6-La libellule et la canicule

Transcription

6-La libellule et la canicule
Les découvertes inattendues d’un curieux naturaliste!
6- La libellule et la canicule
par Hugues B. Massicotte
“One of these mornings
You're going to rise up singing
Then you'll spread your wings
And you'll take to the sky” Summertime (1935)
L’été, et la vie est facile, écrivait bien le duo Dubose-Heyward et Gershwin en 1935
pour le fameux opéra Porgy and Bess dans la célèbre chanson “Summertime”. Même
si la saison estivale est vite passée dans nos régions boréales, l’été 2010 restera
marquée dans nos mémoires collectives comme un des plus chauds et secs. Nous
nous souviendrons de cette canicule, des feux de forêts qui ont fait rage dans le
Chilcotin-Cariboo et de la fumée stagnante, mais aussi des migrations records de
saumons Sockeye, du jamais vu depuis presque un siècle!
Imaginez 35 millions de saumons qui remontent les divers tronçons du fleuve Fraser
pour frayer et assurer la prochaine génération, c’est un périple aquatique incroyable et
un phénomène d’endurance inconcevable. Il faut avoir une grande connaissance de
l’eau pour être un saumon!
Même si je n’ai pas le talent pour nager, j’adore me prendre pour un poisson quand
il faut chaud et une petite saucette dans le lac Purden, au mois d’août, est une activité
favorite. Nous y allons en espérant échapper à la canicule et la fumée. Nous voila
donc près des rives du lac et je détecte tout de suite mes voltigeurs favoris…
Y a-t-il un insecte plus extraordinaire et plus gracieux que la libellule? Nous
connaissons tous ces acrobates de l’air avec quatre ailes membraneuses, deux yeux
composés panoramiques et un corps étroit, allongé et frêle. Tout semble être délicat et
fragile avec les libellules sauf leurs mâchoires, qui sont fortes et bien dévelopées.
Elles constituent des outils menaçants qui peuvent broyer de nombreuses proies sans
pitié. Derrière cette apparence angélique, la libellule est un des prédateurs les plus
efficaces dans le monde vivant en capturant une quantité phénoménale d’insectes. La
libellule a donc un rôle écologique fondamental dans le contrôle des populations
d’insectes piqueurs indésirables.
Une minute, on voit virevolter les libellules autour des quenouilles; plus tard, on les
surprend à planner doucement le long de la rive, au gré des courants chauds d’air.
D’un coup, une libellule accélère de façon prodigieuse et attaque une autre proie
malheureuse avant de négocier allégrement parmi herbes et fleurs! Ensuite, au repos
sur une branche au soleil pour digérer la bouffe…
Plus tard, de nouveaux vols à la recherché d’une compagne (ou compagnon) pour
l’accouplement essentiel. Encore plus tard, on peux aussi observer la chorégraphie de
la libellule femelle, qui trempe son abdomen dans l’eau en plein vol, pour y laisser
tomber les oeufs un à un. Ce n’est pas une sinécure d’être un maman libellule!
La portion aquatique du cycle de vie de la libellule commence avec l’éclosion de
l’oeuf pour devenir une larve. Durant cette période, la larve (ou nymphe) grossit
régulièrement car elle se nourrit de nombreuses créatures aquatiques; cela dure des
mois, voire des années, dépendant des espèces. La larve de la libellule est tout aussi
prédatrice que l’adulte car elle possède un appareil de capture remarquable, qui
ressemble à un masque extensible avec pinces, un peu comme le caméléon allonge
sa langue pour attraper une mouche insouciante!
Un beau jour d’été, la larve mature grimpe la tige d’une plante le long de la rive, sort
de son étui larvaire et prend son envol initial dans le ciel bleu! On peut presque
entendre la chanson summertime comme fonds musical! C’est toujours un peu
mélancholique de voir les libellules: leurs exploits dans les airs sont éphémères,
quelques semaines à peine. Bientôt, toutes les libellules disparaitront avec les gelées
d’automnes, elles mêmes finalement capturées par les ailes inexorables du temps qui
passe…
Un dessin d’une libellule avec 4
ailes membraneuses distinctes
au repos.
Les yeux composés de la libellule
doivent lui donner une vision
incomparable.
Une larve de libellule avec le
masque buccal pour capturer
les proies.
Credits:
http://www.dankspot.com (pour
dessin stylisé;
http://static.howstuffworks.com
(pour le dessin de la libellule);
http://funny.funnyoldplanet.co
m (photo des yeux);
http://www.lesinsectesduquebec
.com (photo de la larve).
Hugues Massicotte est professeur de biologie forestière, à UNBC, dans le programme de Science et
Aménagement des Ecosystèmes.