Malpertuis ou la chair et la pierre

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Malpertuis ou la chair et la pierre
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Son corps était divisé: d’un côté, son corps propre – sa peau, ses yeux – tendre,
chaleureux, et, de l’autre, sa voix, brève, retenue, sujette à des accès
d’éloignement, sa voix qui ne donnait pas ce que son corps donnait. Ou
encore: d’un côté, son corps moelleux, tiède, mou juste assez, pelucheux,
jouant de la gaucherie, et, de l’autre, sa voix – la voix, toujours la voix –,
sonore, bien formée, mondaine, etc.
Roland Barthes,
Fragments d’un discours amoureux
Introduction
Au XXème siècle, la critique littéraire comme l’ensemble des sciences humaines, est
apparemment marquée par une évolution radicale de la linguistique. Celle-ci en tant que
science autonome, telle qu’elle a été créée par Ferdinand de Saussure, influence profondément
au cours de ce siècle des domaines très variés. Le philosophe Paul Ricœur n’hésite pas à dire
de cette irruption de la linguistique dans les disciplines voisines: « Un domaine sur lequel se
recoupent aujourd’hui toutes les recherches philosophiques, [c’est] celui du langage. C’est là
que se croisent les investigations de Wittgenstein, la philosophie linguistique des Anglais, la
phénoménologie issue de Husserl, les recherches de Heidegger, les travaux de l’école
bultmannienne et des autres écoles d’exégèse néo-testamentaire, les travaux d’histoire
comparée des religions et d’anthropologie portant sur le mythe, le rite et la croyance, – enfin
la psychanalyse. » (2001, p. 13). Le langage, qui était au cœur de la définition de l’homme
dans la culture hellénistique, reprend à notre époque son ancienne position dominante. La
linguistique qui apparaissait comme simplement la science du langage, tend à devenir la
discipline centrale des « sciences de l’homme ». Face à la confiance abusive de tous dans le
langage, le silence, son double, est-il devenu la seule alternative ? A la fin du XXème siècle,
les concepts du silence tel qu’ils ont d’ores et déjà été évoqués, nous laissent entrevoir les
nouveaux chemins qu’empruntent les critiques de demain.
Le silence dit « expressif » suggéré dans notre étude représente ce que nous appelons
la « rhétorique du corps », un courant littéraire contemporain qui emploie le « corps », ou plus
précisément, l’image du corps représentée dans le texte, comme fil conducteur de sa recherche.
Le corps et sa poétique n’ont jamais cessé d’exister, mais cette tendance de critique dans
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laquelle le corps est défini comme objet cohérent et outil d’analyse, ne prend son essor que
depuis trente ans environ, à la suite d’un nouveau glissement du regard qui existe sur notre
corps. Sous l’influence, dans le domaine des sciences humaines, des études du corps au
XXème siècle en Europe et puis en Amérique, le corps apparaît non seulement comme un
thème littéraire ou artistique, mais un thème récurrent dans le domaine de la philosophie. La
critique quant à elle peut tirer certaines enseignements de ce nouveau regard.
C’est dans la rhétorique du corps que s’inscrit dans une dimension expressive ou
discursive le silence, qui en retour, permet de mettre en évidence l’outrance du discours. La
rhétorique du corps a comme but de constituer un champ d’investigation interdisciplinaire,
sous diverses perspectives comme celles de la psychanalyse, de la sociologie, de la
philosophie ainsi que de la politique. Nous allons regarder comment certains critiques ont
essayé d’analyser les regards des auteurs sur le corps tout en sachant que au bout du compte la
représentation du corps est impossible. D’autres critiques ont tenté de reconstruire l’identité
du soi et d’autrui dans un temps et un espace donnés. Enfin certains se sont penchés sur la
manière que le pouvoir ainsi que le savoir ont été exercés sur le corps silencieux. Ces
différents regards nous ouvrent trois approches où les études littéraires se sont fait écho et se
sont entrecroisées.
Pour observer et donc pour analyser profondément un courant littéraire, il est nécessaire
de disposer d’une certaine distance dans le temps. Ainsi, analyser la rhétorique du corps dans
la critique contemporaine est en soi une chose difficile puisqu’elle ne fait partie de la critique
littéraire que depuis peu de temps. Ce travail continue et il est encore en train de chercher les
limites de son champ de recherche. Notre position ne peut pour l’instant qu’être celle de
l’observateur, de l’analyste. Il nous importe de proposer d’abord un bref aperçu des
conceptions essentielles concernant le corps au XXème siècle, pour situer la pluralité des
parcours du corps dans la critique littéraire.
L’inscription du corps silencieux dans la critique littéraire
Au cours du XXème siècle, influencés par des études de sciences humaines dont
l’approche prend en considération de manière nettement plus systématique les mises en signe
du corps, les beaux-arts et la littérature connaissent une production foisonnante. Le
surréalisme qui se définit comme « un moyen de libération totale de l’esprit » (« Déclaration
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du 27 janvier 1925 »), lutte contre toutes les formes d’oppression incluant celles du corps.
Ainsi une libération du corps se manifeste sous la forme de défiguration et de déconstruction
dans le travail artistique des surréalistes comme Duchamp, Picabia et Marx Ernst. Dans les
années soixante, l’art corporel (body-art), forme particulière d’art contemporain, prend
directement le corps humain, souvent celui d’artiste, comme support d’expression ou mieux
encore, comme œuvre d’art elle-même. La question que pose Valéry: « oserai-je écrire ‘mon
corps’ ? », hante la littérature de notre siècle. Bernard Noël dirige des Extraits du corps (1988)
et Les états du corps (1999). L’écriture de Jean Sénac, de son côté, aboutit à ce qu’il appelle
(1)
les « corpoèmes »
. Antonin Artaud décrit notamment « un état de l’esprit, de la conscience,
de l’être, et qu’il n’y a plus ni paroles ni lettres mais où l’on entre par les cris et les coups. Ce
ne sont plus des sons ou des sens qui sortent, plus de paroles mais des CORPS » (1978, pp.
30-31). Jean-luc Nancy expose son projet en 1992 au sujet du corps: « soit à écrire, non pas
du corps, mais le corps même. Non pas la corporéité, mais le corps. Non pas les signes, les
images, les chiffres du corps, mais encore le corps. Cela fut, et sans doute n’est déjà plus, un
programme de la modernité. » (1992, p. 12). L’écriture du corps, loin de se réduire
simplement à un thème, est posée pour les écrivains comme un objet de théorisation, ou
mieux encore, un thème philosophique.
L’étude du corps, comme nous avons souligné dès le début, n’appartient pas de longue
date à la tradition de la critique littéraire. Le traité exemplaire est sans doute celui de Mikhaïl
Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la
Renaissance en 1965. Dans cet ouvrage, deux chapitres portant respectivement sur « L’image
grotesque du corps chez Rabelais et ses sources » et sur « Le bas ‘matériel’ et corporel chez
Rabelais » mettent en évidence le rapport qui existe entre la mode de représentation de la vie
corporelle chez Rabelais et la culture populaire de son époque. Par ailleurs, Susan Sontag
dans son étude important, Illness as Metaphor (La maladie comme métaphore) en 1978,
réexamine la modification au fil du siècle de notre regard sur le corps malade dans la
littérature. La maladie, quant à elle, peut être une révélation d’un sens spirituel qui sert à
explorer l’imaginaire littéraire autant qu’interculturel sur le corps qui souffre. Cette étude, à
travers une écriture du corps, permettent d’aborder un dialogue qu’entretient la littérature avec
la culture. Nous y reviendrons.
Cette nouvelle perspective à travers le corps nous permet d’interpréter et de réinterpréter
les œuvres littéraires tout au long de l’histoire. Afin de figurer, dans une mesure limitée,
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certains caractéristiques du développement de ce courant pendant les trois dernières décennies,
nous tenterons de jeter un œil sur des thèses soutenues en France entre les années 1976 et
(2)
2005, thèses dont le thème porte sur le corps tel qu’il est représenté dans les œuvres littéraires .
Le premier fait à noter est que, dans les trois dernières décades, il y a au total 100 thèses
soutenues en France qui sont consacrées au corps dans les textes littéraires. Malgré leurs
différentes perspectives de recherche, nous les analysons statistiquement comme suit:
Période
1976-1980
1981-1985
1986-1990
1991-1995
1996-2000
2001-2005
Nombre de thèse soutenue
3
9
9
20
41
18
Pourcentage
3%
9%
9%
20%
41%
18%
Cette simple analyse nous permet de voir qu’un grand intérêt sur l’écriture du corps
apparaît à partir des années 1990, et environs quatre-vingt-sept pour-cent (87 sur 100) des
thèses sur ce thème sont soutenues dans les deux dernières décades.
Deuxièmement, les études consacrées au corps que nous avons citées recouvrent en effet
une grande variété des œuvres littéraires du point de vue du temps, du genre, et de la culture.
Ces études réexaminent les œuvres littéraires d’une période de l’Antiquité à nos jours. Par
exemple, les études sur les œuvres de l’Antiquité: Intégrité physique et altérations du corps
dans la pensée et la littérature grecques antiques d’Homère à Démosthène en 1999; celles sur
l’époque médiévale: Le sens et la représentation du geste dans le roman français des XIIème
et XIIIème siècles en 1994; celles sur la Renaissance: Corps et gestuelle dans Don Quichotte
de Cervantès en 1996 et La représentation du corps à la Renaissance dans la littérature
française (1530-1560). Introduction à l’étude des exercices corporels en 1999; celles sur le
XVIIIème siècle : L’écriture du corps au XVIIIe siècle en 1989 et Les relations entre corps
individuel et corps social dans le roman du XVIIIème siècle de Challe à Sade (1711-1800)
en 1999; celles sur le XIXème siècle: L’imaginaire du corps dans la fiction romantique
autour de 1830 en 2002; celles sur l’époque contemporaine: Corps et représentation dans
l’œuvre de Vladimir Nabokov en 1999 et L’écriture du corps dans la poésie surréaliste
(Eluard, Desnos, Péret): vers le « surcorporel » en 2003. De plus, le corpus des études
dans les recherches se caractérise par l’intérêt porté à différents genres littéraires comme
le poème, le théâtre ainsi que le roman d’une part, et d’autre part par un intérêt porté à
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des textes de cultures autres que la littérature française, incluant les littératures anglaises,
américaines, australiennes, espagnoles, francophones (marocaine, antillaise, africaine noire),
grecques, irlandaises, japonaises, persanes, péruviennes ainsi que russes.
Ce type de recherche favorise une étude de l’histoire des mentalités. La conception
singulière de la corporalité de chaque époque nous donne un nouveau regard sur le corps, qui
amène, en toute logique, un nouveau mode de représentation. François Kerlouegan, auteur
d’une des thèses citées, L’imaginaire du corps dans la fiction romantique autour de 1830,
écrit ceci pour présenter son travail: « Percer à jour le secret du corps, c’est donc avant tout
chercher à comprendre les conditions de sa représentation » (2002, p. 5). Il tente de préciser le
changement idéologique qui entraîne une nouvelle représentation du corps dans la fiction
romantique au début du XVIIIème siècle: « [I]l faut attendre la seconde moitié du XIIe et le
premier XVIIIe siècles pour que s’affirme, la prise de conscience du corps par le roman se
trouvant favorisée par l’apparition de la notion d’individu, une exigence de réalisme et, donc,
une présence véritablement consistante du corps ». (pp. 8-9). En comparant à la représentation
du corps dans le roman classique telle qu’elle se définit comme « tributaire de la physique
cartésienne », cette étude nous montre une évolution du concept sur le corps à travers le siècle.
