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Un bouquin dont on fait grand K.
Philippe avec un grand H, de
Guillaume Bourgault
Vents d’Ouest, Coll. Ado, 2003, 195 p., 11,7 €.
samedi 28 avril 2007, par Lionel Labosse
Un excellent ouvrage simple et direct, qui donne un aperçu de l’homophobie outreatlantique et des moyens d’y remédier. Philippe avec un grand H est aussi un bon support
pour les profs de français européens qui veulent étudier les idiotismes francophones.
C’est enfin une preuve qu’on peut être écrivain et militant sans être taxé de prosélytisme.
Quel éditeur ou diffuseur donnera à ce roman l’audience qu’il mérite en France ?
Le roman est précédé d’un « Mot de l’auteur » qu’il faudrait citer en entier. On n’est pas
encore près de trouver l’équivalent en France : « Au Québec, près de 40 % des suicides
chez les jeunes hommes de quatorze à vingt-cinq ans sont liés à la non-acceptation
de leur homosexualité, par eux-mêmes ou leur entourage. Aussi, chez les gais, la
première cause de mortalité n’est pas le sida, mais bien le suicide ». L’auteur se
présente comme militant, et évoque les réactions des élèves lors de ses interventions
« dans les cours de F.P.S. (formation personnelle et sociale) » : « Les questions des
élèves sur nos vécus démontraient leur manque d’information et les préjugés
transmis par leur entourage ». Ces maudits cousins d’outre-atlantique sont donc les
mêmes que nous, mais ce qui est dit dans le roman ainsi que l’impressionnante liste
d’adresses d’associations régionales d’aide aux jeunes gais qui figure en annexe, semble
prouver qu’ils se serrent les coudes, et qu’on leur permet d’agir. On a donc le paradoxe
d’une homophobie plus virulente, comme aux États-Unis (« gay-bashing » évoqué à
plusieurs reprises) coexistant avec une action plus visible de lutte contre l’homophobie.
En effet, avec la délicieuse hypocrisie qui fait le charme de notre vieille Europe, on
n’imagine pas encore d’éditeur jeunesse généraliste proposer en annexe tout cet appareil
militant. À moins qu’en France, l’homophobie soit aussi violente, mais que les médias
généralistes la taisent. Il est vrai que pour faire la une de tous les journaux télévisés, le
premier imbécile venu a plus vite fait de gribouiller une simple croix gammée dans un
cimetière juif que d’assassiner froidement un homosexuel. Il est clair que le graffiti
antisémite est nettement plus grave et surtout plus médiatique — et plus porteur pour un
politicien en mal de populisme — que l’assassinat homophobe.
Parlons maintenant du style de l’ouvrage. Il est efficace, l’auteur n’hésite pas à employer
les mots crus quand ils sont nécessaires (voir p. 160 une insulte particulièrement
vulgaire), au point qu’en France en tout cas, je déconseille aux prescripteurs de le donner
à lire à partir de 12 ans, comme le propose la couverture. Il semble plus raisonnable
d’attendre 15 ans, même si le personnage, malgré la médiatisation qu’il donne à son
orientation sexuelle, n’a pas la moindre expérience concrète, ni ne semble la rechercher
(attitude qui ne laisse d’étonner dans plusieurs d’ouvrages récents de notre sélection).
L’abondance des québécismes n’est pas sans accroître notre plaisir, et c’est un excellent
biais pédagogique, à mon avis, de présenter la lecture de cet ouvrage à des élèves
européens comme un exercice sur l’altérité linguistique avant l’altersexualité. On attend
donc avec impatience que des éditeurs hexagonaux, si prompts à faire traduire des
ouvrages (excellents) du norvégien et du swahili, nous donnent également accès à ces
romans canadiens francophones, si exotiques et pourtant si proches, qui font l’économie
d’une traduction pour deux pages de glossaire. Il est parfois agaçant que la francophonie
soit si dépendante de modes inconstantes. Dans les années 70 on ne jurait que par le
Québec et on ignorait le Mali, maintenant c’est le contraire ! Voici donc un petit aperçu
de nos québécismes, pour vous allécher : « Il n’y a que les fifs qui ont des chums de
filles ! » (p. 81) ; « j’haïs ça » (passim) ; « lectrice de nouvelles » (i.e. speakerine, p.
138), etc. Un parti pris à comparer à celui, fort différent, constaté dans Requiem Gai, de
Vincent Lauzon, un roman canadien très proche par le contenu, si différent dans la forme.
Entrevue de Guillaume Bourgault
Auteur de Philippe avec un grand H
samedi 28 avril 2007, par Lionel Labosse
« Les ados sont déjà bombardés par des images faisant référence à la sexualité. Alors
même si on ne le mentionne pas explicitement, ils se l’imagineront. Ce que je déplore le
plus, c’est que la sexualité est de plus en plus présentée hors contexte, comme une fin en
soi, sans la tendresse et la communication qu’elle nécessite pour être vécue de manière
constructive. C’est d’ailleurs ce qui m’apparaissait le plus important, car les jeunes bien
souvent ne pensent à l’homosexualité qu’en fonction de la génitalité. »
Lionel Labosse, pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à
notre entrevue. Pour commencer, souhaitez-vous réagir à notre article sur Philippe
avec un grand H ?
