Collaborer - Le Centre Spatial Guyanais

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Collaborer - Le Centre Spatial Guyanais
Travailler sur la base
Collaborer
L'ATV, Automated Transfer Vehicle,
est l'une des participations majeures
de l'Europe à l'ISS. En tant que tel,
l'ESA et ses sous-traitants déploient des bataillons
d'ingénieurs et autres techniciens au Centre
Spatial Guyanais, où la campagne ATV est de loin
la plus longue. Celle de l'ATV-3 aura duré près
de sept mois.
Au final, l'ATV mobilise au CSG près d'une
centaine de salariés d'industries européennes
sur toute la campagne, dont 50 en phase finale.
Certains restent à demeure à Kourou, d'autres
font des allers-retours, et tous finissent
immanquablement par se “guyaniser”.
Alors, comment s'organisent-ils ?
Comment vivent-ils le CSG ? Quatre européens
ont accepté de nous livrer leur vécu et leur
ressenti. Aucun doute, le CSG est à lui seul
une petite Europe. Quant à la Guyane, c'est bel
et bien la gastronomie locale qui fait l'unanimité !
Dans les couloirs de l'EPCU, au BAF,
à la cafétéria, au Centre de Contrôle
Jupiter 2, dans Kourou et lors de
balades dominicales, nous avons tous
croisé des gens de l'ATV. Mais que
font-ils, d'où viennent-ils ? Rencontres.
Par Karol Barthelemy
our rappel, faisons simple : en
campagne au CSG, l'ESA est le
client d'Arianespace qui est le client
du CNES jusqu'à la livraison au Bâtiment
d'Assemblage Final (BAF) où l'ATV est
intégré sur le lanceur Ariane 5 ES.
Si l'équipe ESA se compose essentiellement
de quinze des vingt membres du pool ATV
de l'ESTEC 1 aux Pays-Bas, les autres
ingénieurs et techniciens relèvent de soustraitants de l'ESA, dont les deux principaux
sont Astrium (Allemagne et France) et
Thales Alenia Space Italie.
P
Montée en puissance
Fort de son expérience de Chef de mission
ATV-2, l'Allemand Nico Dettmann est
Chef du Programme ATV à l'ESTEC où il
s'occupe de la production, des achats et du
lanceur pour les trois autres ATV, dont
l'Edoardo Amaldi. Auparavant, quatorze
années au service du programme Ariane
l'ont conduit à maintes reprises en Guyane,
une région qu'il connaît bien à présent.
Si l'ATV n'y réclame désormais sa présence
qu'une ou deux fois par campagne,
il démarre chacune de ses journées en
lisant un rapport très détaillé des activités
ATV de la veille, où qu'il se trouve.
© P. BAUDON
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L'ATV, un travail d'équipe
L'ESTEC, Centre européen de technologie spatiale, est
le centre où sont conçus la plupart des véhicules spatiaux
de l'ESA et de ses activités de développement technologique.
Il est implanté à Noordwijk, aux Pays-Bas.
ATV, concentré
d'Europe
© G. BARBASTE
© G. BARBASTE
Tous réunis au Centre de Contrôle Jupiter II pour lancer l'ATV-3
Selon Nico, «chaque ATV est un véritable défi. Ce 3ème ATV aura généré
une grosse pression car c'est le premier qui respecte la cadence annuelle
entre deux cargos : l'ATV-2 est rentré dans l'atmosphère [fin de mission]
deux mois avant que l'ATV-3 n'embarque à destination de la Guyane…»
Effectivement, avant de lancer, les équipes vivent la préparation
de l'ATV, soit 18 mois sur deux lieux : l'intégration du spacecraft
(avionique et propulsion) se fait chez Astrium à Brême
(Allemagne) tandis que l'intégration du module cargo se fait chez
Thales Alenia Space à Turin (Italie). « Bien que l'ATV rejoigne
le module de propulsion pour des tests par connexions câblées neuf
mois avant de partir pour la Guyane, leur premier mariage physique
se passe ici, au CSG, seul endroit capable d'accueillir son gigantisme. »
Pour Nico Dettmann, « venir en Guyane est plaisant. C'est tout
de même le meilleur endroit au monde pour lancer ! De plus, très
professionnelles, les équipes du CSG ont une grande expérience auprès
de nombreux clients différents : ils s'adaptent toujours. Enfin, j'apprécie
particulièrement la cuisine locale et toute cette verdure ! Sur une durée
limitée, le séjour en Guyane est agréablement dépaysant. »
Nico Dettmann, Chef du Programme ATV de l'ESA.
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Elwyne Fredericks, RMCU (CNES/CSG) et Mei-Mei Stienstra,
Ingénieur Qualité de l'air (ESA/ESTEC).
