l`aspect neutre en français et en allemand
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l`aspect neutre en français et en allemand
L’ASPECT NEUTRE EN FRANÇAIS ET EN ALLEMAND TEMPORALITÉ ET ASPECTUALITÉ DANS LES TEMPS DU PASSÉ GERHARD SCHADEN MÉMOIRE DE DEA DE SCIENCES DU LANGAGE UNIVERSITÉ PARIS VIII – SAINT-DENIS 2002 – 2003 SOUS LA DIRECTION DE BRENDA LACA Remerciements Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont encouragé et soutenu pendant cette année de DEA. En premier lieu, je remercie Brenda Laca, ma directrice de recherche, d’avoir accepté de diriger et de suivre mon travail. Sans elle, je n’aurais probablement jamais entrepris cette recherche. Ses conseils linguistiques, sa patience et son enthousiasme m’ont été précieux pendant tout ce temps. Je tiens à remercier Anne Zribi-Hertz d’avoir accepté d’être membre du jury, et pour son séminaire de syntaxe auquel j’ai pu assister. Je suis reconnaissant à Jean-Louis Aroui de m’avoir toujours encouragé et soutenu dans mon travail et personnellement, bien que je ne sois pas resté dans le droit chemin de la poétique. Je remercie Claire Beyssade, Francis Corblin et Ora Matushansky de m’avoir initié à la sémantique formelle. J’ai eu le plaisir de discuter avec Jules Gouguet sur les événements. Je tiens également à remercier Nisrine Al-Zahre, avec qui j’ai pu parler de certains aspects de mon travail. Mes remerciements vont également à toute l’équipe de CIEL 8, et aux étudiants avec lesquels j’ai étudié à Paris VIII. Finalement, je tiens à remercier Odile de Vismes, pour ses encouragements, son soutien constant et ses commentaires sur ce mémoire, dont la lisibilité éventuelle devra beaucoup à ses efforts pour dégermaniser mon écriture. 2 Sommaire Remerciements 2 Principaux symboles et abréviations utilisés 4 Introduction 5 1. 7 Temps et aspect : généralités 1.1. Le temps selon Reichenbach 1.2. L’aspectualité 12 1.3. Temps et aspect selon Klein 16 1.4. Les aspects selon Smith 20 1.5. Le traitement unifié de Demirdache et Etxebarria 25 2. Le Perfekt allemand 27 2.1. Perf à référence future 30 2.2. Séquence et incidence au Perf 38 2.2.1. Als 41 2.2.2. Gerade 50 2.3. Les Aktionsarten en allemand 63 2.3.1. Une analyse compositionnelle de fertigV 74 2.3.2. FertigV et le point F 82 3. L’imparfait français (IMP) 87 3.1. IMP de rupture 90 3.2. IMP et Présent (PRES) 97 3.3. Aspect et quantification 104 Conclusion et perspectives 120 4. 5. 7 4.1. Conclusion 120 4.2. Perspectives 121 Bibliographie 128 3 Principaux symboles et abréviations utilisés E Moment de l’événement ≥ postérieur ou simultané à IMP Imparfait (français) ⊂ proprement inclus en PC Passé Composé (français) ⊆ inclus en ou égal à Perf Perfekt (allemand) ¬ négation (il n’est pas le cas PerfSC Perfekt Surcomposé (allemand) PQP Plus-Que-Parfait PRÄT Prétérit (allemand) PRES Présent (français) PROG Progressif PS Passé Simple (français) R Point de référence S Moment de l’énonciation T-AST Time of Assertion (= TT) TU Time of Utterance (moment de l’énonciation) TT Topic Time T-SIT Time of Situation (= E) < que…) ∧ conjonction (…et…) ∨ disjonction (…ou…) → implication matérielle (si… alors …) ↔ équivalence (si et seulement si… ) ∀x quantificateur universel (quel que soit x) ∃x quantificateur existentiel (il existe au moins un x) ∃!x il existe un seul x proprement antérieur à λx opérateur d’abstraction ≤ antérieur ou simultané à t instant temporel > proprement postérieur à I intervalle Les autres symboles et abréviations utilisés seront expliqués lors de leur première apparition dans le texte. 4 Introduction Il est aujourd’hui assez globalement reconnu que la différence entre l’imparfait (IMP) du français et le passé composé (PC) ou le passé simple (PS) est d’ordre aspectuel, et non pas de l’ordre de la localisation temporelle. Une description de l’aspect de ces temps grammaticaux est donc nécessaire pour rendre compte du système verbal du français. Ce mémoire s’occupera cependant des caractéristiques temporelles et aspectuelles non seulement de l’IMP, mais aussi du Perfekt (Perf) de l’allemand. Ce choix ne va pas de soi. En effet, premièrement, l’allemand ne possède pas d’opposition aspectuelle qui soit comparable à celle entre l’IMP et le PC ou le PS en français, dans aucune position de son système verbal. Les périphrases utilisées en allemand pour exprimer une action en cours sont assez restreintes, et il n’y a pas d’article partitif comme en finnois qui pourrait se charger de significations aspectuelles. Enfin, les variétés méridionales1, qui forment le domaine d’études premier de ce mémoire, ont éliminé de la langue parlée les formes du Präteritum et du Plus-que-parfait. Il semble donc que c’est vraiment la dernière langue à étudier si on veut travailler sur l’aspectualité dans les langues naturelles. Une position extrême serait d’affirmer que c’est même généralement inutile de travailler sur l’aspect dans une langue qui ne possède pas d’opposition aspectuelle dans son système verbal. Deuxièmement, l’attribution de la même valeur aspectuelle au Perf et à l’IMP, comme il est fait dans le titre de ce mémoire, n’est en rien évident : l’IMP, de par son nom même, devrait être imperfectif, et le Perf perfectif. De plus, le Perf allemand est morphologiquement pratiquement identique au PC français, qui est une forme perfective selon les tests standards. À la question de l’utilité d’introduire une description aspectuelle pour une langue sans opposition aspectuelle grammaticalisée, on peut répondre que c’est nécessaire au moins dans le cadre théorique dans lequel je travaille, à savoir les théories de Smith et de Klein (ceci constituera l’objet du premier chapitre). Si on accepte l’idée que l’aspect est une catégorie de la grammaire universelle, il faut prévoir une solution par défaut pour l’aspect dans les langues qui n’ont pas d’opposition aspectuelle. Et si cette solution par défaut existe, il est intéressant 1 Il s’agit des variétés du ’Oberdeutsch’, qu’on parle en Suisse, le sud de l’Allemagne (partie sud de la Bavière, le Baden-Württemberg), le Liechtenstein et l’Autriche. L’Alsacien appartient aussi à ce groupe, mais non pas les dialectes allemands de la Lorraine. cf. Klaus MATTHEIER/Peter WIESINGER (éds., 1994) : Dialektologie des Deutschen. Forschungsstand und Entwicklungstendenzen. Tübingen : Niemeyer. ou les articles de Wolfgang KLEIBER (1973) : “Westoberdeutsch”, in : Lexikon der Germanistischen Linguistik III. Tübingen : Niemeyer. pp. 482 – 485 et de Rudolf FREUDENBERG (1973) : “Ostoberdeutsch”, in : ibid., pp. 486 – 491. 5 de se demander si elle sera nécessairement la même à travers les langues du monde. Empiriquement, il y a une série de raisons qui laissent croire qu’il est possible de décrire cet aspect par défaut de façon précise (cf. chapitre 1.4). La partie consacrée au Perf tendra à démontrer que ce temps grammatical n’est certainement pas perfectif, et que son utilisation principale ne semble pas être celle d’un parfait (contrairement au Present Perfect anglais, par exemple). Dans la partie suivante, consacrée à la description de l’IMP, j’essaierai de montrer comment le comportement de l’IMP peut être rapproché de celui du Perf, et pour quelles raisons il n’est pas adéquat de le traiter sur un pied d’égalité avec le progressif anglais. En fin de mémoire, je proposerai un aperçu des extensions envisageables de cette recherche, ainsi que des formalisations possibles de ce travail, qui me semblent être utiles pour la compréhension du phénomène de l’aspectualité sur un niveau plus important, mais que je n’ai pas pu mettre en œuvre dans ce mémoire. 6 1.Temps et aspect : généralités La littérature qui traite des questions que l’on considère aujourd’hui comme appartenant au domaine du temps et de l’aspect est si importante qu’il est impossible d’en rendre compte de façon adéquate dans le peu d’espace dont je dispose. Elle commence dans l’antiquité grecque et n’a pas cessé d’augmenter en volume depuis2. Les théories que je présenterai ici sont celles qui servent de base à mon mémoire ; si je n’explique pas la logique temporelle selon Prior, le traitement des temps et aspects dans la DRT, ou la proposition dans le cadre minimaliste de Giorgi et Pianesi, ceci tient tout simplement au fait que je n’utiliserai pas ces modèles de façon extensive dans la suite de ce mémoire, et n’implique pas de jugement de valeur implicite. L’ordre de la présentation est en gros chronologique, même si je me suis permis de rapprocher la théorie de Klein de celle de Reichenbach, contre l’ordre chronologique strict qui le mettrait après Smith. 1.1. Le temps selon Reichenbach Une des approches les plus influentes, sur laquelle se fondent ou contre laquelle argumentent la plupart des approches contemporaines, est celle de Hans Reichenbach3. Reichenbach était un philosophe, et pas un linguiste ; et il est peu probable qu’il ait essayé de donner une analyse rigoureusement descriptive du phénomène ‘temporalité’ dans les langues naturelles. Il semble même qu’il ne croyait pas qu’une description logico-mathématique puisse rendre compte des variations à travers les langues, comme en témoigne la citation suivante : The history of language shows that the logical categories were not clearly seen in the beginnings of language but were the results of long developments; we therefore should not be asthonished if actual language does not always fit the schema which we try to construct in symbolic logic. A mathematical language can be coordinated to actual language only in the sense of an approximation. 4 2 Pour une introduction détaillée (historique et théorique) dans ce domaine, je renvoie à Robert J. BINNICK (1991) : Time and the Verb. A Guide to Tense and Aspect. New York : Oxford University Press. 3 Hans REICHENBACH (1947/1966) : Elements of Symbolic Logic. Toronto : Collier-MacMillan. Son analyse de la localisation temporelle dans les langues naturelles se trouve dans le §51, “The Tenses of Verbs”, pp. 287298. 4 Ibid., p. 298. 7 Reichenbach part du constat que si on n’a comme primitifs que le moment de l’énonciation (point of speech – S) et les relations ‘antérieur à S’, ‘simultané à S’ et ‘postérieur à S’, on ne peut avoir que trois temps grammaticaux. Cependant, l’anglais – comme le français ou l’allemand – en a beaucoup plus. Comment en rendre compte ? Reichenbach postule l’existence de deux points supplémentaires : le point de l’événement (point of the event – E) et le point de référence (point of reference – R). Il justifie ce dernier point par le fait que, pour interpréter une phrase comme ‘Peter had gone’, on a besoin d’un point de référence qui doit se trouver quelque part entre E (donc le départ de Peter dans ce cas-là) et S, et qui est donné par le contexte. Par R, il arrive à rendre compte de quelques éléments de la grammaire qui avaient posé problème jusqu’alors : premièrement, ce système permet d’expliquer de façon très simple la différence entre le simple past anglais et le present perfect : La structure temporelle du simple past peut se décrire par R,E – S (lire : R simultané à E avant S), tandis que le present perfect a la structure E – R,S (E avant R simultané à S). Deuxièmement, ce système permet selon lui de dériver la concordance de temps très facilement par le principe de la permanence du point R ; une phrase comme (1a) est bonne parce que R y reste constant tandis que (1b) est mauvais puisque R y serait changé : 1. a. I had mailed the letter when John came and told me the news. 1st clause: E1 – R1 –S 2nd clause: R2,E2 – S R3,E3 – S 3rd clause: b. *I had mailed the letter when John has come.5 1st clause: E1 – R1 –S nd E2 – R2, S 2 clause: Comme on vient de le voir, le point R est obligatoire non seulement pour les temps composés, mais aussi pour les temps simples, dans lesquels R coïncide toujours avec E. Car dans cette approche, c’est R qui est chargé de la cohésion temporelle d’un discours : les indications temporelles se réfèrent selon Reichenbach toujours à R, et non pas à E. Les adverbes comme avant, après etc. font de même changer non pas E, mais R – ce que Reichenbach appelle l’utilisation positionnelle du point de référence. Il y a d’ailleurs, comme il remarque, des cas où on ne peut pas satisfaire les deux principes, et ce serait selon la langue que l’un des deux principes prévaudrait. 5 Exemples de Reichenbach (1966), p. 293. 8 2. a. This is the man who drove the car (at the time of the accident). [R = E] b. Dies ist der Mann, der den Wagen (zur Zeit des Unglücksfalls) gefahren hat.6 [R = S] Ceci est le homme qui la voiture (au temps du accident) conduit a. Voilà l’homme qui a conduit la voiture (au moment de l’accident). Dans les exemples (2), il est impossible d’appliquer ces deux principes à la fois ; en anglais (2a), c’est l’utilisation positionnelle de R qui l’emporte ; en allemand (2b), c’est la permanence de R qui semble être plus important. Avec toutes ces fonctions, R est bien chargé, et probablement même trop. Binnick7 reproche à Reichenbach de ne pas indiquer comment appliquer ces règles de la permanence de R et de l’utilisation positionnelle de R dans la syntaxe et la sémantique de l’anglais. Cela est vrai, mais ce n’était probablement pas dans le propos de Reichenbach d’établir de telles règles. Une deuxième critique de Binnick envers Reichenbach me semble être bien plus grave : il y a de nombreuses exceptions aux règles de la concordance des temps, de façon qu’il serait possible qu’il n’y ait rien de tel que des ‘règles’, mais que ce soient des facteurs pragmatiques qui déterminent le choix des temps grammaticaux. D’autres arguments, plus empiriques, laissent supposer que ce ne peut pas être le point R seul qui est capable de recevoir une indication temporelle. Sinon, il faudrait dédoubler R dans l’exemple (3) : 3. [Nous sommes allés à la gare.] À trois heures, le train était arrivé. (3) est ambiguë. Le train peut arriver à trois heures exactement, ou bien déjà être arrivé à trois heures. Si on regarde la structure du plus-que-parfait telle que proposée par Reichenbach (à savoir : E – R – S), une explication qui semble évident serait de dire que dans le premier cas, c’est à E que s’applique l’indication temporelle, et dans le deuxième cas, c’est R qui reçoit l’argument temporel. Mais c’est justement ça que Reichenbach exclut, bien que son formalisme semble exiger ce procédé. Un autre fait que le schéma de Reichenbach n’arrive pas à traiter de façon satisfaisant est le progressif. Il faut cependant reconnaître qu’à l’époque où Reichenbach écrivait son livre, la notion d’aspect grammatical était moins centrale pour la description des langues comme l’anglais où le français. Reichenbach attribue aux temps progressifs la même structure de base qu’à leur pendant simple (ou perfect). La seule différence est qu’il les appelle temps étendus (extended tenses) et que leur caractéristique est d’avoir une duration plus longue que 6 7 Exemples de Reichenbach, p. 295. Robert J. BINNICK (1991), p. 340ss. 9 celle des temps non-étendus. Une deuxième valeur sémantique attribuée à ces temps par Reichenbach est la répétition. L’allemand n’a selon Reichenbach pas de temps étendu, en français il n’y aurait que l’imparfait qui serait un temps étendu. 4. a. Simple Past8 | R,E | S b. Simple Past, Extended R,E | S Un autre fait qui, selon certains auteurs, serait un argument contre le système de Reichenbach est que le système est trop riche pour une langue comme l’anglais. Reichenbach lui-même remarque qu’il y a deux structures pour le futur simple (à savoir : S,R – E et S – R,E), et qu’il n’est pas possible de le réduire à une seule interprétation9. Ceci ne me semble cependant pas être un problème grave, car il est bien possible qu’une langue donnée n’ait pas réalisé toutes les possibilités que permet le système de Reichenbach (si on le prend pour un pur système de localisation temporelle). Il y a d’ailleurs, comme le remarque Reichenbach luimême, dans tout le schéma, si on essaie toutes les permutations possibles, seulement deux points où il y a plus d’une seule structure possible : ceci n’est le cas que pour les temps qu’il appelle rétrogressifs, c’est-à-dire dans lesquels la direction S – R est inverse à R – E. Structure New Name Traditional Name E–R–S Anterior Past Past Perfect E,R – S Simple Past Simple Past Posterior Past ----- E – S,R Anterior Present Present Perfect S,R,E Simple Present Present S,R – E Posterior Present Simple Future Anterior Future Future Perfect R–E–S R – S,E R–S–E S–E–R S,E – R E–S–R 8 Diagrammes selon Reichenbach (1966), p. 290. Cf. ibid., p. 295. Pour le futur simple anglais, il semble cependant que la structure correcte soit S – R,E, et qu’on puisse réserver la structure S,R – E pour la périphrase be going to. 9 10 S – R,E Simple Future Simple Future S–R–E Posterior Future ------10 L’observation selon laquelle des problèmes se posent uniquement avec les temps rétrogressifs, et l’analyse du problème en deux termes et deux relations, même si elle n’est pas poursuivie ou explicitée, ouvre déjà le chemin pour une réinterprétation qui sera acheminée plus tard par Hornstein11, c’est-à-dire que la relation S – R est la localisation temporelle, et R – E l’aspect syntaxique. Ceci transforme l’agencement ternaire de Reichenbach, qui a trois schémas différents pour le Posterior Past et le Anterior Future, en deux agencements binaires, de sorte qu’on dispose pour ces deux temps grammaticaux de schémas unitaires : (R – S) ∧ (R – E) pour le Posterior Past, et (S – R) ∧ (E – R) pour le Anterior Future. Dans le paradigme donné par Reichenbach se trouvent deux trous, qui ne correspondent à aucun temps grammatical établi ou traditionnellement reconnu comme tel en anglais, mais Reichenbach estime qu’il y a pour le Posterior Past une forme qui lui correspond, à savoir le ‘would V’ prospectif. Pour le français, le conditionnel rentre assez bien dans cette caractérisation : 5. a. I did not expect he would win the race12. b. Jean m’a dit qu’il gagnerait la course. Dans (5)a-b, on peut ajouter une indication temporelle à la subordonnée qui est ou bien antérieure à S (hier, yesterday), simultanée à S (maintenant, now) ou postérieure à S (demain, tommorrow), ce qui montre bien que cette ambiguïté d’un Passé Postérieur est systématique. L’autre ‘trou’, celui du Posterior Future, semble plus difficile à remplir ; Co Vet13 doute même qu’il y ait dans les langues naturelles un temps grammatical qui corresponde à cette structure. Ceci est possible14, mais il y a en esperanto un temps composé qui correspond exactement à S – R – E. Pour la localisation temporelle, le schéma de Reichenbach est toujours assez répandu ; les difficultés qu’il y a à l’intérieur de ce schéma pour rendre compte de certains éléments 10 Ibid., p. 297. N. HORNSTEIN (1990) : As Time goes by. Cambridge: MIT Press. 12 Exemple de Reichenbach (1966), p. 297. Pour (5b), je fais abstraction des difficultés que pose le passé composé français et je suppose pour la discussion (de façon trop simpliste) qu’il est équivalent au simple past anglais et possède la structure R,E – S. 13 Cf. Co VET (1980) : Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. Essai de sémantique formelle. Genève : Droz. p. 42. 14 Bien que Reichenbach (p. 297) cite l’exemple du latin, avec le participe futur en -urus, qui devrait rendre possible un temps S – R – E. 11 11 proviennent du fait qu’il ne s’agit pas de phénomènes liés à la localisation temporelle, mais plutôt à l’aspectualité. 1.2. L’aspectualité Contrairement à la localisation temporelle, qui – comme on vient de le voir - semble toujours fonctionner de façon déictique – c’est-à-dire par rapport au moment de l’énonciation – (même si ce n’est qu’indirectement), l’aspect n’est pas lié au moment de l’énonciation, ou de façon plus générale, comme l’écrit Comrie, Aspect is not concerned with relating the time of the situation to any other time-point, but rather with the internal temporal constituency of the one situation; one could state the difference between situation-internal time (aspect) and situation-external time (tense). 15 Cette définition est assez large. On peut procéder à une différentiation interne de l’aspect très fine, comme l’a proposée par exemple Elena de Miguel16 : Aspectualité verbale opposition de affixes formes d’un dérivatifs (re-) même verbe (opposition IMP/PS) aspect flexionnel opposition de classes aspectuelles de verbes (les ‘modes d’action’ : voyager/arriver) aspect lexical phrastique certaines combinaisons de verbes (modes d’action analytiques : les périphrases verbales) marques lexicales et fonctionnelles (adverbes, négation) caractéristiques grammaticales des éléments de la situation (fonction sémantique et syntaxique, nombre, détermination et quantification) aspect lexico-syntaxique 15 Bernard COMRIE (1976) : Aspect. An Introduction to the Study of Verbal Aspect and Related Problems. Cambridge: Cambridge University Press. p. 5. 16 Elena de MIGUEL (1999) : “El aspecto léxico”, in: Ignacio BOSQUE, Violeta DEMONTE (1999, éds.) : Gramática descriptiva de la lengua espanola. p. 2993. Madrid : Gredos. (traduit par mes soins). 12 La notion d’aspect elle-même vient de la description grammaticale des langues slaves, et est assez récente dans la description des langues romanes ; dans la tradition grammaticale allemande, elle ne joue pratiquement aucun rôle. Quand je me référerai à l’ « aspect » tout court, cela signifiera pour la suite que je renvoie à ce que de Miguel appelle aspect flexionnel ou d’autres aspect (morpho-) syntaxique. Traditionnellement, on distingue deux grands groupes aspectuels : les perfectifs et les imperfectifs. L’aspect perfectif est souvent décrit comme réduisant une situation à un point, montrant une situation comme complétée, ou de ne montrant pas les étapes intérieures d’une situation. L’aspect imperfectif montrerait une situation de l’intérieur, et soulignerait sa structure interne17. L’aspect se trouve ainsi sans cesse en interaction avec une autre entité, la situation, qui possède elle-même des caractéristiques jouant un rôle dans la construction de l’aspectualité : les Aktionsarten (ou modes d’action). La notion d’Aktionsart vient selon Binnick d’un article de Streitberg, qui décrit certaines caractéristiques de la morphologie verbale de l’allemand18. Beaucoup d’autres termes désignent le même phénomène, comme l’aspect lexical, les modes d’action, l’aspect Aristotélicien ou les classes Vendlériennes. L’article de Zeno Vendler19, sur lequel se basent beaucoup de chercheurs aujourd’hui, traite de certaines caractéristiques du VP, qu’il n’analyse cependant pas de façon compositionnelle (ce qui est cependant possible comme le montrera plus tard Verkuyl20). Sa classification et les tests pour y arriver peuvent se résumer approximativement par le tableau suivant proposé par Dowty21 : Criterion : States Activities Accomplishments Achievements 1. meets non-stative tests no yes yes ? 2. has habitual interpretation in simple present tense 3. ϕ for an hour, spend an hour ϕing 4. ϕ in an hour, take an hour ϕing no yes yes yes OK OK OK bad bad bad OK OK 17 Pour une discussion plus détaillée de l’opposition perfectif vs. imperfectif, cf. Comrie (1976), pp. 16-40. Cf. Binnick (1991), p. 144ss. La source est Wilhelm STREITBERG (1891) : “Perfective und imperfective Actionsart im Germanischen“, in: Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache 15. pp. 70-177. 19 Zeno VENDLER (1957) : “Verbs and Times“, in: The Philosophical Review 6.pp. 143-160. 20 Cf. Henk VERKUYL (1972) : On the Compositional Nature of the Aspects. Dordrecht: Reidel. 21 David R. DOWTY (1979) : Word Meaning and Montague Grammar. Dordrecht: Reidel. p. 60. Les jugements signifient selon Dowty: OK = the sentence is grammatical, semantically normal; bad = the sentence is ungrammatical, semantically anomalous; d.n.a. = the test does not apply to verbs of this class. Le signe d’interrogation signifie que le comportement de cette classe n’est pas homogène. 18 13 5. ϕ for an hour entails ϕ at all times in the hour 6. x is ϕing entails x has ϕed yes yes no d.n.a. d.n.a yes no d.n.a 7. complement of stop OK OK OK bad 8. complement of finish bad bad OK bad 9. ambiguity with almost no no yes no 10. x ϕed in an hour entails x was ϕing during that hour 11. occurs with studiously, attentively, carefully, etc. d.n.a d.n.a. yes no bad OK OK bad Pour illustrer qu’il ne suffit pas de prendre le verbe seul, l’on peut comparer les deux exemples suivants : 6. a. Jean mange. a’. John is eating. b. Jean mange une pomme. b’. John is eating an apple. 7. a. Jean est en train de manger. a’. John is eating. b. Jean est en train de manger une pomme. b’. John is eating an apple. c. Jean mange. c’. John eats. d. Jean mange une pomme d’. ??/*John eats an apple. e. Jean a mangé entre midi et une heure. → Jean a mangé à midi et demi et il a mangé à 1245. e’. John ate from noon to one o’clock. → John ate at half past twelve and at 1245. f. Jean a mangé une pomme entre midi et une heure. -/-> Jean a mangé une pomme à midi et demi et il a mangé une pomme à 1245. f’. Jean ate an apple from noon to one o’clock. -/-> Jean ate an apple at half past twelve and at 1245. On voit que tous les exemples (6) passent le test numéro 122, illustré par (7a-b’), sans problème. Mais déjà pour le test numéro 2, illustré ici par les exemples (7c-d’), il y a un problème pour l’exemple anglais en (6b’), et qui est dû à une différence entre le système aspectuel du français et celui de l’anglais. On ne peut pas interpréter l’exemple anglais (7c’) comme (7c), à savoir que Jean mange au moment de l’énonciation ; sa seule interprétation possible serait ‘Jean a l’habitude de manger’. Pour une lecture ‘Jean mange maintenant’, il est 22 Qui consiste à combiner les VP avec un progressif, c’est-à-dire être en train de pour le français, et de les mettre à l’impératif. Il semble que le comportement des verbes anglais rentre bien dans cette catégorisation. 