Stratégie de la prévention du cancer au Liban
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Stratégie de la prévention du cancer au Liban
Stratégie de la prévention du cancer au Liban Kamal EL KALLAB – Doyen de la faculté de médecine et sciences médicales USEK / MBAIP option Santé - USJ Résumé : Le cancer est l’une des causes de mortalité les plus importantes et tend à en être la première cause. Les traitements des cancers déclarés ont fait beaucoup de progrès, mais n’assurent pas un taux de guérison élevé et leur effet sur la qualité de vie est partiel. La prévention est efficace. Les cancers que l’ont peut prévenir en évitant l’exposition à un facteur de risque sont évalués à plus d’un tiers. Un autre tiers peut être dépisté et diagnostiqué à un stade très précoce permettant un acte thérapeutique curatif relativement simple. Les pays développés ont fait des progrès énormes en matière de prévention. Mais le Liban a du retard dans ce domaine. Un registre du cancer a été créé en 2002. L’exploitation de ce registre est limitée aux conclusions basiques et se font en retard. Les campagnes de prévention menées ont surtout adressé le cancer du sein. Cet article tente, après un état des lieux, de tracer les grandes lignes d’une stratégie de la prévention du cancer au Liban, en insistant particulièrement sur le choix des priorités. L’étude des spécificités politiques, économiques, scientifique-techniques, organisationnelles, humaines et éthiques, aboutit à proposer un comité national pour la prévention du cancer, partie d’un Institut National Libanais du Cancer qui reste à créer. L’Institut devra être une structure autonome sous la tutelle du ministère de la santé. Il établit les priorités et scenarii selon un mix des données épidémiologiques, médicales, organisationnelles, économiques, socio culturelles et éthiques. L’article détaille aussi l’implémentation et le suivi des programmes 1 Introduction 1.1 Le cancer dans le monde Aux États-Unis, pour les personnes de moins de 85 ans, le cancer est la première cause de mortalité depuis la régression des décès par pathologie cardio-vasculaire (Jemal, 2005). En France, et selon l’étude publiée par l’institut Gustave Roussy en janvier 2009, les cancers sont la première cause de décès chez les hommes. 1.2 Le cancer peut être l’objet d’une prévention Un grand nombre de cancers, évalué à 40%, est évitable par une prévention primaire (WHO 2007) qui consiste en une diminution ou un arrêt de l’exposition à un ou plusieurs 1 facteurs de risque connus. Un tiers supplémentaire des cancers est guérissable par une prévention secondaire (WHO 2007). En fait, il s’agit d’une action thérapeutique précoce sur des lésions précancéreuses (c’est le cas des polypes du colon et des lésions cutanés) ou d’un cancer encore non invasif au stade de début (c’est le cas des petites lésions cancéreuses du sein ou de la prostate). Cette action thérapeutique a lieu habituellement suite, soit à un dépistage d’une large population, soit à un diagnostic précoce dans une population à risque, ou bien à la suite de consultations individuelles en raison de l’éveil des patients aux symptômes et signes précoces. Du point de vue pratique, il apparait qu’en s’adressant au tabac et au cancer du sein, on couvre le plus grand nombre des cancers évitables ou traitables précocement. Toutefois les études sérieuses sur le bénéfice économique de la prévention ne sont pas nombreuses. Les informations à caractère économique ne sont pas transmises dans des études de coût-efficacité (Alberts, 2005). En plus des dimensions cliniques et économiques, la dimension humaine couvre l’évaluation par le malade lui-même de son degré de bien-être qui peut être compromis par la maladie et/ou son traitement. C’est aussi la perception que se fait la personne non malade des actes de prévention. Ces deux dernières dimensions commencent à être incorporées dans les études et essais cliniques et thérapeutiques. Ces essais randomisés sont la meilleure solution pour prouver l’utilité clinique, économique et humaine de toute intervention de soins. Les décideurs ont besoin, pour s’engager dans des dépenses de prévention, d’un certain niveau de certitude scientifique sur la relation de cause-à-effet de facteurs réputés ou supposés étiologiques de tel ou tel cancer, et de l’efficacité de mesure de diagnostic et traitement précoce. Ces études randomisées basées sur le principe de la médecine fondée sur les faits (evidence based medicine) offrent dans leur nouvelle direction médicoéconomique, non seulement l’évidence de l’efficacité scientifique mais aussi de l’efficience économique. Les connaissances sont toutefois en perpétuelle évolution et l’émergence de nouvelles méthodes de prévention et/ou de nouvelles techniques de diagnostic, soulève à chaque fois le problème de l’efficacité et de l’efficience. 