Rencontre avec Acid Arab aux IndisciplinéEs

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Rencontre avec Acid Arab aux IndisciplinéEs
Rencontre avec Acid Arab aux
IndisciplinéEs
A l’occasion du festival Les IndisciplinéEs à Lorient, pour ma
toute première interview, j’ai pu rencontrer Hervé Carvhalo
et Guido Minisky, les deux moitiés d’Acid Arab, qui après
m’avoir interrogé eux même pendant une dizaine de minutes à
propos de Manifesto XXI (« Vous parlez de mode, vraiment ? »
; « Balzac, fashion penseur, c’est un très bon titre ! »),
ont bien voulu répondre à quelques questions, à propos de
leurs influences, mais aussi d’un troisième EP qui s’annonce
« Sauvage ».
MXXI – Comment êtes vous entrés en contact avec la musique
nord africaine, d’où vous viennent ces influences ?
Guido Minisky : Ahahah, tu as changé quelques mots, mais tu as
posé la question à laquelle on a dit qu’on ne répondait pas !
Hervé Carvhalo : On s’est beaucoup servi d’internet en fait,
mais sinon j’en sais rien, de manière générale moi par exemple
les musiques du monde ça m’intéresse, d’ailleurs pas forcément
spécialement la musique orientale à la base. En fait, on a été
sensibilisé beaucoup par un DJ turc qui s’appelle Baris k et
qui a réédité des morceaux de musique turque de toutes
époques…
Guido Minisky : Plutôt années 70 à 80 quand même…
Hervé Carvhalo : Oui, il a fait des edits disco de morceaux
Turcs et on jouait vachement ces trucs là, ça a été vraiment
le démarrage.
Guido Minisky : Mais avant Baris c’est Radio Nova je pense qui
a sensibilisé le plus de gens, en tout cas de parisiens
d’abord, puisque avant on ne pouvait pas l’écouter ailleurs
qu’à Paris. Mais c’était hyper choquant à l’époque quand Nova
a commencé à diffuser de la musique arabe, c’était tabou
presque…
MXXI – Depuis quelques années les mélanges entre musique
électronique et orientale se multiplient, récemment, la Boiler
Room Marrakech a permis à quelques artistes, comme le
britannique James Holden et le norvégien Biosphere, de
rencontrer et jouer avec des gnawas comme Maâlem Mohamed
Kouyou et son groupe. Est-ce que vous pensez que les musiciens
gnaoui, par exemple, sur place sont conscients de cet intérêt
que l’on trouve en Europe notamment, pour leurs musiques
traditionnelles ?
Hervé Carvhalo : Les gnaoui, en particulier oui, de toute
façon, parce que ce n’est même pas qu’avec la musique
électronique. Le Maroc c’est vraiment un cas particulier,
parce que leur musique traditionnelle a toujours été mélangée
avec plein de musiques du monde entier, le rock dans les
années 60 par exemple, mais aussi le hard rock ou la fusion
gnawa dans les années 90 avec Gnawa Diffusion. En fait pour
eux, c’est assez courant.
Guido Minisky : Les Clash se sont inspirés des gnawas, Brian
Jones des Stones a aussi enregistré avec des gnawas, Jimmy
Page a régulièrement apporté des sonorités orientales aux
albums de Led Zeppelin… En plus c’était donnant donnant,
puisque le Maroc, c’était la patrie du hard rock en Afrique.
Biosphere & Maâlem Mohamed Kouyou Boiler Room Marrakech Live
Performance
MXXI – Est-ce que cela se traduit dans leur musique
contemporaine ? Est ce que l’on y retrouve une forte
utilisation de leurs musiques traditionnelles ou pas du tout?
Hervé Carvhalo : Oui, mais surtout, au Maroc, la musique
traditionnelle, elle est contemporaine. On a joué à Casablanca
dans un club il y a un mois, on arrivait, à minuit il y avait
un groupe de gnawas de 60 balais sur scène et tout le monde
dansait comme s’il y avait eu un dj. Au Maroc
particulièrement, la musique traditionnelle, c’est cool. C’est
un peu déviant, ça a toujours flirté avec le rock, avec la
musique électronique et les jeunes adorent ça, c’est un truc
qui parle de drogue, d’alcool, de fête… Par contre, c’est un
cas à part en Afrique du Nord.