14 obligatoire de mettre le progressif en anglais, comme c’est le cas en (7a’). (7d’) se heurte à une difficulté différente : le present simple anglais donne obligatoirement lieu à une lecture habituelle. Mais comme comme on ne peut manger une pomme qu’une seule fois, il y a une anomalie entre l’exigence d’une itération sur l’action et son impossibilité par le singulier de la pomme. Sauf cas de coercion sur ‘la pomme’ (d’une pomme-individu à une sous-espèce de pomme), (7d’) n’est pas bon. Pour la même raison, l’exemple français (7d) s’interprète beaucoup plus aisément comme ‘Jean est en train de manger une pomme’ que comme habitude : ‘Jean mange en général une pomme (à savoir la pomme Granny Smith)’. Dans le test numéro 5, illustré ici par (7e-f’), il y a une différence entre (6a) et (6b), ce qui indique que (6a) appartient à la classe des activités, tandis que (6b) appartient à celle des accomplissements. Les autres tests, que j’omettrai ici, confirment cela. Même si on fait abstraction des phénomènes de shift qui ont lieu (de façon assez régulière et prédictible, ce qui a déjà été remarqué par Vendler) pour un même verbe ou VP entre différentes Aktionsarten, il y a donc plusieurs problèmes associés aux tests employés ici pour les distinguer : les tests de non-stativité (n° 1 : c’est-à-dire, compatibilité avec impératif, acceptabilité de je l’ai persuadé de ϕ, ou acceptabilité du progressif) ne testent pas tous la même chose : les deux premiers (impératif et test avec persuader) testent l’agentivité plutôt que la constitution temporelle interne de la situation (comme le fait le progressif). De plus, ces tests sont assez dépendants de la langue pour laquelle ils ont été développés, c’est-à-dire, plus spécifiquement, du système aspectuel de l’anglais avec son progressif, son present perfect et ses temps simples. Pour l’allemand, par exemple, il n’est pas facile de trouver un test pertinent pour les états, puisqu’il n’y a pas de progressif ni même d’imperfectif qui soit en opposition systématique avec un aspect perfectif quelque part dans le paradigme. Il y a un problème théorique bien plus grave lié à cela, et qu’il faudrait absolument creuser : Les tests pour déterminer l’aspect d’une langue donnée font abondamment usage du comportement de l’aspect en interaction avec les Aktionsarten, et ces derniers sont déterminés par rapport au système aspectuel de cette même langue, de façon qu’un élément soutient l’autre, et toute la définition et le raisonnement risquent fort d’être circulaires. Il ne semble pas qu’on puisse tester les Aktionsarten indépendamment du temps grammatical (avec les comportements aspectuels spécifiques qu’il entraîne la plupart du temps en français et en allemand), de sorte qu’il sera extrêmement difficile – peut-être même impossible – de justifier théoriquement de façon nette une séparation stricte entre aspect et Aktionsart. L’approche de Smith exige cependant cette séparation (cf. chapitre 1.4 ci-dessous). 15 Je laisserai pour l’instant ces considérations et problèmes de côté, pour présenter d’abord les théories sur lesquelles je m’appuierai au cours de ce mémoire : celle de Wolfgang Klein et celle de Carlota Smith. 1.3. Temps et aspect selon Klein Le formalisme de Klein23 pour rendre compte des temps et aspects essaie d’utiliser comme primitifs : des intervalles temporels, des relations entre ces intervalles (tel que BEFORE, OVERLAPPING WITH, etc.), le contenu lexical des expressions simples ou complexes et les rôles illocutoires (assertion, etc.). Les trois intervalles fondamentaux que Klein postule, en se basant sur Reichenbach, sont : 1. TU (= Time of Utterance) : le moment de l’énonciation, la deixis [= S] 2. T-SIT (= Time of SITutation) : intervalle pendant laquelle la situation a lieu [= E] 3. TT (= Topic Time) [ou T-AST (Time of ASserTion)]24 : intervalle pour lequel l’assertion vaut (dans le cas d’une phrase déclarative) [~R] Ces trois intervalles entretiennent deux relations entre eux, qui sont : a) la localisation temporelle (TENSE), qui est la relation entre TU et TT, et b) l’aspect (syntaxique), qui est la relation entre TT et T-SIT. Ceci a pour conséquence que les relations temporelles sont ordonnées par rapport au moment de l’énonciation TU, et on n’accède à une information sur la localisation d’une situation que par le biais de la relation qu’est l’aspect. L’introduction de TT est nécessaire pour la raison suivante : si on reliait directement TU et T-SIT sans prendre en compte ce troisième intervalle de temps, on ne pourrait pas expliquer le comportement de la phrase suivante : 8. Eva was cheerful25. 23 Tel que développé en Wolfgang KLEIN (1995) : “A Time-Relational Analysis of Russian Aspect”, in Language 71/4, pp. 665-695 et id. (2000) : “An Analysis of the German Perfekt”, in : Language 76/2, pp. 358382. 24 Ceci semble être surtout un changement de terminologie qui a eu lieu entre 1995 et 2000, probablement par le souci de ne pas avoir à appeler un tel moment ou intervalle ‘temps d’assertion’ dans des phrases non-assertives. La fonction semble être la même, les définitions sont identiques. 25 Exemple de Klein (2000), p. 364. 16 Il s’agit d’un simple past, qui localiserait donc T-SIT avant TU. Cependant, (8) n’exclut pas qu’Eva soit toujours joyeuse à TU, ce qui fait donc que l’information temporelle du simple past anglais n’est pas incompatible avec ‘T-SIT inclut TU’. Selon Klein, (8) asserte plutôt qu’il y a un sous-intervalle de T-SIT qui précède TU, et ce sous-intervalle est précisément TT. Pour définir maintenant la relation que T-SIT entretient avec TT, donc pour déterminer quelles inférences (sur la localisation temporelle et le fait que la situation soit terminée ou non) permet l’aspect d’un temps grammatical donné, il nous faudra cependant un élément additionnel : à savoir une information sur le type et la constitution de la situation même. Car les inférences que l’on peut tirer à partir de (9), même si donné dans le même temps grammatical, ne sont pas les mêmes que pour (8) : 9. Eva broke her car. Ici, il est au moins très difficile d’imaginer qu’à TU Eva soit toujours engagé dans la même activité qui consiste à casser sa voiture ; l’interprétation normale serait plutôt que Eva a fait passer par quelque action que ce soit, et à un certain moment t < TU, sa voiture d’un état fonctionnel à un état non-fonctionnel. Pour résoudre ce problème, Klein distingue plusieurs classes de contenus lexicaux : les VP à 0-STATE, 1-STATE et 2-STATE. Les contenus lexicaux qui décrivent des situations atemporelles, qui n’ont pas de limites dans le temps, sont 0-STATE (cf. exemple (10)). Des contenus lexicaux qui désignent des situations p et qui sont normalement précédés et suivis par leur négation ¬p sont 1-STATE (cf. exemple (11)). 10. Seven is a prime number. 11. It was raining.26 Finalement, il y a des contenus lexicaux qui désignent des situations dans lesquelles il y a un passage d’un état vers un autre (par exemple de être vivant à être mort, dans des verbes comme mourir). Dans ces VP 2-STATE, il y a donc toujours un état-source (Source-State, SS – être vivant dans le cas de mourir) et un état-cible (Target-State, TS – être mort). Klein soutient que l’influence de l’aspect sur les conditions de vérité dans le cas de verbes 2-STATE varie d’une langue à l’autre, selon l’état pertinent (Distinguished-State, DS) pour l’assertion. En anglais, DS serait toujours l’état-source SS (ou l’état unique pour des VPs 0 et 1-STATE), et il propose la caractérisation suivante du système aspectuel anglais : 26 Exemples de Klein (1995), p. 682. 17 12. a. Perfect form b. Progressive form c. Simple Form T-AST AFTER T-DS T-AST IN T-DS T-AST OVL T-DS AND T-AST OVL POSTTIME OF T-DS27 Pour la forme du parfait en anglais, (12) asserte donc que TT (= T-AST) est situé après le seul état d’un VP 1-STATE, ou après SS d’un VP 2-STATE ; le progressif place TT comme sous-intervalle proprement inclus dans le seul état d’un VP 1-STATE ou dans le SS d’un VP 2-STATE. Pour la forme simple, la formule dit que TT chevauche sur le seul état et le temps qui le suit dans le cas d’un VP 1-STATE. Pour un VP 2-STATE, TT chevauche sur SS et TS. Cela produit des prédictions correctes pour l’exemple (9), mais non pas pour (8) : Selon la prédiction de (12), on ne devrait pas avoir la possibilité d’affirmer qu’Eva est encore joyeuse à TU, mais comme on avait déjà vu, ceci ne produit pas de contradiction logique. Cela oblige Klein à dire que dans le cas de la copule be, la forme simple se charge additionnellement de la fonction du progressif28. Dans le cas d’un VP 0-STATE, TT doit être proprement inclus dans T-SIT, quelque soit l’aspect. On voit donc que le formalisme de Klein utilise les trois composantes basiques pour la description de la temporalité et de l’aspectualité : à savoir la localisation temporelle (la relation TENSE entre TU et TT), l’aspect (la relation entre TT et T-SIT) et les Aktionsarten (les propriétés temporelles propres au VP, indépendantes et avant l’influence de morphèmes flexionnels) : les prédicats 0-STATE, 1-STATE ou 2-STATE. Avec la distinction d’un DS, spécifique à chaque la langue, et les diverses relations d’inclusion, précédence et chevauchement qui existent entre les intervalles, qui admettent même qu’on applique un POSTTIME, le système de Klein est très flexible. Combien d’aspects différents ce système admetterait-il pour une langue comme l’anglais ? Nous avons déjà vu trois possibilités, que je ne répéterai plus ; additionnellement, il pourrait y avoir : 13. a. T-DS AFTER TT ou TT BEFORE T-DS b. TT OVL T-DS AND TT NOT OVL POSTTIME OF T-DS c. TT AFTER POSTTIME OF T-DS (= Perfekt form) d. TT BEFORE POSTTIME OF T-DS (= Progressive form ou (6b)) 27 Ibid., p. 688. OVL est l’abréviation pour OVERLAP (chevauchement), T-DS est l’abréviation pour Time of Distinguished State. Les relations sont définies informellement de la façon suivante (a et b sont des intervalles, pas des points) : a AFTER b: a is fully after b a IN b: a is fully in b a OVL b: a and b overlap, i.e., they have a common subinterval 28 Klein (1995), p. 689. 18 Il y aurait donc 5 aspects différents possibles pour l’anglais (c’est-à-dire (12a-c) et (13ab), qu’on ne pourrait pas réduire à un ou plusieurs autres aspects) selon le formalisme de Klein, - si on veut bien exclure les cas où TT donnerait une sorte de ‘négatif’ d’un des 5 cas mentionnés (par exemple, TT étant à la fois BEFORE T-DS et AFTER T-DS) et les cas où il n’aurait pas d’assertion du tout. L’aspect qui possède la forme de (13a) pourrait être celui de la périphrase future be going to, mais il ne semble pas qu’il y ait un temps grammatical ou une périphrase qui correspondrait à (13b) – si la description de la forme simple est correcte. Car pour la description de (8), (13b) donnerait la bonne prédiction, par contre, elle ne serait pas adéquate pour (9). Une possibilité pour remédier aux problèmes rencontrés avec la forme simple serait de permettre une plus grande variabilité dans les Aktionsarten, pour lesquels Klein ne prévoit que trois variétés, tandis que d’autres chercheurs opèrent avec un appareil beaucoup plus différencié. La difficulté de devoir attribuer à la forme simple de l’anglais une valeur différente pour certains verbes et les expressions avec la copule be pourrait provenir du fait que Klein réunit dans les VP 1-STATE ce que d’autres dans la tradition de Vendler analyseraient comme étant des états et des activités. Les VP 2-STATE, dont le trait commun est le changement d’état qui survient, regroupent tous les téliques, qu’on diviserait dans une analyse dans la tradition de Vendler en achèvements et accomplissements. Tandis qu’il y a donc dans la tradition de Vendler trois paramètres (explicites, à savoir : dynamicité, durativité et télicité) qui permettent de distinguer les Aktionsarten, chez Klein il n’y a qu’un seul : changement d’état (état de choses, pas état dans un sens Vendlérien) lié à un intervalle. On pourrait formaliser ces trois Aktionsarten de Klein et leurs conditions de vérité comme suit : a. 0-STATE ⇔ p b. 1-STATE ⇔ ¬p-then-p-then-¬p c. 2-STATE ⇔ p-then-q29 Cette solution est très économique en ce qui concerne les primitifs qu’elle utilise, mais il est possible qu’elle ne soit pas suffisamment souple pour rendre compte d’un problème tel que dans l’exemple (8). La proposition de Klein se situe dans la lignée de celles Reichenbach et de Hornstein30, qui réinterprète la relation entre les points R et E comme relation aspectuelle. 29 then est un opérateur temporel qu’on pourrait définir comme suit : p-then-q = 1 ssi ¬∃t[t ∈ p ∧ t ∈ q] [(t’ < t ∧ t ∈ q ∧ t-1 ∉ q) → (t’ ∈ p)] ∀t’∀t ii) i) 19 L’innovation de Klein consiste à réinterpréter R comme intervalle d’assertion sur une situation. Cela a comme conséquence qu’on ne peut pas se passer de TT dans le cadre de cette théorie, comme le soutient par exemple Bertinetto (qui plaide pour une élimination de R pour les temps simples)31, puisque cela produirait des difficultés impossibles à résoudre pour tout ce qui est de l’ordre d’un prédicat 1-STATE (et plus spécifiquement pour les états Vendlériens). Il faudrait donc prévoir une valeur aspectuelle par défaut à assigner même pour les langues qui n’ont pas de morphologie exprimant une opposition aspectuelle dans leur système verbal (ce qui pourrait être le cas de l’allemand). 1.4. Les aspects selon Smith Carlota Smith32 propose une théorie de l’aspect à deux éléments (two componenttheory) : elle distingue le viewpoint (i.e., l’aspect morphosyntaxique) et les situation types (i.e., Aktionsarten). L’information aspectuelle d’une phrase est obtenue compositionnellement à partir de ces deux éléments : To introduce the theory more specifically, I give a schematic representation of the aspectual meaning […] The sentence presents a situation of the Accomplishment type from an imperfective viewpoint, or perspective. 4a states the temporal schema of an Accomplishment: I and F indicate initial and final points, the dots indicate internal stages. 4b states the imperfective viewpoint schema: the dots indicate internal stages of a situation. The slashes in 4c indicate the interval actually presented in the sentence. (4) Composite temporal schema for Mary was walking to school a. [Mary walk to school] I............F (Accomplishment schema) b. [be + ing] ..... (Imperfective schema) c. [Mary was walking to school] I..///////..F (Composite schema) Les Aktionsarten qu’elle utilise sont celles de Vendler, augmentées cependant par l’ajout des sémelfactifs (par exemple, pousser un cri), qui sont ponctuels et n’impliquent pas de changement d’état (i.e., ils sont atéliques). Selon elle, on peut distinguer les Aktionsarten par les différents traits dont ils se composent, mais tous les traits ne sont pas obligatoirement 30 cf. N. HORNSTEIN (1990) Pier Marco BERTINETTO (1986) : Tempo, aspetto e azione nel verbo italiano. Il sistema dell’indicativo. Florence : Accademia della Crusca. 32 Carlota S. SMITH (1991) : The Parameter of Aspect. Dordrecht: Kluwer. 31 20 pertinents dans toutes les langues : en Navajo, la télicité ou atélicité d’une situation ne jouerait pas de rôle33. Les traits attribués aux différentes Aktionsarten, qu’elle considère dans la suite de Verkuyl comme compositionnelles et dérivables à partir du verbe et ses arguments, sont les suivants : Situations Static Durative Telic States Activity Accomplishment Semelfactive Achievement [+] [–] [–] [–] [–] [+] [+] [+] [–] [–] [–] [+] [–] [+]34 – Le trait [± Télique] n’est pas pertinent pour les états, qui sont les seuls à ne pas avoir d’étapes intérieures, c’est-à-dire d’être homogènes. À cette information de l’Aktionsart s’ajoute le point de vue (viewpoint) aspectuel, que Smith caractérise métaphoriquement comme la lentille d’une caméra. L’Aktionsart est l’objet sur lequel cette lentille focalise, et sans cette lentille la situation ne serait pas visible35. Comme chez Klein, il est donc nécessaire de prévoir une solution par défaut pour les langues qui n’ont pas d’opposition aspectuelle dans leur système verbale, ce que Smith reconnaît expressément. L’aspect par défaut qu’elle introduit à côté des traditionnels perfectif vs. imperfectif, c’est l’aspect neutre. On peut schématiser ces trois points de vue aspectuels comme suit : 14. Perfectif I………..F ////////////// Imperfectif I……..F ///// Neutre I. En gros, on peut dire qu’on ‘voit’ les points I et F avec le perfectif, aucun de ces deux points avec l’imperfectif et uniquement le point I avec un aspect neutre. Selon Smith, ces aspects peuvent varier selon les langues, surtout en ce qui concerne le comportement avec les 33 Ibid., p. 29 et 407ss. Ibid., p. 30. Par la suite, j’écrirai plutôt [-Dynamic] que [+ Static] 35 Ibid., p. 91. Parlant de façon moins métaphorique, on pourrait dire, comme Klein, qu’il s’agit plutôt d’une relation d’assertion. 34 21 états ; en même temps, elle affirme qu’en Grammaire Universelle, il y a un schéma général établi qui reste stable à travers toutes les langues. Smith attribue aux temps simples en anglais la valeur aspectuelle d’un perfectif, et ces temps-là sont en beaucoup de cas utilisés dans des circonstances où en français il serait obligatoire de mettre un imparfait – qui par son nom traditionnel même semble être imperfectif. Elle est donc obligé de distinguer pour les états les perfectifs et imperfectifs du français de ceux de l’anglais : les temps perfectifs du français introduisent des frontières aux états, ce que les temps perfectifs de l’anglais ne font pas36. Cette opération rend en même temps possible de décrire le progressif de l’anglais comme aspectuellement équivalent à l’imparfait français, sauf en ce qui concerne les restrictions de sélection : l’imparfait admet les états, ce que le progressif ne fait pas. Ceci est un point critique, que l’on examinera plus précisément au cours de ce mémoire. Smith justifie l’introduction de l’aspect neutre par deux arguments : le premier, interne à la théorie, est que les conditions de visibilité d’une situation exigent qu’on attribue une valeur aspectuelle à toute forme verbale ; le deuxième argument est qu’on peut montrer empiriquement qu’il y a des phrases qui ne sont ni perfectives ni imperfectives – et que ces phrases peuvent avoir un comportement des fois flou, mais de manière limitée – ils ne font pas n’importe quoi. Il doit donc y avoir des paramètres descriptibles auxquels elles obéissent. Comparons les phrases suivantes : 15. a. Jean chantera quand Marie entrera dans le bureau.37 b. Jean chantait quand Marie entra dans le bureau. c. Jean chanta quand Marie entra dans le bureau. (15b) n’a qu’une seule interprétation en ce qui concerne l’agencement relatif des deux situations : Jean est déjà en train de chanter lorsque Marie entre dans le bureau. (15c) a pour seule interprétation que Jean commence à chanter au moment même où Marie entre dans le bureau. (15a) par contre est ambiguë entre ces deux lectures – si on néglige la localisation temporelle, qui situe l’action dans le passé pour (15b) et (15c), mais dans le futur pour (15a). Smith appelle une interprétation comme celle de (15b) une interprétation ouverte – liée à l’aspect imperfectif, tandis que celle dans (15c) est fermée – liée à l’aspect perfectif. L’aspect neutre est donc systématiquement ambigu dans des contextes de phrases avec une subordonnée introduite par quand. Le choix de l’interprétation préférée et à retenir est due selon Smith aux facteurs pragmatiques (probablement est-ce aussi lié à l’Aktionsart du VP 36 37 Ibid., p. 173.ss. Exemple de Smith (1991), p. 120. 22 sous la portée de l’aspect neutre) ; car si dans (15a), l’interprétation fermée sera probablement préférée, pour l’exemple (16), l’interprétation ouverte semble être plus naturelle. 16. Jean dormira quand Marie entrera dans le bureau.38 Il semble donc que l’aspect neutre prenne les qualités de l’imperfectif ou du perfectif selon le contexte. Il y a cependant une distinction importante entre l’imperfectif et le neutre : tandis que l’imperfectif peut focaliser dans certaines langues comme le français un état préparatoire d’une situation, cela ne serait pas possible – dans aucun cas – avec un aspect neutre, ce que Smith cherche à prouver avec des exemples du type suivant : 17. a. Jean se noyait, mais il ne s’est pas noyé. b. ??/*Jean se noiera, mais il ne se noiera pas.39 Si l’aspect neutre était capable de focaliser une phase préparatoire comme l’est l’aspect imperfectif, il devrait être possible – selon Smith – de se retirer d’une pure implicature conversationnelle sur la réalisation de la situation. Mais cela n’est pas le cas. Si une situation sous la portée d’un aspect neutre est interprétée comme effectivement arrivée au point F de la situation (ce qui est pertinent exclusivement pour des situations téliques), cela est dû à une inférence, ou à une implicature conversationnelle, de laquelle il devrait être possible de se retirer. Un imperfectif n’admet pas une telle interprétation fermée par inférence. Le fait que l’aspect neutre soit conçu comme l’aspect par défaut rend la théorie de Smith applicable à toutes les langues, même celles qui n’ont pas de morphologie explicite pour l’aspect syntaxique. De même, l’aspect neutre devrait apparaître dans les positions d’un système verbal qui n’ont pas d’opposition aspectuelle entre une forme perfective et une imperfective. En français, cela est le cas pour le présent et le futur, auxquels Smith attribue conséquemment l’aspect neutre. En allemand (au moins dans l’allemand méridional), comme il ne semble pas y avoir d’opposition aspectuelle, l’aspect neutre devrait être le seul point de vue aspectuel disponible. L’utilité d’assumer l’existence d’un tel aspect neutre se révèle assez clairement si on prend en compte l’exemple (18). Si on ne pose pas l’influence de l’aspect, il sera nécessaire de localiser le temps de la situation T-Sit directement par rapport au moment de l’énonciation TU (ou par rapport à un autre point de référence), ce qui peut mener, comme Klein l’a montré pour le russe40, à des contradictions : 38 Ibid., p. 120. Pour une discussion de la validité de cet exemple, cf. plus bas. 40 Wolfgang KLEIN (1995), p 686s. Je ne fais qu’adapter son raisonnement pour l’allemand. 39 23 18. a. Hans hat in Salzburg gewohnt. Hans a en Salzburg habité. Hans a habité à Salzburg. b. Hans wohnt in Salzburg. Hans habite en Salzburg. Hans habite à Salzburg. T-Sit avant TU T-Sit simultané à TU (ou contient TU) c. Hans wird in Salzburg wohnen. T-Sit après TU Hans devient en Salzburg habiter. Hans habitera à Salzburg. (18a) est cependant un énoncé adéquat si Hans habite encore à Salzburg, puisqu’on peut dire sans contradiction logique : d. Hans hat in Salzburg gewohnt, wohnt in Salzburg und wird auch in Zukunft in Salzburg Hans a en Salzburg habité, habite en Salzburg et devient aussi en futur en Salzburg wohnen. habiter. Hans habitait à Salzburg, habite à Salzburg et habitera à Salzburg aussi dans l’avenir. De là s’ensuit que ce n’est pas toute la situation qui est antérieure à TU, mais seulement un sous-intervalle de T-SIT. Une façon d’éviter cette contradiction sans avoir recours à une catégorisation d’ordre aspectuel serait de ne plus du tout lier T-SIT à TU, ce qui serait un procédé inadmissible, puisqu’il rendrait toute tentative de sémantique vériconditionnelle impossible. Chez Smith autant que chez Klein, l’aspect (syntaxique) est une catégorie indispensable, et qu’on ne pourra pas éliminer. Ces méthodes ont l’avantage de présenter au moins le début d’une description unifiée du domaine de l’aspectualité, applicable à toutes les langues. Une différence majeure entre Smith et Klein me semble être leur attitude envers des aspects qui n’ont pas – selon la terminologie de Demirdache et Etxebarria41 – de coïncidence centrale, c’est-à-dire des aspects qui focalisent des phases préparatoires ou subséquentes d’une situation. Dans le système de Klein, de tels aspects ‘prospectifs’ ou ‘rétrospectifs’ sont très faciles à accommoder, tandis que dans le système de Smith, on est obligé de les traiter de points de vue aspectuels marqués, et de les faire dériver d’un aspect plus simple. Il n’est 41 Cf. Hamida DEMIRDACHE/Myriam URIBE-ETXEBARRIA (2002) : “La grammaire des prédicats spatiotemporels : temps, aspects et adverbes de temps”, in : Brenda LACA (éd., 2002) : Temps et aspect. De la morphologie à l’interprétation. Saint-Denis : PUV. p. 143ss. 24 certainement pas un hasard que Smith ne traite pas le conditionnel français ou des constructions comme would + V prospectif en anglais (c.f., John told me he would go to the movies tommorrow). 