LES ENFANTS DE 0 À 6 ANS DONT LA MÈRE EST INCARCÉRÉE

Transcription

LES ENFANTS DE 0 À 6 ANS DONT LA MÈRE EST INCARCÉRÉE
LES ENFANTS DE 0 À 6 ANS DONT LA MÈRE EST INCARCÉRÉE EN FÉDÉRATION WALLONIE‐BRUXELLES Résumé exécutif – Février 2014 Fonds Houtman Comité d’accompagnement Marylène Delhaxhe, Christelle Maillart, Benoît Van Der Meerschen, Stephan Durviaux, Mathilde Frérotte, Françoise Mulkay, Christelle Bornauw Université de Liège Equipe de recherche Marie‐Thérèse Casman, Stephanie Linchet, Salim Megherbi, Laurent Nisen, Frédéric Schoenaers 1
1. Introduction 1.1. Prologue Ce résumé exécutif a pour but de présenter les conclusions apparues à la suite de l’étude portant sur « la situation des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée en Fédération Wallonie‐Bruxelles ». Commanditée par le Fonds Houtman (Office de la Naissance et de l’Enfance), elle a été réalisée par le Panel Démographie Familiale et le Centre de Recherche et d’Interventions Sociologiques (CRIS) de l’Université de Liège entre octobre 2011 et décembre 2013. Les objectifs fixés par le Fonds Houtman nous ont amenés à évaluer les conditions de vie et les relations familiales des enfants en bas âge (0 à 6 ans) dont la mère est incarcérée en Belgique francophone. Pour cela, nous avons réalisé une description détaillée des situations vécues par ces enfants afin de mettre en évidence les besoins spécifiques à cette tranche d’âge. Dans un premier temps, nous reviendrons brièvement sur la méthodologie, le contexte et les questions de recherche qui ont guidé notre action. Ensuite, nous préciserons les constats issus de notre étude et, enfin, nous développerons les recommandations déduites de ceux‐ci. 1.2. Méthodologie L’étude de la « situation des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée en Fédération Wallonie‐
Bruxelles » se trouve à la croisée de multiples champs d’investigation : incarcération, parentalité, petite enfance. Pour les prendre en compte, nous avons opté pour une triple approche : juridique, psychologique et sociologique. Nous avons décliné notre méthodologie en trois moments1 : 1) Revue de littérature (juridique, psychologique et sociologique) afin de mettre en contexte notre thématique, d’initier des questions de recherche et d’y confronter notre matériau empirique. 2) Récolte de données quantitatives : a. construction, passation (en prison) et traitement de questionnaires soumis aux mères incarcérées ; b. consultation des dossiers pénaux en prison. 3) Récolte de données qualitatives : a. réalisation d’observations in situ au sein des trois établissements pénitentiaires francophones accueillant des femmes; b. réalisation d’entretiens biographiques (récits de vie permettant la compréhension d’un problème social) avec les mères incarcérées ; c. réalisation d’entretiens semi‐directifs (centre le discours des personnes interrogées autour de différents thèmes définis au préalable) avec les mères incarcérées, les familles (élargies), leurs enfants de 0 à 6 ans et les acteurs intervenant dans le processus2. 1
Ces moments n’ont pas répondu à une logique purement chronologique. En ce sens, nous avons réalisé certaines tâches de façon concomitante. 2
Acteurs judiciaires : juge d'instruction, juge correctionnel, juge de la jeunesse, parquet, services d’aide à la jeunesse, service de protection de la jeunesse ; administration pénitentiaire : directions de prison, surveillants de prison, services 2
Nous avons principalement investigué la problématique sur le territoire de la Fédération Wallonie‐
Bruxelles, avec quelques coups de sonde à Bruxelles et en Flandre et une prise de connaissance des dispositifs existants dans d’autres pays pour obtenir une vision élargie du sujet. 1.3. Mise en contexte 1. Cadre juridique Des sources de droit international et européen offrent une réponse claire à la question de savoir si un enfant a sa place en prison auprès de sa mère. L’idée générale, héritée de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, est le maintien des relations familiales, excepté si l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier une séparation3. En ce sens, les textes européens mentionnés dans le rapport insistent explicitement sur l’opportunité – pour les mères – de garder leurs enfants auprès d’elles durant leur détention. De plus, des infrastructures ad hoc doivent être prévues pour prendre en charge ces enfants. Il n’y a pas de limitation formelle au niveau de l’âge de l’enfant, mais ces textes reviennent régulièrement sur le bas âge de ces enfants. On trouve donc une véritable attention à la problématique qui nous intéresse dans les textes internationaux examinés. Cependant, seule la règle générale, issue du texte des Nations Unies de 1989 au sujet des droits de l’enfant, a directement une force juridique en droit belge. Les normes spécifiques, issues du droit européen, sont pour leur part cantonnées au statut d’orientations, sources devant inspirer les États qui les ont signées. C’est précisément ce qu’a fait la Belgique lors de la rédaction de la loi pénitentiaire de 2005, en s’inspirant ouvertement des Règles Pénitentiaires Européennes. On pourrait donc voir là un moyen de pénétration juridique des recommandations européennes et de leurs préoccupations singulières au sujet des enfants en prison. A la lecture des extraits de droit belge présentés dans le rapport de recherche, nous pouvons conclure que la problématique des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée est prise en compte par les textes législatifs. En effet, tant la présence d’un enfant en prison que le maintien des liens sont évoqués, avec davantage de détails en ce qui concerne les visites des enfants à leur parent incarcéré. Des dispositifs concrets et précis sont prévus par la législation et pourraient donc mener dans les prisons à une organisation structurelle des visites des enfants à leur parent. Par ailleurs, nous pouvons constater que les principes internationaux mentionnés ont bien été entérinés par le droit belge, puisqu’on retrouve le même type de normes en droit positif belge. Cependant, il faut nuancer quelque peu la force juridique de la loi de principes de 2005 qui requiert des arrêtés d’exécution, non encore parus en ce qui concerne la problématique étudiée. psycho‐sociaux, assistants sociaux, équipe médicale, bénévoles ; institutions de l’aide à la jeunesse et de la petite enfance, secteur associatif : ONE, crèches, institutions d’accueil de l’enfance, Relais Enfants‐Parents, Croix‐Rouge, services de placement familial, etc. ; experts de la question, notamment psychologues. 3
Au sujet de « l’intérêt supérieur de l’enfant », nous ne manquons pas de souligner l’espace interprétatif que cette notion ouvre.