Guido Minisky : En Algérie c’est un peu plus compartimenté,
mais les jeunes écoutent quand même les Chaâbis, c’est pas un
« truc pour les vieux ».
Hervé Carvhalo : Et en Tunisie, les jeunes veulent plutôt
faire de la techno, leur patrimoine musical n’est pas
considéré comme « cool » et est plutôt laissé aux parents.
C’est vraiment différent du Maroc où là, on a aussi joué dans
un festival où il y avait une vieille star du gnawa et tous
les jeunes connaissaient les paroles, chantaient, dansaient
comme devant Asian Dub Foundation qui jouait juste avant lui.
Guido Minisky : Le chanteur que l’on a vu cette nuit là à
Casablanca, il avait le même âge que Johnny, mais dans la
salle, il n’y avait que des jeunes, c’était incroyable.
Hervé Carvhalo : Tout le monde était à fond comme si c’était
du rock, en fait, c’est pareil pour eux.
MXXI – Déjà en 2004, pour Self, Paul Kalkbrenner utilisait
l’accordéon sur 3 des titres de l’album, l’année dernière,
Todd Terje a sorti un edit samba de son titre Strandbar. Plus
généralement, pensez vous que la musique électronique soit une
chance de « survie » pour les musiques traditionnelles quelles
qu’elles soient ?
Guido Minisky : J’en suis certain en fait, d’ailleurs, ça a
été prouvé mille fois, tu viens de citer quelques exemples, il
y en a plein d’autres. Plein de gens ont utilisé des sonorités
qui ne venaient pas de la techno, pour en faire, c’est une
musique qui se métisse à tout.
Hervé Carvhalo : Et après il y a des musiques traditionnelles
électroniques, Francis Bebey par exemple, c’est un peu de la
musique traditionnelle africaine, mais il y a un côté très
électronique sur certains albums. Dans les années 80,
Charanjit Singh a sorti un album qui s’appelle Ten Ragas to a
Disco Beat, c’était de la musique indienne faite avec une TR
808, un SH 101…
Guido Minisky : C’était de l’acid house ! En 1981 à Bombay, le
mec a fait un album d’acid house, c’est incroyable !
Hervé Carvhalo : Ce que je veux dire par là, c’est que
maintenant, « la musique électronique »… C’est de la musique
en fait, peu importe que les instruments soient
« électroniques ».
Guido Minisky : Après, par électronique on entend aussi le
rythme binaire, un truc orienté dancefloor… Le problème de
cette musique électronique, vis à vis des autres, c’est
qu’elle va aller chercher ce qui est rythmé et dansant, en
laissant de côté tout le reste qui, parfois, est passionnant.
En tout cas, c’est le cas de tout ce à quoi on s’est intéressé
depuis deux ans. Il y a énormément de morceaux déments que
l’on ne peut pas jouer, fous, dingues, des longues transes de
17 minutes…
En fait, ce que la musique électronique a apporté, plus que
l’électronique, c’est la danse comme efficacité, dix ans de
head banging. Pas comme Ed Banger, je ne veux pas du tout
mettre la marque dessus, mais vraiment du head banging, en
club, c’était plus de la danse mais un déploiement d’énergie.
En ce moment les choses changent ! Je dis un peu tout le temps
les mêmes choses mais les nouveaux vingtenaires ont une
approche de la musique et de la danse qui n’a rien à voir.
Hervé Carvhalo : Oui, par exemple une soirée house comme Mona
à Paris, qui laisse une grande place à la danse avec même des
danseurs invités, des contests, des bals, des cours, c’est
redevenu plutôt jeune alors qu’à la base ça faisait soirée de
trentenaires.
Guido Minisky : C’est ça, la perception à changé.