Par ailleurs, l’image du corps peut être un révélateur particulièrement éclairant sur un
ensemble d’idées dans une aire culturelle donnée.
Troisièmement, en ce qui concerne leur manière d’aborder le sujet du corps, les
recherches citées se consacrent non seulement à l’analyse textuelle de la représentation
corporelle, elles engagent une autre thématique que celle d’un renouvellement théorique et
formel sur l’écriture du corps. Les chercheurs s’autorisent à introduire dans leurs travaux les
principes
d’autres
domaines
des
sciences
humaines.
Cela
favorise
des
études
interdisciplinaires. Les études psychologiques et psychanalytiques sont menées dans le travail
de Robert Smadja, intitulé Poétique du corps (1982), pour bien « interpréter » certaines
images du corps dans les poèmes de Baudelaire et de Michaux. Comme Smadja définit
l’expression d’« image du corps » en tant qu’un terme qui se réfère « au corps en tant
qu’expérience psychologique » et qui « insiste sur les sentiments et attitudes du sujet vis-à-vis
de son propre corps et [...…] du corps d’autrui », son étude se fonde principalement sur la
théorie psychanalytique du symbole telle qu’elle est suggérée par Ernest Jones ainsi que sur
l’étude psychanalytique de l’image du corps de Paul Schilder (1988, pp. 7-12). Nous trouvons
d’ailleurs une démarche semblable dans le travail de Carine Degryse Bouillot, intitulé Les
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gestes et les attitudes corporelles dans la littérature narrative des XIIème et XIIIème siècles
en France: étude de psychologie, de mentalité et de sémiotique (1999).
De l’autre côté, fondé sur le concept sociologique, Nathalie Nosbaum se permet de parler
du rapport de conflit entre le corps individuel et le corps social dans le roman du XVIIIème
siècle. Eric Mechoulan, pour sa part, considère le corps comme une existence sociale, selon
les théories formalisées par les sociologues, Marcel Mauss et Norbert Elias. A travers le
discours sur le corps, il tente de mettre en place « certaines rapports spécifiques des
Belles-Lettres sur des pratiques sociales en mutation » dans son étude consacrée à la
littérature aux XVIIème et XVIIIème siècles (1999, p. 22). La constitution de la littérature
dans le champ de forces des pratiques sociales, selon Mechoulan, peut doublement servir à
son étude: « d’une part, elle permet de thématiser les relations entre corps, discours, silence et
figures au sein d’un corpus relativement homogène, d’autre part, ces relations servent aussi à
déterminer l’homogénéité et l’originalité de la pratique littéraire face aux autres types de
pratiques signifiantes », comme les pratiques sociales et culturelles (p. 22). En bref, les
chercheurs, d’une part, tentent de déployer dans leur plénitude la signification du corps telle
qu’elle est impliquée dans la littérature et, d’autre part, ils se concentrent attentivement sur le
sens et la fonction littéraire de l’image du corps, pour ne pas réduire l’œuvre littéraire à des
prétextes psychologiques, anthropologiques ou sociologiques.
Une réflexion sur le langage
Les observations qui précèdent, tout en se limitant didactiquement aux recherches qui se
trouvent seulement dans des thèses, témoignent d’un nouvel espace qui s’offre à l’étude du
corps dans la critique littéraire contemporaine. Entre sujet et objet, surface et profondeur,
ouverture et enfermement, le corps qui se voue au mutisme, reste extérieur à toute
compréhension. La littérature, par des voies détournées, saisit la présence de ce corps qui
devrait être hors du langage. Toutes sortes de descriptions et de représentations dans les textes
qui reconstituent ou même « remplacent » le corps, soulignent paradoxalement en même
temps son absence. Seule la reconnaissance d’un « hiatus », une distance essentielle qui existe
entre le langage et le corps adresse à l’écrivain ainsi qu’au critique une interrogation sur notre
propre moyen d’expression. Le silence manifesté par le corps, sous une forme d’oxymore,
devient non seulement expressif mais critique.
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Le rapport qui existe entre le corps et le langage est au centre d’un débat intellectuel qui
nous permet d’un coté de comprendre la complexité de ce rapport et par ailleurs de réfléchir
sur le langage et le corps en tant que moyens de communication qui ne se recouvrent pas.
Nous soulignons d’abord quelques points de vue importants à propos de caractères essentiels
langagiers chez le corps humain tels qu’ils sont suggérés par Sartre, comme plus tard par
(3)
Merleau-Ponty
. Au plan philosophique, Sartre considère dans la relation réciproque qui
existe entre les deux modes d’être du corps, celui du « corps-pour-soi » et celui du
« corps-pour-autrui »
(4)
, que le langage est le moyen par lequel une subjectivité s’éprouve
comme objet pour l’autre (2003, pp. 344-345). Comme nous éprouvons notre insaisissable
(5)
corps sous la forme d’une possession , nous nous mettons sous le regard de l’autre pour nous
constituer un plein d’être et nous faire reconnaître comme tel. Dans cette sorte de prescription
de notre corps à nous-mêmes qui se réalise par l’autre, le langage joue le rôle primordial: « il
fait partie de la condition humaine, il est originellement l’épreuve qu’un pour-soi peut faire de
son être-pour-autrui et, ultérieurement, le dépassement de cette épreuve et son utilisation vers
des possibilités qui sont mes possibilités, c’est-à-dire vers mes possibilités d’être ceci ou cela
pour autrui ». (p. 413).
Merleau-Ponty, pour sa part, rapproche le langage du geste du corps au sens de la
communication entre le moi et le monde. De même que la communication ou la
compréhension des gestes s’obtient par « la réciprocité de mes intentions et des gestes
d’autrui » et par celle de « mes gestes et des intentions lisibles dans la conduite d’autrui », le
langage et la compréhension du langage paraissent à l’intérieur du monde inter-humain, dit
« intersubjectif ». La parole se définit ainsi comme un véritable geste, ou ce que
Merleau-Ponty appelle le « geste linguistique », qui « contient son sens comme le geste
contient le sien » et qui rend possible la communication. (1996, p. 214) Le geste phonétique
du langage peut réaliser une certaine structuration de l’expérience ou une certaine modulation
de l’existence, comme « un comportement de mon corps investit pour moi et pour autrui les
objets qui m’entourent d’une certaine signification » (p. 225). L’expression linguistique, tout
comme le corps, apparaît d’une manière d’être au monde, et reconnaît sa place comme « la
prise de position du sujet dans le monde des ses significations » (p. 225).
Au plan de la sémiologie, l’étude de Greimas sur la communication gestuelle met en
lumière la distinction essentielle entre le corps et le langage. L’homme, réduit à son corps,
appartient au monde naturel, en tant que « lieu de la manifestation du sensible, susceptible de
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devenir la manifestation du sens humain, c’est-à-dire de la signification pour l’homme »(1970,
p. 52). Ainsi, la relation entre les signes et les systèmes linguistiques est tout à fait différente
de celle entre les signes et les systèmes de signification du monde naturel. Ce dernier, étant
extra-linguistique, ne peut plus se définit comme un simple référent du langage.
Deux conclusions peuvent être tirées de ces réflexions préliminaires. Dans un premier
temps, la possibilité d’une théorie sémiotique généralisée qui se considèrerait comme la
théorie de tous les langages et de tous les systèmes de signification, peut probablement mettre
fin à ce débat. Dans un deuxième temps, lorsque la gestualité sert comme système de
communication, elle est de l’ordre d’une énonciation qui a l’énoncé comme terme présupposé.
Le sujet d’énonciation est pourtant incapable de produire en même temps des énoncés
gestuels: « La pauvreté de ce qu’on appelle le langage gestuel stricto sensu semble provenir
de cette impossibilité d’un syncrétisme entre le sujet de l’énonciation et le sujet de l’énoncé.
Le code de la communication gestuelle ne permettant pas de construire des énoncés, et celui
de la praxis gestuelle ne manifestant le sujet que comme sujet du faire, il n’est pas étonnant
que les codes visuels artificiels, pour s’ériger en langages, soient des constructions composites,
où les éléments constitutifs d’énoncés sont obtenus par des procédés de description imitative
»(Greimas, 1970, p. 67). Le système d’expression corporelle n’a que le plan d’expression; le
plan de contenu qu’il est censé transmettre doit être manifesté dans une forme sémiotique
autre. Au contraire du langage, la forme de gestualité communicative « n’est pas en mesure de
se manifester seule et de manière autonome »(p. 75). La ressemblance entre le fonctionnement
du corps et celui du langage est après tout une fausse perspective.
Sur cette question du corps et du langage en tant que moyes de communication,
Marie-Madeleine Martinet nous propose une étude sur le cas extrême mais explicite du corps
infirme. Son essai, intitulé Corps souffrant, corps expressif, nous conduit à une réflexion sur
le procédé du transfert chez les personnes qui ont perdu l’usage d’un sens comme les aveugles
ou les sourds-muets. D’une part, dans le procédé du transfert du sens, le langage devient
inutile chez un corps infirme. D’autre part, le discours sur ce type de corps est immédiatement
conduit à l’échec puisqu’il « cesse d’être regardé à la lumière du langage conventionnel des
gestes et des expressions »(1991, p. 291). Le système social et culturel de la gestualité renvoie
donc à un sens dispersé. La partie du corps qui souffre devient un centre d’intérêt en lui-même
et le déplacement des moyens de signification, présentés par le visage, les mains (le langage
des sourds-muets par exemple) ou certains autres gestes particuliers, constitue une autre
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correspondance intrinsèque entre les gestes et le sens. Ainsi, le corps souffrant est un lieu
particulier pour une inversion des signes et des moyens par lesquels un lecteur peut partager
l’univers d’un personnage.
La voix muette du corps
Les critiques littéraires de notre temps ont privilégié les mises en jeu du corps, alors que
la notion de « corps » dans les domaines de sciences humaines est à la fois ambiguë et
problématique. Puisque la notion de corps est nécessairement vue par la voie des
représentations, il n’est pas d’une nature incontestable, immuablement et objectivement défini
par l’ensemble des communautés humaines. Il existe une grande diversité de parcours, une
pluralité des modèles selon lesquels nous pouvons interpréter le corps
(6)
. Reprenons la
question de Barthes: « Quel corps ? Nous en avons plusieurs » (1973, p. 26).
1. Une existence corporelle
L’existence humaine est d’abord corporelle. « Le corps est le premier et le plus naturel
instrument de l’homme», comme Mauss nous le dit(2003, p. 372). Notre existence n’est sure
pour nous que lorsque notre corps en fonctionnement se rappelle à notre souvenir. Ainsi, les
études corporelles telles qu’elles sont pratiqués par des chercheurs de différentes disciplines
s’intéressent en premier aux gestes et aux actions qui tissent la trame de la vie quotidienne.
Par ailleurs, la critique littéraire porte son attention sur les activités physiques, telles que
« marches, randonnées, extases, vertiges au sein de la nature, délices et douleurs de
l’opiomane [permettant] une redécouverte du corps qui n’avait jamais cessé d’exister mais qui
apparaît alors comme moyen d’exploration »(Brugière, 1991, p. 12).