3
2. Cadre psychologique Certains courants psychologiques insistent sur la distinction des rôles paternels et maternels chez beaucoup de détenues et leurs proches, induisant des prises en charge différentes selon le parent incarcéré. Une conséquence en est par exemple le fait que l’enfant est trois fois plus souvent pris en charge par l’autre parent lorsque c’est le père qui est emprisonné (en Belgique, 83% des enfants dont le père est incarcéré vivent avec leur mère, alors que 25% des enfants dont la mère est incarcérée sont pris en charge par leur père4). Un autre courant, la théorie de l’attachement, questionne la relation entre l’enfant et le parent incarcéré. La rupture, parfois partielle, parfois totale, de cette relation, est‐elle préjudiciable à l’enfant, ou celui‐ci peut‐il reconstruire d’autres figures d’attachement ? Malgré le fait qu’un parent détenu conserve les attributs de l’autorité parentale, il est important de constater que l’incarcération entraîne bien souvent pour lui une difficulté à se représenter en tant que parent et à appréhender son rôle de parent. Cette difficulté peut déboucher sur une réelle inaptitude du détenu à maintenir une relation avec son enfant. Beaucoup de parents détenus se sentent particulièrement coupables vis‐à‐vis de leur enfant, et tendent à attribuer à leur propre incarcération les perturbations que celui‐ci traverse. Les effets psychologiques de l’incarcération sur un enfant sont propres à chaque situation. Cependant, nous pouvons appréhender les risques d’apparition de diverses manifestations cliniques telles que, chez les nourrissons, des difficultés relationnelles, concrétisées par un comportement accaparant ou agressif. Chez les petits enfants, les manifestations cliniques peuvent être des symptômes régressifs et post‐
traumatiques tels que maux de tête et de ventre, otites, insomnies, phobies nocturnes, pleurs, réapparition de la succion du pouce, mais également des angoisses d’abandon et un sentiment de culpabilité chez l’enfant. Le concept de loyauté est également abordé par la littérature. Un conflit de loyauté apparait lorsque l’enfant devra faire un choix entre deux figures d’attachement. L’enfant tend à prendre parti pour le parent le plus fragile. Selon certains auteurs, le maintien du lien permet de limiter les troubles psychologiques. Le niveau de bien‐être des enfants voyant leur parent détenu serait plus élevé que pour ceux qui ne le voient pas. Ils ont accès à une vision plus réaliste et rationnelle du parent détenu, et ils savent leur parent en sécurité. Ensuite, pour le détenu, le maintien des relations permet une meilleure ré‐insertion sociale et une réduction des risques de récidives. 3. Cadre sociologique La recherche documentaire sociologique permet de souligner un manque quant à la prise en compte de la problématique étudiée. Tout d’abord, en Belgique, on ignore le nombre d’enfants concernés par l’incarcération de leur mère – qu’il soit avec sa mère en prison (permis jusqu’à l’âge de 3 ans) ou sous la responsabilité de quelqu’un d’autre extra muros –, faute de données. De plus, force est de constater que l’incarcération d’un parent touche avant tout les pères. 4
D’après les chiffres de l’association Relais Enfants‐Parents (2007).
4
Lorsqu’un parent est détenu, sa capacité à s’occuper de son enfant est remise en question par la société. Or, les détenus conservent leur autorité parentale (notamment en termes de surveillance et d’éducation), sauf en cas de déchéance de ce droit, ce qui est relativement rare. Les enfants conservent également les mêmes droits que tous les autres enfants. L’incarcération rend difficile l’exercice de ces droits. La Cour Européenne des Droits de l’Homme souligne l’obligation pesant sur les autorités pénitentiaires d’aider les détenus dans le maintien des contacts effectifs avec les membres de leur famille. Cette obligation est difficilement conciliable avec les nécessités de sécurité. Concernant l’information fournie aux enfants, certains enfants très jeunes ne comprennent pas la situation de leur mère, même en étant « informés » : cette vérité et la procédure judiciaire ne sont pas compréhensibles pour eux. Des parents dissimulent la vérité en croyant minimiser le choc et en pensant maintenir une image positive ou les protéger, ou encore par peur d’être rejetés par leur enfant. Or, les enfants sentent la tension et le stress de leurs proches, et le manque d’information les insécurise et les effraie. Au contraire, le stress des enfants est réduit s’ils connaissent la raison de la séparation (pas nécessairement les motifs mais l’incarcération) et sa durée. Avoir son enfant en prison permet d’éviter les effets néfastes d’une séparation précoce comme des troubles de l’attachement. Cependant, les besoins propres à un jeune enfant, au niveau de l’hygiène et de la santé, comme au niveau de ses relations sociales, sont difficiles à combler dans un milieu carcéral. Leur présence prive les mères de l’accès au travail ou à des formations et activités, et les soumettent au risque de la critique et de l’intervention de tierces personnes dans les soins donnés à l’enfant. Aussi, en prison, l’enfant est confronté à un nombre restreint de stimulations, ce qui risque de ralentir son développement. Il est rarement en contact avec les autres membres de sa famille, et les risques associés sont le développement d’une relation fusionnelle avec sa mère ainsi que l’absence du père dans son éducation. Enfin, il est prudent pour le bien‐être de l’enfant de préparer sa sortie en veillant à la continuité avec son futur lieu d’accueil, avant sa sortie, et en maintenant les contacts réguliers avec sa mère, une fois sorti. Concernant les modes de contacts : ‐
Le parent incarcéré n’est pas limité en termes de courrier, si ce n’est qu’il doit en supporter le coût financier. ‐
L’usage du téléphone est bénéfique pour l’enfant, mais il présente une série de restrictions telles qu’une durée faible et un tarif élevé, le manque d’intimité, et le fait que l’appel ne peut provenir que du détenu. ‐
Au niveau des visites, les contraintes carcérales (durée, espace, restrictions matérielles, surveillance, etc.) ne permettent pas aux enfants et à leur mère de faire tout ce qu’ils voudraient ou ont l’habitude de faire à la maison. Or, le jeu permet de désamorcer beaucoup de situations difficiles. De plus, la rareté des établissements pénitentiaires pour femmes renforce le problème de la distance à parcourir pour rendre visite à sa mère détenue, en plus du coût financier que le déplacement engendre. Les conséquences de la maternité incarcérée sur la famille sont souvent, en plus de la séparation des enfants de leur mère, l’éclatement des familles. L’éclatement rend difficile le maintien du contact. De plus, l’enfant doit dans beaucoup de cas changer de domicile. 5
