-ce bien là l’objet du droit d’auteur? Si oui, ce n’est certes pas un «copy-right». Le test moderne qui correspond à analyser la présence de choix créateurs dans l’œuvre est plus objectif, plus simple, donc beaucoup plus prévisible. Il est également parfaitement cohérent avec l’esprit du droit d’auteur, qui est de nourrir la créativité68. La Cour d’appel fédérale dans Télé-Direct avait emprunté une voie moderne, suivie par les tribunaux français, américains69 et par 65. 66. 67. 68. 69. Sky Is Not Falling on the Intellectual Property Rights of Online Database Proprietors», (1992) 17 U. Dayton L. Rev. 563. Daniel GERVAIS, La notion d’œuvre dans la Convention de Berne et en droit comparé (Genève, Droz, 1998). Note 58, supra. «It is at law, if not in practice, open to a person to ascertain all the facts recorded in a Telstra directory by independent inquiry and to compile his or her own directory containing the results. So long as the second compiler did not copy Telstra’s product, there would be no infringement of any copyright in the (identical) Telstra directory.» (Ibid., par. 26) Voir note 65, supra, p. 207-216. En résumé, les choix créateurs sont ceux qui ne sont dictés ni par la fonction de l’objet, ni par la méthode ou technique de création utilisée, ni par les normes («standards») applicables. Voir note 65, supra. L’affaire Théberge 239 l’ensemble de l’Union européenne qui a codifié dans plusieurs directives70 le fait qu’une œuvre doit être une création intellectuelle propre à son auteur. Il semble difficile de prétendre que la notion de création intellectuelle n’est pas liée à celle de créativité. En fait, la notion de création intellectuelle fut utilisée dans pratiquement toutes les conférences de révision de la Convention de Berne (à la laquelle le Canada est partie) comme synonyme de celle d’œuvre71. Dans l’affaire du tarif 2272, elle a reculé et il n’est pas certain que ce soit pour mieux sauter. À n’en pas douter, les mois prochains nous réservent de belles surprises. 70. Ainsi par exemple dans les paragraphes 15 et 16 du préambule de la Directive du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données (Directive, 11/03/1996, no 96/9), on peut lire ce qui suit: «(15) considérant que les critères appliqués pour déterminer si une base de données sera protégée par le droit d’auteur devront se limiter au fait que le choix ou la disposition du contenu de la base de données constitue une création intellectuelle propre à son auteur; que cette protection vise la structure de la base; (16) considérant qu’aucun autre critère que l’originalité au sens de la création intellectuelle de l’auteur ne devra être appliqué pour déterminer si une base de données est protégeable par le droit d’auteur ou non [...]». Le critère de «création intellectuelle propre à son auteur» fait aussi partie du corps de la Directive, à son article 3(1). On pourrait citer ici aussi la Directive du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (91/250/CEE), art. 1(3). 71. Voir note 65, supra, p. 45-49. 72. Voir note 18, supra. Vol. 15, no 1 L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure: des principes «taillés sur mesure» Nathalie Jodoin et Monique Sullivan* Une décision d’importance, attendue par les praticiens du domaine des brevets et qui fera certainement jurisprudence, a été rendue le 29 avril 2002 par la Section d’appel de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Baker Petrolite Corp. c. Canwell EnviroIndustries Ltd.1. Des principes taillés sur mesure nous sont fournis pour analyser la question de l’antériorité dans le contexte d’une divulgation découlant de la vente antérieure ou de l’utilisation antérieure en vertu de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets2. La Cour fédérale vient ainsi combler le «vide juridique» qui existait sur cette question depuis l’entrée en vigueur en 1989 de la nouvelle Loi sur les brevets. D’aucuns diront qu’il existait déjà le critère énoncé dans l’arrêt Beloit c. Valmet3 rendu par la Section d’appel de la Cour fédé© Nathalie Jodoin, Monique Sullivan LÉGER ROBIC RICHARD / ROBIC, 2002. * Avocate, ingénieure et agent de brevets, Nathalie Jodoin est associée du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. ; étudiante à l'École de formation professionnelle du Barreau du Québec. Monique Sullivan (Ph.D. biochimie) est en stage auprès des mêmes cabinets. Les auteures remercient leur collègue Me Louis-Pierre Gravelle pour de fructueuses discussions. 1. Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., [2002] CarswellNat 1209, 2002 FCA 158, 17 C.P.R. (4th) 478, 211 D.L.R. (4th) 696 (C.A.F.; coram les juges Evans, Rothstein et Strayer). Les motifs de l’arrêt sont écrits par le juge Rothstein auxquels souscrivent ses collègues. 2. Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), c. P-4. 3. Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet OY (sub nom. Beloit Canada ltée/Ltd. c. OY), (1986) 64 N.R. 287, 7 C.I.P.R. 205, 8 C.P.R. (3d) 289, [1986] CarswellNat 588 (C.A.F.); requête pour permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada refusée 69 N.R. 80. 241 242 Les Cahiers de propriété intellectuelle rale et repris par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Electro Santé4, mais comme le mentionne le juge Rothstein dans l’affaire qui nous occupe, l’antériorité dont il était question dans ces décisions découlait d’une publication antérieure et non d’une vente ou d’un usage antérieur. Ce vide juridique s’expliquait par le fait que la Loi sur les brevets en vigueur avant 19895 (ci-après «ancienne loi») prévoyait spécifiquement à son article 27(1)c) que l’antériorité pouvait être établie par l’usage public ou par la vente de l’invention. Sous l’ancienne loi, la seule preuve de l’usage public ou de la vente de l’invention suffisait donc pour démontrer l’antériorité, et ce, même si l’invention n’était pas divulguée par cette vente ou usage. Cette décision revêt donc une importance toute particulière pour le monde des brevets. Cette décision est aussi intéressante en ce qu’elle confirme de façon non équivoque le caractère rétroactif de la Loi sur les brevets modifiée par L.C. 1995, c. 15, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1996 (la Loi de 1996). Le juge Rothstein s’est aussi attardé dans cette décision à d’autres questions ne manquant pas d’intérêt, telles l’application rétroactive ou non d’un texte législatif et la norme de contrôle que les cours d’appel doivent appliquer aux décisions des juges de première instance, qui dépassent cependant notre propos. Les faits dont découle le litige Le litige concerne la validité du brevet canadien 2,005,9466 (ci-après «brevet») appartenant à l’intimée (ci-après «PETROLITE») et couvrant une méthode dite «d’adoucissement» des hydrocarbures. Cette dernière est destinée à éliminer le sulfure d’hydrogène qui est un produit toxique présent dans les gaz naturels. La méthode d’adoucissement utilise un composé chimique appelé «triazine», un produit de réaction de la monoéthanolamine (MEA) et du formaldéhyde, que la compagnie Quaker Petroleum Chemical (ci-après «QUAKER») a commencé à vendre sous le nom de «W-3053» dans l’ouest de l’Oklahoma au mois de décembre 1987. De l’admission des parties, les ventes de QUAKER ont eu lieu à compter du 10 décembre 1987. Un peu plus d’un an plus tard, soit le 4. Free World Trust c. Électro Santé inc., [2000] 2 R.C.S. 1024 (C.S.C.). 5. L.R.C. (1985), c. P-4. 6. Qui a pour titre Composé et méthode pour l’adoucissement des hydrocarbures. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 243 23 décembre 1988, QUAKER dépose une demande de brevet aux États-Unis (ci-après «demande prioritaire») couvrant la méthode d’adoucissement. Le 19 décembre 1989, soit plus de deux ans suivant les premières ventes mais moins d’un an suivant le dépôt aux ÉtatsUnis, la demande de brevet canadienne dont est issu le brevet en litige est déposée à son tour. Enfin, le brevet canadien est délivré le 7 février 1995. Entre-temps, les droits de QUAKER dans l’invention sont cédés à PETROLITE. CANWELL, qui a vendu à partir de 1991 un produit renfermant de la MEA et du formaldéhyde destiné à adoucir les hydrocarbures, est poursuivie en contrefaçon par PETROLITE. En défense, CANWELL allègue que les ventes ou utilisations du produit W-3053 constituent une antériorité opposable au brevet, détruisant la nouveauté de la méthode revendiquée. De ce fait, estime CANWELL, le brevet de PETROLITE est invalide. Selon CANWELL, la rétroingénierie du produit W-3053 à l’époque pertinente mènerait une personne versée dans l’art à l’invention visée par le brevet, c’est-à-dire à l’emploi de la triazine pour adoucir des gaz naturels. De son côté, PETROLITE soutient que ces ventes ne peuvent être constitutives de divulgation publique effective, susceptible de renverser la présomption de validité du brevet, puisqu’elles n’étaient ni suffisantes en nombre, ni de nature commerciale. Des ventes de nature expérimentale et la livraison du produit W-3053 aux propriétés privées de sa clientèle ne sauraient pas rendre le produit accessible au public, selon elle, les résultats de rétroingénierie demeurant confidentiels et hors la connaissance du public. Enfin, PETROLITE allègue que les critères du test d’anticipation établis dans l’affaire Beloit c. Valmet7 ne peuvent être satisfaits en l’espèce puisque la rétroingénierie ne mènerait pas inéluctablement et sans faute une personne versée dans l’art à l’invention. Les parties ont également des prétentions contradictoires au sujet de la législation applicable. CANWELL soutient que la loi applicable est la Loi sur les brevets modifiée par L.C. 1995, c. 15, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1996 (ci-après «Loi de 1996») tandis que PETROLITE affirme que c’est plutôt la Loi sur les brevets, modifiée par L.R.C. (1985), c. 33 (3e suppl.), qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1989 (ci-après «Loi de 1989»). 7. Supra, note 3. 244 Les Cahiers de propriété intellectuelle La prétention de CANWELL au sujet de l’application de la loi rendrait toutes les divulgations ayant eu lieu plus d’un an avant le dépôt au Canada de la demande, soit avant le 18 décembre 1988, opposables au brevet. Celle de PETROLITE tente plutôt de faire «revivre» une controverse installée lors de l’adoption de l’ancienne loi en 1989 et concernant la date pertinente devant servir à computer le délai de grâce d’un an. En effet, certains prétendaient à l’époque que la période de grâce d’un an prévue à l’alinéa 27(1)d) de la Loi de 1989 et visant les communications publiques émanant du demandeur se calculait à partir de la date de priorité, et non de la date du dépôt de la demande. Or, la Loi de 1996 est venue mettre un terme à cette controverse. En soutenant que la Loi de 1996 est non rétroactive, PETROLITE cherche ainsi à limiter le nombre de ventes opposables à celles ayant eu lieu entre les 10 et 23 décembre 1987, soit plus d’un an avant le dépôt de la demande prioritaire. Décision de première instance8 Appliquant la Loi de 1996 aux faits9, le tribunal de première instance conclut que le brevet de PETROLITE est valide10 et contrefait11. En bref, le juge de première instance conclut au caractère rétroactif de la Loi de 1996 et maintient la validité du brevet de PETROLITE au motif, notamment, que CANWELL ne s’étant pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait afin de renverser la présomption de validité du brevet, il n’existe aucune antériorité opposable à l’invention12. Il ordonne, entre autres, à CANWELL de cesser de contrefaire le brevet de PETROLITE13. Décision de la Section d’appel de la Cour fédérale La décision de première instance a été portée en appel devant la Section d’appel de la Cour fédérale qui s’est attardée à différentes questions dont plusieurs dépassent la portée de notre propos. Pour les fins de ce commentaire, nous nous proposons d’examiner brièvement la question de la loi applicable aux faits en l’espèce et, plus en détail, la question des règles de droit applicables aux antériorités, en l’espèce les ventes de QUAKER. 8. 9. 10. 11. 12. 13. Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., [2001] CarswellNat 1766, 2001 FCT 889, 13 C.P.R. (4th) 193 (C.F.P.I.). Supra, note 8, par. 65 et 66. Supra, note 8, par. 194. Supra, note 8, par. 147 et 195. Supra, note 8, par. 194. Supra, note 8, par. 139, 147 et 195. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 245 La loi applicable aux faits en l’espèce S’appuyant à la fois sur la doctrine traitant du principe de non-rétroactivité des lois14 et sur la jurisprudence à l’effet de l’interprétation que doivent recevoir les expressions «les affaires survenant» et «relativement au»15 (contenues notamment à l’article 78.4 de la Loi de 1996), la Cour d’appel, sous la plume du juge Rothstein, se rallie aux conclusions du juge de première instance quant à la question de la législation applicable, en l’occurrence la Loi de 1996. Le juge Rothstein déclare ce qui suit: Même s’il existe une présomption allant à l’encontre de l’application rétroactive d’un texte législatif, cette présomption peut être réfutée de façon explicite ou par déduction nécessaire. [...] L’article 78.4 énonce que la Loi de 1996 doit s’appliquer aux affaires survenues avant une date précise, notamment avant l’entrée en vigueur de ladite Loi. Par conséquent, la Loi de 1996 a une application rétroactive.16 Dans le cas qui nous occupe, la demande de brevet a été déposée le 19 décembre 1989, soit après le 1er octobre 1989, mais avant le 1er octobre 1996, de sorte qu’elle est régie par la Loi de 1996. De la même façon, toute affaire survenant relativement au brevet en question est régie par la Loi de 1996.17 [...] Les mots «in respect of» («relativement au») modifiés par l’expression globale «les affaires survenant», ne pourraient être plus larges. Le Parlement désirait manifestement donner à l’article 78.4 une portée très large. [...] L’argument de Petrolite ne tient tout simplement pas compte du texte clair de l’article 78.4.18 14. À ce sujet nous renvoyons le lecteur aux références de doctrine citées par la Cour au par. 19: Pierre-André CÔTÉ, The Interpretation of Legislation in Canada, 3e éd., (Scarborough: Carswell, 2000), à la page 150 et Ruth SULLIVAN, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto, Butterworths, 1994), à la page 522. 15. À ce sujet nous renvoyons le lecteur aux passages des décisions citées par la Cour au par. 22: Noewgijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 (C.S.C.) à la p. 39 dans Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430 à la page 445; et Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28 (C.S.C.), au par. 24. 16. Supra, note 1, par. 19. 17. Supra, note 1, par. 20. 18. Supra, note 1, par. 22. 246 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ne cherchant pas à se contredire, la Cour souligne par ailleurs que la Loi d’interprétation19 s’applique à tous les textes de loi20. Rien ne s’oppose alors à ce que les présomptions réfragables21 qui y sont prévues à l’encontre de l’application rétroactive des lois soient réfutées par des termes explicites, en l’occurrence, ceux de l’article 78.4 de la Loi de 1996. Enfin, la Cour conclut son analyse en expliquant pourquoi l’alinéa 1709(8)a) de l’ALÉNA22, qui prévoit qu’un brevet ne peut être annulé que lorsqu’il existe des motifs qui auraient justifié un refus d’accorder le brevet à l’origine, ne saurait empêcher l’application rétroactive des dispositions relatives à l’antériorité de la Loi de 1996. La Cour rappelle à cet effet qu’un instrument de droit international, tel un traité international et en l’occurrence l’ALÉNA, n’a pas la valeur d’une loi édictée par le Parlement du Canada. Bien que les termes d’un tel instrument puissent servir à interpréter un texte législatif national, la Cour nuance qu’ils ne peuvent se substituer aux termes clairs d’une loi du Parlement, notamment ceux de la Loi de 199623. En outre, souligne la Cour, le paragraphe 1709(8) de l’ALÉNA n’interdit pas l’adoption d’un texte législatif rétroactif24 et «l’effet d’une telle loi signifie que les dispositions de celle-ci sont applicables comme si elles avaient existé à une date antérieure»25. Par cette décision, la Cour fédérale confirme donc le caractère rétroactif de la Loi de 1996. Règles de droit applicables à l’antériorité À la suite de son analyse de la législation applicable, la Cour se tourne vers l’examen des règles de droit applicables à l’antériorité. Appliquant l’article 28.2(1)a) de la Loi de 1996 aux faits en l’espèce, la Cour réitère que l’invention revendiquée dans le brevet en litige ne doit pas avoir été divulguée avant le 19 décembre 1988, soit plus d’un an avant son dépôt au Canada le 19 décembre 1989. Elle examine 19. 20. 21. 22. L.R.C. (1985), c. I-21. Supra, note 19, art. 3(1). Supra, note 19, art. 43. Accord sur le libre-échange nord-américain, 1992, C.T.S. 1994/2, 32 I.L.M. 296,612, article 1709. 23. Supra, note 1, par. 24 et 25. 24. Supra, note 1, par. 26. 25. Supra, note 1, par. 26. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 247 ensuite tour à tour l’antériorité découlant d’une publication26 et celle découlant d’une vente ou utilisation antérieure27. Dans un rappel historique de la jurisprudence, la Cour cite au paragraphe 29 le critère d’antériorité découlant d’une publication d’abord énoncé en 1986 par le juge Huguessen dans l’affaire Beloit c. Valmet28, puis repris en 2000 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Free World Trust c. Électro Santé inc.29: L’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Ce critère fut formulé dans une décision rendue sous l’égide de l’ancienne loi qui était en vigueur avant le 1er octobre 1989. Or sous le régime qui prévalait à l’époque, la disposition pertinente établissait notamment que la vente, au Canada, plus de deux ans avant le dépôt d’une demande de brevet, emportait ipso facto anticipation de l’invention revendiquée et anéantissait son caractère de nouveauté. La simple preuve d’une telle vente était à la fois nécessaire et suffisante pour invalider un brevet. Or, les dispositions de l’article 27(1)d) de la Loi de 1989 sont venues modifier l’état du droit et alourdir le fardeau de preuve qui incombe à celui qui prétend l’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure. Le juge Rothstein résume la situation ainsi au paragraphe 32: Lors de la promulgation de l’alinéa 27(1) d) le 1er octobre 1989, qui a été remplacé par l’alinéa 28.2(1) a) le 1er octobre 1996, le critère à satisfaire pour établir l’antériorité par quelque moyen que ce soit est devenu la communication de «l’objet que définit 26. 27. 28. 29. Supra, note 1, par. 29. Supra, note 1, par. 30 à 46. Supra, note 3. Supra, note 4, par. 26. 248 Les Cahiers de propriété intellectuelle la revendication d’une demande de brevet» (invention) [...] «d’une façon qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs». Par suite des modifications apportées au texte législatif, 1. le délai de grâce applicable avant le dépôt de la demande de brevet a été réduit; 2. la communication n’importe où, et non seulement au Canada, est devenue pertinente; 3. l’usage ou la vente de l’invention ne peut plus être considéré en soi comme une preuve suffisante de l’antériorité; 4. pour établir l’antériorité, il est devenu nécessaire de prouver une communication qui a rendu l’invention accessible au public au Canada ou ailleurs. [...] Peu de décisions canadiennes ont été rendues au sujet de l’alinéa 28.2(1)a). Réitérant le principe du stare decisis en vertu duquel les tribunaux sont liés par les décisions des tribunaux de juridiction supérieure, le juge Rothstein rappelle que la Cour est liée en l’espèce par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Free World Trust30 et par l’arrêt Beloit c. Valmet «dans la mesure où la Cour suprême du Canada a approuvé celui-ci»31. La Cour nuance cependant la pertinence de cette jurisprudence en énonçant ce qui suit: [D]e façon générale, les principes énoncés dans les arrêts Beloit c. Valmet et Free World Trust au sujet de l’antériorité fondée sur une publication antérieure s’appliquent également à l’antériorité découlant de l’utilisation publique antérieure ou de la vente antérieure. [...] Toutefois, au-delà d’un certain niveau d’énoncés généraux, il sera peut-être nécessaire d’ajuster les principes régissant l’antériorité fondée sur la publication antérieure en fonction des caractéristiques particulières de l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure par le public ou de la vente antérieure au public.32 30. 31. 32. Supra, note 4. Supra, note 1, par. 33 et 34. Supra, note 1, par. 35. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 249 Afin de se guider, la Cour passe en revue les critères de droit émanant des autorités européennes33 et des autorités du RoyaumeUni34 quant à l’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure, au terme de laquelle elle retient huit principes, résumés au paragraphe 42, que nous énumérons très succinctement ainsi: 1. La vente ou l’utilisation doit être de nature à rendre les éléments descriptifs de l’invention accessibles au public. 2. La vente ou l’utilisation doit être de nature à permettre la réalisation de l’invention. 3. Dans le cas de la vente ou de l’utilisation d’un produit chimique, l’analyse doit permettre d’en découvrir la composition ou la structure interne. 4. L’analyse doit être possible pour une personne du métier, compétente mais non douée de génie inventif, au moyen des techniques connues et disponibles à l’époque pertinente. L’application de ce principe doit être compatible avec les principes énoncés dans l’arrêt Beloit c. Valmet. 5. Dans le cas d’une vente, il n’est pas nécessaire qu’il y ait plusieurs acheteurs, un seul suffit. L’acheteur doit cependant être membre du public et libre d’utiliser le produit à sa guise, c’est-à-dire sans contrainte. 6. Il n’est pas nécessaire de prouver que le produit vendu a effectivement été analysé, ou aurait pu l’être. 7. La complexité de l’analyse, le temps ou le labeur nécessaires pour l’effectuer ne sont pas des facteurs décisifs lorsque pris isolément. 33. European Patent Convention, 1973, article 54; Fisons Plc c. Packard Instrument BV (17 août 1994), Doc. T0952/92-3.4.1 (Bureau des brevets européen) aux pages 21, 22 et 23. 34. Patents Act, 1977, c. 37, article 2 ; Merrel Dow Pharmaceuticals c. H.N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (Royaume-Uni, Chambre des Lords) aux pages 86 et 87; PLG Research Ltd. c. Ardon International Ltd. (1992), [1993] F.S.R. 197 (Eng. Patents Ct.) à la page 225; Lux Traffic Controls Ltd. c. Pike Signals Ltd., [1993] R.P.C. 107 (Eng. Patents Ct.) à la page 133; Bristol-Myers Co.’s Application, [1969] R.P.C. 146, à la page 155. 250 Les Cahiers de propriété intellectuelle 8. La reproduction exacte du produit soumis à l’analyse n’est pas le critère. À ce sujet, la Cour reprend le passage suivant énoncé par la Chambre des recours dans l’affaire Fisons c. Packard: [TRADUCTION] Selon les décisions rendues par les Chambres des recours, la nouveauté d’une invention revendiquée sera annulée par la divulgation précédente (par quelque moyen que ce soit) d’une variante visée par la revendication. Par conséquent, de l’avis de la Chambre, la nouveauté d’une invention revendiquée est détruite par l’emploi antérieur d’un produit, notamment par la vente, lorsque l’analyse faite à l’aide des techniques disponibles informe la personne compétente au sujet de la variante du produit qui est visée par la revendication du brevet. La Chambre n’accepte donc pas l’argument du titulaire selon lequel une analyse complète d’un produit précédemment utilisé doit être possible de façon à permettre la reproduction exacte de ce produit pour que la nouveauté du produit revendiqué soit détruite.35 Ces principes, précise la Cour, ne sont pas exhaustifs et s’ajoutent aux principes des arrêts Beloit c. Valmet et Free World Trust, précités, «sans les modifier»36. Analyse de la preuve à l’aide des critères juridiques appropriés Ayant identifié le droit applicable, la Cour l’applique ensuite aux faits en l’espèce. La Cour revient sur les conclusions pertinentes du juge de première instance et les classe selon leur nature, de faits, de droit, ou mixte de faits et de droit37. Les conclusions selon lesquelles d’une part, les ventes de W-3053 étaient des ventes inconditionnelles en date de décembre 1987, et d’autre part, qu’un échantillon de W-3053 pour fins d’analyse était disponible à pareille date, sont des conclusions purement factuelles selon la Cour d’appel. À ce titre, la Cour souligne qu’en l’absence d’erreur manifestement déraisonnable, elles doivent être maintenues. La détermination du juge 35. Fisons Plc c. Packard Instrument BV (17 août, 1994), Doc. T0952/92-3.4.1 (Bureau des brevets européen) à la page 23 dans supra, note 1, par. 43. 36. Supra, note 1, par. 43. 37. Supra, note 1, par. 46. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 251 de première instance portant que l’invention revendiquée dans le brevet est le produit W-3053 est une conclusion de droit, de l’avis de la Cour d’appel. Il est bien établi en droit canadien que la détermination de l’invention doit se faire à la suite d’une interprétation des revendications qualifiée de «purposive construction» 3 8 ou d’interprétation dite «téléologique». Or, devant l’absence d’interprétation détaillée des revendications du brevet, la Cour rappelle que la norme de contrôle applicable en l’occurrence est l’erreur simple. Elle effectue donc elle-même l’interprétation des revendications du brevet en litige et conclut non pas que l’invention est le produit W-3053 mais plutôt que: [...] l’invention décrite dans le brevet 946 consiste à mettre en contact une composition renfermant le produit de réaction d’une alcanolamine inférieure avec un aldéhyde inférieur, ou de la triazine, avec des flux de gaz acide pour réduire les concentrations de sulfure d’hydrogène dans les flux en question.39 Enfin, la Cour aborde la question qui est au cœur du litige, soit la conclusion du juge de première instance selon laquelle, compte tenu de toute la preuve concernant les tentatives d’analyse et de reconstruction du W-3053, CANWELL ne s’est pas déchargée du fardeau qui lui incombait de prouver anticipation de l’invention revendiquée. Cette conclusion en est une de faits et de droit, enseigne le juge Rothstein puisqu’elle implique de savoir si les conditions du test d’anticipation, en l’occurrence la règle de droit applicable, se trouvent toutes remplies compte tenu des faits en l’espèce. Or, la Cour d’appel opine d’une part que la décision de première instance ne présente aucune conclusion de faits tirée de la preuve par experts40 présentée lors de l’instruction du procès et d’autre part, que la conclusion ultime de l’arrêt41 n’est fondée sur aucun support factuel42. Ce faisant, estime la Cour d’appel, le juge de première instance a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais test d’anticipation: 38. Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 9 C.P.R. (4th) 129, 194 D.L.R. (4th) 193, au par. 76 dans Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., supra, note 1, par. 46; à ce sujet, nous renvoyons également le lecteur à Free World Trust c. Electro-Santé inc., supra, note 4. 39. Supra, note 1, par. 65; voir aussi les par. 66 et 67. 40. Supra, note 1, par. 72. 41. Supra, note 8, par. 93. 