A partir de ce point, la rhétorique du corps concerne davantage les représentations
physiques et sensorielles. Ce sont les perceptions et les actions qu’essaient d’identifier le
corps, de préciser ses liens avec l’homme qu’il incarne, de vérifier les relations qui existent
entre le soi et les autres, et enfin d’élucider les constituants du corps avec le monde. Toutes les
images du corps représentées dans les œuvres deviennent, par conséquent, des motifs
fondamentaux de recherche. Nous tentons ci-après de formaliser quatre catégories de l’image
du corps telle qu’elles sont fréquemment introduites dans la critique littéraire:
-
les perceptions sensorielles comme la perception des couleurs, des goûts, des sons, des
odeurs et les degrés d’affinement du toucher.
101
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-
les expressions des sentiments comme celles de l’amour, de l’amitié, de la souffrance, de
la joie et de la colère qui s’inscrivent sur le visage, les gestes ou bien les postures.
-
la gestuelle comme le signe de la main, les mouvements du visage, le hochement de la tête,
les façons de regarder ainsi que les directions du regard.
-
l’inconduite corporelle comme les comportements dans la maladie, la folie ou la détresse.
La critique littéraire a réexaminé un grand nombre d’œuvres en s’intéressant à la manière dont
les corps y sont représentés Le corps silencieux en dehors de toute action prend enfin la parole
et déclare son existence et son identité.
2. Les représentations physiques et sensorielles
En ce qui concerne les représentations physiques et sensorielles du corps, les critiques
tentent de relever toutes les significations conscientes autant qu’inconscientes d’après une
analyse mot à mot des descriptions verbales corporelles dans un texte. Nous pouvons faire
deux remarques.
- Dans un premier temps, une méthode scientifique et rationnelle, comme l’analyse quantitative du
vocabulaire du corps dans un texte donné ou chez un écrivain en particulier, est souvent utilisée pour
établir les données fondamentales d’une recherche. Nous obtenons par ces méthodes un grand
nombre de données sur les utilisations par tel ou tel des images du corps.
-
Dans un second temps, pour interpréter toutes les significations dissimulées dans les
images du corps, les critiques s’autorisent à se référer à des points de vue prises dans d’autres
champs de recherche, surtout ceux de la psychologie et de la psychanalyse. Il faut rappeler
que la notion d’« image du corps » est d’origine psychanalytique, sa conceptualisation s’étant
formalisée au cours du XXème siècle. Le travail de la psychanalyste Françoise Dolto nous
permet de saisir ce concept bien répandu de notre temps
(7)
. Toute élaboration de l’image du
corps, selon elle, s’inscrit et se déploie dans la catégorie de la représentation. Dans le
processus de constitution de l’image du corps chez les enfants, il y a une homogénéité entre ce
qui, du corps propre, se réalise inconsciemment comme « image » et ce qui, de cette image du
corps, se transfère, se duplique et se projette dans le même processus conduisant à une
production concrète. Grâce à cette sorte d’équivalence entre ce qui peut être mis en scène
dans une représentation et ce qu’il élabore en lui-même de son vécu corporel relationnel,
l’homme se fait une image du corps et se pose ainsi comme sujet dans le « sentiment du soi ».
A partir de ce fondement conceptuel, on peut parler du rapport entre « personnalité et image
du corps » ainsi que de « l’image inconsciente du corps ».
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(8)
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Dans cette direction de recherche littéraire, nous trouvons des études comme le travail de
Véronique Boyer en 1984 qui porte sur trois sortes d’images du corps dans A la recherche du
temps perdu: l’image du corps intériorisée, celle du corps objectivée et celle du corps vieilli.
Dans La bouche et le corps en 2003, Luca Pierdominici propose une étude générale
concernant l’image et la fonction du corps dans nombre d’œuvres littéraires françaises du
XVème siècle. Tandis que l’étude de Monique Lojkine-Morelec aborde le « sensualisme
esthétique » qui privilégie « la sensation interne, le mouvement musculaire, l’odorat et le goût,
(9)
le digestif et le sexuel » dans la poésie de T. S. Eliot
, l’étude de André Topia explore les
implications psychanalytiques dans les images associées, directement ou métaphoriquement,
au corps humain dans A portrait of the Artist as a Young Man de James Joyce
(10)
. Pour
approfondir davantage cette direction de recherche, nous nous concentrerons ici sur deux
études, celle de Sylvie Collot qui porte sur Zola ainsi que celle de Régine Detambel qui porte
sur Colette.
Dans son traité intitulé Les lieux du désir, Sylvie Collot, à travers des descriptions du
corps et du paysage, a l’intention d’établir une typologie dite « amoureuse » de Zola en
révélant une cohérence de l’imaginaire et de l’inconscience dans ses œuvres. Pour Collot,
toutes les utilisations des images corporelles ainsi que l’analyse de leur signification font
apparaître chez Zola le rapport qui existe entre cette iconographie physique et le thème de la
relation amoureuse. Comme elle l’explique: « au niveau d’une lecture de l’imaginaire et de
l’inconscient, un motif [……] se définit plutôt non seulement comme un champ lexical, mais
comme un champ associatif, incluant des termes corrélés métonymiquement et surtout
métaphoriquement »(1992, p. 6). La tâche de Collot est de dévoiler et d’interpréter la
signification érotique autant que sexuelle, qui est dissimulée dans les images du corps. Ainsi,
ses méthodes principales d’analyse sont celle de la thématique et celle de la psychanalyse.
Cela
lui
permet
de
parler
d’une
« physiologie
imaginaire »
ou
même
d’une
« physiognomonie »(pp. 12, 43).
Dans cette étude, l’analyse « quantitative » est considérée comme une démarche
essentielle de la recherche « qualitative ». Dans la recherche de désir et des valeurs érotiques,
elle se fonde tout d’abord sur une étude statistique, proposée par Etienne Brunet, du
vocabulaire du corps chez Zola, en privilégiant l’image selon des statistiques réalisées sur la
(11)
quantité des images corporelles dans le texte.
« En parcourant de la tête aux pieds les
différentes zones érogènes du corps zolien », Collot établit une longue liste détaillée sur les
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motifs corporels divisée en cinq catégories: la chevelure, le cou, le visage (les yeux, la bouche
et le nez), des parties du corps (le pied et les autres) ainsi que le style du corps. Toutes les
parties du corps chez Zola, peuvent être virtuellement « sexualisées »: les orifices du visage,
la bouche et les yeux en particulier, évoquent le sexe féminin, tandis que la verticalité du pied
ou la turgescence du nez renvoient au phallisme(1992, pp. 12, 138). Ceci explique la
prédominance du visage sur le reste du corps. Nous allons ici nous concentrer sur son analyse
du visage.
Selon Collot, les images du visage qui paraissent inépuisables dans les œuvres de Zola
s’accentuent sur trois éléments-yeux, bouche, nez-et leurs extensions: (i) les yeux (les yeux de
braise et les paupières meurtries, les yeux-puits et les yeux punis) et leur regard (le regard
caressant, le regard meurtrier, le regard-effraction et le regard accusateur) ; (ii) la physique de
la bouche (les lèvres pincées, la bouche sensuelle et des dents d’ogre), les aliments qui
traduisent le désir (les sucreries et les laitages) et la relation entre oralité et sexualité; (iii) la
physique du nez (le nez turgescent, les narines palpitantes et le nez castré) ainsi que l’odeur
(des parfums capiteux, l’« odeur de femme » et l’« odeur d’amour »).
En analysant la « notation physique » et la « connotation psychologique » qui sont
associés dans la description d’un visage, Collot démontre dans les personnages « un
tempérament sexuel, une aptitude plus ou moins grande à la chasteté, aux passions, à la
débauche»(p. 43). De plus, en définissant les personnages comme « des débauchés tout
autant que des assassins », elle veut révéler leur vraie nature, celle d’une indissoluble
ressemblance entre pulsion érotique et pulsion meurtrier dans les œuvres de Zola(p. 44). Ainsi,
nous trouvons des exemples comme celui de Nana qui séduit Muffat par « ses yeux agrandis,
cernés de noir, brûlants et comme meurtris d’amour »(Nana, 1880); et celui de Renée dont les
baisers sont comme des « fleurs[...…] pareilles aux lèvres meurtries et insatiables d’une
Messaline géante »(La Curée, 1872). (pp. 45, 64). Fondée sur une telle cohérence de
l’imaginaire du corps et de ses significations, Collot établit chez Zola une typologie du corps
où le désir amoureux ne se sépare pas toujours nettement d’une pulsion envahissante.
Dans la même orientation de recherche, Régine Detambel nous montre une autre étude
portant sur un « répertoire des images du corps » chez Colette. Ce qui distingue cette étude de
l’étude précédente, c’est que Detambel s’intéresse non seulement à des images corporelles,
mais aussi aux métaphores botaniques et zoologiques du corps telles qu’elles se trouvent dans
l’œuvre de Colette. Ici qu’on peut penser à Kristeva, dans son ouvrage qu’elle a consacré à
104
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Colette en 2002, souligne que la singularité du langage chez Colette est étroitement liée à la
relation intime entre les sensations, les plantes et les bêtes dans son écriture: « Colette a
trouvé un langage pour dire une étrange osmose entre ses sensations, ses désirs et ses
angoisses, ces ‘plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques’ et l’infini du monde-éclosions
de fleurs, ondoiements de bêtes, apparitions sublimes, monstres contagieux.»(2002, p. 13).
Afin de faire sortir cette singularité, Detambel a tout d’abord établi dans sa recherche une liste
détaillée des plantes et des animaux mentionnés métaphoriquement pour évoquer les
(12)
différentes parties du corps
. Par exemple, les lèvres, dans les œuvres de Colette, sont liées
aux plantes autant que « cerise, figue, géranium, pêche, piment, pomme, prune, raisin et
rose »; l’oreille se compare à la fois aux plantes autant qu’« arum, chèvrefeuille, rose et
rose-thé » et aux animaux autant que « chat, conque, coquillage, coquille, lièvre, ormeau et
rate »; les paupières sont renvoyées aux plantes comme « aveline, café, laurier et lilas » et aux
animaux comme « crapaud, papillon et poisson »(1997, pp. 283-289). Le vivant, chez Colette,
devient donc un « véritable générateur de métaphores »(p. 13).
Sans s’appuyer forcément sur un principe psychologique, Detambel fait apparaître dans
les corps les imaginaires et voilées peintes par Colette, des sensations « inépuisables,
dévorantes et enivrantes » qui sont décrites avec une terminologie puisée dans la botanique et
la zoologie. Selon les catégories de couleur, de forme et de certains caractères végétaux et
animaux, Detambel schématise la correspondance personnelle qu’établit Colette entre des
plantes et des bêtes d’un côté, et les impressions de relief textile et de caresses données par
ses images corporelles chez les différentes personnes de l’autre. Pour les yeux en tant que
« centre de souci », elle fait observer des « yeux d’un bleu pelucheux[qui] font songer à la
fleur de l’ageratum » (Journal à rebours, 1941), des « grands yeux couleur de café trouble »,
ainsi qu’un brun idéal sous la plume de Colette: « pourtant, ce centre, ce cœur, cet œil du
souci je ne puis m’empêcher de remarquer qu’il est d’un brun mordoré, juste comme fut un
beau regard, couleur d’aventurine [...…] ». Par ailleurs, nous trouvons des exemples comme
les paupières « soulevées et retournées du bout du doigt, comme on fait aux ouïes d’un
poisson suspect »(L’entrave, 1995), les « lèvres d’une pourpre un peu violette comme
l’intérieur d’une cerise mordue »(La retraite sentimentale, 1972), la « bouche en cerise
malade », les « visages de péris, roses comme le fuchsia, murmurent pour elle selon le rythme
d’un orchestre lointain »(L’envers du music-hall, 1913), les « beaux cheveux acajou de
cinquantenaire »(La femme cachée, 1974) ainsi que la « courte et raide chevelure en soie de
105
淡江人文社會學刊【第二十六期】
maïs » de Bel-Gazou (Les heures longues, 1984). En explorant son utilisation subtile des
métaphores, Detambe tente de montrer la richesse de l’écriture de Colette, et de révéler les
caractères les plus intimes entre les vivants dans son univers. Comme elle le souligne, « les
femmes, les hommes, les plantes et les bêtes de Colette, vivent dans une harmonie formidable
et toutes leurs forces se rejoignent spontanément pour se répondre et s’associer »(1997, p. 14).