Enfin, le moment de la libération est également un changement majeur dans la vie de l’enfant. L’enfant a changé, ainsi que la nouvelle dynamique familiale. Les enfants peuvent réagir de façon hostile et percevoir le parent revenu comme un intrus. 1.4. Questions de recherche La mise en contexte des approches sociologique, psychologique et juridique posée à travers la revue de littérature nous a permis de formuler les questions fondamentales soulevées par les situations des enfants (spécialement de 0 à 6 ans) dont la mère est incarcérée. Ces questions sont les éléments qui ont construit notre démarche empirique. La première nous a imposé, en l’absence de données systématiques sur les enfants de détenues, de dresser un panorama de la situation des enfants de 0 à 6 ans dont la maman est incarcérée. Les moments de la vie de ces enfants étaient également importants à investiguer. Notamment, comment se passe une arrestation en cas de présence d’enfant, et comment sont pris en charge ces enfants ? Comment se passent une grossesse et un accouchement en cas d’incarcération ? La prison est‐elle aménagée pour l’hébergement d’enfants en bas âge ? Au‐delà de l’âge de trois ans, comment sont pris en charge les enfants dont la maman est en prison ? Quelle information est donnée aux enfants, comment la communication avec la maman est‐elle préservée ? Et enfin, comment se passe la fin de l’incarcération ? 2. Constats 2.1. Les caractéristiques socio‐démographiques de la population étudiée Le volet statistique de notre étude a permis de répertorier, sur l’ensemble des femmes incarcérées en Fédération Wallonie‐Bruxelles, des informations relatives à la situation de 39 mères ayant un enfant de moins de 6 ans et de 56 enfants de moins de 6 ans pendant la durée de l’étude. Les questionnaires complétés et les témoignages recueillis ont posé les grands traits des schémas familiaux dans lesquels grandissent les enfants dont la mère est incarcérée. On notera tout d’abord que 84,61% de l’ensemble des détenues (ou des mères ? ou des mères avec enfants de moins de 6 ans ?) vivaient avec au moins un enfant de 6 ans ou moins avant leur incarcération. Par ailleurs, parmi les répondantes, un tiers était incarcéré de manière préventive et un tiers a été condamné à une peine de moins de 5 ans. Bien que l’idée ne soit pas de stigmatiser les familles concernées par des généralisations réductrices, des tendances ont cependant émergé, nous révélant que dans bon nombre de situations, l’incarcération de la mère n’était qu’une étape dans leur parcours. Bien sûr, nous avons rencontré des familles unies, des femmes au parcours sans histoire jusqu’aux faits ayant conduit à l’incarcération, ou bien rencontrant l’une ou l’autre difficulté somme toute surmontable. Toutefois, ces situations ne sont pas coutumières. Il y a une récurrence de situations difficiles, instables voire insécurisantes pour les enfants. C’est notamment le cas au niveau conjugal, avec des mères qui multiplient les partenaires et ont des enfants de pères différents. Seulement un tiers des mères déclarait être en couple au moment de l’étude. Un quart des fratries étaient éclatées avant l’incarcération, un quart des enfants ne vivaient déjà plus avec leur mère, et seulement un quart 6
vivait avec leurs deux parents. En ce qui concerne la famille élargie, les relations des mères avec leurs propres parents et fratries sont conflictuelles, les antécédents familiaux étant souvent défavorables. Au niveau socioprofessionnel, seulement un tiers d’entre elles sont allées à l’école au‐delà de 18 ans et 65% étaient sans emploi avant l’incarcération. Elles ont des revenus faibles, qu’elles estiment insuffisants pour joindre les deux bouts, alors que certaines vivaient avec plusieurs enfants. Ce constat économique est confirmé par la description de leur logement (un tiers occupait un logement à loyer réduit, et un cinquième était logé à titre gratuit). Par contre, presque toutes vivaient dans un logement doté d’un minimum d’équipements (sanitaires, chauffage, etc.), et de manière rassurante, surtout celles accompagnées de leurs enfants. Ces mères vivent donc dans un niveau de précarité élevé et éprouvent de grosses difficultés socio‐économiques. En ce qui concerne les pères, bien que leur situation économique semble meilleure (ils sont deux fois plus nombreux que les détenues à travailler), ils sont très souvent absents. Moins d’un tiers des enfants vivent auprès d’eux depuis l’incarcération de la mère, la majorité des autres ne les voient jamais ou exceptionnellement et, enfin, les détenues n’ont pas pu nous procurer d’informations pour près d’un père sur cinq. Enfin, l’incarcération a eu un impact sur le réseau social de deux tiers des détenues. En outre, l’ensemble de ces schémas dénote un manque de soutien de la part de leur entourage, et par conséquent pour leurs enfants, et ce, malgré un taux de cohabitation élevé (six détenues sur dix vivaient avec leur compagnon, et une sur dix avec leur mère). 2.2. Grossesses et accouchement en milieu carcéral La maternité incarcérée a également été investiguée par le biais d’entretiens. Nous avons souhaité dresser un panorama de la situation en rencontrant l’ensemble des parties prenantes. Nous avons donc non seulement été particulièrement attentifs à donner la parole aux mères et à prendre au sérieux leurs discours et leurs perceptions de la situation, mais également à interroger les intervenants qui gravitent autour d’elles (dont au niveau des prisons, le personnel carcéral, les Services psycho‐sociaux, les services d’Aide aux Détenus, les infirmeries, etc., et au niveau extra‐
carcéral le Relais Enfants‐Parents, les Services d’Aide à la Jeunesse, les Services de Protection de la Jeunesse, le secteur de l’hébergement, etc.). Le pan intra‐muros comporte deux scénarios de maternité. Celui des femmes enceintes ou accompagnées de leur enfant, et celui des autres femmes, que l’incarcération a séparées de leurs enfants. La question de la grossesse en prison n’est pas anecdotique. En effet, dans notre échantillon, ce sont 10 femmes sur les 39 rencontrées qui ont donné naissance en prison. Il n’existe pas de procédure réglementant la grossesse et l’accouchement en milieu carcéral. Seuls les délais de transfert de la prison d’origine à celle de Bruges, seule habilitée à permettre l’accouchement, et vice‐versa, sont approximativement prévus. Mais ils dépendent de la disponibilité des cellules dans chacune des deux prisons. Les situations restent singulières. Ce trait est accentué par la place laissée à un pouvoir discrétionnaire important dans le chef des autorités de chaque prison et est à l’origine d’une grande diversité dans les situations. Cette diversité se vérifie également au niveau du personnel et du matériel nécessaire au suivi d’une grossesse. D’une prison à l’autre, le matériel médical peut être qualifié de vétuste (une partie du suivi devant dans ce cas se faire en milieu hospitalier) ou au contraire de meilleure qualité que celui de certains hôpitaux, des spécialistes estimant que leurs conditions de travail en prison leur 7