1.5. Le traitement unifié de Demirdache et Etxebarria L’article déjà mentionné de Demirdache et Etxebarria (2002) constitue un essai intéressant d’unification des descriptions sémantiques de temps et aspect de Klein et de Smith et de leur application explicite à la syntaxe. Elles traitent les temps, aspects et adverbes de temps comme des prédicats spatio-temporels qui établissent trois relations différentes – à savoir inclusion, précédence et subséquence – entre deux arguments dénotant des intervalles temporels. Leur schéma est le suivant : 19. TP UT-T T’ T0 ASP-P AST-T ASP-P’ ASP0 VP EV-T V’42 Ces trois relations interviennent dans les têtes T0 et ASP0 et projettent ou AVANT (i.e., précédence), ou APRÈS (i.e., subséquence) ou DANS (inclusion), ce qui permet de distinguer les aspects prospectif, accompli et progressif. TP et ASP-P sont toujours projetés. Si une de ces têtes n’a pas de contenu, son argument externe lie son argument interne, ce qui est notamment le cas avec les temps simples et signifie que les deux intervalles temporels que sont la relation entre TU et TT (i.e., la localisation temporelle) et entre TT et TSIT (i.e., 42 UT-T correspond à TU de Klein, AST-T est son T-AST ou TT, et EV-T n’est autre que T-SIT. 25 l’aspect) deviennent identiques. ASP-P peut être itéré, pour pouvoir rendre compte de temps comme le Perfect Progressif anglais. Même si, comme Nora Boneh43, on ne pense pas que le dédoublement possible de ASP-P soit en soi un problème, il y a une difficulté liée à cette approche : quel que soit le nombre d’itérations d’ASP-P (le nombre d’aspects possibles semble être théoriquement illimité – même s’il ne fait pas beaucoup de sens de continuer cette opération indéfiniment), il n’est pas possible de produire quelque chose comme l’aspect neutre de Smith ou la représentation de l’imperfectif du russe par Klein. La seule façon dans cette approche d’avoir le point I dans TT – c’est-à-dire que le début d’une situation soit visible (excepté pour le prédicat APRÈS) est de lier l’aspect par le temps – ce qui donne cependant un aspect perfectif selon la définition de Smith, et non pas un aspect neutre, puisque I et F sont dans ce système obligatoirement tous les deux à la fois focalisés ou non-focalisés. L’aspect neutre, dont Smith a montré l’utilité et le bien-fondé empirique, n’est donc pas prévu par Demirdache/Etxebarria. La valeur aspectuelle par défaut – celui de tous les temps simples sans marquage aspectuel explicite - est dans cette approche le perfectif, ce qui convient à peu près à l’anglais, mais n’est pas adéquat pour d’autres langues, comme l’allemand et le français. 43 Cf. Nora BONEH (2003) : La représentation syntaxique du temps: le cas de l’hébreu moderne, de l’arabe standard et dialectal. Thèse de Doctorat, Université Paris 8. pp. 54ss. 26 2.Le Perfekt allemand Dans ce qui suivra, je n’analyserai pas l’utilisation du Perfekt (Perf) telle qu’il se présente dans la langue standard (écrite), mais son utilisation dans les variétés méridionales (parlées) de l’allemand44. Ces dialectes ont la particularité que le Präteritum y a presque entièrement disparu au profit du Perf (oberdeutscher Präteritumsschwund), sauf pour la copule être et quelques verbes modaux. Morphologiquement, le Perf est pratiquement identique au passé composé français ; il est formé à l’aide d’un auxiliaire (avoir ou être) et du participe passé, mais la distribution des deux auxiliaires dans les deux langues n’est pas exactement la même. Comme en français, il existe en allemand méridional une forme surcomposée du Perf (le PerfSC). Très informellement, on pourrait esquisser un schéma du système temporel (de l’indicatif) en allemand comme suit : 20. | PerfSC | Perf | Präsens | Futur hat gesungen gehabt a chanté eu hat gesungen a chanté singt chante wird singen devient chanter | | | | PQPSC ? PQP Präteritum ‘Prospectif’ sang chantait werde/würde singen devienne/deviendrait chanter hatte gesungen gehabt hatte gesungen eu avait chanté avait45 chanté Le deuxième niveau, avec plus-que-parfait surcomposé (qui n’existe probablement pas), plus-que-parfait, etc., n’existe plus dans les variétés méridionales, ce qui est très probablement dû à la perte du Präteritum. En effet, au premier niveau, le temps de l’auxiliaire est le présent (+ forme non-finie pour futur et Perf, le PerfSC étant doublement auxilarisé), tandis qu’au deuxième niveau, l’auxiliaire est au Präteritum46. 44 S’il n’est donc pas mentionné qu’une assertion est valable pour l’allemand standard, elle n’aura pour objet que ces variétés. 45 Le fait de rendre le Präteritum allemand par l’imparfait français est un parti pris de ma part, qui deviendra plus clair au cours du mémoire. 46 C’est-à-dire : Präsens et Präteritum sont les formes de base, sans auxiliaire; le futur est formé avec l’auxiliaire werden (devenir) conjugué au Präsens + Infinitif ; le Perf avec haben/sein (avoir/être) au Präsens + participe passé ; le PQP ne se distingue du Perf que par le fait que l’auxiliaire y est conjugué au Präteritum. Ce que j’ai appelé ‘Prospectif’ n’entre pas exactement dans cette axe de symétrie : il utilise le même auxiliaire que le futur (i.e., werden), mais le temps grammatical n’y est pas le Präteritum Indikativ, mais le Konjunktiv. Il semble donc 27 En langue standard, la différence entre Präteritum et Perf n’est pas équivalente à celle entre IMP et PC en français ; le Präteritum semble être aspectuellement neutre dans le sens de Smith, comme l’indique l’extrait suivant du Château de Kafka : 21. Es war spätabends [S1], als K. ankam [S2]. Das Dorf lag in tiefem Schnee [S3]. Il être[PRÄT] tard-le-soir, quand K. arriver[PRÄT]. Le village être-couché[PRÄT] en profonde neige. Il était tard [S1] quand K. arriva [S2]. Le village était enfoui sous la neige [S3]. En français, il faudrait mettre le verbe en S1 et S3 à l’IMP, et celui dans S2 au PC ou PS, c’est-à-dire qu’il y a un marquage aspectuel en français ou l’allemand n’utilise qu’un seul temps verbal. Un fait qui semble aussi être vrai pour la langue standard est que le Perf ne montre pas de contrainte ‘extended now’ comme le Present Perfect anglais et peut se combiner librement avec des adverbes temporels qui réfèrent au passé. En cela, il semble être assez proche du PC français : 22. a. Der Koloss von Rhodos hat hundert Tonnen gewogen47. Le colosse de Rhodes a cent tonnes pesé. Le colosse de Rhodes pesait cent tonnes. b. Einstein hat Princeton besucht. Einstein a Princeton visité. Einstein a visité Princeton. 23. Gestern um zehn habe ich den Brief abgeschickt. Hier à dix ai je la lettre envoyé. Hier à dix heures, j’ai envoyé la lettre. Mais contrairement au PC français, on peut construire des schémas d’incidence avec le Perf : 24. Als Hans hereingekommen ist, hab’ ich gerade eine Zigarette geraucht. Quand Hans entré est, ai je tout-droit une cigarette fumé. Quand Hans est entré, je fumais une cigarette. La seule interprétation de (24) est que le locuteur était déjà engagé dans l’activité de fumer au moment où Hans est entré48. Il semble donc qu’il faudra supposer pour le Perf aussi que cette catégorie soit avant tout une catégorie à valeur modale, et non pas temporelle (ce qu’on peut aussi soutenir pour le futur, au moins dans ma variété). 47 Tous ces exemples sont dans Klein (2000), p. 359. 48 Ce qui est dû aussi à ’gerade’, ce que j’analyserai encore plus bas. 28 que sa valeur aspectuelle est neutre. Mais il y a cependant des contextes dans lesquels le Perf se comporte comme un parfait : 25. Hans hat gearbeitet und ist müde.49 Hans a travaillé et est fatigué. Il semble donc que le Perf ait deux valeurs aspectuelles et temporelles. Klein propose de l’analyser en introduisant l’opérateur POST qui assigne des temps postérieurs à l’intervalle auquel il est appliqué. Si t est un intervalle, alors POST (t) est n’importe quel intervalle après t. Klein donne le schéma suivant pour les deux lectures de la chaise (se) renverse : FIN0 + [POST [der Stuhl umkipp-]] FIN0 + [der Stuhl POST-umkipp-] Under the first reading, TT is a posttime of some situation which is selectively described [der Stuhl umkipp-], that is, the sentence Der Stuhl ist umgekippt is false iff its TT is not preceded by a situation where the chair toppled over. Under the second reading, TT overlaps with an interval with the properties of [der Stuhl umgekippt sei-], that is <[sic!, scil. : the sentence Der Stuhl ist umgekippt is false,]> if SUBJ at TT does not have the posttime properties of PRED at TT.50 Dans la théorie de Klein, FIN0 est l’élément temporel de la construction qui empêche que TT soit proprement antérieur à TU, sans exclure cependant que TT s’étende dans le passé ou que TT englobe tout le temps qui existe51. La deuxième partie de la formule concerne l’aspect, et l’Aktionsart de ce VP serait 2-STATE. Même si on ne pense pas que cette définition de FIN0 dérange en soi, il y a un problème sérieux pour l’exemple suivant : 26. Ich hab gestern gerade mein Bier ausgetrunken, als plötzlich Anna hereingekommen ist. Je ai hier tout-droit ma bière terminé, quand tout-à-coup Anna entré est. #Ich hab’ mich so gefreut, dass ich den Rest stehengelassen habe. (Erst vor einer Stunde hab Je ai me si réjoui que je le reste traîner-laissé ai. (Seulement avant une heure ai ich das dann noch getrunken.) je cela puis encore bu.) Hier j’ai terminé ma bière quand, tout-à-coup, Anna est entrée. #J’en étais si content que j’ai laissé traîner le reste de la bière (finalement, je ne l’ai terminé qu’il y a une heure). Si vraiment TT n’était pas proprement antérieur à TU, il devrait être possible de régler la contradiction apparente qui existe entre l’affirmation d’avoir terminé la bière et celle de ne 49 Exemple de Klein (2000), p. 358. Klein (2000), p. 369. 51 Ibid., p. 368. 50 29 pas l’avoir terminée tout de suite, car à TU, celle-ci est effectivement terminée. Le fait que l’information soit repartie en deux phrases ne joue ici aucun rôle, car si on fait de (26) une seule phrase, ce qui est possible, la même contradiction se produit. De plus, il y a un problème pour expliquer pourquoi un schéma d’incidence est possible avec deux phrases au Perf : si on applique l’opérateur POST aux deux situations de l’exemple (26), ou bien il n’y a pas de lien du tout entre les deux situations par FIN0, et toute sorte d’interprétation en ce qui concerne l’agencement des deux situations devrait être possible (ce qui est faux) ; ou bien il devrait y avoir obligatoirement séquence, car les deux situations sont 2-STATE, ce qui avec l’opérateur POST forçait dans les deux cas à interpréter l’état résultant comme au moins partiellement inclus dans TT. Une raison qui explique la difficulté à traiter une phrase coordonnée comme (26) avec les moyens que donne Klein est qu’il n’y a pas d’élément permettant de lier deux phrases. Dans le schéma Reichenbachien, que Klein critique à cause de son imprécision, on peut aisément expliquer le comportement d’une telle construction par le principe de la permanence du point R. Dans le schéma de Klein cependant, on ne peut pas dire que TT de la principale soit donné par la subordonnée, ni T-SIT, sans commettre un contresens. En outre, il n’existe pas d’autre point ou intervalle (sauf si on introduit ce schéma dans un modèle syntaxique, comme l’ont fait Demirdache-Etxebarria), de sorte qu’on pourrait lier un TT ou T-SIT par un TT ou T-SIT d’une proposition précédente qui les c-commande. 2.1. Perf à référence future Bien que Klein soit obligé, comme on l’a vu, de postuler deux schémas pour le Perf, il n’est pas capable d’en déduire le comportement différent des adverbes temporels dans le cas d’un Perf à référence passée et d’un Perf à référence future52, cf. : 27. a. Gestern um zehn hat er die Stadt verlassen.53 Hier à dix a il la ville quitté. Hier à dix heures, il a quitté la ville. b. Morgen um zehn hat er die Stadt verlassen. Demain à dix a il la ville quitté. 52 53 Cf. Klein (2000), p. 372. Exemples de Klein (2000), p. 372. Hors contexte, (27b) est pour moi à la limite de l’acceptable. 30 Demain à dix heures, il aura quitté la ville. En (27a), le moment marqué par l’adverbe temporel est ou bien à la borne initiale de TSIT, ou bien proprement inclus dans T-SIT (ce qui est un comportement typique pour un aspect neutre)54. En (27b), T-SIT est proprement antérieur au moment marqué par l’adverbe temporel. Il n’est pas possible d’obtenir le positionnement de T-SIT relativement au moment marqué par l’adverbe tel qu’il se produit dans (27b) en (27a), et vice-versa. Wunderlich55 donne toute une série d’indices pour montrer que le Perf allemand est un vrai temps du passé, ce qui rend évidemment difficile à expliquer pourquoi il peut aussi être employé avec une référence future. Je proposerai l’esquisse d’une explication au comportement ambigu du Perf à partir de l’analyse du PC de Demirdache et Etxebarria, en attribuant une analyse double au Perf : ‘temps simple’ du passé, et présent rétrospectif, comme le Present Perfect anglais. Une raison pour supposer une ambiguïté systématique (mais prévisible et prédictible) du Perf est l’existence du PerfSC. Le comportement du PerfSC par rapport au Perf est, comme j’essaierai de le montrer, exactement équivalent à celui du Perf par rapport au Präsens : on a toujours un temps à aspect neutre accompagné d’un temps à aspect rétrospectif (i.e., T-SIT avant TT). Et j’essaierai de montrer qu’il y a des faits indiquant qu’une réanalyse de la structure du Perf a lieu dans l’utilisation pro futuro. Tout d’abord, l’ordre relatif de la situation en question et de l’adverbe temporel se répète avec un PerfSC et un Präsens, ainsi qu’avec un Futur antérieur et un Futur: 28. a. Gestern um zehn hat er die Stadt (schon längst) verlassen gehabt. Hier à dix a il la ville (déjà longtemps) quitté eu. Hier à dix heures, il avait quitté la ville depuis longtemps. b. Morgen um zehn verlässt er die Stadt. Demain à dix quitte il la ville. Demain à dix heures, il quitte la ville. 54 Je suis conscient du fait que die Stadt verlassen est une situation qu’on ne peut pas classer très nettement selon les tests que donne Dowty : Il produit une itération avec aufhören zu (~arrêter de), mais cela pourrait très bien être un effet de sens dû à aufhören (cet effet se produit aussi avec fumer une cigarette → fumer une marque de cigarettes). Die Stadt verlassen n’admet pas non plus le préfix fertig-, qui correspond à peu près à terminer de (mais cela pourrait être dû à une incompatibilité d’un autre ordre entre les deux préfixes fertig- et ver-). Donc ce serait un achèvement. De l’autre côté, je n’ai pas de problème à le combiner à des adverbes comme vorsichtig (avec précaution) ou absichtlich (délibérément). Donc ce serait un accomplissement. Les tests de Dowty qui nécessitent un vrai progressif ne peuvent pas être reproduit tel quel en allemand, faute d’un progressif. Mais même si on classe verlassen parmi les achèments, une phase préparatoire se construit très aisément, de façon qu’en (27a), je mettrai intuitivement le début de la situation sur le début de la phase préparatoire (si c’en est alors une). 55 Cf. Dieter WUNDERLICH (1970) : Tempus und Zeitreferenz im Deutschen. München: Hueber. p. 182s. 31 c. Morgen um zehn wird er die Stadt verlassen haben.56 Demain à dix devient [Aux Fut] il la ville quitté avoir. Demain à dix heures, il aura quitté la ville. d. Morgen um zehn wird er die Stadt verlassen. Demain à dix devient [Aux Fut] il la ville quitter. Demain à dix heures, il quittera la ville. En (28a) et (28c), la configuration temporelle correspond à celle de (27b), c’est-à-dire que T-SIT < 10 heures ; en (28b) et (28d), elle est identique à celle de (27a). En outre, un Perf à référence future est nettement plus acceptable si l’indication temporelle est précédé de bis (jusqu’à), tandis qu’avec T-SIT < TU, la même phrase semble étrange : 29. a. Ich habe das bis morgen für dich erledigt. Je ai ça jusque demain pour toi exécuté. Demain, j’aurai reglé cette affaire pour toi. b. ??Ich habe das bis gestern für dich erledigt.57 Je ai ça jusque hier pour toi exécuté. Hier, j’ai reglé cette affaire pour toi. Comme le souligne Wunderlich58, bis fixe un moment final pour une situation, ce qui le rend particulièrement apte à se combiner avec un adverbe temporel qui doit servir de borne à un temps à aspect rétrospectif. De toute façon, il semble absolument impossible d’interpréter un Perf comme référant au futur s’il n’est pas accompagné par un adverbe temporel qui renvoie explicitement au futur. La structure de l’accentuation de la phrase est, de plus, sensiblement différente entre un Perf à référence future et un Perf temps du passé. Pour une phrase déclarative standard au Perf sans focalisation ou topicalisation spécifiquement marquée, on obtient la courbe d’intonation et d’accentuation suivante : 30. 56 Si on applique au futur antérieur une indication temporelle qui précède TU, on obtient une lecture modale épistémique, avec un comportement aspectuel qui correspond à celui du Perf – temps du passé aspectuellement neutre. 57 Cette phrase est cependant interprétable si l’affaire à exécuter est interprétée de façon itérative, et en relation avec TU (de sorte que ce serait ici encore un Présent Rétrospectif). Un contexte possible serait : je m’en suis chargé jusqu’à hier, maintenant c’est à toi de le faire. 58 Wunderlich (1970), p. 252s. 32 Gestern abend bin ich ins Kino gegangen.59 Hier soir suis je dans-le cinéma allé. Hier soir, je suis allé au cinéma. Ce qui est important ici est que i) le participe ne reçoit pas de marque accentuelle appuyée comme par exemple l’auxiliaire bin, mais se comporte plutôt comme un annexe à Kino sans accent propre, et que ii) l’intonation sur le participe est complètement plane. Un déplacement de l’adverbe temporel ne changerait rien à ces deux phénomènes intonatoires. Si on mettait un accent tonique sur le participe et qu’on transformait son intonation de façon qu’elle ne soit plus plane, cela aurait comme conséquence de transformer le participe en focus (contrastif). Il semble qu’un effet de cette intonation plane sur le participe est de déclencher comme interprétation première un renvoi au passé, donc incompatibilité avec un adverbe temporel qui renvoie explicitement au futur. Il semble qu’un tel adverbe déclenche automatiquement un accent supplémentaire sur le participe : 31. Morgen um zehn hab’ ich den Film gesehen. Demain à dix ai je le film vu. Demain à dix heures j’aurai vu le film. Il y a une pause entre l’objet direct de la phrase, Film, et le participe, qui reçoit l’accent principal de la phrase. Cette structure d’intonation rapproche (31) d’une construction résultative, comme par exemple en espagnol : 32. Mañana tendré la carta escrita. Demain aurai la lettre écrite. Demain, j’aurai écrit la lettre. Le comportement de T-SIT envers l’adverbe temporel en (32) est le même que celui qu’on avait observé avec le Perf pro futuro en allemand. Avec les verbes qui prennent pour auxiliaire non pas haben (avoir), mais sein (être), cette construction à référence future passe très nettement moins bien : 33. a. ??/* Morgen um zehn bin ich im Kino gewesen. 59 Les syllabes en italique sont celles qui sont accentuées. 33 Demain à dix suis je dans-le cinéma été. Demain à dix heures, j’aurai été au cinéma. b. ??/* Morgen um zehn bin ich ins Kino gegangen. Demain à dix suis je dans-le cinéma allé. Demain à dix heures, je serai allé au cinéma. Mais il est possible d’améliorer de telles constructions : si on remplace l’indication temporelle ponctuelle À X par une indication temporelle culminative EN X temps, et si on ajoute des éléments à la phrase, l’acceptabilité augmente (même si ce n’est toujours pas parfait). De plus, il semble y avoir une différence d’acceptabilité entre des verbes qui ont un état résultant lexicalisé ne correspondant pas au participe passé (p.e., sterben – mourir), et ceux qui n’en disposent pas, et qui sont plus acceptable dans un tel contexte : 34. a. ??/* In einer Stunde bin ich gestorben. En une heure suis je mort [PP]. Dans une heure, je suis mort(e). b. In einer Stunde bin ich tot. En une heure suis je mort [ADJ]. Dans une heure, je suis mort(e). c. ? In einer Stunde bin ich schon längst gestorben. En une heure suis je déjà longtemps mort. Dans une heure, je serai mort(e) depuis longtemps. d. In einer Stunde bin ich schon längst verdurstet. En une heure suis je déjà longtemps mort-de-soif. Dans une heure, je serai mort(e) de soif depuis longtemps. La question est cependant de savoir s’il s’agit là d’un ‘vrai’ Perf. Le participe en (34c-d) semble fonctionner plutôt comme un adjectif qui donne une prédication sur le sujet de la phrase que comme un verbe lexical dont les traits de temps et d’accord se trouveraient dans l’auxiliaire. Il semble que le participe ajoute seulement une valeur aspectuelle d’antériorité/résultativité au moment marqué par le verbe fini au Präsens, dont le TT est donné par l’adverbe temporel dans une heure en tête de phrase. Peut-être pourrait-on analyser les verbes qui prennent comme auxiliaire pour le Perf haben de façon analogue. La prédication avec une référence au futur ne porterait dans ce caslà non pas sur le sujet de la phrase, mais sur l’objet, ce qu’on pourrait schématiser de façon très vague par [Adverbe temporel HAB- Sujet] [Objet Å Participe] : on aurait une prédication secondaire sur l’objet60. Les deux structures d’intonation qu’on avait observées semblent 60 En allemand, il n’y a pas d’accord perceptible entre le substantif et un adjectif attribut, tandis qu’un adjectif épithète s’accorde, cf . : 34 pointer dans cette direction. Cette hypothèse permet deux prédictions importantes : s’il n’y a pas d’objet, la phrase ne devrait pas être interprétable ; comme il s’agit d’une prédication, l’objet devrait être défini ou au moins repérable dans le contexte : 35. a. ? Morgen um zehn hab’ ich gewaschen/geschrieben. Demain à dix ai je lavé/écrit. Demain à dix heures, j’ai lavé/écrit. b. ? Morgen um zehn hab’ ich ein Auto gewaschen/einen Brief geschrieben. Demain à dix ai je une voiture lavé/ une lettre écrit. Demain à dix heures, j’ai lavé la voiture/ écrit une lettre. c. ??/* Morgen um zehn hab’ ich Autos gewaschen/Briefe geschrieben. Demain à dix ai je voitures lavé/ lettres écrit. Demain à dix heures, j’ai lavé des voitures/ écrit des lettres. d. Morgen um zehn hab’ ich das Auto gewaschen/den Brief geschrieben. Demain à dix ai je la voiture lavé/ la lettre écrit. Demain à dix heures, j’ai lavé la voiture/écrit la lettre. Seul (35d) est acceptable sans problème ; (35a) est acceptable s’il est clair ce qui est lavé ou écrit à dix heures ; (35b) est acceptable dans un contexte où le locuteur a le choix entre plusieurs voitures/lettres et s’en charge d’en laver/écrire une. Pour (35c), il semble impossible de trouver un contexte dans lequel cette phrase deviendrait acceptable, mais les pluriels nus ne sont en général pas de bons supports pour des prédications, sauf dans des interprétations génériques (qui sont exclus dans ce contexte-là). Le problème avec cette analyse est qu’elle semble convenir assez bien aux cas dans lesquels il y a un objet direct, mais elle n’est pas adéquate pour les objets indirects, qui sont néanmoins possibles dans de telles constructions : 36. Morgen um zehn hab’ ich mit Hans gesprochen. Demain à dix ai je avec Hans parlé. Demain à dix heures, j’aurai parlé à Hans. (36) est parfaitement grammaticale, et le profil d’intonation correspond exactement à celui esquissé dans (31). Mit Hans devrait donc avoir le même statut que das Auto ou den Brief dans (35d). Mais ceci ne semble pas être le cas. Pour (35d), on peut assez facilement montrer qu’il s’agit d’une prédication, car on peut transformer le participe en adjectif : das ein schönes Haus [Neutre], ein schöner Wal [Masc], eine schöne Zeit [Fém.] une belle maison, une belle baleine, un beau temps mais : das Haus/der Wal/die Zeit ist schön. 35 gewaschene Auto, den geschriebenen Brief. Pour (36), ce procédé est exclu, car on n’obtient pas de résultat grammatical : *dem gesprochenen Hans ou *dem mit-gesprochenen Hans ne peuvent pas être intégrés dans une phrase. On pourrait peut-être dire qu’il y a un autre argument implicite de la phrase, à savoir le thème de ma conversation avec Hans, mais cela serait en allemand comme en français encore un PP, et non pas un DP ou NP : über etwas sprechen (~ parler sur/de quelque chose).61 Nisrine Al-Zahre62 a suggéré que le problème pourrait non pas concerner directement l’expression syntaxique (i.e., le cas) de l’argument, mais plutôt le statut argumental et le rôle thématique de l’argument sur lequel porte la prédication. Cela est possible, puisqu’il ne semble pas qu’on puisse avoir un objet non-affecté dans un tel contexte ; on dirait qu’il y a une sorte de coercion forçant à interpréter la situation en question comme télique. 37. Gestern um zehn hab ich mit Hans gesprochen. Hier à dix ai je avec Hans parlé. Hier à dix heures, j’ai parlé à Hans. En (37), il serait tout à fait possible que ma conversation avec Hans ait été du simple bavardage ; en (36), cela semble être exclu – malgré le fait que mit X sprechen, selon les tests standards, appartient sans doute à la classe des activités et est pour autant atélique. Les contextes qui viennent d’abord à l’esprit pour (36) sont ceux où l’on parle avec Hans pour obtenir quelque chose de lui ou pour l’informer de quelque chose. Il est (peut-être pour des raisons pragmatiques ?) très difficile d’imaginer ou de justifier pourquoi on utiliserait un Perf si la situation n’était pas à interpréter de façon télique. Un effet qui me semble soutenir la thèse d’une prédication secondaire est le comportement de certaines phrases au Perf qui disposent de deux compléments, bien que les raisons exactes de ce comportement m’échappent pour l’instant : 38. Gestern Abend hab ich Freunde zum Essen eingeladen. 61 Un exemple comme (36) n’est pas non plus réductible à l’analyse inspirée par Dowty que je proposerai plus bas pour les accomplissements préfixés par fertig-, ni à une phrase résultative comme p.e. Anna hat Hans unter den Tisch gesoffen. Anna a Hans sous la table picolé. Anna a bu avec Hans jusqu’à ce que celui se trouve sous la table. Une telle phrase peut s’analyser très approximativement [Anna picole [CAUSE[BECOME Hans sous la table], ce qui n’est cependant pas possible de façon aussi nette avec (36) : [Je parle [CAUSE[BECOME Hans ?] ou peut-être même [Je ? [CAUSE[BECOME Hans parlé]. Ces deux structures ne sont pas très éclairantes en ce qui concerne l’interprétation véritable d’une phrase comme (36). De plus, dans l’exemple cité ici en note, le participe n’est pas porteur de la prédication secondaire : c’est une indication de lieu ou un véritable adjectif qui donne le prédicat. 