Partant de l’analyse de ces études, deux questions méritent d’être posées. Il est à
remarquer que premièrement, en montrant l’image du corps en tant qu’objet cohérent, les
critiques traitent les œuvres littéraires d’un écrivain comme un tout, selon une approche
synchronique. Cette sorte de recherche synchronique néglige inévitablement l’évolution de
l’écriture et la singularité de chaque texte chez l’écrivain, comme Collot le souligne
elle-même: « nous avons bien conscience, ce faisant, de négliger les enjeux particuliers
propres à chaque texte, mais c’était le prix à payer pour faire apparaître la cohérence globale
de cet imaginaire et de cet inconscient »(Collot, 1992, p. 6).
Deuxièmement, les études réalisées en classifiant les différentes parties du corps, font
apparaître de manière constante une prédominance de l’image du visage sur celle du reste du
corps et une place importante pour l’évocation des cinq sens. Cette observation n’est pas tout
à fait une coïncidence. Selon l’étude de la signification esthétique du visage proposée par
(13)
Simmel, l’âme s’exprime avec le plus de clarté dans la forme du visage humain
. Il est ce
qui possède au plus haut point l’unité intrinsèque de la vie comme « une modification ne
concernant, en réalité ou en apparence, qu’un seul élément du visage change aussitôt son
caractère et son expression dans leur entier »(Simmel, 1998, p. 137). Le visage est donc le
seul lieu où les processus spirituels se concrétisent en formations stables pour « toutes
révélatrices du psychisme », et aussi « le lieu géométrique de la personnalité intime, pour
autant qu’elle soit perceptible au regard »(p. 141). Dans la tradition de l’art, le visage est
toujours le lieu des manifestations significatives. D’un autre côté, le rôle important des
perceptions dans le texte littéraire est également fondé sur l’expérience du corps. L’homme se
déploie à chaque instant par son activité perceptive. Ce sont les sens qui lui permettent de voir,
d’entendre, de goûter, de sentir, de toucher et donc de poser des significations précises sur le
monde qui l’environne. Toutes les impressions sensibles qui se rapportent en même temps
« au sujet en tant qu’elles éveillent en lui un sentiment, un état d’âme, et à l’objet en tant
qu’elles servent comme instruments de sa connaissance », deviennent objets d’analyse
majeurs dans la critique (Simmel, 1981, p. 226).
106
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Le corps comme une manière d’« être-au-monde »
Nous avons montré comment la critique littéraire, à travers l’image du corps, met en
scène à l’intérieur même des personnages ou même des auteurs leurs singulières sensations et
leurs indicibles pensées. Nous examinerons maintenant les études qui, selon ce nouveau
concept social et culturel sur le corps, envisagent la représentation corporelle comme un
ensemble d’idées sur le corps dans le cadre du processus de sa socialisation. Notre corps qu’il
soit individuel ou collectif prend enfin la parole
1. Le soi et les autres
Le corps en tant que tel se situe à mi-chemin entre l’intériorité de l’homme et
l’extériorité qui l’englobe. Il est en effet à la ligne de partage entre soi et autrui. A travers son
corps, l’homme trouve d’abord son identité, puis construit sa relation aux autres. Il fait du
monde la mesure de son expérience, il s’approprie et transmet cette expérience à l’adresse des
autres par l’intermédiaire des systèmes symboliques qu’il partage avec les membres de sa
communauté. Emetteur ou récepteur, le corps produit continuellement du sens et insère ainsi
activement l’homme à l’intérieur d’un espace social et culturel. C’est en ce sens qu’on définit
le corps comme une construction à la fois sociale et culturelle. Toutes les expressions du corps
sont ainsi individuelles et collectives.
A cet égard, les expressions des sentiments ne relèvent pas d’une simple psychologie
individuelle. « [T]outes sortes d’expressions orales des sentiments qui sont essentiellement,
non pas des phénomènes exclusivement psychologiques, ou physiologiques, mais des
phénomènes sociaux, marqués éminemment du signe de la non-spontanéité, et de l’obligation
la plus parfaite. » (Mauss, 1968 et 1969, p. 81). Tel qu’elles transparaissent dans le corps et se
mettent en scène dans les comportements, les expressions sentimentales sont des émanations
sociales et culturelles qui s’imposent dans leur contenu et dans leur forme aux autres membres
d’une communauté. Les sentiments que nous éprouvons, la manière dont ils retentissent et
s’expriment physiquement en nous, sont fondamentalement enracinés dans des normes
collectives implicites. Ils ne sont pas du tout spontanés, mais au contraire rituellement
organisés et manifestés à l’autrui.
Mauss nous fait observer que le rituel oral des cultes funéraires chez les australiensl’expression d’un sentiment qu’on pourrait supposer être entièrement personnel, arbitraire et
spontané-, est en fait de nature sociale et manque « au plus haut degré de tout caractère
107
淡江人文社會學刊【第二十六期】
d’individuelle expression d’un sentiment ressenti de façon purement individuelle »(1968 et
1969, p. 84). D’une part, les agents, les temps et les conditions des rites sont fixés, et d’autre
part, les cris, les chants ainsi que les hurlements dans la cérémonie funéraire sont toujours
musicaux et rythmés, à la fois physiologiques et sociologiques. Mauss précise dans sa
conclusion la tension qui existe entre soi et autrui dans les expressions sentimentales « On fait
donc plus que de manifester ses sentiments, on les manifeste aux autres, puisqu’il faut les leur
manifester. On se les manifeste à soi en les exprimant aux autres et pour le compte des autres.
C’est essentiellement une symbolique. »(p. 88). En prolongeant ce type de recherche, les
anthropologues et les sociologues s’autorisent à dire que les expressions de sentiments et
d’émotions ne sont rien d’autres que les expressions du groupe. Soumises aux règles sociales
les sentiments de l’individu loin de s’exprimer simplement et naturellement, prennent des
valeurs et des formes obligatoires pour le groupe. Ainsi les expressions des sentiments
fonctionnent comme des signes, autrement dit, comme un langage.
Dans cette même direction, le champ d’étude peut être étendu à tous les modes d’agir du
corps. En réexaminant des techniques de la nage et de la course, des modes de marche et des
positions de la main au repos, l’utilisation de la bêche et les méthodes de la chasse, Mauss
montre qu’il existe dans chaque société des habitudes bien à elle, qui varient avec « les
éducations, les convenances et les modes, les prestiges »(Mauss, 2003, p. 369). Cette
observation primaire lui permet de faire au moins deux remarques.
En premier lieu, comme le corps est modulé selon l’habitude culturelle, pour avoir une
vue claire sur « l’homme total », il est nécessaire de faire intervenir une triple considération.
« L’homme total » est à la fois physique ou biologique, psychologique et sociologique.
En second lieu, Mauss souligne le rôle de l’imitation dans la transmission des actes du
corps: « L’individu emprunte la série des mouvements dont il est composé à l’acte exécuté
devant lui ou avec lui par les autres.» (p. 369). C’est dans la relation entre la personne
imitatrice et ses modèles que s’inscrit tout l’élément social. Par ailleurs, tous les éléments
physiques et psychologiques se trouvent dans l’acte imitateur. Fondé sur ces points de vue,
Mauss considère que la relation de l’homme à son corps est celle de l’homme à un outil, et
annonce son projet sur les « techniques du corps », technique traditionnelle autant qu’efficace,
qui implique l’existence d’une tradition et la transmission entre des individus d’une culture
(14)
donnée.
Ce projet sera repris par des chercheurs dans les mises en œuvre des gestes et des
postures les plus fines, comme les manières de table, la manière de dormir, la façon de
108
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
(15)
s’asseoir, les gestes sportifs et même les positions sexuelles.
expressions et les comportements du corps
Il en vient à conclure que les
pris qu’il est entre le soi et l’autrui, ne sont
jamais choses neutres. Ils portent obligatoirement des empreintes culturelles, transmises de
génération en génération.
Les représentations du corps comme leurs expressions ne sont pas indifféremment
transposables d’un lieu et d’un temps d’une société à celles d’une autre société. Le corps est
une métaphore du soi autant qu’un inépuisable réservoir d’imaginaires sociaux et culturels.
Les critiques reprennent certaines recherches menées par des anthropologues et des
sociologues afin de faire apparaître dans les représentations corporelles les valeurs morales et
les mentalités d’une société qui les formalisent et les schématisent.
2. Les significations sociales et culturelles du corps silencieux
Nous proposons ci-dessous d’analyser l’étude de Claude Blum qui porte sur Le
corps à l’agonie dans la littérature de la Renaissance (1987) et ensuite de nous
intéresser à l’étude de Susan Sontag, La maladie comme métaphore (1977), qui porte sur
le corps malade dans la littérature du XIXème siècle et du XXème siècle. Ces deux
études, l’une comme l’autre, tentent, au travers d’expériences vécues de corps
condamnés au mutisme par des circonstances particulières, de révéler les conventions qui
enserrent les hommes dans une période historique donnée. Le corps à l’agonie et le corps
malade sont tous deux ni morts, ni pleinement vivants, ni à l’intérieur de la société, et ni
tout à fait au dehors d’elle. Dans les mots de Robert Murphy, anthropologue et lui-même
victime du cancer, le corps malade ne peut plus se considérer comme celui allant du soi.
Ces corps en fait ont subi « une transformation de la condition essentielle de leur
être-au-monde » et sont devenus étrangers, et même l’exilés, dans leur propre pays (1990,
p. 27, 157).
2.1 La mort et l’agonie socialisées
La mort comme la vie, font partie de la condition humaine. L’homme est la seule espèce
vivante qui est consciente de son existence et de sa mort à venir. L’agonie d’une personne, le
moment de mourir, renvoie ainsi inévitablement aux autres des messages particuliers et des
sentiments complexes. Il n’y a jamais de mort naturelle dans le sens où la mort ne peut se
réduire à un phénomène purement biologique. Le vécu de la mort est toujours déterminé par
des conditions à la fois biologiques, psychologiques, sociales ainsi que culturelles. En
conséquence, le modèle idéal de la mort varie avec les époques. Le modèle idéal de la mort
109
淡江人文社會學刊【第二十六期】
contemporaine: la mort subite, sans souffrance, disparition sans communication, n’est pas du
même modèle que la mort idéale du Moyen Age. Les artes moriandi (les arts du mourir) du
XVème siècle sont un exemple d’une « bonne mort » sur lequel les pensées religieuses, ou
plus précisément les pensées chrétiennes, exercent une forte influence. L’étude de Blum tente
de déterminer dans la littérature de la Renaissance une sorte de typologie des représentations
de l’agonisant destinée à la religion.