L’insulte à la page 160 est bien gentille à côté de ce que j’avais écrit au départ, ainsi
qu’un peu partout dans le roman… et aussi à côté de tout ce que j’ai pu entendre quand
j’avais cet âge. J’avais un souci de réalisme, mais j’ai dû faire des compromis et faire
confiance à mon éditeur pour atteindre mon objectif, qui était d’être lu dans les écoles.
Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié ?
Je termine cette année un bac en génie chimique à l’École Polytechnique de Montréal.
Je ne me considère pas quelqu’un de très littéraire, je suis seulement curieux de tout et
n’importe quoi. Mon incursion sur la scène littéraire en tant qu’auteur est accidentelle si
je puis dire. J’avais un message à passer, un objectif, et j’ai pris le chemin le plus court
pour y arriver. J’ai bien d’autres idées, mais je me sens de plus en plus loin du monde des
ados (les adultes de demain) pour leur parler d’une façon qui les touche. Si j’écris
d’autres romans, ce sera parce que j’aurai un message bien précis à passer.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de
l’intrigue ?
Le personnage principal, Philippe, est un adolescent de 15 ans qui se découvre une
attirance physique et affective pour les hommes. Il comprend alors toutes les implications
de sa différence et cela déclenche en lui une série de questionnements sur les stéréotypes
et les rôles sociaux traditionnels.
À quelle classe d’âge votre livre s’adresse-t-il ? S’adresse-t-il plutôt aux écoliers,
collégiens, lycéens ?
J’ai écrit ce livre pour les étudiants du secondaire (12 ans et plus). Mon objectif étant de
faire une différence dans le climat homophobe qu’on rencontre toujours dans les écoles
secondaires, il fallait penser à ce qu’on le lise le plus tôt possible. Les premières années
après la découverte de l’homosexualité sont particulièrement cruciales, et les
traumatismes peuvent être longs à guérir. Au contraire, une bonne acceptation du milieu
menant à une bonne estime de soi fait toute la différence dans tellement tous les aspects
de la réussite sociale et professionnelle. Même si certains passages du roman sont un peu
crus, le destiner à un public de 15 ou 16 ans serait le faire passer à côté de son objectif
premier.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde - de près ou de loin les questions altersexuelles ?
J’ai compris que j’étais gai à 14 ans. J’avais bien une idée de ce que c’était, mais toute
la littérature ou l’information que j’ai pu trouver à ce sujet traitait de l’homosexualité
comme le fait des adultes, ce qui a amplifié mon sentiment d’isolement. Pourtant, j’avais
comme une intuition que je n’étais pas le seul de mon âge qui faisait cette prise de
conscience. J’ai vu combien ce sujet était tabou, même si on en parlait un peu dans les
cours de FPS. Il n’y avait pas de modèle d’adolescent gai, nulle part, et j’ai compris
qu’on manquait d’outils pour en parler. Qu’à cela ne tienne, j’allais en créer un, en me
basant sur ce que je connaissais de mieux : moi-même. Je voulais donc briser le sentiment
d’isolement des adolescents découvrant leur homosexualité (particulièrement en région,
où se déroule l’intrigue), et aussi sensibiliser les autres adolescents à la réalité. En la
montrant telle qu’elle est vécue, de l’intérieur, je savais que cela aurait un impact positif
sur les attitudes homophobes.
Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou roman
« LGBT » ?
Je déteste toutes les étiquettes et les catégories. Je comprends ce besoin de se regrouper,
étant donné la perception de marché restreint des éditeurs face à la littérature campant de
manière exclusive ou dominante la réalité des LGBT. Mais pour ma part, je trouve
qu’une telle étiquette ne servirait pas mon propos car mon roman s’adresse autant aux
LGBT qu’aux hétéros.
Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la
perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférezvous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
Je préfère dire que mon roman s’inscrivait dans une perspective humanitaire ou alors de
solidarité sociale. La souffrance et l’isolement des adolescents LGBT, menant souvent au
suicide, des dépendances aux drogues, alcool ou à une faible estime de soi aux
conséquences désastreuses, cette souffrance donc, n’a pas sa raison d’être. Tout le monde
y perd car on ne peut pas profiter de la créativité et de la sensibilité différentes dont ils
sont porteurs. Je ne lutte pas spécifiquement pour l’amélioration du sort des LGBT. J’ai
un grand désir de contribuer à améliorer le monde dans lequel on vit, et lorsque j’avais 16
ans (au moment d’écrire ce roman), c’est la réalité que je connaissais.
Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ?
Qu’est-ce qui est selon vous tabou ?
Oui. Tout est dans le traitement. Le pire selon moi est de ne pas parler de quelque
chose.
Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse
doit être revue ou supprimée ? Pourquoi ?
Il vaudrait mieux veiller à ce qu’elle soit appliquée de manière non-discriminatoire.
Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel
selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
Il faudrait se garder de le faire à chaque fois. Les ados sont déjà bombardés par des
images faisant référence à la sexualité. Alors même si on ne le mentionne pas
explicitement, ils se l’imagineront. Le niveau de détail importe moins que la connotation
accolée aux passages. Ce que je déplore le plus, c’est que la sexualité est de plus en plus
présentée hors contexte, comme une fin en soi, sans la tendresse et la communication
qu’elle nécessite pour être vécue de manière constructive. Étant donné le climat frileux et
la nouveauté de l’homosexualité à l’adolescence dans la littérature jeunesse, je me suis
limité à décrire un peu de sensualité. C’est d’ailleurs ce qui m’apparaissait le plus
important, car les jeunes bien souvent ne pensent à l’homosexualité qu’en fonction de la
génitalité.
Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel
en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
La seule difficulté est d’en parler de manière réaliste. C’est malheureux, mais les gens
et particulièrement les adolescents se font une vision du monde de plus en plus basée sur
des œuvres de fiction. Alors les auteurs se retrouvent avec l’énorme responsabilité de ne
pas se retrouver avec une armée d’adultes vivant dans un monde plein d’illusions et
d’attentes impossibles à combler.
Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre
roman ?
Philippe, c’est bien l’adolescent que j’ai été, à quelques variations près. Certains
évènements aussi sont autobiographiques, mais d’autres non.
Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre
livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale,
spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
Comme je l’avais prévu, mon roman a été très bien accueilli car il répondait à un
besoin. À cet effet, je voudrais citer Giselle Desroches, critique littéraire jeunesse pour le
quotidien Le Devoir, basé à Montréal : « Bref, on en est encore à compter les tentatives
d’aborder le sujet sur le bout de nos doigts. Et voilà que Philippe avec un grand H est là.
Tout simplement. Avec tant de naturel qu’on se demande comment il se fait qu’il ne soit
pas arrivé avant. »
Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’insulte « fif », totalement inconnue
en France. Quelles sont les autres insultes courantes dans les cours de récréation ?
« Fif », c’est l’insulte usuelle, équivalente au pédé français, j’imagine.
Est-ce que vous avez noirci la réalité, ou est-ce que les réactions violentes
d’homophobie telles que vous les décrivez sont courantes au Canada ?
Je suis peu au courant du nombre de crimes à caractère homophobe au Canada. Je sais
qu’il y a eu quelque chose comme une cinquantaine de meurtres sur le territoire du
quartier gai de Montréal depuis les années 70, mais comme partout ailleurs, c’est bien
difficile de faire admettre à la police qu’un crime est à caractère haineux.
Est-ce que les autorités appuient au Canada (ou au Québec seulement) la lecture
d’ouvrages pour la diversité sexuelle ?
Pas particulièrement. Mon roman est lecture obligatoire dans plusieurs écoles
secondaire, mais il s’agit d’initiatives d’enseignants.
Est-ce que maintenant vous intervenez dans des établissements scolaires en tant
qu’auteur et non plus en tant que militant ? Pour des élèves de quel âge ?
J’ai fait quelques interventions dans des classes pour des étudiants de 13 à 15 ans. Mon
roman est mon appui premier et ma visite est comme un complément de la lecture du
roman, comme pour boucler la boucle, pour voir la face de l’extra-terrestre qui a écrit ça !
Quelle est votre position sur l’utilisation du joual? Pensez-vous que ce soit un frein
pour le succès des ouvrages canadiens dans le reste du monde francophone ?
À en croire la critique de mon roman faite sur votre site, le joual semble un des
éléments qui lui donne plus de charme et d’exotisme ! Les ouvrages en joual sont plutôt
rares ici, les auteurs s’enlignent vers un français international. Ceux qui utilisent le joual
s’adressent principalement aux Québécois et font peu de cas d’un éventuel succès
international, selon moi.
Le mot « altersexualité » et ses dérivés sont-ils couramment utilisés au Canada
francophone, et avec quelles connotations ?
Peu utilisé. Je ne l’avais rencontré qu’à une seule reprise. Ça m’apparaît encore une de
ces inventions politically correct, et comme vous dites, j’aime appeler un chat un chat !
Mais je comprends cette volonté de trouver un mot générique inclusif. Après avoir été
exclus si longtemps, les gais « ordinaires » seraient bien malvenus de faire de l’exclusion
eux-mêmes !
Guillaume Bourgault, avril 2006. La photo a été prise par Lionel Labosse en octobre
2006, lors d’un passage de Guillaume Bourgault à Paris.