Croix Rouge Libanaise : un authentique partenariat pour un projet

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Croix Rouge Libanaise : un authentique partenariat pour un projet
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Croix Rouge Libanaise : un authentique
partenariat pour un projet de formation
des volontaires
Rev Med Suisse 2009 ; 5 : S28-S31
O. Hagon
B. Crettenand
Pecorini
N. Jabr
J.-P. Stamm
The volunteers of the Lebanese Red Cross
provide pre-hospital emergency care services throughout the country during times
of peace and also during the multiple conflicts. Their services include first aid, basic
patient care at home and in the station but
also transport of critical care patients often
without any medical assistance.This project
aims to improve the training of the volunteers through the implementation of a Training of Trainer model. This program achieves the education of 24 instructors with
certification criteria above 75%. Those instructors will educate the trainers who will
in turn educate the volunteers.
This project, supported by Swiss Humanitarian Aid Unit, is a partnership between
University Hospital of Geneva, ICRC, and
the paramedic’s high school of Geneva.
INTRODUCTION
L
a Croix Rouge Libanaise (CRL –
www.redcross.org.lb) a été créée
en 1946 et est membre de la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge (www.ifrc.org).
Elle a été mandatée par le ministère de la
Santé pour assurer les premiers secours
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préhospitaliers sur l’ensemble du territoire.
Le dévouement des volontaires secouristes de la CRL en toutes circonstances
et sans discrimination permet à la CRL
d’être reconnue et acceptée comme une
organisation humanitaire neutre et impartiale par la population quelle que soit
l’appartenance politique ou religieuse.
Le département des équipes secouristes de la CRL est composé de 2600
volontaires, repartis dans 43 stations couvrant la totalité du territoire libanais (environ quatre millions d’habitants sur une
superficie de 10 000 km2).
Hommes et femmes, toutes origines
sociales et professionnelles confondues,
les volontaires secouristes assurent gratuitement les premiers soins à la population 24 heures sur 24.
En 2008, le nombre de missions des
équipes secouristes de la CRL était de
194 389 (166 172 en 2006 ; 177 053 en
2007) réparties comme suit :
• 39,5% : premiers secours préhospitaliers et transport médical urgent.
• 4,7% : soins à domicile.
• 52,5% : premiers soins dans les stations.
• 3,1% : divers (unités de sang, transport
de corps, évacuations de civils en danger…).
Avec l’aide d’experts du CICR (www.
cicr.org), la CRL a élaboré une stratégie
nationale sur cinq ans, incluant parmi
d’autres éléments, la modernisation et la
standardisation de la formation de ses
secouristes. L’Aide Humanitaire Suisse
(SDC/HA) a décidé d’apporter son soutien financier pour une durée de trois ans
au volet «formation».
ÉVALUATION
«Vos urgences et nos urgences, ce ne
sont pas les mêmes. Si l’on veut vous
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offrir une aide efficace, il faut d’abord bien
vous connaître !» Tel a été le postulat de
la mission d’évaluation réalisée par une
équipe d’experts suisses issus des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et
de l’Ecole supérieure de soins ambulanciers de Genève (ECAMB). Impliqués,
comme «dossard» (appellation des secouristes débutants à la CRL) dans plus
de 30 missions réparties entre urgences,
transports, soins à domicile et à la station, nous avons pu aussi apprécier le
système de santé. Des réunions de travail ont été menées avec les acteurs locaux pertinents, tels que le ministère de
la Santé, les chefs de service des urgences des principaux hôpitaux.
RÉSULTATS
• Création d’un département «formation».
• Les volontaires de la CRL fournissent
une très large palette d’assistance sanitaire à la population, comprenant :
– une réponse aux urgences médicales et traumatiques, incluant le secours
en montagne (été, hiver).
Une secouriste et une candidate secouriste (dossard (voir texte)) en
mission
(Source Florian Ozainne).
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– Des soins à domicile et des soins à
la station (pansement, traitement de
brûlures, retrait de fils de suture, contrôle de glycémie de diabétiques, etc.).
– Des transports d’urgence et des
transports secondaires enfant ou adulte (domicile, interhospitaliers).
– Une réponse aux conséquences d’un
accident de masse (explosions, bombardement…).
– Des missions diverses (unités de
sang, transports de corps, aide aux
populations, évacuations de civils en
danger…).
Les volontaires ont d’autres activités,
telles que :
• des collectes de fonds.