Pour Claude Blum, le système représentatif concernant le corps à l’agonie s’organise
principalement selon deux approches sémantiques: celle d’une socialisation grandissante de
l’agonie au détriment de sa religiosité, ou celle d’une intériorisation du « spectacle
mortuaire ». Blum considère le corps au moment de mourir comme le lieu d’une
manifestation des valeurs religieuses autour de l’homme en agonie, et ainsi ouvre le chemin
de son travail: « mettre en valeur une sorte d’archéologie des représentations analysées, un
système de formulation avec ses conditions de possibilité et d’impossibilité, de prendre enfin
la mesure d’évolutions à l’intérieur de cadres formels, à la fois constitués et en évolution, où
est raconté et pensé le corps à l’agonie »(1990, p. 147). En réexaminant la constitution et
l’évolution de l’image du corps à l’agonie dans les textes de la Renaissance autant que dans le
roman, le théâtre, le récit du voyage, le journal ainsi que dans les mémoires, nous faisons en
effet l’historique des idées sur la mort.
La recherche de Blum considère deux grandes catégories du corps à l’agonie: celle du
corps à l’agonie socialisé et celle de l’agonie solitaire, et elle met l’accent sur la première.
C’est avec une vision sociologique que le chercheur définit la notion d’« agonie socialisée ».
C’est une agonie qui devient « le temps et le lieu de mise en évidence, de mise en bilan, à
l’heure de la mort, des liens sociaux, politiques, familiaux, religieux, qui unissent l’agonisant
à son environnement »(p. 147). Plus précisément, il considère que le genre de la mort le plus
diffusé dans cette catégorie de l’agonie dite « socialisée » est celui de la mort chrétienne, dont
la mort de Roland dans la Chanson de Roland est le modèle canonique. La mort chrétienne est
en fait une mort préparée, qui laisse le temps de se mettre en paix et de confier son âme à
l’éternel. Dans le poème, lorsque son temps arrive, Roland en est conscient: « Roland sent
bien que la mort est tout près; par les oreilles se répand sa cervelle. Lors il prie Dieu qu’il
accueille ses pairs, pour lui s’adresse à l’ange Gabriel »(2259-2262). Le temps de mourir est
si doux qu’il perd sa puissance progressivement: « Roland sent lors qu’il a perdu la vue, se
met sur pied, tant qu’il peut s’évertue; de son visage la couleur a perdu »(2297-2299); « Lors
110
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
sent Roland que mort entier le prend, depuis la tête jusqu’au cœur lui descend »(2355-2356).
Il confesse des péchés au Dieu et lui confier son âme:
Lors sent Roland que son temps est fini.
Là vers l’Espagne, sur un mont très pointu,
Avec sa main se frappe la poitrine:
« Dieu, je m’accuse au nom de tes vertus,
Pour mes péchés, les grands et les petits,
Que j’ai commis dès l’heure où je vécus
Jusqu’à ce jour où je suis abattu ! »
Puis son gant droit vers Dieu il a tendu.
Anges du ciel vers lui sont descendus. (2366-2370)
En ce qui concerne le schéma de l’agonie destinée aux religieux tel qu’il est représenté
dans la littérature en général, Blum divise le déroulement de l’heure à mort en quatre
moments:
-
la prise de conscience par le mourant que son heure est venue.
-
la confession des péchés qui est souvent une narration d’une vie.
-
le jugement particulier où le mourant choisit entre le ciel et l’enfer.
-
le passage de sa mort. Dans cette représentation d’un procès formulé de l’agonisant, nous
trouvons tous les éléments sociaux et la mise en scène de la confession et du jugement qui
manifestent que la croyance et la valeur menées par l’Eglise sont respectées.
Le chercheur tente de mettre en évidence le rapport entre la pensée chrétienne et certains
caractères particuliers de tel ou tel corps-spectacle social. Premièrement, il témoigne du fait
que le corps à l’agonie chrétien se caractérise par un refoulement de la souffrance du corps,
parce que ce corps est destiné à représenter la mort chrétienne en tant que mort heureuse, en
disant le bonheur certain des élus. Ce type de corps se présente donc comme « un corps apaisé,
immobile, qui ne porte aucune trace de souffrance », ou bien comme celui d’une souffrance
« bien oubliée, enfouie dans le silence et qui ne s’exprime que par bribes, par séquences à la
limite de la perceptibilité »(Blum, 1990, pp. 148-149). La souffrance ne fait pas l’objet de
narration comme si elle ne pouvait que perturber l’harmonie de la mort du chrétien.
Deuxièmement, la puissance de la signification du corps socialisé à l’agonie est
concentrée sur la parole de l’agonisant. La parole de l’agonisant fonctionne d’une part comme
une « masque de la souffrance »; et d’autre part, cette parole qui dure jusqu’au dernier souffle
111
淡江人文社會學刊【第二十六期】
du mourant est considérée comme un signe d’élection car « elle permet de sanctifier le nom
du Seigneur au moment même du passage ». C’est la raison pour laquelle, au temps de Moyen
Age, l’existence de la parole de l’agonisant devient une preuve de bonheur, et un sujet du
débat quand il concerne la mort de gens importants, notamment celle du roi Henri II
(1519-1559).
Bien que le corps dont la souffrance est ignorée ou réprimée soit considéré comme
l’exemplarité de l’agonie de la Renaissance, le corps souffrant participe également au
corps-spectacle socialisé mais en tant que signe de la « mauvaise mort ». Toujours sous une
forme socialisée de la représentation, ce corps souffrant à l’agonie peut être distingué en deux
catégories: l’agonie du supplicié et l’agonie du martyr. La première signifie le mal et la
malédiction. La souffrance à l’agonie, qu’elle soit physique, mentale ou spirituelle, est la
marque du désespoir et de la damnation dont le sens biblique est reconnu à cette époque-là.
L’agonie du martyr, qui rappelle l’agonie de Christ, est mise en scène pour être une épreuve
qui sera surmontée. La parole de ce type du corps n’est pas celle de démission ou d’abandon à
la souffrance, mais celle de commentaire qui est destinée « à nier la possible puissance de la
souffrance », et qui notamment « recouvre la souffrance »(p. 153). D’une manière générale,
cette sorte d’analyse de la représentation socialisée d’un corps tente de montrer qu’il existe
une logique cohérente dans l’imagerie du corps dans une culture donnée.
2.2 Les métaphores du corps malade
Le regard sur le corps souffrant n’est jamais historiquement pur et simple. La
souffrance du corps dans la Renaissance, est largement refoulée, avec le concours de la
religion, dans la représentation de l’agonie. Dans un contexte différent aux temps modernes,
ce corps qui souffre, qui est malade, et surtout celui frappé par la maladie qui le condamne à
mort, est encore vu comme violant un tabou car il est ressenti comme étant de « mauvais
(16)
augure, abominable, répugnant, offensant pour les sens ».
Le corps tuberculeux au XIXème
siècle comme le corps cancéreux au XXème siècle, sont été réduits au silence en subissant de
façon spectaculaire, l’encombrant appareil de la métaphore. Dans son traité intitulé La
maladie comme métaphore, Sontag a l’intention de relever la soi-disant « mythologie
populaire » de ces deux maladies, et d’essayer de mettre en évidence la source de certaines
conceptions. La mission de ce travail, poussée par l’expérience personnelle de la maladie
de l’auteur,
( 17 )
est d’apaiser l’imagination du malade pour soulager des souffrances
« inutiles »:
112
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Or la maladie n’est pas une métaphore, et l’attitude la plus honnête que l’on
puisse avoir à son égard – la façon la plus saine aussi d’être malade – consiste
à l’épurer de la métaphore, à résister à la contamination qui l’accompagne.
Mais il est presque impossible de s’établir au royaume des malades en faisant
abstraction de toutes les images sinistres qui en ont dessiné le paysage. C’est à
l’élucidation de ces métaphores et à l’affranchissement de leurs servitudes
que je consacre cette enquête. (Sontag 1993, pp.11-12)
La métaphore en tant que mode de pensée et mode d’expression, implique
obligatoirement une opération mentale. En remontrant l’origine de cette notion de
« métaphore » à l’ancienne définition de Aristote dans sa Poétique: « le transport d’un mot qui
désigne autre chose » (1457b),
(18)
le but de Sontag est donc de défaire les métaphores autour
du corps malade, autrement dit, « d’ôter du sens à quelque chose »(1993, p. 135). A partir de
la littérature européenne et américaine des deux derniers siècles, Sontag réexamine les images
métaphoriques entourant le tuberculeux et le cancéreux..
Avant des les aborder, nous voudrions ajouter que les métaphores concernant le corps
malade évoluent avec le développement de la médicine, autrement dit, avec notre
connaissance des maladies. Au début, les phantasmes qu’ont inspirés la tuberculose et le
cancer réfléchissaient certaines réactions de l’homme à une maladie inguérissable et
capricieuse, à un mal irréductible qui est, par définition, « mystérieux »(p. 13). C’est grâce à
l’aide du microscope à la fin du XIXème siècle que notre compréhension des causes de la
maladie devient plus précise, que nous assignons telle maladie à tels organismes spécifiques,
identifiables et visibles, et que ce corps qui souffre passe d’une mystification à une
démystification. La modification des concepts médicaux permet de distinguer l’une de l’autre
ces deux maladies et par conséquent, les principales métaphores attachées au corps
tuberculeux et au corps cancéreux se sont différenciés.
Les métaphores littéraires nous montrent comment l’homme fabrique son imaginaire en
constituant respectivement des images totalement différentes à partir des symptômes de ces
deux maladies mortelles. Tandis que la tuberculose est considérée comme une maladie de la
pauvreté, le cancer, est vu comme une affection réservé à la classe bourgeoise. A cause de
l’apparence physique de la victime de la tuberculose dont le corps malingres apparaît comme
celui qui manque de nourriture, cette maladie est associée au dénuement. Nous trouvons des
(19)
exemples de ceci comme l’image de Mimi dans La Bohème (1896) de Giacomo Puccini,
113
ou
淡江人文社會學刊【第二十六期】
l’image de Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias (1848) de Alexandre Dumas fils,
un personnage qui en fait est plutôt détruite de l’intérieur. Le cancer, pour sa part, est associe à
une vie d’excès car, selon les statistiques le taux des cancers est le plus élevé dans les pays
riches, et la cause de cette maladie est attribuée à « un régime trop riche en graisses et en
protéines, ainsi qu’aux émanations toxiques de l’économie industrielle qui crée cette
opulence »(Sontag, 1993, p. 26).
Bien que cette sorte d’images nous paraissent « compréhensibles », il existe certaines
images pathologiques dont les sources sont difficiles à mettre en évidence. Sontag compare la
mort sereine de la tuberculose sous la plume de Charles Dickens, comme la mort de Smike
(20)
dans Nicolas Nickleby (1839)
(21)
et celle de Paul dans Dombey et fils (Dombey and Son, 1848),
à la mort avec les douleurs insupportables avec le cancer telle qu’elle est décrite par
Thomas Wolfe dans Au fil du temps (Of Time and the River, 1935). Nous citons ci-dessous
l’image de Gant dans ses derniers jours dans Au fil du temps, en tant que représentation du
corps souffrant du cancer:
Soudain, on voyait sa propre mort dans un endroit [l’hôpital] tel que
celui-ci, tout ce que la mort était devenue, -et cette image de la mort faisait
plutôt honte. [……] Ainsi, tandis que Gant était assis là, avec son grand corps
dévasté où les os saillaient, sa peau jaune et transparente, ses yeux vieillis et
ternes, son menton pendant et hargneux, -tandis qu’il regardait, morne et
sans voir, par delà la grande cité de sa jeunesse, sa vie semblait déjà avoir été
consumée, perdue, versée dans le vide de cet espace cruel et inhumain. In ne
restait rien sinon ses mains. Et ses mains étaient encore de grandes mains de
tailleur de pierre, puissantes, nerveuses, velues comme elles l’avaient toujours
été, attachées maintenant, par une incongruité choquante, à ce corps délabré
d’épouvantail. (Wolfe, 1984, p. 83)
En ce qui concerne les images et les « fantasmes » extrêmes associés aux deux maladies,
Sontag conclut: « douce pour le tuberculeux, la mort s’accompagne de souffrances aussi
spectaculaires qu’abominables pour le cancéreux »(1993, p. 29). Aucune explication n’est
évidente pour cette différence entre les images littéraires de deux maladies qui sont pourtant
(22)
également perçues comme meurtrières
. La mort « distinguée et édifiante » de la tuberculose
offre à l’auteur une façon idéale pour la fin de ses héros. Afin de retrouver la source de cette
image, Sontag tente de mettre en évidence la relation entre la mort sereine de la tuberculose et
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喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
l’imaginaire populaire concernant les poumons. Selon elle, comme les poumons signifient la
souffle et donc la vie, la tuberculose qui est étroitement liée à ce seul organe, s’associe à une
partie dite « spiritualisée » du corps. La maladie des poumons est donc considérée
métaphoriquement comme une « maladie de l’âme ». Le cancer, bien au contraire, peut
frapper des différentes parties du corps tels que le colon, la vessie, le rectum, le sein, l’utérus,
la prostate et les testicules, et il est toujours difficile de savoir d’où, dans le corps, il provient.