2 Etat des lieux au Liban concernant la prévention du cancer 2.1 Données sur les cancers au Liban 2.1.1 Généralités : Au Liban, l’impact du cancer commence à être une priorité du ministère de la santé. Une augmentation de l’incidence est notée (Zein, 2007). Le coût du diagnostic et du traitement de la maladie y progresse rapidement. En 2008, et jusqu’en octobre, le ministère a dépensé 20 millions de USD pour assurer les médicaments anticancéreux (Annexes I et II) aux malades sans couverture, évalués à environ 50% de la population par le ministère. Ceci est à ajouter à la facture d’hospitalisation en médecine et en 2 chirurgie, ainsi que celle de la radiothérapie. Un registre du cancer a été créé en 2002. Ce registre, malgré toutes ses imperfections, représente une première étape importante pour les études et analyses nécessaires, afin de guider les actions contre cette maladie. Il est à noter qu’une amélioration de la qualité du registre se fait sentir d’année en année. Il est important de noter que seulement 2% (4,8 millions de USD) du budget du ministère (240 millions de USD) sont allouées à la prévention, et que la recherche sur les facteurs de risque environnementaux reste embryonnaire. 2.1.2 Données statistiques (MOH, NCR, 2007) L’incidence actuelle du cancer au Liban est de 190 pour 100.000 habitants (moins élevée qu’en Europe et en Amérique, de l’ordre de 280). Le cancer le plus fréquent est celui du sein (42% de cas chez les femmes, 22% des cas au Liban, 50% avant l’âge de 50 ans. 71% des femmes de plus de 40 ans n’ont jamais eu de mammographie). Il est suivi du cancer du poumon, de la vessie, du colon, de la prostate, du sang, du col utérin et de la peau. Ainsi en 2004, le registre rapporte, pour une population évaluée à 3.9 millions, 7.716 nouveaux malades. Visiblement, c’est à partir de 40 ans que la tendance progressive d’incidence est marquée. Il est à noter que les chiffres du registre sont partiellement concordants avec ceux de Mednet (Zein, 2006 et 2007) qui retrouve une incidence aux environs de 240 (et non de 190). Ceci pourrait être dû au fait que les personnes ayant une assurance privée sont plus préoccupées par leur santé, plus éduquées et plus médicalisées. 2.1.3 Coût du cancer au Liban Le calcul global du coût annuel de la maladie se base sur plusieurs données et pour commencer, la facture des médicaments du Ministère de la Santé. En 2008, et jusqu’en octobre, elle s’élevait à 27.862.466.000 Livres Libanaises (Annexe II) soit environ 18.500.000 USD, pour les 2.363 malades, qui représenteraient selon le ministère environ 50% des personnes nécessitant une chimiothérapie. En extrapolant pour l’année, le coût de la chimiothérapie s’élève à 22 millions de USD. Par conséquent, le coût total de la chimiothérapie sera de l’ordre de 44.000.000 USD/an. Selon les experts, c’est le poste le plus onéreux dans la facture du traitement. De plus 3.000 malades/an subissent la radiothérapie pour une pathologie néoplasique (chiffre avancé par la société de radiothérapie). En comptant selon les normes internationales que la moitié des malades a besoin de radiothérapie et que celle-ci est parfois refusée ou non prescrite en raison de l’âge et du lieu de résidence du malade loin de tout centre de radiothérapie, ce chiffre parait vraisemblable. Quant à la part de la chirurgie, elle est estimée à 10% de la facture, celle de l’hospitalisation à 10%. Le coût direct annuel serait ainsi de 75 millions de USD. A ces chiffres il faut ajouter le coût du traitement ambulatoire qui est assez 3 limité, sauf pour les tumeurs cérébrales primitives ou certains médicaments du cancer de la prostate. Quand aux coûts indirects, ils sont difficiles à évaluer pour l’ensemble des malades. Plusieurs composantes entrent en considération : la nature du cancer, l’âge (actif ou en retraite), le sexe (la prévalence des femmes au foyer), les exigences du traitement et l’handicap qui en résulte (la nécessité de bloquer une autre personne) 2.2 Les politiques de prévention jusqu'à date au Liban Par ailleurs, le ministère a déjà établi en association avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les sociétés savantes un document qui traite de la stratégie de lutte contre ce fléau ; toutefois ce document