La famille aujourd`hui - Médiathèque d`Oyonnax
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La famille aujourd`hui - Médiathèque d`Oyonnax
Médiathèque municipale d’Oyonnax 24 janvier 2014 (32 personnes) 9eme Café Philo La famille aujourd’hui Famille recomposée, monoparentale, homoparentale, adoptive… Les structures familiales et la définition même de famille évoluent. Autonomisation de la femme, déclin de l’autorité parentale, affirmation de l’enfantroi, développement de la monoparentalité, apparition de l’homoparentalité : les repères classiques de la famille sont bouleversés. Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Animé par Alain Vallée ______________ L’étymologie du mot famille nous réserve quelques surprises : il dérive du latin famulus qui désigne… le serviteur ou l’esclave attaché au service de la maison, le domestique. Et la Familia est l’ensemble des personnes vivant sous un même e toit, le maître de maison, son épouse, ses enfants, les domestiques. Jusqu’au XVII siècle, famille voudra dire la maisonnée, l’ensemble de ceux qui vivent dans la même maison. Parents est issu du verbe pario «enfanter, mettre au monde, produire», avec un sens plus large et symbolique que geno ou gigno, qui désignent proprement la procréation et d’où viennent en français génération, engendrer, engendrement, et en latin gens, la souche, la lignée, la descendance ; le sens primitif de pario est procurer pour mieux approvisionner, pourvoir. Les parents sont les pourvoyeurs de toutes choses, ceux qui donnent la vie et la nourriture. Aux origines de la langue française, il y a donc un rapport étymologique entre parenté et enfantement, par contre, il n’y a aucun rapport étymologique entre famille et filiation. ème ème Cela dit, la Famille est une généralité, une abstraction apparue tardivement (XIV siècle), après familier (début XII ) ème ème et familiarité (fin XII début XIII ), beaucoup plus concrets. C’est pourquoi de nos jours, on lui ajoute un adjectif pour comprendre de quoi on parle : on parle ainsi de familles nucléaires, élargies, recomposées, monoparentales, homoparentales, adoptives. Selon les statistiques de l’INSEE, en 2011, 70% des enfants vivent dans des familles nucléaires, 11% dans des familles recomposées, 18% dans des familles monoparentales, 2% dans des familles adoptives. Qu’est-ce qu’une famille nucléaire ? C’est le noyau (nucleus) familial : le père, la mère, les enfants. Elle s’oppose comme telle à la famille « élargie » : les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins. Cette famille élémentaire, noyau de la cellule familiale, n’est pas toutefois la famille minimale car il peut y avoir des familles monoparentales. Certains auteurs font la distinction entre ménage et famille. La famille naît pour eux dès qu’il y a un enfant. A la retraite, les enfants partis, on a d’ailleurs l’impression de se retrouver davantage en couple ou en ménage qu’en famille. Notre discussion peut alors se résumer à partir de quelques grandes questions. Une société peut-elle se passer de famille ? Remarquons que, pour cette première question, les «grands» philosophes ne nous aident pas beaucoup, faute d’être d’accord entre eux : pour Aristote, la famille est la base de la société ; Platon son maître, au contraire, dans La République, veut la dissoudre pour élever les enfants dans une communauté. Pour nous, la famille, de tout temps, est nécessaire, à titre individuel et sociétal : un enfant ne peut vivre qu’au contact d’autres êtres humains dont il reçoit la nourriture et les soins nécessaires à sa survie (le parent est d’abord celui qui pourvoit à cela), mais aussi les clés de son humanité (langue, codes sociaux, comportements, valeurs). Si l’homme ne devient un homme que par l’éducation, il est impossible de se passer de la famille pour cette dernière : elle est le lieu de notre humanisation première. Une communauté peut certes humaniser au sens où elle peut transmettre langage et compréhension du monde, mais elle prépare à une vie collective et moins à un attachement unique : nous apprendra-t-elle à aimer ? Aimer quelqu’un c’est le trouver et du coup le rendre unique, pas interchangeable : c’est sans doute cela qui rend la famille si précieuse et irremplaçable, car elle est l’école du sentiment. Mais n’est-on pas, en disant cela, prisonnier d’un regard occidental ? En Afrique, un enfant est élevé par toute une tribu. C’est vrai, mais la famille nucléaire a existé partout et de tout temps, y compris en Afrique et l’influence des parents nous semble nécessaire à la structuration de l’enfant. Par exemple, dans une famille de plus de 10 enfants, comme il pouvait 1 en exister naguère, il n’y avait pas toujours la même relation avec les parents, et parfois moins d’affection ou de règles ; à moins qu’il n’y ait des substituts ou des relais : des gouvernantes, des nourrices, des précepteurs, comme dans certaines classes de la société. La famille nous semble donc à la base de notre identité. La famille est-elle source de valeur ou lieu d’enfermement ? Aujourd’hui, la famille est revendiquée comme le lieu par excellence de l’épanouissement individuel : un port d’attache indispensable, un refuge, un lieu où se ressourcer… Surtout quand il y a des