Ainsi, il est considéré comme une « maladie du corps » et il s’oppose à la tuberculose,
maladie spirituelle.
Sontag nous montre d’ailleurs une transfiguration purement littéraire, ou presque, du
corps malade: alors que l’imaginaire attaché aux victimes de la tuberculose est celui d’un
excès de passions et des tempéraments aventureux et sensuels, et l’imaginaire associé au
cancéreux est celui d’une répression constante des sentiments. Sontag cite Les Ailes de la
colombe (The Wings of the Dove, 1902) de Henry James comme l’exemple dans lequel le
médecin conseille à Milly Theale, héroïne et victime de la tuberculose, d’avoir une liaison
(23)
amoureuse pour son traitement.
Le récit de Tolstoï, La mort d’Ivan Ilitch (1884), met en
scène le rapport intime entre le cancer et la perte d’appétit de vivre, la résignation de
l’individu. Le romantisme au XIXème siècle a même découvert une nouvelle morale de la
mort du tuberculeux, dans laquelle cette maladie se singularise par les qualités d’angoisse, de
tristesse et de mélancolie. La maladie, d’une manière radicalement ironique, « rendait les gens
‘intéressants’-et c’est ainsi que se définissait à l’origine le romantique ». Dans l’analyse de
Sontag, le corps tuberculeux comme le corps cancéreux proposent en fait d’une façon
semblable, une même idée psychologique « de l’insuffisance ou du refus d’énergies vitales »
(1993, p. 34). Ce sont probablement les symptômes et les concepts de la maladie qui
fournissent ces images. D’un côté, la fièvre du tuberculeux, qui entraîne une désagrégation du
corps, rend les joues du patient rouges. Cette image est reprise comme étant le témoin d’un
feu intérieur pour décrire l’amour: la « maladie » d’amour, la passion qui consume la vie. De
l’autre côté, influencé par les recherches du psychiatre Wilhelm Reich, met en relation une
insuffisance d’oxygénation des tissus, un blocage émotionnel, une stase énergétique ainsi
qu’une désintégration des cellules, et conclut que la résignation du soi est la cause directe du
cancer.
(24)
Remarquons que la métaphore pathologique exprime en fait un profond déséquilibre
entre l’individu et la société, et donc la répression que la société exerce sur le corps. Au cours
115
淡江人文社會學刊【第二十六期】
du siècle, les sociétés développées, surtout celles d’Amérique et d’Europe, considèrent le
cancer comme une maladie du refoulement des sentiments de la colère ou de la sexualité, et
les victimes de cette maladie comme des individus qui sont psychiquement abattus. Dix ans
après la publication de La maladie comme métaphore, Sontag fait une autre enquête portant
sur Le sida et ses métaphores (1988), dans laquelle elle retrace comment les métaphores
militaires se construisent et aggravent les mystifications entourant le corps malade. Lorsque le
corps se prend en tant que forteresse, « la maladie est vue comme une invasion d’organismes
étrangers, auquel le corps réagit par ses propres opérations militaires, telle la mobilisation des
‘défenses’ immunologiques, et la médecine se fait ‘agressive’, comme dans le langage de la
plupart des chimiothérapies » (1993, p. 130). Le problème dans la métaphore guerrière contre
les maladies est que « le glissement, de la maladie transformée en maléfice à l’attribution de
la faute au malade, est inévitable ». Autrement dit, le malade en tant que victime est dans une
certaine mesure, responsable et donc coupable (pp. 132-133).
Le silence exercé sur le corps
Nous tentons enfin de nous consacrer aux critiques littéraires qui se sont penchés sur la
manière que le savoir ainsi que le pouvoir ont été exercés sur le corps silencieux. Cette
question est en fait une des questions centrales de la réflexion des sciences humaines dans les
années soixante-dix, question dont l’innovateur est sans doute le philosophe ou archéologue,
Michel Foucault. Comme il l’affirme dans un entretien en 1975, « c’est dans l’étude des
mécanismes de pouvoir qui ont investi les corps, les gestes, les comportements qu’il faut
édifier l’archéologie des sciences humaines. » (2001b, p. 1672). Son enquête sur le corps fou
(Histoire de la folie à l’âge classique, 1961), sur le corps malade (Naissance de la clinique,
1963) ainsi que sur le corps illégal (Surveiller et punir, 1975), a une influence considérable
(25)
dans les domaines des sciences humaines et aussi de la littérature.
Certains critiques comme
Eric Mechoulan dans son ouvrage intitulé Le corps imprimé, s’intéresse à la manière que le
silence s’articule sur le corps dans l’œuvre littéraire, au rapport qui existe entre perception du
corps et discours sur le corps. D’autres critiques, comme Jean-Pierre Naugrette dans son étude
Discours du corps, ordre du corps : de Stevenson à Kafka, examine la représentation de la
folie, de l’aliénation, et de l’enfermementqui réapparaît de manière singulière dans la
littérature fantastique à fin du XIXème siècle.
116
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
1. Le contrôle politique du corps
Depuis les années soixante, Foucault a réalisé une série d’études, simultanément
épistémologiques et politiques, sur la maîtrise des individus et le contrôle du corps du
XVIème au XIXème siècle. Ses études, avec des perspectives inédites, s’intéressent toujours à
l’aspect institutionnel et répressif de l’enfermement, de l’aliénation et de l’exclusion sociaux.
En étudiant l’évolution du concept de la folie et l’institution de l’asile, Foucault essaie
d’analyser comment dans notre histoire, s’est mise en place un dispositif de tri entre la raison
et la déraison, entre les « normaux » et les « anormaux ». Dans la Naissance de la clinique, il
cerne ensuite le rapport entre la perception du corps et le langage sur le corps dans le domaine
médical au tournant du XIXème siècle. En décrivant la naissance de la prison dans Surveiller
et punir, Foucault se consacre aux techniques du pouvoir et aux manières d’assujettir les corps.
Il aborde la prison comme « figure concentrée et austère de toutes les disciplines », en mettant
ces techniques de pouvoir en lumière dans l’organisation du système pénitentiaire et aussi
dans celle de l’armée, des collèges, des hôpitaux et des ateliers (2004, p. 31). Les sociétés
modernes occidentales qui fonctionnent comme des « sociétés disciplinaires », inscrivent
leurs membres dans un mode d’exercice du pouvoir, qui traverse des institutions de divers
types en les faisant converger vers un système d’assujettissement et d’objectivation.
Le pouvoir est en fait un système de relation et d’imposition de normes. Le corps est un
précieux révélateur pour faire l’analyse du pouvoir dans la société moderne. L’investissement
politique du corps relève plutôt d’une forme d’organisation qui met en place un dispositif destiné à
orienter les performances physiques requises, à favoriser le contrôle de l’espace et du temps, et à
produire chez l’homme les signes d’allégeance qui démontrent sa bonne volonté. En ce qui concerne
le rapport entre le pouvoir et le savoir, ceux-ci sont étroitement liés. Loin d’empêcher le savoir, c’est
le pouvoir qui le produit: « si on a pu constituer un savoir sur le corps, c’est au travers d’un ensemble
de disciplines militaires et scolaires. C’est à partir d’un pouvoir sur le corps qu’un savoir
physiologique, organique était possible. » (2001b, p. 1672).
Avec ses œuvres ultérieures, l’Histoire de la sexualité en trois volumes (La volonté de
savoir en 1976, L’usage des plaisirs et Le souci de soi en 1984), Foucault poursuit sa
réflexion à propos du « pouvoir sur la vie ». Dans le premier volume de l’Histoire de la
sexualité, Foucault résume le but de son travail:
[L]e but de la présente recherche est bien de montrer comment des dispositifs
de pouvoir s’articulent directement sur le corps – sur des corps, des fonctions,
117
淡江人文社會學刊【第二十六期】
des processus physiologiques, des sensations, des plaisirs; loin que le corps ait
à être gommé, il s’agit de le faire apparaître dans une analyse où le biologique
et l’historique ne se feraient pas suite, comme dans l’évolutionnisme des
anciens sociologues, mais se lieraient selon une complexité croissante à
mesure que se développent les technologies modernes de pouvoir qui prennent
la vie pour cible. Non pas donc « histoire des mentalités » qui ne tiendrait
compte des corps que par la manière dont on les a perçus ou dont on leur a
donné sens et valeur; mais « histoire des corps » et de la manière dont on a
investi ce qu’il y a de plus matériel, de plus vivant en eux. (2000, p. 200)
Dans une même visée théorique et politique, Foucault cherche comment les dispositifs
de pouvoir se sont exercés sur les corps. Le discours sur le sexe, tout comme l’intervention
punitive, repose sur un certain système de manipulation des hommes. Dans cette enquête,
Foucault montre amplement que le silence enserre la sexualité dans une démesure discursive.
Ceci met en évidence le rapport entre le corps lui-même et le discours sur le corps.
2. Le discours du corps
Le travail de Foucault a inspiré certains critiques littéraires. Dans son ouvrage intitulé Le
corps imprimé, Mechoulan tente de construire une réflexion socio-économique mais aussi
philosophique sur le corps dit « silencieux » dans la littérature du XVIIème siècle, tout en se
fondant sur l’idée de Foucault concernant les dispositifs du pouvoir dans le discours.
Mechoulan s’intéresse moins à la raison qu’à la manière dont le silence s’est exercé sur le
corps. En démontrant comment le corps est rendu silencieux dans une œuvre, la seule solution,
pour lui, est de « faire apparaître comment on se tait », et de « rendre ce silence considérable ».
(1999, p. 17) Cela provoque un examen des dispositifs du pouvoir s’articulant sur le corps
dans le discours, autrement dit, celui du rapport entre corps et discours.
Ce qui est intéressant dans son étude, c’est la manière dont Mechoulan transforme et
applique dans les études littéraires les idées des dispositifs du savoir et du pouvoir sur le corps.
En considérant la représentation comme un processus d’échange entre sujet écrivant et objet
écrit, comme « une opération de passage entre impression et expression » (p. 14), Mechoulan
constate que la façon de faire impression et de permettre l’expression du corps dans l’écriture
(26)
littéraire, est d’affirmer un savoir et d’exercer un pouvoir sur le corps.