reste dans les généralités. (MOH, NCCP, 2006,) Concernant la prévention, plusieurs campagnes ont été organisées. Celle dirigée contre le cancer du sein s’avère la plus consistante et la plus soutenue depuis 2002. Elle a permis un cumul d’expériences et de leçons qui sont à exploiter. Il ne s’agissait pas d’une campagne de dépistage au sens propre du terme, mais plus de diffuser le message de la nécessité d’un diagnostic précoce par l’auto-examen et de faciliter l’accès à la mammographie pour toute personne à risque (femmes à partir de 40 ans). Le marketing s’est adressé à un « bulk target » et l’effet des campagnes a été plus important dans le grand Beyrouth et que le taux d’usage de la mammographie reste bas, inférieur à 20% hors le grand Beyrouth. (Sabbah 2008). Le contrôlequalité par une deuxième lecture des échantillons de mammographie n’a pas été publié. Par contre, les campagnes contre le cancer de la prostate et la lutte contre le tabagisme sont restées très limitées et non soutenues. Ces actions ont été menées de façon ponctuelle, sans être inscrites dans une stratégie globale de prévention. 4 3 La stratégie proposée pour la prévention du cancer 3.1 Les spécificités 3.1.1 Politiques : Compte tenu que certains services de base (santé, éducation) ne couvrent pas toute la population, les gens se trouvent dans le besoin de recourir aux politiciens pour s’assurer ces besoins et par conséquent les décisions d’ordre public peuvent alors être prises en fonction de l’appartenance confessionnelle et de l’intérêt électoral du décideur. Les effets de la prévention ne se font sentir que quelques années plus tard. Leur utilité électorale est moindre. Les tentatives de restauration du rôle du ministère de la santé par certains ministres conscients de cette dérive se sont heurtées à ces considérations. 3.1.2 Economiques : Environ 40% du budget est au service de la dette, qui ne cesse d’augmenter depuis 2005. La convalescence politique du pays n’a commencé qu’en Mai 2009 avec l’élection du nouveau président, mais elle reste fragile et exposée aux risques des changements régionaux et de la politique internationale. Le Liban souffrira de la crise, en raison des licenciements de libanais travaillant à l’étranger (particulièrement dans les pays du golf), de la diminution des salaires et bonus et de la diminution de la masse monétaire des libanais expatriés qui ont investi dans la bourse. La balance commerciale était classiquement rétablie grâce aux remises envoyées par ces libanais. Pour ces raisons, la pression exercée sur le ministère pour assurer les traitements et soins augmentera, ce qui le détournera encore plus de son rôle dans la prévention. Il en est de même pour la prévention sur le plan individuel. Le besoin d’une action publique de prévention devient encore plus pressant.. Quelques chiffres illustrent l’économie de santé au Liban : Les dépenses de la santé sont de 12,4% du produit national brut, 14.1% des revenus du foyer sont dépensés pour la santé, le budget du ministère de la santé est de 3.5% de celui de l’État (service de dette compris), le ministère assure 9% des dépenses totales de la santé pour couvrir 48.3% de la population au moins (Ammar, 2003), Le budget pour la formation des professionnels de santé est de 0.2% du budget du ministère, 9.5% des hospitalisations aux frais du ministère concernent les malades du cancer, le « out of Pocket » est de l’ordre de 60% à 70% des dépenses de santé (Sfeir, 2004), (Ammar, 2003) Un autre problème est à signaler : les tiers payants ne couvrent pas facilement les actes de prévention et de dépistage. Ils n’y voient pas un intérêt, car le calcul du gain économique à tirer d’une action de prévention ne se fait ressentir que quelques années plus tard. Le calcul du bilan de telles actions sur la base d’un budget annuel ne suffit pas pour en montrer l’intérêt économique. Certains tiers payants n’ont pas encore l’habitude de séparer le budget de fonctionnement (annuel) du budget de projets pouvant s’étendre sur plusieurs années. D’autres conscients du problème, ne le font pas pour d’autres raisons. Ainsi les compagnies d’assurance interrogées sur ce sujet et sur l’absence de couverture des actes de prévention ont répondu que dans la mesure où les assurés peuvent changer d’une compagnie à une autre au gré des contrats 5 de groupes, ce sont les autres compagnies qui vont en profiter. Il serait pertinent d’imposer des régulations obligeant toutes les assurances à couvrir ces frais ; ainsi chaque compagnie y trouverait un intérêt à long terme. 