42. Supra, note 1, par. 72 252 Les Cahiers de propriété intellectuelle [...] le critère que le juge de première instance a appliqué pour trancher la question de l’antériorité était la question de savoir si l’analyse du produit W-3053 permettait d’en déterminer la composition ou de le recomposer, ce qui revient au même.43 [75] Le défendeur qui invoque le moyen de défense de l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure ou de la vente antérieure d’un produit n’est pas tenu de prouver que le produit peut être reproduit (voir Fisons c. Packard, à la page 23). Le produit renfermera l’invention, mais peut également comporter d’autres éléments. Le défendeur qui se fonde sur l’alinéa 28.2(1)a) est tenu de prouver uniquement que l’objet du brevet, soit l’invention, a été divulgué. L’invention en l’espèce était la mise en contact de flux de gaz naturel avec de la triazine (ou ses substances de départ) pour réduire les concentrations de sulfure d’hydrogène dans les flux. Étant donné que la mise en contact du W-3053 avec les flux de gaz naturel acide était connue des clients qui ont acheté le produit, il suffit de déterminer si la triazine ou ses substances de départ pouvaient être décelées dans le produit W-3053.44 Devant l’observation que la preuve par expert la plus importante et la plus pertinente est documentaire, la Cour d’appel décide de substituer sa propre décision à celle du juge de première instance plutôt que de renvoyer la cause pour qu’elle soit de nouveau instruite45. La Cour d’appel retient l’expertise du professeur Keay fondée sur une analyse à l’aveugle d’un échantillon de W-3053, comme étant la plus probante et relève d’ailleurs le fait que le juge de première instance ne l’ait pas commentée46. La conclusion à laquelle le Dr Keay en est arrivé après avoir analysé l’échantillon non identifié a indiqué qu’une personne versée dans l’art aurait pu, sans se fonder sur une connaissance a priori ni faire appel à quelque génie inventif, analyser avec succès le produit W-3053 pour y déceler la présence de la triazine, des substances de départ de celle-ci, soit la MEA et le formaldéhyde, et du méthanol. Compte tenu du témoignage du Dr Buchannon, la technologie et les données nécessaires à 43. 44. 45. 46. Supra, note 1, par. 74 in fine. Supra, note 1, par. 75. Supra, note 1, par. 81. Supra, note 1, par. 84. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 253 l’analyse étaient disponibles au cours de la période pertinente, soit avant le 19 décembre 1988.47 La Cour ajoute judicieusement qu’une analyse effectuée incorrectement n’est pas constitutive de preuve que la rétroingénierie ne peut mener infailliblement à l’invention: Tout comme le critère énoncé dans l’arrêt Beloit sous-entend qu’une personne versée dans l’art lira et suivra correctement et sans faille les directives énoncées dans un brevet ou une publication antérieur, la même hypothèse implicite doit s’appliquer dans le cas de la rétro-ingénierie. Une méthode viciée qui mène à la conclusion erronée ne prouve pas qu’une personne versée dans l’art utilisant un procédé et appliquant correctement les données et la méthodologie disponibles à la date pertinente ne découvrirait pas l’invention revendiquée.48 La Cour précise également que le défaut de reproduire le rapport molaire exact du W-3053 n’entache en rien l’analyse de l’expert. La reproduction du produit ne constitue pas un critère du test à appliquer. Pas plus que ne le sont, pris isolément, la complexité de l’analyse, le temps ou le labeur requis pour l’effectuer: La question est de savoir si une personne versée dans l’art qui utilise les données techniques à l’époque pertinente pourrait découvrir l’invention sans faire appel à un génie inventif. Voir Beloit c. Valmet, à la page 297, et Fisons c. Packard, à la page 23. La complexité ou le temps et le travail nécessaires à eux seuls sont insuffisants pour invalider une analyse. Ce qu’il faut savoir, c’est s’il existe des éléments de preuve permettant de conclure à l’exercice d’un génie inventif. Il n’y en a pas en l’espèce.49 La Cour d’appel ne se rend pas à l’argument de PETROLITE selon lequel la livraison de W-3053 aux propriétés privées de sa clientèle ferait obstacle à l’accessibilité au public de l’invention. Selon la Cour, c’est la qualité de l’acheteur en tant que membre du public conjuguée à la qualité inconditionnelle de la vente qui rend cette dernière constitutive d’une antériorité opposable à l’invention50. 47. 48. 49. 50. Supra, note 1, par. 88. Supra, note 1, par. 92. Supra, note 1, par. 95. Supra, note 1, par. 96. 254 Les Cahiers de propriété intellectuelle C’est la vente inconditionnelle du produit W-3053 à l’acheteur qui rend le produit accessible au public. Si l’acheteur peut procéder à l’analyse du produit par rétroingénierie sans contrainte, cela suffit.51 La Cour étoffe abondamment son analyse et sa conclusion selon laquelle le brevet est invalide au motif que CANWELL a bel et bien démontré que l’invention était accessible au public au sens de l’article 28.2 de la Loi de 199652. La Cour enseigne que sous le régime de l’article 28.2(1)a), le fardeau de la preuve qui incombe à celui qui prétend l’antériorité découlant de la vente se limite à la démonstration que l’analyse par rétro-ingénierie était possible. Et ce, explique la Cour, à l’exclusion de toute démonstration concrète qu’une telle analyse a effectivement été effectuée, ou aurait pu l’être, par un acheteur53. Cette analyse est équivalente, dans le contexte d’une antériorité découlant d’une publication, à la lecture, par une personne du métier, d’un seul et unique document d’art antérieur menant à l’invention54. Cependant, la «mosaic rule», applicable dans le contexte de l’antériorité découlant d’une publication, n’est pas applicable dans celui de l’antériorité découlant d’une vente ou utilisation. Enfin, la Cour ajoute que «[l]a question de savoir comment l’acheteur entend traiter l’analyse, c’est-à-dire s’il compte la divulguer ou non, n’est pas un facteur pertinent»55. Conclusion Voilà donc une décision qui fournit de bons éléments de réponse à de nombreuses interrogations légitimes non seulement au sujet de l’interprétation à donner au paragraphe 28.2 (1) de la Loi, mais aussi au sujet du test d’anticipation applicable à l’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure. Il est à prévoir que les huit principes rapportés ci-dessus seront très utiles à la résolution de litiges présents et futurs concernant des antériorités découlant de vente ou d’utilisation public. Pour récapituler, ces dernières doivent: 1. rendre les éléments descriptifs de l’invention accessibles au public, 51. 52. 53. 54. 55. Supra, note 1, par. 97. Supra, note 1, par. 100. Supra, note 1, par. 96. Supra, note 1, par. 98. Supra, note 1, par. 97. L’antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure 255 2. permettre la réalisation de l’invention, 3. dans le cas d’un produit chimique, permettre l’analyse et la découverte de sa composition ou de sa structure interne, 4. permettre l’analyse par une personne du métier, à la fois compétente mais non douée de génie inventif, au moyen des techniques connues et disponibles à l’époque (l’application de ce principe doit être compatible avec les principes énoncés dans Beloit c. Valmet), et 5. viser une personne qui est à la fois membre du public et libre d’utiliser le produit à sa guise, c’est-à-dire sans contrainte; mais 6. il n’est pas requis de prouver que l’analyse a effectivement été effectuée ou aurait pu l’être, 7. la complexité de l’analyse, le temps et le labeur nécessaires pour l’effectuer ne sont des facteurs déterminants lorsque pris isolément, et 8. la reproduction exacte du produit soumis à l’analyse n’est le critère. Cette décision suscite néanmoins d’intéressantes nouvelles questions. Dans la présente affaire, la Cour a déterminé que les ventes de QUAKER ne pouvaient être considérées comme des ventes revêtant le caractère de confidentialité puisqu’elles n’étaient assorties d’aucune condition. Les critères qui ont rendu les ventes antérieures de QUAKER opposables à l’invention sont donc à la fois leur caractère inconditionnel et la qualité de l’acheteur en tant que membre du public. Une question vient alors spontanément à l’esprit. Devant l’effet relatif des contrats et leur inopposabilité aux tiers, on se demande comment des ventes conditionnelles c’est-à-dire assorties de clauses de confidentialité ou de conditions de non-divulgation seront qualifiées par les tribunaux. La vente «inconditionnelle» («unfettered sale») est-elle la seule qui soit susceptible de valoir divulgation publique de l’invention? 256 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette décision suscite aussi une seconde interrogation ayant trait à l’analyse d’un produit qui se détruit lorsque l’on tente de l’analyser. Par exemple, une puce ou un circuit intégré encapsulé dans l’époxy ayant des caractéristiques particulières faisant l’objet d’un brevet et dont la destruction résulterait de toute tentative d’examen. La vente ou l’utilisation en public de tels puce ou circuit intégré encapsulé non analysable vaudra-t-elle divulgation publique de l’invention? À la lumière des huit principes énoncés ci-dessus, il est raisonnable à notre avis de conclure par l’affirmative à cette question. Enfin, la question relative à l’opposabilité d’une utilisation dans un but d’expérimentation56 reste entière, les faits de l’affaire n’ayant pas permis à la Cour de discuter de cette question. Ces diverses questions restent en suspens en attendant les développements que ne manquera pas d’apporter la jurisprudence dans ce domaine. 56. Pour une analyse plus approfondie de cette question voir Nathalie JODOIN, «Activité inventive et utilité en matière de brevets», (2000) 12 C.P.I. 659. Vol. 15, no 1 Jumping to iCrave’s conclusion? Les amendements proposés à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit d’auteur Charles Morgan* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 2. Le fonctionnement du régime avant l’adoption du projet de loi C-48 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260 3. Les tentatives d’exploitation de la télévision sur Internet avant l’adoption du projet de loi C-48 . . . . . . . 263 4. Le contenu du projet de loi C-48 . . . . . . . . . . . . . . . 264 5. Le pour et le contre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 6. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268 © Charles Morgan, 2002. * Avocat en droit des technologies au sein du cabinet McCarthy Tétreault, s.r.l. L’auteur tient à remercier Timothy Dunn, stagiaire, et Anne-Marie Durand, étudiante en droit, pour leur assistance dans la recherche et la rédaction de ce commentaire. 257 1. Introduction Le 18 juin dernier, la Chambre des communes du Canada a adopté le controversé projet de loi C-48. Ce projet de loi, qui n’a toutefois pas encore reçu la sanction royale, modifiera, si adopté dans sa version actuelle, l’article 31 de la Loi sur le droit d’auteur1. Cette disposition traite du régime de retransmission par télécommunication des œuvres protégées par un droit d’auteur. Ce régime accorde une licence obligatoire de droit d’auteur aux personnes désirant retransmettre par télécommunication des œuvres protégées sans avoir à obtenir préalablement la permission des détenteurs des droits affectés. Les modifications proposées au régime en vigueur ont comme objectif principal «d’établir le cadre en vertu duquel les retransmetteurs non conventionnels d’émissions de radio ou de télévision pourront exercer leurs activités conformément au régime de licence obligatoire de retransmission»2. Les retransmetteurs non conventionnels incluent, entre autres, les entreprises faisant de la retransmission sur Internet, c’est-à-dire qui retransmettent par Internet les signaux d’entreprises de programmation de télévision ou de radio en direct3. La proposition de modifier l’article 31 a semé la discorde dans l’industrie, particulièrement entre les deux camps qui opposent les titulaires de droit d’auteur aux nouvelles entreprises désirant exploiter la retransmission des signaux de télévision sur Internet. Le présent article fait un survol du fonctionnement du régime actuel de licence obligatoire en vertu de l’article 31, des modifications apportées à celui-ci par le projet de loi C-48 dans sa version actuelle, ainsi qu’une analyse de ces modifications. 1. L.R.C. (1985), c. C-42 (ci-après «Lda»). 2. Monique HÉBERT, «Projet de loi C-48: Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur», Résumé législatif LS-420F (22 janvier 2002), Direction de la recherche parlementaire, Division du droit et du gouvernement, Bibliothèque du Parlement, à la p. 1 (ci-après, «Résumé législatif»). 3. Voir l’Appel d’observations concernant la retransmission sur Internet (Décret C.P. 2002-1043). 259 260 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. Le fonctionnement du régime avant l’adoption du projet de loi C-48 La protection accordée par le droit d’auteur n’existe que dans la mesure où elle est prévue en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Cette loi accorde au titulaire de droit d’auteur, entre autres, le droit exclusif de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique4. En outre, la journée de télévision fait l’objet d’une protection en tant qu’œuvre de «compilation». La retransmission par câble, par satellite ou autrement, de signaux de télévision et de radio en direct après réception, implique l’exercice du droit de communication. Ainsi, une telle retransmission, sans le consentement du titulaire de droit d’auteur constitue en principe une violation du droit exclusif de communication. Dans ce contexte, l’article 31 de la Loi sur le droit d’auteur crée une exception limitée à la règle du droit exclusif de communication. Pour bien comprendre ce régime d’exception, il faut revenir en arrière. En 1954, dans la décision Canadian Admiral Corporation Ltd. c. Rediffusion Inc.5, la Cour de l’Échiquier du Canada a établi que la retransmission par câble sans consentement ne violait ni le droit de contrôler l’exécution publique des œuvres protégées, ni le droit de communication d’alors6. Selon le tribunal, le droit de communication ne s’appliquait qu’aux communications effectuées par ondes hertziennes7. Cette décision créait un contexte propice pour le développement rapide des compagnies de câblodistribution au 4. Voir l’alinéa 3(1)f) Lda. 5. [1954] R.C.É. 382. 6. En ce qui a trait au droit d’exécution publique, le juge Cameron s’est exprimé ainsi, aux pages 404 et 408 de son jugement: «[I]n order to find that the defendant infringed the plaintiff’s right, I must find that the performance was «in public». [...] As to the character of the audience in homes and appartments to which the telecasts of the live films were «rediffused» by the defendant [...], each is private and domestic, and therefore not «in public». En ce qui a trait au droit de communication, le juge a tenu les propos suivants aux pages 409 et 410 de son jugement: «[T]he monopoly conferred on the owner of copyright is purely a statutory one and the right is as defined therein and not otherwise. Here the right is to communicate a work by radio communication. Now radio is a communication of messages by means of electro-magnetic or Hertzian waves through the ether. [...] But in this case the defendant communicated the work not by the use of electro-magnetic waves, but by the use of co-axial cables to its subscriber.» 7. À l’époque, le droit de communication, tel que défini dans la Lda., n’était pas «technologiquement neutre»; aujourd’hui, il l’est beaucoup plus puisque le mot «télécommunication» est défini comme «toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique». Jumping to iCrave’s conclusion? 261 Canada puisque les entreprises de retransmission par câble pouvaient retransmettre des signaux de télévision en direct gratuitement. Il n’est pas surprenant de constater que cette forme de retransmission est devenue un élément essentiel du système canadien de radiodiffusion – ce qui est toujours le cas aujourd’hui puisqu’environ 75% des ménages canadiens reçoivent les signaux de télévision en direct par câble ou par satellite8. Or, bien que bénéfique pour les câblodistributeurs, la décision de la Cour de l’Échiquier créait une situation injuste pour les radiodiffuseurs en direct et les titulaires des droits d’auteur. On se devait par conséquent de trouver une solution. On a finalement opté pour la solution suivante: (i) la création d’un droit de communication neutre du point de vue technologique, (ii) l’imposition d’obligations à long terme visant la retransmission de signaux télévisuels locaux ou éloignés aux entreprises de distribution de radiodiffusion («EDR») conventionnelles, ainsi que (iii) l’adoption d’un régime de licence obligatoire impliquant le paiement de redevances. Ce régime s’est concrétisé dans l’article 31 de la Loi sur le droit d’auteur9. Le régime législatif actuel de retransmission par télécommunication des œuvres faisant l’objet d’un droit d’auteur doit aussi être situé dans le contexte des négociations ayant mené à l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Par ailleurs, l’adoption de ce régime a grandement facilité la ratification de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques10 («Convention de Berne»), par le Canada en 1998. Dans le cadre des négociations afférentes à ces deux ententes, le Canada s’est vu imposer un régime de licence obligatoire ayant pour but de mettre en place un système de protection pour les propriétaires de contenu étranger (surtout américain). Au lieu de négocier directement avec les titulaires étrangers de droits d’auteur, les retransmetteurs paient des redevances à la Commission canadienne sur le droit d’auteur qui, elle, se charge de redistribuer les redevances aux titulaires de droits (y compris les titulaires étrangers). 8. Voir Patrimoine Canada et Industrie Canada, Document de consultation sur l’application de la Loi sur le droit d’auteur pour ce qui est des licences obligatoires de retransmission par Internet, le 22 juin 2001, à la p. 3 (ci-après, «Document de consultation»). 9. Pour des renseignements supplémentaires sur les motifs ayant mené à l’adoption du régime actuel de licence obligatoire, voir Document de consultation, supra, note 8, aux p. 3 à 5, et Résumé législatif, supra, note 2, aux p. 2 à 4. 10. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, Acte de Paris du 24 juillet 1971, modifié le 28 septembre 1979 (ci-après, «Convention de Berne»). 262 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le cœur du régime de licence obligatoire se retrouve à l’article 31 de la Loi sur le droit d’auteur, complété par les articles 71 et suivants11. L’article 31 crée une exception à l’interdiction de communiquer au public par télécommunication des œuvres faisant l’objet d’un droit d’auteur lorsque ces communications n’ont pas été préalablement autorisées. L’article énonce les critères qui, lorsque satisfaits, permettent l’obtention d’une licence autorisant la retransmission licite d’œuvres faisant l’objet d’un droit d’auteur sans avoir à obtenir préalablement la permission du titulaire du droit d’auteur. Quatre conditions doivent être satisfaites pour qu’une licence soit délivrée: 1) la communication consiste en la retransmission d’un signal local ou éloigné, selon le cas; 2) la retransmission doit être licite en vertu de la Loi sur la radiodiffusion12; 3) le signal est retransmis, sauf obligation ou permission légale ou réglementaire, intégralement et simultanément, et 4) dans le cas de la retransmission d’un signal éloigné, le retransmetteur a acquitté les redevances et respecté les modalités fixées sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur. Lors de son adoption, le régime de licence obligatoire visait principalement à assurer un traitement juste et adéquat aux titulai11. Ces derniers articles établissent le mécanisme de perception des redevances. 12. Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c. 11. Afin de diffuser légalement à l’intérieur du territoire canadien, une entreprise doit détenir une licence délivrée par le CRTC en vertu de l’article 9(1)(b) de la Loi sur la radiodiffusion. Elle doit également respecter les règlements adoptés par le CRTC en vertu de l’autorité que lui confère l’article 10 de la Loi sur la radiodiffusion. Il est à noter que le 17 décembre 1999, le CRTC a rendu une Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias (Annexe A de l’avis public CRTC 1999-197), laquelle ordonnance «exempte de la réglementation en vertu de la partie II de la [Loi sur la radiodiffusion] et des règlements applicables les entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias qui offrent des services de radiodiffusion accessibles et distribués sur Internet» pour une période de cinq ans. En vertu de l’Appel d’observations concernant la retransmission sur Internet, l’avis public du CRTC 2002-38 émis le 19 juillet 2002, le CRTC a sollicité le point de vue du public concernant la retransmission sur Internet. Une des questions qui doivent être discutées est la possibilité d’apporter des changements à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias mentionnée ci-haut. Jumping to iCrave’s conclusion? 263 res de droits sur le contenu de programmation des signaux, et à éviter aux retransmetteurs d’avoir à négocier séparément avec chaque titulaire de droit d’auteur. Or, ce fragile équilibre a été rompu par l’arrivée de la retransmission des signaux de télévision par Internet. 3. Les tentatives d’exploitation de la télévision sur Internet avant l’adoption du projet de loi C-48 Une des premières compagnies à avoir tenté d’exploiter la télévision sur Internet est la compagnie TVRadioNow Corp., faisant affaires sous le nom iCraveTV.com («iCrave»). Dès le 30 novembre 1999, iCrave fournissait aux internautes un accès à neuf signaux de télévision canadiens et à huit signaux de télévision américains qui étaient transmis sans frais au grand public en direct (bénéficiant, tout comme les pionniers de la câblodistribution, de la proximité des grandes stations de télévision américaines à la frontière canadoaméricaine). La compagnie captait les signaux par réception d’antenne, les convertissait en format compatible avec Internet, puis les diffusait sur Internet. Les activités de iCrave se sont vite révélées problématiques pour plusieurs. D’abord, bien que le service fourni par iCrave n’ait été officiellement destiné qu’aux résidents canadiens, dans les faits, tout internaute pouvait le recevoir. Ensuite, plusieurs titulaires de droits d’auteurs se sont plaints du fait que la retransmission sur Internet n’était pas conforme à la notion de retransmission «intégrale» et «simultanée» des signaux prévue à l’article 31(2) de la loi. iCrave s’est défendue en soutenant qu’elle remplissait les conditions du régime de licence obligatoire régi par la Loi sur la radiodiffusion, et en affirmant pouvoir se prévaloir de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le «CRTC»). Insatisfaits, des titulaires de droits d’auteur américains et canadiens ont intenté des procédures judiciaires pour violation de leurs droits. Aux États-Unis, l’action13 a été intentée en vertu des articles 105(1)-(5) de la loi américaine sur le droit d’auteur, qui accorde aux titulaires de droits d’auteur le droit exclusif de concéder 13. Twentieth Century Fox Film Corp. c. iCraveTV, Civil Action No. 00-121 Consolidated with Civil Action No. 00-120, United States District Court for the Western District of Pennsylvania, 2000 U.S. Dist. LEXIS 11670; 53 U.S.P.Q. 2d (BNA) 1831; Copy. L. Rep. (CCH) P28,030, 8 février 2000. 264 Les Cahiers de propriété intellectuelle des licences permettant la performance en public en leurs œuvres14. Au Canada, une coalition de radiodiffuseurs incluant Radio-Canada, CTV, WIC, Rogers et CHUM, a déposé, le 31 janvier 2000, une action contre iCrave devant les tribunaux ontariens. Le périple judiciaire n’aura été que de très courte durée puisqu’un mois plus tard, craignant la perspective de devoir payer quelques cent millions de dollars américains en dommages-intérêts, iCrave acceptait les termes d’un règlement hors cour proposé par les demandeurs américains et canadiens et fermait volontairement son site Internet15. Après l’échec de iCrave, JumpTV Inc. («JumpTV»), a été la deuxième compagnie canadienne à offrir des services de radiodiffusion de signaux de télévision accessibles et distribués sur Internet. JumpTV se proposait de mettre en place des dispositifs techniques plus costauds que ceux utilisés par iCrave pour s’assurer que les signaux de télévision retransmis ne pouvaient être reçus qu’à partir d’ordinateurs situés au Canada, en utilisant une technologie baptisée «border control». Le 18 mai 2001, la compagnie a déposé une demande pour l’obtention d’une autorisation de retransmission via Internet auprès de la Commission sur le droit d’auteur («la Commission»)16. Cette requête a toutefois été retirée depuis lors. 4. Le contenu du projet de loi C-48 En réponse aux préoccupations des titulaires de droits d’auteur et des entreprises de retransmission sur Internet, le gouvernement a décidé d’apporter des modifications au régime d’administration des retransmissions de l’article 31. D’abord, la définition de «retransmetteur» au paragraphe 31(1) a été clarifiée17. Ensuite, un alinéa 31(2)e) a été ajouté afin d’obliger 14. 17 U.S.C. 105 15. Le texte de la convention de règlement hors cour dans le litige canadien est disponible en ligne sur le site <http://www.cab-acr.ca>. 16. JumpTV.com Canada, Inc., Application to the Copyright Board for Internet Retransmission Under Section 31 of the Copyright Act, Commission sur le droit d’auteur, 18 mai 2001. 17. Actuellement, «retransmetteur» est défini de manière négative comme suit: «Ne vise pas la personne qui utilise les ondes hertziennes pour retransmettre un signal mais dont l’activité n’est pas comparable à celle d’un système de retransmission par fil.» Par opposition, la version modifiée du paragraphe 31(1) établit de façon positive qui est un retransmetteur: un retransmetteur est une «personne, autre qu’un retransmetteur de nouveaux médias, dont l’activité est comparable à celle d’un système de retransmission par fil». L’article fournit également une définition de «retransmetteur de nouveaux médias» dont le Jumping to iCrave’s conclusion? 265 les retransmetteurs à se conformer aux termes et aux conditions des règlements qui seront adoptés par le gouverneur en conseil en vertu du nouveau paragraphe 31(3). Il s’agit d’une cinquième condition à satisfaire pour l’obtention de la licence obligatoire. Dans un premier temps, en vertu du nouveau paragraphe 31(3), des règlements pour définir «signal local» et «signal éloigné» pourront être adoptés par le gouverneur en conseil. Dans un deuxième temps, des règlements pourront aussi être adoptés par le gouverneur en conseil portant sur les conditions à remplir pour se qualifier comme «retransmetteur» autorisé. Selon les conditions stipulées dans les règlements, l’utilisation de nouveaux systèmes de retransmission – incluant Internet – pourrait être autorisée. À la lecture du texte du projet de loi C-48, une conclusion s’impose: le cœur des modifications se retrouvera dans les règlements à être adoptés et dont le texte n’est toujours pas disponible18. Aussi, comme le gouvernement s’est engagé à ne pas accorder la sanction royale au projet de loi avant que les règlements soient prêts19, le statu quo persiste. Pendant ce temps, JumpTV ne peut pas légalement retransmettre de signaux de télévision canadiens sur Internet. La compagnie menace de poursuivre le gouvernement fédéral en justice en raison des délais causés par l’adoption des règlements20. Or, Ottawa a décrété un moratoire d’un an sur l’adoption des règlements afin de permettre la tenue de consultations publiques sur la question. Les titulaires de droits d’auteur se font aussi menaçants. Par exemple, la Ligue nationale de hockey, la National Football League, ainsi que la National Basketball Association affirment vouloir intenter des poursuites judiciaires à l’encontre de retransmetteurs Internet potentiels. Ils ont également fait du lobbying21 auprès du 18. 19. 20. 21. texte est le suivant: «Personne dont la retransmission est légale selon les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion uniquement en raison de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias rendue par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à l’Annexe A de son avis public 1999-197, tel que modifié de temps à autre.» Une version préliminaire des règlements a été mise en circulation restreinte dans le but de recueillir des commentaires, mais le texte officiel des règlements n’est toujours pas disponible. Résumé législatif, supra, note 2, à la p. 6. Voir I. JACK, «JumpTV Vows to Take Ottawa to Court», National Post en ligne, le 5 juin 2002, en ligne: <http://www.nationalpost.com>. En juin 2002, le comité judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis a envoyé une lettre à l’ambassadeur du Canada aux États-Unis, condamnant le projet de loi C-48. Le comité prétendait que le projet de loi, si 266 Les Cahiers de propriété intellectuelle gouvernement américain afin que ce dernier dépose une plainte contre le Canada auprès de l’Organisation mondiale du commerce («OMC»), dans l’éventualité où le Canada adopterait le projet de loi C-48 sous une forme qui intégrerait les retransmetteurs Internet au système obligatoire de licence22. 