62 Communication personnelle 36 Hier soir ai je amis à-le manger invité. Hier soir, j’ai invité des amis à dîner/j’ai eu des amis à dîner. (38) est ambiguë. Si on la prononce selon le schéma esquissé en (30), c'est-à-dire avec une intonation plane sur le participe, une interprétation possible de la phrase serait que les amis ont effectivement mangé chez moi hier soir. Ceci n’est cependant qu’une implicature conversationnelle ; il est possible que ce soit l’acte d’inviter qui ait eu lieu hier. Si on prononce cependant (38) selon le schéma esquissé dans (31), c’est-à-dire avec le participe focalisé, il n’est pas possible que l’acte de manger ait eu lieu au moment indiqué par l’adverbe temporel. Ce comportement pourrait avoir plusieurs raisons : il serait possible que inviter à manger soit une tournure tellement figée qu’elle ne s’analyse pas forcément de façon compositionnelle si on ne met pas de focus sur un des constituants ; il serait de même possible que cela soit dû à une interprétation de invité comme adjectif se rapportant à amis. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec un Perf pro futuro, cette ambiguïté ne subsiste pas : 39. Morgen Abend hab ich Freunde zum Essen eingeladen. Demain soir ai je amis à-le manger invité. Pour demain soir, j’ai invité des amis à dîner. Dans (39), la seule interprétation possible est que les amis viendront manger demain, avec ou sans focus sur le participe63. Si on analyse (39) avec des variables d’événements comme le propose Davidson, cela ne pose pas de problème : comme l’événement e1 inviter doit être antérieur à l’intervalle indiqué par l’adverbe temporel, et comme il y a un deuxième événement e2 manger présent dans la phrase, l’adverbe temporel lie ce e2. Si on a dans (39) e2 lié par l’adverbe temporel, cela doit être dû au fait que e1 n’est pas disponible, parce qu’il sert de prédicat (adjectival) à amis. Ce serait seulement par un focus sur le participe que e1 deviendrait à nouveau disponible comme argument événementiel pour l’indication temporelle. Pour le PerfSC, on obtient le même effet de sens qu’avec le Perf pro futuro : 40. Gestern Abend hab ich Freunde zum Essen eingeladen gehabt. Hier soir ai je amis à-le manger invité eu. Pour hier soir, j’ai eu invité des amis à dîner. En général, le PerfSC montre le même comportement que le Perf pro futuro. Si ces deux temps grammaticaux ont le même comportement (aspectuel), mais sur deux niveaux 63 Il semble que cela joue un rôle uniquement si le participe est dans le même groupe intonatoire que l’objet ; dans une phrase comme (38) ou (39), ceci n’est pas possible à cause de la présence de zum Essen, qui prend un accent indépendamment de Freunde de toute façon. 37 temporels différents, il doit aussi être possible d’avoir un Präsens rétrospectif dont la relation (indirecte) entre événement et moment d’énonciation serait T-SIT < TU (pour être plus précis, TU simultané à TT et T-SIT antérieur à TT). Cela semble expliquer des phénomènes tel qu’ils existent dans l’exemple (25), et on verra par la suite que, dans le cas d’une combinaison Perf + gerade, on a probablement de même un présent rétrospectif. 2.2. Séquence et incidence au Perf Smith écrit que l'aspect neutre permet des interprétations à la fois ouvertes et fermées (c'est-à-dire incidence et séquence)64. Dans ce qui suit, je vais examiner d’abord le comportement de Perf dans des phrases atomiques qui ne sont pas reliées entre elles par des conjonctions, avant d’étudier le changement qu’apportent als et gerade. 41. Hans ist gekommen. Anna ist gegangen. Hans est venu. Anna est partie. 42. Anna ist gegangen. Hans ist gekommen. Anna est partie. Hans est venu. 43. Hans hat Fußball gespielt. Anna hat den Rasen gemäht. Hans a foot joué. Anna a la pelouse tondu. Hans a joué au foot. Anna a tondu la pelouse. 44. Hans ist gekommen. Anna hat geraucht. Hans est venu. Anna a fumé. 45. Hans hat den Großglockner bestiegen. Anna hat Österreich zu Fuß durchquert. Hans a le Großglockner escaladé. Anna a Autriche à pied traversé. Hans a escaladé le Großglockner. Anna a traversé l’Autriche à pied. 46. Hans hat gehustet. Anna hat Radio gehört. Hans a toussé. Anna a radio écouté. Hans a toussé. Anna a écouté la radio. 47. Hans hat gehustet. Anna hat ihre Zigarette ausgedrückt. Hans a toussé. Anna a sa cigarette éteint. Hans a toussé. Anna a éteint sa cigarette. 48. Hans ist nervös gewesen. Anna hat sich gewundert. Hans est nerveux été. Anna a se étonné. Hans était nerveux. Anna était étonnée. 64 C. Smith (1991), p. 122s. séquence = un événement après l’autre ; incidence = les deux événements ont au moins un sous-intervalle en commun. 38 Hors contexte et spontanément, on obtient pour (41) et (47) une interprétation du type séquence, c’est-à-dire un événement après l’autre ; pour (43) et (45)65, l’inférence est qu’il s’agit de situations qui se déroulent parallèlement et en même temps ; (44) et (48) donnent une interprétation ouverte, du type incidence – c’est-à-dire que la situation ponctuelle est incluse dans la situation durative. Pour (42), j’ai obtenu des interprétations ouvertes et fermées, sans qu’il semble y avoir une préférence significative pour une des deux ; pour (46), j’ai obtenu de même deux interprétations différentes : ou bien incidence, ou bien deux situations à déroulement parallèle (et donc itération de <hust-> - ce qui semble être plus évident que la première interprétation). Il semble donc y avoir deux éléments principaux qui jouent un rôle : d’abord la possibilité du locuteur ou allocutaire de construire une relation de cause à effet entre les deux situations (pragmatique), ensuite le trait [± DURATIF] du mode de l’action de la situation (sémantique). S’il est possible de construire une relation causale, cette relation va être prise en compte. Si la situation de la deuxième phrase peut être interprétée comme cause de la situation de la première, elle sera interprétée comme temporairement précédente, de sorte qu’on obtient une inversion temporelle : 49. Hans ist gestern tot umgefallen. Eine Kugel hat sein Herz durchschlagen. Hans est hier mort tombé. Une balle a son cœur traversé. Hans est tombé raide mort hier. Une balle lui a traversé le cœur. Il y a cependant des moyens pour bloquer cette inférence d’une relation causale et rétablir l’ordre linéaire de l’énonciation. Da semble être un adverbe temporel anaphorique qui en est capable : 50. Hans ist gestern tot umgefallen. Da hat eine Kugel sein Herz durchschlagen. Hans est hier mort tombé. Là a une balle son cœur traversé. Hans est tombé raide mort hier. Alors, une balle lui a traversé le cœur. Ce que (50) asserte, c’est que la balle a traversé le cœur de Hans seulement après son décès, qui doit donc être attribué à une autre cause. 65 Tous les locuteurs ne l’interprétaient pas spontanément comme de cette façon. Il est en effet possible d’interpréter cet énoncé de façon existentielle (c’est-à-dire qu’à un t quelconque < TU, l’événement a eu lieu), de sorte que toute tentative de mise en relation temporelle des deux situations échoue. Ceci signifierait qu’il s’agit dans cette interprétation de deux présents rétrospectifs dans le cas d’une interprétation existentielle. 39 Avec gerade, la relation causale également est annulée, et réduite à une pure coïncidence temporelle, ce qui rend l’exemple (51) particulièrement malheureux66, puisqu’il n’est que très difficilement concevable qu’au moment du décès de Hans, une balle lui traverse le cœur, qui ne serait cependant pas la cause de sa mort : 51. Hans ist gestern tot umgefallen. #Eine Kugel hat gerade sein Herz durchschlagen. Hans est hier mort tombé. Une balle a tout-droit son coeur traversé. Hans est tombé raide mort hier. Une balle était en train de lui traverser le cœur. En ce qui concerne les Aktionsarten, il semble que la télicité d’une situation [+Duratif] n’ait d’influence sur l’interprétation d’une séquence de phrases qu’après l’évaluation de la durativité des situations (peut-être dans ce contexte n’est-elle même pas pertinente). Il semble par exemple, à première vue, ne pas y avoir de différence entre (52a) et (52b). 52. a. Hans ist gekommen. Anna hat geraucht. Hans est venu. Anna a fumé. b. Hans ist gekommen. Anna hat eine Zigarette geraucht. Hans est venu. Anna a une cigarette fumé. Hans est venu. Anna a fumé une cigarette. Dans les deux cas, on a tendance à interpréter les phrases comme schémas d’incidence, où la situation [-Duratif] est inclus dans la situation [+Duratif]. Mais, même si c’est dans ce contexte (ou hors contexte ?) moins évident, on peut interpréter (52b) comme séquence, ce qui ne semble pas être possible aussi facilement pour (52a). Un effet de sens clairement lié à la télicité semble être que les semelfactifs ont tendance à être réinterprétés comme activités (cf. l’exemple (47)), s’ils sont juxtaposés à des situations [+DUR], tandis que les achèvements n’ont pas d’interprétation itérée, mais forment plutôt un schéma d’incidence. Mais il est difficile à évaluer dans ces contextes-là où exactement la pragmatique s’arrête, et où les contraintes sémantiques commencent. 66 Cet exemple est ambigu. On pourrait interpréter la deuxième phrase aussi comme passé immédiat, « une balle vient de lui traverser le cœur », ce qui ne rend pas la situation moins étrange. J’analyserai cette utilisation du Perf de plus près plus loin. 40 2.2.1. Als Pour l’évaluation des effets sémantiques portant sur le verbe et les Aktionsarten, il sera indispensable de recourir aux tests avec un pendant allemand de quand. Cependant, il y a deux équivalents de quand, qui ne se comportent cependant pas de façon totalement identique : als et wenn. Avant de procéder donc aux tests, je propose d’analyser le comportement de als. Comme quand, als permet des interprétations ouvertes et fermées : 53. Als Hans gekommen ist, hat Anna eine Zigarette geraucht. Quand Hans venu est, a Anna une cigarette fumé. Quand Hans est venu, Anna a fumé/fumait une cigarette. Une interprétation en tant qu’incidence est plus évidente ici, mais il serait aussi possible qu’il s’agisse d’une séquence : Anna allumerait alors la cigarette au moment où Hans vient. Contrairement à quand, als n’admet pas de référence future (T-Sit après TU)67 : 67 Wenn n’impose pas les mêmes restrictions de sélection que als, on peut l’utiliser avec tous les temps grammaticaux: Wenn Hans kommen wird, werden wir schwimmen gehen. WENN Hans venir devient, devenons nous nager aller. Quand Hans viendra, on ira nager. Wenn Hans kommt, gehen wir schwimmen. WENN Hans vient, allons nous nager. Quand/si Hans vient, on va nager. Morgen um zehn, wenn Hans das Auto gewaschen hat, gehen wir schwimmen. Demain à dix, WENN Hans la voiture lavé a, allons nous nager. Demain à dix heures, quand/si Hans a lavé la voiture, on ira nager. Wenn Hans kam, gingen wir schwimmen. WENN Hans venir[PRET], aller[PRET] nous nager. Quand Hans venait, on allait nager. Wenn Hans gekommen ist, sind wir schwimmen gegangen. WENN Hans venu est, sommes nous nager allé. Quand Hans venait, on allait nager. Il faut souligner que wenn n’est pas une conjonction purement temporelle; elle sert en allemand aussi (peut-être surtout) à construire des phrases hypothétiques si….alors. Même s’il est plus vraisemblable d’avoir des séquences avec wenn, il n’est pas exclu d’obtenir des schémas d’incidence : Wenn Hans kam, waren wir immer gerade beim Schwimmen. WENN Hans venir[PRET], être[PRET] nous toujours tout-droit au nager. Quand Hans venait, nous étions toujours en train de nager. La différence entre als et wenn n’est cependant pas d’ordre modal, il s’agit plutôt d’une différence dans la quantification des situations sous leur portée : als apporte une quantification existentielle, tandis que wenn apporte une quantification générique, qui a une interprétation universelle comme défaut. Cela explique la bizarrerie qu’on obtient avec un présent historique : Wenn Napoleon sich selbst zum Kaiser krönt, ärgert sich der deutsche Kaiser. 41 54. a. *Als Hans kommen wird, werden wir schwimmen gehen. Quand Hans venir devient, devenons nous nager aller. b. *Als Hans morgen kommt, gehen wir schwimmen. Quand Hans demain vient, allons nous nager. c. Morgen um zehn, *als Hans das Auto gewaschen hat, gehen wir schwimmen. Demain à dix, quand Hans la voiture lavé a, allons nous nager. Cette restriction de sélection est d’ordre sémantique, et non pas d’ordre syntaxique, car s’il y a une référence au passé (T-Sit avant TU), als semble admettre tous les temps grammaticaux, présent (historique) inclus : 55. a. Als Hans kam, gingen wir schwimmen. Quand Hans venir[PRET/3S], aller[PRET/1P] nous nager. Quand Hans est venu, nous sommes allé(e)s nager. b. Als Hans gekommen ist, sind wir schwimmen gegangen. Quand Hans venu est, sommes nous nager allé. Quand Hans est venu, nous sommes allé(e)s nager. c. Als Napoleon sich selbst zum Kaiser krönt, ärgert sich der deutsche Kaiser. Quand Napoléon se même au empereur couronne, énerve se le germanique empereur. Quand Napoléon se couronne lui-même empereur, l’empereur germanique s’énerve. On pourrait transformer (53) en (56), comme als ne semble pas imposer de restriction quant à sa position dans une telle structure : 56. Hans ist gekommen, als Anna eine Zigarette geraucht hat. Hans est venu, quand Anna une cigarette fumé a. Hans est venu quand Anna était en train de fumer une cigarette. WENN Napoléon se même au empereur couronne, énerve se le germanique empereur. Quand Napoléon se couronne lui-même empereur, l’empereur germanique s’énerve. Si on ne procède pas à un shift de TU < <couronner (napoléon)>, de façon à se placer temporellement avant la situation en question, on obtient une itération de la situation. Il me semble que cela pourrait aussi expliquer pourquoi als est exclu avec un futur : als asserterait qu’à n’importe quel moment au futur, il y aurait une occurrence liée des deux événements. Il semble cependant qu’on se réfère dans une telle structure à référence future non pas à n’importe quelle occurrence, mais plutôt à la première, de sorte que l’événement sous la portée de als ou quand forme le restricteur pour l’autre événement (cf. Mats Rooth (1995) : « Indefinites, Adverbs of Quantification, and Focus Semantics », in The Generic Book, p. 265). Cela n’est pas possible avec un quantificateur existentiel. Une tentative très simplifiée pour formaliser cela (sans faire attention à la localisation temporelle respective des deux situations ni aux restrictions de sélection) pourrait être la suivante : Soient P et Q n’importe quels prédicats d’une arité arbitraire : als P, Q : ∃e1∃e2[P(e1) ∧ Q(e2)] wenn P, Q : Gn e1,e2[P(e1) → Q(e2)] 42 La signification change cependant. (53) admet deux interprétations, mais (56) est univoque : la situation <RAUCH-(Anna, Zigarette)> doit être en cours lorsque l’événement <KOMM-(Hans)> se produit. Als en (56) correspond donc à während (pendant que). Il reste encore deux permutations possibles : 57. a. Anna hat eine Zigarette geraucht, als Hans gekommen ist. Anna a une cigarette fumé, quand Hans venu est. Anna a fumé/fumait une cigarette quand Hans est venu. b. Als Anna eine Zigarette geraucht hat, ist Hans gekommen. Quand Anna une cigarette fumé a, est Hans venu. Quand Anna fumait une cigarette, Hans est venu. (57a) admet les deux interprétations, tandis que (57b) correspond à (55) et n’admet que l’interprétation ouverte. La règle serait alors (la position de la subordonnée ne semble pas jouer de rôle et sera donc négligée) : Als situation [+Dur, +Tel], situation [-Dur, +Tel] → incidence Als situation [-Dur, +Tel], situation [+Dur, +Tel] → incidence, séquence En ce qui concerne les activités, les effets qui se produisent dans une configuration avec la situation [+Dur, -Tel] dans la subordonnée sont parfaitement identiques à ceux qu’on obtient avec une situation [+Dur, +Tel], cf. (58a-b). Avec la situation [-Dur,+Tel] dans la subordonnée, il semble y avoir un peu plus de problèmes : tous mes informateurs n’acceptaient pas une séquence. Elle n’est pas impossible à construire, mais il semble qu’une interprétation en tant que séquence demande plus d’efforts qu’une interprétation du type incidence (au moins pour les situations dans les exemples (58), où il n’est pas évident de construire tout de suite un contexte qui permette une lecture fermée. 58. a. Hans ist gekommen, als Anna gesungen hat. Hans est venu, quand Anna chanté a. Hans est venu quand Anna chantait (a commencé à chanter). b. Als Anna gesungen hat, ist Hans gekommen. Quand Anna chanté a, est Hans venu. Quand Anna a chanté/était en train de chanter, Hans est venu. c. Als Hans gekommen ist, hat Anna gesungen. Quand Hans venu est, a Anna chanté. Quand Hans est venu, Anna a chanté/était en train de chanter. d. Anna hat gesungen, als Hans gekommen ist. 43 Anna a chanté, quand Hans venu est. Anna a commencé à chanter/était en train de chanter quand Hans est venu. Il paraît ainsi qu’une activité et un accomplissement produisent grosso modo le même résultat. On doit pouvoir donc éliminer le trait [±Tel] dans un tel contexte pour aboutir au schéma suivant : Als situation [+Dur], situation [-Dur, +Tel] → incidence Als situation [-Dur, +Tel], situation [+Dur] → incidence, séquence Le choix entre une lecture du type incidence ou plutôt du type séquence dans la deuxième configuration semble être basé surtout sur des critères pragmatiques. Observons les autres Aktionsarten. Les états [-Dyn] sont assez mal acceptés hors contexte, dans pratiquement toutes les combinaisons : 59. a. ?Als Anna gekommen ist, hat Hans gestunken. Quand Anna venu est, a Hans pué. Quand Anna est venue, Hans puait. b. ??/* Als Hans gestunken hat, ist Anna katholisch gewesen. Quand Hans pué a, est Anna catholique été. Quand Hans puait, Anna est devenue catholique. c. ?Als Anna gekommen ist, hat Hans an Gott geglaubt. Quand Anna venu est, a Hans à Dieu cru. Quand Anna est venue, Hans a cru en Dieu. d. Als Anna gekommen ist, ist Hans krank im Bett gelegen. Quand Anna venu est, est Hans malade au lit été-couché. Quand Anna est venue, Hans était malade et alité. (59c) est parfaitement acceptable pour certains locuteurs si on construit un lien causal : la croyance en Dieu de Hans est causée par la venue de Anna. La situation <croire en Dieu (Hans)> devient alors inchoative, et on obtient une interprétation du type séquence. Les prédicats du type individual level ne semblent cependant pas être admissible - si on ne réussit pas à construire une lecture inchoative par un lien causal. Il semble que plus une situation paraît controlable et transitoire, plus son utilisation devient acceptable dans une structure avec als. (59d) ne semble pas poser de problème du tout, mais il n’est pas sûr qu’il s’agisse là d’un véritable état : les tests standards ne permettent pas de l’intégrer dans la classification de 44 façon univoque68. L’étrangeté de (59a-b) pourrait résulter du fait qu’on ne peut pas raisonnablement construire un lien causal entre les deux situations (ce qui semble être une condition pour une interprétation fermé). Mais tandis qu’on peut sauver (59a) assez facilement dans un contexte spécial69, il ne semble pas y avoir moyen de sauver (59b) : katholisch sein (être catholique) est un prédicat individual level et il est complètement impossible de l’interpréter de façon inchoative, parce que cela est déjà lexicalisé différemment : katholisch werden (devenir catholique). Les acceptabilités pour deux situations [+Dur] semblent aussi être très fortement déterminées par des influences pragmatiques : 60. a. Als Anna geduscht hat, hat Hans gesungen. Quand Anna douché a, a Hans chanté. Pendant qu’Anna prenait une douche, Hans a chanté. a’. Als Annai geduscht hat, hat siei gesungen. Quand Annai douché a, a ellei chanté. Pendant qu’Annai prenait une douche, ellei a chanté. b. Anna hat gesungen als Hans geduscht hat. Anna a chanté quand Hans douché a. Anna a chanté pendant que Hans prenait une douche. b’. Annai hat gesungen, als siei geduscht hat. Annai a chanté, quand ellei douché a. Anna a chanté pendant qu’elle prenait une douche. c. Als Anna gesungen hat, hat Hans geduscht. Quand Anna chanté a, a Hans douché. Pendant qu’Anna chantait, Hans a pris une douche. c’. ?Als Annai gesungen hat, hat siei geduscht. Quand Annai chanté a, a ellei douché. Pendant qu’Annai chantait, ellei a pris une douche. d. Anna hat geduscht, als Hans gesungen hat. Anna a douché, quand Hans chanté a. Anna a pris une douche pendant que Hans chantait. d’. ?Annai hat geduscht, als siei gesungen hat. Annai a douché, quand ellei chanté a. Annai a pris une douche pendant qu’ellei chantait. 68 Im Bett liegen est un VP difficile à classer : il devrait être un état selon certains tests : ce n’est pas bon avec dabei sein zu (ce qui correspond vaguement au progressif), et n’admet pas l’impératif (*Lieg im Bett !). En même temps, il semble que la situation n’est pas totalement incontrôlable, puisqu’on peut le combiner avec absichtlich (délibérément), et on peut à la limite persuader quelqu’un de im Bett liegen ; il semble que ces verbes de posture constituent se trouvent à mi-chemin entre activités et états transitoires. 69 Par exemple : Hans est un petit garçon, Anna sa mère. Elle sait qu’un certain jour, il va jouer au foot, et elle s’attend à ce qu’il ne soit pas lavé lorsqu’elle rentre. Ce qui est le cas, etc. Cela donne donc une interprétation ouverte. 45 Il y a un phénomène très curieux ici : (60c-d) sont parfaitement acceptables et n’ont rien de bizarre, tandis que (60c’-d’) sont pragmatiquement quelque peu étranges : la situation sous la portée de als semble inclure l’autre situation proprement. Il semble donc que la phrase sous la portée de als donne ici le « cadre », si on peut dire comme première approximation, pour la deuxième phrase (j’analyserai cela plus bas pour les phrases avec quand en français). Et comme la relation entre les deux situations est pragmatiquement contrainte (on s’imagine plus aisément Anna se mettant à chanter sous la douche que prenant une douche après avoir commencé à chanter), il y a un effet d’étrangeté si cette relation est inversée. Je propose donc pour de telles constructions le schéma suivant : Als situation1 [+Dur], situation2 [+Dur] → situation s2 ⊂ situation s1 Avec deux situations [-Dur, +Tel], on aura : 61. a. Als Hans gekommen ist, ist Anna gegangen. Quand Hans venu est, est Anna parti. Quand Hans est venu, Anna est partie/partait. b. Hans ist gekommen, als Anna gegangen ist. Hans est venu, quand Anna parti est. Hans est venu quand Anna est partie/partait. c. Als Anna gegangen ist, ist Hans gekommen. Quand Anna parti est, est Hans venu. Quand Anna est partie/partait, Hans est venu. d. Anna ist gegangen, als Hans gekommen ist. Anna est parti, quand Hans venu est. Anna partait/est partie quand Hans est venu. Toutes ces phrases sont acceptables, et ambiguës de la même manière : Als situation [-Dur,+Tel], situation [-Dur,+Tel] → incidence, séquence Le processus de décision pour une lecture me semble encore être de l’ordre de la pragmatique, dépendant surtout du contexte. Il est vrai qu’on tendrait peut-être à privilégier l’interprétation séquence en cas de [als p1, p2], et incidence en cas de [p1, als p2], mais ce n’est pas obligatoire. Si je sais par exemple que Hans et Anna ne s’aiment guère, j’aurai une forte tendance à interpréter (61a-d) en tant que séquences et liens causaux – indépendamment de la position de als. Si je sais par contre qu’ils s’aiment bien, je les interpréterai plutôt comme 46 pure coïncidence temporelle ; on voit alors aussi la phase préparatoire de la situation <GEHEN (Anna)>. Il me semble qu’il sera nécessaire de préciser mon utilisation de ‘incidence’. Il n’est pas possible de se retirer d’une assertion au Perf dans une telle construction, comme le montre (62), sans produire de contradiction logique : 62. Als Hans gekommen ist, bin ich gegangen. Quand Hans venu est, suis je parti. Quand Hans est venu, je suis parti(e). - ??Hey, altes Haus, wie geht’s dir denn?, hat er mich begrüßt. Hé, vieille maison, comment va ça à-toi donc? a il me salué. Hé, vieux pote, comment ça va?, m’a-t-il salué. #Am Ende bin ich erst 3 Stunden später heimgegangen. À-la fin suis je seulement 3 heures plus-tard rentré. À la fin, je suis rentré à la maison seulement trois heures plus tard. ‘Incidence’ signifie ici : l’action de la situation s1 (dans la proposition qui n’est pas introduite par als) avait déjà commencé à un moment t1 < t2 , pour un t2 qui est à la fois TT et T-Sit de la situation s2 sous la portée de als. Comme les deux situations ont le même mode d’action [-Dur,+Tel], il faut en conclure que c’est la phase préparatoire de s1 qui est rendue visible. Il faudra également que le seuil télique de s1 reste visible, et qu’il se produise à un t3 > t2. Dans un schéma, les deux interprétations de la première phrase de (62) seraient comme suit : Séquence : Incidence : • • • s2 s1 TU • | • s1 s2 TU Il y a donc une constante entre ces deux interprétations : le seuil télique de s1 se réalise après celui de s2. La grande différence au niveau sémantique, c’est que la séquence s’interprète comme motivation causale, tandis que l’incidence exclut cette interprétation. Comme c’est cela qui semble faire la différence en français entre une phrase avec deux PS et une qui a un PS et un IMP, je crois qu’il est tout de même justifié de traiter cette divergence 47 d’interprétation que je viens de montrer en termes de ‘séquence’ et ‘incidence’, tout en soulignant les différences dans ce cas spécial. Restent les semelfactifs. Avec cette catégorie de