3.1.3 Organisationnelles : Une activité de prévention, particulièrement quand il s’agit de dépistage, nécessite l’intervention d’un grand nombre d’institutions, d’organisations et de professionnels. Ce réseau existe déjà Dans cette activité polyvalente qu’est la prévention, les intervenants sont multiples: Les Ministères de la Santé, des Affaires Sociales, de l’Environnement, de l’Intérieur, du Trésor et de l’éducation, les organisations internationales essentiellement l’OMS, les sociétés savantes, les centres de recherche, les médecins généralistes et spécialistes, les autres professionnels de santé, les réseaux des dispensaires, les bailleurs de fond et les instances religieuses 3.1.4 Scientifiques : Au-delà des études internationales qui ont établi l’utilité scientifique, des études locales sont nécessaires. Nous sommes dans un pays où certains indices de pollution dans certaines régions, relevés par des études scientifiques bien menées sont inquiétants. 3.1.5 Techniques : Une des clés de succès d’une action de prévention est la qualité des prestations. Ces prestations sont habituellement des examens cliniques, d’imagerie ou de laboratoire. Ceux qui vont les pratiquer viennent d’horizons différents. Il suffit d’examiner la liste des universités d’origine des médecins libanais pour se rendre compte de cette hétérogénéité. 3.1.6 Socioculturelles : Dans toute campagne de prévention les données socioculturelles doivent être prises en considération. Leur négligence peut bloquer l’information et causer l’échec. Les obstacles peuvent être d’ordre religieux, ou dus a un climat social (l’association entre la cigarette et le pouvoir masculin, ou avec les autres plaisirs) il peut parfois s’agir de fausses informations (la mammographie cause le cancer !!) ou alors d’attitude de déni en raison d’une angoisse (j’ai peur que ca soit un cancer), ou alors une attitude primitive qui considère le cancer comme une malédiction (cette maladie que je ne nomme pas) (Dillard, 2006). Les « fatwa » et les avis des instances religieuses peuvent aider dans les campagnes de préventions car elles peuvent vaincre certaines réticences. En Orient, la notion de fatalité diminue le sens de responsabilité de l’individu envers luimême et envers la société. La perception du danger chez les jeunes est un autre aspect du problème. Ils prennent des risques démesurés et se sentent intouchables par la maladie. Pour toutes ces raisons, les recherches en psychosociologie sont nécessaires. 3.1.7 Humaines : L’engagement des ressources humaines dans un tel projet collectif nécessite une motivation. Une étude menée en France montre que les raisons pour lesquelles les médecins généralistes ont adhéré au programme de dépistage du cancer du colon sont l’efficience du programme, le taux de faux positifs et faux négatifs et leur rémunération (Berchi, 2006). Au Liban des raisons spécifiques sont à évoquer. Il est sûr que 6 l’engagement envers le malade représente en lui-même une motivation pour la prévention. Cette motivation sera plus importante si elle est couplée à un nouveau défi perçu par les professionnels de la santé comme un accomplissement supplémentaire. De plus, cette action donne un sentiment d’appartenance à une équipe nationale, grâce à des rencontres périodiques et une communication de l’information sur l’évolution de la campagne et ses résultats. Les médecins, qui n’ont pas d’indemnités de fin de service valables, se voient obligés de capitaliser pour leur retraite. Dans les banlieue et régions rurales qui nécessitent une action agressive de prévention, les conditions pécuniaires des médecins sont encore plus dures et ne leur permettent pas un volontariat sans mesure. Une motivation supplémentaire serait souhaitée. La même préoccupation existe chez les techniciens de l’imagerie ou du laboratoire qui verront leur charge de travail augmenter. Il est certains que la présence de membres d’ONG à leurs côtés, leur facilite la tâche et les rend plus sensibles à l’esprit de mission. 3.1.8 Éthiques : De nouvelles techniques dans la prévention du cancer peuvent susciter des débats éthiques importants (comme le diagnostic preimplantatoire). D’autres dimensions éthiques existent : La qualité des tests de dépistage doit être partout excellente, il doit y avoir une équité dans l’accès à la prévention, le respect de l’individu doit guider tout acte de santé publique. 