[C]omment faire impression – autrement dit comment exercer un pouvoir? Et
parallèlement on se demande comment faire pour exprimer ses impressions –
118
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
comment affirmer un savoir? On doit concevoir l’essor des arts de civilité
comme un moyen de mettre en évidence, et en même temps de contrôler,
l’expressivité, devenue problématique puisqu’elle ne se fonde plus sur l’état
d’une morphologie comme au Moyen Age, mais qu’elle se trouve liée à une
impression plus ou moins préhensible. (p. 13)
Ainsi, une investigation du rapport entre le corps et le discours est, d’un côté, celle des façons
dont on représente ou se représente le corps, « surtout des façons dont les corps sont mis en discours,
dont le langage lui-même s’articule sur le corps », et de l’autre côté, celle « des effets de la
représentation et de ses dispositifs et modalités » (p. 21). En vue de réexaminer le rapport entre le
corps et le discours au cours du XVIIème siècle, Mechoulan mène d’abord une étude générale sur les
règles de l’expression amoureuse en Occident et en Orient, où se démontre les relations multipliées
entre l’amour, le mariage et le langage. Il présente ensuite plusieurs études en ordre chronologique
sur (i) l’impression et l’expression dans Artamene ou le Grand Cyrus (1649-1653) de Madeleine de
Scudéry où se développe toute la composition tendre du corps et du discours; (ii) l’impression du
silence dans La Princess de Clèves (1678) de Madame de La Fayette; (iii) les expressions de
l’harmonie dans les « comédies-ballets » de Molière et enfin (iv) l’expression du corps chez Sade, en
nous proposant un contrepoint dans la fugue des corps et les figures au tournant du XVIIIème siècle.
La recherche de Naugrette, Discours du corps, ordre du corps: de Stevenson à Kafka, est
inspirée par le discours de Foucault d’une manière différente. Cette recherche se consacre
d’un côté aux images du corps convulsé, torturé et aliéné, et de l’autre côté, à la forme
d’exclusion de ce corps dans la société, dans les trois romans que sont L’étrange cas du Dr
Jekyll et Mr Hyde (The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, 1886) de Robert-Louis
Stevenson, Dracula de Bram Stoker, et La Métamorphose (1913) de Kafka.
La littérature fantastique, correspondant d’une certaine manière aux études de la clinique
et de la prison menées par Foucault, semble mettre en scène vers la fin du XIXe siècle, des
représentations de la folie et de l’aliénation « accompagnées d’une cohorte de personnages
médicaux ou para-médicaux (médecins, infirmiers, surveillants) mais aussi d’hommes de loi
(officiers, détectives, policiers), autant de voix qui vont s’élever en même temps que la voix
de leurs patients » (1991, p. 140). Naugrette explore la manière dont sont exclus les
personnages dits « monstrueux » et « aliénés » en s’appuyant sur les concepts de Michel
Foucault. Selon celui-ci, dans L’ordre du discours, les trois systèmes d’exclusion du discours
sont la parole interdite, le partage de la folie et la volonté de vérité. Ces trois systèmes sont
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淡江人文社會學刊【第二十六期】
liés à une institution et, tout au long de l’histoire, ne cessent jamais d’exercer leur pouvoir de
contrainte sur le corps humain. C’est principalement au nom du troisième de ces systèmes, la
volonté de vérité, que sont justifiés les interdits et que, depuis le XIXème siècle, on définit la
(27)
folie.
Dans les trois romans que Naugrette a analysés, ceux de Stevenson, de Stoker et de
Kafka, ce sont respectivement la famille, le médecin et l’homme de loi qui prennent le
pouvoir de « classer l’intrus » et « d’étiqueter le monstre » (1991, p. 143). Plus précisément,
le notaire M. Utterson dans L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, le médecin de Lucy et de
Renfield dans Dracula, et la famille de Grégoire dans La Métamorphose, apparaissent à
chaque fois, avec la même « volonté de vérité », dans la terminologie de Foucault, la
« prodigieuse machinerie destinée à exclure » (1971, p. 22). La parole de ces personnages ne
s’élève que pour juger ou affirmer un diagnostic qui vise au « rétablissement de l’ordre, le
plus souvent par la force » (Naugrette, 1991, p. 145). Le chercheur analyse donc comment les
héros sont « évacués, dépersonnalisés, réifiés dans le discours des autres » (p. 146). Par
exemple, la sœur de Grégoire remplace le nom de son frère par le prénom « ça », désignant
ainsi une chose non un être humain: « Je ne veux pas prononcer le nom de mon frère en
parlant du monstre qu’il y a ici, je vous dirai donc simplement: il faut chercher à nous
débarrasser de ça ». De même, Poole ne trouve pas de mot devant M. Utterson pour décrire
son maître Jekyll, qui est déjà un autre. A travers le regard des autres personnages sur les
corps aliénés, nous pouvons reconstituer certaines formes d’exclusion de cette époque.
Conclusion
La révélation de la conscience du corps et du nouveau regard porté sur lui, offre un
nouvel espace en tant que tel à l’étude du corps dans la critique littéraire de notre époque. A
partir de représentations du corps physique, sensoriel, social et culturel, le courant littéraire
qu’est la rhétorique du corps tente de démontrer comment le corps est modelé d’une part par
les mentalités et les sensibilités individuelles, et d’autre part, par l’imaginaire collectif, ainsi
que par les dénonciations des mécanismes d’oppression et d’aliénation dans la société. Il
s’agit en fait d’une tentative de réinscrire la réflexion littéraire dans une analyse générale qui
concerne la culture d’une communauté, et même la problématique d’une société.
Dans une perspective méthodologique, la rhétorique du corps s’autorise à entrecroiser
tous les champs des sciences humaines pour élargir son champ d’étude ainsi que pour
120
喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
développer sa méthode d’étude. Comme nous avons tenté de le montrer, cette tendance de la
critique favorise des études interdisciplinaires. Puisque la notion d’« image du corps » est
d’origine psychanalytique, les critiques recoupent souvent des recherches menées par les
psychanalystes qui cherchent eux aussi à montrer des significations dissimulées des
représentations corporelles. Par ailleurs, lorsqu’on considère le « corps » comme un ensemble
d’idées pris dans un processus de socialisation, ce corps devient le lieu de manifestation de
forces économiques et politiques dans une société, et il est naturellement aussi l’objet de
recherches anthropologiques et sociologiques. Nous pouvons enfin constituer une véritable
histoire des mentalités sur notre corps. La diversité de ces démarches pourrait nous amener
à réfléchir sur les rapports au XXème siècle de la critique littéraire et des sciences humaines.
La confrontation entre critique littéraire et sciences humaines devraient permettre, dans une
certaine mesure, un enrichissement réciproque de ces différentes disciplines. Mais devant le
prolongement des modèles méthodologiques hérités des ces diverses recherches, comment la
critique littéraire peut-elle garder sa propre spécificité? Chaque domaine de recherche ayant
sa propre idéologie, la critique peut-elle juxtaposer malgré tout les principes de plusieurs
champs d’étude? La critique littéraire se demande toujours s’il n’y a pas un abus de sens ou
une distorsion du modèle provenant d’autres domaines. En appliquant différents concepts
inspirés par les recherches de sciences humaines à l’étude du corps dans la littérature, la
critique devrait se concentrer sur une logique cohérente dans son argumentation.
Dans la rhétorique du corps, celui-ci est considéré comme un réservoir inépuisable. C’est
le corps qui fait se communiquer le soi et l’autrui, le soi et le cosmos, et c’est aussi lui qui
exprime la valeur d’une société, ou même une vision du monde. Le concept du corps dans la
culture traditionnelle de l’Orient pourrait apporter un éclairage supplémentaire à cette
situation du corps. La pensée orientale propose en effet un modèle dynamique et énergétique
du corps qui est à la fois matière et esprit, physique et mental. Dans cette culture, le corps et
(28)
l’esprit s’entremêlent: le corps est fait d’esprit et l’esprit lui-même est fait de corps.
Ainsi,
le taoïsme qui considère l’être comme une unité fonctionnelle reliée au cosmos, met l’accent
sur l’équilibre entre deux polarités énergétiques, ce qu’on appelle en chinois, le ying et le
yang. Par ailleurs, le yoga en tant que « technique d’ascèse » et « méthode de contemplation »,
enseigne le contrôle de l’homme sur son corps, en disant que maîtriser le corps c’est maîtriser
(29)
les émotions et l’esprit.
Dans les moments qui impliquent une communication à l’intérieur
121
淡江人文社會學刊【第二十六期】
du soi ou dans l’espace indéfinie du cosmos, c’est le corps, à la place de la parole, qui joue le
rôle de révélateur. C’est en ce sens que nous parlons de « culture du silence » en Orient.
En détournant du « torrent » et de l’« abus » du langage, nous pouvons voir le corps se
mettre silencieusement à parler. L’éloquence muette, celle du corps, rend le monde silencieux
et réservé. La rhétorique du corps inscrit le silence dans une dimension expressive. Ce silence
constitue un champ d’étude en soi dans le domaine de critique contemporaine, et nous amène
par ailleurs à réfléchir sur les excès du langage.
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喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Notas:
(1) En tête d’extrait de A-corpoème parus sous le titre de Lettrier du soleil en décembre 1968,
au Centre Culturel français d’Alger, Jean Sénac écrivait: « Le corpoème se présente
comme un Corps Total (la chair et l’esprit), c’est dire qu’il est une manière de roman où
le poète est donné. Ebloui » (Sénac, 1981, p. 77).
(2) Les informations et les statistiques sur les thèses soutenues en France entre 1975 et 2004,
thèses dont le thème porte sur le corps tel qu’il est représenté dans la littérature, sont
établies d’après le « Système universitaire de documentation » (Sudoc), le 18 juin, 2006.
(3) Voir Jean-Paul Sartre, L’être et le néant : essai d’ontologie phénoménologique, Troisième
partie, Ch. II: « Le corps » et Ch. III: « Les relations concrète avec autrui », pp. 342-470;
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Première partie, IV: « Le
corps comme expression et la parole », pp. 203-232.
(4) Pour les deux modes d’être du corps, Sartre précise que « l’être pour soi doit être corps et
tout entier qu’il doit être conscience: il ne saurait être uni à un corps. Pareillement l’être
pour autrui est corps tout entier; il n’y a pas là de ‘phénomènes psychiques » à unir au
corps; il n’y a rien dernière le corps » (Sartre, 2003, pp. 344-345).
(5) Ibid., p.404: « [Autrui] me fait être et, par cela même, me possède, et cette possession
n’est rien autre que la conscience de me posséder. Et moi, dans la reconnaissance de mon
objectivité, j’éprouve qu’il a cette conscience. A titre de conscience, autrui est pour moi à
la fois ce qui m’a volé mon être et ce qui fait ‘qu’il y a’ un être qui est mon être. »
(6) Pour Jean Baudrillard le corps n’est rien d’autre que les modèles où les différents
systèmes qui l’ont enfermé. La référence idéale du corps pour le système médical est le
cadavre. La référence pour le système religieux est l’animal, caractérisé par les instincts
et les appétits de la « chair ». Pour le système d’économie politique, la référence est la
machine (le robot), et pour le système d’économie politique du signe, elle est le
mannequin. Chaque système révèle, derrière l’idéalité de ses fins (la santé, la résurrection,
la productivité rationnelle, la sexualité libérée), « le phantasme réducteur sur lequel il
s’articule, la vision délirante du corps qui fait sa stratégie » (Baudrillard, 1976, p. 177).