5. Le pour et le contre Le principal argument des défenseurs de l’intégration des retransmetteurs sur Internet au régime de licence obligatoire est que toutes les technologies, les nouvelles comme les plus anciennes, devraient être traitées sur un pied d’égalité. En d’autres mots, la Commission ne devrait pas favoriser les technologies plus anciennes aux dépens des services innovateurs qui sont disposés à verser des redevances. Les partisans de l’intégration de la retransmission sur Internet au régime de l’article 31 soutiennent également que les arguments de politique publique justifiant l’existence d’un régime de licence obligatoire en ce qui a trait aux EDR par câble ou par satellite s’appliquent aussi aux retransmissions sur Internet. Par exemple, le fait que l’on puisse accéder aux sites Internet de n’importe où au Canada sert l’objectif politique de service universel énoncé dans la Loi sur la radiodiffusion et ce, d’une manière dont ne peuvent le faire les entreprises de câblodistribution, par exemple. Un autre argument des partisans de l’intégration de la retransmission sur Internet au régime actuel est que, dans une ère de changements technologiques rapides, l’exclusion des retransmissions sur Internet du régime pourrait limiter de façon inappropriée la capacité même des EDR conventionnelles à adopter la technologie la plus efficace disponible. Par contre, les titulaires de droits d’auteur sont plutôt d’avis que les différentes technologies ne sont pas égales. Dans un premier temps, ils allèguent que les retransmissions sur Internet ne satisfont pas les critères de simultanéité et de non-modification23. En ce qui a trait à la simultanéité, ils avancent que les images sur Internet sont adopté, allait mener au piratage des œuvres faisant l’objet de droits d’auteur puisque ces dernières seraient accessibles sur Internet à l’extérieur de la zone géographique canadienne. 22. Voir K. LUNMAN, «Copyright Bill Provokes U.S.», The Globe and Mail, le 7 juin 2002, en ligne: <http://www.globetechnology.com>. 23. Il est intéressant de noter que présentement, les services de retransmission par satellite de la télévision numérique ne satisfont pas, techniquement, l’exigence de simultanéité de la Loi en raison du temps requis pour convertir les signaux en format numérique avant de les retransmettre. Jumping to iCrave’s conclusion? 267 retransmises à une vitesse qui est beaucoup moindre que celle des retransmissions faites par les EDR conventionnelles. Pour ce qui est du critère de non-modification, ils font valoir qu’une image télévisuelle ayant été rapetissée, entourée de bannières publicitaires, puis activée à une vitesse réduite, ne peut pas véritablement être considérée comme ne comportant aucune modification. Au surplus, les titulaires de droits d’auteur font remarquer qu’en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, on requiert présentement des EDR conventionnelles qu’elles contribuent un pourcentage de leur revenus bruts à la création d’une programmation canadienne, et qu’elles observent les mesures de protection destinées à la préservation de la valeur des droits des radiodiffuseurs de signaux en direct sur les émissions locales. Les entreprises de radiodiffusion conventionnelles doivent également se soumettre à des restrictions en ce qui a trait à la substitution simultanée des signaux qu’elles peuvent licitement retransmettre. Pour leur part, les retransmetteurs sur Internet sont présentement totalement exemptés de telles réglementations, du moins jusqu’en 2004, date à laquelle l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias devrait cesser de s’appliquer. Par ailleurs, les EDR ont fait des investissements importants et socialement bénéfiques en matière d’infrastructures alors que les entreprises de retransmission sur Internet, au contraire, ne font que s’appuyer sur un médium de distribution déjà existant. Finalement, les titulaires de droits d’auteur font valoir qu’une extension du régime pour inclure les retransmetteurs sur Internet diminuerait, dans un environnement de radiodiffusion caractérisé par la convergence, la capacité des joueurs établis de maintenir et de développer leur image de marque. Les titulaires de droits d’auteur s’opposent également à l’inclusion des retransmetteurs Internet au régime de l’article 31 car une telle inclusion permettrait «l’écoulement» d’œuvres faisant l’objet de droits d’auteur à l’extérieur du territoire canadien. En plus d’entraîner une diminution de la valeur des droits de diffusion des titulaires de droits d’auteur, cet effet de débordement placerait le Canada dans une position délicate puisqu’il pourrait alors être en violation de certains traités internationaux. En effet, la Convention de Berne, l’entente de l’OMC sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce(«ADPIC»), ainsi que le Traité sur le droit d’auteur de l’Organisation mondiale sur la propriété intellectuelle («OMPI») restreignent tous les trois la retransmission extraterritoriale d’œuvres faisant l’objet de droits d’auteur. Plus particulièrement, la Convention de Berne permet aux pays signataires 268 Les Cahiers de propriété intellectuelle de régler les conditions d’exercice des droits exclusifs des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques en ce qui a trait, notamment, à la radiodiffusion, mais ces conditions doivent avoir un «effet strictement limité au pays qui les [établit]»24. Les retransmetteurs sur Internet répliquent que l’effet de débordement des signaux dans les autres juridictions ne constitue pas une question sur laquelle les lois canadiennes devraient se pencher. Ils avancent que les titulaires de droits pourraient demander aux juridictions étrangères d’aborder la question dans leurs lois intérieures. Cet argument est plutôt faible puisqu’il ne tient pas compte des obligations internationales du Canada en vertu des traités énoncés ci haut, qui sont indépendantes des lois étrangères. L’argument subsidiaire des innovateurs est que la portée géographique des signaux retransmis pourrait, grâce à l’adoption de nouvelles technologies, être limitée au territoire canadien. Quoique l’efficacité de ces technologies demeure incertaine, cet argument est beaucoup plus défendable, d’autant plus qu’il serait possible de rendre obligatoire l’adoption de telles technologies par voie statutaire. 6. Conclusion Le cœur de la réforme réglementaire du régime de licence obligatoire, si elle est mise de l’avant tel que prévu dans la version actuelle du projet de loi C-48, se retrouvera dans les règlements. Le législateur aura donc une tâche délicate à accomplir dans leur rédaction. Il devra ainsi: (i) respecter les obligations internationales du Canada en ce qui a trait à la protection des droits d’auteur; (ii) éviter d’empêcher le développement de nouvelles technologies de radiodiffusion, et (iii), créer un «level playing field» qui respectera à la fois les intérêts légitimes des titulaires de droits d’auteur, des retransmetteurs tant anciens que nouveaux, et du public. Dossier à suivre. 24. Convention de Berne, supra, note 10, Article 11bis. Ces obligations sont incorporées dans l’ADPIC dans la mesure où elles y sont pertinentes. Notons aussi que le droit de communiquer prévu dans le Traité sur le droit d’auteur de l’OMPI est «sans préjudice» aux droits de diffusion et de communication prévus dans la Convention de Berne. Vol. 15, no 1 L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel: le droit de reproduire la documentation juridique est limité René Pepin* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 2. Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 3. Les questions à trancher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 4. Le remède accordé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 5. Les motifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 5.1 Les arguments du Barreau ne reposant pas sur la LDA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 5.2 Les motifs relatifs au paragraphe 3(1): le droit de reproduire des textes . . . . . . . . . . . . 276 5.3 Les motifs relatifs à l’alinéa 3(1)f) de la LDA: la communication au public, par télécommunication, d’une œuvre. . . . . . . . . . 281 © René Pepin, 2002. * Professeur à la Faculté de droit, Université de Sherbrooke. 269 270 Les Cahiers de propriété intellectuelle 5.4 Les motifs relatifs à l’article 3 in fine de la LDA: le droit exclusif d’autoriser un des actes mentionnés à l’article 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 5.5 Les motifs fondés sur le paragraphe 27(2) de la LDA: la violation à une étape ultérieure («contributory infringement») . . . . . . . . . . . . . 284 5.6 La défense d’utilisation équitable: l’article 29 de la LDA . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286 6. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 1. Introduction Le 14 mai 2002, la Cour fédérale d’appel rendit sa décision1 dans le litige opposant trois maisons d’édition spécialisées en matière juridique et le Barreau ontarien2. Celui-ci s’occupe, entre autres, de gérer la «Grande bibliothèque» (Great Library), i.e. la bibliothèque de la faculté de droit de l’Université York, en Ontario. Dans le cadre de ses activités, le Barreau, sur demande de personnes impliquées dans le monde juridique, qu’elles soient juges, avocats ou avocates, stagiaires ou étudiants ou étudiantes, fournit un service de photocopie et transmission par la poste, par service de messagerie ou par moyen électronique de documents juridiques: textes de lois, règlements, décisions de tribunaux, articles de revues, ou extraits de monographies. Il met aussi à la disposition des usagers de la bibliothèque un certain nombre d’appareils à photocopier. Les maisons d’édition ont prétendu que, ce faisant, on violait plusieurs dispositions de la Loi sur le droit d’auteur3. La décision est fort longue et très bien documentée. Elle fait suite à un jugement rendu en première instance en novembre 19994, lui aussi très étoffé. À notre avis elle doit être étudiée car elle est importante sous plusieurs rapports. Elle soulève d’abord une question qui est bien d’actualité. On sait que le développement des communications dans la dernière décennie a amené une petite révolution dans la façon d’accéder aux sources du droit. Les diverses banques de données juridiques permettent d’avoir accès instantanément au texte des lois, règlements, articles de revues et jugements très 1. Disponible sur le site de la Cour fédérale du Canada à l’adresse URL http://decisions.fct-cf.gc.ca/cf/2002/2002caf187.html. 2. CCH Canadian Ltd. c. Law Society of Upper Canada, [2002] F.C.J. no 690, [2002] FCA 187 (QL). Le juge Linden a rendu les principaux motifs, appuyé par le juge Sharlow. Le juge Rothstein, tout en arrivant aux mêmes conclusions, a rendu des motifs sur quelques points plus spécifiques. Nous aurons l’occasion de voir où les juges Linden et Rothstein diffèrent d’avis. 3. L.R.C. (1985), c. C-42, ci-après LDA . 4. [2000] 2 C.F. 451. La cause a été entendue en novembre 1998, et c’est un an plus tard que le juge Gibson rendit son avis. 271 272 Les Cahiers de propriété intellectuelle récents des tribunaux. Comme ces documents sont encore publiés dans une version papier et sont manifestement protégés par la LDA, on peut se demander jusqu’à quel point il est légal pour le juriste de télécharger à peu près tout ce qu’il désire à partir de banques de données sans enfreindre la loi. D’autre part, la décision de la Cour fédérale d’appel soulève des interrogations qui concernent les concepts les plus fondamentaux dans le domaine du droit d’auteur. Prenons un seul exemple. On sait que pour qu’une œuvre soit protégée en vertu de la loi, elle doit, comme condition essentielle, être originale5. Or qu’en est-il en l’occurrence? Peut-on dire que le fait pour un éditeur de reproduire des décisions de tribunaux dans un volume, dont on ne veut surtout pas changer un iota au texte, est suffisamment original? Suffit-il, pour qu’il y ait originalité, d’ajouter un résumé de la décision? Ou des mots-clés? L’index par sujets, publié à la fin d’un volume, est-il protégé par la loi? Ce sont ces questions, et plusieurs autres, qui ont dû être abordées par la Cour et méritent d’être scrutées. 2. Les faits Le Barreau ontarien est, comme ses homologues des autres provinces, un organisme à but non lucratif, chargé par la loi de réglementer la profession d’avocat. Sa particularité, en ce qui nous concerne, est qu’il est, en plus, chargé de la gestion de la bibliothèque juridique la plus prestigieuse de cette province. Comme on l’a mentionné, il met à la disposition de sa clientèle des appareils à photocopier, et il offre un service de photocopie et de transmission de documents juridiques. À noter qu’il a adopté une «Politique d’accès au droit», et des «Lignes directrices». La politique d’accès contient une phrase importante calquée sur les articles 29 et 29.1 de la LDA, en matière d’utilisation équitable. Elle prévoit qu’il peut être photocopié «un seul exemplaire» de «documents juridiques», dans un but de «recherche», d’«étude privée», de «critique» ou d’utilisation en cour. Les lignes directrices, pour leur part, prévoient ceci, au point no 4: «[...] on doit faire preuve de discernement en matière de photocopie. Le Barreau ne fera pas de photocopies pour des motifs autres que ceux exprimés dans le formulaire de demande, et toute demande équivalant à plus de 5 % du nombre de pages d’un livre sera évaluée 5. Supra, note 3, article 5(1): «[...] le droit d’auteur existe au Canada, [...] sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale [...]» L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 273 au mérite»6. Quant aux appareils à photocopier, le Barreau ne supervise pas leur utilisation, mais a affiché une notice près d’eux voulant que la LDA s’y applique, et qu’il décline toute responsabilité en cas d’utilisation illégale des appareils. Les trois compagnies appelantes font partie des maisons d’édition juridiques les plus importantes au Canada: Commerce Clearing House (CCH), Carswell et Thomson, qui sont affiliées, et Canada Law Books. Elles ont intenté des procédures en 1993 après avoir envoyé sans succès une lettre demandant au Barreau de cesser ses pratiques. On a préparé une cause-type en demandant notamment aux employés de la Grande bibliothèque de photocopier et envoyer par télécopieur trois décisions choisies au hasard dans la collection des Dominion Law Reports, des extraits d’un volume du type «loi annotée», et un article tiré d’un «textbook», i.e. un recueil destiné à être utilisé auprès d’étudiants. 3. Les questions à trancher Les questions à trancher ont été fort nombreuses, si on cherche à toutes les identifier, mais essentiellement les appelantes reprochaient au Barreau d’avoir enfreint les dispositions suivantes de la LDA. D’abord, l’article 3, qui est la disposition de base énumérant les droits exclusifs des détenteurs de droits d’auteur. Son premier paragraphe dispose, notamment, que l’un de ces droits consiste à «produire et reproduire l’œuvre», i.e. en multiplier les exemplaires. On voulait faire déterminer par la Cour si le Barreau ontarien viole la loi parce qu’il reproduit une œuvre protégée ou, comme le dit la même disposition, «une partie substantielle» de l’œuvre. L’alinéa 3(1)f) prévoit pour sa part le droit exclusif du créateur «de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre». Cette disposition estelle violée lorsqu’on envoie par télécopieur des extraits de documents juridiques? Le dernier paragraphe de l’article 3 dispose enfin que le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre a le droit exclusif d’autoriser les actes ci-avant mentionnés. Cette disposition est-elle respectée lorsque le Barreau autorise des employés à photocopier et transmettre des documents? Et qu’en est-il lorsqu’il accepte et tolère que les usagers de la bibliothèque se servent comme ils veulent des appareils à photocopier? 6. Cf. supra, note 2, par. 2. C’est notre traduction. À noter qu’au moment de rédiger ce texte, la version française de la décision de la CFA n’était pas disponible. Le lecteur ne se surprendra donc pas de nous voir mettre souvent entre parenthèses l’expression correspondant dans le texte original au mot ou concept dont nous voulons traiter. 274 Les Cahiers de propriété intellectuelle S’est posée aussi la question de la violation ou non des articles 27 et surtout 27.1 de la LDA. L’article 27 énonce le principe selon lequel il y a violation de la loi chaque fois qu’est accompli sans le consentement du titulaire un acte que la loi lui réserve exclusivement. Il fallait déterminer si on peut prétendre qu’il y a consentement au moins implicite de la part des maisons d’édition pour que des extraits de leurs volumes soient reproduits. Plus problématique est l’application de l’article 27.1, qui porte sur ce que la loi nomme la «violation à une étape ultérieure», notion connue en anglais sous le vocable «secondary infringement». Il interdit la vente ou la mise en circulation d’exemplaires d’une œuvre protégée «alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit». Trois éléments doivent être prouvés pour qu’il y ait infraction à cette disposition: l’existence d’une copie d’une œuvre résultant d’une contrefaçon, la connaissance de ce fait par celui ou celle qui cherche à vendre l’œuvre, et le fait qu’il y ait vente ou possession en vue de vente ou de mise en circulation de l’œuvre contrefaite. Dans le cas qui nous concerne, lorsque le Barreau ontarien photocopie et expédie des extraits de volumes, dans le cadre d’un service à but non lucratif, doit-on considérer qu’il «vend» un exemplaire? Et, question encore plus délicate, à partir de quand peut-on considérer qu’il «sait ou devrait savoir» qu’il manipule des exemplaires contrefaits? On verra que les juges Linden et Rothstein diffèrent d’avis sur ce point. Enfin, le Barreau alléguait qu’il était visé par des exonérations prévues dans la LDA, surtout la notion d’utilisation équitable. Il a aussi soulevé des principes juridiques plus généraux pour défendre son service, notamment les notions d’égalité, d’accès à la justice, et le règne du droit. On a même parlé de délégation de la prérogative royale relative au droit de publier les décisions des tribunaux... Restera à voir quel succès ces arguments ont eu. 4. Le remède accordé À notre avis, cette décision va tout probablement être portée en appel devant la Cour suprême. À cause des intérêts économiques en jeu, mais aussi parce que les plaignantes n’ont pas obtenu tous les remèdes précis qu’elles réclamaient. Elles ont certes remporté une victoire importante. Les trois juges ont été d’accord pour accorder un jugement déclaratoire voulant qu’elles possèdent des droits d’auteur dans les œuvres qui ont été reproduites en l’occurrence, et que le Barreau ontarien a violé la LDA. Mais ils ont refusé d’accorder une injonction permanente, parce qu’on ne peut pas affirmer péremptoi- L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 275 rement que l’ensemble des ouvrages contenus dans la Grande bibliothèque sont des œuvres protégées par la loi. Et on n’a pas affirmé que la notion d’utilisation équitable était toujours inaccessible pour le Barreau ontarien. Il semble que certaines de ses pratiques, si elles étaient quelque peu modifiées, lui feraient bénéficier de l’exemption. Les juges ont donc retourné les parties à la table de négociation dans l’espoir qu’elles établissent un modus vivendi qui les satisfasse7. C’est donc une demi-victoire pour les maisons d’édition. La décision de la Cour fédérale ne les place pas dans un rapport de force tel qu’elles auraient pu imposer leurs conditions avant d’accorder la permission que leurs œuvres soient reproduites. 5. Les motifs 5.1 Les arguments du Barreau ne reposant pas sur la LDA Les avocats du Barreau ontarien, en bons juristes, ont soulevé tous les arguments qui pouvaient aider la cause de leur cliente. Ainsi, en plus de chercher à réfuter les accusations de violation de la LDA, on a invoqué des grands principes juridiques, ou des arguments relevant de l’équité, comme le caractère public des textes juridiques et la notion d’accès à la justice8. C’était certainement ici une cause tout indiquée pour soulever ce genre d’argument. Les juges les ont pris en compte brièvement, lorsqu’ils ont eu à tracer l’équilibre entre les droits des maisons d’édition et la notion d’intérêt public. On verra que le concept d’utilisation équitable, aux articles 29, 29.1 et 29.2 de la LDA, permet au juge de se demander si l’intérêt public exige que le droit exclusif du créateur soit limité. Mais il reste qu’ici les juges ont estimé qu’il fallait que les maisons d’édition conservent des incitatifs financiers pour continuer à produire et offrir à la population leurs différents produits. On a donc donné préséance à des dispositions dans un texte de loi portant sur un sujet bien précis. Quant à l’argument selon lequel il y aurait une licence implicite accordée au Barreau vu qu’il fait de telles reproductions de documents depuis un grand nombre d’années, ou même qu’il y aurait prescription, il a été rejeté immédiatement: même si une «licence implicite» peut légalement exister, rien n’empêche les maisons d’édition de la révoquer. On a aussi invoqué une délégation de la prérogative royale de publication des décisions des tribunaux. Le Barreau ontarien s’est fait servir ici l’argument qu’il n’avait pas prouvé ce 7. 8. Cf. supra, note 2, par. 178. Ibid., par. 170 et s. 276 Les Cahiers de propriété intellectuelle transfert de droit d’auteur. De plus, même si on accepte que les décisions des tribunaux tombent immédiatement dans le domaine public, une personne peut détenir des droits d’auteur sur ces textes lorsqu’ils sont incorporés dans un recueil, par exemple. Nous reviendrons plus loin sur ce point. 5.2 Les motifs relatifs au paragraphe 3(1): le droit de reproduire des textes C’est ici que la décision est, de loin, la plus intéressante, et la plus étoffée. C’est qu’il fallait d’abord se demander, avant de déterminer s’il y avait eu reproduction illégale, ce qui constituait l’«œuvre» en question, et si l’élément d’originalité était présent. Prenons un instant de réflexion avant d’examiner les motifs des juges, pour bien saisir toute la complexité des enjeux. Un livre de la collection des Dominion Law Reports contient essentiellement le texte de décisions écrites par des juges. On a vu que la LDA exige, pour qu’une œuvre soit protégée, qu’elle soit originale. Le simple fait de reproduire intégralement le texte de décisions ne peut certes être considéré suffisant pour qu’il y ait originalité. En tout cas, si originalité il y avait, ce ne pourrait être que dans le choix des caractères et la mise en page. Qu’en est-il maintenant lorsqu’une maison d’édition ajoute les éléments auxquels nous sommes habitués: le nom des parties, la référence, des mots-clés, un jugé, le remède réclamé, le nom des avocats, la liste des autorités, jurisprudence et doctrine mentionnées par le juge, etc. Ces éléments sont-ils suffisamment originaux pour que la loi les protège? À première vue, on peut penser que oui, manifestement, car il peut y avoir un travail juridique très sérieux dans la rédaction de mots-clés et de quelques paragraphes qui cherchent à contenir l’essence d’une décision. Mais, même alors, ces éléments sont-ils les seuls à être protégés, ou le texte écrit par le juge l’est-il aussi? On peut penser que tout est protégé, car la loi traite des «recueils»9, i.e. les œuvres composées, en parties distinctes, par différents auteurs. Elle accorde aussi une protection aux compilations, i.e. «les œuvres résultant du choix ou de l’arrangement de tout ou partie d’œuvres littéraires»10. Les maisons d’édition peuvent-elles prétendre que leur «œuvre» couvre l’ensemble d’un volume, vu qu’elles ont choisi quelle décision rapporter, ont effectué un travail de mise en page, et ont ajouté plusieurs éléments de leur crû? C’est à ce genre de questions, qui n’avaient pas encore trouvé réponse complète dans la jurisprudence, que la Cour fédérale a dû s’attaquer. 9. Supra, note 3, art. 2. 10. Ibid. L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 277 Qu’est-ce que l’originalité? À partir de quel point une œuvre est-elle suffisamment originale pour être visée par la LDA? Les auteurs et la jurisprudence s’entendent sur quelques notions de base: il n’est pas nécessaire qu’un écrit ait une valeur artistique pour mériter protection; d’autre part la simple copie de textes trouvés à gauche et à droite n’est pas suffisante. Au-delà de ces énoncés, il y aurait ici diverses écoles de pensée sur la notion d’originalité. Selon l’une, qui a été appliquée par le juge de première instance, il faut un petit quelque chose d’original dans un écrit, au sens du dictionnaire, i.e. un sujet abordé de quelque façon nouvelle, ou différente. Selon cette approche, il faut que la lecture d’un texte montre qu’on y a injecté du «labor, skill and judgment». Il faut une espèce d’étincelle de créativité. Le juge Gibson, en première instance, a estimé que tout ce qui est ajouté par les maisons d’édition à la décision d’un juge n’est pas suffisant pour qu’on puisse parler d’œuvre originale. Il a écrit: «I am satisfied that the whole process [...] lacked the ‘imagination’ or ‘creative spark’ that I determine now to be essential to a finding of originality»11. Les juges Linden et Sharlow n’ont pas été de cet avis... Selon eux le juge Gibson a mal appliqué la décision de cette même cour dans l’affaire Télé-Direct12, où l’on s’était demandé si une compilation faite à partir de renseignements apparaissant dans des annuaires téléphoniques pouvait être suffisamment originale. Ils n’ont pas voulu non plus s’inspirer de la jurisprudence américaine, car, comme l’a dit notre Cour suprême, il faut être très circonspect à son égard, vu des différences importantes au niveau du libellé des lois et de leur philosophie13. Ils se sont alignés sur le sens que le concept d’originalité a en droit anglo-canadien, et ont estimé que sa signification n’a pas été modifiée par des accords internationaux auxquels le Canada est partie, ni par les dispositions de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis signé en 198814. Selon la jurispru11. [2000] 2 C.F. 451, par. 139. 12. Télé-Direct American Publ. Inc. c. American Business Information Inc., [1998] 2 C.F. 22. Notons que le juge Rothstein estime que la seule définition correcte de la notion d’originalité est celle de la présence d’un effort intellectuel. Il écrit que Télé-Direct n’a pas formulé une norme nouvelle, selon laquelle il suffirait de consacrer un certain effort, qui pourrait être un travail mécanique (la jurisprudence anglophone parle de «sweat of the brow»). De toute façon, il ne tranche pas définitivement la question, puisque ce qui est en cause, les motsclés et jugés ajoutés au texte des décisions dépassent largement le niveau du simple travail mécanique. 13. Supra, note 2, par. 22. L’affirmation a été faite dans la décision Compo: Compo. Co. Ltd. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357, p. 367. 14. Supra, note 2, par. 38, 42 et 40: «Neither NAFTA nor the Berne Convention, supra, impose a higher standard of originality than what was already present under Canadian law.» 278 Les Cahiers de propriété intellectuelle dence anglaise et canadienne, il suffit, pour satisfaire la norme d’originalité mentionnée dans la LDA, qu’un texte origine de quelqu’un, soit donc quelque chose de son crû, et non pas une copie15. En ce qui concerne les compilations, il y aura originalité dès que la nouvelle œuvre fait plus que simplement présenter autrement des documents déjà existants16. Si c’est le cas, on dira que l’auteur a fait preuve de «skill, judgment or labor», ce qui est suffisant pour mériter protection en vertu de la LDA17. Les juges majoritaires nous résument ainsi leur conception de ce que signifie la notion d’originalité. On doit considérer que c’est ce qui fait autorité présentement, vu qu’il s’agit d’une décision de la Cour fédérale d’appel, et que c’est la plus récente18. À leur avis, une œuvre originale est celle qui est le fruit du travail de quelqu’un, et pas une simple copie. Plusieurs termes sont utilisés en jurisprudence ou en doctrine pour préciser ce qu’on entend ici: on parle tantôt de travail , de jugement, d’adresse, d’effort, de goût... Mais aucun de ces mots n’est écrit dans le texte de la loi. Ils aident seulement à déterminer si l’œuvre qu’on a à évaluer est originale... De plus il n’y a pas de différence importante entre le courant de pensée qui exige la preuve d’un effort intellectuel pour qu’on puisse parler d’originalité (on parle alors de «skill, judgment and/or labor) et celui selon lequel il suffit qu’on ait affaire à une œuvre qui soit le fruit du travail de quelqu’un. Le critère essentiel est qu’on doit dépasser le niveau de la copie servile. Il y a des cas, comme les compilations, où il est particulièrement difficile de déterminer à partir de quand il y a présence d’œuvre originale. Plus on s’éloigne de la véritable création littéraire, plus on risque d’être en présence d’un travail qui se rapproche de la copie. Qui plus est, il arrive souvent, par exemple lorsqu’on compile des données, qu’on se trouve en présence d’une compilation constituée 15. Cf. surtout Univ. of London Press Ltd. c. University Tutorial Press Ltd., (1916) 2 Ch. 601, où on a jugé que des questions d’examen étaient protégées par la loi, même si elles n’étaient pas exprimées dans une forme vraiment originale ou nouvelle. 