permettent un meilleur suivi de la patiente. Toutefois, peut‐être pour des raisons relatives à l’ancrage temporel, ou aux différents degrés d’implication de chaque quartier de femmes, le panel de professionnels requis n’intervient pas dans toutes les prisons, ce malgré de multiples réclamations. Les mères qui en ont les possibilités financières sollicitent un médecin extérieur, à leurs frais. Les extraits d’entretiens menés avec des détenues corroborent à quel point des différences de traitement peuvent exister, et à quel point les détenues ont ressenti l’absence de prise en charge spécifique ou ne se sont pas senties entendues pas les agents pénitentiaires ou le médecin. Nous sommes dès lors face à un problème d’égalité de traitement : toutes les détenues enceintes ne bénéficient pas du même traitement. Les modalités, par exemple, d’encadrement de grossesse, sont variables. En l’absence d’une procédure claire de prise en charge de la grossesse et de l’accouchement par les prisons, ce sont souvent les futures mères qui doivent se débrouiller (avec leur avocat, si elles en ont un commis d’office ou si elles peuvent le payer) pour que leurs droits soient appliqués. Il serait intéressant de renverser la logique : s’il y avait une procédure claire et connue de la structure carcérale (tenant compte de divers cas de figures comme le degré de dangerosité de la détenue), les conditions et l’égalité de traitement seraient améliorées. En raison des antécédents de certaines mères, des enfants leur sont retirés dès leur naissance, et ne séjournent dès lors pas du tout en prison. Leur placement, que ce soit en famille d’accueil ou à défaut en institution, se fait davantage dans une perspective de long terme, ce qui amenuise la possibilité de création d’un lien avec la mère. Si certaines femmes sont arrêtées alors qu’elles sont déjà enceintes, d’autres tombent enceintes pendant leur séjour en prison. Cela soulève une question éthique importante. Si l’accès aux visites conjugales est un droit, la conception d’un enfant en prison est interpellante. Au vu des difficultés observées dans le vécu d’une grossesse, de l’accouchement ou encore de l’éducation d’un jeune enfant en prison, peut‐être serait‐il indiqué de sensibiliser les mères recevant des visites hors surveillance aux difficultés auxquelles une grossesse en prison les expose. 2.3. Maternité en milieu carcéral Dans notre échantillon de 56 enfants, 10 enfants sont nés en détention, parmi lesquels 7 ont ensuite vécu dans la prison, tandis que 4 autres furent accueillis après une naissance hors détention. Au total, 10 mères sur 39 ont accouché en détention et 11 enfants de moins de 6 ans sur 56 ont vécu en prison. L’exercice de la maternité en prison est qualifié par les professionnels d’artificiel. La détenue étant perçue principalement sous l’angle de sa condamnation, elle sera également plus facilement disqualifiée dans son rôle de mère. Tout problème, toute difficulté peuvent être interprétés comme une incapacité de la mère à s’occuper de son enfant, alors que les conditions de l’éducation d’un enfant en prison ne permettent pas de prendre des décisions libres et impliquent des contraintes dont la mère n’est pas responsable. La mère, dont les comportements sont observés et jugés, n’a guère droit à l’erreur, même si les conditions de détention s’opposent à l’exercice plein et entier de sa maternité. 8
Le cadre juridique mentionnant des « infrastructures ad hoc » ne prévoit pas de conditions matérielles ni organisationnelles minimales nécessaires à l’accueil d’un enfant en prison. Cette absence de précision est matérialisée dans les trois quartiers de femmes étudiés par la présence de configurations d’accueil très contrastées. Que ce soit des points de vue matériel (cellule adaptée, coin aménagé) ou humain (intervention de professionnels), ou encore organisationnel (accès au préau, au travail, aux loisirs). Les observations et les propos recueillis auprès de professionnels ont montré que l’adaptation au milieu carcéral est moins difficile pour les enfants plus jeunes, qui ne se déplacent pas encore, et pour les bébés. Elle l’est moins pour ceux qui n’ont pas ou peu connu la vie en dehors les murs. Cependant, si l’enfant, par son très jeune âge, ressent moins directement la spécificité de la situation, il ressent l’enfermement, et vit également l’incarcération à travers les réactions de sa mère (stress, colère, tristesse, etc.). Une autre question soulevée concerne la séparation. Quel scénario est moins dramatique et entraîne moins de conséquences pour l’enfant : celui d’une rupture avec le reste de sa famille et avec son environnement, au profit du lien avec sa mère ? Ou la séparation de sa mère, lui permettant de continuer à vivre dans son environnement ? Si le premier est suivi, il est indispensable de minimiser les effets de l’incarcération, en gardant à l’esprit que le bien‐être de l’enfant passe aussi par le bien‐
être de sa mère. Les sorties en crèches sont déjà bien acceptées et comprises. De plus, elles semblent permettre de combler l’absence de ressources familiales (certains enfants vont dans leurs familles plutôt qu’à la crèche). L’implication de la mère contribue à l’issue favorable d’un projet. Un autre aspect défavorable au bien‐être de l’enfant est la promiscuité consécutive à la vie en prison. Les infrastructures carcérales telles qu’elles sont conçues actuellement ne peuvent qu’aménager au mieux les espaces dédiés aux enfants, quand c’est matériellement possible. Mais l’aménagement peut aussi se prévoir en termes de « temps individuel». La singularité de la présence d’un enfant en prison attire l’attention voire l’intervention de tierces personnes, dont la plupart ne sont pas mandatées à cet effet. Malgré la séparation physique prévue entre les détenues non accompagnées et les détenues avec enfants, des contacts se produisent. Un excès d’observateurs, de « prétendus » conseillers non mandatés, et de gestes d’affection conduisent à de la confusion, à des risques sanitaires, à des tensions ainsi que des risques de (auto) disqualification qui mettent à mal la maternité. Les faits de détournement de biens destinés aux enfants par leur mère, dans le cadre de trafics destinés à les pourvoir en tabac ou autres biens difficiles à obtenir en prison, posent aussi la question de la sensibilisation des mères aux besoins de leurs enfants, notamment lors de leur suivi psychosocial. Plusieurs professionnels ont souligné la qualité des infrastructures, des services, du matériel fourni et des soins procurés. Conjointement, nous avons observé que le soutien existant en prison pouvait être une réelle opportunité pour des femmes manquant de ressources (matérielles ou psychologiques) d’élever un enfant dans de bonnes conditions. Cependant, en prévision de la fin de l’incarcération, il faut rester vigilant à ne pas créer d’écart entre les dispositifs carcéraux et la réalité de la mère, en engendrant une situation qui ne pourra pas perdurer. Plusieurs femmes se sont en effet vues retirer la garde de leur enfant en prison, au vu des difficultés rencontrées. 9