Raga Bhairav – 1982 – SYNTHESIZING: TEN RAGAS TO A DISCO BEAT
– Charanjit Singh
MXXI – Sur internet on a pu découvrir il y a quelques temps
des photos d’un troisième EP actuellement en finalisation chez
Versatile Records,
construction ?
à
quoi
doit-on
s’attendre
dans
la
Guido Minisky : Ca va être sauvage. Le mot clé de l’EP 3,
c’est sauvage.
Hervé Carvhalo : Ouais, il y a quatre morceaux, donc un seul
de nous, mais c’est une rythmique berbère très rapide, ce
n’est pas un truc 4/4 comme de la techno, c’est moins évident
à danser et un peu plus mental. Il y a aussi un morceau
presque punk d’An-i & capablanca, de la techno très sombre par
Society of Silence et enfin un morceau downtempo plus planant…
Il y a deux mots clés en fait, sauvage et drogue.
Guido Minisky : Ca va ensemble finalement.
MXXI – Dans le format on va être encore sur une sorte d’ovni à
la manière de Acid Arab Collections avec beaucoup d’edits, de
remixs et de collaborations, est-ce que vous pensez un jour
vous diriger plus vers la production et pourquoi pas un
album ?
Hervé Carvhalo : Exactement, Collections c’était vraiment un
album collaboratif, et là du coup, oui on travaille sur un
« vrai album » avec quand même quelques featurings, mais
vraiment en tant que producteurs. On aimerait aussi continuer
en parallèle, on en parlait encore dans le train tout à
l’heure, nos travaux collaboratifs, avec un Collections #2
pourquoi pas.
Guido Minisky : En tout cas, on aimerait pouvoir continuer à
mettre en lumière ce que l’on découvre et qui nous plait !
Grâce à Acid Arab maintenant on reçoit des musiques de la part
de gens dont ils pensent qu’elles peuvent nous intéresser. Du
coup, on a une petite mine de tracks non sorties et parfois
vraiment géniales… On se disait : « on arrête Collections et
maintenant on fait l’album»… Mais il y a tous ces trucs
déments là, ça donne vraiment trop envie de les sortir…
Acid Arab – Berberian Wedding
MXXI – D’ailleurs je me disais qu’on se rapprochait peut-être
ici plus du mode de diffusion de la musique tel qu’il se fait
en Afrique du Nord, de la transmission de .mp3 comprimés sur
téléphones, d’une pratique courante de l’échange et non de
l’achat d’albums complets…
Hervé Carvhalo : Mais oui finalement ! Tu veux dire par là que
c’est le bordel en fait ? C’est le souk non ?
Guido Minisky : C’est vrai que ce sont des disques
complètement blédards, mais c’est archi-volontaire. Les
pochettes sont écrites en gros, bicolores, tout est
grossièrement sculpté pour se rapprocher de cet esprit, mais
on ne peut pas non plus se faire passer pour autre chose que
des français. On ne va pas porter des djellabas ou utiliser
des samples trop évidents. Il faut trouver d’autres
passerelles avec une culture qui n’est pas la nôtre et à
laquelle on n’appartient pas.
Hervé Carvhalo : Et puis, ça représente vraiment ce que l’on
est, ça avance petit à petit, il n’y a pas vraiment de
stratégie ou de plan de départ, mais une soirée, des
rencontres… On s’est mis à produire sur le tas, avec un pote
qui s’y est greffé aussi. C’est vraiment à notre image, on
fait les choses comme ça.
Guido Minisky : En fait on est deux à mixer sur scène, mais on
est quatre sur le projet.
Hervé Carvhalo : On travaille, mais on est quand même des
novices en vrai !
En attendant avec impatience la sortie de l’EP 3 et ce
probable futur album, sache que tu peux retrouver Acid Arab un
peu partout en dj set et notamment ce soir à l’occasion du
Nouvel An pour une nuit entière au Monseigneur à Paris. Et si
jamais tu es encore en manque de nouvelles sonorités nous te
recommandons aussi Diasp⦿ra ⧂ une série de mixtapes par Guido
Minisky dans lesquelles il nous fait découvrir des musiques du
monde entier.

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