3.1.9 Autres : Une action préventive peut représenter une menace pour certains groupes sociaux ou professionnels qui, pour se protéger, useront de leur pouvoir et pourront menacer la réussite de cette action. Il en est ainsi des compagnies de cigarettes et des agences de publicités lors des campagnes anti-tabac. Cette dimension est à prendre fortement en considération quand il s’agit d’installer de nouvelles législations. 3.1.10 Analyse FFOM des données actuelles de la prévention du cancer au Liban Forces Qualité des professionnels de santé Expérience de la campagne de prévention (ex. du cancer du sein) Le réseau de santé primaire ONG hautement qualifiées Faiblesses Absence de stratégie de lutte contre le cancer Base de données insuffisante Etudes scientifiques limitées Fond insuffisants pour la recherche et l’action Faible culture de volontariat 7 Opportunités Petite taille du pays Urbanisation excessive Réseau médiatique dense et développé Les compétences des compagnies publicitaires Degré d’éveil de la population Appui des instances internationales Menaces Les difficultés économiques Insécurité et conflits Absence de volonté politique (exemple des législations anti tabac) Ingérences et luttes politiques 3.2 Proposition d’une stratégie La prévention du cancer s’articule fortement avec deux autres domaines d’activité. D’une part la prévention d’autres maladies transmissibles ou non-transmissibles. Le cancer partage avec ces maladies des facteurs de risque communs. Il en est ainsi des maladies cardiovasculaires dont les facteurs de risque comprennent la cigarette, l’obésité, les habitudes alimentaires, mais aussi de certains virus comme celui de l’hépatite et le papillome. D’un autre côté, la prévention du cancer s’articule aux autres phases de la lutte contre le cancer notamment avec la recherche fondamentale et clinique, le traitement et les soins palliatifs. En effet, la vision globale de la lutte contre le cancer tend à en limiter la mortalité et la morbidité à tous les stades. On ne rend pas service à faire un diagnostic précoce s’il n’est pas suivi d’un traitement de qualité. Ainsi, une activité de prévention s’inscrit nécessairement dans une stratégie globale de lutte contre le cancer, ainsi que dans le cadre plus général de la politique de santé publique décidée par le Ministère de la Santé et entérinée par les décideurs politiques du pays. Dans l’état actuel du mode de fonctionnement du ministère, et compte tenu du nombre des parties prenantes dans la lutte contre le cancer, nous proposons la création d’une structure spéciale dédiée. Celle ci aura, à l’instar des offices autonomes, une autonomie de fonctionnement mais devra se conformer à la politique générale du ministère de la santé qui y exerce un droit de tutelle. 3.2.1 Institut National Libanais du Cancer (INLC) La structure que nous proposons est l’« Institut National Libanais du Cancer ». Cet organisme doit grouper les parties prenantes (Ministère de la Santéd, OMS, sociétés savantes, Ministère de l’Environnement, ONG, hôpitaux et ordres, tiers payants, pourvoyeurs de fonds). Le continuum entre la prévention primaire, la prévention secondaire et le traitement des 8 cancers invasifs incite à ce que toute la lutte soit unifiée, même si la prévention y constitue l’activité la plus rentable et la plus importante. Sa mission sera de réduire le fardeau de cette maladie, sa mortalité et sa morbidité, pour la société dans toutes ses composantes. Son rôle sera d’actualiser la mission, faire les choix stratégiques, définir les priorités et préciser les objectifs à atteindre à moyen et long terme, à travers les actions suivantes : Définition des priorités Maintien et amélioration des conditions de saisie et d’exploitation des données du registre du cancer Choix des axes de la recherche en fonction des priorités Elaboration des modalités de lutte contre la maladie Cet institut devrait être dirigé par un conseil présidé par un de ses membres. Ceux-ci seront choisis en fonction de leur connaissance et expérience d’une part (Médecins oncologues cliniciens et chercheurs, spécialistes en santé publique, représentants de malades) et d’autre part, en fonction de leur rôle dans les processus de prise de décisions (représentant du ministère de la santé, des tiers payants, d’autres pourvoyeurs de fond). Un directeur exécutif veillera à l’application de cette stratégie. 