Au niveau des conséquences à court terme d’une vie incarcérée sur l’enfant, les professionnels rencontrés n’évoquent rien de manière spontanée ou critique. En creusant davantage, ils évoquent néanmoins chez certains des comportements liés à l’enfermement telle qu’une attention particulière portée à la fermeture des portes ou au lit. Un dernier point concernant les enfants ayant vécu longtemps aux côtés de leur mère en prison est la question des répercussions négatives sur leur développement. Il est malaisé de distinguer les conséquences propres à l’incarcération de celles dues à l’attitude de la mère. Par ailleurs, certains intervenants sont perplexes sur la réalité de ces répercussions. Certains travailleurs pénitentiaires soulignent les effets positifs liés à la présence de la mère et au maintien du lien, contrebalançant les répercussions négatives dues au cadre carcéral. 2.4. L’enfant vivant hors de la prison Lorsqu’un enfant ne vit pas dans la prison avec sa mère, il peut être pris en charge dans différents milieux. Sur l’ensemble des enfants ayant une mère incarcérée et qui vivaient avec elle auparavant, nous en avons comptabilisé 30.95% dont le ménage après l’incarcération était constitué d’au moins une personne faisant partie du ménage de l’enfant avant l’incarcération. Parmi eux, rappelons que 16.67% a été hébergé en prison avec elle, 9.52% a continué à vivre avec leur père, et 4.77% avec un grand‐parent. Notons enfin qu’avant d’être pris en charge par le référent mentionné au moment de l’étude statistique, un quart des enfants de 6 ans ou moins a connu plus d’un lieu d’hébergement ou plus d’un référent depuis le début de l’incarcération de sa mère. En ce qui concerne le maintien du lien, on remarque que trois enfants sur quatre sont en contact avec leur mère, et sans différence frappante entre les taux d’utilisation des trois modes distincts de contact (visites, appels téléphoniques, courriers). La fréquence de contact est corrélée de manière positive avec l’âge de l’enfant ainsi qu’avec le fait que l’enfant ait vécu ou pas avec sa mère. On remarque également que, plus la condamnation est longue, plus l’enfant a de chances de voir sa mère. Comparativement aux groupes d’enfants plus âgés, les enfants de 6 ans ou moins ont le plus de risques de n’avoir des contacts avec leur mère que de manière irrégulière ou exceptionnelle, voire jamais. Ceci représente plus de la moitié des enfants en bas âge… Parmi les raisons qui expliquent l’absence de visites, les coûts des déplacements peuvent être un frein au maintien du contact (coûts monétaires mais aussi temporels), ainsi que le refus du responsable de l’enfant, le fait que l’enfant ne sache pas que sa mère est incarcérée (en cas d’incarcération de courte durée, l’enfant n’est pas toujours informé de la situation réelle de sa maman), ou encore le refus de sa mère de le voir. Il est donc opportun, dans l’intérêt de l’enfant, de sensibiliser les parties impliquées sur les bienfaits d’une information adaptée et du maintien d’un contact. En effet, il est avéré que l’enfant est rassuré de savoir où vit sa mère, et encore plus de pouvoir la voir. Pour un jeune enfant, la savoir en prison est moins anxiogène que la croire hospitalisée. De plus, lui cacher la vérité fait encourir le risque que l’enfant l’apprenne par d’autres canaux. Or, vu la nature de la situation, il est préférable que l’informateur soit une personne de confiance. Il s’agit non pas de 10
devancer les besoins ou les questions des enfants à propos du parent absent mais de l’accompagner dans sa réflexion en lui posant des questions sur ce qu’il sait ou voudrait savoir. De la même manière qu’élever un enfant en prison constitue pour certaines mères instables une opportunité de le faire dans de meilleures conditions, les visites en prison sont également une occasion pour des enfants ayant déjà créé un lien avec leur mère de construire progressivement ce lien. La capacité de mobilisation de la détenue une fois qu’elle ne bénéficiera plus de l’accompagnement est d’ailleurs en question : si elle désinvestit la relation avec son enfant une fois sortie de prison, est‐ce positif pour l’enfant ? Les différents types de visites existants sont autant de possibilités pour les familles et les enfants de maintenir le lien, tant en termes d’horaire que de contenu. Mais les modalités d’organisation de ces formules (équipement, présence d’autres personnes, durée, horaire) ne contribuent pas toujours à l’optimisation des interactions entre les mères et leurs enfants. Notons que les visites à table sont le principal type de visites (dans le sens le plus fréquent) pour les enfants, quel que soit leur âge. On peut remarquer qu’aucun enfant de 6 ans ou moins ne rend visite à sa mère en prison de sa propre initiative. La littérature préconise de demander à l’enfant quelles sont ses préférences (quel est son mode de contact favori par exemple), ou à défaut d’observer ses réactions pour s’assurer que ce qui est établi ne lui est pas nuisible. Les enfants de moins de 6 ans ne sont pas très nombreux à bénéficier du service d’accompagnement par des volontaires. Outre le fait que les responsables des enfants préfèrent peut‐être accompagner les enfants eux‐mêmes étant donné leur jeune âge, nous soulevons aussi la question de l’accessibilité de ce service. Ce réseau est‐il adapté à tous les utilisateurs potentiels ? Est‐il suffisamment développé pour répondre à l’ensemble des demandes ? Les visites sont importantes pour plusieurs raisons. L’enfant est d’abord rassuré de voir que son parent est en bonne santé. Et pour les enfants qui sont en âge de comprendre le rôle social d’une prison, l’institution est dédramatisée (on n’y maltraite pas leur parents, ils sont nourris, etc.). Certaines mères se trouvent désemparées lors des visites et mettent en place un schéma de communication stéréotypé et improductif. D’autres leur donnent une vision idéalisée, fantasmée de la situation, qui peut les perturber. Un travail de préparation ou d’encadrement pourrait les aider à améliorer leurs interactions, même lors des visites « à table ». Les visites, même lorsqu’elles sont hebdomadaires, ne constituent qu’un moment très bref dans la vie quotidienne de l’enfant. La fréquence relativement faible des visites est encore diminuée par la moindre annulation. La part d’imprévisibilité propre à la vie en prison met ainsi à mal le maintien des contacts. Au moment de notre étude, aucun groupe de parole5 n’était organisé de manière régulière, dans aucun des trois quartiers de femmes, ni même du côté des hommes, mais le projet était en cours. Lors des visites, la présence de l’intervenant de la pouponnière est importante à la fois pour l’enfant, car une personne familière est présente lors de la visite avec le parent qu’il ne voit pas souvent, et rassurant pour le parent qui voit que l’enfant est sécurisé avec un autre adulte. L’apaisement du parent, ainsi que le visage connu de l’intervenant, renforce, ou permet l’apaisement de l’enfant. De 5
Il s’agit de groupes de discussion organisés par le Relais Enfants‐Parents rassemblant des détenus, autour de tout ce qui a trait à la parentalité incarcérée.