• Le recrutement de nouveaux volontaires.
• La formation et l’entraînement.
• La maintenance des locaux et des véhicules.
IDENTIFICATION DES POINTS
FORTS ET DES LACUNES
Points forts
• Les services sanitaires rendus à la population sont essentiels pour l’ensemble
de la population libanaise.
• Dans un contexte géopolitique local
fragile, les services sanitaires, confiés à
la CRL, fonctionnent avec des non-professionnels de santé, tous volontaires.
• Les volontaires de la CRL sont respectés et reconnus par l’immense majorité
de la population.
• La motivation, l’enthousiasme et l’engagement des volontaires pour augmenter
leurs connaissances sont remarquables.
la situation. A cela se rajoute une carence
en protection personnelle.
• Les techniques de manutention des
patients ne sont pas connues ou maîtrisées, engendrant des maux de dos et
d’autres arthropathies. Enfin, les mesures
d’hygiène de base sont très variables.
Organisation
• Les équipages des ambulances sont
variables de deux à cinq personnes.
• Les contrôles des véhicules ne sont
pas standardisés.
• Absence de rapport d’intervention écrit
à destination des professionnels hospitaliers. Toutefois, il existe un recensement
écrit interne à la CRL.
• Certains équipements médicaux sont
utilisés de manière inadéquate ou incomplète.
Soutien psychologique
• L’impact psychologique des missions
est largement sous-estimé, malgré la mise
en place par certaines stations d’une
forme de defusing et débriefing1 après les
missions.
• Certains volontaires souffrent de symptômes compatibles avec un stress posttraumatique comme décrit chez les sauveteurs brésiliens.2
(140 heures) et rédaction du support de
cours par les instructeurs libanais sous
la supervision des experts suisses.
• Phase 2 : formation des formateurs par
les instructeurs libanais sous la supervision des experts suisses.
• Phase 3 : formation des volontaires (actifs et nouveaux) par les formateurs sous
la supervision des instructeurs libanais
et des experts suisses.
• Phase 4 : évaluation des volontaires,
formateurs et instructeurs et adaptation
du programme.
Une dotation en équipements pédagogiques complétera le soutien donné à
la CRL, notamment par la création d’unités mobiles de formation.
FINANCEMENT
Le budget prévu par SDC/HA pour
la première année (2008) est de CHF
340 000.–.
CONCEPTION D’UN CURRICULUM ET MISE EN ŒUVRE DE
LA FORMATION
Formation technique
• La préparation technique actuelle des
secouristes de la CRL est une formation
de 60 heures plutôt destinée au grand
public.
• Les nouveaux secouristes bénéficient
d’une longue période de «coaching» sur
le terrain, d’environ une année.
Expériences antérieures
Les entretiens que nous avons eus
avec les autres ONG ayant œuvré dans
la formation nous ont permis d’anticiper
certaines difficultés prévisibles.
En partenariat avec le Département
de la formation et le Comité médical de la
CRL ainsi qu’avec le CICR, nous avons
conçu un curriculum de formation en utilisant les références de l’OMS 3,4 et en
tenant compte de tous les types de prise
en charge effectués par les secouristes
volontaires afin d’établir le programme de
formation.
Le partenariat avec l’ECAMB nous a
permis de bénéficier de leur compétence
pédagogique et d’établir avec certains
enseignants une collaboration étroite.
L’équipe enseignante est constituée
avec le recrutement d’ambulanciers(ères)
(Croix Rouge Suisse CRS), d’infirmiers
(ères) spécialisé(e)s, de pédagogues et
de médecins anesthésistes urgentistes.
STRATÉGIE DU PROJET
EN QUATRE PHASES
LE PROGRAMME
«SUR MESURE»
Sécurité et hygiène
• Le dévouement et l’abnégation dont
font preuve ces volontaires engendrent
souvent de la précipitation avec un manque d’évaluation de la sécurité et l’apparition d’un effet de vision «tunnel», ne laissant pas la place à une vision globale de
Le projet de formation vise à permettre à la CRL de pérenniser sa capacité
de formation, sur la base d’un système
pyramidal à partir d’un noyau d’instructeurs nationaux. Le projet a été séquencé
en quatre phases :
• Phase 1 : formation des instructeurs
• Un module médical (70 h, juillet 2008)
comprenant : examen initial et secondaire
du patient ; urgences cardiovasculaires y
inclus réanimation cardio-pulmonaire, défibrillateur AED ; réanimation pédiatrique
et néonatale; urgences respiratoire et neurologique ; accouchement inopiné ; hygiè-
Lacunes
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Accident de masse
• Grande expérience de la CRL.