16. Supra, note 2, par. 36. 17. La jurisprudence américaine relative aux compilations juridiques est plus exigeante que la nôtre, puisqu’elle requiert un élément de créativité. C’est pourquoi plusieurs ouvrages comme des «textbooks» et des recueils de jurisprudence ont été jugés ne par être protégés par la loi. Cf. notamment Harper & Row Publishers Inc. c. Nation Enterprises, 471 U.S. 539, et surtout Matthew Bender c. West Publishing, 158 F.3d 674 (1998). 18. Supra, note 2, par. 53 et s. L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 279 d’éléments qui sont copiés à partir d’œuvres qui peuvent être ou ne pas être protégées par la LDA. Dans un tel cas, c’est le choix et la présentation des différents éléments de la compilation qui doivent être originaux, non les «éléments» eux-mêmes. Une œuvre originale n’a donc absolument pas à renfermer des éléments de nouveauté, d’ingéniosité, d’innovation, de fruit de l’imagination, d’étincelle créatrice, etc.19. Ceci établi, les juges Linden et Sharlow pouvaient envisager la question de savoir si les différents documents juridiques reproduits par le Barreau ontarien étaient des œuvres originales. Une question préliminaire se posait cependant: qu’est-ce qui constitue l’«œuvre» que l’on prétend avoir été illégalement reproduite? Le Barreau prétendait que les mots-clés d’une décision et le jugé ne sont qu’une infime partie d’une œuvre, la décision A versus B, par exemple, qui fait partie elle-même de l’œuvre clairement protégée, soit le volume entier de la collection des Dominion Law Reports. Selon cet argument, si on accepte qu’une œuvre puisse toujours être subdivisée en différentes composantes, à la limite une personne pourrait toujours être accusée d’avoir reproduit une partie substantielle d’une œuvre. Ainsi par exemple, si on considère qu’une pièce de théâtre puisse être divisée en actes, qui seraient en eux-mêmes une «œuvre», constituée de scènes, qui seraient aussi des œuvres, qui sont constituées de répliques, on en arriverait à une situation où il serait interdit de reproduire une réplique car elle constituerait une «partie importante» d’une œuvre. Donc, selon le Barreau, il ne fait que reproduire une partie infime d’une œuvre, et agit dans la légalité. De l’avis des juges, raisonner ainsi viderait de son sens l’expression «une partie importante» à l’article 3, de sorte que ce genre de raisonnement doit être rejeté. C’est le juge Rothstein qui a fourni des motifs plus étoffés ici. À son avis le raisonnement du Barreau selon lequel tout ce qui est moindre qu’un volume complet dans la collection des Dominion Law Reports est «une partie» seulement d’une œuvre est fallacieux parce qu’il ne tient pas compte du fait que la LDA traite de recueils et de 19. On nous permettra de déplorer qu’ici encore, à cause de la barrière linguistique, les juges ignorent des sources juridiques excellentes. Ainsi en 1991, le professeur Marcel DUBÉ, de l’Université de Sherbrooke avait publié un article remarquable sur la notion d’originalité en droit d’auteur: «L’originalité de l’œuvre en droit d’auteur canadien», (1990-1) 3 C.P.I. 337, où les juges auraient trouvé l’exposé de l’état du droit qu’ils cherchaient! Il écrit par exemple, dès la première page de son texte: «[...] pour être protégée, l’œuvre générée n’a pas à être nouvelle, il suffit qu’elle origine de l’auteur, qu’elle ne soit pas la copie d’une autre œuvre.» Plus loin, il montre (p. 344) qu’il n’y a qu’un critère pour définir l’originalité, qu’il s’agisse d’œuvres de compilation ou d’autres types. 280 Les Cahiers de propriété intellectuelle compilations. Ce qui montre que des parties d’une œuvre peuvent être en elles-mêmes des œuvres protégées par la loi20. Il y a évidemment une limite à la possibilité qu’une œuvre puisse être subdivisée en parties constitutives. Quels critères doit-on appliquer ici? Le juge Rothstein trouve une partie de la réponse dans la définition, contenue dans la LDA à l’article 2, de l’expression «toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale». Cette disposition prévoit notamment ceci: «S’entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soit le mode ou la forme d’expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits...» À son avis l’emploi des termes «s’entend de» et «autres écrits» montre que cette définition n’est pas limitative, et que le mot «œuvre» doit être entendu largement. Ceci indiquerait qu’une œuvre se caractérise par le fait qu’elle est quelque chose de complet, quelque chose qui fait un tout. C’est ce critère qui lui permettra d’analyser les éléments ajoutés aux décisions par les maisons d’édition et de déterminer s’il s’agit d’œuvres au sens de la loi. Les juges ont pu ensuite considérer chacun des éléments soumis en preuve pour déterminer s’il s’agit d’œuvres originales: arrêts de jurisprudence, volumes de type «loi annotée», «textbooks», articles de revue, et monographies. Pour ce qui est des décisions elles-mêmes, il a été facile de conclure qu’il s’agit d’œuvres originales, étant donné qu’il s’agit d’un texte écrit par la main d’un juge, qui peut s’avérer fort long et complexe. Le juge Rohtstein fait bien voir, cependant, que ce qui constitue l’œuvre protégée des éditeurs est le choix des décisions rapportées, et leur mise en page. Le texte lui-même écrit par le juge peut toujours être reproduit. La LDA n’accorde pas en l’occurrence d’autre droit aux maisons d’édition, et il serait contraire à l’intérêt public qu’un éditeur possède un monopole sur une décision d’un tribunal21. Parmi les autres éléments qui accompagnent le texte d’une décision publiée dans un recueil, qu’il s’agisse de la référence, du nom des parties, des mots-clés, du jugé, des lois, doctrine et jurisprudence citées, du nom des avocats au dossier, du type d’action en 20. Ibid., par. 190-198. 21. Ibid., par. 225-229. Le juge écrit, au par. 229: «[...] although I have found that the Reported Judicial Decisions are original and subject to Publishers’ copyright, in practice this will not grant a monopoly to the Publishers over the use of the judicial reasons alone.» L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 281 cause, et du dispositif22, il n’a pas été difficile aux juges d’affirmer qu’il y avait œuvre originale protégée au moins en ce qui concerne les mots-clés et les jugés, compte tenu de ce qu’ils ont dit au niveau de la notion d’originalité23. Quant à l’index, qui se trouve soit au début ou à la fin de chaque volume de la collection des recueils de décisions, il sert au lecteur pour déterminer si le volume contient une ou des décisions qu’il devrait consulter. Il est moins utile que le résumé d’un arrêt ou une série de mots-clés, mais il est néanmoins protégé par la loi, vu qu’il recèle un niveau certain d’art ou de jugement dans le choix et la présentation de ses éléments24. On n’a pas eu de difficulté à déterminer non plus qu’un article dans une revue, une loi annotée de même que des extraits d’un «textbook» sont clairement protégés par la LDA25. 5.3 Les motifs relatifs à l’alinéa 3(1)f) de la LDA: la communication au public, par télécommunication, d’une œuvre L’argument fort simple ici des maisons d’édition était que cette disposition est violée chaque fois que le Barreau envoie par télécopieur, à un «client», copie des textes réclamés. Le Barreau répondit qu’un envoi fait par une personne à une autre personne bien identifiée ne peut pas constituer une communication «au public». Il fallait donc déterminer le sens de cette expression. Ce qui n’est pas facile, car la jurisprudence antérieure26 avait simplement porté sur la différence apportée par le fait que la LDA a été amendée, dans les années 80, pour traiter de communication «au public» plutôt qu’«en public». Le juge de première instance27 a accepté l’argument du Barreau: il ne peut y avoir de communication «au public» lorsque le destinataire est unique. La Cour d’appel lui donna raison28, l’expression «au 22. Les juges majoritaires ont reconnu qu’il y avait une certaine confusion au niveau des termes employés par les maisons d’édition pour identifier les éléments qu’elles ajoutent aux décisions (cf. par. 11: «It is difficult for me to ascertain precisely what the Publishers mean when they use the term headnote»). Il semble bien cependant qu’on puisse faire les équivalences suivantes: «running head» signifie la référence, «headnote» est le jugé, «case name» vise le nom des parties, «catchlines» réfère aux mots-clés, et «reported judicial decisions» vise le texte écrit par le juge, sans aucun des éléments que les éditeurs ajoutent. Cf. par. 203 et 204 des motifs du juge Rothstein. 23. Supra, note 2, par. 76-80. 24. Ibid., par. 81-82. 25. Ibid., par. 83-84. 26. Cf. surtout les affaires Can. Cable Tel. Assn. c. Canada, [1993] 2 C.F. 138, et CTV Television Network Ltd. c. Canada, (1993) 46 C.P.R. (3d) 343. 27. Supra, note 4, par. 167. 28. Supra, note 2, par. 100 et s. 282 Les Cahiers de propriété intellectuelle public» devant signifier «la population en général». Ils ont cependant dit qu’il se pourrait qu’une transmission qui s’effectue à plusieurs destinataires soit visée par l’alinéa 3(1)f), mais qu’aucune preuve factuelle n’avait été présentée en ce sens29... 5.4 Les motifs relatifs à l’article 3 in fine de la LDA: le droit exclusif d’autoriser un des actes mentionnés à l’article 3 La question qui s’est posée ici est de savoir si le fait de mettre à la disposition de la clientèle de la Grande bibliothèque des appareils à photocopier peut être interprété comme une autorisation implicite donnée par le Barreau ontarien aux utilisateurs de reproduire les œuvres des maisons d’édition. À première vue, elle ne semblait pas difficile à trancher, car il y a une jurisprudence bien établie en droits anglais et canadien selon laquelle celui qui se contente de fournir à une personne des outils ou moyens à partir desquels des exemplaires contrefaits peuvent être réalisés n’«autorise» pas pour autant la fabrication d’exemplaires. Ainsi, dans l’affaire Vigneux30, décidée par le Conseil privé en 1945, on a jugé que la compagnie qui fournit et installe un «juke-box» dans un restaurant n’autorise pas pour autant la représentation publique d’œuvres musicales protégées par la LDA. De même dans la décision Muzak31, rendue par la Cour suprême en 1953: la compagnie qui loue des équipements pour diffuser de la musique d’arrière-plan dans des commerces n’autorise pas, comme telle, la représentation ou l’exécution publique des œuvres. Ce courant de pensée a peut-être atteint son apogée en Angleterre dans l’affaire Amstrad32, où on a exonéré de toute responsabilité le fabricant d’appareils radio munis de mécanismes permettant de faire fonctionner deux cassettes. Même si l’on devine que bien des utilisateurs vont en profiter pour faire un exemplaire additionnel d’une cassette légalement achetée, il reste que l’appareil peut substantiellement servir à des fins autres que la contrefaçon d’œuvres. 29. Le juge Rothstein arrive à la même conclusion, en utilisant un raisonnement différent. Selon lui (cf. par. 247), l’article 3(1)f) conserverait un sens sans les mots «au public», et viserait tout type de communication, sans égard au nombre de destinataires. Il faut donc penser que l’ajout des mots «au public» a été fait pour éliminer les communications faites de personne à personne. Il a trouvé appui aussi dans l’article 2006 de l’ALE (l’Accord de libre-échange avec les États-Unis) qui traite des droits de retransmission en employant les termes: «free, over the air reception by the general public». 30. Vigneux et al. c. Can. Performing Right Soc., L2 D.L.R. 1 (P.C.) 31. Muzak Corp. c. CAPAC, [1953] 2 R.C.S. 182. 32. C.B.S. Songs Ltd. c. Amstrad Consumer Electronics Plc, [1988] 2 All E.R. 484. L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 283 Mais il faut dire que la présente affaire est quelque peu différente du type de situations envisagées dans la jurisprudence antérieure. Le Barreau ontarien fait plus que de mettre des appareils à la disposition des usagers de la bibliothèque. Selon les juges majoritaires, il sanctionne, approuve ou au moins tolère que les usagers «produisent ou reproduisent» des œuvres protégées33. Car il se trouve à laisser les gens qui sont sur place faire exactement ce que lui-même offre de faire pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent venir faire leurs propres photocopies. Pour reprendre la situation factuelle dans l’affaire Vigneux, le Barreau agit davantage comme le propriétaire d’un restaurant muni d’un juke-box plutôt que le distributeur de ces appareils. On a même comparé le Barreau au propriétaire d’une réserve faunique qui accueillerait les visiteurs en leur fournissant un fusil chargé34! Il fallait alors s’interroger sur la valeur de l’avis de non-responsabilité affiché près des appareils. On l’a jugé non suffisant. De l’avis des juges, le Barreau ne pouvait présumer que les appareils seraient utilisés légalement, car il avait devant les yeux beaucoup d’indices importants que ce n’était pas le cas. Il devait savoir que les usagers de la bibliothèque photocopiaient allègrement tout ce qui était pertinent pour leur travail de recherche ou la préparation d’une cause. Puisque beaucoup de photocopies sont faites à partir d’œuvres protégées, l’article 3 in fine entre en jeu, et le Barreau peut être jugé responsable de sa violation, peu importe que l’utilisateur viole ou non, en dernière analyse, le droit de reproduction des œuvres prévu au paragraphe 3(1)35. Les juges ont trouvé un motif supplémentaire à leur conclusion à l’article 30.3 de la LDA, sur la reprographie dans les bibliothèques. Cette disposition indiquerait la seule façon légale d’utiliser les machines à photocopier. A contrario, toute utilisation différente risque d’être jugée illégale36. 33. 34. 35. 36. Supra, note 2, par. 109. Ibid. Ibid., par. 112. Le juge Gibson, en première instance, ne s’était pas prononcé sur ce point, estimant que la preuve était par trop déficiente (cf. supra, note 4, par. 191). En appel, le juge Rothstein arrive à la même conclusion que ses collègues, après avoir passé en revue les décisions australiennes, anglaises et canadiennes. Mais ce qu’il a surtout retenu fut l’incurie du Barreau. Il s’est rendu coupable de violation de l’article 3 in fine parce qu’il place des appareils à photocopier dans un endroit truffé d’œuvres protégées et se montre indifférent face à l’utilisation qu’en font les usagers... Cela équivaut à une autorisation au sens juridique. 284 Les Cahiers de propriété intellectuelle 5.5 Les motifs fondés sur le paragraphe 27(2) de la LDA: la violation à une étape ultérieure («contributory infringement») Nous arrivons ici à une partie complexe de la décision, qui n’a pas fait l’unanimité chez les juges, le juge Rothstein ayant senti le besoin d’exprimer longuement en quoi il diffère d’opinion avec ses collègues sur le sens et la portée de cette disposition. Le paragraphe 27(2) cherche à interdire certains actes à l’égard d’œuvres protégées, surtout leur vente ou mise en circulation, alors que la personne qui commet ces actes «sait ou devrait savoir» que les exemplaires en question des œuvres ont été faits en violation de la loi. En première instance, le juge Gibson a estimé que le Barreau n’avait pas «vendu» d’exemplaires contrefaits, mais en avait mis en circulation, violant les alinéas b) et c) de cet article. Le Barreau se défendait en disant qu’il a commis une erreur de bonne foi en estimant que les documents envoyés par télécopieur aux avocats, juges, etc., ne violaient pas la loi. Se posa donc la question de savoir si une croyance raisonnable mais erronée que les copies effectuées ne violaient pas la loi est suffisante pour éviter de commettre l’infraction prévue à 27(2). Les juges Linden et Sharlow ne prennent pas définitivement position sur le sujet, car à leurs yeux la preuve n’est pas assez étoffée. À cause de l’impact de la notion d’utilisation équitable, dont nous traiterons sous peu, il leur est impossible d’affirmer si les copies envoyées aux clients violent systématiquement la loi ou non. À leur avis, si le Barreau peut se prévaloir de la défense d’utilisation équitable, il ne peut être accusé d’avoir enfreint le paragraphe 27(1) ni 27(2). Mais une preuve insuffisante les empêche de se prononcer définitivement sur la question de l’utilisation équitable. Ils se déclarent globalement d’accord avec l’analyse de leur collègue le juge Rothstein, sauf en ce qui concerne le sens à donner au mot «vente». Selon eux, on ne peut affirmer que le Barreau «vend» des exemplaires d’œuvres. Ils rappellent enfin que l’infraction prévue à 27(2) n’en est pas une de responsabilité stricte, puisqu’il faut prouver faute. Il faudrait donc, normalement, pour éviter que le paragraphe 27(2) soit violé, une preuve que l’«accusé» avait une croyance honnête, et également raisonnable37. 37. Supra, note 2, par. 115-121. Notre dernière affirmation est tirée du par. 121. L’affaire CCH devant la cour fédérale d’appel 285 Le juge Rothstein, pour sa part, nous expose38 qu’à son avis trois éléments doivent être établis pour prouver violation du paragraphe 27(2): (a) que l’œuvre dont il s’agit est le fruit d’une contrefaçon, (b) que la personne accusée de violation du paragraphe 27(2) doit le savoir, (c) qu’il y a preuve de vente, distribution, ou possession en vue de la vente ou distribution de l’œuvre contrefaite. Sur le premier élément, le Barreau se défendit en faisant jouer la notion d’utilisation équitable: comme ses agissements étaient protégés par cette notion, il était de bonne foi dans sa croyance qu’il ne violait pas la loi. Cet argument est rejeté carrément au motif que le Barreau ne peut s’en prévaloir. Comme il s’est rendu coupable de violation de l’article 3, il ne peut éviter sa responsabilité sous le paragraphe 27(2)! Car le paragraphe 27(2) cherche à exonérer les vendeurs et distributeurs innocents, qui ne savent pas et n’ont aucun motif de soupçonner que les exemplaires qu’ils distribuent peuvent être contrefaits. De l’avis du juge Rothstein, la connaissance dont on parle dans cette disposition est celle de faits, non celle de règles juridiques, ou la façon dont la loi s’applique à certaines situations factuelles. Cela serait clairement affirmé dans la jurisprudence, y compris celle de la Cour suprême39. Cela lui paraît aussi parfaitement logique. En effet, si on accepte comme défense sous le paragraphe 27(2) la croyance honnête que l’on bénéficie de l’article 19 (utilisation équitable), cela mine complètement l’analyse qu’on peut faire du concept d’utilisation équitable. Car le critère à appliquer serait celui de savoir si la personne accusée de violation du paragraphe 27(2) avait une perception honnête et raisonnable de non-violation de la loi, et non de savoir si ses agissements constituent une utilisation équitable! Or rien dans la loi ne permet, évidemment, de remplacer l’analyse au fond sous l’article 19 par une étude de la perception de l’accusé40. Quant à la question du sens de l’alinéa 27(2)a), à savoir s’il y a eu «vente» d’exemplaires contrefaits, le Barreau mit de l’avant le fait que son service était à but non lucratif. Et de plus, son travail devait plutôt être qualifié de service de recherche que de reproduction d’œuvres. De l’avis du juge, la preuve n’appuie pas l’argument vou38. Ibid, par. 273-291. 39. Ibid., par. 276-8. Il s’appuie notamment sur la décision De Montigny c. Cousineau, [1950] R.C.S. 297, où le juge Rinfret a écrit, après avoir reconnu la bonne foi du défendeur: «[...] The Copyright Act considers publication of articles protected by this Act, without the author’s permission or that of the holder of the copyright, a violation. And this Act must be applied even when publication is made in good faith.» 40. Supra, note 2, par. 282. 286 Les Cahiers de propriété intellectuelle lant qu’il s’agisse surtout d’un service de recherche. Les gens qui acheminent des demandes de documents ont identifié ce qu’ils veulent recevoir, de sorte qu’il ne reste au Barreau qu’à exécuter fidèlement cette commande. D’autre part, on sait qu’en droit il peut y avoir vente d’un objet sans que cela soit lié à la réalisation d’un profit41. On avait enfin allégué que le Barreau violait l’alinéa 27(2)b) en ce qu’il mettait en circulation des exemplaires d’œuvres «de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur». Ici le juge Rothstein a été laconique42: la question est de savoir si la distribution d’exemplaires a atteint un niveau tel qu’elle porte préjudice aux maisons d’édition. C’est une question de fait que le juge de première instance devait apprécier (le juge Gibson a estimé que oui), de sorte qu’en appel on n’a pas à réévaluer cet élément. 5.5 La défense d’utilisation équitable: l’article 29 de la LDA Voici une partie très intéressante et importante de la décision. On sait l’importance du concept d’utilisation équitable en droit d’auteur. Le Barreau ontarien avait basé l’essentiel de sa défense sur cette notion. Selon sa prétention, si le tribunal ne retenait pas ses arguments selon lesquels il n’avait pas reproduit une partie importante d’une œuvre, ni ne l’avait communiquée au public par télécommunication, etc., il devrait reconnaître que ce qu’il faisait par son service de photocopies constituait une utilisation équitable. Le juge Rothstein n’a pas fourni de motifs particuliers sur ce point, se déclarant incapable de remplir son rôle qui consiste à trancher des litiges, étant donné qu’il n’y pas assez de faits qui ont été apportés en preuve pour ce faire. Les juges Linden et Sharlow ont d’abord fait une affirmation qui semble décevante à première vue, i.e. qu’ils ne pourront, pas plus que leur collègue, trancher définitivement cette question. C’est que pour décider si, dans un cas précis, une personne peut bénéficier de l’exception prévue à l’article 29, il faut bien comprendre et appliquer le concept d’utilisation équitable, mais pour ce faire il faut aussi bien connaître la situation factuelle, pour déterminer si ce qu’on reproche à un défendeur constitue effectivement une utilisation équitable. En l’occurrence, cette base factuelle faisait défaut. Les éditeurs ont simplement allégué, de façon générale, que le Barreau reproduisait, à 41. Ibid., par. 286. 42. Ibid., par. 290.43. L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 287 demande, des textes juridiques43. Heureusement pour nous, ces juges ont néanmoins estimé qu’ils devaient se prononcer sur le sens du concept d’utilisation équitable, vu que cette question avait été longuement débattue et était au cœur des moyens de défense du Barreau. Une question préliminaire s’est posée, à savoir si cette notion devait être interprétée étroitement ou non. En première instance, le tribunal avait penché en faveur d’une interprétation étroite, la Cour suprême ayant dit qu’on ne devait pas déduire implicitement d’autres exceptions ou exemptions en plus de celles prévues dans le texte de la LDA. De l’avis des juges de la Cour fédérale d’appel, cela n’empêche pas une interprétation large de l’article 19, lorsqu’on le considère en soi. Cette interprétation serait d’ailleurs conforme à la philosophie fondamentale de la LDA, qui cherche à équilibrer les droits des créateurs et ceux du public en général, qui cherche à avoir accès au plus grand nombre d’œuvres possible au coût le plus bas44... On peut donc utiliser la méthode moderne d’interprétation des lois, appelée méthode téléologique, qui consiste à chercher le sens des termes dans une loi en vérifiant, notamment, le but ou l’objectif que le législateur avait en les adoptant. Les juges nous disent ensuite qu’ils vont se centrer sur l’article 29 de la LDA, car les articles 29.1 et 29.2, qui traitent également d’utilisation équitable, ne sont pas pertinents ici. Dans un passage crucial, ils expliquent qu’à leur avis, l’article 29 est composé de deux éléments bien distincts, qui doivent être analysés séparément. Le texte dit en effet: «L’utilisation équitable d’une œuvre [...] aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.». Pour bénéficier de cette disposition, il faut qu’une personne montre d’abord que l’utilisation qu’elle a faite d’une œuvre est équitable. Ce concept, non défini dans la loi, doit être analysé à l’aide de la jurisprudence. Si cette étape est franchie, il faut ensuite montrer que ce qui a été fait l’a été dans un des buts mentionnés, i.e. «étude privée» ou «recherche». Les juges commencent leur analyse par l’étude des deux objectifs mentionnés à l’article 29. Ils notent d’abord que le mot «étude» 43. Ibid., par. 123. Il s’en fut de peu d’ailleurs pour que la situation se retourne contre elles. En effet, comme c’était elles qui avaient commandé des photocopies d’arrêts qui ont été utilisés ensuite comme base de la poursuite, les juges se sont demandé un instant s’il ne suffisait pas de déclarer que le Barreau avait le consentement au moins implicite des éditeurs! 44. Ibid., par. 126. La décision de la Cour suprême à laquelle on réfère est Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, à la p. 480. 288 Les Cahiers de propriété intellectuelle est qualifié ou précisé, si on veut, par le terme «privée», alors que le mot «recherche» ne l’est aucunement. Cette constatation peut sembler une évidence, mais elle est importante car elle leur a permis de rejeter deux arguments des éditeurs. Ceux-ci prétendaient qu’il ne peut jamais y avoir de «recherche» lorsqu’une œuvre est utilisée dans un contexte non privé. Ils disaient aussi qu’une «recherche» qui aurait un caractère commercial ne pouvait jamais faire partie d’un des buts envisagés par l’article 29. On voit que ces deux arguments sont contredits par le libellé même de l’article 29. Comme le mot «recherche» n’est pas qualifié, on ne peut exclure d’emblée une recherche à caractère lucratif, comme par exemple celle entreprise par un bureau d’avocats. Une recherche faite pour préparer une opinion juridique, un factum, une plaidoirie, etc., reste néanmoins une recherche45. La question qui s’est posée ensuite était de savoir si, comme le prétendaient les éditeurs, il ne peut y avoir d’utilisation équitable que lorsqu’on effectue une recherche ou étude privée pour soi-même, et non pour le compte d’autrui. Cet argument avait été accepté en première instance. En l’absence complète de jurisprudence canadienne, le tribunal a consulté les quelques décisions anglaises et néo-zélandaises qui en ont traité. Il est arrivé à la conclusion que le Barreau n’a pas personnellement effectué de recherche ni d’étude privée. Mais comme il agit dans le même but et pour les mêmes motifs que ceux qui commandent des photocopies, c’est comme s’il prenait leur fait et cause, et il devient pertinent d’étudier si la notion d’utilisation équitable s’applique au service qu’il offre46. On dit en effet que si un usager de la bibliothèque peut faire pour lui-même des photocopies dans un contexte où il est exonéré par l’article 19, le Barreau ne viole pas plus la loi s’il fait ces mêmes photocopies, à la demande de cet usager47. Qu’en est-il maintenant de la notion d’équité? On admet d’emblée qu’elle n’est pas définie dans la loi, que ce sera toujours un 45. Ibid., par. 128. 