3.2.2 Comité national de prévention du cancer Au sein de l’institut national, les activités peuvent être conçues en fonction des différents cancers. Il y aurait ainsi un comité pour chaque. Toutefois, il est plus pratique de se référer dans la distribution des tâches à un même mode de fonctionnement, de logistique et de réseau. Ce mode étant différent pour la recherche, la prévention, le traitement et les soins palliatifs, un comité sera créé pour chacun de ces domaines. Nous préconisons la création au sein de l’Institut, du Comité National de la Prévention du cancer. Son rôle sera l’élaboration de sa mission, de ses objectifs, de sa stratégie, de ses choix, de son financement ainsi que de l’implémentation des programmes, du suivi et du contrôle. 3.2.2.1 Sa Mission Diminuer l’incidence du cancer en agissant sur les facteurs de risques et en dépistant les formes débutantes, guérissables par une thérapeutique limitée. 3.2.2.2 Ses Objectifs Ils s’articulent autour de trois axes : La recherche, l’action et l’évaluation de l’action 9 3.2.2.3 Son Organisation Les exigences organisationnelles d’une telle structure sont multiples et doivent être taillées sur mesure (HELFER, 2006). o La spécialisation du travail : est très marquée. o La répartition de l’autorité : L’autorité du chef est légitimée par son expertise et sa personnalité, plus que par son rôle institutionnel. Chaque intervenant se sent investi de la puissance du savoir dans son domaine. On est dans une situation proche d’une autorité éclatée, ce qui rend problématique le contrôle de la qualité des prestations. o La décentralisation : même si certaines activités sont très centralisées, l’éloignement géographique, le volontariat et les besoins de malléabilités, pour répondre aux aléas et imperfections, obligent à une décentralisation des actions sur le terrain. La présence de normes standards écrites et une formation préalable facilite cette décentralisation et évite les grandes différences entre les intervenants. o La coordination, dans un tel contexte, est basée nécessairement sur la standardisation. D’ailleurs une campagne de prévention doit, pour réussir, être unifiée sur le plan national tant dans les messages que dans l’action. Compte tenu de ce qui a précédé, l’organisation possède les caractéristiques de la configuration missionnaire de Mintzberg (culture et esprit de mission, décentralisation, standardisation des normes) elle s’en différencie par sa malléabilité. Parallèlement, elle a des points communs avec l’adhocratie : innovation, variabilité des tâches en fonction des programmes, nécessité d’un bon support logistique, forte spécialisation horizontale. Ainsi la structure de l’organisation : o Le président du comité devrait avoir l’expérience, un profil d’innovateur et des talents de communication. Il est le point focal des programmes de prévention. o Les membres du comité doivent représenter les parties prenantes y compris les représentants des malades (ou mieux des survivants au cancer), les professionnels de santé, les tiers payants, les ministères concernés notamment la santé, les affaires sociales et l’environnement. o Ce comité nomme les directeurs des différents programmes. Ceux ci s’appuieront dans leur action sur les services généraux de l’Institut National du Cancer 10 Président de l’INLC Conseil Directeur Commission d’éthique Président du Comité Président du Comité Président du Comité Président du Comité de la Recherche de la Prévention du Traitement des Soins Palliatifs Conseil Service Financier Directeur du Programme N Ressources Humaines Directeur du Programme N+1 Logistique Directeur du Programme N+2 Marketing Les Intervenants 3.2.2.4 Financement : Le Ministère de la Santé est actuellement sur un projet de carte sanitaire de couverture médicale pour tous les Libanais. On peut imaginer que cette carte puisse assurer pour chaque tenant des examens annuels de dépistage des cancers prioritaires pour un montant précis non transférable pour des visées thérapeutiques Les tiers payants qui ont intérêt à s’engager dans la prévention et en premier lieu la sécurité sociale, mais aussi les autres tiers payants publics et privés Les conventions et jumelages comme ce fut le cas de l’aide italienne pour le Registre National du Cancer Les organisations internationales, qui à défaut d’un apport matériel, assisteront la formation des cadres, des professionnels et des volontaires Les taxes sur les oncogènes (comme celle imposée sur le tabac) dont une part serait consacrée à la prévention 11 3.3 Stratégie et choix des programmes 3.3.1 Méthode de choix des priorités Dans cette partie, nous proposons une méthode de choix des priorités basée sur l’ensemble des facteurs suivants : 3.3.1.1 Facteurs épidémiologiques et médicaux (prévalence, âge, sévérité, longévité, possibilités de prévention et effets bénéfiques sur d’autres maladies): 