• Absence de plan de gestion des crises,
tant au niveau gouvernemental, que de
celui de la CRL.
• Absence de triage, de médicalisation
sur le terrain et manque de coordination
avec les partenaires.
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ne, sécurité et protection personnelle ;
pédagogie.
• Un module traumatique (70 h, novembre 2008) comprenant : évaluation du site ;
cinétique des traumatismes ; éducation
à la population ; retrait du casque ; accès
aux patients incarcérés et évacuation rapide ; traumatismes pédiatrique et gériatrique ; traumatismes de la face et des
voies aériennes ; traumatismes thoracique, abdominal et génito-urinaire ; traumatismes cranio-cérébral et colonne vertébrale, plaies oculaires ; état de choc,
crush syndrome et blast ; traumatismes
musculo-squelettique et des tissus mous ;
morsures ; urgences environnementales ;
soins à la station (bandages, pansements,
ablation des fils, hygiène et désinfection,
stérilisation) ; immobilisation et relève ;
pédagogie.
• Un module catastrophe comprenant
deux exercices catastrophe (septembre
2008 et février 2009). Un premier pour
faire un état de lieu et établir avec les
volontaires un plan de gestion de la crise,
et un second pour tester les nouvelles
procédures.
Le programme a été réalisé sur une
durée totale de 26 jours. Afin de s’adapter aux réalités des volontaires, pour chaque module, les cours ont été planifiés
durant deux week-ends à plein temps et
à temps partiel pendant la semaine (après
les heures de travail ou d’étude).
Au cours de cette formation initiale,
les (futurs) instructeurs devaient travailler
à l’élaboration du référentiel de la CRL
pour la formation des formateurs ainsi que
des secouristes. Il sera disponible dans
les trois langues d’usage local : anglais,
arabe et français.
RECRUTEMENT ET PRÉPARATION DES INSTRUCTEURS
NATIONAUX PAR LA CRL
Les critères requis pour s’inscrire à la
formation d’instructeur national étaient :
• une expérience de terrain minimale de
trois ans ;
• la participation à la formation en interne à la station ;
• une pratique courante de l’anglais.
La sélection des participants recherchait une parité homme-femme et une
représentativité géographique de l’ensemble du territoire.
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Au final, 26 instructeurs ont été retenus parmi plus de 100 candidatures provenant de quinze stations différentes :
30% de femmes pour 70% d’hommes ;
une expérience de terrain moyenne de
six ans et un engagement de rester à la
CRL pour trois ans.
Nous avons requis la lecture préalable des chapitres du livre de référence 5
choisi par la CRL. Ensuite, le niveau de
leurs connaissances a pu être établi à
l’aide d’un questionnaire mis en ligne sur
un site spécifique.
Les candidats ont la possibilité de se
représenter à un deuxième examen théorique et/ou pratique (tableau 1).
Pour des raisons professionnelles, deux
des candidats ont abandonné la formation.
ENJEUX DU PROJET
• La mise en place d’une telle formation
nécessite du temps dans un contexte
géopolitique fragile. Il faut comprendre
l’existant, tenir compte des habitudes et
des possibilités, et anticiper les changements dus à d’éventuelles crises.
• Conscientes de la qualité des services
rendus par la CRL, les autorités politiques locales ont rapidement soutenu ce
projet. Convaincus par la pertinence des
objectifs, et la méthodologie choisie, la
direction des HUG, le CICR et l’ECAMB
se sont engagés comme partenaires. Il
en est de même pour la «Middle East Airlines» MEA, compagnie aérienne nationale qui assure son soutien par l’acheminement du matériel.
• Des tentatives précédentes de formation de secouristes par d’autres organisations ont échoué. Elles exportaient des
programmes «clés en main» peu ou pas
du tout adaptés aux réalités libanaises.
Cela a généré un certain scepticisme chez
les volontaires quant aux projets soutenus par des acteurs extérieurs.
• Les secouristes qui ont déjà une longue expérience peuvent se sentir en danger face aux jeunes volontaires formés
selon le nouveau programme de formation. Il est dès lors essentiel d’avoir une
bonne information permettant d’atteindre l’ensemble des volontaires de toutes
les stations. Les professionnels de santé
travaillant dans le milieu hospitalier doivent également être informés des compétences acquises par les volontaires.
