The Doors d`Oliver Stone.
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The Doors d`Oliver Stone.
The Doors Tom DiCillo / Oliver Stone : une approche différente Par Stéphane CAILLET Le roi lézard Jim Morrison et son groupe, les Doors - sans vouloir les dissocier -, ne cessent de déchaîner les passions et de susciter les croyances les plus folles. Le spectre de Mr. Mojo Risin (l'anagramme de Morrison) apparaîtrait parfois aux yeux des fans transis écoutant avec trop d'insistance ses chansons. Certaines personnes affirment même l'avoir vu déambuler dans les rues de Paris quelques heures après sa mort, comme Elvis errant dans ses terres de Memphis. Outre ces anecdotes, les Doors, c'est surtout le groupe phare d'une génération, celle des années 1960, qui doit trouver sa place entre le puritanisme le plus fort et le fameux mouvement hippie, celle qui a connu la guerre du Vietnam et la lutte pour les droits civiques. Ce groupe est le fruit d'une époque trouble et paradoxale où les libertés fondamentales s'opposent aux tendances réactionnaires. A travers ces quelques remarques, on comprend très vite ce qu'est le mythe Doors et pourquoi Oliver Stone avec Les Doors et Tom DiCillo avec When You're Strange ont voulu s'y attaquer de front. La démarche des deux cinéastes est cependant différente : si Stone, complètement envouté par le charisme du roi lézard, semble avoir tourné son film après s'être adonné à une cure régressive de marijuana, de musique et d'alcool, Tom DiCillo, tout aussi fan, apparaît beaucoup plus posé, voire plus objectif dans son approche du groupe. C'est aussi, bien sûr, une opposition radicale entre la fiction et le documentaire. Si l'un a voulu rendre compte de ses ressentis vis-à-vis de la seule personnalité du chanteur, en le fantasmant à l'extrême, Stone aurait dû appeler son œuvre Jim Morrison, tant les trois autres musiciens sont relégués au second, voire au troisième plan. Tom DiCillo, quant à lui, arrive avec When You're Strange à s'intéresser à chacune des entités qui forment les Doors. Mais, comme son ainé, il se laisse vampiriser par Mr. Mojo risin, dont le charisme et la plastique dévore la pellicule. Son film démontre ainsi qu'il est quasiment impossible de donner une même importance aux différentes personnalités de la bande. Sur ce point les deux métrages se rejoignent - involontairement pour DiCillo -, qui doit s'avouer vaincu par le roi lézard. Cependant, il montre que Ray Manzarek, Robby Krieger et John Densmore ont créé bon nombre des morceaux du groupe et qu'ils ont su magnifier les prestations et les paroles de leur leader. Ils ont également réussi à le contenir quelque peu et à le transcender sur scène grâce à leur science instrumentale. DiCillo avoue d'ailleurs qu'il connaissait mal le rôle essentiel qu'ils ont joué dans la réussite des Doors. L'effort est louable comparé à Stone qui s'intéresse peu à ce que les trois compères de l'idole ont pu amener artistiquement. Oliver Stone, qui s'est spécialisé dans les fresques cinématographiques et les biopics décrivant certaines périodes de l'histoire des Etats-Unis et de ces hommes politiques les plus évocateurs (Nixon, J.F.K., W. Bush), semble réaliser parfois un cinéma qui relève du mortifère. Malgré son apparente liberté d'esprit et sa subjectivité, il y a quelque chose de définitif dans sa façon de filmer et de scénariser ses récits, qui enterre à grands coup de pelle et de caméra les légendes traitées. Dans son métrage, le réalisateur s'inscrit dans le folklore outrageusement morbide qui entoure le décès de Morrison et qui délaisse malheureusement la vitalité de sa musique. C'est l'une des plus grandes différences entre son film et When You're Strange : Si dans The Doors, Stone conclut par les images quelque peu pompeuses de la tombe du roi lézard au Père-Lachaise, l'idole étant purement et simplement réduite à une pierre ornemental et à un trou, Tom DiCillo créé un espace parallèle et fantasmé, où l'on voit l'artiste encore bien vivant assister en direct à l'annonce de sa mort ; il est dans son univers, fait de désert, de poème et de musique, observant son histoire avec son sourire d'éternel salle gosse. Pour DiCillo, le mythe est encore en vie, les Doors continuant à fasciner et à exister au-delà de la mort de son chanteur charismatique. Cela s'exprime particulièrement par la musique, admirablement mise en scène par DiCillo. Il lui donne une place prépondérante dans son documentaire. When you're Strange prend la forme d'un montage musical très réussi, nous faisant revivre avec plaisir quelques moments des concerts des Doors. DiCillo s'intéresse aux sources mêmes des sonorités si particulières inventées par Ray Manzarek et ses camarades, qui sont, avant d'être un mythe, un magnifique groupe psychédélique à tendance rythm'n blues et jazz ; de véritables érudits de la musique qui ont su créer un style unique, alliant la réflexion à la pure pulsion rock. Le cinéaste dissèque précieusement la technique utilisée et les influences des musiciens. Un vrai travail de fan. Stone, qui a pourtant écouté inlassablement cette musique lorsqu'il était soldat au Vietnam, s'y intéresse beaucoup moins et va même jusqu'au sacrilège en faisant chanter Val Kilmer. C'est tout le problème de la fiction lorsqu'elle s'attaque à de telles légendes : éviter le côté karaoké et sosies ringards. Kilmer et les acteurs l'accompagnant, notamment Kyle MacLachlan, ne peuvent pas, malgré toute leur bonne volonté, retranscrire l'énergie et la beauté du groupe. Il est de même pour des biopics comme l'anecdotique Walk the line décrivant la vie de Johnny Cash ou encore Control s'intéressant à Joy Division. Ce dernier représente un Ian Curtis caricatural et outrageusement fade, réduit à une image de simple cocufié torturé...Comme chez Stone, on est dans le mortifère, avec des figures désincarnées qui cherchent à copier des originaux difficilement imitables. Le documentaire est évidemment ce qui sied le mieux à la musique. Si dans Last Days, Gus Van Sant a tenté la fiction pour raconter les derniers moments de la vie de Kurt Cobain, il n'a pas réalisé un film hommage à l'ange torturé ou à Nirvana. Son personnage n'est que l'une des identités du chanteur et il ne tente jamais d'imiter le comportement de la star suicidaire. Il s'agit d'un essai cinématographique influencé par la fin de Cobain et non une œuvre sur l'artiste. C'est, peut-être, la seule approche pertinente que permet la fiction. Si cette idée semble présente dans le métrage de Stone, grâce à l'image particulièrement subjective qu'il donne de Morrison, il reste classique dans sa volonté de représenter scolairement l'histoire du personnage.