difficultés au travail. Elle est d’abord le lieu de l’intimité où l’on peut exprimer ses sentiments, être soi-même, en échappant au regard d’autrui. Elle véhicule des valeurs essentielles : le partage, l’affection, la solidarité. A ces valeurs, on peut ajouter la stabilité, la permanence : les enfants en ont besoin, ils n’aiment guère le changement : en cas de divorce, ils ne perdent pas leurs parents mais tout de même ce qui était leur famille. Ainsi, il nous semble important de dire à nos enfants « Partez » (« Vos enfants, dit Khalil Gibran, ne sont pas vos enfants », ils ont à prendre leur envol) « mais s’il y a un problème, vous pouvez revenir, quel que soit votre âge. Ce que, chômage et divorce aidant, ils font bien souvent au point que les sociologues parlent de la « génération boomerang ». Dans la littérature, les œuvres de Marcel Pagnol par exemple (La gloire de mon père, Le château de ma mère) nous offrent cette image positive de la vie de famille. La famille toutefois n’est pas seulement cette bulle, ce cocon où il fait bon vivre. Elle peut déshumaniser (il y a des enfants battus, martyrisés) ou emprisonner : famille nucléaire ou cellulaire, disions-nous et pour l’un d’entre nous cela évoque aussitôt la prison. Vipère au poing, Le nœud de vipères, « familles, je vous hais » : la littérature nous présente aussi une critique virulente de la famille. Ya-t-il une forme naturelle de la famille ? La famille naturelle ou idéale reste pour beaucoup d’entre nous la famille nucléaire, traditionnelle : un père, une mère (qui sont les géniteurs et évitent de divorcer) et des enfants. Mais sans doute avons-nous tendance à confondre ce que nous vivons aujourd’hui majoritairement avec ce qui est la norme ou ce qui est naturel, ce qui est l’idéal. Naguère, les manuels scolaires présentaient la famille à travers quelques images d’Epinal : papa lit le journal, maman fait la cuisine, la petite fille joue à la poupée, le garçon avec ses petites voitures. Mais la famille évolue : les mères travaillent, les pères participent aux soins des enfants. Convenons donc qu’il n’y a pas de famille naturelle. Avec les évolutions de la technologie, il y a aujourd’hui des familles PMA, IAD. Et aussi des familles monoparentales, recomposées, homoparentales, adoptives : le parent qui éduque et élève ne se confond plus toujours avec le géniteur. C’est donc sur les deux dernières formes de famille (adoptive puis homoparentale) que se poursuit notre discussion. Que penser des familles adoptives ? Qu’est-ce qu’un « vrai » parent ? Celui qui a engendré ? N’est-ce pas plutôt celui qui aime et qui élève ? Combien de temps faut-il pour procréer un enfant ? Et combien pour l’élever ? Qu’est-ce qui fait qu’un enfant est le nôtre ? C’est l’attention qu’on met à l’élever qui crée des liens familiaux, plus que la biologie et les liens du sang. Il y a donc plusieurs manières tout aussi valables de faire famille. Certains films, comme le récent Tel père, tel fils, montrent que les liens du sang ne sont pas essentiels au regard des liens qu’on construit au fil du temps en vivant ensemble. Si certains enfants adoptés cherchent, à partir de l’adolescence, à retrouver leurs origines, c’est leur droit, un droit que la loi leur reconnait de plus en plus. On aurait pu ajouter, tous les jeunes adoptés en témoignent, que chercher les origines, ce n’est pas d’abord chercher des parents. Notre discussion s’achève enfin avec l’évocation des familles homoparentales. Quel devenir pour les enfants ? Une famille homoparentale peut-elle être un noyau familial équilibrant pour un enfant ? On serait tenté de croire que non. Le recul dont on dispose maintenant par rapport aux cas réels paraît montrer qu’il n’en est rien. Mais quel intérêt faut-il chercher en priorité : celui des parents potentiels, ou celui de l’enfant ? Peut-on parler d’un droit à l’enfant ? Notre discussion a lieu quelques mois après l’adoption de la loi dite du « mariage pour tous » et, à l’image des Français d’aujourd’hui, nous sommes divisés. Il y a ceux qui sont « choqués » ou qui, du moins, émettent des réserves : le mariage est l’unité de différents, contraires et complémentaires. Un enfant, pour se construire, a besoin d’un père et d’une mère, de passer par l’étape du complexe d’Œdipe. Un enfant né d’une PMA et élevé dans une famille homoparentale peut-il accéder à la différence des sexes et, partant au respect de l’altérité ? Quelle image a-t-il d’une mère ? Refuser le droit au mariage, au profit d’un contrat qui donne les mêmes droits (mais sans droit à l’enfant) aurait peut-être été préférable. Pour d’autres, il est fondamental que les gays aient les mêmes droits : droit au mariage, droit à l’enfant. Des enquêtes montrent que les enfants élevés dans des familles homoparentales n’ont aucune carence. N’avons-nous pas surtout peur des changements dans la famille : on avait, pour les enfants, les mêmes craintes, il y a vingt ans, à propos du divorce, et l’expérience montre que les enfants ont su s’adapter. Et il vaut assurément mieux avoir deux parents du même sexe qui s’aiment que deux parents de sexe différent qui se déchirent. N’avons-nous pas avant tout besoin d’amour pour nous construire ? Catherine VALLEE & Béatrice SCOLA (notes) 2