• Il faut étayer la valeur scientifique par
des indicateurs choisis avec le comité médical de la CRL et démontrant une amélioration de la qualité des soins par la
nouvelle formation.6
• L’autonomisation de la formation, la décentralisation risquent d’altérer la qualité
de l’enseignement. Afin d’assurer l’efficacité et la pérennité de la formation, nous
devons établir avec tous les acteurs impliqués dans cette formation, un contrôle de qualité par des indicateurs ciblés,
ainsi qu’un recyclage annuel des compétences.
CONCLUSION
La caractéristique principale de ce projet réside dans la volonté constante de
rester en adéquation avec la réalité des
volontaires, sans chercher à reproduire
un programme «importé».
Le déroulement de la formation est
encourageant car l’assiduité et l’évaluation des instructeurs sont très positives,
Tableau 1. Résultats de la phase 1
Trois modules : médical, traumatique, exercices catastrophe ; * repêchage possible en février 2009.
Réussites
Echecs
Remarques
Théorique (questions à choix
multiples et questions ouvertes,
seuil de réussite à 75%)
19
5*
• Moyenne pré-test :
– médical 54%
– traumatologique 70%
• Moyenne post-test :
– médical 70%
– traumatologique 81%
Un échec définitif après deux examens
Pratique (simulation d’une
mission)
23
0
Résultats globaux après deux examens
Une candidate ne se présente pas *
Pédagogique (présentation
d’une leçon préparée avec
des objectifs déterminés)
23
0
Une candidate ne se présente pas *
Types d’examen
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – mai 2009
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probablement parce que ce projet répond
à une attente. Les éléments qui permettent d’être optimiste sont multifactoriels
et peuvent se résumer comme suit :
• Le but final est l’autonomie. Le projet
est conduit par la CRL et l’ensemble des
organisations partenaires sont présentes
comme supports.
• SDC/HA s’est engagée pour une période minimale de trois ans.
• La valorisation de la formation par des
partenaires, sur le plan local : la CRL, ministère de la Santé, ordre des médecins,
la société libanaise de médecine d’urgence, et international : SDC/HA, le CICR, les
HUG et l’ECAMB.
L’expérience de la conception de ce
projet de formation et le bon déroulement
nous laissent entrevoir la possibilité de
pouvoir l’étendre à d’autres pays, toujours en maintenant la même volonté de
rester proche de la réalité locale et d’impliquer étroitement les acteurs locaux
concernés.
S0
Bibliographie
1 Cudmore J. Preventing post traumatic stress disorder in accident and emergency nursing. A review of the
literature. Nurs Crit Care 1996;1:120-6.
2 Berger W, et al. Partial and full PTSD in Brazilian
ambulance workers : Prevalence on health and on quality
of life. J Trauma Stress 2007;20:637-42.
3 Resource matrix for prehospital trauma cares systems 29-35 ; Prehospital trauma care system, WHO,
Geneva 2005.
4 Essential trauma care project : 1-16 ; injuries and violence department ; international association for the sur-
gery of trauma and surgical intensive care ( IATSIC) and
international society of surgery, and WHO, Geneva September 2004.
5 Emergency. Care and transportation of the sick and
injured : Editors B. Gulli, L. Chatelain, C. Saford. American
Association of Orthopedic Surgeons AAOS, 9th Edition,
2005.
6 Arreola-Risa C, et al. Effect of emergency medical
technician certification for all prehospital personnel in a
Latine America City. J Trauma 2007;63:914-9.
Adresses
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – mai 2009
Dr Olivier Hagon
Service de médecine internationale et
humanitaire
HUG, 1211 Genève 14
[email protected]
Béatrice Crettenand Pecorini
SDC/Humanitarian Aid and SHA
Sägestrasse 77, Köniz
3003 Berne
[email protected]
Nabih Jabr
Responsable du département formation
à la CRL
Lebanese Red Cross- Emergency
Medical Service
Hazmieh, facing Superior Islamic Chiite
Council
Lebanon
[email protected]
Dr Jean-Pierre Stamm
Responsable du groupe médecine
Aide humanitaire Suisse SKH-AH
Sägestrasse 77, Köniz
3003 Berne
[email protected]
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