situations, on trouve une grande variabilité d’interprétations possibles, plus ou moins vraisemblables selon les contextes : 63. a. Als Hans gekommen ist, hat Anna gehustet. Quand Hans venu est, a Anna éternué. Quand Hans est venu, Anna a éternué/éternuait. b. Anna hat gehustet, als Hans gekommen ist. Anna a éternué, quand Hans venu est. Anna éternuait/a éternué quand Hans est venu. c. Als Anna gehustet hat, ist Hans gekommen. Quand Anna éternué a, est Hans venu. Quand Anna éternuait/a éternué, Hans est venu. d. Hans ist gekommen, als Anna gehustet hat. Hans est venu, quand Anna éternué a. Hans est venu quand Anna éternuait/a éternué. Hors contexte, l’interprétation la plus naturelle est l’itération de <éternuer (Anna)>, de sorte que le semelfactif se transforme en activité. Cependant, il n’est pas complètement exclu, bien que hautement improbable (cela vraisemblablement pour des raisons pragmatiques, liées à notre connaissance du monde) qu’il s’agisse d’un seul éternuement de la part d’Anna. La plupart de mes informateurs donnaient la même interprétation de type incidence à (63)a-d. Il en va autrement si on ajoute l’information que l’éternuement est un signe convenu entre Anna et quelqu’un d’autre. (63)a-d s’interprètent alors comme séquences, et la probabilité d’un seul éternuement augmente considérablement. Et tandis que en (63)c-d la personne avertie est Hans, dans (63a-b), Anna avertit une troisième personne de l’arrivée de Hans. Ainsi, s’il y a séquence, la situation s1 [-Dur,+Tel] sous la portée de als précède proprement s2 [-Dur,-Tel] – itérée ou non - ; et la situation s1 [-Dur,-Tel] sous la portée de als précède proprement au moins dans sa première occurrence (si elle est itérée) la situation s2 [Dur,+Tel]. La combinaison d’une situation [-Dur,-Tel] avec une situation [+Dur] dans une construction avec als produit dans certaines circonstances les mêmes résultats étranges que la combinaison de certains situations [+Dur]. Il est cependant possible de trouver des contextes dans lesquels ces phrases deviennent acceptables. Mais ici encore, il semble que l’acceptabilité soit surtout déterminée par des raisons pragmatiques : 48 64. a. ?Als Anna geduscht hat, hat Hans gehustet. Quand Anna douché a, a Hans éternué. Quand Anna prenait une douche, Hans a éternué. b. ?Als Hans gehustet hat, hat Anna geduscht. Quand Hans éternué a, a Anna douché. Quand Hans a éternué/éternuait, Anna a pris une douche. c. ?Anna hat geduscht, als Hans gehustet hat. Anna a douché, quand Hans éternué a. Anna a pris une douche quand Hans a éternué/éternuait. d. ?Hans hat gehustet, als Anna geduscht hat. Hans a éternué, quand Anna douché a. Hans a éternué quand Anna a pris une douche/prenait une douche. En cas d’une interprétation séquence, le point I de s1 sous la portée de als doit précéder le point I de s2. En cas d’une interprétation itérée du semelfactif, le schéma semble être identique à celui de deux situations [+Dur], c’est-à-dire : s1 (sous la portée de als) ⊂ s2. En cas d’une interprétation non-itérée du semelfactif, le résultat semble être identique à celui obtenu avec un achèvement. Un semelfactif itéré semble donc se comporter comme une situation [+Dur], et un semelfactif non-itéré comme un achèvement. Si on tient compte de cela, il semble qu’on puisse complètement éliminer la télicité du calcul. En résumé, on pourrait donc dire : la propriété selon laquelle Is170 précède Is2 semble être commune aux interprétations du type séquence avec tous les modes d’action71. Dans les interprétations du type incidence, la situation est plus complexe : s1 [-Dur], s2 [-Dur] → Is2 < Is1 s1 [-Dur], s2 [+Dur] → Is2 < Is1 s1 [+Dur], s2 [+Dur] → Is1 < Is2 s1 [+Dur], s2 [-Dur] → Is1 < Is2 Il semble donc que dans un schéma d’incidence, l’agencement relatif des situations dépende essentiellement de la durativité72 de la situation s1 sous la portée de als : si celle-ci est 70 J’utiliserai ici toujours s1 pour la situation sous la portée de als. Il y a des contre-exemples que Hinrichs (1981) a trouvés pour l’anglais, mais qui sont également valables en allemand : Als die Hubers eine Party geschmissen haben, haben sie alle ihre Freunde eingeladen. Quand les Huber une party jeté ont, ont ils tous leurs amis invité. Quand les Huber ont fait une fête, ils ont invité tous leurs amis. Mais je crois comme Partee (1984) : « Nominal and Temporal Anaphora », in Linguistics and Philosophy 7, p. 282s., qu’on peut interpréter <faire (huber, fête)> dans un sens plus large, qui englobe toute l’organisation de la fête, de façon que la contrainte de l’antériorité du point I de la situation sous la portée de als posée plus haut reste valable. 71 49 ponctuelle, le point I de s2 précède le point I de s1, si elle est par contre durative, le point Is1 précède le point Is2. 2.2.2. Gerade Gerade (~ tout droit) pourrait être une marque d’aspect imperfectif en allemand, tout comme la forme AM V SEIN (à V être) – qui impose cependant des restrictions de sélection beaucoup plus importantes que gerade. Une signification spatiale de gerade (‘tout droit’) est toujours disponible en allemand actuel, mais dans l’utilisation que j’appellerai provisoirement ‘aspectuelle’ l’incorporation dans le VP est très avancée et se traduit aussi par une courbe d’intonation différente : 65. a. Ich gehe gerade. Je marche tout droit. (signification spatiale) b. Ich gehe gerade. Je suis en train de m’en aller. (signification aspectuelle) Les effets de sens qui se produisent au présent ressemblent à ce qui se passe en anglais avec le progressif : 66. a. Ich esse Schokolade. Je mange chocolat. Je mange du chocolat. b. Ich esse gerade Schokolade. Je mange tout-droit chocolat. Je suis en train de manger du chocolat. (66a) peut être une assertion sur les habitudes du locuteur, de type « le chocolat ne me répugne pas, j’en mange », mais peut aussi fournir une réponse satisfaisante à la question 72 Durativité qui doit être évalué après ajout de marquage de temps et coercion pragmatique : un achèvement qui rende visible une phase initiale devrait donc être considéré comme duratif. 50 « Qu’est-ce que tu es en train de faire ? ». Le présent allemand se comporte alors comme le présent français, au moins dans cet aspect. (66b) cependant n’admet que la deuxième interprétation. Au présent, et en tant qu’adverbe aspectuel, gerade n’admet pas d’état permanent, mais les états transitoires semblent être acceptables : 67. a. ??/*Ich kenn’ gerade Hans73. Je connais tout-droit Hans. Je suis en train de connaître Hans. b. Ich hab’ gerade Hunger. Je ai tout-droit faim. J’ai faim (maintenant). c. Der Papst ist gerade in Salzburg. Le pape est tout-droit à Salzbourg. En ce moment, le pape est à Salzbourg. Combiné à une phrase isolée au Perf, gerade transforme un évènement qui a pu avoir lieu à n’importe quel moment dans le passé en passé récent : 68. a. Ich hab Büffel gesehen, tausende von Büffeln. Das war vor 20 Jahren in Amerika. Je ai buffles vu, milliers de buffles. Ce était il-y-a 20 ans en Amérique. J’ai vu des buffles, des milliers de buffles. C’était il y a 20 ans en Amérique. b. Ich hab gerade Büffel gesehen, tausende von Büffeln. #Das war vor 20 Jahren in Amerika. Je ai tout-droit buffles vu, milliers de buffles. Ce était il-y-a 20 ans en Amérique. Je viens de voir des buffles, des milliers de buffles. #C’était il y a 20 ans en Amérique. Mais Perf + gerade ne correspond pas au Perfect Progressif anglais tout seul : 69. a. What have you been doing this morning ? – I have been watching buffaloes. b. *What have you just been doing this morning ? – # I have just been watching buffaloes. c. *Was hast du gerade heute Vormittag gemacht? – # Ich hab gerade Büffel angeschaut. Que as tu tout-droit aujourd’hui matin fait? – Je ai tout-droit buffles regardé. Qu’est-ce que tu viens de faire ce matin ? – Je viens de regarder des buffles. Cette construction ne peut donc être utilisée que pour le passé immédiat. Se pose la question de savoir ce que gerade focalise dans ce contexte, TU même ou un moment t0 qui le précède. On pourrait avoir affaire à un aspect rétrospectif (TT après T-Sit), où gerade focalise 73 Ici, une autre interprétation basée sur une utilisation différente de gerade serait possible, mais il faudrait encore que gerade soit accentué de la même façon que dans (65a). La phrase signifierait alors quelque chose comme « Mais c’est justement Hans que je connais ». Gerade peut donc servir aussi comme adverbe focalisant, ce qui est une utilisation sur laquelle il faudra revenir. 51 l’état résultant et TT = TU, ou bien à un aspect neutre où gerade focaliserait un TT<TU. Si la première possibilité était la bonne, on devrait pouvoir répondre à une question « Quand ça ? » par « Maintenant », ce qui donnerait une assertion sur l’état résultant. Mais cela ne semble pas être le cas : 70. Sollen wir uns eine Pizza kommen lassen? Ich lad’ dich ein. Devons nous nous une pizza venir laisser ? Je invite te Partdét74. Est-ce qu’on commande une pizza? Je t’invite. - Nein, danke, ich hab’ gerade gegessen. Non, merci, je ai tout-droit mangé. Non, merci, je viens de manger. - Du hast wann gegessen? Tu as quand mangé? Tu as mangé quand ? - Gerade eben, vor einer Viertelstunde. // ???Jetzt. Tout-droit juste, il-y-a un quart-d’heure. // ???Maintenant. Il y a quelques instants, un quart d’heure. // Maintenant. Combiné à un Präteritum isolé, gerade produit l’impression qu’il manque quelque chose à la forme ; il ne semble pas qu’on puisse accepter une telle phrase toute seule (cf. (71a)). Si elle est en revanche précédée par une deuxième phrase au PRET, il n’y a pas de problème (cf. (71b)) : Gerade semble pouvoir prendre la situation dans la première phrase comme ancrage. 71. a. ?Hans ging gerade zum Bäcker. Hans aller[PRÄT] tout-droit chez-le boulanger. Hans allait chez le boulanger. b. Hans fiel gestern tot um. Er ging gerade zum Bäcker. Hans tomber[PRET] hier mort Partdét. Il aller[PRÄT] tout-droit chez-le boulanger. Hier, Hans est tombé raide mort. Il allait chez le boulanger. c. Hans ist gestern tot umgefallen. Er ist gerade zum Bäcker gegangen. Hans est hier mort tombé. Il est tout-droit chez-le boulanger allé. Hier, Hans est tombé raide-mort. Il allait/vient d’aller chez le boulanger. (71c) n’est pas accepté par tout le monde; il y a une première interprétation qui marche exactement de la même façon que celle dans (71b). Mais il semble que l’interférence de l’interprétation du Perf + gerade en tant que passé immédiat cause pour certains locuteurs une 74 Partdét = particule détaché. Einladen (inviter) se compose d’un préverbe ein, qui, au Présent, est séparé du verbe conjugué laden et se trouve à la dernière position de la phrase. 52 contradiction logique, que d’autres n’aperçoivent pas, à savoir que Hans se promène encore bien vivant quand il devrait déjà être mort depuis une journée. (71a-c) montrent que gerade est un adverbe relationnel, qui a besoin d’un ancrage : ou bien une autre situation ou TU. Ce qui rend (70) encore plus mystérieux ; si ce n’est pas TU qui sert d’ancrage dans cet exemple pour gerade, qu’est-ce que ça pourrait être ? Il me semble qu’il y a trois possibilités pour résoudre ce problème. La première possibilité est la suivante : Gerade focalise à sa première occurrence TU, mais dans la question « Tu as mangé quand ? », il pourrait y avoir une réanalyse du présent rétrospectif comme prétérit neutre, probablement due à quand. Le gerade dans la réponse pourrait être ancré par « eben », qui indique lui aussi une antériorité par rapport à TU ; ou peut-être que gerade n’apparaisse pas dans son utilisation d’adverbe aspectuel, mais modifie « eben », tout comme c’était le cas dans l’exemple de la note (73). Deuxièmement, il serait possible que l’interprétation de Perf + gerade en tant que passé immédiat soit tellement grammaticalisée que la signification globale n’est plus compositionnelle. L’inacceptabilité de (71c) pour certains locuteurs pourrait être un argument en faveur de cette supposition. Mais normalement, on devrait être capable – même dans un état assez avancé de grammaticalisation - de trouver au moins dans certains contextes des traces résiduelles de la signification compositionnelle qui est à l’origine de cette tournure (ce qui devrait alors probablement être le présent rétrospectif avec ancrage de gerade dans TU, esquissé plus haut). Troisièmement, il se pourrait que ce phénomène soit lié à la structure (présuppositionnelle ?) que gerade semble imposer sur la situation sous sa portée. Elle se distingue clairement de celle d’autres adverbes présuppositionnels comme noch (‘encore’) ou schon (‘déjà’). Noch combiné à un Perf asserte en (72a) que p à TT et présuppose que ¬p pour intervalle TU. Schon combiné à un Perf asserte en (72b) que p à TT et présuppose que p à TU et que ¬p à un intervalle I < TT. 72. a. In den Achtzigern bin ich noch dick gewesen. En les 80 suis je encore gros été. Dans les années 80, j’étais encore gros(se). b. In den Achtzigern bin ich schon dick gewesen. En les 80 suis je déjà gros été. Dans les années 80, j’étais déjà gros(se). 53 Ces deux adverbes impliquent donc un changement d’état de p à ¬p ou de ¬p à p. On pourrait donc les appeler à structure binaire, puisqu’il semble qu’il doive s’agir d’un seul changement d’état. La situation avec gerade est différente. Cet adverbe semble imposer une structure (potentiellement itérable) du type ¬p p ¬p, ce qu’on peut montrer facilement pour le Présent, où gerade exclut généralement les habitudes et les états permanents. Je répèterai ici (57a) et (57c) en (73a-b) pour illustrer cela : 73. a. ?? Ich kenn’ gerade Hans. Je connais tout-droit Hans. Je suis en train de connaître Hans. b. Der Papst ist gerade in Salzburg. Le pape est tout-droit en Salzbourg. Le pape est en ce moment-là à Salzbourg. c. ?? Der Mönchsberg ist gerade in Salzburg. Le Mönchsberg est tout-droit en Salzbourg. Le Mönchsberg est en ce moment-là à Salzbourg. L’inadmissibilité apparente de (73a) est probablement due au fait qu’il est pragmatiquement assez difficile de construire l’état transitoire itérable connaître (x,jean). (73b) par contre ne pose pas de problème, puisque le pape peut (théoriquement) venir à Salzburg autant de fois que bon lui semble. (73c) est étrange parce qu’une montagne n’est pas aussi aisément déplaçable qu’un pape, par exemple, et parce que le fait qu’une montagne soit située à un lieu précis relève des propriétés inaliénables de ce lieu. Pour le présent, on pourrait donc établir le schéma suivant pour gerade : TU ¬p Ip………|……..Fp ¬p gerade Ce qui est souligné représente l’intervalle asserté par gerade, c’est-à-dire TT ; ce qui est en italique marque ce qui est sous-entendu par cet adverbe (il ne semble pas qu’il s’agisse d’une présupposition, puisque la négation nie tout dans ce diagramme, pas seulement TT de la situation). Il y a certains contextes dans lesquels la coercion d’un état permanent vers un état transitoire peut fonctionner. C’est par exemple le cas dans les temps du passé, au moins dans le contexte d’une incise et sous la portée de damals (à cette époque). 54 74. a. und dann sagt doch der Typ zu mir : Hey Dalai Lama – damals war ich gerade et puis dit pourtant ce type à moi: Hé Dalaï Lama – à-cette-époque être[PRET] je tout-droit Buddhist – zum Meditieren geht’s da lang! bouddhiste – à-le méditer, va ça là long ! et puis ce type me dit : hé Dalaï Lama – à cette époque j’étais dans ma phase bouddhiste –, si tu veux méditer, c’est par là ! b. und dann sagt doch der Typ zu mir: Hey Schnarchsack – ??damals hab’ ich gerade et puis dit pourtant ce type à moi : Hé sac-à-ronfler – à-cette-époque ai je tout-droit geschnarcht – wenn ich noch einen Mucks von dir höre geht’s dir schlecht. ronflé – si je encore un bruit de toi entends, va ça à- toi mal. et puis ce type me dit : hé, sac-à-ronfler – je ronflais à cette époque –, si j’entends le moindre bruit de ta part, ça va se mal passer pour toi. c. und dann sagt doch der Typ zu mir: Hey Maradona – ??damals hab’ ich gerade Fußball et puis dit pourtant ce type à moi : Hé Maradona – à-cette-époque ai je tout-droit football gespielt – hast du schon mal einen Ball gesehen oder soll ich dir einen aus der Nähe joué – as-tu déjà une fois un ballon vu ou dois je te un de la proximité zeigen? montrer ? et puis ce type me dit : hé, Maradona – je jouais au foot à l’époque –, t’as déjà vu un ballon ou est-ce que tu veux que je t’en montre un de près ? (74a) asserte qu’au moment de cet incident désagréable j’étais bouddhiste et sousentend (je ne crois pas qu’il s’agisse d’une vraie présupposition) que j’ai changé de religion assez souvent. Gerade transforme donc ici un état normalement permanent en état transitoire. (74b-c) sont un peu curieux. Dans le cas de (74c), un contexte possible qui rendrait cet énoncé parfaitement normal serait d’imaginer qu’il ne s’agisse pas d’un choix binaire entre un état <jouer au foot(loc)> vs. ¬<jouer au foot(loc)>, mais plutôt une étape parmi d’autres dans mon parcours sportif peu glorieux (par exemple, <jouer au volley(loc)>, <jouer au pingpong(loc)> et <jouer aux boules(loc)>). (74b) prouve cependant que ce contexte d’une ‘liste’ n’est pas obligatoire : s’il y avait une oscillation plus ou moins régulière dans ma vie entre des phases pendant lesquelles je ronfle, et d’autres pendant lesquelles je ne ronfle pas, (74b) serait parfaitement adéquat. À partir de ces observations, on peut établir un schéma pour gerade avec un Perf : si on admet que le Présent de l’allemand a l’aspect neutre, TT et T-SIT sont donc en grande partie congruents. Si le Perf dans (70) est un présent rétrospectif, il faudrait que T-SIT < TT. Si gerade modifie TT, et non pas T-SIT, on aura approximativement le schéma suivant : 55 TU Ip…..Fp ITT……|...FTT gerade Ce diagramme a plusieurs inconvénients : d’abord on est obligé d’assigner des limites précises à l’étendue temporelle de TT (ce qui ne semble pas être exclu, mais n’est pas non plus très convaincant). De plus, on est forcé de poser que Perf s’interprète dans ce contexte en tant que présent rétrospectif, sans pouvoir le prouver de façon satisfaisante, et sans avoir une indication de type intonatif, par exemple, comme c’est le cas avec le Perf à référence future. Ce qui est probablement plus grave encore, c’est que ce diagramme n’explique en rien pourquoi il se produit un effet d’antériorité immédiate. Il y a cependant un certain nombre de faits qui frappent : avec un présent + gerade comme avec deux Perf, dont un avec gerade liés dans une phrase avec als, les effets de sens de cet adverbe ressemblent au progressif anglais. Avec le futur, le même effet se produit : 75. Wenn Hans morgen in den Flieger steigt, werden wir gerade Fußball spielen. Quand Hans demain dans le avion monte, devenons nous tout-droit football jouer. Quand Hans montera demain dans l’avion, on sera en train de jouer au foot. Si en revanche il manque un point d’ancrage, qui n’est pas non plus repérable dans le contexte, le futur ne produit cependant pas un futur proche, mais un présent à valeur modale épistémique, c’est-à-dire une supposition sur ce qui se passe à TU (cf. (76a)) : 76. a. Hans wird gerade Fußball spielen Hans devient tout-droit football jouer. Hans doit jouer au foot/Hans jouera en ce moment au foot. b. Hans wird morgen tot umfallen. ? Er wird gerade zum Bäcker gehen. Hans devient demain mort tomber. Il deviendra tout-droit au boulanger aller. Hans tombera demain raide mort. Il doit aller en ce moment chez le boulanger. Si on compare (76a-b) à (71a-b), les parallélismes sont parlants : il semble qu’il soit absolument nécessaire que gerade trouve un point d’ancrage, le défaut paraît être TU (s’il est accessible par le temps grammatical). En (76b) aussi bien qu’en (71b), il y a une ambiguïté en ce qui concerne le point d’ancrage auquel se doit référer gerade : ce peut être aussi bien TU – 56 ce qui rend la phrase difficilement acceptable – que l’événement dans la phrase précédente. Au cas où gerade prend comme point d’ancrage un événement, et où le temps grammatical possède l’aspect neutre, ses effets de sens correspondent à peu près au progressif anglais. Et il semble qu’encore une fois, le PerfSC et le futur antérieur produisent avec gerade des effets qui sont tout à fait identiques à ceux du passé antérieur : 77. a. Als die Polizei gekommen ist, hat Anna alle Beweise beseitigt gehabt. Quand la police venu est, a Anna toutes preuves supprimé eu. Quand la police est arrivée, Anna avait supprimé toutes les preuves. b. Als die Polizei gekommen ist, hat Anna gerade alle Beweise beseitigt gehabt. Quand la police venu est, a Anna tout-droit toutes preuves supprimé eu. Quand la police est arrivée, Anna avait tout juste supprimé toutes les preuves. c. Wenn die Polizei kommt, wird Anna alle Beweise beseitigt haben. Quand la police vient, devient Anna toutes preuves supprimé eu. Quand la police arrivera, Anne aura supprimé toutes les preuves. d. Wenn die Polizei kommt, wird Anna gerade alle Beweise beseitigt haben. Quand la police vient, devient Anna tout-droit toutes preuves supprimé eu. Quand la police arrivera, Anna aura tout juste supprimé toutes les preuves. Avec gerade, la situation <arriver(police)> a lieu immédiatement après la complétion de la situation <supprimer(anna,preuves)>, mais sans l’adverbe, il n’y a pas cet effet de proximité temporelle entre les deux situations (l’ordre relatif des deux situations est cependant le même). Il semble donc qu’avec un aspect rétrospectif, l’effet de gerade soit comparable à celui de just en anglais, et ait comme effet sémantique l’antériorité immédiate d’une situation par rapport à un point d’ancrage. Avant d’essayer de préciser cela, regardons d’abord ce qui se passe si gerade et als interviennent dans une phrase complexe avec le Perf aussi bien dans la principale que dans la subordonnée75 : 78. a. Als Hans gekommen ist, hat Anna gerade eine Zigarette geraucht. Quand Hans venu est, a Anna tout-droit une cigarette fumé. Quand Hans est venu, Anna était en train de fumer une cigarette. b. Anna hat gerade eine Zigarette geraucht, als Hans gekommen ist. 75 Je rappelle que le domaine de mon étude est le domaine de l’allemand méridional. Un locuteur natif de l’Allemagne du Nord trouvera probablement un certain nombre d’exemples ci-dessous choquants ou complètement inadmissibles, si on se tient au jugement d’acceptabilité de Peter BLUMENTHAL (1997) : Sprachvergleich Deutsch-Französisch. Tübingen : Niemeyer. p. 55, concernant la phrase suivante : Als wir aßen/beim Essen waren/*gegessen haben, kam unerwartet Fritz herein. Quand nous manger[PRÄT]/ au manger être[PRÄT]/*mangé avons, venir[PRÄT] à-l’improviste Fritz dedans. ‘Quand nous étions en train de manger, Fritz entra à l’improviste. 57 Anna a tout-droit une cigarette fumé, quand Hans venu est. Anna était en train de fumer une cigarette quand Hans est venu. Ces deux phrases sont équivalentes en ce qui concerne leur interprétation temporelle. Contrairement à l’exemple (53), qui est identique à (78) – sauf l’ajout de gerade dans (78) –, et qui pouvait s’interpréter à la fois comme incidence et comme séquence, (78a-b) ne permettent que l’interprétation en tant qu’incidence. Il serait donc possible que gerade n’ait pas dans le domaine de son TT les points I et F de la situation sous sa portée. Pour vérifier cela, il suffit de déplacer l’adverbe : 79. a. Gerade als Hans gekommen ist, hat Anna eine Zigarette geraucht. Tout-droit quand Hans venu est, a Anna une cigarette fumé. C’est justement quand Hans est venu que Anna fumait/a fumé une cigarette. b. Anna hat eine Zigarette geraucht, gerade als Hans gekommen ist. Anna a une cigarette fumé, tout-droit quand Hans est venu. Anna a fumé/fumait une cigarette, justement quand Hans est arrivé. Pour (79a) et surtout (79b), l’incidence est toujours l’interprétation spontanée la plus naturelle, et est la même qu’en (78) : la situation <fumer(anna,cigarette)> est en cours quand <venir(hans)> a lieu. Mais on peut aussi avoir une interprétation du type séquence, à savoir que Anna a commencé à fumer quand Hans est venu. Dans cette position en tête de la subordonnée, gerade semble avoir surtout une fonction focalisante. Un effet de cette focalisation sur la subordonnée est la possibilité d’interpréter (79) comme signifiant que l’action de fumer une cigarette était une bêtise de la part d’Anna. Mais il reste encore une possibilité, à savoir d’appliquer gerade à la situation [Dur,+Tel] sous la portée de als : 80. a. ?Als Hans gerade gekommen ist, hat Anna eine Zigarette geraucht. Quand Hans tout-droit venu est, a Anna une cigarette fumé. Il y a un instant, quand Hans est venu, Anna fumait/a fumé une cigarette. b. Als Hans gestern gekommen ist, hat Anna eine Zigarette geraucht. Quand Hans hier venu est, a Anna une cigarette fumé. Hier, quand Hans est venu, Anna fumait/a fumé une cigarette. c. *Gestern, als Hans gerade gekommen ist, hat Anna eine Zigarette geraucht. Hier, quand Hans tout-droit venu est, a Anna une cigarette fumé. Hier, quand Hans est venu il y a un instant, Anna a fumé une cigarette. On peut interpréter (80a), mais il semble que c’est seulement le cas si on prend gerade comme adverbe temporel qui localise TT, analogue au rôle que joue gestern en (80b); si cette 58 possibilité est bloqué par un deuxième adverbe temporel comme dans (80c), la phrase devient inacceptable. L’interprétation spontanée est plutôt celle d’un schéma d’incidence, mais la séquence n’est pas tout à fait impossible. La question est de savoir s’il s’agit là encore d’une autre utilisation de gerade, ou si on pourra de quelque façon l’unifier avec le reste. Surtout, il faudrait savoir si ce gerade de (80a) est le même que celui de (70). Dans la configuration avec une situation [-Dur] sous la portée de als comme dans (80c), gerade ne semble pas être capable de focaliser l’état préparatoire de la situation enchâssé par als. Mais il ne semble pas y avoir un a priori qui exclue gerade sous la portée de als, pourvu que la situation soit [+Dur] : 81. a. ?Gestern, als Anna gerade geraucht hat, ist Hans gekommen. Hier, quand Anna tout-droit fumé a, est Hans venu. Hier, quand Anna était en train de fumer, Hans est arrivé. b. Gestern ist Hans gekommen, als Anna gerade geraucht hat. Hier est Hans venu, quand Anna tout-droit fumé a. Hier, Hans est arrivé quand Anna était en train de fumer. Comme dans les exemples (56) et (57b), la seule interprétation possible ici est l’incidence, et gerade semble donc être en principe redondant. Mais il est possible de le mettre quand même. La raison pour laquelle (81b) est sensiblement meilleur que (81a) m’échappe pour l’instant, mais il semble que ce soit lié à la position de l’adverbe temporel. Avec deux situations [+Dur], la situation est la suivante : 82. a. ??