11
plus, l’intervenant peut interagir en fonction de sa connaissance de l’enfant, afin de renforcer l’interaction avec le parent. Le référent de l’enfant explique à la mère son évolution, son comportement quotidien. Il encourage l’enfant à aller vers sa mère, en lui donnant sa confiance, et dans le sens inverse, il sollicite la mère en expliquant les activités appréciées par l’enfant. Concernant le téléphone, ce mode de contact permet une interaction directe, certes avec des limites, et évite un déplacement parfois trop coûteux en temps, argent et énergie. Cette compensation est attestée par la corrélation statistique entre le taux d’usage du téléphone et la distance entre la prison et le lieu de vie de l’enfant. Cependant, il reste coûteux pour la mère, et a été parfois qualifié d’intrusif pour l’enfant. Une première recommandation est de veiller à la diminution des frais téléphoniques, actuellement prohibitifs, une autre serait d’élargir l’utilisation déjà expérimentée dans une prison belge d’interfaces de communication associant le son et l’image. Le système de vidéo serait peut‐être plus adapté pour les enfants en bas âge dont le langage rend difficile la communication. Concernant le caractère intrusif, une solution pourrait être la détermination d’un horaire, en garantissant l’accès au téléphone à la détenue. Ce rendez‐vous pourrait devenir un point de repère dans la vie de l’enfant, sans le perturber dans ses activités. Enfin, le courrier n’est pas à sous‐estimer. En effet, il permet à l’enfant de s’en imprégner en le lisant et le relisant, de prendre l’initiative du contact (en dessinant pour sa maman, par exemple), et de l’utiliser pour se rassurer (même quand le contact visuel ou téléphonique n’est pas permis, il constitue un signe de la présence de la maman). Par ailleurs, il permet également une diversité de modes d’expression : la symbolique du dessin, la concrétisation de l’histoire de vie et des souvenirs (par son caractère permanent), d’y joindre des photos, etc. 2.5. Les relations avec les professionnels Un autre point riche en constats a trait aux différents intervenants. Les détenues n’identifient pas toujours leurs interlocuteurs ni leurs fonctions, et ne savent donc pas clairement à qui adresser leurs demandes. Ce flou n’est pas propre aux détenues. En effet, il s’est avéré que du côté des professionnels existait également une certaine méconnaissance des rôles et niveaux de compétence de chacun, et des personnes à qui s’adresser. Moins de la moitié des détenues sont en contact avec un professionnel en ce qui concerne leur enfant. Cela traduit‐il un manque de connaissance du support existant, ou une absence de mobilisation de la détenue ? Dans la pratique, des démarches identiques sont prises en charge par des intervenants dont les appartenances organisationnelles et les fonctions sont distinctes, et dont les missions diffèrent également. Parallèlement à cette absence de délimitation claire dans les pratiques, une surcharge de travail a été exprimée à de nombreuses reprises, ne permettant pas un suivi optimum des détenues. Nous avons également observé un manque de professionnalisme de quelques intervenants (manque de volonté, de fibre sociale ou émission de jugements de valeurs). Le degré d’implication d’un intervenant peut dépendre à la fois de ses caractéristiques personnelles (a‐t‐il également des enfants, est‐ce un homme ou une femme, quelle est sa formation de base, quelle est sa conception du travail ?) mais aussi de sa marge de manœuvre, souvent liée à son ancienneté et à son assise dans la prison (quels liens a‐t‐il noués avec le personnel pénitentiaire et avec la direction, est‐il (re)connu par eux, les contacts sont‐ils positifs ou négatifs ?)… 12
Par ailleurs, les informations circulent difficilement non seulement entre l’intérieur et l’extérieur (de la prison aux différents acteurs impliqués, et vice versa) mais aussi au sein des quartiers. La voie informelle est couramment utilisée. Cela reflète donc une absence de coordination entre les différents professionnels et un manque de prise en compte de l’enfant. L’organisation pénitentiaire et sa logique sécuritaire entravent souvent le travail des intervenants, lesquels préféreraient privilégier des logiques humaine ou sociale. Leur travail est ralenti par les priorités carcérales. Par exemple, lorsqu’il y a un mouvement dans la prison (tel qu’un déplacement collectif de détenues), il ne peut y avoir d’autre déplacement individuel en même temps. Une autre difficulté dans l’encadrement des détenues est liée à l’impossible anticipation d’une libération avant le passage devant le tribunal d’application des peines. Le travail des animateurs du Relais Enfants‐Parents (REP) se base sur les demandes des parents incarcérés ou sur base d’une demande institutionnelle. À Lantin, ainsi qu’à Mons, les détenues font leur demande par fiche message6 et l’information est diffusée de bouche à oreille. À Berkendael, les détenues voient systématiquement à leur arrivée une personne du REP qui leur présente leurs services. La décision d’intervention ne dépend pas uniquement du REP. Par ailleurs, les disponibilités des bénévoles ne permettent pas toujours leur bonne application. Cela mène à une frustration des parents, pour lesquels les démarches semblent prendre du temps ou les visites sont trop espacées. 2.6. Les dispositifs extérieurs de prise en charge Presqu’un enfant sur deux était présent au moment de l’arrestation. La présence d’une assistante sociale a été mentionnée dans quelques cas. La prise en charge des enfants se fait la plupart du temps dans l’urgence, la mère n’étant bien entendu pas en mesure d’anticiper son incarcération. Nous retiendrons donc le critère d’urgence dans la prise en charge des enfants lors de l’incarcération d’une mère. Une autre distinction qui a retenu notre attention concerne la présence ou non de ressources familiales ou personnelles permettant de prendre en charge les enfants. Le parcours des enfants lors de l’arrestation de leur maman en est significativement impacté. En présence de ressources, les choses sont plus simples. Par contre, en l’absence de ressources, des complications apparaissent. En effet, il n’existe pas de procédure institutionnelle prévoyant précisément une marche à suivre : la pratique est davantage fondée sur l’initiative des acteurs en présence. Une constance du réseau de l’accueil est sa saturation, à commencer par l’accueil d’urgence, qui n’offre que peu de places pour les cas d’extrême urgence. Une alternative est le séjour en milieu hospitalier, qui se voit très souvent prolongé faute d’autres solutions, et qui n’est pas adapté à des enfants ne nécessitant pas de soins. Quelle(s) solution(s) existe(nt) effectivement pour accueillir en urgence des enfants subitement séparés de leur mère ? La pratique montre qu’il s’agit alors, coûte que coûte, de trouver un hébergement pour l’enfant sans prendre en compte la spécificité institutionnelle de la formule ni même sa proximité géographique. Au niveau de l’accueil en famille d’accueil sélectionnée, seul un enfant de notre échantillon est concerné. Cela renvoie également à la saturation du réseau de l’accueil. Au niveau institutionnel, les pouponnières fonctionnent par liste 6
Les fiches messages sont le moyen de communication écrit entre les détenues et les différents acteurs de la prison. Pour toute demande d’entrevue, les détenus doivent procéder par fiche message. 13
d’attente. Des enfants y séjournent au‐delà de la limite d’âge car les institutions relais sont également saturées. Le placement intrafamilial quant à lui est une solution « naturelle » car il maintient l’enfant dans un environnement connu et a l’avantage d’être une solution rapidement mise en œuvre. Mais il ne constitue pas pour autant une garantie de « succès », étant donné les enjeux familiaux en présence (en cas de passif relationnel entre la mère et d’autres membres de sa famille). En effet, le poids de l’incarcération, les nouvelles charges et responsabilités, l’histoire familiale fragilisée et en péril, les enjeux relationnels, le risque de devoir peut‐être faire un choix entre la détenue et l’enfant, le conflit de loyauté sont autant d’éléments pouvant mettre à mal l’accueil. De plus, les familles sont sujettes à ne pas toujours appliquer les décisions de justice. Ceci pourrait nécessiter un suivi social par les services extérieurs, surtout si un contexte très précaire, ou potentiellement pathogène pour les enfants, est pressenti. On relève donc dans l’ensemble une situation peu adaptée aux enfants, l’absence de délai raisonnable pour que la mère aidée des services d’aide à la jeunesse puisse penser une solution dans l’intérêt de l’enfant et le préparer à ce changement, l’apparente absence de protocole, la diversité des pratiques dans l’urgence et enfin et surtout la difficulté, parfois inextricable, à trouver une solution de placement et/ou d’hébergement acceptable pour l’enfant dont la maman est incarcérée. Cette difficulté n’est pas propre à la population visée mais apparaît aggravée par la nécessité souvent impérieuse de trouver une solution dans l’urgence. En définitive, durant l’incarcération de leur mère, quatre enfants sur cinq ont été pris en charge par leur père ou leur famille. Parmi ceux qui sont placés en institution ou famille d’accueil extérieure, la moitié l’était déjà préalablement. Le placement en dehors du milieu familial lié à l’incarcération ne concerne donc qu’un enfant sur dix. Toutefois, les jeunes enfants se retrouvent deux fois plus en institution que les autres catégories d’âge. Sur l’ensemble des enfants ayant une mère incarcérée et qui vivaient avec elle auparavant, nous en avons comptabilisé un tiers dont le ménage « après incarcération » était constitué d’au moins une personne faisant partie du ménage de l’enfant « avant incarcération ». 2.7. Impacts de l’incarcération sur l’enfant 40% des répondantes estiment que la qualité de vie de leur enfant est identique depuis leur incarcération, voire meilleure (pour 11.5% d’entre elles). Ces chiffres attestent de la confiance accordée aux personnes qui ont la responsabilité de leur enfant en leur absence, gage d’une meilleure adaptation. Cependant, l’incarcération n’est pas sans conséquence. Bien que les détenues conservent leur autorité parentale, c’est le responsable de l’enfant qui prend l’ensemble des décisions relatives à sa vie quotidienne. La mère se positionne statistiquement en second lieu d’après les données de notre enquête. Elle aurait donc plutôt un droit de regard, son éloignement ne lui permettant pas l’application directe de son droit parental. Cette codécision entre le responsable de l’enfant et sa mère peut créer des situations de perte ambigüe7. Il est donc important de clarifier la situation auprès des enfants, pour éviter toute confusion ou pire, conflit de loyauté. 7
La notion de perte ambiguë fait référence au fait qu’une personne est à la fois physiquement absente et présente via des modes alternatifs de communication.