Etre à la hauteur
On a beau travailler au CSG, lorsque l'on est affecté à une
campagne ATV, on le vit différemment. C'est le cas du Guyanais
Elwyne Fredericks, RMCU (Responsable Moyens Charge Utile)
pour le CNES/CSG, dont les trois premiers ATV jalonnent
étroitement le parcours professionnel. « J'ai pris mes fonctions
au CNES/CSG fin 2007, lors de la campagne ATV-1 où j'ai découvert
les “ daily meetings ”, ces réunions quotidiennes où tous les intervenants
se coordonnent, quelle que soit la charge utile. J'ai fait mes armes sur
des campagnes plus “ régulières ”, puis l'ATV-2 m'a vraiment posé dans
mon métier. Comme pour l'ATV-3, j'étais RMCU de la seconde partie de
campagne, pour les remplissages et le transfert au BAF. Ce dernier point
est probablement le plus crucial, celui où la pression est la plus forte. »
Quand Elwyne a appris qu'on lui confiait ces campagnes, la fierté
dominait, « avec une pointe d'angoisse la première fois » avoue-t-il.
« C'est une preuve de confiance de la part de mon management, il faut
prouver qu'on est à la hauteur, qui plus est devant l'ESA, un client
exigeant. Il faut savoir rapidement faire la part des choses et ne pas
se laisser dépasser par les évènements. Le retour d'expérience
est particulièrement important. »
Etant en interface directe avec le client, « ici [à l'EPCU, Ensemble
de Préparation des Charges Utiles], on noue des liens de travail assez
forts, la notion de confiance est cruciale. Notre plus-value est là
lorsqu'un souci se présente. Que le problème vienne de nous ou
du client -personne n'est infaillible- il faut le résoudre vite et bien,
ensemble. Ceci passe par des discussions, tout simplement par des
rapports humains. Le clou du spectacle était le transfert de l'ATV au BAF
-j'en ai des frissons rien qu'à y repenser [preuve à l'appui, Elwyne
remonte ses manches] ! Cette étape signifie que les équipes ATV ont
achevé la préparation du cargo. Lors de la mise en CCU (Conteneur
de Charge Utile), je voyais les mains des opérateurs trembler tant
la pression était forte. Nous étions là pour les rassurer et les encourager,
leur montrer qu'on avait confiance en eux. Et tout s'est merveilleusement
déroulé. Sans cette cohésion et cet esprit d'équipe, on ne ferait pas l'ATV,
ou alors dans la souffrance ! »
Intensif
Responsable de Mission ATV-3 pour l'ESA à l'ESTEC, Massimo
Cislaghi est Italien. Outre sa langue maternelle, il parle français,
anglais, russe et il comprend l'espagnol ! De quoi se sentir comme
un poisson dans l'eau au CSG, où il vient régulièrement. « Il est
de ma responsabilité de faire en sorte que la mission soit un succès,
de la préparation jusqu'à la conduite des opérations en vol. Pour cela,
je suis en interface avec l'autorité lanceur qu'est Arianespace et les
partenaires internationaux Nasa et Roscosmos : les centres de contrôle
ATV de Toulouse 2 (France), et les centres de contrôle ISS de Houston 3
(Etats-Unis) et Moscou 4 (Russie), ainsi que le centre d'entraînement
des astronautes à Cologne 5 (Allemagne). » En effet, si les Russes
supervisent les opérations d’approche et d'arrimage du vaisseau
eu égard au fait que l'ATV se docke à la partie russe de l'ISS,
la NASA gère le manifeste du cargo, à savoir 6,6 tonnes de fret
pour l’ATV-3 (eau, air, oxygène, ergols, expériences scientifiques,
pièces de rechange, ravitaillement pour l’équipage, etc.). «Pour cette
campagne, je ne viens que pendant les phases cruciales. A l'ESA,
les postes clefs effectuent des rotations au maximum tous les deux
mois. Pour une campagne type durant six mois, nous avons donc
3 responsables préparation satellite, 3 responsables Assemblage
Intégration et Vérification et 3 responsables Qualité. Objectif : respecter
le planning au jour près. Nous avons tous été frustrés du problème
de chargement qui a généré deux semaines de retard du lancement.
Nous l'aurions eu deux mois plus tôt, il n'avait aucun impact… »
© P. BAUDON
© P. BAUDON
De façon générale, Elwyne voit vivre les équipes. « Certains
exécutants des sous-traitants restent au CSG durant toute la campagne.
Certains rentrent, d'autres font venir leur famille » relate-t-il. « Ils ont
généralement beaucoup d'activités extérieures : chasse, pêche, sorties
touristiques diverses. J'ai beau être Guyanais, ils connaissent certains
lieux mieux que moi !!! La plupart d'entre eux apprécie réellement
la Guyane. » A force de naviguer d'un Européen à un autre et
d'entendre autant de langues dans les couloirs de l'EPCU, Elwyne
savoure toute la richesse des échanges interculturels et aspire
à apprendre l'espagnol et l'allemand, « mais je voudrais commencer
par chez moi, donc par le portugais [Brésil]et le taki [Suriname]. »
Massimo Cislaghi, Responsable de Mission ATV-3 pour l'ESA.
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© ESA
Mei-Mei Stienstra vient spécifiquement de l'ESTEC (Hollande) après le chargement du fret dans le module de service pour prélever et analyser des échantillons d'air.