/*Gestern, als Annai geduscht hat, hat siei gerade gesungen76. Hier, quand Annai douché a, a ellei tout-droit chanté. Hier, quand Annai a pris une douche, ellei était en train de chanter. b. Gestern, als Annai geduscht hat, hat siej gerade gesungen. Hier, quand Annai douché a, a ellej tout-droit chanté. Hier, quand Annai a pris une douche, ellej était en train de chanter. Il semble que si le pronom sujet de la principale est coréférentiel avec le sujet de la subordonnée, la phrase n’est pas acceptable (pour des raisons sémantiques ou syntaxiques). Si ces deux sujets ne sont pas coréférentiels, il n’y a cependant pas de problème. Une intuition spontanée de la plupart de mes informateurs est d’associer à un tel contexte une séparation spatiale des deux situations. Dans les cas ou une telle séparation spatiale semble évidente (cf. 76 J’introduis l’adverbe ’gestern’ (hier) pour exclure l’interférence d’une lecture du type passé immédiat. 59 (83)), la version avec gerade (83a) est ressentie comme meilleure, bien que (83b) soit parfaitement grammaticale : 83. a. Gestern, als George W. eine Rede gehalten hat, hat Saddam gerade Billard gespielt. Hier, quand George W. un discours tenu a, a Saddam tout-droit billard joué. Hier, pendant que George W. prononçait un discours, Saddam jouait au billard. b. Gestern, als George W. eine Rede gehalten hat, hat Saddam Billard gespielt. Hier, quand George W. un discours tenu a, a Saddam billard joué. Hier, pendant que George W. prononçait un discours, Saddam a joué au billard. L’interprétation temporelle concernant les deux situations dans (82b) et (83) est celle d’un déroulement parallèle. Il ne semble cependant pas que l’explication de séparation spatiale soit tenable : 84. Gestern, als Anna in der Bibliothek war, hat sich Hans auch gerade dort herumgetrieben.77 Hier, quand Anna dans la bibliothèque être[PRÄT], a se Hans aussi tout-droit là traîné. Hier, quand Anna était dans la bibliothèque, Hans y traînait aussi. Ce que sous-entend (84) n’est pas tant qu’il y avait une séparation spatiale, mais que les deux événements n’ont pas la moindre motivation causale l’un envers l’autre. Lorsqu’on observe les faits avec deux situations [-Dur, +Tel], on constate qu’une interprétation fermée n’est plus disponible : 85. Gestern, als Hans gekommen ist, ist Anna gerade gegangen. Hier, quand Hans venu est, est Anna tout-droit allé. Hier, quand Hans est venu, Anna était en train de s’en aller. Il semble donc que dans la situation <gehen(anna)>, la phase préparatoire soit focalisée. Mais <gehen(anna)> peut être réinterprété très facilement comme accomplissement, de sorte que cette argumentation n’est peut-être pas valide, puisque cela relèverait plutôt d’un effet pragmatique de coercion sur le mode d’action de la situation que d’un effet dû à l’ajout de gerade (vu que cette lecture est possible aussi sans cet adverbe). Ce qui reste cependant, c’est qu’il est absolument exclu d’interpréter (85) en tant que séquence, ce qui était tout à fait possible en (61), qui ne se distingue, en dehors du gerade manquant, en rien de (85). Si on essaie d’éliminer l’ambiguïté sur la situation gehen en choisissant d’autres situations, 77 Il est possible de faire une lecture de gerade qui focalise sur dort, qui semble produire exactement les effets inverses à ceux que j’attribue au gerade modifieur aspectuel : cela sous-entend que ce n’était pas par hasard que Hans traînait dans la bibliothèque. La courbe intonatoire des deux lectures peut se distinguer facilement. 60 86. Gestern, als Hans das Zimmer betreten hat, hat Anna es gerade verlassen. Hier, quand Hans la chambrei entré a, a Anna lai tout-droit quitté. Hier, quand Hans est entré dans la chambre, Anna la quittait. on obtient deux actions qui ont lieu exactement en même temps, sans que les deux aient le moindre rapport causal entre elles ; une interprétation du type séquence reste exclue. Si on ôte gerade de la situation <verlassen (anna, zimmer)>, l’interprétation la plus naturelle est que cette situation a eu lieu parce que Hans est entré dans la chambre (l’interprétation en tant que deux situations qui se déroulent en même temps reste disponible, même si ce n’est pas l’interprétation dominante). La question de savoir si gerade est un adverbe proprement aspectuel et qui cache donc une partie de l’événement sous sa portée me semble très difficile à répondre : mes tests sur l’exemple suivant ne sont pas tout à fait concluants : 87. Als Hans gekommen ist, bin ich gerade gegangen. Quand Hans venu est, suis je tout-droit allé. Quand Hans est arrivé, je partais. - Hey altes Haus, wie geht’s dir denn? hat er mich begrüßt. Hé vieille maison comment va ça toi alors? a il me salué. Hé, vieux pote, ça va?, m’a-t-il salué. Da bin ich geblieben. Là suis je resté. Alors je suis resté. Il se trouvait que mes informateurs, lorsqu’ils étaient confronté à ce genre de problème, avaient spontanément recours dans leur propre production à 88. a. Als Hans gekommen ist, war Anna gerade am Gehen. Quand Hans venu est, être[PRET] Anna tout-droit à-le aller[INF]. Quand Hans est arrivé, Anna était tout juste en train de partir. b. Als Hans gekommen ist, wollte Anna gerade hinausgehen/hat Anna gerade hinausgehen Quand Hans venu est, vouloir[PRET] Anna tout-droit partir/ a Anna tout-droit partir wollen. voulu. Quand Hans est arrivé, Anna voulait tout juste partir. (avec une nette préférence pour (88a) pour exprimer que la situation <gehen(anna)> n’était pas arrivée à sa fin. Ce qui est cependant curieux à voir est que tout le monde ajoutait gerade, même en combinaison avec la Verlaufsform AM V SEIN (à-le V être). 61 Il me semble très vraisemblable (bien que cela ne soit pas tout à fait prouvé) que gerade ne soit pas un adverbe proprement aspectuel, c’est-à-dire qui change la relation de TT à T-Sit de la situation sous sa portée, mais qu’il donne plutôt une indication sur la façon d’interpréter l’agencement relatif de TT d’une situation par rapport à un point de référence, à l’intérieur cependant des limites que lui accorde l’ambiguïté de l’aspect neutre de l’allemand. Ce point de référence semble pouvoir être TU ou un événement repéré dans le contexte (mais peut-être que gerade peut aussi fonctionner comme adverbe temporel de son propre droit – tout comme hier, par exemple – comme le semblent suggérer (80)a et b). Brenda Laca78 a suggéré une analyse unifiée de gerade un tant qu’adverbe focalisateur, qui peut avoir comme argument ou bien un moment ou un intervalle (ce qui causerait les interprétations aspectuelles que j’ai essayées de décrire), ou bien un argument lexical qui sera alors focalisé. Sthioul79 avait proposé un ‘point de perspective’ pour l’IMP français, et Bertinetto80 suggère d’analyser le progressif italien avec un instant de focalisation tf. Gerade donnerait donc la consigne de chercher un point de référence dans son contexte pour s’ancrer. Comme défaut, le point de référence serait TU. Mais si dans (80) gerade fonctionne vraiment comme hier, donc de façon non-relationnelle, cette analyse ne tiendra pas. Il faut encore creuser dans cette direction. Ce que gerade exclut formellement est que le début de TT de la situation sous sa portée soit postérieur au point de référence (cela explique le comportement avec le Présent et avec la conjonction als). a.) I(TTs) ≤ R ∧ R∈TT où I(TTs) est le point initial de TT de la situation sous la portée de gerade, et R le point de référence. Il faut cependant établir une deuxième contrainte, pour expliquer son utilisation (avec Perf) comme passé immédiat et pour expliquer la proximité temporelle dans (77)b et d, à savoir que le point R soit inclus. Je ne suis pas sûr que l’on puisse unifier cela avec la 78 Communication personnelle. Bertrand STHIOUL (1998) : “Temps verbaux et point de vue“, in: Jacques MOESCHLER (éd., 1998) : Le temps des événements. Pragmatique de la référence temporelle. pp. 197-220. Il propose l’analyse suivante pour l’IMP [P = point de perspective] : IMP : P ≠ S, P ⊂ E 80 Pier Marco BERTINETTO (1986) : Tempo, aspetto e azione nel verbo italiano. Il sistema dell’indicativo. Florence: Accademia della Crusca. Il caractérise le progressif de façon suivante (p. 125) : Esiste (ed è singolarmente individuato nel dominio del tempo) un intervallo I che corrisponde al MA [momento dell’avvenimento = E] designato dal predicato verbale P; l’intervallo I è suddiviso nei due sottointervalli I’ e I’’, tali che I’ è il sottointervallo iniziale di I, I’’ il sottointervallo finale di I, e I’ precede immediatamente I’’; l’ultimo istante di I’ è detto ‘istante di focalizzazione’ (tf); ciò premesso, si dirà che il predicato P esprime l’Aspetto progressivo se e solo se in tf è vero che P è soddisfatto in I’, ed è possibile che P sia soddisfatto in I’’. 79 62 première condition que je viens d’établir, de façon que la formule obtenue prédise correctement le comportement dans les deux cas. On peut essayer d’écrire cette deuxième contrainte comme suit : b.) TTs < R ∧ F(TTs) < p R où F(TTs) est le point final de TT de la situation sous la portée de gerade et < p désigne une antériorité temporelle avec proximité au point de référence R. L’interprétation a) est la bonne pour les aspects neutres (c’est-à-dire pour Présent et Perf dans son utilisation en tant que prétérit), l’interprétation b) est valide pour l’aspect rétrospectif (TT après T-Sit, c’est-à-dire pour le Perf comme présent rétrospectif et pour le Perf surcomposé). Cela pose un problème : si c’est correct, comment rendre compte du fait que l’exemple (89) soit acceptable ? 89. Ich hab’ gerade Romeo und Julia gelesen. Je ai tout-droit Roméo et Juliette lu. Je viens de lire Roméo et Juliette. - Und wie findest du den Schluss? Et comment trouves tu la fin? Et comment tu trouves la fin ? So weit bin ich noch nicht gekommen. Si loin suis je encore pas venu. Je ne suis pas encore arrivé jusque-là. Si l’aspect rétrospectif nous place vraiment après la situation, comment est-ce possible de nier que cette situation soit complétée ? Selon le modèle à deux constituants de Smith, la réponse doit être cherchée dans l’Aktionsart de la situation. 2.3. Les Aktionsarten en allemand On a pu constater qu’il n’y a pas de différence (au moins dans certaines circonstances) entre le comportement d’une activité comme <chanter (x)> et celui d’un accomplissement comme <lire un livre (x)>. Tandis qu’en français la fin télique d’une activité est focalisée en combinaison avec un PC, ceci n’est pas le cas en allemand. 63 90. a. ?? J’ai lu le livre, mais c’était tellement ennuyeux que je ne l’ai pas terminé. b. Ich hab’ das Buch gelesen, aber es war so langweilig dass ich es nicht fertiggelesen habe. Je ai le livre lu, mais il être[PRÄT] si ennuyeux que je le NEG fini-lu ai. J’ai lu le livre, mais il était tellement ennuyeux que je ne l’ai pas terminé. On peut se retirer donc d’une telle assertion, qui implique que la fin de la situation <lire un livre (x)> n’est pas visible. Mais on observe qu’il y a une opposition entre <ein Buch les-> (lire un livre) et <ein Buch fertigles-> (~ fini-lire/prêt-lire un livre), qu’on peut exploiter. Car normalement, la phrase 91. Ich hab’ das Buch gelesen. Je ai le livre lu. J’ai lu le livre. est interprétée de façon existentielle81, et on conclut (probablement par inférence) que l’affirmation tient pour le livre entier. L’opposition entre <les-> et <fertigles-> rappelle certains faits morphologiques du russe tels que les rapporte Klein82, à savoir les préfixes verbaux qui modifient l’Aktionsart du verbe (et le rendent inchoatif, délimitatif, resultatif, etc.). Il y a également en allemand un certain inventaire de préfixes qui fonctionnent de cette manière (sans que cela soit grammaticalisé et sur une échelle assez réduite), par exemple 92. essen – auf-essen, aus-essen manger – sur-manger, hors-manger [= manger complètement, tout le plat] trinken – aus-trinken boire – hors-boire [= boire complètement, jusqu’à ce que la boisson soit épuisée] schlafen – ein-schlafen dormir – en-dormir [= s’endormir] fahren – los-fahren, weg-fahren rouler/conduire – détaché-conduire, éloigné-conduire [= partir en véhicule] Tous les verbes ne peuvent pas être manipulés à l’aide de ces préverbes. En outre, l’ajout d’un tel préfixe n’est pas strictement compositionnel pour le sens et il y a des phénomènes d’homonymie et de synonymie assez étendus (p.e. trinken [boire] – er-trinken [se noyer] ; fahren [conduire] – er-fahren [se rendre compte de qc]). De plus, bien que bon nombre de ces préfixes marquent la télicité, ce n’est pas le cas pour tous (par. ex. herum- [~ 81 C’est-à-dire qu’à un moment t < TU, l’événement a eu lieu, sans que la localisation temporelle exacte de t soit spécifiée. 82 Wolfgang KLEIN(1995), pp. 670ss. 64 autour, par-ci, par-là] : etwas herumerzählen signifie approximativement aller raconter quelque chose par-ci et par-là). Ces verbes préfixés de type <austrink-> ont un comportement qui les distingue clairement de leur homologues ‘simples’, à savoir une certaine incompatibilité avec des énoncés génériques : 93. a. Kennst du das Wieselburger Bier ? Connais tu la Wieselburger bière? Tu connais la bière Wieselburger ? Ja, das hab ich schon getrunken./*Ja, das hab ich schon ausgetrunken. Oui, ça ai je déjà bu./ Oui, ça ai je déjà hors-bu. Oui, j’en ai déjà bu./Oui, je l’ai déjà terminée. b. *Bier trinkt er selten aus. Bière boit il rarement hors. La bière, il la finit rarement. c. Krimis lese ich immer/selten/ nie fertig. Polars lis je toujours/rarement/jamais fini. Je termine toujours/rarement/jamais les polars. Il semble donc que ces verbes aient besoin d’un argument interne spécifique et individué : (93) montre que des lectures taxonomiques (93a) ou des références à une espèce (93b) ne sont pas acceptables. De plus, il n’est plus possible de nier après coup la complétion de la situation : 94. a. Ich hab’ das Buch gelesen, aber nicht bis zum Ende. Je ai le livre lu, mais NEG jusqu’à-la fin. J’ai lu le livre, mais non pas jusqu’à la fin. b. *Ich hab’ das Buch fertiggelesen, aber nicht bis zum Ende. Je ai le livre fini-lu, mais NEG jusqu’à-la fin. J’ai terminé le livre, mais pas jusqu’à la fin. Ce comportement ressemble encore à certains faits du russe, à savoir la possibilité d’avoir des énoncés à lecture existentielle avec l’aspect imperfectif non-préfixé, forme qui pourrait dans un autre contexte aussi bien vouloir dire que la situation n’a jamais abouti. Vojnu i mir? c. Vy citaliimp Guerre et paix? Vous lire-PASSE Avez-vous lu Guerre et paix ? – Oui. 83 - Citalimp.83 Lire-PASSE Exemple tiré de Klein (1995), p. 693. 65 Je voudrais souligner que la préfixation en allemand n’a pas le statut de changement aspectuel (dans le sens du view point aspect de Smith) qu’on attribue traditionnellement aux préverbes russes, mais reste confinée à la manipulation de l’Aktionsart. Tout d’abord, il faudra expliquer quelle différence exactement il y a entre une forme préfixée fertigles- et son pendant non préfixé les- (je ne m’intéresserai ici qu’aux mots qui incluent la fin d’un situation), dans quelles circonstances on peut les utiliser et quelles implications ils portent. Il semble que jusqu’à un certain degré, ces verbes préfixés puissent être composés librement (surtout avec fertig-) : apparemment la plupart des accomplissements à base d’activité qui ne portent pas encore un autre préfixe84 permettent à l’oral l’ajout de ce préfixe (den Rasen fertigmähen – la pelouse FERTIGcouper, ein Spiel fertigspielen – un jeu FERTIGjouer, etc.). Par contre, fertig- ne se combine pas avec les activités qui ne peuvent pas être transformées en accomplissements (i.e., qui sont intransitives, par exemple arbeitentravailler, *fertigarbeiten), ni avec les achèvements (sterben-mourir, *fertigsterben ; kommenvenir, *fertigkommen), les semelfactifs (klopfen-frapper, *fertigklopfen) ou les états (glaubencroire, *fertigglauben). Une contrainte importante pour la formation de fertigV semble être que les effets de V soient cumulables, c’est-à-dire qu’il y ait un changement graduel du prédicat télique : si on arrête d’essayer d’attraper un chien avant de l’avoir effectivement attrapé, il faudra recommencer à zéro (et *einen Hund fertigfangen [FERTIGattraper un chien] ne marche pas), tandis qu’une pomme ne se régénère pas miraculeusement si on arrête de la manger avant de l’avoir effectivement mangée (einen Apfel fertigessen [FERTIGmanger une pomme] est bon)85. Que fait exactement fertig- (ou aus-) au verbe auquel il s’applique ? Il ne le transforme pas en achèvement, puisqu’il faut maintenir au moins un stade intérieur à la situation : pour fertiglesen, on est obligé de lesen. Il semble qu’il ne fait que raccourcir la situation (cf. la description plus bas du comportement de fertigV dans des phrases du type quand p q, qui 84 Une recherche rapide sur internet (avec Google) a montré qu’il n’y a pas beaucoup de constructions qui rallieraient fertig- avec be- pour former un verbe fertigbeV : la seule attestion est fertigbearbeiten (fertigbetravailler) et sa nominalisation Fertigbearbeitung, qui semblent être des termes techniques de l’industrie du bâtiment. De plus, comme arbeiten (travailler) est intransitif et en tant qu’activité n’admet pas de préfixe fertig-, le préfixe be- est nécessaire pour transformer arbeiten en verbe transitif. 85 Il est fort possible que ce trait de la cumulabilité de l’effet de V soit un trait généralement attribuable aux accomplissements, et que c’est un des traits spécifiques qui les distinguent des achèvements. 66 semblent indiquer que fertigV ne saura pas être ponctuel86). Mais il paraît absolument obligatoire qu’on arrive au point F, sinon on ne peut pas affirmer que fertigV a eu lieu. De l’autre côté, selon quelques tests standards87, fertigV semble être à cheval entre les accomplissements et les achèvements : cette forme est toujours agentive, et accepte sans problème un adverbe comme attentivement, qui demande une certaine étendue temporelle en même temps que l’agentivité, ce qui n’est pas le cas avec les achèvements (cf. (95a)). FertigV se combine assez mal avec des adverbes temporels du type pendant X temps, mais bien avec en X temps (cf. (95)b et c)) – tout comme un achèvement. 95. a. Hans hat das Buch aufmerksam fertiggelesen Hans a le livre attentivement FERTIGlu. Hans a lu attentivement la fin du livre. b. ?Anna hat das Buch eine Stunde lang fertiggelesen88. Anna a le livre une heure longtemps FERTIGlu. Anna a terminé le livre pendant une heure. c. Anna hat eine Stunde gebraucht, um das Buch fertigzulesen Anna a une heure nécessité pour le livre FERTIG-à-lire. Anna avait besoin d’une heure pour terminer le livre. Les autres tests s’appliquent très mal à l’allemand, dû à l’absence d’un véritable aspect progressif (et l’absence relative de restrictions de sélection sur gerade). Ce qui frappe est une forte complémentarité entre l’aspect neutre et la forme préfixée du verbe : Schématisons la situation <V (x,y)> par (96a), et la configuration minimale de la forme préfixée <fertigV (x,y)> par (96b). Si on compare (96b) à la portée minimale de l’aspect neutre tel qu’il a été défini par Smith, on voit que leur portée est identique, et que la portée du verbe préfixé a probablement été conditionnée par la portée de l’aspect : 96. a. ____________I……………..…F ¬V V 86 Une bonne partie du problème pourrait provenir du fait que lire ou n’importe quelle autre accomplissement fertigV à base d’une activité V semble demander un intervalle pour s’appliquer, et non pas un point temporel, comme un achèvement standard du type sortir, qu’on peut évaluer en ne regardant que le moment du changement d’état. La durée minimale de fertigV correspondrait alors à la durée de la plus petite partie d’une activité qu’un locuteur et/ou allocuteur seraient encore prêts à considérer comme V. 87 Il est cependant difficile de tester cette forme, parce qu’elle correspond à un des éléments du test standard : fertigV correspond à peu près à finir de V. 88 On peut forcer des interprétations pour cette phrase, interprétations qui n’ont cependant pas fait l’unanimité parmi mes informateurs : il semble être possible de le lire ou bien comme (95c) de façon cumulative, ou bien comme itération de l’action de FERTIGlire : Anna terminait, revenait un peu en arrière, lisait jusqu’à la fin, revenait, etc. - pendant une heure. 67 b. ____________I………………..[.F ] ¬V∧¬fertigV V∧¬fertigV [fertigV] c. I . Une autre question est de savoir si fertigV à t implique ou présuppose V à un point antérieur à t. Contrairement à d’autres préfixes comme aus-, cela semble être le cas ; probablement que fertigV présuppose que le point I de V soit déjà franchi. 97. a. Hans hat sein Bier in einem Zug ausgetrunken. Hans a sa bière en un trait hors-bu. Hans a vidé sa bière d’un seul trait. b. Hans hat sein Bier in einem Zug fertiggetrunken89. Hans a sa bière en un trait FERTIGbu. Hans a fini sa bière d’un seul trait. En (97a), il me semble tout à fait possible que le verre de bière était encore plein avant que Hans l’ait bu cul sec ; en (97b) cette possibilité est plutôt exclu. J’avais affirmé auparavant qu’une phrase au Perf + gerade avait l’aspect rétrospectif, malgré le fait que (98) soit possible : 98. Ich hab’ gerade Romeo und Julia gelesen. Je ai tout-droit Roméo et Juliette lu. Je viens de lire Roméo et Juliette. - Und wie gefällt dir der Schluss ? Et comment plaît toi la fin? Et que penses-tu de la fin ? - So weit bin ich noch nicht. Si loin suis je encore pas. Je ne suis pas encore arrivé jusque-là. Si cette hypothèse est correcte, cela aurait pour conséquence que des accomplissements potentiellement préfixables avec fertig-, mais actuellement non-préfixés, se comportent comme des activités. Ces situations auraient donc une fin arbitraire, elles ne seraient plus ni indivisibles ni non-additives (selon la terminologie de Bach : la fusion de deux situations 89 Il est vrai que la forme fertigtrinken est quelque peu étrange, mais je l’ai déjà entendue, de même que fertigessen. La présence de ces formes me semble être un argument en faveur de l’hypothèse que fertigV soit librement composable dans les limites que j’ai essayé d’esquisser plus haut. 68 <les- (x,y)> serait une situation <les- (x,y)>, et cette situation pourrait être une p-partie d’ellemême90). Cette explication n’est cependant intuitivement pas très satisfaisante. Il y a clairement des cas où <les- (x,y)> inclut le seuil télique de la situation, et non pas une quelconque fin arbitraire, et où l’effet du préfixe fertig- n’est autre que d’y ajouter une présupposition : 99. a. Lies Romeo und Julia ! Lis[IMPERATIF] Roméo et Juliette! b. Lies Romeo und Julia (endlich) fertig ! Lis[IMPERATIF] Roméo et Juliette (finalement) FERTIG! Lis enfin Roméo et Juliette jusqu’à la fin ! (99b) contient la présupposition que l’allocutaire a déjà commencé à lire le livre en question, ce qui n’est pas le cas en (99a) ; par rapport à la fin de la situation, les deux énoncés ne se distinguent pas. De même, dans le seul cas où il y a des preuves tangibles que Perf est rétrospectif, les effets de sens associés à V et fertigV correspondent tout à fait à ce qu’on a vu pour l’impératif : dans les deux cas, le seuil télique doit avoir été franchi, et l’ajout de fertig introduit la présupposition qu’à TU, l’allocutaire avait déjà commencé à V. 100. a. Bis übermorgen hast du Romeo und Julia gelesen ! Jusque après-demain as tu Roméo et Juliette lu ! Après-demain au plus tard tu auras lu Roméo et Juliette ! b. Bis übermorgen hast du Romeo und Julia fertiggelesen ! Jusque après-demain as tu Roméo et Juliette FERTIGlu ! Après-demain au plus tard tu auras fini de lire Roméo et Juliette ! (99) et (100) ont cependant encore un autre trait en commun, qui pourrait s’avérer décisif dans ce genre de contextes : il ne s’agit pas d’actes de langage assertifs, mais directifs. Mais est-ce que cela peut vraiment avoir une influence sur les modes d’action, qui sont censés d’être calculés au fond indépendamment de catégories temporelles, aspectuelles et modales ? Une autre remarque s’impose concernant (99) et (100) : je suis bien conscient du fait que (lire (x,y)) n’est peut-être pas le meilleur exemple pour un accomplissement, puisque 90 Cf. Emmon BACH (1986) : “The Algebra of Events”, in Linguistics and Philosophy 9, p. 8ss. Les p-parties (pparts) sont des fragments de situations, des étapes intérieures entre I et F. Par exemple, la situation a) pourrait être une p-partie de la situation b), bien que rien ne nous oblige à faire cette conjecture hors contexte : a) Sally pound in a nail b) Sally build a cabin 69 l’effet sur y est très différent de celui qu’on observe dans un accomplissement ‘standard’, par exemple (manger (x,y)), où il y a un changement d’état de y. Pour l’allemand, <les- (x,y)> me semble avoir cependant quelques avantages importantes par rapport à <ess- (x,y)> (manger (x,y)) : i) on peut vérifier facilement que les effets de sens, implications etc. sont les mêmes pour les deux verbes (lire et manger), et ii) il n’y a pas de deuxième forme préfixée avec ausou auf- qui soit aussi disponible et aussi populaire que <fertigles- (x,y)>. Il est vrai qu’il existe une forme <ausles- (x,y)>, qui semble cependant avoir quelques restrictions d’utilisation particulières, au moins l’extrême ouest de l’Autriche : il paraît d’abord que ce soit une forme marquée par l’analogie à <austrink- (x,y)> (boire entièrement), qui semble avoir comme implicature que l’objet de la lecture s’épuise matériellement (ce qui fait que le locuteur qui utilise cette forme manque rarement l’occasion d’en faire une plaisanterie). Deuxièmement, il semble qu’il s’agisse d’une forme plutôt dialectale. La seule occasion dans laquelle je rappelle avoir entendu <ausles- (x,y)> dans un registre standard était une interview de Thomas Bernhard : celui-ci y affirmait d’avoir souvent besoin de racheter certains livres parce qu’il les aus-lisait, ce qui avait comme conséquence que la reliure se défaisait. L’implicature (ou implication ?) était donc maintenue. 