46. Ibid., par. 134. Le juge Linden écrit: «I am convinced that the Law Society shares the purpose of individual patrons of the Great Library.». La jurisprudence citée, en fait, indique que lorsqu’il y a plusieurs maillons de chaîne, si on peut dire, qui se trouvent entre l’œuvre originale et le consommateur qui se la procure ultimement, chaque maillon doit montrer que son propre comportement est visé par la notion d’utilisation équitable. On ne peut pas plaider le droit d’autrui. Mais ici la situation serait très différente. C’est que le Barreau n’agit qu’à la demande et pour le compte d’usagers. Sans une demande, il ne ferait jamais de geste susceptible d’être considéré comme une infraction à la LDA. Cf. par. 132. 47. Ibid., par. 143. L’affaire CCH devant la cour fédérale d’appel 289 concept relativement flou, et où la frontière entre ce qui est équitable ou non sera une question de degré... Malgré ceci, il y a une liste de facteurs qui peuvent être identifiés, qui serviront à faire en sorte que l’évaluation du caractère équitable d’une utilisation ne sera pas un exercice totalement discrétionnaire48. En consultant la jurisprudence canadienne, anglaise et américaine, les juges dressent une liste de six éléments, tout en précisant que cette liste n’est pas exhaustive, et qu’aucun élément n’est, en soi, plus déterminant qu’un autre. Notons qu’il est surprenant, à première vue, qu’on utilise la jurisprudence américaine, étant donné qu’on dit si fréquemment que le concept d’utilisation équitable en droit canadien est très différent de celui du fair use aux États-Unis49. C’est que même si la loi américaine est généralement plus favorable aux utilisateurs en ce domaine, et que les buts pour lesquels l’utilisation d’une œuvre est permise sont plus nombreux, il reste que le concept juridique de «fair use» ou d’«utilisation équitable» recouvre une réalité très semblable. En effet, l’article 107 du U.S. Code prévoit d’abord la légalité du «fair use» d’une œuvre protégée, lorsque l’utilisation est faite «for purposes such as criticism, comment, news reporting, teaching». Mais il ajoute ensuite: «in determining whether the use made of a work in any particular case is a fair use the factors to be considered shall include [...]». Suit une énumération de quatre critères, sur lesquels les juges reviendront. On voit donc que la loi américaine formule aussi des buts qui doivent être poursuivis pour qu’une utilisation soit équitable. La différence avec la loi canadienne vient du fait qu’en 1976, lors de l’adoption de cet amendement, des critères, en nombre non limité, ont été formulés pour guider un juge qui doit déterminer s’il est face à un cas de «fair use». Les critères sont donc les suivants: (1) Le but de l’utilisation, i.e. qu’il doit être un de ceux reconnus par la Loi. Mais, ce qui n’est pas un truisme, il peut y avoir divers degrés d’utilisation équitable pour un même but. Par exemple, une recherche faite à caractère charitable sera plus facilement qualifiée d’équitable que si elle est faite dans un but lucratif. Dans le même sens, on qualifiera plus facilement d’équitable la recherche sur un point de droit très précis, exigeant la reproduction d’un bon nombre de documents, que celle sur un sujet très général. (2) La nature de l’utilisation: i.e. ce qu’on a fait de l’œuvre reproduite. Le fait que le Barreau fasse une seule copie de documents pour une seule personne milite en faveur d’une conclusion voulant qu’il y ait eu utilisation équitable. (3) La part de l’œuvre 48. Ibid., par. 144-5. 49. Le texte se trouve à 17 U.S.C.A. s. 107. 290 Les Cahiers de propriété intellectuelle reproduite: il faut évidemment au départ qu’il y ait eu reproduction d’une partie plus que minime d’une œuvre, sinon on dirait qu’il n’y a eu aucune violation de la loi. Ici, ce que la preuve aurait dû montrer, c’est le degré d’utilisation du service qui est fait par différents clients. Plus ils formulent des demandes nombreuses, de parties importantes de volumes, et donc plus il semblerait qu’il devrait se procurer l’ouvrage en question, plus il sera difficile de conclure à une utilisation équitable. (4) Les autres sources d’approvisionnement: selon les maisons d’édition, ce qui serait équitable, c’est que les utilisateurs de la Grande bibliothèque achètent les ouvrages souvent consultés, ou que le Barreau négocie avec eux le prix d’une licence de reproduction de leurs œuvres. Le raisonnement des juges surprend ici, à première vue. Selon eux, il faut vérifier si ce qui est photocopié est facilement accessible par d’autres sources, ou si les éditeurs ont un monopole sur les textes en question. On aurait pu penser qu’ils nous diraient que plus un texte juridique est accessible, plus il est équitable de le photocopier, vu qu’on ne peut pas dire à ce moment-là que c’est l’œuvre exclusive des éditeurs qui est reproduite. Leur raisonnement est plutôt à l’effet suivant: il est plus équitable de reproduire une décision rare, qu’on ne trouve qu’à un endroit, que de photocopier un texte très accessible. Ils écrivent: «The more alternative sources there are for material, the less fair it may be to reproduce copyright material»50. On a aussi tenu compte ici de la possibilité ou de la difficulté des utilisateurs de se rendre sur place faire les photocopies dont ils ont besoin. Ceci a joué en faveur de la conclusion qu’il s’agit d’une utilisation équitable, vu que les données compilées ont montré que pour un bon nombre d’utilisateurs, il aurait été beaucoup plus long et difficile de se déplacer à chaque fois qu’ils avaient besoin d’accéder à des documents. (5) Le type d’œuvre reproduite: ici le Barreau a joué à fond la carte de l’accès à la justice, i.e. aux sources du droit. Notre système juridique exigerait que les avocats, professeurs, juges, étudiants, etc., aient un accès le plus complet possible aux sources du droit. Mais cet argument n’a pas impressionné les juges. Car à leur avis il faut mettre en équilibre cet élément avec la nécessité de protéger le droit d’auteur des éditeurs pour qu’ils puissent continuer à rendre disponibles pour tous des décisions, articles, monographies, etc. (6) L’impact sur l’œuvre de l’utilisation: selon les éditeurs, le service offert par le Barreau a un impact économique majeur sur eux; mais, encore ici, à cause d’une preuve qui n’a pas été étoffée, les juges n’ont pu se prononcer, bien qu’ils acceptent qu’il s’agisse d’un critère qui soit évidemment très important. 50. Supra, note 2, par. 157. L’affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel 291 6. Conclusion On peut s’interroger sur l’impact de la décision. Si elle est portée en appel, le modus operandi du Barreau ontarien risque de rester inchangé jusqu’au jugement de la Cour suprême. Si les parties s’entendent hors cour, le litige sera en un sens réglé, mais en ce qui concerne le Barreau ontarien seulement. Pour les autres, plusieurs diront sûrement que la décision aura peu de portée, car la difficulté de faire respecter la loi va faire en sorte que l’avocat, le juge ou l’étudiant typique ne changera rien à sa façon de faire. Il reste que la personne soucieuse de respecter la loi sait maintenant qu’elle ne peut pas photocopier allègrement tout ce qu’elle désire dans les recueils de jurisprudence ou les volumes du type «loi annotée». Elle doit savoir qu’on ne peut pas, techniquement, photocopier intégralement des décisions de tribunaux au-delà de ce que permet la notion d’utilisation équitable. Car les éditeurs ont un droit d’auteur à l’égard de la mise en page du texte des motifs fournis par les juges, et un droit exclusif quant aux éléments qu’ils ont ajoutés, qu’il s’agisse des mots-clés, jugés, autorités citées, etc. Rappelons que le dispositif de la décision de la Cour fédérale énonce que le Barreau ontarien a violé les droits d’auteur des maisons d’édition, tant en ce qui concerne les recueils de jurisprudence que les ouvrages de doctrine. Il a aussi violé le paragraphe 27(2) en vendant des exemplaires contrefaits, et il ne peut prétendre que tout ce qu’il fait est systématiquement couvert par la notion d’utilisation équitable. Sa déclaration de politique concernant l’accès à la justice et ses directives n’ont pas été suffisantes pour l’exonérer de responsabilité. On doit aussi s’interroger sur l’application de la décision dans le domaine des banques de données accessibles sur Internet. À notre avis elle précise le sens des règles applicables. Une compagnie comme Quicklaw, pour prendre cet exemple, peut fournir à ses clients le texte complet des décisions des tribunaux sans difficultés, car elle fournit le texte écrit par les juges, et non une copie fidèle du texte tel que mis en page par les maisons d’édition. Cependant, si elle ajoute un résumé, des mots-clés, ou un index qui est la reproduction de ce qu’on trouve dans les volumes des éditeurs, il y a sûrement violation de leur droit d’auteur. Nous avons donné un exemple au niveau de la jurisprudence, mais la même règle vaut au niveau des lois. Il est légal de fournir aux abonnés le texte des lois ou règlements, dans la mesure où on ne reproduit pas intégralement la présentation, la mise en page fournie par un éditeur. Il y a aussi de plus en plus d’ouvrages de doctrine disponibles dans les banques de données des fournisseurs de contenu. On présume que la permission a 292 Les Cahiers de propriété intellectuelle été obtenue de l’auteur (si c’est encore lui qui détient les droits d’auteur) pour ce faire. L’usager a le droit de télécharger des extraits de ces ouvrages, sans dépasser deux limites. Celle de l’utilisation équitable, d’abord. Il ne peut évidemment pas non plus faire imprimer ce qu’il télécharge dans le but de revendre à profit des exemplaires de l’ouvrage. Ce faisant, on risquerait de violer tant les droits de l’auteur que de son éditeur. La décision a traité enfin d’un aspect dont nous avons peu parlé, à savoir les règles juridiques concernant l’utilisation des appareils à photocopier. C’est que la LDA a été modifiée depuis que ce litige a pris naissance, et nous estimons que la situation a été clarifiée depuis l’adoption des modifications aux articles 30.2(1), (2) et surtout les paragraphes 30.3(1) et (2). Selon l’article 30.2, les bibliothèques bénéficient de la même notion d’utilisation équitable dont une personne peut se prévaloir en vertu de l’article 29. Le deuxième paragraphe de l’article précise à quelles conditions il leur est possible de reproduire impunément un article tiré d’une revue savante, à la demande d’un de leurs usagers ou d’un usager d’une autre bibliothèque: lorsque le texte a déjà été publié dans une revue savante, et que plus d’un an s’est écoulé depuis la publication. L’article 30.3 précise les règles concernant l’utilisation des appareils à photocopier. Il faut essentiellement qu’une entente ait été conclue avec une société de gestion des droits d’auteur, qu’un tarif ait été homologué par la Commission du droit d’auteur ou soit sur le point de l’être, et que l’avis dont le texte est précisé par règlement soit affiché bien en vue. Cette question ne devrait donc plus risquer de soulever des difficultés à l’avenir. Compte rendu Marque, dessins et modèles: stratégie de protection, de défense et de valorisation – Une initiation au droit français des marques1 Hugo Hamelin2 L’actuelle globalisation des marchés et la montée de la concurrence internationale expliquent en partie l’importance désormais accordée à la propriété intellectuelle. C’est dans cette optique que les conseils en propriété intellectuelle Nathalie Dreyfus et Béatrice Thomas nous présentent un nouvel ouvrage de droit français intitulé Marque, dessins et modèles: stratégie de protection de défense et de valorisation. Destiné plutôt aux entreprises non initiées à ce domaine, ce livre constitue également une introduction pertinente pour les juristes étrangers qui veulent en savoir plus sur le droit relatif aux signes de ralliement de la clientèle en France et en Europe. Après un bref exposé des fondements du droit des marques de commerce et une mise en valeur de son importance dans le contexte commercial actuel, les auteures nous présentent en première partie les règles et stratégies concernant la création d’une marque. La deuxième partie a trait davantage à l’exploitation et à la gestion de ces droits. 1. Nathalie DREYFUS et Béatrice THOMAS, Marques, dessins et modèles: stratégie de protection, de défense et de valorisation, 1re éd. (Paris, Les Éditions Delmas, 2002), 451 pages. ISBN 2 247 04732 7. 2. Étudiant du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 293 294 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les quatre chapitres préliminaires de la première partie débordent quelque peu l’aspect juridique pour suggérer d’intéressantes astuces quant à l’organisation entourant la création et le choix d’un signe de ralliement pour l’entreprise. Ceux-ci comprennent, entre autres, les noms de domaine d’Internet, la dénomination sociale, le nom commercial, l’enseigne et les marques relatives à la marchandise. Les stratégies pratiques que les auteures suggèrent se rapportent à des secteurs aussi variés que des données statistiques ou des normes commerciales ou de marketing. À ce stade de création, les auteures mettent déjà en garde le chef d’entreprise à l’égard du créateur du signe dont il deviendra propriétaire selon qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs personnes, ou selon que ce ou ces créateurs soient internes ou externes à l’entreprise. Les règles énoncées, parfois primordiales, concernent les contrats de travail, la surveillance quant au respect des droits de propriété industrielle ou encore la gestion du budget. Pour compléter l’analyse préliminaire sur la création du signe, on se consacre aux recherches d’antériorité en vue d’un éventuel dépôt de la marque. On précise les différentes procédures en vue de vérifier la validité et la disponibilité d’une marque en nommant, entre autres, les organismes compétents ainsi que les règles temporelles et territoriales à l’égard du dépôt. Les chapitres suivants de la première partie sont consacrés au dépôt et à la défense des signes de ralliement de la clientèle, dont les éléments sont présentés de manière parallèle, c’est-à-dire les règles relatives aux marques, puis celles relatives aux dessins et modèles. À la suite des explications stratégiques sur la personne qui doit déposer la marque, ce qui doit l’être et selon quels moyens, il est intéressant de constater le souci de modernisme des auteures. En effet, celles-ci nous exposent non seulement la procédure de dépôt en France, mais également celle de l’Union européenne, selon les règles de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) ainsi que les règles internationales énoncées, entre autres, dans l’Arrangement et le Protocole de Madrid. On va même jusqu’à énoncer des bases sommaires sur les procédures de dépôt africaines et américaines. On conclut en parlant de la durée de la protection garantie et de la procédure de renouvellement. Le chapitre qui suit, toujours dans la première partie et tout aussi imposant que le précédent, n’en est pas moins riche en aspects juridiques. Il traite de façon précise des normes qui ont trait à la protection de la marque. On propose ici différentes règles concernant l’atteinte aux droits liés à la marque et les moyens de défendre ces Marque, dessins, modèles... 295 droits selon les lois nationales françaises, en l’occurrence selon le Code de la propriété intellectuelle, ainsi que d’autres règles communautaires et internationales. Les thèmes abordés touchent la contrefaçon, la référence à la marque d’autrui et la violation des droits du licencié de la marque. On traite également du concept de la spécialité d’une marque en France, ainsi que du statut des marques notoires. En toute logique, les auteures enchaînent par les options qui s’offrent au détenteur de la marque violée, en utilisant soit la voie judiciaire ou extrajudiciaire. Le même chapitre traite également des autres signes tels les noms de domaine ou la dénomination sociale, mais les dessins et les modèles sont traités dans des chapitres distincts. Adoptant la même structure que pour les marques, les auteures expliquent avec autant de précision toutes les règles concernant leur dépôt et la défense des droits qui en découlent. Cette première partie sur la création de la marque se termine en expliquant quelques effets de l’enregistrement ainsi que le cas de la perte volontaire ou involontaire de ces droits. Une fois le signe créé et déposé, la seconde partie de l’ouvrage nous explique comment gérer et exploiter cette marque, ce dessin ou ce modèle. On traite de l’exploitation du signe autant par son propriétaire que par ceux envers qui une licence a été octroyée. Le sujet des franchises et de la distribution sélective est brièvement discuté, en plus d’exposer la procédure de cession d’une marque en droit français, communautaire et international. L’analyse de l’audit, quant à elle, fait réaliser au lecteur l’importance d’évaluer périodiquement les méthodes et les procédures de gestion de la marque au sein de l’entreprise, dans le but de prévenir les risques qui auraient trait à des contraventions des droits que lui confère la marque. En suggérant des méthodes pour évaluer le capital intellectuel de l’entreprise, on peut sans difficulté comprendre certains principes servant à orienter efficacement la politique de l’entreprise en la matière. Les deux chapitres qui suivent constituent un exposé pratique relatif à la fiscalité. On y énonce avec précision tous les coûts qui pourraient résulter de l’exploitation d’une marque, d’un dessin ou d’un modèle, notamment les différentes taxes applicables, directes ou indirectes. On propose aussi une évaluation financière liée à la propriété intellectuelle dont les différentes méthodes proposées devraient permettre aux entreprises notamment de mieux cerner la valeur de leur signe afin d’obtenir des prêts, de céder efficacement ces droits ou d’octroyer des licences. 296 Les Cahiers de propriété intellectuelle Pour compléter cette référence pratique, l’annexe fournit une série de schémas et de tableaux récapitulatifs de la matière pour expliquer sommairement et d’une façon visuelle les différentes procédures. Quelques autres outils ont été ajoutés comme la classification de Nice établissant les différentes classes de produits et services, ainsi que des extraits pertinents des textes législatifs et réglementaires cités. Ce souci de clarté et d’efficacité existe tout au long du livre, en fournissant au lecteur qui n’est pas toujours familier avec les concepts juridiques, une table des matières précise et des marges récapitulatives, permettant à ce dernier de repérer rapidement la matière recherchée. Vu l’importance accrue que prend le domaine de la propriété intellectuelle avec l’actuelle mondialisation soulignée par Jean-Pierre Combaldieu dans sa préface, de plus en plus d’ouvrages comparés ou traités des règles internationales en la matière devraient voir le jour. Compte rendu Les diférends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI* Benoit Marion** Cet ouvrage propose une étude de la jurisprudence de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) menée dans le cadre d’une thèse de doctorat, par Cam Quyen Corinne Truong, alors juriste attachée au secrétariat de cette cour. L’étude de cette jurisprudence se circonscrit autour de certaines sentences arbitrales en matière de contrats internationaux de distribution rendues pour la période de 1984 à 2000. L’auteure n’examine que les sentences liées à trois types de contrats internationaux de distribution, soit les contrats de concession exclusive, les contrats de franchisage et les contrats de distribution sélective. © LÉGER ROBIC RICHARD / ROBIC, 2002. * Cam Quyen Corinne TRUONG, Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI, collection Bibliothèque de droit de l’entreprise (Paris, Litec, 200), 433 pages; ISBN 2-7111-3382-6 ** Étudiant à l’École de formation professionnelle du Barreau du Québec, en stage auprès du cabinet d’avocats LÉGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 297 298 Les Cahiers de propriété intellectuelle La première partie de l’étude porte sur l’examen de questions pour lesquelles les arbitres doivent fournir une réponse avant que le fond du litige ne soit entendu par eux. Il s’agit de questions préliminaires qui ne soulèvent pas une originalité particulière aux différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution. La première de ces questions préliminaires concerne la compétence de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI à entendre le litige qui lui est soumis. La seule présence d’une clause par laquelle les contractants s’engagent à soumettre leurs différends éventuels à l’arbitrage ne suffit pas à régler cette question. Ainsi, l’auteure examine d’abord trois situations où la clause compromissoire est contestée, soit lorsque des difficultés tenant à la détermination des parties liées à la clause compromissoire surgissent, soit lorsque les clauses compromissoires ont été mal rédigées, c’est-à-dire dans le cas d’une désignation défectueuse de l’institution arbitrale ou encore dans le cas d’une désignation étroite de la compétence des arbitres. L’auteure examine ensuite quelques cas liés à l’autonomie de la clause compromissoire: par exemple, l’introduction d’une demande d’arbitrage postérieure à l’extinction du contrat de distribution, alors que cette demande porte sur un différend né pendant l’exécution du contrat L’autre question préliminaire concerne le droit applicable au fond du litige. Dans 85 % des affaires examinées par l’auteure, les parties ont stipulé un droit applicable et l’étude porte alors sur les raisons et les conséquences du choix effectué par les parties au litige. Pour le reste des affaires examinées, l’auteure étudie les méthodes suivies par les arbitres afin de déterminer le droit qui sera applicable. La deuxième partie de l’ouvrage porte d’abord sur l’identification des différentes causes de rupture des contrats internationaux de distribution et ensuite sur la démarche que les arbitres effectuent à la fois pour déterminer les responsabilités des parties et pour prononcer leur sanction. Quant à l’examen des différentes causes de rupture, l’auteure a su dégager une tendance dans la jurisprudence arbitrale tout aussi bien à propos de l’appréciation du bien-fondé de ces différentes causes que des causes elles-mêmes. Au nombre des griefs imputés au distributeur, se trouvent notamment ceux entourant les modalités de commercialisation des produits définies par le concédant. Les différends liés à la rupture des contrats internationaux... 299 L’auteure conclut par une énumération des enseignements que fait apparaître son étude eu égard aux sentences que livrent les arbitres de la CCI en la matière examinée. Par exemple, les arbitres traitent de manière identique les parties au litige, selon le comportement de chacune d’entre elles lors de la rupture du contrat de distribution. Les arbitres cherchent aussi à appliquer des principes transnationaux connus du droit, telles la bonne foi, la loyauté et l’obligation de minimiser son dommage. L’auteure termine en affirmant que les arbitres sont garants d’une réparation adaptée aux besoins des acteurs du commerce international. Au soutien de cette affirmation, l’auteure mentionne la rareté des recours en annulation des sentences arbitrales. Cet ouvrage a le mérite d’offrir à ses lecteurs une synthèse étoffée de la jurisprudence arbitrale internationale en matière de différends liés aux contrats de distribution, bien que cette synthèse ne soit pas nécessairement représentative de l’ensemble des décisions d’arbitrage rendues par les divers organismes. Compte rendu Copyright – Cases and Materials* Ghislain Roussel** La cinquième édition de cet ouvrage remonte à 1999 et, compte tenu des nombreux développements jurisprudentiels et législatifs survenus depuis aux États-Unis, une nouvelle édition s’imposait. C’est ce que cet ouvrage vient combler en considérant les nouvelles problématiques en matière de droit d’auteur soulevées notamment par les affaires Napster et MP3.Com, le contournement des moyens techniques de protection avec l’affaire DVD, l’affaire Tasini et la numérisation et la diffusion électronique d’articles de presse et les questions reliées à Internet et à la responsabilité des divers intervenants. L’originalité de cette somme, à la fois succincte et condensée sous chaque aspect traité, dont les auteurs émérites n’ont plus besoin d’être présentés, tout particulièrement la professeure Jane C. Ginsburg de Columbia University, réside dans la discussion soulevée sous forme d’interrogations ou d’hypothèses et ce, à la suite de l’analyse ou d’un commentaire portant sur un droit économique, par exemple, et son interprétation par les tribunaux. Le contenu de l’ouvrage est divisé selon les thèmes suivants: concept du droit d’auteur (ici le «copyright»); œuvres protégeables par un droit d’auteur; titularité; durée, renouvellement et fin de ce Robert A. GORMAN et Jane C. GINSBURG, Copyright – Cases and Materials, 6e éd., University Casebook Series (New York, Foundation Press, 2002), 986 pages; ISBN: 1-58778-375-4. ** Secrétaire général et directeur des affaires juridiques de la Grande Bibliothèque du Québec. * 301 302 Les Cahiers de propriété intellectuelle droit; formalités reliées au droit d’auteur; droits exclusifs du droit d’auteur; usage loyal; mise à exécution du droit d’auteur; droit fédéral américain au regard du droit des États; et dimension internationale du droit d’auteur. Après un historique et un exposé touchant les principes et règles régissant le droit d’auteur américain, les auteurs abordent chaque thème et sous-thème au regard des derniers développements jurisprudentiels et énoncent diverses questions. Ainsi, à titre d’exemple, à propos du droit de distribution, après un résumé du House Report sur la disposition législative § 106(3) et une analyse jurisprudentielle de l’objet et de la portée de ce droit et de la théorie de l’épuisement du droit d’auteur à la lumière de l’affaire Fawcett Publications c. Elliot Publishing Co., des questions sont posées sous forme de scénarios; ainsi, si la partie défenderesse avait en fait été poursuivie conformément aux actes énumérés dans la décision, que serait-il arrivé? Etc. Sur le droit de suite, favorisez-vous un tel droit et, si oui, comment pourrait-il être intégré dans la législation sur le droit d’auteur? Concernant le droit d’importation et l’affaire Quality King Distributors, Inc. c. L’anza Research International, Inc., que signifient les termes «légalement effectué sous le titre de la loi»? Est-ce que le Titre 17 s’applique aux reproduction faites hors des États-Unis? C’est ce qui rend l’ouvrage intéressant et captivant au regard d’autres applications jurisprudentielles possibles vis-à-vis une décision donnée ou des modifications législatives éventuelles, faisant d’une certaine manière office de corpus jurisprudentiel et ouvrage de doctrine. Cette originalité est tout à l’honneur des auteurs de cet ouvrage. Passeriez-vous le test? Le corrigé n’est malheureusement pas fourni avec l’ouvrage. Pour les irréductibles, il y a une liste de treize cas problèmes à la fin de l’ouvrage. Compte rendu The WIPO treaties 1996 – the WIPO Copyright Treaty and the WIPO Performances and Phonograms Treaty – Commentary and Legal Analysis* Ghislain Roussel** La conférence diplomatique de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle comme si vous y aviez assisté, voilà comment nous pourrions intituler cet ouvrage impressionnant et fouillé sur le Traité sur le droit d’auteur et le Traité sur les prestations des artistes interprètes et sur les enregistrements sonores adoptés par la Conférence de l’OMPI en décembre 1996. Cet ouvrage est principalement composé de deux parties dont l’une fait l’historique de ces traités, des premières discussions de comités d’experts jusqu’à la conclusion des travaux de la conférence diplomatique de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’autre reprenant point par point et dans les moindres détails, avec appui de textes législatifs et jurisprudentiels et de la doctrine, chaque disposition de chacun des traités en la citant, l’analysant et la commentant. * Jörg REINBOTHE et Silke VON LEWINSKI, The WIPO Treaties – 1996 The WIPO Copyright Treaty and the WIPO Performances and Phonograms Treaty – Commentary and Legal Analysis (Londres, Butterworths LexisNexis, 2002), 459 pages; ISBN: 0-406-89669-0. ** Secrétaire général et directeur des affaires juridiques de la Grande Bibliothèque du Québec. 