Quoi qu'il en soit, venir au CSG reste manifestement agréable.
« C'est mon neuvième séjour ici » reprend Massimo. « Il y a un effort
continu et motivé du CNES, d'Arianespace et du CSG en général pour
nous accueillir dans les meilleures conditions. Il est aussi agréable
de travailler au CSG que de vivre quelques temps en Guyane. En tant
que Sud-Européen, j'aime la chaleur et la bonne nourriture, ce que
je retrouve ici. Quelques gouttes en moins auraient été mieux, mais
le séjour reste sympathique, notamment grâce aux liens noués lors
des campagnes précédentes. Environ 80% des détachés ATV-3 étaient
sur l'ATV-2 et au moins 40% étaient déjà sur l'ATV-1, souvent avec
des rôles différents, ce qui rend le travail très intéressant.Travaillant six
jours par semaine, il nous reste peu de temps pour nous divertir !
Or, dans ces campagnes d'envergure, il est très important que les gens
vivent ensemble, sans tension dans les équipes, donc avec des moments
sympas. Il existe une tradition depuis l'ATV-1 : tous les vendredi soirs,
les “Thanks God it’s Friday ” réunissent ceux qui le souhaitent autour
d'un verre. C'est une véritable détente qui soude un esprit de groupe.
Dernièrement, j'ai d'ailleurs eu le plaisir d'y retrouver d’anciens collègues
russes. En cas de problème technique, il est par la suite beaucoup plus
facile de dialoguer pour trouver une solution rapide et efficace. »
2
L'ATV-CC, situé à Toulouse, est chargé de la conduite des opérations de l'ATV et de la
coordination de l'ensemble des moyens sols nécessaires. Développés spécifiquement pour
les opérations ATV, le centre de contrôle nominal ainsi que le centre de secours et une
plateforme de tests permettent d'assurer les opérations des missions récurrentes de l'ATV.
3
Le centre de contrôle de Houston met en œuvre la partie américaine de l'ISS.
Il est l'autorité suprême pour toutes les opérations liées à l'ISS.
4
Le centre de contrôle de Moscou met en œuvre le module de service russe auquel l'ATV
va s'arrimer, il est donc le principal interlocuteur pendant les opérations combinées ATV.
Il gère également la phase de rehaussement de la station.
5
L'EAC, Centre des Astronautes européens, forme les astronautes aux futures missions.
A échelle réelle
De mère chinoise et de père hollandais, Mei-Mei Stienstra est née
en Hollande. Elle y vit toujours, ingénieur au Service Support
Qualité de l'Air à l'ESTEC. Pourtant, c'est à Kourou que nous
la rencontrons, quelques heures avant son retour sur le vieux
continent. Son rôle consiste à garantir la non-toxicité de l'air dans
le module pressurisé de l'ATV-3 -ou module de vie- juste avant
les phases d'intégration : « je viens au CSG durant une à deux
semaines pour prélever et analyser des échantillons d'air dans le module
de service après chacun des deux chargements [fret prévu et fret
de dernière minute, dit “ late cargo ”]. Ces tests se déroulent
parallèlement à ceux des Russes, puisque l'ATV accoste à une partie
russe de l'ISS. Je tenais le même rôle sur l'ATV-2 l'an dernier. »
Si Mei-Mei s'avoue fière et heureuse de participer au projet ATV,
«programme aussi ambitieux que complexe», venir au CSG est pour
elle « tout à fait remarquable : l'ATV m'a offert la possibilité d'aller
travailler sur une campagne, sur un site de lancement. Alors qu'en
laboratoire nous réalisons nos tests sur de petits modules, ici je travaille
sur le cargo réel, bien plus grand. Techniquement, c'est très intéressant,
qui plus est au sein d'une équipe et d'une ambiance agréables ; l'accueil
du CSG est toujours plaisant. Et puis j'apprécie la Guyane, tant pour son
environnement que pour son climat, la nourriture, les gens que l'on
rencontre. Je serai probablement de retour l'an prochain pour l'ATV-4 !»
Toutes les grandes épopées sont entaillées de pertes inestimables.
De l'ATV-1 à l'ATV-3
D'avis commun, on ne vit plus les campagnes ATV, devenues
annuelles et donc rodées, de la même façon que la toute
première en 2007. Selon Massimo Cislaghi, « l'ATV-1 était
un prototype. L'objectif était un vol de démonstration, et l'échéance
de lancement était moins primordiale, l'important était de bien
lancer. » Pour sa part, Elwyne Fredericks gage l'importance
de «savoir se remettre en cause pour conserver les mêmes vigilance
et dynamique. »
Latitude 5 se joint à l'ESA pour rendre hommage à deux hommes
qui, quelque part, sont récemment partis tout là haut, à côté
de l'ATV : Bachisio Dore, « dont l'apport aura été fondamental sur
les deux premières campagnes et le début de cette troisième » loue
Massimo Cislaghi, et Fabio Sintoni, qui travaillait sur le segment
sol à Toulouse. 4
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