René Vautier et les Éclaireurs ou la pépinière d`une vie de

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René Vautier et les Éclaireurs ou la pépinière d`une vie de
René Vautier et les Éclaireurs ou la pépinière d’une vie de liberté
Avec la disparition du cinéaste René Vautier le 4 janvier 2015, une mémoire de la Résistance s’éteint. Interrogé sur les
conditions de son engagement de cinéaste militant, René Vautier a toujours revendiqué sa jeunesse d’Éclaireur comme
étant le pays de son adolescence. Loin d’être une légende, l’engagement de Vautier débute dans l’éducation populaire.
Comment expliquer la constance d’une vie vouée à défendre la dignité des humbles avec une caméra 16 mm ? Les
raisons en sont d’une part historiques, d’autre part psychologiques et enfin cinématographiques.
Né à Camaret (Finistère) en 1928, Vautier est le fils d’une institutrice et d’un ouvrier. Jusqu’à 18 ans, il participe aux
aventures du groupe Éclaireur de France de Quimper. En zone Nord occupée, le mouvement est interdit de tenue, de
pavoisement et de camps mais le plein air s’organise sous l’emprunt de clubs de jeunes. Il est vrai qu’à Vichy, le
scoutisme tient le haut du pavé des politiques de jeunesse. Cependant, à Quimper comme ailleurs, de nombreux
enseignants grossissent les rangs des Éclaireurs. Leur neutralité confessionnelle accueille le militantisme laïque
supprimé par Vichy. Un instituteur comme Jean Kerloc’h compose en 1944 pour les Éclaireurs le chant Hé garçon
prends la barre. Un autre instituteur, Albert Philippot, responsable du groupe, dirige la Résistance dans le Sud du
département. Les consignes de prudence de ce dernier sont outrepassées par les jeunes du clan René-Madec, dont les
frères Jean et René Vautier qui glissent leur canoë sur l’Odet pour noter les angles de tir des batteries allemandes.
D’autres sabotent des lignes électriques ou téléphoniques. Dans l’été 1944, ils trouvent un refuge provisoire à la ferme
de Guélen, en pays Glazik. Plusieurs y sont exécutés en plein sommeil par les Allemands. A la Libération, le clan dont
René Vautier est le benjamin, prend le nom de Roger Le Bras en hommage à un des disparus. Fait exceptionnel, les 16
jeunes reçoivent la Croix de Guerre avec palmes.
Le scoutisme et ses équipées possèdent le parfum d’une utopie fraternelle à laquelle il apporte sa pierre. La pédagogie
du camp de toile fonctionne alors comme une cité idéale où chacun trouve sa place. En 2001, Vautier nous disait
qu’on s’y « serrait la main gauche celle la plus proche du cœur. » Il y a trouvé, « ce que l’on enseigne peut-être pas
assez dans l’Education nationale : la nature, le feu, l’amitié et le plaisir d’être ensemble, de partager entre soi et
d’être utiles aux autres. » Mais, de la guerre, ce survivant en revient traumatisé. Participant à un vol dans un dépôt de
munitions, il jette une grenade dans la cabine d'un camion, avant sa sidération à la vue du cadavre du chauffeur.
Le récit devient un moyen de dépassement de ses souffrances puis, le bac en poche en 1945, il passe de la poésie au
cinéma. La suite est connue de son entrée à l’IDHEC en 1946, sous l’influence dit-il, toujours de ses copains, pour
filmer « ce que tu vois, ce que tu sais, ce qui est vrai. » Le Breton filme les crimes coloniaux dans Afrique 50 puis les
luttes ouvrières de l’après-guerre (Un homme est mort), affronte une solide censure et une répression féroce avant de
rallier la révolution algérienne. Mais, dans une œuvre dont la résistance à l’oppression demeure la colonne vertébrale,
nulle trace d’une mise en image du destin des Éclaireurs quimpérois. Son œuvre la plus connue, Avoir vingt ans dans
les Aurès (1972), y ressemble trop pour se ne pas penser à une sorte de sublimation de sa guerre d’adolescent relue en
contexte colonial. Les jeunes gens ne sortent pas indemnes de la guerre. Avoir vingt ans dans les Aurès tient autant de
la sédition portée par le cinéaste Peter Watkins que de l’aventure tragique d’une bande de copains filmée par Robert
Guédiguian. Vautier a bien observé sa promesse d’Éclaireur en gardant, dit-il, « la mémoire de cette période où
ensemble nous devenions des hommes. »
Nicolas Palluau, historien