91 Revenons à la question de l’aspect (syntaxique) : le Perf à référence future impose des restriction de sélection assez sévères (cf. 2.1 ci-dessus) sur les situations atéliques, ce que le passé immédiat (Perf+gerade) ne fait pas, ni le Perf dans son utilisation en tant que prétérit (qui pourraient être aspectuellement neutres tous les deux). Le Perf surcomposé semble se trouver quelque part entre les deux. 101. Anna hat gerade die Kritik der reinen Vernunft gelesen gehabt, als plötzlich Hans in ihr Anna a tout-droit la Critique de la raison pure lu eu, quand tout-à-coup Hans en sa Zimmer gestürmt ist, ihr ein Comic-Heft unter die Nase gehalten hat und ihr gesagt hat: chambre couru est, lui un BD-magazine sous le nez tendu a et lui dit a: Walt Disney ist so weise! Walt Disney est si sage! Anna venait de lire la Critique de la raison pure quand, tout-à-coup, Hans est entré dans sa chambre, lui a mis un magazine de bandes dessinées sous le nez et lui a dit : Walt Disney est si sage ! Il n’est pas nécessaire que dans (101), Anna ait fini de lire ce livre – bien que cela soit possible ; il serait aussi bien possible qu’elle ait tout simplement arrêté sa lecture. J’examinerai le rôle de gerade dans de telles constructions plus bas en détail ; intuitivement, 91 Ce comportement de ausV suggère qu’on peut l’analyser de façon analogue à ce que je proposerai plus pas pour fertigV en tant que [Sujet V [CAUSE[BECOME Objet aus]. 70 sa présence assure plutôt une proximité temporelle de la principale avec la subordonnée ; elle ne semble pas cacher le point F de la situation dans la principale. Comme le PerfSC a l’aspect rétrospectif, le point décisif devrait alors être l’Aktionsart de <les- (x,y)>, qui serait une activité, et non pas l’aspect syntaxique de la phrase. Le problème plus général de savoir si une situation est effectivement accomplie ou non semble être restreint aux accomplissements. Les activités, états, semelfactifs itérés et habitudes n’ont pas de point F télique, et celui des achèvements coïncide avec le point I. 102. a. Hans hat an Gott geglaubt und soviel ich weiß glaubt er immer noch an Gott. Hans a en Dieu cru et autant je sais croit il toujours encore en Dieu. Hans croyait en Dieu et, autant que je sache, il croit toujours en Dieu. b. Letztes Jahr hat Anna für Siemens gearbeitet und soweit ich weiß arbeitet sie immer Dernière année a Anna pour Siemens travaillé et autant je sais travaille elle toujours noch dort. encore là. L’année dernière, Anna travaillait pour Siemens et, autant que je sache, elle y travaille toujours. c. Heute früh hat Hans im Garten gearbeitet und vielleicht arbeitet er immer noch dort. Aujourd’hui tôt a Hans en jardin travaillé et peut-être travaille il toujours encore là. Ce matin, Hans travaillait au jardin et peut-être qu’il y travaille toujours. d. Heute früh hat Anna den Großglockner bestiegen und soweit ich weiß ist sie immer Aujourd’hui tôt a Anna le Großglockner escaladé et autant je sais est elle toujours noch nicht oben am Gipfel.92 encore pas dessus au sommet. Ce matin, Anna escaladait le Großglockner et, autant que je sache, elle n’est toujours pas au sommet. e. Heute früh hat Hans die Kritik der reinen Vernunft gelesen und soweit ich weiß ist er Aujourd’hui tôt a Hans la Critique de la raison pure lu et autant je sais est il immer noch nicht fertig93. toujours encore pas terminé. Ce matin, Hans a lu la Critique de la raison pure et autant que je sache il ne l’a toujours pas fini. f. *Heute früh ist Anna gestorben und soweit ich weiß ist sie immer noch nicht tot. Aujourd’hui tôt est Anna mort et autant je sais est elle toujours encore pas morte. Ce matin, Anna est morte, mais, autant que je sache, elle n’est toujours pas décédé. g. Heute früh hat Hans gehustet und soweit ich weiß hustet er immer noch. Aujourd’hui tôt a Hans toussé et autant je sais tousse il toujours encore. 92 Personnellement, je juge cette phrase au mieux moyennement acceptable, mais tous mes informateurs étaient d’accord sur le fait qu’elle ne posait pas de problème du tout. 93 On pourrait objecter que l’acceptabilité d’une telle phrase est due à des raisons purement pragmatiques, puisqu’on juge hautement improbable qu’un être humain même doué et motivé lise la Critique de la raison pure dans un délai de 12 heures ou même moins. La phrase reste cependant acceptable si on remplace la Critique par la Bürgschaft de Schiller (poème long, certes, mais qu’on peut lire en 30 minutes). 71 Ce matin, Hans a toussé, et, autant que je sache, il tousse toujours. Il semble donc qu’il y ait deux types d’accomplissements en allemand : ceux qui focalisent leur point F, et ceux qui ne le font pas (toujours dans le contexte d’un aspect neutre). La deuxième classe pourrait coïncider avec celles des verbes préfixables par fertig ; quant à la première on pourrait se demander si peut-être il ne s’agissait pas d’achèvements. Malheureusement, la situation est bien plus complexe : dans certains cas <besteig(x,y)> sous la portée d’un aspect neutre ne semble pas focaliser le point F télique, mais un point F arbitraire : 103. a. Anna hat den Großglockner zweimal bestiegen, aber nie bis zum Gipfel. Anna a le Großglockner deux-fois escaladé, mais jamais jusqu’au sommet. Anna a escaladé le Großglockner deux fois, mais elle n’est jamais allée jusqu’au sommet. b. Anna hat den Großglockner zweimal bestiegen. Anna a le Großglockner deux-fois escaladé. Anna a escaladé le Großglockner deux fois. c. Anna hat das Buch zweimal gelesen, aber nie bis zum Ende. Anna a le livre deux fois lu, mais jamais jusqu’à-la fin. Anna a lu le livre deux fois, mais elle ne l’a jamais lu jusqu’à la fin. d. Anna hat das Buch zweimal gelesen. Anna a le livre deux-fois lu. Anna a lu le livre deux fois. 104. Hans hat den Großglockner bestiegen, als ihn ein Steinschlag umgebracht hat94. Hans a le Großglockner escaladé, quand le une chute-de-pierres tué a. Hans escaladait le Großglockner, quand une chute de pierres l’a tué. La différence entre (103) a et b et entre (103) c et d suggère fortement que le fait d’être arrivé au sommet (c’est-à-dire la culmination télique de la situation) n’est qu’une implicature dans le cas d’une lecture existentielle, sur laquelle on peut revenir sans problème. Ce comportement est prédit par l’analyse de Hay/Kennedy/Levin95. Ils s’appuient sur la notion de ‘valeur de différence’ (difference value), qui spécifie le degré de changement entre un point initial, qui est dans nos exemples (103) le pied du 94 Bien que cette configuration de la phrase soit acceptée assez généralement, beaucoup de locuteurs lui préfèrent la version suivante : Als Hans heute früh den Großglockner bestiegen hat, hat ihn ein Steinschlag umgebracht. Quand Hans aujourd’hui tôt le Großglockner escaladé a, a le une chute-de-pierres tué. Quand Hans a escaladé ce matin le Großglockner, une chute de pierres l’a tué. 95 Jennifer HAY/Christopher KENNEDY/Beth LEVIN : “Scalar Structure Underlies Telicity in “Degree Achievements””, in : T. MATHEWS/D. STROLOVITCH (éds., 1998) : Proceedings of SALT IX. Ithaca : CLC. pp. 127-144. 72 Großglockner, et un point final, qui serait le sommet. La valeur de différence pourrait être dans ce cas-là une différence d’altitude mesurable en mètres. Si la valeur de différence entre état initial et état final de l’événement est bornée (bounded), alors le prédicat résultant est télique. Si elle n’est pas bornée, le prédicat résultant est atélique. Les principes d’une implicature conversationnelle n’entrent en jeu que si la valeur de différence est l’objet d’une inférence, et non pas d’une assertion explicite. Ceci est le cas en (103) : il n’y a pas d’assertion selon laquelle le sommet a été effectivement atteint, donc il s’agit d’une implicature conversationnelle annulable. La seule assertion dans (103) concernerait alors la valeur de différence : il doit y avoir une différence en mètres entre le point de départ du parcours et le point le plus élevé du trajet, même si elle est minime (la question de la valeur de différence minimale acceptable serait une question pragmatique, non sémantique). L’analyse de Hay/Kennedy/Levin suggère que fertig- transforme une situation dont il faudra inférer un point final (c’est-à-dire dont le degré de complétion serait potentiellement ouvert, open range) en une situation avec point final asserté (et donc closed range). Le statut de fertig dans cette structure serait donc comparable à celui d’adverbes comme entièrement, qui indique que le processus arrive au degré maximum prévu par l’échelle (pour l’exemple (103), au sommet du Großglockner). Or, il semble qu’en allemand, même si les schémas d’inférence qu’on obtient pour fertigV sont très similaires à ceux qu’on obtient avec un adverbe d’assertion sur le degré (par exemple ganz ou vollständig – entièrement, complètement), il y a une différence très nette entre ces deux possibilités dans des phrases coordonnées : 105. a. Anna hat das Haus fertiggestrichen → Das Haus ist vollständig gestrichen. Anna a la maison fertig-peint → La maison est entièrement peint. Anna a terminé de peindre la maison. → Toute la maison est peinte. b. Anna hat das Haus fertiggestrichen, als es zu regnen begonnen hat. Anna a la maison fertig-peint, quand il à pleuvoir commencé a. Anna a terminé/était en train de terminer de peindre la maison quand il a commencé à pleuvoir. c. ??Anna hat das Haus vollständig gestrichen, als es zu regnen begonnen hat. Anna a la maison entièrement peint, quand il à pleuvoir commencé a. Anna a peint la maison entièrement quand il a commencé à pleuvoir. d. Anna hat das Haus vollständig gestrichen gehabt, als es zu regnen begonnen hat. Anna a la maison entièrement peint eu, quand il à pleuvoir commencé a. Anna avait complètement peint la maison quand il a commencé à pleuvoir. 73 L’inférence en (105a) fonctionne seulement de cette manière ; on ne peut pas inférer de cette phrase que c’est Anna qui a peint la maison entière, ce qui est asserté est uniquement qu’elle en a peint la dernière partie. Et tandis que (105b) est parfaitement acceptable, (105c) est très étrange : la phrase serait acceptable si dans l’instant même où il a commencé à pleuvoir Anna avait peint toute la maison – ce qui est un exploit difficile à réaliser pour un être humain moyen compte tenu de la taille d’une maison normale. En (105d), il y a un temps rétrospectif dans la principale, et alors il n’y plus de problème d’acceptabilité. La différence entre fertigV et V vollständig est donc la suivante : fertigV effectue une assertion seulement sur la dernière partie de la situation, tandis que V vollständig asserte quelque chose sur la situation entière. Comme on le verra plus bas (cf. chapitre (2.3.2)), il y a de même des contextes où fertigV n’implique pas la complétion de V sur son argument interne. Ce fait, avec ce qu’on a observé en (105) indique que fertigV et V vollständig (V complètement) ont des comportements aspectuels différents dans des phrases coordonnées : tandis que fertigV peut s’interpréter sous certaines circonstances comme action en cours, V vollständig n’admet pas cette interprétation. Il peut donc y avoir différentes d’interprétations de fertigV, qui dépendent du contexte aspectuel (neutre ou rétrospectif) dans lequel il se trouve, ce qui n’est pas le cas pour V vollständig. Pour cette raison, je ne crois pas qu’on puisse appliquer l’analyse des degree achievements de Hay/Kennedy/Levin tel quel pour fertigV, et qu’une tentative selon Dowty96 pourrait s’avérer plus éclairante. 2.3.1. Une analyse compositionnelle de fertigV Dowty propose d’analyser la structure logique des accomplissements comme [φ CAUSE ψ], où φ et ψ sont des propositions (sentences)97. Il relève une classe d’accomplissements que la grammaire traditionnelle appelle factitifs et la sémantique générative instrumentaux : 96 David R. DOWTY (1979) : Word Meaning and Montague Grammar. The Semantics of Verbs and Times in Generative Semantics and in Montague’s PTQ. Dordrecht : Reidel. 97 Ibid., p. 91. Il analyse la phrase John killed Bill comme suit: [[John does something] CAUSE [BECOME ¬[Bill is alive]]]. (106d) n’a pas la même structure que les trois autres, comme le remarque Dowty ; j’y reviendrai plus tard. 74 106. a. Jesse shot him dead. b. She painted the house red. c. He swept the floor clean. d. He drank himself silly. Dowty analyse ces exemples comme suit: [[He sweeps the floor] CAUSE [BECOME [the floor is clean]]]98. Ce que tous ces exemples ont en commun est qu’il y a un état résultant lexicalisé par un adjectif qui s’applique à l’objet direct de la phrase. Dans ce qui suit j’essaierai de montrer qu’on peut analyser fertigV de cette manière et que la structure des exemples (107) est similaire, sinon identique à celles de (106)a-c : 107. a. Hans streicht den Zaun rot. Hans peint la clôture rouge. Hans peint la clôture en rouge. b. Hans schießt den Hasen tot. Hans tire le lapin mort. Hans tue le lapin par un tir. c. Hans streicht den Zaun fertig. Hans peint la clôture prêt(e). Hans finit de peindre la clôture. Je propose d’analyser toutes ces phrases par la structure suivante : [[V(x,y)] CAUSE [BECOME [P(y)]]], où P est un état résultant de V exprimé par l’adjectif en position finale de la phrase. Il semble que tot-schießen (mort-tirer) et fertig-streichen (prêt-peindre) – mais non pas *rot-streichen (rouge-peindre) – soient des verbes préfixés : ceci serait le résultat d’un procès phonologique, du à l’absence d’un accord perceptible entre l’adjectif et le NP auquel il se réfère, et l’obligation de mettre le participe passé en position finale de la phrase (ce qu’on appelle parfois en allemand Verbalklammer) : 108. a. Hans hat den Zaun rot gestrichen. Hans a la clôture rouge peint. Hans a peint la clôture en rouge. b. Hans hat den Hasen totgeschossen. Hans a le lapin mort-tiré. Hans a tué le lapin par un tir. c. Hans hat den Zaun fertiggestrichen. Hans a la clôture prêt-peint. Hans a fini de peindre la clôture. 98 Ibid., p. 93 75 Il y a certes des différences considérables entre (108)a-c : rot est parmi les trois adjectifs celui qui a gardé le plus d’indépendance envers le participe passé qu’il précède, tandis que tot et a fortiori fertig sont pratiquement incorporés dans le participe passé. On peut par exemple remplacer rot par rot und blau (rouge et bleu), sans que l’acceptabilité en souffre, ce qui n’est pas le cas avec tot ou fertig. On peut poser une question pour (108a) à laquelle rot serait la réponse, p.e. « Comment avez-vous peint la clôture ? », tandis qu’il n’y a pas d’accès par question à tot ou fertig avec une interrogation. D’un autre côté, rot et tot sont des adjectifs qui dénotent des propriétés qui peuvent être décrites de façon autonome, tandis que fertig peut être n’importe quel état résultant d’un accomplissement volitif. On peut même se demander si fertig est un vrai adjectif, puisqu’il ne va souvent pas très bien en position prénominale, c’est-à-dire comme adjectif épithète, qui est la position standard en allemand, alors qu’en position attributive (X est fertig), il n’y a pas de problème99. Mais les points communs entre ces trois formes sont aussi saillants : Dans des contextes comme dans (102), il n’est pas possible de revenir sur l’état résultant asserté : 109. a. *Heute früh hat Anna den Zaun rot gestrichen, aber soweit ich weiß ist er mais autant je sais est ellei Aujourd’hui tôt a Anna la clôturei rouge peint, immer noch grün. toujours encore verte. Tôt ce matin, Anna a peint la clôture en rouge, mais autant que je sache elle est toujours verte. b. *Heute früh hat Anna den Hasen totgeschossen, aber jetzt hoppelt er Aujourd’hui tôt a Anna le lapin mort-tiré, mais maintenant fait-des-bonds il an mir vorbei. à moi à-côté. Tôt ce matin, Anna a tué le lapin par un tir, mais maintenant il fait des bonds à côté de moi. 99 Une phrase comme ? Das fertige Haus wird schön sein. La prête maison devient[AUX FUT] beau être. Dans son état final, la maison sera belle. ne passe pas très bien, contrairement à Das Haus, einmal fertig/ wenn es einmal fertig ist, wird schön sein. La maison, une-fois prêt/ quand elle une-fois prête est, devient beau être. La maison, dans son état final, sera belle. On ne peut cependant pas en conclure que fertig ne supporterait pas la flexion, puisque fertig fléchi va très bien avec Zustand (état) : In fertigem Zustand wird das Haus 7 Zimmer haben. En prêt état devient la maison 7 chambres avoir. Dans son état final, la maison aura 7 chambres. 76 c. *Heute früh hat Anna den Zaun fertiggestrichen, aber vielleicht noch nicht ganz. Aujourd’hui tôt a Anna la clôture prêt-peint, mais peut-être toujours pas entièrement. Tôt ce matin, Anna a fini de peindre la clôture, mais peut-être pas entièrement. Les conséquences sémantiques semblent de même être identiques : un accomplissement V avec état résultant lexicalisé P implique que V100 ; si P se trouve dans le focus de la phrase, une phrase qui contient V avec P semble présupposer V. Il y a cependant aussi des cas où l’état résultant n’est pas exprimé par un adjectif, mais par un syntagme prépositionnel (ce qui n’est pas dû exclusivement au verbe, puisque (110b) est possible), et qui présentent des caractéristiques un peu différentes (qui ressemblent à (106d)) : 110. a. Anna hat Hans unter den Tisch gesoffen. Anna a Hans sous la table picolé. Anna a bu avec Hans jusqu’à ce qu’il tombe sous la table. b. Anna hat sich Hans schöngesoffen. Anna a se Hans beau-picolé. Anna a bu jusqu’à ce que Hans lui paraisse beau. Comme l’a souligné Dowty101, on ne peut pas inférer John drank himself à partir de John drank himself silly, ce qui par contre marche sans problème avec He hammered the metal flat, qui implique que He hammered the metal. Il donne pour des phrases comme (110b) la formalisation suivante : S.27 T.27 If δ ∈ PIV and α ∈ PADJ, then F27(δ,α) ∈ PTV, where F27(δ,α) = δα. F27(δ,α) translates into: λPλxP{λy[δ’(x) CAUSE BECOME α’(y)]}102 Pour les phrases anglaises qui ressemblent à ceux dans (107), Dowty avait proposé la formalisation : 100 Si V sans P existe, ce qui n’est pas toujours le cas. Anna hat den Hasen totgeschossen n’implique pas que Anna hat den Hasen geschossen tout simplement parce que cette deuxième phrase est agrammaticale, pour des raisons qui m’échappent pour l’instant. EINEN Hasen schießen (tirer UN lapin) semble pourtant être possible, bien que cela soit un terme technique des chasseurs à utilisation assez restreinte, et qui paraît impliquer que le lapin n’a pas survécu au tir. 101 Dowty (1979), p. 93. et p. 219ss. 102 Ibid., p. 221. J’ai quelque peu modifié la notation, en remplaçant ^x (ou le circonflexe devrait être sur le x) par λx. S27 signifie que si δ est un élément des prédicats de la catégorie des verbes intransitifs (c’est-à-dire de <e,t> dans la notation de PTQ), et α un élément des prédicats de la catégorie des adjectifs (défini par Dowty comme <t///e>, alors la fonction qui regroupe δ et α sera un élément des prédicats de la catégorie des verbes transitifs (<e,<e,t>>). 77 S.26 T.26 If δ ∈ PTV and α ∈ PADJ, then F26(δ,α) ∈ PTV, where F26(δ,α) = δα. F26(δ,α) translates into: λPλxP{λy[δ’(x, λPP{y}) CAUSE BECOME α’(y)]}103 Les arguments qu’il donne pour expliquer que S27 ne peut pas engendrer S26 sont convaincants, à savoir que si S27 était à la base d’une phrase du type que j’avais donné en (108), il ne serait qu’en vertu d’un implicature conversationnelle qu’on pourrait inférer que Anna peint la maison quand elle la peint rouge, tandis que l’implication proprement dite serait uniquement que Anna peint quelque chose. Et cela n’est pas le cas. Il semble donc que ces deux structures soient clairement distinctes. Pour les verbes allemands du type fertigV, S26 est, comme il me semble, une formalisation tout à fait adéquate. Elle explique par la maxime de quantité de Grice l’effet de polarisation associé à un verbe V pour lequel une forme fertigV est disponible : l’état résultant, comme il ne fait pas objet d’une affirmation explicite – alors que celle-ci serait facilement disponible – n’a pas été atteint ; en même temps, V implique qu’au moins quelques efforts ont été entrepris dans la direction de l’état résultant. Il n’y a donc pas de changement d’état (situation ≠ télique), mais l’événement est duratif : il ressemble à une activité. Cet effet de polarisation doit être distingué des activités proprement dites comme <les(x,y)> ou des expressions comme : 111. Hans hat im Buch gelesen. Hans a dans-le livre lu. Hans était en train de lire un livre. Comrie compare cette tournure (111) au progressif anglais104, mais l’effet de cette phrase ne s’arrête pas là. D’abord on note que im Buch n’est qu’une indication de lieu, qui ne semble pas avoir de conséquence sur l’activité de base <les- (x)> en ce qui concerne l’Aktionsart, et qui peut être remplacée par n’importe quelle autre indication de lieu (p.e., im Bahnhof (à la gare), im Krankenhaus (à l’hôpital). De plus, cette indication de lieu n’est point incompatible avec un objet à l’accusatif : 112. a. Hans hat im Buch einen Artikel gelesen. Hans a dans-le livre un article lu. Hans a lu un article dans le livre. b. Hans hat einen Artikel gelesen. 103 104 Ibid., p. 220. Comrie (1976), p. 8. 78 Hans a un article lu. Hans a lu un article. Ces deux phrases (112)a et b ont exactement le même comportement quant à la détermination ou indétermination du point F, ce qui est peu surprenant. En outre, <les- (x,y)> semble avoir comme implicatures que i)x commence à lire y à son début et que ii)x progresse linéairement, ici sans sauter de pages, de façon qu’il y ait une direction de V qui progresse vers le seuil télique de la situation, qui est la fin de y.105 Les implicatures de (111) semblent être exactement opposées : il est très probable que Hans ait ouvert le livre n’importe où, arrêté la lecture, sauté quelques pages pour lire un peu etc. Les exemples du type (111) semblent en plus être relativement restreints en ce qui concerne leur argument interne – on ne peut pas mettre n’importe quel objet – et donnent facilement l’impression qu’ils ne sont pas suffisamment saturés, dès qu’ils sont intégrés dans des contextes types pour des progressifs : 113. a. Als Anna hereingekommen ist, hat Hans im Buch gelesen. Quand Anna entré est, a Hans dans-le livre lu. Quand Anna est entrée, Jean a lu [quelque chose] dans le livre. b. ?Als Anna hereingekommen ist, hat Hans in Romeo und Julia gelesen. Quand Anna entré est, a Hans dans Roméo et Juliette lu. Quand Anna est entré, Hans a lu dans Roméo et Juliette. c. Als Anna hereingekommen ist, hat Hans gerade in Romeo und Julia gelesen, dass etc. Quand Anna entré est, a Hans tout-droit dans Roméo et Juliette lu que etc. Quand Anna est entré, Hans était en train de lire dans Roméo et Juliette que etc. Le mécanisme de base qui rend in X les- similaire à un progressif me semble assez simple à expliquer : in (dans) exclut les bornes de l’argument auquel il s’applique et le processus de lecture ne peut donc pas s’accrocher au début et la fin de cet argument. Cela permet aussi de prédire que de in einem Buch lesen (dans un livre lire), on ne peut jamais 105 Il y a une deuxième construction qui est parfois comparée au progressif anglais, mais qui montre de même des restrictions de sélection très importantes : an X V (V à X). Dans un tel cas, il n’est pas possible d’introduire un objet direct : Ich habe an einem Pulli gestrickt. Je ai à un pull tricoté. J’étais en train de tricoter un pull. ?? Ich hab einen Ärmel an einem Pulli gestrickt. Je ai une manche à un pull tricoté. J’ai tricoté une manche à un pull. Mais il semble quand même que le sens locatif premier de AN soit réactualisable (peut-être qu’il faudrait ajouter des éléments à la phrase un peu plus pour qu’elle soit acceptée par tout le monde) : Ich hab an einem Bahnhof gestrickt. Je ai à une gare tricoté. J’ai tricoté à une gare. 79 inférer que l’agent a effectivement terminé la lecture, contrairement à ce qui se passait avec fertiglesen. Selon le modèle de Manfred Krifka106, on peut dire qu’il y a une structure de parcours orienté (directed path structure) pour lire un livre, qui doit suivre un parcours établi, même si des allers et retours sont permis107. Il ne s’agit donc pas d’une relation de mouvement stricte, mais d’un mouvement ‘Echternach’ (cf. ci-dessous). Une relation de mouvement stricte (strict movement relation, SMR) se caractérise selon Krifka par une combinaison entre deux propriétés du rôle θ : la projection sur les objets (mapping to objects, MO) et la propriété d’adjacence (adjacency property, ADJ), définies comme suit : θ shows MAPPING TO OBJECTS, MO(θ), iff ∀x∈Up ∀e,e’∈UE[θ(x,e) ∧ e’ ≤E e → ∃y[y ≤p x ∧ θ(y,e’)]]108 C’est-à-dire, un rôle θ possède la propriété MO ssi pour toute entité x et pour tout événenement e que θ tient, si cet événement e dispose d’un sous-événement e’, alors il y a aussi un y qui est une partie de ou égal à x tel que θ tienne aussi pour y et e’. θ has the ADJACENCY PROPERTY, ADJ(θ) iff ∀x,y,z ∈ PH ∀e,e’,e’’ ∈ UE [θ(x,e) ∧ e’,e’’≤E e ∧ y,z ≤Hx ∧ θ(y,e’) ∧ θ(z,e’’) → [e’∞E e’’ ↔ y ∞H z]]109 Ceci signifie que si deux sous-événements d’un événement de mouvement sont temporellement adjacents, alors leurs parcours sont spatialement adjacents, et vice-versa. θ is a strict movement relation, SMR(θ), iff ADJ(θ) ∧ MO(θ) ∧ ∀x ∈ UH ∀e ∈ UE[θ(x,e) → x ∈ PH]110 106 Cf. Manfred KRIFKA (1998) : “The Origins of Telicity“, in : Susan ROTHSTEIN (éd., 1998) : Events and Grammar. Dordrecht : Kluwer. pp. 197-235. Je cite d’après la version disponible sur le net (amor.rz.huberlin.de/~h2816i3x/TELICITY.pdf). La structure de base pour les calculs de Krifka est un treillis. 