303 304 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les auteurs procèdent donc, dans un premier temps, à l’étude approfondie des développements internationaux relativement à la protection du droit d’auteur et des droits dits voisins, puis font l’historique des travaux du comité d’experts mis en place en vue de l’éventuelle conférence diplomatique. Suit une analyse article par article des dispositions du Traité sur le droit d’auteur selon ce schéma: historique de la disposition selon les travaux du comité d’experts, le texte initial soumis à la conférence diplomatique et le texte adopté par celle-ci et, finalement, un commentaire approfondi soit sur les attendus ou considérants, soit sur le libellé même de chaque paragraphe. Il en est de même pour le Traité sur les prestations des artistes interprètes et les enregistrements sonores. Pour des fins d’archives, l’ouvrage présente également les propositions de texte ou de modification qui n’ont pas été retenues par la conférence diplomatique. Le chapitre 4 de cet ouvrage aborde les implications ou effets de ces traités au regard de la Convention de Berne, de la Convention de Rome sur les droits voisins et de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle reliés au commerce («TRIPs»). Parmi les annexes, sont notamment reproduits les deux traités, le document de travail soumis à la conférence diplomatique et sur la propriété littéraire et artistique et sur les prestations des artistes interprètes et les enregistrements sonores et la proposition portant sur les dispositions administratives et finales des deux traités. Cet ouvrage mérite véritablement que l’on s’y attarde et se le procure, compte tenu de sa qualité, de sa richesse et de l’expertise de ses auteurs, consultants en matière de droit international et communautaire (européen) dans ce domaine, vu leurs responsabilités au sein de la Commission de l’Union européenne et de l’Institut Max-Planck en propriété intellectuelle de Munich. Ils ont de plus été étroitement associés aux travaux de l’OMPI. Cet ouvrage colossal digne de travaux monastiques constitue ainsi un outil indispensable de référence et d’interprétation pour qui désire connaître les tenants et aboutissants de ces deux traités de l’OMPI et en saisir le contexte et l’esprit dans une perspective certes internationale, mais également nationale dans la mesure où le contenu de ces traités devra éventuellement être intégré au droit interne national. Compte rendu Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine* Brigitte Vézina** Dans son ouvrage intitulé Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine, Alexandre Cruquenaire examine et explicite les généralités et particularités du mécanisme extrajudiciaire international de règlement des litiges mis en place en 1999 sous l’égide de l’OMPI connu sous le nom de la Procédure UDRP (Uniform domain name Dispute Resolution Policy). Étudiant les règles spécifiques établies au sein de ce mécanisme tant in abstracto que telles qu’analysées par la jurisprudence, l’auteur parvient à donner une vue d’ensemble de la procédure qu’il convient de respecter, permettant ainsi de mettre en lumière les qualités mais aussi les failles lézardant cette procédure extrajudiciaire. Afin de mener à bien cette délicate entreprise, l’auteur juge à propos d’établir de prime abord, au Chapitre 1, les principaux éléments contextuels dont est empreinte la procédure. Il expose en premier lieu le fonctionnement du «Domain Name System» (DNS), qui permet la traduction des noms de domaine en adresses IP («Internet Protocol») et la localisation des sites sur le réseau. En deuxième lieu, l’auteur aborde les différents problèmes auxquels ont nouvellement © LEGER ROBIC RICHARD / ROBIC, 2002. * Alexandre CRUQUENAIRE, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine – analyse de la procédure UDRP, collection Cahiers du Centre de recherches informatique et Droit (Bruxelles, Bruylant, 2002), 201 pages; ISBN 2-8027-1584-4. ** Étudiante, du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD, s.e.n.c. et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, s.e.n.c. 305 306 Les Cahiers de propriété intellectuelle à faire face les sociétés désireuses d’affirmer leur présence sur le web, illustrations de l’opposition manifeste entre les logiques de la propriété intellectuelle et du système des noms de domaine; il évoque notamment le problème de «cybersquatting» – phénomène par lequel le fraudeur utilise de façon abusive des signes distinctifs au titre de noms de domaine. En dernier lieu, il décortique les tentatives de solutions d’ordres jurisprudentiel, législatif et pratique, et entre autres, la création de la procédure UDRP. Au Chapitre 2 nous sont présentés les règles et acteurs de la procédure UDRP. Parcourant les dispositions régissant la procédure, l’on découvre ses principes directeurs, ses règles d’applications et quelques règles supplémentaires des différents organes de résolution des litiges, qui sont au nombre de quatre: le Centre d’arbitrage et de méditation de l’OMPI, eResolution, le National Arbitration Forum (NAF) et le CPR Institute for Dispute Resolution. L’auteur décrit par la suite le déroulement de la procédure, en établissant une chronologie d’une instance puis en dévoilant le mécanisme d’exécution des décisions URDP. Puis, en tentant de définir la nature de la procédure UDRP, l’auteur propose d’envisager deux qualifications – soit l’arbitrage et la tierce décision obligatoire –, pour en venir, tout compte fait, à la conclusion que celle-ci constitue simplement un mécanisme sui generis, au fondement purement contractuel. En conclusion de ce chapitre, l’auteur esquisse les principaux protagonistes à l’œuvre dans cette procédure, nommément l’ICANN, les Registrars, les organes de résolution des litiges, les panels, les titulaires de noms de domaine et enfin les tiers, titulaires de droits intellectuels: il définit leur rôle et leur fonction et par là même, établit leur raison d’être. Le troisième Chapitre est consacré aux conditions de fond de la procédure UDRP, qui sont au nombre de trois, soit (1) l’identité du nom de domaine ainsi que de la marque du demandeur (l’étude approfondie de ce concept est fort intéressante), (2) l’absence d’intérêt légitime du titulaire du nom de domaine (dont le fardeau de preuve repose sur le demandeur) et enfin l’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (qu’il revient encore une fois au demandeur de prouver, cependant celui-ci est assisté dans cette démarche par une riche jurisprudence portant au grand jour une série d’éléments indicatifs permettant de guider l’appréciation de la mauvaise foi). Il parvient de ce fait à cerner, avec autant de concision que l’analyse des décisions le lui permet, les exigences à satisfaire dans le but de forger avec succès la procédure en question. Le règlement extrajudiciaire des litiges... 307 Les questions particulières de procédures sont énumérées au quatrième Chapitre. L’auteur mentionne (1) l’évaluation du caractère «loyal» de la procédure UDRP, i.e. si elle répond aux conditions du «procès équitable» (concept passé au peigne fin), (2) la charge de la preuve qui, sans grande surprise, est entièrement dévolue au demandeur, (3) les exigences formelles afférentes à la réponse (qu’arrive-t-il si elles sont tardives ou informelles?), (4) le sort des écritures et pièces complémentaires, privilège des panels, (5) le choix de la langue de la procédure, (6) l’incidence des recours judiciaires et les risques de conflits que présente la coexistence de deux mécanismes distincts, (7) l’impartialité des panels (qui certes est rarement mise en cause) et (8) d’insolites aspects procéduraux dignes d’intérêt. Le dernier Chapitre, extrêmement bref, examine quelques données statistiques qui tendent à rendre compte du taux de succès des plaintes déposées selon la procédure UDRP. En guise de clôture, mentionnons que l’important effort d’analyse qui transpire dans cet ouvrage confère à ce dernier une certaine complétude qui a pour avantage de transformer l’étude en un véritable outil de référence, tant précis que critique. Si l’auteur ne tarit pas d’éloges au sujet de ce mécanisme spectaculairement novateur, instrument de lutte contre le néfaste «cybersquatting», il met néanmoins le lecteur en garde que des modifications occasionnelles à la procédure apparaissent inévitables, dans un univers cyberspatial gouverné par l’incertain. Vol. 15, no 1 LIVRES PARUS Ghislain Roussel Barreau du Québec, Formation permanente, Collectif, Développements récents en droit de l’Internet, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, 278 pages, ISBN: 2-89451-543-X. BILON, Jean-Louis et Michel VIVANT, éd., Code de la propriété intellectuelle 2002, Paris, Litec, 2002, 1380 pages, 48,63 Euros, ISBN: 2-7111-3374-5. BLOCH, Pascale, dir., Image et droit, Paris, L’Harmattan, 2002, 672 pages, 53,35 Euros, ISBN: 2-7475-2085-4. BUY, Frédéric, L’organisation contractuelle du spectacle sportif, Aixen-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2002, 485 pages, 33,54 Euros, ISBN: 2-7314-0287-3. Carswell, Consolidated Intellectual Property Statutes and Regulations 2002, Toronto, Carswell, 2002, 500 pages, 75 $, ISBN: 0-45926216-5. CHATILLON, Georges, Droit de l’internet public, Paris, LGDJ, 2002, 18,50 Euros, ISBN: 2-275-02162-0. Conseil de l’Europe, dir., Techniques de l’information et de droit, liens entre les systèmes et leurs utilisateurs, techniques de communication dans le domaine juridique: actes, Actes du Colloque de 2000 à Cambridge sur les technologies de l’information et le droit en Europe, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2002, 158 pages, 19 Euros, ISBN: 92-87147-31-0. DEBBASCH, Charles, dir., Droit des médias, 2e éd., Paris, Dalloz, 2002, 1150 pages, 91 Euros, ISBN: 2-247-04683-5. 309 310 Les Cahiers de propriété intellectuelle DIAS, Bernard et Raoul PARIENTI, L’invention gagnante: de l’idée aux royalties, Paris, Osmondes, 2002, 173 pages, 18,15 Euros, ISBN: 2-910830-61-6. GORMAN, Robert A. et Jane C. GINSBURG, Copyright – Cases and Materials, 6e éd., New York, Foundation Press, West Group, 2001, ISBN: 1-58778-375-4. JOURNAUX OFFICIELS, Code de la propriété intellectuelle, Paris, Éditions des Journaux officiels, 2002, 378 pages, ISSN: 07674538, 14,10 Euros. PIERRAT, Emmanuel, Le droit de l’édition appliqué, tome 2, Paris, CECOFOP / Pro-Libris – Éditions du Cercle de la librairie, 2002, 160 pages, 28 Euros, ISBN: 2-7654-0783-5. SCHUWER, Philippe, Traité pratique de l’édition, 3e éd., Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2002, 656 pages, 48 Euros, ISBN: 2-7654-0825-4. TAMARO, Normand, The 2002 Annotated Copyright Act, Toronto, Carswell, 2002, 800 pages, 110 $, ISBN: 0-459-26168-1, no de commande 9261681-01216. WEKSTEIN, Isabelle, Droits voisins du droit d’auteur et numérique, Paris, Litec, 2002, 212 pages, 22 Euros, ISBN: 2-7111-3370-2. INDEX DES AUTEURS Volumes 1-1 à 15-1 (octobre 1988 – octobre 2002)* ABRAN, France, «Interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur [Les]» . . . . . . . . . 8,3,381 ANGLEHART, James, «Introduction au PCT et comment en tirer profit» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,3,429 ANGLEHART, James, «Établissement de la date de dépôt d’une première demande de brevet et demandes de brevets provisoires» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,2,301 BARIBEAU, Marc, «Normes de gestion en matière de droits d’auteurs au gouvernement du Québec». . . . 13,3,521 BARIBEAU, Marc, «Complications des compilations [Les]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,653 BARRELET, Denis, «Suisse: le droit d’auteur du journaliste à l’épreuve de la numérisation» . . . . . . . 12,2,547 BERGERON, Catherine, «Fair Dealing canadien et Fair Use américain: une analyse de l’exception d’utilisation équitable en matière de droit d’auteur» . . 13,2,267 BERNIER, Louise G., «Protection pour le monde des vivants [Une]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,1,55 BERNIER, Yvan, «Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption culturelle [Les]» . . . . . . . . . 6,2,139 BERTHET, Élizabeth, «Génériques en Europe [Les]». . . . 13,1,13 * Les chiffres renvoient, dans l’ordre, au volume, au numéro et à la page. 311 312 Les Cahiers de propriété intellectuelle BERTRAND, Lise, «Droit de l’informatique – Rétrospective canadienne» . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,237 BÉRUBÉ, Luc, «Politiques des bureaux des brevets et jugements récents portant sur les séquences d’ADN . . 12,3,757 BISSON, Grégoire, «Protection de la réputation internationale d’une maison de prêt-à-porter prétexte à une étude sur les marques notoires [La]» . . . . . . . . 1,2,135 BISSON, Grégoire, «Protection de la création vestimentaire: étude d’une application problématique des droits intellectuels [La]» . . . . . . . . . . . . . . . . 5,3,301 BLAIS, Jean-Pierre, «Droits des artistes interprètes en Australie et l’exécution des obligations internationales: un modèle constitutionnel pour la réforme du droit d’auteur au Canada? 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Évolution des pratiques du Bureau des marques de commerce en matière de logiciel et de technologies de l’information» . . . . . . . 14,1,363 SOOKMAN, Barry B., «Création assistée par ordinateur d’œuvres protégées par le droit d’auteur» . . . . . . . . . 2,2,187 SOOKMAN, Barry B., «Opinion d’un étranger sur le droit américain régissant la protection des logiciels par le droit d’auteur» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,2,203 SOTIRIADIS, Bob H., «Esthétisme et utilité: une relation non protégée» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,211 SOTIRIADIS, Bob H., «Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur: survol» . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,3,345 SOTIRIADIS, Bob H., «Calcul des profits pour violation de brevet [Le]». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,825 SOTIRIADIS, Bob H., «Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La]» . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,581 SPADA, Paolo, «Performance d’antan et voyage dans le temps du droit exclusif des artistes-interprètes» . . . 13,1,191 STEELE, Alexandra, «Critère d’originalité en matière de dessins industriels au Canada [Le]» . . . . . . . . . 14,3,855 STROWEL, Alain, «Droits d’auteur et accès à l’information: de quelques malentendus et vrais problèmes à travers l’histoire et les développements récents». . . . . . . . . . 12,1,185 STROWEL, Alain, «Licences non volontaires et socialisation du droit d’auteur: un danger ou une nécessité?» . . . . . 3,2,161 STROWEL, Alain, «Loi du 31 août 1998 concernant la protection des bases de données [La]». . . . . . . . . 13,1,197 SULLIVAN, Monique, «Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure: des principes «taillés sur mesure» [L’]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,1,241 SYRIANOS, Stella, «Marques officielles en vertu de l’alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce: marques invincibles ou invulnérables? 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[La]». . . . . . 4,1,73 TAMARO, Normand, «Écho de la doctrine et la communication publique d’une œuvre [L’]» . . . . . . . . 5,2,158 TAMARO, Normand, «Journalistes pigistes, le droit d’auteur canadien et le domaine de l’autorisation [Les]» . . . . . 12,2,373 THOUMYRE, Lionel, «Ensemble journalistique: entre le collectif et la collaboration [L’]» . . . . . . . . . . . . 12,2,421 TISSEYRE, Pierre, «Loi C-60 et la gestion des grands droits [La]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,2,255 TORREMANS, Paul L.C., «Journalisme et le droit d’auteur en Grande-Bretagne [Le]» . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,467 TOUPIN, Benoît, «Intérêts moraux en droit d’auteur: à la recherche de leur vraie nature [Les]». . . . . . . . . 7,1,125 TRIAILLE, Jean-Paul, «Problématique de l’informatique et des nouvelles technologies de l’information» . . . . . . 4,2,267 TRIAILLE, Jean-Paul, «Droit du Cyberespace, CRDP/Thémis, 1997» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,3,731 TRUDEAU, Raymond, «Breveter un logiciel» . . . . . . . . . 6,1,49 TRUDEL, Pierre, «Cadre juridique de la gestion collective des droits d’auteur au Canada [Le]». . . . . . . . . . . . 6,3,345 TRUDEL, Pierre, «Interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur [Les]» . . . . . . . . . . 8,3,381 VAN EECKHOUT, Philippe, «Qui a qualité pour agir? Vers un élargissement de la notion de «personne se réclamant du breveté» au sens de l’article 55 de la Loi sur les brevets: commentaires sur l’affaire Signalisation de Montréal c. Services de Béton Universels» . . . . . . . 6,2,257 VAVER, David, «Droit d’auteur, phase 2: de nouveaux horizons [Le]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,1,83 VAVER, David, «Loi sur le droit d’auteur au Canada: le troisième millénaire [La]» . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,9 VERBIEST, Thierry, «Journalisme et le droit d’auteur en Belgique [Le]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,579 Index des auteurs 333 VERMETTE, Nataly J., «Origines du droit canadien des marques de commerce» . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,1,431 VERSCHELDEN, Louise, «Protection du savoir-faire et l’informatique [La]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,3,341 VINCENT, Linda, «Arrêts récents concernant la publicité comparative» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,3,471 VINCENT, Luc-André, «Une copie privée pour le nouveau millénaire? Commentaire sur les obligations internationales pertinentes et sur la partie VIII de la Loi canadienne sur le droit d’auteur» . . . . . . . . . 13,3,711 VISSCHER, Fernand de, «Saisie description en Belgique: une mesure probatoire et parfois conservatoire [La]» . . 13,2,465 VIVANT, Michel, «Entre droit d’auteur et Copyright – L’Europe au carrefour des logiques». . . . . . . . . . . 10,1,41 VON LEWINSKI, Silke, «Droit d’auteur contre la colorisation, la modification de durée et l’adaptation du format des films [Le]» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,2,133 VON LEWINSKI, Silke, «Communauté européenne et le droit d’auteur: le marché intérieur s’annonce [La] . . . 4,1,111 VON LEWINSKI, Silke, «Droit de prêt public au Canada par rapport aux autres pays [Le]» . . . . . . . . . . . . . 5,1,109 WILKINSON, Margaret Ann, «Droit d’auteur dans le contexte de la propriété intellectuelle: une analyse des politiques universitaires canadiennes [Le]» . . . . . 12,1,51 WONG, Zen, «Souris est brevetable [La]» . . . . . . . . . 13,3,815 INDEX DES TITRES Volumes 1-1 à 15-1 (octobre 1988 – octobre 2002)* À cheval donné, on ne retient pas la bride: l’abandon du brevet au bénéfice du public – André Dorion . . . . . 8,3,449 Abus de position dominante et droits de propriété intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté européenne: IMS survivra-t-elle au monstre du Dr Frankenstein? – Estelle Derclaye . . . . . . . . . . . 15,1,21 Accès aux dispositifs de neutralisation des œuvres verrouillées: une condition nécessaire à l’exercice d’exceptions au droit d’auteur [L’] – Éric Labbé . . . . . 14,3,741 Accord de libre-échange nord-américain et sa mise en œuvre en matière de droit d’auteur [L’] – Victor Nabhan . . . 6,1,9 Affaire américaine Feist et la notion d’originalité: à propos des banques de données et des compilations [L’] – Jane C. Ginsburg . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,233 Affaire Bishop [L’] – Jacques A. Léger . . . . . . . . . . . . 3,2,185 Affaire Campbell c. Acuff-Rose Music, Inc. et la défense du fair use [L’] – Todd H. Shuster . . . . . . . . . . . . . 7,2,287 Affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel: le droit de reproduire la documentation juridique est limité [L’] – René Pepin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,1,269 Affaire Cohen [L’] – Danielle Létourneau . . . . . . . . . . 8,2,349 * Les chiffres renvoient, dans l’ordre, au volume, au numéro et à la page. 335 336 Les Cahiers de propriété intellectuelle Affaire CTV Television Network Ltd. c. Commission du droit d’auteur ou Le droit d’exposer ses œuvres musicales [L’] – Serge Provençal . . . . . . . . . . . . . 3,1,107 Affaire Théberge [L’] – Daniel Gervais . . . . . . . . . . . 15,1,217 Agaguk: un nouveau conflit fédéral-provincial? – Michel Racicot et George Takach . . . . . . . . . . . . . 4,3,401 Alinéa 37(1) c) de la Loi sur les marques de commerce et l’arrêt Unitel [L’] – Marc Gagnon . . . . . . . . . . . 13,3,803 Amendements à la Loi sur les brevets: une nouvelle philosophie? [Les] – Jacques A. Léger . . . . . . . . . . . 1,1,79 Amendements de 1990 à la Loi américaine sur le droit d’auteur [Les] – Claude Brunet . . . . . . . . . . . . . . 3,3,359 Analyse et évolution des ordonnances Anton Piller et Mareva au Canada – Jacques A. Léger . . . . . . . . . . 2,3,377 Animaux sont-ils brevetables? L’opinion d’un agent de brevets [Les] – Thierry Orlhac. . . . . . . . . . . . . . . 9,3,413 Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure: des principes «taillés sur mesure» [L’] – Nathalie Jodoin et Monique Sullivan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,1,241 Arrêts récents concernant la publicité comparative – Linda Vincent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,3,471 Article 5 de la Loi sur les marques de commerce: une espèce en voie de disparition [L’] – Isabelle Jomphe . . 14,1,257 Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels: une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’] – Christian Bolduc, Stephan P. Georghiev et Marc-André Huot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,101 Artistes exécutants et interprètes et le nouveau Code civil du Québec [Les] – Stéphane Gilker . . . . . . . . . . . . . 8,1,93 Auteur des œuvres musicales composées pour un film: auteur d’une œuvre dramatique? [L’] – Françoit Larose . . . . . 15,1,57 Auteur, futur actionnaire de la société de l’information [L’] – Florence-Marie Piriou . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,3,829 Index des titres 337 Auteurs sont-ils des employés? Certaines réflexions sur la propriété des droits d’auteur dans le contexte scolaire [Les] – Daniel Lametti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,11 Bibliothèques et la nouvelle loi canadienne sur le droit d’auteur: un commentaire [Les] – Jules Larivière. . . . 10,2,351 Biotechnologie, tissu humain et nouveau Code civil du Québec – Randy W. Marusyk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6,1,99 Bonne lecture d’un mauvais arrêt et la mauvaise lecture d’un bon arrêt ou Pourquoi les auteurs ont été indûment privés de millions de dollars en redevances pour la câblodistribution de leurs œuvres? [La] – Normand Tamaro . . . . . . . . . 4,1,73 Brevetabilité de la matière vivante: les plantes transgéniques [La] – Andreas Haderlein. . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,713 Brevetabilité des innovations génétiques sous la Convention sur le brevet européen: réalités et perspectives [La] – Jean-Christophe Galloux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,1,9 Brevetabilité et génétique humaine: perspective internationale du dialogue entre l’Europe et la France à l’égard de la directive 98/44/CE – Martin Letendre . . . . . . . . . . 13,3,655 Breveter un logiciel – Raymond Trudeau . . . . . . . . . . . 6,1,49 Brevets et biotechnologie: animaux et végétaux transgéniques – France Côté . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,735 Cadre juridique de la gestion collective des droits d’auteur au Canada [Le] – Sylvie Latour et Pierre Trudel . . . . . 6,3,343 Cadre juridique de la gestion des droits au Canada [Le] – Johanne Daniel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,257 Calcul des profits pour violation de brevet [Le] – Bob H. Sotiriadis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,825 CAPAC – France Lafleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,3,415 Cent deux ans plus tard: les États-Unis adhèrent à la Convention de Berne – Jane C. Ginsburg et John M. Kernochan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,2,209 338 Les Cahiers de propriété intellectuelle Character Merchandising et le droit français [Le] – Xavier Desjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,2,193 Chevauchements de droits en propriété intellectuelle – Deuxième partie: la cavalcade du droit d’auteur et du droit des marques de commerce – Jean-Philippe Mikus. . 15,1,167 Chevauchements de droits en propriété intellectuelle – Première partie: le rodéo du droit des brevets et des marques de commerce – Jean-Philippe Mikus. . . . . . 14,1,311 Clauses de non-concurrence dans les contrats de franchise ou Qui trop embrasse mal étreint [Les] – Paul-André Mathieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,3,701 Commentaire de l’arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de Cassation du 28 mai 1991 dans l’affaire Huston – Yves Gaubiac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,257 Commerce électronique: pourquoi Industrie Canada n’y comprend pas grand-chose [Le] – Robert Cassius de Linval . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,335 Commission du droit d’auteur: fonctions et pratiques [La] – Michel Hétu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,3,410 Communauté européenne et le droit d’auteur: le marché intérieur s’annonce [La] – Silke Von Lewinski . . . . . . 4,1,111 Communication internationale en matière de brevets – Wilhelm Hellemans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,1,135 Complications des compilations [Les] – Marc Baribeau et Sylvain Gadoury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,653 Concurrence déloyale et confiscation des profits en droit civil québécois: bien mal acquis ne profite pas – Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,3,775 Confusion [La] – Simon Lemay . . . . . . . . . . . . . . . 14,1,291 Constitutionnalité de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce [De la] – Hugues G. Richard . . . . . . . . 1,2,229 Constitutionnalité des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives aux droits des distributeurs exclusifs de livres [La] – Jean Leclair . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,141 Index des titres 339 Contrat d’édition de progiciel en Amérique du Nord [Le] – Ejan Mackaay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,3,395 Contrats de transferts de technologie [Les] – Serge Pichette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,261 Contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif en tant que personnalité publique: étude comparée France/Québec [Le] – Christophe Cottet-Bretonnier . . 13,3,619 Contrôle en droit canadien des marques de commerce et un second regard sur l’article 50 [Le] – Chantal Desjardins . . 14,1,45 Copie privée [La] – Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . 2,1,27 Copropriété des brevets: une analyse [La] – Panagiota Koutsogiannis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,949 Couleur ou noir et blanc: une simple question de goût? – Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,3,357 Cour suprême se penche sur l’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets [La] – Nathalie Jodoin . . . 13,3,821 Création assistée par ordinateur d’œuvres protégées par le droit d’auteur – Barry B. Sookman . . . . . . . . . . . 2,2,187 Créatures subjuridiques – Les banques de données [Les] – Pierre-Emmanuel Moyse . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,131 Critère d’originalité en matière de dessins industriels au Canada [Le] – Alenxandra Steele. . . . . . . . . . . 14,3,855 Critique autochtone de l’appropriation culturelle comme défi à la conception occidentale de la propriété intellectuelle: le cas de l’appropriation artistique [La] – Jean-François Gaudreault-Desbiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,2,401 Cryptage et droit d’auteur – Romain Leymonerie . . . . . 10,2,407 Cyber-piquetage et la propriété intellectuelle [Le] – Jean Faullem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,3,793 Décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs visant le droit d’auteur [Les] – Éric Lefebvre et Colette Matteau . . . . . . . . . . . . 10,2,461 340 Les Cahiers de propriété intellectuelle Déclin de l’emprise américaine? Première partie ou Les divergences du droit de la concurrence avec celui de la propriété intellectuelle dans un domaine qui incarne cette dichotomie: le cinéma [Le] – André Dorion . . . . . 