14
Différentes situations existent. Dans la plupart, il y a changement du référent remplissant les fonctions maternelles, pour peu qu’il y en ait un. Il ne faut pas se méprendre sur ces fonctions, nous rappellent les psychologues : il s’agit tant de répondre à des besoins physiques que de donner de l’affection. Dans d’autres, l’enfant va vivre dans un nouvel environnement (un autre domicile dans la plupart des cas, avec d’autres cohabitants). Il faut lui permettre de créer rapidement de nouveaux points de repères : cette sécurisation est encouragée par la répétition régulière de situations devenant peu à peu familières. Lorsque ce sont des membres de la famille qui prennent l’enfant en charge, celle‐ci risque de se retrouver isolée ou de connaître des différends en son sein. D’après les psychologues, les enfants peuvent entendre (sans nécessairement en comprendre la portée), que les adultes vivent des événements difficiles. La scolarité, le sommeil et l’alimentation sont des sphères à travers lesquelles l’enfant peut refléter un mal‐être. Une attention particulière doit être dirigée sur tout changement y afférant. Enfin, un dernier point est le caractère contingent de la qualité du suivi des familles d’accueil. Nous avons rencontré deux scénarios diamétralement opposés. Dans le premier, un suivi structuré existe, au moyen d’évaluations régulières, de collaborations fructueuses et impliquant des acteurs tant des niveaux juridique, psychologique que social. Dans le second scénario, une famille désemparée a fait des demandes de suivi à de multiples reprises mais sans succès. Le premier scénario nous indique que des procédures existent, qu’il faudrait pouvoir systématiser à l’ensemble des familles d’accueil. De quelles familles d’accueil s’agit—il ? Extérieures ou familles élargies ? 2.8. Fin de l’incarcération Lorsque les enfants vivaient avec leur mère, la libération s’accompagne pour eux d’un changement, au même titre que son arrestation. Il ne faut pas oublier que les enfants ont connu une nouvelle dynamique en l’absence de leur mère, et ont créé d’autres liens, et ce d’autant plus lorsque les peines sont plus longues. Il est important de préparer avec l’enfant le retour prochain de sa mère, d’autant plus qu’elle risque d’avoir été marquée par son incarcération. Lorsque l’enfant est placé en famille d’accueil extérieure ou en institution, les procédures de retours sont beaucoup plus longues, et très rares. De la même manière que le contact a été maintenu ou établi en fonction de la relation préexistante à l’incarcération, la libération suit le même principe de continuité ou de progressivité. Un risque encouru concerne les détenues dont la mobilisation passe par un accompagnement. Au‐delà de leurs bonnes intentions, seront‐elles capables de maintenir le contact établi ou entretenu avec leur enfant durant leur emprisonnement ? Comment travailler sur cet aspect sans tomber dans le contrôle social? Lorsque nous avons interrogé les détenues sur leurs projets de sortie, nous avons très souvent eu le sentiment de recevoir un discours formaté, d’entendre « ce qui doit être dit » lorsque les détenues font leur demande de congé ou de libération conditionnelle. Mais cela n’empêche pas le fait qu’elles aient réellement intégré leur projet familial et de réinsertion. Les piliers de leurs projets sont en général de chercher un logement, une formation ou un emploi. Il est délicat de pouvoir faire la distinction entre le discours, la volonté, peut‐être réelle, et l’effectivité des projets à la sortie. 15
Il est enfin interpelant d’entendre de certains intervenants qu’ils ne travaillent pas dans l’intérêt de l’enfant. 3. Recommandations A la suite des constats soulevés par notre travail de recherche, nous soulignons les points suivants au titre de recommandations, au sens où il apparaît que ces éléments appellent, dans la mesure du possible, une prise en compte concrète et effective. •
Absence de protocole général concernant la maternité incarcérée Il est nécessaire d’établir un protocole général entre toutes les parties prenantes applicable à toutes les prisons francophones concernant la grossesse, l’accouchement et l’accueil – la prise en charge des enfants en prison. Certes, il en existe un à Lantin et un projet d’accord travaillé depuis plusieurs années est en voie de signature par les ministres compétents (fédéral – entités fédérées), mais nous insistons sur la nécessité de conclure ces démarches. •
Contradiction permanente entre les logiques sécuritaire et sociale Ces logiques sont de facto particulièrement difficiles à concilier en milieu carcéral. La première prime sur la seconde, malgré d’importants aménagements. Dans ce contexte, les enfants vivant en prison restent une charge pour les agents pénitentiaires, sont confrontés à un milieu de vie et d’autres personnes. Les intervenants travaillant directement pour l’institution pénitentiaire indiquent que l’intérêt de l’enfant n’est pas la priorité. Cependant, il existe clairement des fenêtres d’opportunité pour renverser la tendance en prison, particulièrement en ce qui concerne la situation des enfants en bas âge et leur maman incarcérée. On vise, par exemple, la création aboutie d’un quartier spécifique d’accueil dans chaque prison. •
Inadéquation fondamentale de l’atmosphère carcérale Malgré les efforts fournis par l’administration pénitentiaire, les prisons et leurs directions, les aménagements d’ores et déjà apportés pour favoriser l’accueil des enfants en bas âge restent insuffisants. Beaucoup d’aspects de la prison restent inappropriés pour un enfant (enfermement, autres détenus, horaires, cris, alimentation, suivi médical, etc.), ce qui nous a montré que la prison n’est résolument pas un milieu d’accueil favorable à la petite enfance. •
Caractère imprévisible de la détention Le caractère imprévisible de la détention (arrivée, transfert, libération) entrave l’accompagnement psycho‐social. En effet, les intervenants ne connaissent pas la durée de leur suivi, et savent qu’il sera un jour subitement interrompu. En ce sens, les transferts entre prisons sont synonymes d’interruption des démarches entreprises par les mamans pour le maintien des relations. Les informations concernant l’enfant ne sont pas transmises d’une prison à l’autre, et l’accompagnement doit être réinitialisé, selon les disponibilités des acteurs prenant le relais (REP, crèche, ONE). •
Complexité du parcours de vie des enfants concernées 16