(7) Bien que la recherche de Dolto, Le sentiment de soi: aux sources de l’image du corps,
soit consacrée aux enfants, sa théorisation et sa schématisation de la constitution de
l’image du corps nous permettent de mieux comprendre la relation intime entre repré
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sentation et « subjectivation » de l’homme.
(8) Voir (i) Dolto, 1961, p. 60-75; (ii) Françoise, 1984.
(9) Pour Lojkine-Morelec, ce qui caractérise la poésie d’Eliot, c’est qu’elle appelle le
« sensualisme esthétique », une attitude « sensuelle » héritée de Keats et de Shakespeare,
mais pourtant contradictoire à la poésie ratiocinante du XIXème siècle et à « la
personnalité morale essentiellement puritaine du poète ». En considérant le fait que ce
sensualisme vient de « profondeurs les plus obscures de psychisme », Lojkine-Morelec
fait une étude sur les images des yeux, des mains, des pieds, des bras, des jambes, sur le
regard, le sourire, les gestes ainsi que sur les odeurs tels qu’ils se présentent dans les
poèmes d’Eliot, afin de démontrer une variation de l’importance de ces deux attitudes
contradictoires que sont le puritanisme moral et le sensualisme esthétique, dans le for
intérieur du poète comme dans sa création (Lojkine-Morelec, 1991).
(10) André Topia, de son côté, emploie certains concepts psychanalytiques, surtout ceux de
Mélanie Klein et Freud, pour expliquer les implications qui sont cachées dans la manière
que Stephen a de construire son propre corps, ainsi que dans le jeu symbolique d’un train
qui s’associe à l’image du corps de la mère et à la naissance d’un enfant (Topia, 1991).
(11) Par exemple, comme la « chevelure » n’arrive qu’au vingt et unième rang des images
corporelles présentées dans les œuvres de Zola, Collot y voit une valorisation intense et
constante, et lui réserve donc le premier chapitre d’étude pour se convaincre de
l’importance de cette image (Collot, 1992, p. 11).
(12) L’étude de Detambel présente dans l’ordre alphabétique les métaphores végétales et
animales appliquées au corps: Abricot, Acajou, la fleur d’Ageratum, Ail, Ajoncs, Amande,
Ampélopsis, Anémone, Aristoloche, Arum, Aveline, Balsamine, Bégonia, la chevelure du
Bignonier, Blé, Bouleau, Brugnon, racine de Buis, Cactus rose, Café et tabac, Cerise, les
graines du Chanvre, Chardon, Chêne, Chèvrefeuille, les fleurs de Chicorée etc.
(13) L’étude de Simmel vise à définir par quelles déterminations perceptibles pour les sens le
visage humain parvient au « rôle incomparable imparti » dans le domaine des arts
plastiques, surtout la sculpture et la peinture. Pour lui, la solution du problème essentiel
de toute activité artistique, comme le problème de rendre intelligibles les uns par les
autres les éléments formels des objets, et le problème d’interpréter le visible par ses
corrélations avec le visible, « c’est le visage qui semble le mieux prédestiné, puisqu’en
lui chaque trait est, dans sa destination, solidaire de celle de chacun des autres ».
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(14) Mauss propose une classification des techniques du corps selon quatre catégories: (i) le
sexe, (ii) l’âge, (iii) le rendement ainsi que (iv) les formes de la transmission des
techniques (Mauss, 2003, pp. 373-375).
(15) Claude Lévi-Strauss souligne dans son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss »
l’importance du projet des techniques du corps proposé par Mauss et ensuite il propose la
constitution d’ « archives internationales des techniques corporelles ». Selon Le Breton,
ce projet est principalement repris en France autour de la revue, Geste et image, animée
par Bernard Koechlin (Mauss, 2003, pp. IX-LII ; Le Breton, 2002, pp. 49-53).
(16) Sontag, 1993, p. 17: La mort « représente aujourd’hui un événement dénué, à un degré
redoutable, de signification, et une maladie, identifiée par la plupart des gens à la mort, est
vécue comme quelque chose qui doit être caché. La politique au nom de laquelle on trompe le
cancéreux sur la nature de son mal reflète une conviction bien établie: le mourant se porte
mieux d’ignorer qu’il est en train de mourir et la bonne mort est celle qui survient à l’improviste,
mieux encore: quant nous sommes inconscients ou endormis ».
(17) Dans l’ouvrage Le sida et ses métaphores en 1988, dix ans après la publication de La
maladie comme métaphore, Sontag, victime du cancer elle-même, résume le but
personnel de ce travail antérieur: « C’est la découverte de la stigmatisation des cancéreux
qui m’a poussée à écrire [L]a Maladie comme métaphore. Voilà douze ans, lorsque je
suis tombée malade du cancer, ce qui me mettait surtout en rage – et m’empêchait de
penser à ma propre terreur et à mon désespoir face aux sombres prévisions de mes
médecins–, c’était de voir à quel point la réputation même de cette maladie ajoutait aux
souffrances de ceux et de celles qui en souffraient. » Ibid., p. 133.
(18) Aristote 2001, p.83: « La métaphore est le transport d’un mot qui désigne autre chose,
transport qui va soit du genre à l’espèce, soit de l’espèce au genre, soit de l’espèce à
l’espèce, soit selon l’analogie » (1457b). Le numéro de cette phrase dans la Poétique est
mal cité dans la traduction de l’ouvrage de Sontag. Ibid., p. 125.
(19) L’image du corps de Mimi est un corps typique du malade, qui est faible et impuissant.
Dans l’Acte I, dès la première fois Mimi où elle se présente sur scène, elle s’évanouit
devant Rodolfo. Lorsque Rodolfo touche sa main par hasard, il trouve qu’elle est
complètement glacée (Puccini, 1983, pp. 88-89, 92).
(20) Au moment de mourir, Smike est calme en rêvant d’entrer dans le jardin d’Eden. «
[Smike] fell into a light slumber, and waking smiled as before; then he spoke of beautiful
125
淡江人文社會學刊【第二十六期】
gardens, which he said stretched out before him, and were filled with figures of men,
women, and many children, all with light upon their faces; then, whispered that it was
Eden – and so died. » (Dickens, 1968, p. 763).
(21) Dans Dombey et fils, la scène de la mort de Paul est marquée par une tranquillité divine.
« [Paul] felt his father’s breath upon his cheek, before the words had parted from his lips.
‘Remember Walter, dear Papa,’ he whispered, looking at his face. ‘Remember Walter. I
was fond of Walter!’ The feeble hand waved in the air, as if it cried, ‘good bye!’ to Walter
once again. ‘Now lay me down,’ he said, ‘and Foly, come close to me, and let me see
you!’ [……] ‘How far the river runs, between its green banks and the rushes, Floy! But
it’s very near the sea. I hear the waves! They always said so!’ Presently he told her that
the motion of the boat upon the stream was lulling him to rest. How green the banks were
now, how bright the flowers growing on them, and how tall the rushes! Now the boat was
out at sea, but gliding smoothly on. And now there was a shore before him. Who stood on
the bank! – He put his hands together, as he had been used to do, at his prayers. He did
not remove his arms to do it; but they saw him fold them so, behind her neck. ‘Mama is
like you, Floy. I know her by the face! But tell them that the print upon the stairs at
school, is not Divine enough. The light about the head is shining on me as I go!’ » Pour
les détails, voir le Chapitre XIV du roman (Dickens, 1982, pp. 187-191).
(22) Sontag, 1993, p. 28: « Il est évident que bien des tuberculeux meurent dans l’intolérables
souffrances tandis que certains cancéreux souffrent peu ou pas du tout; que pauvres et
riches sont également victimes de ces deux maladies; que l’on peut être tuberculeux sans
tousser. Mais la mythologie persiste. »
(23) James, 2003, pp. 220-221: « These things [love affaires], for Milly, inwardly danced their
dance; but the vibration produced and the dust kicked up had lasted less than our account
of them. Almost before she knew it she was answering, and answering beautifully, with
no consciousness of fraud, only as with a sudden flare of the famous ‘will-power’ she
had heard about, read about, and which was what her medical adviser had mainly grown
her back on. »
(24) Sontag souligne l’explication du cancer de Freud qui a été proposé par Reich. Reich, 1972,
p. 24: « le cancer est une maladie consécutive à la résignation émotionnelle, une carence
bio-énergétique, un renoncement à l’espoir. [……] Voilà qui nous ramène à Freud:
pourquoi le cancer s’est-il développé chez lui précisément à cette époque? Parce que
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喧囂的沉默─近三十年來以「身體」作研究對象的文學批評
Freud commençait à s’installer dans la résignation. » Voir aussi Wilhelm Reich, La
biopathie du cancer, traduit de l’allemand (Der Krebs, 1948) par Pierre Kamnitzer, Paris,
Payot, coll. « Collection Science de l’homme », 1975.
(25) Les études de Foucault ont fait l’objet de maintes controverses en France et spécialement
en Amérique. Les travaux de Jean-Marie Brohm, tels que Corps et politique et Sociologie
politique du sport, sont des exemples à cet égard. Brohm est d’ailleurs l’animateur de la
revue Quel corps? dont l’un des objectifs consiste à penser la corporéité dans ses liens au
politique (Voir Brohm, 1975, 1976; Turner, 1996, pp. 1, 63-64, 75-76.).
(26) Mechoulan démontre qu’au XVIIème siècle, tous les sujets concernant le goût pour la
rhétorique, le développement de la propagande de l’Etat, l’examen pointilleux des règles
du discours amoureux, mondain ou moral, témoignent de l’intérêt pour la même question
de la représentation (Mechoulan, 1999, p. 13).
(27) Foucault, 1971, pp. 19-20: « [C]ette volonté de vérité, comme les autres systèmes
d’exclusion, s’appuie sur un support institutionnel: elle est à la fois renforcée et
reconduite par toute une épaisseur de pratiques comme la pédagogie, bien sûr, comme le
système des livres, de l’édition, des bibliothèques, comme les sociétés savantes autrefois,
les laboratoires aujourd’hui. Mais elle est reconduite aussi, plus profondément sans doute
par la manière dont le savoir est mis en œuvre dans une société, dont il est valorisé,
distribué, réparti et en quelque sorte attribué. »
(28) Cheng, 2002, p. 39: « l’unité recherchée par la pensée chinoise tout au long de son
évolution est celle même du souffle (qi), influx ou énergie vitale qui anime l’univers
entier. Ni au-dessus ni en dehors mais dans la vie, la pensée est le courant même de la vie.
Toute réalité, physique ou mentale, n’étant rien d’autre qu’énergie vitale, l’esprit ne
fonctionne pas détaché du corps: il y a une physiologie non seulement de l’émotionnel,
mais aussi du mental, voire de l’intellectuel, comme il y a une spiritualité du corps, un
affinement ou une sublimation possible de la matière physique. »
(29) Selon Mircea Eliade, le terme de « yoga » dérive étymologiquement de la racine yuj, qui
signifie littéralement « lier ensemble », « tenir serré », « atteler » et « mettre sous le joug »,
et qui commande aussi le latin jungere, jugum, et l’anglais yoke. Ce terme désigne en
général « une technique d’ascèse, une méthode de contemplation. Toute autre définition
renverrait à la définition de telle ou telle espèce particulière de Yoga. [……] ‘Lier
ensemble’, ‘tenir serré’ et ‘mettre sous le joug’, tout cela a pour but d’unifier l’esprit,
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淡江人文社會學刊【第二十六期】
d’abolir la dispersion et les automatismes qui caractérisent la conscience profane. »
(Eliade, 1991, pp. 16-17).
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