9,2,233 Déclin ou renouveau de la Convention de Berne – Nicolas Rouart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,2,277 Défense et illustration du droit d’auteur – André Françon. . 3,3,349 Demande à l’enregistrement: les méandres du Bureau du registraire des marques de commerce [De la] – Barry Gamache et Hugues G. Richard . . . . . . . . . . 6,1,107 Dernière décennie en matière du droit statutaire de la concurrence [La] – Jean Carrière . . . . . . . . . . . 10,1,275 Derniers mots du millénaire de la Cour d’appel fédérale en matière de brevets [Les] – François M. Grenier . . . 12,3,845 Dessin et modèle communautaires: analyse du Règlement no 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 [Les] – Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,1,135 Difficile protection des œuvres d’architecture: les affaires Du Boisé et Nouvelle Dimension [De la] – Claude Brunet . . 2,1,123 Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct – Tribunal de la concurrence, CT 94-3 du 26 février 1997 – André Dorion et Yvan Bernier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,505 Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption culturelle [Les] – Anne Malépart . . . . . . 6,2,139 Droit d’auteur 1997 – Vivianne de Kinder . . . . . . . . . 10,3,713 Droit d’auteur au Canada de 1987 à 1997 – Petit article en forme de prise d’inventaire [Le] – Claude Brunet . . . 10,1,79 Droit d’auteur contre la colorisation, la modification de durée et l’adaptation du format des films [Le] – Thomas Dreier et Silke Von Lewinski. . . . . . . . . . . 3,2,133 Droit d’auteur dans le contexte de la propriété intellectuelle: une analyse des politiques universitaires canadiennes [Le] – Margaret Ann Wilkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,51 Index des titres 341 Droit d’auteur des journalistes aux Pays-Bas [Le] – Gérard Schuijt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,495 Droit d’auteur des journalistes dans l’exercice de leur emploi [Le] – Pierre-Emmanuel Moyse et Hugues G. Richard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,359 Droit d’auteur des journalistes en Australie [Le] – Peter Kite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,599 Droit d’auteur des journalistes en France [Le] – Emmanuel Derieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,561 Droit d’auteur et les licences obligatoires au service de la Couronne: un modèle australien pour la réforme du droit d’auteur au Canada? [Le] – Jean-Pierre Blais . . . . . . 6,3,283 Droit d’auteur et mondialisation – André Kéréver . . . . . 10,1,19 Droit d’auteur sans frontières? Compétence judiciaire et législative en matière de contrefaçon internationale – Jane C. Ginsburg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,381 Droit d’auteur, phase 2: de nouveaux horizons [Le] – David Vaver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,1,83 Droit d’auteur... c’est aussi chinois [Le] – Ghislain Roussel . . 3,3,367 Droit de la concurrence et propriété intellectuelle – Serge Bourque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,909 Droit de la propriété intellectuelle, droit international privé et sanctions Internet – Paul Edward Geller. . . . 12,1,227 Droit de l’informatique – Rétrospective canadienne – Lise Bertrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,237 Droit de prêt public au Canada par rapport aux autres pays [Le] – Silke Von Lewinski . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,1,109 Droit des auteurs et droit de la consommation dans le cyberespace: la relation auteur/utilisateur – Vincent Gautrais et Pierre-Emmanuel Moyse . . . . . . . 9,1,11 Droit des brevets, demain – Point de vue français [Le] – Jean-Marc Mousseron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,57 342 Les Cahiers de propriété intellectuelle Droit des marques au Canada 1987-1996: une décade en rétrospective par la lunette des cours d’appel – Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,156 Droit des marques de commerce au Canada: perspectives et prospectives [Le] – Diane Leduc Campbell . . . . . . 10,1,221 Droit des marques et la réalisation du marché intérieur de la Communauté européenne [Le] – Robert Collin . . . . 11,2,367 Droit des radiodiffuseurs sur leurs signaux de communication et la mise en application de la Convention de Rome: un biscotto rassis pour le Canada [Le] – Jean-Pierre Blais et Dylan Jones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,107 Droit d’exposition des œuvres artistiques [Le] – Victor Nabhan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,3,305 Droit du Cyberespace, CRDP/Thémis, 1997 – Jean-Paul Triaille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,3,731 Droit moral comparé: entre problématique classique et moderne [Le] – Jean-Arpad Français . . . . . . . . . . 12,2,315 Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur: survol – Jacques Labrèche et Bob. H. Sotiriadis . . . . . 7,3,341 Droits d’auteur et accès à l’information: de quelques malentendus et vrais problèmes à travers l’histoire et les développements récents – Alain Strowel . . . . . 12,1,185 Droits des artistes interprètes en Australie et l’exécution des obligations internationales: un modèle constitutionnel pour la réforme du droit d’auteur au Canada? [Les] – Jean-Pierre Blais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,1,47 Droits des artistes-interprètes sur leur prestation: de la Convention de Rome au projet de loi C-32 [Les] – Éric Lefebvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,33 Durée de protection des photographies: une donnée révélatrice [La] – Ysolde Gendreau . . . . . . . . . . . . 5,3,375 Dynamiques nouvelles en droit d’auteur international – Paul Edward Geller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,3,391 Index des titres 343 Échantillonnage du son en digitales et le droit d’auteur au Canada [L’] – Chantal Desjardins . . . . . . . . . . . 3,2,205 Écho de la doctrine et la communication publique d’une œuvre [L’] – Normand Tamaro . . . . . . . . . . . . . . 5,2,158 École de conduite Tecnic Aubé Inc. et al. c. École de conduite Lauzon Canada Ltée et al. – Vivianne de Kinder . . . . . 1,1,87 Économie des droits de propriété émergents sur l’Internet [L’] – Ejan Mackaay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,2,281 Édition électronique par et pour la communauté scientifique [L’] – Ejan Mackaay. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,159 Employeur et employé: à qui l’invention? – Daniel S. Drapeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,393 Enregistrement de la marque notoire: réflexions pratiques et théoriques [L’] – Isabelle Pillet . . . . . . . . . . . . 14,1,335 Enregistrement éphémère: Bishop c. Télé-Métropole Inc. [À propos de l’] – Vivianne De Kinder . . . . . . . . . . . 1,3,389 Ensemble journalistique: entre le collectif et la collaboration [L’] – Lionel Thoumyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,421 Entre droit d’auteur et Copyright – L’Europe au carrefour des logiques – Michel Vivant . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,41 Environnement numérique et les traités de l’OMPI sur le droit d’auteur et sur les prestations, exécutions et phonogrammes [L’] – Ghislain Roussel . . . . . . . . . . 9,3,491 Épuisement du droit de marque dans l’Union européenne – Jurisprudence récente [L’] – Jean-Jo Évrard . . . . . . . 10,1,67 Esthétisme et utilité: une relation non protégée – Bob H. Sotiriadis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,211 Et si Napster était une compagnie canadienne? – René Pepin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,671 Et si nous discutions de rédaction législative – Commentaires sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur – Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . 11,1,7 344 Les Cahiers de propriété intellectuelle Établissement de la date de dépôt d’une première demande de brevet et demandes de brevets provisoires – James Anglehart et France Côté . . . . . . . . . . . . . 9,2,301 Évolution de la protection juridique en matière industrielle dans l’Allemagne unifiée [L’] – Heine Hentschel . . . . . 4,1,123 Évolution des droits voisins et le réalisateur de son: (re)définition d’un statut juridique [L’] – Rémy Khouzam. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,1,95 Évolution du droit à l’image en Pologne [L’] – Teresa Grzeszak . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,333 Exceptions au droit de reproduction en faveur des milieux éducatifs [Les] – Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . 4,3,281 Fair Dealing canadien et Fair Use américain: une analyse de l’exception d’utilisation équitable en matière de droit d’auteur – Catherine Bergeron . . . . . . . . . . . . . . 13,2,267 Flash sur la photo – Ysolde Gendreau . . . . . . . . . . . 11,1,689 Fonctionnalité et marques de commerce – Paul Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,1,17 Franchise et marques de commerce – Paul-André Mathieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,3,643 Génériques en Europe [Les] – Élizabeth Berthet . . . . . . 13,1,13 Gestion collective à l’heure de l’Internet [La] – Bertrand Salvas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,1,139 Gestion collective des droits d’auteur dans la communauté universitaire canadienne: une alternative au statu quo? [La] – Howard P. Knopf . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,95 Gestion collective du droit d’exécution publique: historique du tarif de la radio de 1935 à 1977 [La] – Éric Lefebvre . 15,1,95 Gestion collective et les règles européennes de concurrence [La] – Nicolas Rouart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,2,309 Harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins: présentation et critique de Index des titres 345 la directive du Conseil des Communautés européennes – Nicolas Rouart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6,3,417 Histoire des brevets [L’] – Serge Lapointe . . . . . . . . . 12,3,633 Homologation administrative d’un nouveau médicament commercialisé au Canada et l’octroi d’un avis de conformité [L’] – Michel Cotnoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,1,61 Hypertextes et hyperliens au regard du droit d’auteur: quelques éléments de réflexion – Laurent Carrière . . . 9,3,467 Hypothèque grevant une invention non brevetée – Louis Payette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,3,889 Idée et de son expression: un concept dépassé? [De l’] – Éric Lefebvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,3,387 Illusion du droit moral telle que révélée par l’introduction du logiciel dans le domaine du droit d’auteur [L’] – Frédérick Charette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,163 Importations parallèles et la protection d’un réseau de distribution [Les] – J. Nelson Landry . . . . . . . . . . . 5,2,227 Incidences de la redélivrance d’un brevet sur une instance judiciaire et interprétation du terme «identique» – David Enciso et Louis-Pierre Gravelle . . . . . . . . . . 14,3,881 Intérêts moraux en droit d’auteur: à la recherche de leur vraie nature [Les] – Benoît Toupin . . . . . . . . . . . . 7,1,125 Interprétation des revendications et l’évaluation de la contrefaçon: respecter les limites de l’élasticité [L’] – Louis-Pierre Gravelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,779 Interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur [Les] – France Abran et Pierre Trudel . . . . . 8,3,381 Introduction au PCT et comment en tirer profit – James Anglehart et Michel Sofia . . . . . . . . . . . . . 7,3,429 Jean-Paul, Rémi, Bella, Blanche... et une, une souris verte – Hélène Messier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,2,219 Journalisme et le droit d’auteur en Belgique [Le] – Thierry Verbiest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,579 346 Les Cahiers de propriété intellectuelle Journalisme et le droit d’auteur en Grande-Bretagne [Le] – Paul L.C. Torremans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,467 Journalisme virtuel et le droit d’auteur en Allemagne [Le] – Michael Gill et Friedrich Nicolaus Heise . . . . . . . . 12,2,533 Journaliste auteur et travailleur [Le] – Gianluca Pojaghi . . 12,2,507 Journalistes pigistes à l’ère numérique: réflexions sur l’affaire Tasini c. New York Times [Les] – Marshall Leaffer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,2,449 Journalistes pigistes, le droit d’auteur canadien et le domaine de l’autorisation [Les] – Normand Tamaro . . 12,2,373 Jumping to iCrave’s Conclusion?: Les amendements proposés à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit d’auteur – Charles Morgan . . . . . . . . . . . . . . . . 15,1,257 Légendes et des images – À propos de l’affaire Lambert c. Wardair Canada Inc. [Des] – Vivianne de Kinder . . . . 3,3,365 Libre-échange et la propriété industrielle [Le] – Roger T. Hughes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,3,347 Licence et exploitation: concession et licence – Serge Pichette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,975 Licence implicite et promesse sans cession: problèmes de droit d’auteur en matière de commande d’œuvres protégées, d’option et d’engagement à céder – Vivianne de Kinder . . 6,1,67 Licences non volontaires et socialisation du droit d’auteur: un danger ou une nécessité? – Alain Strowel . . . . . . . 3,2,161 Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur: une question... d’intérêt! (Partie I) [Le] – Stéphane Gilker. . 1,3,275 Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur: une question... d’intérêt! (Partie II) [Le] – Stéphane Gilker . . . 2,1,1 Loi allemande du 1er novembre 1987 sur la protection des semi-conducteurs: origine, contenu et problèmes posés [La] – Dr Thomas Hoeren . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,2,219 Loi C-60 et la gestion des grands droits [La] – Pierre Tisseyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,2,255 Index des titres 347 Loi canadienne sur le droit d’auteur doit-elle être repansée? [La] – Pierre-Emmanuel Moyse . . . . . . . . . . . . . 14,2,695 Loi canadienne sur les brevets – une prospective [La] – A. David Morrow et Geneviève M. Prévost . . . . . . . 10,1,143 Loi du 31 août 1998 concernant la protection des bases de données [La] – Alain Strowel . . . . . . . . . . . . . 13,1,197 Loi française du 3 juillet 1985: un modèle pour les droits des artistes-interprètes canadiens? [La] – Ysolde Gendreau . . 1,3,371 Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et les enregistrements sonores: le Canada dans un contexte international [La] – Marie Lussier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,75 Loi pour les créateurs... sur les contrats de diffusion [Une] – Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,2,259 Loi sur le droit d’auteur au Canada: le troisième millénaire [La] – David Vaver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,91 Loi sur le droit d’auteur: qu’en est-il de sa réforme? [La] – Albert Cloutier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,715 Loi sur le statut de l’artiste: une approche constitutionnelle ou l’art de l’ubiquité – Jacques A. Léger . . . . . . . . . 5,2,267 Marché du progiciel: licence ou vente? [Le] – Ejan Mackaay . . 6,3,402 Marque de certification au Canada [La] – Julie Larouche . . 14,2,625 Marque de commerce descriptive [La] – Marc Gagnon . . . 14,1,75 Marque privée [La] – Jess M. Collen . . . . . . . . . . . . . 9,1,115 Marques géographiques: un survol du territoire [Les] – Barry Gamache. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,3,495 Marques officielles en vertu de l’alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce: marques invincibles ou invulnérables? [Les] – Stella Syrianos . . . . . . . . . . 14,1,397 Modifications aux exceptions ou limitations qui existaient avant la réforme de la Loi sur le droit d’auteur de 1997: cosmétique législative ou nouveau parti pris en faveur des utilisateurs? – Marcel Dubé . . . . . . . . . . . . . 11,1,157 348 Les Cahiers de propriété intellectuelle Mutation numérique: les œuvres produites au moyen du MIDI et le régime canadien du droit d’auteur [La] – Jeannette Lee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,623 Ne tirez pas sur la juge brésilienne ou La protection des chorégraphies sportives en droit d’auteur – André Dorion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,1,101 Noms commerciaux vs marques de commerce... Un monde de confusion – Marie Pinsonneault . . . . . . . . . . . . 7,2,259 Noms de domaine et marques de commerce utilisés sur Internet: un survol des enjeux actuels d’une perspective canadienne – Charles Morgan . . . . . . . . . . . . . . 14,3,793 Noms de domaine et nom de personne: de quel droit relève le nom? – Judith Harvie . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,519 Noms de domaine: au-delà du mystère [Les] – Marie-Hélène Deschamps-Marquis . . . . . . . . . . . 11,3,591 Noms de domaine: un pavé dans la marque [Les] – Pierre-Emmanuel Moyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,425 Normes de gestion en matière de droits d’auteurs au gouvernement du Québec – Marc Baribeau . . . . . . . 13,3,521 Notion de plagiat scientifique [La] – Serge Larivée . . . . . 8,1,159 Notion de privilège et la pratique de l’agent de brevets au Canada [La] – Ronald E. Dimock et Cedric G. Lam . . . 12,3,867 Nouveauté, activité inventive et utilité en matière de brevet – Nathalie Jodoin . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,659 Nouveaux critères de révision en appel d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce [Les] – Annie Cormier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,605 Nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur [Les] – Laurent Carrière et Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,219 Nouvelle directive de la Direction des brevets sur la brevetabilité des logiciels: commentaires ou You’ve come a long way baby but there’s still a way to go! – Jacques Labrèche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,2,337 Index des titres 349 Nouvelle loi sur les droits d’auteur: 19 504 jours et 19 études plus tard [Une] – Stéphane Gilker . . . . . . . . . . . . . 1,1,31 Nouvelle vague biotechnologique [Une] – Alain D. Bourassa . . 6,1,93 Nouvelles exceptions en droit d’auteur canadien: un faux débat [Les] – Sylvi Plante . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,175 Numérisation des œuvres de l’esprit [La] – Delphine Maillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,3,555 Œuvres de l’esprit créées par plusieurs personnes en droit français [Les] – Asim Singh . . . . . . . . . . . . 10,3,581 OMC – Propriété intellectuelle – Canada – L’adhésion du Canada à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce et les modifications conséquentes aux lois canadiennes de propriété intellectuelle – Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . 7,3,439 OMC se penche sur la Loi sur les brevets du Canada: deux décisions d’importance [L’]– Garabed Nahabedian . . . 13,2,487 Opinion d’un étranger sur le droit américain régissant la protection des logiciels par le droit d’auteur – Barry B. Sookman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,2,203 Originalité de l’œuvre en droit d’auteur canadien [L’] – Marcel Dubé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,3,337 Origines du droit canadien des marques de commerce – Nataly J. Vermette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,1,431 Où faut-il obtenir une protection par brevet? – Nicolas Pellemans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,887 Parodie [La] – Pierre-Emmanuel Moyse . . . . . . . . . . 10,3,669 Parties II et VIII de la Loi sur le droit d’auteur: le Canada respecte-t-il ses obligations internationales? – Benoît Clermont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,1,287 Performance d’antan et voyage dans le temps du droit exclusif des artistes-interprètes – Paolo Spada . . . . . . 3,1,191 Perspective sur les marques de commerce tridimensionnelles [Une] – Annie Robitaille . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,1,227 350 Les Cahiers de propriété intellectuelle Peut-on breveter les séquences EST sans gêne – Élodie Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,435 Peut-on copier une forme utile? Plaidoyer pour la protection de l’esthétique industrielle – Xavier Desjeux . . . . . . . 3,1,97 Piratage des signaux dans le secteur de la câblodistribution [Le] – Nathalie Desharnais . . . . . . . . . . . . . . . . 3,3,311 Plus que prévu! Évolution des pratiques du Bureau des marques de commerce en matière de logiciel et de technologies de l’information – Sébastien Lapointe, Annick Poulin et Michel Solis . . . . . . . . . . . . . . 14,1,363 Politiques des bureaux des brevets et jugements récents portant sur les séquences d’ADN – Luc Bérubé et Hélène d’Iorio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,3,757 Pour en finir avec l’affaire Clairol: l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce prévient-il la publicité comparative? – François GUAY . . . . . . . . . . . . . 11,2,441 Pour le droit moral – Frédéric Pollaud-Dulian . . . . . . . . . 7,1,8 Pouvoir du Québec de légiférer en matière de contrat d’édition [Le] – Marcel Dubé. . . . . . . . . . . . . . . . 1,3,317 Première convention concernant la reprographie dans les écoles primaires et secondaires du Québecn – Michel Gay. . 1,1,115 Première décision de la Commission du droit d’auteur sur les droits voisins: un rendez-vous manqué et une stabilisation législative qui s’impose [La] – Éric Lefebvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,363 Preuve par sondage en matière de marques de commerce [La] – Stéphanie Malo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,403 Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La] – Christian Danis et Bob H. Sotiriadis . . . . . . . 14,2,581 Problématique de l’informatique et des nouvelles technologies de l’information – Jean-Paul Triaille . . . . . . . . . . . 4,2,267 Problématique nouvelle: les marques de commerce et l’Internet – Marie Pinsonneault . . . . . . . . . . . . . . 9,1,125 Index des titres 351 Programmes d’ordinateur et le droit d’innovation technologique [Les] – Lucie Guibault . . . . . . . . . . . 9,2,171 Projections financières remises par un franchiseur à un futur franchisé: quand sont-elles considérées comme constituant de «fausses représentations» de la part du franchiseur? [Les] – Jean-H. Gagnon . . . . . . . . . . 11,3,658 Projet de loi C-130: vers un nouveau droit de retransmission [Le] – Claude Brunet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,2,241 Propriété de l’information après l’arrêt Stewart [La] – André Lucas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,1,115 Propriété incorporelle et les œuvres multimédias au Canada [La] – Éric Franchi . . . . . . . . . . . . . . . . 8,2,237 Propriété intellectuelle – Concurrence – Multimédia: voyage au cœur d’un kaléidoscope virtuel – Johanne Daniel et André Dorion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,3,347 Propriété intellectuelle et droit de passage sur Internet: le droit confronté aux noms de domaine – Jean-Philippe Mikus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,3,623 Propriété intellectuelle et la technologie numérique: à la recherche d’un compromis satisfaisant [La] – Lucie Guibault . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,2,203 Propriété littéraire en France au XVIIe siècle [La] – Hubert Carrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,311 Prospective du droit canadien de la concurrence déloyale: contradictions et tolérance? [Sur une] – Benoît Clermont et Paul-André Dubois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,1,295 Protection de l’anonymat sur Internet [La] – Jean Faullem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,2,491 Protection de l’auteur-compositeur dans le cadre du contrat d’édition musicale [La] – Sylviane Morrier . . . . . . . . 1,2,173 Protection de la création vestimentaire: étude d’une application problématique des droits intellectuels [La] – Grégoire Bisson. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,3,301 352 Les Cahiers de propriété intellectuelle Protection de la réputation internationale d’une maison de prêt-à-porter prétexte à une étude sur les marques notoires [La] – Grégoire Bisson . . . . . . . . . . . . . . 1,2,135 Protection des artistes – Droit d’auteur – Droit voisin – Une autre approche constitutionnelle – Jacques A. Léger. . . 5,1,9 Protection des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes: un nouvel instrument international de l’OMPI [La] – Daniel Gervais . . . . . . 6,1,37 Protection des indications géographiques et des appellations d’origine: un aperçu des cadres législatifs national et international [La] – A. David Morrow et Annie Robitaille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,3,313 Protection des logiciels en droit canadien [La] – Michel Racicot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,2,147 Protection des logiciels par le droit d’auteur dans certains pays arabes [La] – Nébila Mezghani . . . . . . . . . . . 10,3,689 Protection des noms, marques et signes de la Gendarmerie royale du Canada: réflexions sur les fondements et orientations d’un programme de concession de licences [La] – Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,2,281 Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada (1re partie) [La] – Stéphane Gilker . . . . . . 3,3,241 Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada (2e partie) [La] – Stéphane Gilker . . . . . . . 4,1,11 Protection des producteurs de phonogrammes en droit international et en droit canadien [La] – Pamela Larrea . . 6,2,173 Protection des technologies du Web [La] – Stephan Georghiev, Pascal Lauzon, Brigide Mattar et Trina K. Sarin . . . . 12,3,695 Protection du droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur: y a-t-il du neuf depuis qu’Arthur Miller nous a dit qu’il n’y avait rien de nouveau depuis le rapport final de la CONTU? [La] – Dennis M. Magnusson . . . 13,3,695 Protection du savoir-faire et l’informatique [La] – Louise Verschelden. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,3,341 Index des titres 353 Protection extra-contractuelle de l’idée et de l’information confidentielle au Canada et au Québec [La] – Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6,2,221 Protection juridique de l’information confidentielle économique: étude de droit québécois et français [La] – Marie Bourgeois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,1,1 Protection juridique de la réalité virtuelle... ou l’imbroglio juridique dans l’univers de l’électro-bohème [La] – Sophie Gagné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7,2,183 Protection pour le monde des vivants [Une] – Louise G. Bernier et Marie Pinsonneault . . . . . . . . . 3,1,55 Protocole de Madrid [Le] – Diane Leduc Campbell . . . . . 9,1,133 Qui a qualité pour agir? Vers un élargissement de la notion de «personne se réclamant du breveté» au sens de l’article 55 de la Loi sur les brevets: commentaires sur l’affaire Signalisation de Montréal c. Services de Béton Universels – Philippe Van Eeckhout . . . . . . . . . . . 6,2,257 Qui est l’auteur de l’œuvre cinématographique au Canada? – Danielle Létourneau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,1,11 Rapports difficiles du droit de la propriété intellectuelle avec le droit de la concurrence: étude de la clause field of use dans les contrats de transfert de technologie aux États-Unis, et subsidiairement dans le cadre européen [Les] – Anton Carniaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,1,77 Réalités et perspectives européennes et internationalisation du droit des dessins et modèles industriels – Guillaume Marchais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,2,525 Récents développements dans la commercialisation des personnages et les droits de la personnalité dans les juridictions de common law: Crocodile Dundee, Ninja Turtles et Ewoks – Robert G. Howell. . . . . . . . 7,2,231 Réforme du droit d’auteur au Canada – Projet de loi C-60 – Les programmes d’ordinateurs – Comparaison avec le droit américain [La] – Michel Racicot . . . . . . . . . . . 1,1,49 Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) [Le] – François M. Grenier . . . . . . . . . . . . . . . . 