3.3.1.2 Facteurs économiques (le coût de la maladie et de la prévention, le gain économique et les ressources disponibles) 3.3.1.3 Facteurs organisationnels (le réseau de santé et les ressources humaines disponibles) 3.3.1.4 Facteurs sociaux et personnels (niveau de culture médicale et obstacles sociologiques) 3.3.1.5 Facteurs éthiques (choix des priorités, des ressources, possibilités de l’équité d’accès et de qualité) La quantification de ces facteurs (Beresniak, 2008) se fait en leur donnant des coefficients de pondération différents en fonction de leur importance et de la possibilité de les modifier avant l’implémentation. A titre d’exemple, la prévalence est un facteur important et invariable, alors que la qualité des prestations des professionnels est un facteur important mais modifiable par une formation préalable à l’action. Il est très important que les parties prenantes représentées au comité soient toutes d’accord sur le choix des facteurs et la pondération à leur donner. Les résultats en dépendent. L’avis d’experts ad hoc serait utile en cas de nécessité. Dans l’essai suivant, et par souci de simplification, la pondération est la même pour les facteurs choisis. La possibilité de modifier un facteur n’est pas prise en compte. La note va de 1 à 5, de la situation la moins à la plus favorable. 12 sein poumons colon vessie prostate Col papnicolaou seul Col + vaccin supplémentaire sang K professionnels Prévalence 5 4 4 4 4 2 2 3 1 Age début 3 2 2 2 2 3 3 4 3 Longévité 4 2 1 1 2 4 4 3 4 Retentissement sur qualité de vie 3 4 3 2 1 3 3 3 3 Evidence scientifique de l’efficacité de la prévention primaire et/ou secondaire 5 5 3 1 3 5 5 1 4 Facilité de définition de la pop cible 5 5 2 2 2 4 4 1 5 Facilité de la prévention 4 3 2 1 2 4 4 1 3 Effets sur d’autres domaines 0 5 0 3 0 0 0 0 1 Gain économique 5 5 2 2 2 5 3 1 4 Possibilités organisationnelles 4 3 1 1 2 4 4 1 4 Réceptivité 4 2 3 1 2 4 3 1 4 Equité 4 1 1 1 3 4 1 1 2 Total 46 41 24 21 25 42 36 20 38 13 Les priorités dans cet exemple sont par ordre décroissant : le sein, le col de l’utérus, le poumon, les cancers professionnels. Loin derrière viennent la prostate, le colon, la vessie et le sang. En fonction des ressources allouées, le cancer le plus prioritaire serait choisi à court terme ; les autres seront planifiés à moyen ou long terme. Parfois on peut être amené à conduire simultanément des actions de prévention pour deux ou plusieurs cancers jugés aussi prioritaires. Les ressources seront alors partagées en fonction de scenarii multiples comparés entre eux. Une deuxième phase est de choisir, pour le cancer prioritaire, la stratégie d’action la plus adaptée. Des scenarii différents seront analysés et là aussi, une grille de facteurs sera établie par consensus. Ce qui permettra de choisir la stratégie qui mène au meilleur résultat médical, économique et qualitatif (qualité de vie). 3.4 Implémentation des programmes Une fois les choix prioritaires définis, des programmes spécifiques doivent être implémentés. Un directeur de programme sera nommé. Il s’appuiera sur la logistique administrative de l’Institut National Libanais du cancer. Il doit établir des objectifs précis, réalisables et quantifiables et élaborer le plan d’action, les échéances et le budget. Il lui revient aussi d’évaluer et de mobiliser les ressources, d’établir les modalités du suivi et de l’évaluation. Il doit soumettre son rapport au directeur de la prévention et son comité pour approbation. Les facteurs-clés de succès : Protocole national et unifié (âge, procédures, monitoring,..) [Acteurs : experts, directeur du programme] Disponibilité du test diagnostic [le service d’achat dépendant de la direction financière, la chaîne de transport] Qualité du test diagnostic [le service d’achat, les médecins et techniciens] Degré d’éveil de la population [le service marketing, les réseaux locaux] Définition de la population cible [experts] Compétence des professionnels de santé [service des ressources humaines] Taux de participation élevé [Marketing] Suivi des personnes à test positif [Réseaux locaux] 14 Faible coût de l’examen [Les tiers payants et le Ministère de la Santé] Disponibilité du traitement conséquent curatif [Institut National Libanais du Cancer] Accessibilité au traitement conséquent curatif [Institut National Libanais du Cancer] 3.5 Suivi du programme (durant sa réalisation) Il nécessite un tableau de bord, définissant les buts selon l’échelon dans l’action. Il permet de trouver l’écart entre les objectifs et les réalisations et procéder à