Nous constatons que beaucoup d’enfants dont la mère est incarcérée connaissent un parcours chaotique et complexe, avec de nombreuses ruptures, de nombreux lieux de vie, un milieu familial et parental instable. La complexité de leurs situations appelle une prise en charge global, structurelle et évolutive, totalement inexistante actuellement, faute de moyens, notamment au niveau de l’aide à la jeunesse. •
Manque de moyens du secteur de l’aide à la jeunesse Le secteur de l’aide à la jeunesse est en Belgique francophone confronté à des difficultés structurelles importantes qui empêchent les intervenants du secteur de réaliser les missions qui leur sont attribuées. Ainsi, spécifiquement à la thématique des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée, les problèmes aigus et relatifs à cette population ne sont absolument pas pris en compte. Certes, cela concerne un nombre ténu d’enfants, mais la complexité de leur parcours appelle indéniablement une réponse orientée, illusoire en l’état actuel. •
Diffusion de l’information à l’attention des mamans incarcérées Toute une série de dispositions existent mais faute d’être informées, les détenues ne peuvent les activer. Notre étude montre néanmoins une série d’évolutions positives dans la prise en compte des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée, que nous mettons en exergue ci‐dessous et qui nécessiteraient un approfondissement et une généralisation. •
•
•
•
Une évolution dans les rapports des agents pénitentiaires avec les enfants de détenues (qu’ils vivent en prison ou à l’extérieur). Leur rôle ne leur permet pas une familiarité naturelle, mais des progrès sont notés par les intervenants. Peut‐être serait‐ce intéressant de former certains d’entre eux plus spécifiquement à l’accompagnement des enfants dans le milieu carcéral, sur base volontaire, voire d’intégrer cet aspect dans la formation commune. Des aménagements sont constamment en cours, même s’ils se font à un rythme lent. Nous pensons à la réservation de places en crèche, pour les enfants de la prison, au fait que le REP développe davantage ses activités dans une des trois prisons, ou encore au fait que les horaires de certaines visites aient été établis en tenant compte du rythme scolaire. Certaines prisons procurent effectivement des services (soins, accompagnement, etc.) ou des biens (alimentation, jeux, etc.) de bonne qualité. À l’inverse du milieu carcéral, dans lequel la logique sécuritaire prime, une grande part des démarches extra‐carcérales mettent l’enfant au centre des préoccupations. Cette attention particulière se manifeste par des démarches progressives en fonction de l’adaptation de l’enfant (période de familiarisation à la crèche, retours en famille progressifs pour les enfants vivant en institution, observation des réactions des enfants lors des visites encadrées). Enfin, nous soumettons quelques dispositifs en œuvre à l’étranger qui pourraient voir une application en Belgique francophone. •
Une initiative intéressante pour les enfants en bas âge, lancée par l’organisation « Storybook Dads » au Royaume‐Uni, permet aux parents incarcérés d’enregistrer une histoire sous forme 17
•
•
•
de disque audio destiné à leur enfant. Ce dernier peut alors profiter d’une histoire uniquement contée pour lui, mais aussi écouter la voix de sa mère ou de son père lorsqu’il en a besoin. Certaines prisons de l’état de l’Illinois (USA) sont équipées de manière à permettre des séances de vidéoconférence entre les détenues et leurs enfants. Au Danemark, certaines prisons prévoient des « responsables des enfants » qui sont formés pour accompagner les enfants lors des visites. Très peu d’établissements proposent un système d’évaluation des visites par les familles. On peut pourtant penser qu’un recours plus systématique à des formulaires d’évaluation est un moyen de relayer les insatisfactions des visiteurs et de faire de la visite un moment plus agréable pour tout le monde. Enfin, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies (2011) insiste sur le fait qu’un parent, même s’il fait l’objet d’une arrestation, ne devrait jamais être soumis à des humiliations sous les yeux de son enfant. En Pologne, les forces de l’ordre doivent emmener les enfants dans une pièce à part avant de procéder à l’arrestation. L’élaboration de protocoles quant au traitement des enfants lors d’une arrestation permet de veiller au respect de leurs droits. Il importe aussi de permettre aux parents de prendre des dispositions concernant la prise en charge de leurs enfants. 4. Conclusion Les objectifs fixés par le Fonds Houtman nous ont donc amenés à évaluer les conditions de vie et les relations familiales des enfants en bas âge (0 à 6 ans) dont la mère est incarcérée en Belgique francophone. Pour cela, nous avons réalisé une description détaillée des situations vécues par ces enfants afin de mettre en évidence les besoins spécifiques à cette tranche d’âge. Au terme de notre recherche, il apparaît clairement que les besoins de ces enfants sont effectivement tout à fait spécifiques et singuliers. Certes, peu d’enfants sont concernés mais la complexité de leurs situations sociales interpelle au plus haut point. En effet, notre impression au regard de leurs parcours est qu’on y relève de manière exacerbée des anicroches et obstacles graves qui nécessitent une prise en charge spécifique et singulière. L’argument du nombre ténu d’enfants ne peut en rien justifier l’absence de dispositif ad hoc. Pourtant, des initiatives existent et œuvrent en faveur des enfants, afin de rendre leur quotidien et, éventuellement, leur futur soutenable. Ces actions doivent être supportées, publicisées et généralisées, afin de faire percoler l’impérieuse nécessité d’offrir aux enfants des moyens de « résilience ». La présente démarche, initiée par le Fonds Houtman et que nous concluons à présent, constitue, à nos yeux, une première étape vers la prise en compte des spécificités des enfants de 0 à 6 ans dont la mère est incarcérée. Elle a permis d’obtenir une vision de l’existant, de mettre en avant une série de problèmes mais aussi d’initiatives permettant de les solutionner. Cependant, celles‐ci ne suffisent actuellement pas. Elles ont besoin de davantage de soutien et doivent être multipliées pour, structurellement, affronter les difficultés sociologiques, psychologiques et juridiques rencontrées par ces enfants. 18

Documents pareils