10,2,405 354 Les Cahiers de propriété intellectuelle Réglementation québécoise du contrat d’édition: un projet [La] – Marcel Dubé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,3,281 Rémunération pour copie privée [La] – Stefan Martin. . . 11,1,327 Responsabilité des intermédiaires à l’égard des violations de droit d’auteur commises par des tiers sur l’Internet [La] – Marie-Hélène Côté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,2,359 Résumé de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Wayne John Stewart c. La Reine – Nelson J. Landry. . . 1,1,111 Rétrospective des événements marquants au Canada dans le domaine des brevets d’invention – Joan Clark . . . . 10,1,119 Revamping d’une marque de commerce: conséquences d’une variation dans l’emploi [Le] – Barry Gamache . . 14,1,157 Révision judiciaire de la première décision de la Commission du droit d’auteur en matière de droits de retransmission – H.G. Intven . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,2,245 Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada en matière de marques de commerce 1997-2000 – Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,3,539 Saisie description en Belgique: une mesure probatoire et parfois conservatoire [La] – Françoise Jacques de Dixmude et Fernand de Visscher . . . . . . . . . . . 13,2,465 Salaire, profit, propriété intellectuelle: observations générales sur le droit du travail, le droit de la propriété intellectuelle et le droit des sociétés – Antoon Quaedvlieg. . . . . . . 11,3,729 Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence de l’État (la communication des renseignements à valeur économique sous la Loi sur l’accès à l’information du Québec) [Les] – Serge Parisien . . . . . . . . . . . . . . 10,3,601 Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence de l’État (la protection des renseignements à valeur économique sous la Loi sur l’accès à l’information du Québec) [Les] – Serge Parisien . . . . . . . . . . . . . . 10,2,485 SOCAN – France Lafleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,1,125 Index des titres 355 Société des auteurs et compositeurs dramatiques, S.A.C.D. – Élisabeth Schlittler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,1,135 SODRAC et la gestion des droits de reproduction: historique [La] – Claudette Fortier . . . . . . . . . . . . 2,2,269 Sort du droit d’auteur dans le cadre des nouvelles technologies de diffusion [Le] – Sylvi Plante . . . . . . . . 8,1,79 Souris est brevetable [La] – Louis-Pierre Gravelle et Zen Wong . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,3,815 Statut de l’entrevue et le journaliste [Le] – Marc-André Blanchard et Sophie Dormeau . . . . . . . 12,2,397 Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/demandeur au Canada [Le] – Laurent Carrière, Barry Gamache et Garabed Nahabedian . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,2,709 Suisse: le droit d’auteur du journaliste à l’épreuve de la numérisation – Denis Barrelet . . . . . . . . . . . 12,2,547 Survol du projet de loi C-57 sur les topographies de circuits intégrés – Johanne Daniel . . . . . . . . . . . . 2,3,343 Synthèse de l’arrêt Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct (Publications) Inc. – Jean Carrière . . . . 10,3,545 Titularité du droit d’auteur relatif aux œuvres audiovisuelles au Québec [La] – Marie-Josée Corbeil et Marie-Josée Donald . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,1,49 Une copie privée pour le nouveau millénaire? Commentaire sur les obligations internationales pertinentes et sur la partie VIII de la Loi canadienne sur le droit d’auteur – Luc-André Vincent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,3,711 Une grande première au Canada: la marque «sonore» – Richard S. Gareau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,1,103 UNEQ [L’] – Hélène Messier . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,3,405 Universitaires et le droit moral d’auteur en droit français [Les] – Emmanuel Derieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,1,31 Usage de la marque d’autrui qui n’entraîne pas de confusion – Georges T. Robic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,3,383 356 Les Cahiers de propriété intellectuelle Vis-art droit d’auteur Inc. – Diane Lamarre . . . . . . . . . 3,3,373 Votre numéro de téléphone est-il enregistré à titre de marque de commerce? L’affaire Pizza Pizza Limited – Marie Pinsonneault . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,2,263 INDEX DES SUJETS* Volumes 1 à 15, numéro 1 (Octobre 1988 – octobre 2002) ARTISTE INTERPRÈTE Droits: 11:33 Durée: 11:33 Prestations: 11:33 Réciprocité / protection internationale: 11:289 ACCÈS À L’INFORMATION Droit d’auteur: 12:185 ADPIC, 10:19; 10:221; 11:289; 11:525; 12:713; 13:711; 15:135; 15:257 ALENA, 10:19; 11:289; 13:711; 14:653; 15:257 AUDIOVISUEL Voir Numérisation, Œuvres audiovisuelles, ANIMAUX Voir Biotechnologies, Brevets d’invention BASES / BANQUES DE DONNÉES Droit à rémunération: 10:237; 12:131; 13:197 Exceptions (droit d’auteur): 13:197 Géographiques: 4:187 Originalité: 4:223 Producteurs: 13:197 Protection: 12:579; 13:197 Sui generis (régime): 13:197 Titularité: 13:197 Utilisateur: 13:197 Voir aussi Informatique APPROPRIATION ARTISTIQUE Autochtone: 11:401 ARCHITECTURE Protection: 2:123; 3:241; 4:11; 11:175 Recours: 2:123 Voir aussi Droit d’auteur, Œuvres protégées ARRANGEMENT DE LA HAYE, 11:525 * De nouveaux sujets apparaissent, mais ils couvrent uniquement les articles parus dans les volumes 10 à 15 et non pas les articles couverts par la précédente compilation d’octobre 1997. Les chiffres renvoient au numéro de volume et à la page. 357 358 Les Cahiers de propriété intellectuelle BIBLIOTHÈQUE Exceptions (droit d’auteur): 10:351; 11:175 BIOTECHNOLOGIES Animaux: 9:413; 12:735 Brevet européen: 3:9 Micro-organismes: 3:9; 6:93 Tissu humain: 6:99 Vivants: 3:9; 3:55; 10:143; 12:713 Voir aussi Brevets d’invention, Médicaments BREVETS D’INVENTION Abandon: 8:449 Abus de brevet: 12:909 ADN: 12:757; 13:435 Agent de brevets: 12:867 Animaux: 12:735 Antériorité: 12:659; 12:779; 15:241 Application (brevet d’): 13:17 Code civil du Québec: 12:949 Contrefaçon: 11:219; 12:779; 12:845; 13:821 Copropriété: 12:949 Date de dépôt: 9:301 Demandes: 9:301 Divulgation: 12:659; 15:241 Durée: 12:633; 13:17 EST (Séquences): 13:435 Examen: 12:633 Exploitation: 12:909; 12:949; 12:975; 13:17; 15:135 Forme/formulation galénique: 13:17 Garantie (en): 15:135 Génome: 13:435; 13:655 Histoire: 12:633 Hypothèque: 15:135 Innovation / nouveauté: 12:659; 12:735; 12:757; 12:845 Jurisprudence: 10:119; 12:735; 12:757; 12:867; 15:241 Licences: voir Exploitation Lieu de protection: 12:887 Logiciels: 6:49; 8:337 Loi et règlements: 1:79; 6:157; 15:241 (rétroactivité) Marques de commerce: 14:311 Médicaments: 13:17; 13:61 PCT: 7:429 Prospective: 10:57; 10:143 Revendications: 12:779 Souris (Harvard): 13:815 Synthèse (brevet de): 13:17 Titularité: 6:157; 9:393 Transgénique: 12:713; 12:735 Usage: 12:659 Violation: 12:827; 12:845 Vivant (espèces, matières): 10:143; 12:713 Web (technologies): 12:695 Voir aussi Biotechnologies, International, Médicaments, Recours CÂBLE Voir Télécommunication Index des sujets CHORÉGRAPHIES Sportives: 7:101 Voir Œuvres protégées CODE CIVIL Artistes interprètes: 8:93 Concurrence déloyale: 14:775 Garantie-hypothèque: 14:581; 14:889 Nom de personne: 14:519 Tissu humain: 6:99 COLORISATION Films noir et blanc: 2:357; 3:133; 4:257 Voir aussi Œuvres audiovisuelles COMMANDES Licences: 6:67 COMMERCE INTERNATIONAL Commerce électronique: 14:903 Exemption culturelle: 6:139 Internet: 9:335 Libre-échange (ALE, ALENA) 1:347; 6:139; 15:257 OMC: 7:439 Voir aussi Droit d’auteur, International, OMC COMMISSION DU DROIT D’AUTEUR Copie privée: 11:327; 13:711 Droits voisins: 11:257; 13:363 Exécution publique: 15:95 359 COMPILATIONS, 15:269 Voir aussi Banques de données, Droit d’auteur, Informatique CONCESSIONS Voir Contrats, Licences et Recours CONCURRENCE Brevets – médicaments: 13:17 Cinéma et multimédia: 9:233; 9:347 Franchisage: 10:643 Gestion collective: 9:309 Importations parallèles: 5:227 Jurisprudence – rétrospective: 10:275; 12:909 Marques de commerce: 13:227; 14:335 Noms de domaine: 10:623 Position dominante (abus): 15:21 Profits – confiscation: 14:775 Prospective: 10:295 Recours: 14:773 Transfert de technologies: 9:77 Tribunal: 9:505 Voir aussi Contrats, Marques de commerce, Recours CONFIDENTIALITÉ Voir Informations, Secrets commerciaux 360 Les Cahiers de propriété intellectuelle CONSTITUTION Contrats d’édition: 1:317; 2:281 Distributeur exclusif (livres): 11:141 Droit d’auteur: 4:401 Droits voisins: 5:9; 5:47 Marques de commerce: 1:229; 10:155 Médicaments (mise en marché): 13:61 Statut de l’artiste: 5:267 CONTRATS Édition: 1:173; 1:317; 2:281 Programmes d’ordinateur: 1:395 Protection des idées: 6:221 Transfert de technologies: 9:77; 10:261 Voir aussi Droit d’auteur, Licences, Œuvres, Œuvres protégées CONTREFAÇON Voir Brevets d’invention, Exceptions, Inter net, Recours CONVENTION DE BERNE, 11:289; 11:525; 13:711; 15:257 CONVENTION DE PARIS, 12:633; 12:713; 14:257 CONVENTION DE ROME, 10:19; 11:33; 11:107; 11:175; 11:289; 13:95; 13:191; 13:711 CONVENTION «PHONOGRAMMES», 11:289 COPIE PRIVÉE Droit: 2:27; 13:711 Cryptage: 10:417 Exception: 11:175; 13:711 Gestion collective: 11:257 International: 2:27; 11:289 Rémunération: 11:257; 11:327; 13:711 Voir aussi Gestion collective CRYPTAGE Droit d’auteur: 10:417 CYBERESPACE Contrats: 9:11 Cybercrime – nom de domaine: 14:793 Droits économiques: 9:281 Marques de commerce: 9:125 Technologies de l’information: 4:267 Voir aussi Contrats, Droit d’auteur, Internet, Recours DÉNOMINATIONS Appellations d’origine: 7:313 Protection: 7:313 Voir aussi International, Marques de commerce DESSINS INDUSTRIELS Contrefaçon: 10:101; 15:1 Dessin en 2D: 13:227 Dessins et modèles: 11:525; 14:855; 15:135 Index des sujets Divulgation: 15:135 Droit d’auteur: 3:365 Droits exclusifs (exclusions): 15:135 Enregistrement (Dépôt): 14:855; 15:135 Esthétisme: 3:97; 4:211 Exploitation: 15:135 Garantie: 14:581; 14:889 Licence: 14:855 Limitations – exceptions: 15:135 Nouveauté: 15:135 Originalité: 10:101; 14:855 Protection: 13:227; 15:135 Recours: 14:855; 15:135 Titularité: 15:135 Utilité: 3:97; 4:211 DOMMAGES, DOMMAGESINTÉRÊTS Voir Recours DROIT COMPARÉ Allemagne: 12:533; 13:17 Australie: 12:599; 14:741 Belgique: 12:579; 13:197; 13:465 Espagne: 13:17 États-Unis: 11:75; 11:175; 12:185; 12:449; 12: 633; 12:713; 12:735; 12:757; 13:17; 13:139; 13:197; 13: 267; 14:431; 14:741; 14:795 France: 10:57; 10:555; 10:581; 11:75; 12:31; 12:243; 12:421; 12:561; 12:633; 12:735; 13:17; 361 13:197; 13:311; 13:619; 13:655; 14:431; 14:741; 14:829; 15:293 Grande-Bretagne: 11:75; 11:441; 12:467; 13:17; 13:95; 15:1 Italie: 12:507; 13:191 Japon: 14:741 Pays-Bas: 11:729; 12:495; 13:17 Pologne: 13:333 Suisse: 12:547; 15:1 Union européenne: 10:19; 10:67; 10:581; 11:367; 11:525; 12:713; 12:735; 13:17; 13:191; 13:435; 13:655; 14:741; 15:21 Voir aussi International DROIT D’AUTEUR Architecture: 11:175 Auteur: 10:713; 12:11; 12:359; 12:373; 12:508; 14:829; 15:57 Avenir: 10:91 Bases de données: 10:237; 12:131; 13:197 Chevauchement – dessin industriel et marque de commerce: 15:167 Coauteurs: 10:581; 11:219 Collaboration (œuvre de): 10:581; 11:219; 12:421; 14:653 Collectives (œuvres): 10:581; 12:421 Communication au public: 15:269 Compilation: 11:623; 12:373; 14:653; 15:269 Copie privée: 13:711 Copyright: 10:41; 15:217 362 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dessin industriel: 14:855; 15:135 Documents juridiques (Affaire CCH): 15:269 Droits économiques: 10:237; 11:141; 12:373; 12: 507; 12:533; 13:95; 13:139; 15:135 Droits moraux: 10:237; 10:669; 10:713; 11:623; 12:31; 12:315; 12:373; 12:507; 15:135 Durée: 13:95 Employé: 11:729; 12:11; 12:507; 14:829 Enregistrements sonores: 11:75; 15:95 Entrevue: 12:397 Exceptions: 10:351; 10:359; 11:157; 11:175; 11: 219; 12:185; 13:267; 14: 741; 14:741 Exécution publique: 15:95 Fair dealing / Fair use: 10:713; 11:175; 13:267; 15:269 Garantie (en): 14:581 Gestion collective: 13:139; 14:829; 15:95 iCrave: 15:257 Idée-expression: 7:54; 7:387 Informatique (logiciels): 10:237; 10:689; 13:695; 15:135 Internationales (obligations): 11:287 Internet: 13:139; 15:257 (télévision) Journalistes: 12:359 à 12:608 Jurisprudence: 10:79; 10:713; 14:671; 15:269 Licence légale: 14:829; 15:95 Location: 10:237 Loi (révision): 1:31; 1:49; 1:241; 2:83; 2:255; 11:7; 14:695; 14:715; 15:257 Moyens techniques (de protection): 10:417; 13:139 Notions et principes: 3:349 Numérisation: 10:555; 14:829 Œuvre: 10:713; 12:467; 13:695 Œuvres musicales: 11:623; 15:57 (film) Ordinateur (œuvres créées): 13:695; 15:135 Organismes de radiodiffusion: 11:107; 15:95 Originalité: 14:653; 15:269 Origines (droit civil, common law): 15:167 Parodie: 10:669 Personnages: 15:167 Photographies: 11:689; 12:467 Propriété littéraire: 13:311; 15:167 Protection: 10:237; 10:713 Radiodiffusion – retransmission (droit): 15:95 Reproduction (droit): 15:217 Titres: 15:167 Universités: 12:31; 12:51; 12:159 Voir aussi Copie privée, Droit comparé, Droits moraux, Droits voisins, Gestion collective, International, Internet, Journalistes, Œuvres, Œuvres protégées, Recours, Universités Index des sujets 363 DROIT DE LA COURONNE Documents juridiques: 15:269 Domaine public: 15:269 Jugements et résumés: 15:269 Licence obligatoire: 6:283; 15:95 Lois: 15:269 Rémunération équitable: 13:363 Work for hire: 13:95 Voir aussi Artiste interprète, Auteur, Droit d’auteur, Employé, Gestion collective, International DROIT DE L’IMAGE Pologne: 13:333 Sportif: 13:619 Voir aussi Recours DURÉE DE PROTECTION Harmonisation: 6:417 Voir aussi Artiste interprète, Dr o it co m pa r é, Dr o it d’auteur, International, OMPI DROITS MORAUX, 10:237; 10:669; 10:713; 11:623; 12:31; 12:373; 12:507; 15:135 Employé: 12:31 International: 7:8 Notion: 7:8; 7:125 Programmes d’ordinateur: 4:163 Voir aussi Auteur, Droit d’auteur, Droits voisins, Journalistes DROITS VOISINS Artistes interprètes: 5:9; 5:47; 6:37; 8:93; 11: 33; 11:289; 13:95; 13:191 Base de données: 13:197 France: 1:371 Gestion collective: 11:257 Organisme de radiodiffusion: 11:75; 11:107; 13:95 Producteur de phonogrammes: 11:75; 11:289; 13:95 Réalisateur de son: 13:95 ÉCOLE Exceptions (droit d’auteur): 11:175 Voir aussi Droit d’auteur, Exceptions ÉDITION ÉLECTRONIQUE Revues: 12:159; 12:359 Voir aussi Informatique, Internet EMPLOYÉ / EMPLOYEUR Droit du travail: 11:729 Voir aussi Droit d’auteur, Journalistes, Universités ENREGISTREMENT ÉPHÉMÈRE Affaire Bishop: 1:389; 3:185 Exception (droit d’auteur): 11:175 Voir aussi Droit d’auteur, Droits voisins, Œuvres musicales, Télécommunication 364 Les Cahiers de propriété intellectuelle ENREGISTREMENTS SONORES Droits et droits voisins: 6:37 International: 6:173 Protection: 6:37; 6:173 Voir aussi Droit d’auteur, Droits voisins GÉNÉTIQUE Brevetabilité: 13:665 Ordre public: 13:655 Voir aussi Brevets d’invention GESTION COLLECTIVE Artiste interprète: 13:363 Avenir: 13:139 ENTREVUE Cadre juridique: 6:343 Protection: 12:397 Voir Droit d’auteur Commission du droit d’auteur: 5:410; 8:381 Concurrence: 9:309 EXCEPTIONS Voir B ases de données, B ibliothèques, Dr o it d’auteur, Écoles, Enregistrement éphémère, Fair dealing, Fair use, Incorporation incidente Copie privée: 10:417; 11:75; 11:257; 13:711 CRTC: 8:381 Droits voisins: 11:257; 12:95; 12:243 Exécution publique: 15:95 Internet: 13:139; 15:257 EXPOSITION PUBLIQUE Licences: 13:139 Droit: 3:305 Voir aussi Œuvres artistiques Radiodiffusion – retransmission: 15:95 FAIR DEALING Voir Droit d’auteur, Exceptions Sociétés de gestion: 1:415; 2:135; 2:169; 2:405; 3:125; 3:373; 13:139; 14:828; 15:95 FAIR USE Voir Droit d’auteur, Exceptions FRANCHISAGE/ FRANCHISES Concurrence:11:701 Contrats: 11:659 Objet: 12:643 Universités: 12:95 Voir aussi Copie privée, Droit d’auteur, Droits voisins, Licences, Recours HYPERTEXTES Droit d’auteur: 9:467 IDÉE-EXPRESSION Voir Droit d’auteur Index des sujets 365 IMPORTATIONS Voir Concurrence, Marques de commerce, Recours Droits voisins: 1:371; 5:47; 6:37; 6:173; 6:417 INCORPORATION INCIDENTE Exceptions (droit d’auteur): 11:175 Journalistes: 12:467; 12:495; 12: 507; 12: 533; 12: 547; 12:561; 12:579; 12:599 Marques de commerce: 4:123; 9:133 Mondialisation (droit d’auteur): 10:7 Voir aussi Conventions, Droit comparé, Droit d’auteur, OMC, OMPI INFORMATIONS Confidentialité: 1:111 Contrats: 6:221 Propriété: 1:111; 2:115 Protection: 1:1; 1:111; 6:221 INFORMATIQUE Savoir-faire: 4:341 Technologies de l’information: 4:167 Voir aussi Internet, Programmes d’ordinateur, Technologies nouvelles INTERNATIONAL Appellations d’origine: 7:313 Artiste interprète: 11:289 Brevets: 4:135; 4:123: 15:1 Compétence judiciaire: 9:381 Concurrence: 9:77; 9:309; 15:21 Contrats: 9:11 Convention de Berne: 2:209; 7:277; 15:257 Droit d’auteur (États): 1:49; 2:209; 3:349; 3:359; 3:367; 4:223; 5:391; 6:417; 9:11; 9:203; 9:491 Informations confidentielles: 1:1 INTERNET Avenir: 13:159 Brevet (technologies web): 12:695 Contrats: 9:11 Cyberpiquetage: 13:793; 14:793 Droits économiques: 9:281 Techniques (moyens de protection): 13:139; 13:491 Télévision (iCrave): 15:257 Voir aussi Cyberespace, Droit d’auteur, Journalistes, Marques, Noms de domaine, Numérisation, Recours, Technologies nouvelles INTRIGUES Protection: 7:54 Voir aussi Droit d’auteur, Œuvres protégées 366 Les Cahiers de propriété intellectuelle JOURNALISME / JOURNALISTES Auteur: 12:359; 12: 467; 12:495; 12:507; 12: 533; 12:579 Compilation: 12:373 Droit moral: 12:467; 12:507; 12:579 Édition / publication électronique: 12:359; 12:449; 12:533; 12:547; 12:599 Employé: 12:359; 12:467; 12:495; 12:507; 12: 547; 12:579 Entrevue / interview: 12:397; 12:579 Exploitation: 12:533; 12:561; 12:579 Internet: 12:449; 12:533; 12:547 Œuvre collective: 12:421; 12:507 Originalité: 12:373; 12:397 12:507 Parodie: 12:579 Photographies : 12: 467; 12:599 Pigiste: 12:373; 12:449 Titularité: 12:359; 12:373; 12:397 LICENCES Brevets: 6:157 Garantie (en): 14:581 Gendarmerie royale (GRC): 8:281 Implicites: 6:67; 15:1 Locus standi: 1:275 Obligatoires: 3:161; 6:283; 15:257 Progiciels: 6:402 Voir Brevets d’invention, Droit d’auteur, Exceptions, Gestion collective, Logiciels, Marques de commerce, Recours LIMITATIONS Voir Droit d’auteur, Droits voisins, Exceptions, Recours LOGICIELS Dessin – modèle: 15:1 Enregistrabilité: 14:363 Marque de commerce:14:363 Mise en marché: 14:363 Shrink wrap (licence): 10:689 Voir Programmes d’ordinateur MARQUE NOTOIRE Voir Marques de commerce, Mode MARQUES DE COMMERCE Appellations d’origine: 7:313 Bidimensionnelle (marque): 13:227 Bilingue (marque): 14:75 Chevauchement (droit d’auteur, dessin industriel): 14:311; 15:167 Concurrence déloyale: 10:155; 13:257; 13:539; 14:311 Confusion: 4:383; 7:259; 13: 403; 14: 291; 14: 363; 14:397 Déchéance: 10:155; 13:539 Dépôt (stratégie de): 13:227 Index des sujets Descriptivité (Distinctivité): 13:227; 13:403; 14:75; 14:257; 14:291; 14:335; 14:363 Empaquetage (des marchandises): 13:227 Emploi: 10:155; 11: 441; 13:539; 13:803; 14:77; 14:157; 14:335; 14:397; 14: 625; 14:793 Employeur: 11:441 Enregistrement (Enregistrabilité): 6:107; 11:591; 13:227; 13:539; 14:45; 14:75; 14:335; 14:591; 14:625; 15:167 Épuisement de la marque: 10:67; 11:367 Exceptions: 14:625 Fonctionnalité: 10:155; 14:17; 14:311 Franchise: 10:643 Garantie (en): 14:581 Gendarmerie royale: 8:281 Histoire: 14:431 Image: 13:619 Importations parallèles: 5:227 Internet: 9:125 Jurisprudence: 10:155; 13:539; 14:605 Licences (cessions): 10:221; 13:539; 14:45 Logiciels: 14:363 Marque célèbre, marque notoire: 10:221; 13: 403; 14:291; 14:335 Marque communautaire: 11:367 Marque de certification: 14:625 367 Marque géographique: 8:495 Marque officielle: 14:45; 14:397; 14:625 Marque privée: 9:115 Nom commercial: 7:259; 14:257; 14:291 Nom de domaine: 11:591; 14:519; 14:793 Numéro de téléphone: 2:263 Opposition: 10:155; 13:403; 13:539; 14:335; 14:605 Personnages: 15:167 Prospective: 10:221 Publicité comparative: 11:441 Radiation: 10:155; 13:539; 14:335; 14:605 Revamping (reconditionnement): 11:367; 14:157 Révélation (divulgation, publicité): 13:403; 14:257; 14:311; 14:335; 14:397 Sondage: 13:403 Sons: 3:103 Substitution (délit de): 13:405 Télé-Direct (annuaires): 10:545; 14:653; 15:257 Téléphone (numéro): 14:75 Titres: 15:257 Tridimensionnelle (marque): 13:227 Usage: voir Emploi UNITEL: 13:803 Ventes liées: 10:543 Voir Concurrence, Constitution, Contrefaçon, Droit d’auteur, Franchisage, International, Noms de domaine, Recours 368 Les Cahiers de propriété intellectuelle MÉDICAMENTS Appel: 13:61 Avis de conformité: 10:245; 13:61 Avis d’insuffisance: 13:61 Brevet: 13:17; 13:61 Commercialisation: 13:17; 13:61 Drogue: 13:61 Essais cliniques: 13:61 Examen préliminaire: 13:61 Génériques: 13:17 Homologation: 13:61 Mise en marché: voir Commercialisation Nouveau médicament: 13:61 Preuve: 10:405 Prix: 13:17; 13:61 Produit «leader »: 13:17 Réglementation: 10:245 Substitution: 13:14; 13:61 Voir aussi Biotechnologies, Brevets d’invention, Recours MP3 Voir Œuvres musicales MULTIMÉDIA Concurrence: 9:34 Droit d’auteur: 8:137 Œuvre de collaboration: 8:11 Propriété incorporelle: 7:183; 8:237 Voir aussi Droit d’auteur, Internet, Numérisation, Œuvres audiovisuelles NOMS DE DOMAINE Différends (ICANN): 14:519; 14:793 Enregistrement: 14:519; 14:793 Hyperliens: 14:793 Internet: 9:3; 10:623; 11:591 Marques de commerce: 9:425; 10:221; 14:793 Nom de personne: 14:519 MERCHANDISING Caractères: 3:193 Voir aussi Droit d’auteur, Marques de commerce Violations (intermédiaires): 10:359 Voir aussi Internet, Marques de commerce, Recours MICRO-ORGANISMES Voir Biotechnologies, Brevets d’invention NUMÉRISATION MODE Marques notoires: 1:135 Prêt-à-porter: 1:135 Protection: 5:301 Voir aussi Marques de commerce Journaliste: 12:449; 12:549 Multimédia: 9:347 Objet: 10:555; 12:185; 14:829 Propriété intellectuelle: 8:203 Traités de l’OMPI: 9:491 Voir aussi Droit d’auteur, Internet Index des sujets OBTENTIONS VÉGÉTALES Garantie (en): 14:581 ŒUVRES ARTISTIQUES Entoilage: 15:217 Voir aussi Architecture, Droit d’auteur, Exposition ŒUVRES AUDIOVISUELLES Colorisation: 2:357; 3:133; 4:257 Concurrence: 9:233 Modifications: 3:133 Œuvre de collaboration: 8:11 Protection: 11:327 Technologies de diffusion: 8:79 Titularité: 4:401; 8:11; 8:49; 8:349 Voir aussi Droit d’auteur, Internet, Multimédia, Numérisation, Télécommunication ŒUVRES DRAMATIQUES Auteur: 15:57 Film: 15:57 ŒUVRES MUSICALES 369 Phonogrammes: 6:173 RIAA: 13:139 RIO (lecteur): 13:139 Voir aussi Conventions, Droit d’auteur, Droits voisins, Enr eg istr em ent éphémère, Enregistrements so no r es, Ex ceptio ns, Internet, Numérisation, Recours, Télécommmunication ŒUVRES PROTÉGÉES Artistiques: 3:305; 5:375; 15:57 Audiovisuelles, Cinématographiques: 8:11; 8,1,49; 8:237; 11:327; 15:57 Informatiques: 2:147; 2:187; 4:187; 4:223; 6:49 Musicales: 1:173; 15:57 V oi r au ssi Ar chitectur e, Artiste interprète, Chorégraphies, Conventions, Droit d’auteur, Droits voisins, Internet, Intrigues, Multimédia, Numérisation, Œuvres audiovisuelles, Personnages, Recours OMC, 13:487; 15:297 Voir aussi International Contrat d’édition: 1:173 Échantillonnage (sampling): 3:205 Exposition: 3:107 MIDI: 11:623 MP3: 13:139 Napster: 14:671; 14:741 OMPI:, 6:37; 9:491; 10:19; 10:555; 11:75; 11:289; 11:525; 12:185; 12:243; 13:95; 13:139; 13:711; 14:741; 14:829; 15:303 Voir aussi Conventions, Droit d’auteur, Droits voisins, International, Journalistes 370 Les Cahiers de propriété intellectuelle ORDINATEUR Édition électronique: 12:159 Informatique (droit de l’): 10:237 MIDI: 11:623 Œuvres créées: 13:695 Voir aussi Logiciels, Œuvres musicales, Programmes ORIGINALITÉ Banques de données: 4:223 Notion: 3:337; 14:653; 15:269 Voir aussi Droit d’auteur, Journalistes PARODIE, 10:669; 11:175 Contrefaçon: 10:669 Voir aussi Droit d’auteur, Exceptions, Journalistes, Recours PCT, 7:429 Union européenne (CCE): 4:111; 9:77; 9:309 Voir aussi Brevets, Droit comparé, International, Marques PERSONNAGES Commercialisation: 7:231 Parodie: 7:219 Protection: 7:219 Voir aussi Droit d’auteur, Merchandising PERSONNALITÉ Droits: 7:231 Voir aussi Personnages, Sportif PHONOGRAMMES Voir Conventions, Droits voisins, Enr eg istr em ents sonores, Œuvres musicales, Recours PHOTOGRAPHIES Protection: 5:375; 11:689; 12:467; 12:599 Voir Droit d’auteur, Journalistes PLAGIAT Scientifique: 8:159 Voir Contrefaçon, Recours PRÊT PUBLIC Droit comparé: 5:109 Voir aussi International PROGICIELS Voir Internet, Logiciels, Ordinateur, Programmes d’ordinateur, Recours PROGRAMMES D’ORDINATEUR Brevetabilité: 6:49; 8:337 Créations assistées: 2:187 Droit d’auteur: 2:147; 9:203 Droits moraux: 4:163 Édition: 1:395 Innovation technologique: 9:171 Licences: 6:402 Marques de commerce: 14:363 Voir aussi Droit d’auteur, International, Internet, Logiciels, Recours Index des sujets PUBLICITÉ Comparative: 8:471 Voir aussi Marques de commerce, Recours RADIODIFFUSION Voir Droit d’auteur, Droits voisins, Enregistrement éphémère, Télécommunication RECOURS Anton Piller: 2:337 Brevet d’invention: 12:757; 12:779; 12:825; 12: 845; 12:975; 13:821; 14:889 Concurrence déloyale: 10:275; 14:773; 15:21 Contrefaçon: 1:87; 3:365; 6:257; 10:369; 11:219; 12:779; 13:821; 14:335 Cumul (de recours): 11:219 Cyberpiratage: 13:793 Dessin industriel: 14:855; 15:135 Dommages irréparables: 12:209; 12:397 Dommages préétablis (droit d’auteur): 11:219 D roit d’auteur: 10: 713; 11:219; 13:267; 14: 653; 14:671; 14:741; 15:167 Droit international privé: 4:257; 9:381 Image (droit à l’): 13:333 Importations parallèles: 5:227; 11:219 Internet: 10:359 (intermédiaires); 12:227; 13:793; 15:257 371 Journalistes: 12:467 Mareva: 2:377 M arqu es de commerce: 10:155; 12:209; 13:539; 14:335; 14:397; 14:431; 14:519; 14:605; 14:625; 14:795 Noms de domaine: 11:591; 14:519 Parodie: 10:369 Pénal: 7:341 Piratage de signaux: 3:311 Plagiat: 8:159 Prescription: 11:219 Profits: 12:825; 12:845 Retransmission: 4:245 Saisie: 11:219; 13:465 Territorialité: 12:227 Violation: 10:359; 12:825; 12:845 Voir aussi Brevets d’invention, Contrefaçon, Droit d’auteur, Exceptions, Internet, Licences RÉMUNÉRATION ÉQUITABLE Artiste interprète: 13:363 Commission du droit d’auteur: 13:363 Droits voisins: 13:363 Organisme de radiodiffusion: 13:363 Producteur d’enregistrements sonores: 13:363 Stations de radio: 13:363 Voir aussi Artiste interprète, Base de données, Droits voisins, Journalistes 372 Les Cahiers de propriété intellectuelle REPRODUCTION Droit: 1:87; 15:269 Établissements d’enseignement: 1:115; 4:281 Exceptions: 4:281; 15:269 Forme utile: 3:97 Violations: 1:87; 15:269 Voir Contrefaçon, Droit d’auteur, Droits voisins, Exceptions, Fair dealing, Fair use, Licences, Recours RETRANSMISSION Voir Droit d’auteur, Droits voisins, Télécommunication SAMPLING Voir Œuvres musicales SANCTIONS Voir Contrefaçon, Exceptions Recours SAVOIR-FAIRE Protection: 4:341 Voir aussi Brevets d’invention, Informations SECRETS COMMERCIAUX Garantie (en): 14:581 Protection: 10:237; 10:485; 10:601 Voir aussi Informations, Technologies nouvelles SEMI-CONDUCTEURS Protection: 1:219; 2:343; 10:237 Voir aussi Programmes d’ordinateur, Topographies SONS Droits voisins: 13:195 Enregistrements sonores: 11:75; 11:289 Voir aussi Droit d’auteur, Droits voisins SPORTIF Image: 13:619 STATUT DE L’ARTISTE Constitution: 5:267 Contrats: 1:259 Fédérale (loi): 10:461 Voir aussi Artiste interprète, Constitution, Droits voisins SUI GENERIS Régime de protection: 13:197 Voir aussi Bases de données TECHNOLOGIES NOUVELLES Audiovisuel: 8:79 Innovations: 3:9; 9:171 Internet: 9:11; 9:281 Monde virtuel: 7:183 Multimédia: 7:183; 8:237 Programmes d’ordinateur: 4:267 Voir aussi Informatique, Internet, Logiciels, Multim édia , Num ér isa tio n, Œuvres musicales, Programmes d’ordinateur Index des sujets TÉLÉCOMMUNICATION Communication au public: 5:158 Œuvres musicales: 3:107 Piratage de signaux: 3:311 Retransmission par câble: 1:241; 4:73; 4:245 Voir aussi Droit d’auteur, Droits voisins, Édition électronique, Internet, Journalistes, Numérisation, Œuvres audiovisuelles, Recours TOPOGRAPHIES Circuits intégrés: 10:237 TRAITÉ DU DROIT DES MARQUES, 10:221 373 TRANSFERT DE TECHNOLOGIE Contrats: 10:261 UNION EUROPÉENNE Voir Droit comparé, International UNIVERSITÉ / UNIVERSITAIRES Droit moral: 12:31 Édition électronique: 12:159 Employé: 12:11 Gestion collective: 12:95; 12:159 Voir aussi Droit d’auteur, Exceptions VIOLATION DE DROITS V oi r au ssi C o ntr ef a ço n, Licences, Recours