l’ajustement nécessaire. Ainsi dans les centres de prestation des tests, le tableau de bord se résumera au nombre de personnes testées. Par contre à l’échelon du directeur du programme, des éléments supplémentaires y figurent comme l’assurance qualité (% de faux positifs et faux négatifs grâce à une seconde relecture régulière sur des échantillons), l’équité dans l’accès aux tests et à la qualité des tests, le coût par rapport au budget alloué. Des actions supplémentaires seraient à mener en cours de route. L’exemple de la mammographie gratuite pendant un mois dans les hôpitaux publiques lors de l’une des campagnes du cancer du sein, a permis d’augmenter le nombre des femmes ayant subit le test et plus d’équité en levant la barrière financière. Au cas où un problème de qualité se posait, des formations supplémentaires sont à installer en urgence dans les centres en question. 3.6 Evaluation du programme (après sa réalisation) C’est une étape importante dans une activité au long cours comme la prévention. En effet, les campagnes de prévention ne doivent pas se résumer à des actions épisodiques. Tous les ans, il y a de nouveaux individus dans la population cible et également ceux que la campagne précédente n’a pas touché. Les évaluations successives aboutissent à une spirale d’apprentissage. La procédure doit être précise et fixée lors de la préparation du plan d’action. Ceci n’empêche pas d’introduire d’autres éléments en fonction des données du suivi. Il faut définir les données à évaluer (quoi) la structure d’évaluation (qui) et les méthodes d’évaluation (comment), et ceci à deux niveaux, le processus et le résultat (WHO, 2002). Evaluation du processus Taux de participation. Qualité du test : taux de faux positifs et faux négatifs. 15 Taux de positivité du test. Suivi des personnes au test positif du point de vue opérationnel (indépendamment du résultat médical). Evaluation du résultat : C’est un travail de longue haleine. En effets on estime à 10 à 20 ans le délai nécessaire pour observer l’effet d’une prévention primaire, et 3 à 10 ans dans le cas d’une prévention secondaire. Les indicateurs sont : L’Incidence. La mortalité et survie. La qualité de vie (QALY ou DALY avant et après). Le gain économique. Cette évaluation doit se faire, dans un premier temps en interne avec la contribution des parties prenantes. Leur présence est capitale pour assurer mutuellement l’apprentissage et la standardisation de l’action. Elle doit se faire annuellement ce qui permet de tracer l’évolution, extrapoler et prévoir des scenarii pour l’avenir. Il peut se révéler parfois utile de faire un audit externe indépendant par des institutions et des experts internationaux. Tout écart avec les objectifs fixés doit être analysé pour pouvoir faire le diagnostic du dysfonctionnement causal et y remédier. 4 Conclusion La prévention du cancer est l’arme la plus efficace dans la lutte contre ce fléau. Paradoxalement, elle est la moins favorisée particulièrement dans les pays en voie de développement. Il s’agit d’une situation complexe dans laquelle des facteurs multiples et imbriqués sont à prendre en compte. Durant le peu de temps disponible, et malgré de grandes difficultés rencontrées lors du recueil d’informations objectives et/ou chiffrées, nous avons essayé de faire l’analyse de la situation au Liban et de proposer une stratégie globale. Celle-ci repose sur une structure et des recettes pour faire les meilleurs choix prioritaires et assurer leur application la plus efficiente. Ce travail préliminaire devra être approfondi et détaillé. Une validation de ces recettes est nécessaire et doit s’appuyer sur des données statistiques développées et des études du terrain. 16 Bibliographie Articles Berchi C., Dupuis J-M., Launoy G., The reasons of general practitioners for promoting colorectal cancer mass screening in France. Eur J Health Econ. 2006 Jun;7(2):91-8. Dillard JP., Nabi RL. The Persuasive Influence of Emotion in Cancer Prevention and Detection Messages , Journal of Communication, 4 Aug 2006, volume 56 issue S1, pp S123-S139. Howard DH. Life expectancy and the value of early detection. J Health Econ. 2005 Sep;24(5):891-906. Jemal A. et al. Cancer statistics 2005. CA Cancer J Clin. 2005 Jul-Aug;55(4):259 Johnson, E., Dominici, M Griswold, S.L. Zeger. Disease cases and their medical costs attributable to smoking: an analysis of the national; medical expenditure survey. Journal of Economics 112(1): 135-151. Kozma, C.M, C.E. Reeder, et all (1993). 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