107 Bien que la caractérisation de lire un livre en tant que ’parcours’ soit peut-être quelque peu métaphorique, je crois qu’elle est justifiable : les caractères ne peuvent être lus que dans une seule direction (de gauche à droite et de haut en bas). Il y a donc un parcours orienté. Le parcours qu’on accepte comme ‘normal’ dans la lecture d’un livre serait celui d’un SMR, mais ce n’est qu’une implicature conversationnelle ; on peut procéder à des allers et retours, et des redoublements, puisque j’aurais du mal à accepter comme ’normale’ la conversation suivante : - Vous avez lu le livre? - Non, parce que j’ai dû lire le deuxième chapitre trois fois. C’était tellement compliqué. 108 Krifka (1998), p. 13. UP est un ensemble d’entités, UE un ensemble d’événements. Un sous-script XP concerne toujours le domaine des entités, un sous-script XE les événements, un sous-script XH une structure de parcours. ⊕ est l’opération de sommer (sum opération). ∞ est la relation d’adjacence. 109 Ibid., p. 23. 110 Ibid., p. 23. 80 Cela ajoute aux propriétés d’adjacence et de projection sur les objets la condition que le mouvement strict doit avoir lieu sur des parcours connectés. Il est clair que lire un livre n’impose pas nécessairement SMR, mais il ne l’exclut pas non plus. Une formule qui permet un parcours avec des dédoublements, des arrêts en chemin (c’est-à-dire des arrêts de lecture temporaires, ce qui est exclu par SMR), ou des parcours circulaires, est la suivante : θ is a movement relation, MR(θ), if fit is the smallest relation that satifies the following conditions: a. There is a strict movement relation θ’, and θ’ ⊆ θ ; b. ∀x,y ∈ UH ∀e,e’ ∈ UE [θ(x,e) ∧ θ(y,e’) ∧ e «E e’ ∧ ∀e’’,e’’’ ∈ UE ∀x’,y’ ∈ UH [FINE(e’’,e) ∧ INIE(e’’’,e’) ∧ θ(e’’,x’) ∧ θ(e’’’,y’) → TANGH(x’,y’)] → θ(x ⊕H y, e ⊕E e’)]111 MR est donc basé sur SMR, et est fermé sous la formation de sommes (closed under sum formation) sous certaines restrictions. À savoir, si e est un événement de mouvement sur un parcours x, et e’ un événement de mouvement sur un parcours y, et e précède e’, et les parcours des parties finales de e sont tangentielles aux parties initiales du parcours de e’, alors e ⊕ e’ est un événement de mouvement dôté du parcours x ⊕ y. Ceci relâche les conditions de MR comparé à SMR sur un point important : un événement de mouvement peut être caractérisé de MR si deux (sous-)parcours ont au moins un point en commun (c’est la condition de la tangente). Ceci permet des mouvements circulaires, des mouvements avec des arrêts, et des mouvements avec des allers et retours (i.e., mouvement ‘Echternach’). Mais cela exclut des mouvements dont le parcours n’est pas continu. MR est donc capable de séparer ein Buch lesen (lire un livre), de in einem Buch lesen (lire dans un livre), puisque cette dernière situation n’est pas caractérisée par MR. Cette différence entre les deux situations quant à MR permet aussi d’expliquer pourquoi on ne peut pas inférer de lire dans un livre → fertig-lire. Par implicature conversationnelle, lire dans un livre nie que le mouvement soit continu, et qu’il y ait MR. D’un autre côté, fertig-lire serait le dernier élément du parcours qui mène du début jusqu’à la fin du livre, et qui implique qu’il y ait à la base une MR. Fertig-lire lui-même semble devoir imposer une SMR sur le rôle θ (si quelqu’un fait une pause qui dépasse la granularité qu’on est prêt à attribuer à un événement de lecture, ou fait des aller-retours ou des mouvements circulaires, on n’est normalement pas disposé à affirmer que x est en train de fertig-lire un livre). 111 Ibid., p. 24 81 Mais alors se pose la question de savoir comment on pourrait expliquer de cette manière le fait que dans certaines circonstances, fertigV admet un point final arbitraire. C’est ce que nous allons examiner dans le chapitre suivant. 2.3.2. FertigV et le point F On avait vu auparavant que les accomplissements potentiellement préfixables par le préverbe fertig-, mais actuellement non préfixés, se distinguaient d’autres accomplissements dans des contextes comme (114) : 114. a.*Heute früh hat der Schneider meine Hose verlängert, aber sie ist immer noch mais ili est toujours encore Aujourd’hui tôt a le tailleur mon pantaloni allongé, gleich lang. pareil long. Ce matin, le tailleur a rallongé mon pantalon, mais il a encore la même longueur qu’avant. b. Heute früh hat Hans einen Apfel gegessen, aber soviel ich weiß ist er immer Aujourd’hui tôt a Hans une pomme mangé, mais autant je sais est il toujours noch nicht fertig. encore pas prêt. Tôt ce matin, Hans a mangé une pomme, mais, autant que je sache, il ne l’a toujours pas terminée. On avait également vu que ce même effet avait lieu dans des contextes linguistiques de la structure quand S1, S2, surtout si l’adverbe gerade était présent. J’avais laissé en suspens la question de savoir si gerade était capable de cacher les points I et F d’une situation - ce qui selon Smith (1991) fait la définition d’un aspect progressif - malgré les effets de sens semblant indiquer que gerade produise en allemand des effets comparables à ceux d’un progressif. Une des raisons pour cela était que gerade semblait ne rien ajouter ou bloquer dans ces contextes quant à la situation sous sa portée, mais plutôt empêcher l’établissement d’un certain ordre temporel entre les deux situations. L’autre raison est le comportement de gerade en liaison avec des verbes du type fertigV : 115. a. Als Hans hereingekommen ist [S1], hat Anna ihre Zigarette fertiggeraucht [S2]. Quand Hans entré est, a Anna sa cigarette FERTIGfumé. 82 Quand Hans est entré, Anna a fini/finissait de fumer sa cigarette b. Als Hans hereingekommen ist [S1], hat Anna gerade ihre Zigarette fertiggeraucht [S2]. Quand Hans entré est, a Anna tout-droit sa cigarette FERTIGfumé. Quand Hans est entré, Anna était en train de finir de fumer sa cigarette. En (115a), il serait possible que S1 soit proprement anterieur à S2 (S1 < S2), mais il y a aussi une deuxième interprétation, à savoir que IS2 < S1 < FS2. Il est impossible que S2 < S1, et nécessaire que S2 arrive à son seuil télique, car sans cette deuxième condition on ne pourrait pas affirmer que S2 a eu lieu. En (115b), l’interprétation fermée S1 < S2 est exclue par gerade, il ne reste que l’interprétation ouverte IS2 < S1 < FS2. Les deux conditions sur la constitution temporelle de (115a) s’appliquent cependant aussi à (115b), ce qui implique que si la description de fertigV en relation à V que j’avais donné plus haut (cf. (96b)) est correcte, gerade ne couvre en rien la vision sur les points I ou F de la situation fertigV. Il semble cependant possible que même fertigV n’implique pas toujours qu’on arrive au seuil télique de la situation, car dans un contexte au moins il semble être admissible d’avoir un schéma d’incidence avec un point F arbitraire : 116. a. Als Hans seine Zigarette fertiggeraucht hat [S1], hat ihn der Schlag getroffen [S2]. Quand Hans sa cigarette FERTIGfumé a, a le l’attaque rencontré. Quand Hans était en train de terminer sa cigarette [S1], il a eu une attaque [S2]. b. Als Hans seine Zigarette fertiggeraucht gehabt hat [S1], hat ihn der Schlag getroffen[S2]. Quand Hans sa cigarette FERTIGfumé eu a, a le l’attaque rencontré. Quand Hans avait fini de fumer sa cigarette [S1], il a eu une attaque [S2]. (116a) au Perf simple et (116b) au PerfSC ne sont clairement pas identiques en ce qui concerne la localisation temporelle relative des deux situations. En (116b), il est clair que S1 < S2, mais en (116a), la situation est moins évidente – S1 < S2 ne semble pas être le cas, puisque sinon, cette phrase serait équivalente à (116b), et comment S1 pourrait continuer pendant ou après que Hans subit une attaque ? (116a) a tout de même l’air grammatical et interprétable, même si Hans, à cause de son décès subit, n’arrive jamais à terminer sa cigarette. Superficiellement, cet exemple ressemble beaucoup à (104), mais il y a quand même une différence majeure : <besteigen (x,y)> (escalader (x,y)) sous la portée d’un aspect neutre ne semble pas impliquer que le seuil télique soit franchi, tandis que dans des circonstances ‘normales’ dans des constructions isolées, cela semble être le cas avec fertigV. Un autre fait remarquable de (116a) est que dans ce contexte il n’y a pas gerade, alors qu’on pourrait penser que pour ce genre d’interprétation, cet adverbe serait nécessaire. Mais ceci est probablement un problème d’un autre ordre, car l’acceptabilité gerade sous la portée 83 de als est assez restreinte, tandis qu’il peut avoir als dans sa portée sans difficultés. Ce fait me semble cependant être un indice supplémentaire en faveur de l’hypothèse que gerade à lui seul ne cache pas de partie d’une situation. On peut donc exclure l’idée que c’est gerade qui soit le principal élément responsable de cet effet de non-franchissement du seuil télique dans de tels contextes. Et comme il semble que partout ailleurs une combinaison entre Perf et fertigV ait comme effet de sens d’impliquer que le point F de la situation a été franchi, il me semble préférable de ne pas réduire cette implication à une implicature, mais d’essayer de trouver dans les constituants de (116a) un élément qui pourrait avoir causé le non-accomplissement de la situation. Si l’on compare (104) et (116a), le candidat le plus prometteur pour être identifié à cet élément est als. Dans les deux cas, il y a la configuration classique d’un schéma d’incidence, où une situation1 [+DUR, +TEL] est interrompue par une situation2 [-DUR, +TEL]. J’avais affirmé auparavant qu’il n’est pas possible de revenir sur une assertion faite au Perf, même dans une interprétation ouverte ; mais il semble qu’ici des conditions pragmatiques empêchent la fin de la première situation : dans les deux exemples, l’agent de la situation1 est physiquement éliminé par le changement d’état qui survient dans la situation2, de sorte qu’il devient impossible pour cet agent de poursuivre son action. Ceci n’explique cependant pas pourquoi il est possible d’employer FERTIGfumer dans (116a), et pourquoi il n’est pas obligatoire de dire plutôt : 117. Als Hans seine Zigarette geraucht hat, hat ihn der Schlag getroffen. Quand Hans sa cigarette fumé a, a le l’attaque rencontré. Quand Hans fumait sa cigarette, il a eu une attaque. Quand on la compare à (116b) et (117), on voit clairement en quoi (116a) se distingue des autres deux exemples : En (116a), Hans n’a pas été frappé par l’attaque après avoir terminé sa cigarette (comme dans (116b)), ni à un moment quelconque qui faisait partie des moments pendants lesquels il fumait cette cigarette (comme dans (117)) : pour donner un équivalent français à (116a), il faudrait la traduire par Jean était sur le point de terminer la cigarette quand etc. ou par Jean était en train de terminer la cigarette quand etc. FertigV ne se comporte donc plus comme une phase finale de V, qui doit contenir obligatoirement le point FV, mais comme n’importe quel accomplissement sous la portée d’un aspect neutre, et qui n’implique plus que le seuil télique de la situation ait été franchi. Cela suggère très fortement que i) fertigV est un accomplissement avec des étapes intérieures entre I et F et ii) qu’il faut compter avec quelque chose qu’on pourrait appeler un intervalle minimal 84 ou atomique pendant lequel il est pertinent d’affirmer que V a lieu, et en dessous duquel on ne peut pas l’affirmer. S’il est possible de dire fertigV en (116a), c’est parce que le début du dernier intervalle minimal a été franchi (et il semble que, pour als, ce soit le début de l’intervalle qui est pertinent), de sorte qu’on peut affirmer qu’on se trouve dans la dernier phase de V, sans pour autant affirmer dans cette configuration que l’argument interne de V ait jamais franchi le seuil télique grâce à l’action de l’agent. J’espère avoir montré dans cette partie de mon travail qu’une utilisation du Perf en tant que prétérit correspond globalement à la description de l’aspect neutre que donne Smith : il y a une ambiguïté systématique des situations [+DUR] entre une lecture ouverte et une lecture fermée, et le choix entre ces deux interprétations est dû à des facteurs pragmatiques. Mais, comme on a vu dans l’exemple (85) dans le chapitre sur gerade, il semble possible que l’aspect neutre en allemand rende visible la phase préparatoire d’une situation, contrairement aux prédictions de Smith. En outre, j’ai essayé de montrer qu’il y a une ambiguïté de la forme Perf, entre une lecture en tant que prétérit (temps du passé à l’aspect neutre) et en tant que parfait (temps du présent à l’aspect rétrospectif). Ce contraste entre une forme neutre et un temps grammatical correspondant au même niveau temporel, mais à l’aspect rétrospectif, semble être une caractéristique généralisée du système verbal de l’indicatif en allemand (au moins de celui des régions méridionales) : Neutre Rétrospectif Perf PerfSC Présent Präsens Perf Futur112 Futur simple Futur antérieur Passé Il n’y a apparemment pas d’aspect imperfectif dans le sens de Smith (la fonction de gerade n’y correspond pas), mais par contre le système de modification des Aktionsarten 112 Il est fort possible que le futur n’appartienne pas au temps de l’indicatif, mais soit plutôt un mode. Cette question dépasse cependant largement le cadre de cette étude. 85 semble être plus développé en allemand qu’en français, ce qui pourrait constituer une espèce de compensation. Dans les temps du passé du système verbal français, il n’y a apparemment pas de temps qui ait l’aspect neutre, tout de moins selon l’avis de Smith. Le PC est perfectif, et la tradition grammaticale attribue à l’IMP l’aspect imperfectif, comme le dit déjà son nom. Je propose donc de regarder maintenant la situation en français. 86 3.L’imparfait français (IMP) Dans le système temporel du français contemporain, il y a, contrairement à ce qu’on avait vu pour l’allemand méridional, une opposition dans les temps du passé entre l’IMP et le PC/PS, qu’on traite le plus souvent comme opposition aspectuelle. Selon Co Vet, le système temporel français se compose de deux sous-systèmes, qui sont tous les deux centrés autour d’un moment privilégié qu’il appelle point de référence centrale (rx)113 : S rx PC PR FUT rx PQP IMP FUTP Le premier rx est le moment d’énonciation (rx = S = TU), dont le temps correspondant sur le premier niveau serait le présent. Il existerait dans le système temporel français un deuxième point de référence centrale dont la seule condition serait d’être proprement antérieur au moment de l’énonciation (rx < TU). Le temps grammatical qui marquerait ce deuxième rx serait l’IMP. L’idée de base pourrait être un fait d’ordre morphologique, à savoir que dans le premier sous-système centré autour de TU, les auxiliaires sont conjugués au présent (pour le futur, le morphème était historiquement un auxiliaire qui s’est agglutiné depuis), et que dans le deuxième sous-système, les auxiliaires sont conjugués à l’IMP. Mais on verra par la suite que la distinction entre ces deux niveaux peut aussi être motivée par la sémantique de l’IMP et du présent. Je me fonderai pour ce qui suit essentiellement sur la description de l’IMP de Carlota Smith. Elle soutient que l'IMP a l’aspect imperfectif, et lui assigne le schéma suivant : a. Statement of the Imparfait ....F / / 113 Cf. Co VET (1980) : Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. Essai de sémantique formelle. Genève : Droz. p. 32. Le diagramme est une version simplifiée qui n’inclut pas tous les temps grammaticaux du français. 87 b. The imperfective focusses a moment or interval of a situation S that includes neither the initial nor final endpoints of the situation.114 Pour les achèvements, IMP focalise selon elle la phase préparatoire. Dans le cas des semelfactifs, il y a un changement d’interprétation, un effet de coercion, de sorte qu’on reçoit ou bien une activité à répétition ou une situation habituelle115. Elle essaie de prouver que le point initial d’une situation marquée par IMP n’est pas visible par l’exemple suivant : 118. Quand l’oncle Jean a frappé à sa porte à minuit, Chantal lisait. Comme la proposition subordonnée est perfective, et permet de voir le point initial et le point final de la situation, il devrait être possible d’avoir une interprétation en tant que séquence, si on voyait le point I de la proposition principale. Or, ce n’est pas le cas. L’IMP doit donc masquer le point I116. Elle remarque que l’IMP est le seul temps du passé qui accepte « the full range of shifted deixis117 », notamment le style indirect libre ; des phénomènes comme l’imparfait de rupture, ou la fonction de caractérisation relevée par Ducrot, sont mis dans les « conventions of use », c’est-à-dire qu’il s’agit de conventions et contraintes d’ordre pragmatique, et non pas tellement d’une valeur sémantique première de cette forme. Avant de discuter cela plus en détail, je voudrais m’attarder pour un moment sur l’argumentation de Smith concernant l’aspect neutre du présent français. Elle relève que le présent ne donne pas toujours lieu à des interprétations ouvertes, mais qu’il sert aussi pour exprimer le performatif et d’autres situations fermées. Elle termine sa démonstration comme suit : In the context of temporal conjunctions the Présent allows a closed interpretation. I demonstrate such closed interpretations with quand (when). Quand allows open or closed readings; but imperfective viewpoints only lead to the former, as [Quand l’oncle Jean etc., cf. l’exemple (118) ci-dessus] illustrates. I construct a temporal conjuction where the main clause is Présent and refers to a situation that might be sequential or simultaneous with that of the subordinate clause. I use a habitual action stative since the present tense does not neutrally allow closed readings. Consider the interpretation [of the following sentence]: Marie sourit toujours quand Paul arrive à la maison. 114 Carlota S. SMITH (1991) : The Parameter of Aspect. Dordrecht: Kluwer. p. 262 Ibid., p. 259s. 116 Ibid., p. 259s. 117 Ibid., p. 269. 115 88 The closed reading is not only possible, but more natural than the open reading. This shows that the viewpoint of the Présent cannot be imperfective, because imperfectives allow only an open reading with quand.118 Le problème est qu’on retrouve exactement le même phénomène à l’IMP, avec des situations habituelles. Soient Marie et Jean, couple malheureux dont la vie de tous les jours est illustrée par les phrases suivantes : 119. Jour après jour, quand Jean sortait, Marie allumait une cigarette et profitait pendant un instant de l’appartement qui était alors à elle seule. Puis elle sortait elle aussi pour aller travailler. Quand Jean revenait le soir, l’odeur de la fumée froide le dégoûtait. Mais lorsqu’il s’en plaignait, Marie ne faisait qu’hausser les épaules. Marie souriait seulement quand Paul arrivait à la maison. En soi, ceci n’est pas encore une réfutation du fait que IMP soit imperfectif, car on pourrait à mon avis aussi y voir un effet de coercion qui agit sur les situations (suivant approximativement le modèle que propose Vet119) : ce qui serait alors couvert par le contour aspectuel imperfectif ne serait pas le point I des situations <sourire(marie)> et <arriver(paul)>, mais la première et la dernière occurrence de l’événement <sourire(marie) quand arriver(paul)> dans une longue série d’événements identiques. Mais pour cela il faudrait que l’IMP prenne en même temps une réunion des deux situations sous sa portée, ce qui me semble une hypothèse peu plausible : Il faudrait qu’on aboutisse à quelque chose qui changerait dans un tel contexte la configuration IMP [s1] IMP [s2] – qui devrait nécessairement produire une incidence selon la prédiction de Smith– en IMP [s1 , s2], ce qui pourrait alors aussi donner lieu à une séquence. L’exemple (119) ne prouve pas non plus que le Présent120 ne soit pas aspectuellement neutre, car on peut trouver des exemples de séquences avec quand au PRES : 120. Quand Napoléon se fait couronner empereur, l’empereur germanique se fâche sérieusement et lui déclare la guerre. Il est vrai qu’on ne trouve pas de tels exemples, qui correspondraient à un présent historique, pour l’IMP – pas même avec un IMP de rupture – qui marcheraient hors contexte et qui produiraient le même effet. Mais ce qui me semble être important ici, c’est le fait que le 118 Ibid., p. 264. Co VET (2002) : “Les adverbes de temps : décomposition lexicale et « coercion »” in : Brenda LACA (éd., 2002) : Temps et aspect. De la morphologie à l’interprétation. Saint-Denis : PUV. pp. 189ss. Vet ne traite pas d’exemples tels que je les ai proposés ici, et il est possible qu’il récuserait l’explication que je viens d’esquisser. 120 Pour le Présent français, j’écrirai d’ici PRES. 119 89 présent historique est une utilisation conventionnelle, autant que l’IMP de rupture. On se trouve donc devant la même impasse qu’avant : l’IMP partage de nombreuses caractéristiques avec le PRES, qui est néanmoins censé avoir des propriétés aspectuelles différentes. Les positions du présent et de IMP sont cependant différentes en ce qui concerne le contexte dans le paradigme grammatical : tandis que l’IMP s’oppose à PC et/ou PS, qui sont aspectuellement perfectifs, dans le domaine du PRES on ne trouve que des expressions périphrastiques (i.e., être en train de, venir de, etc.) – qui existent aussi au passé. Les effets de polarisation qui agissent sur ces deux temps grammaticaux pourraient donc être assez différents, même si les valeurs aspectuels de base étaient les mêmes. Je propose donc un aperçu de l’IMP de rupture, qui pourrait fournir des indices pour l’hypothèse qu’on doive attribuer l’aspect neutre à l’IMP. Je considérerai l’IMP de rupture comme une utilisation standard de l’IMP, et non pas comme une exception. 3.1. IMP de rupture L’IMP de rupture, comme l’a montré Tasmowski121, possède des caractéristiques qu’on attribue habituellement à un PS, ou à un temps à l’aspect perfectif plus généralement parlant. Il fait progresser le récit, présente une situation comme réalisée, comme événement à occurrence unique, et permet même d’avoir une interprétation inchoative pour des états : 121. Le soir même, l’ayant suivie, il pénétrait derrière elle dans un coquet petit magasin, savait ainsi qu’elle était la fleuriste du bord et lui commandait un bouquet d’œillets122. Tasmowski souligne le fait que l’interprétation d’un IMP comme IMP de rupture dépend d’un adverbe en position initiale de la phrase, qui introduit un nouveau moment temporel dans le texte123. Elle affirme qu’avec IMP on renvoie à des situations liées par un point de référence, même implicite, s’il peut être reconstitué à partir de connaissances communes ou par des déductions du contexte. Elle indique plus spécifiquement trois façons de récupérer un tel point de référence qui n’est pas lexicalement donné124 : 121 Liliane TASMOWSKI-DE RYCK (1985) : “L’imparfait avec et sans rupture“, in : Langue française 67, p. 59-77. 122 Ibid., p. 61. 123 Ibid., p. 63. 124 Ibid., pp. 70s. 90 a) Un élément du contexte, par exemple un bruit bizarre, sert de déclencheur immédiat, qui est suivi d’une explication : Oh rien, il fermait la porte. b) L’association d’un actant à une situation déclenche l’activation d’un point de référence (PRéf). Un certain personnage peut être associé à un certain type de situation, par l’énoncé même de son nom. Tasmowski donne les exemples suivants, qui sont des nouvelles rapportées à un ami : #Quelqu’un dévoilait à Paul que tu écris un nouveau livre. 125 #Un pauvre type écrivait à Paul que tu as renoncé à ton projet. Le laitier me disait que tu lui dois encore 100 F. c) Un lien de cause à effet peut déclencher l’activation d’un point de référence. Si on n’observe que les conséquences d’une situation passée, le PC est préféré. Si en revanche on peut reconstruire le moment spécifique où cette situation a causé le résultat observé, on peut utiliser aussi bien l’IMP que le PC. - Tiens, il a plu. [le goudron est humide] Tiens, il pleuvait126. Il me semble que le cas a) n’est au fond qu’une version spécifique de c), puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une relation causale, la seule différence étant que dans a), on connaît et a observé le moment spécifique du déclenchement, tandis que dans c), il s’agit d’une inférence. Pour b), son explication est me paraît moins satisfaisante. Il me semble que, dans ces exemples, il y a un élément essentiel autre que la relation d’un actant à une situation, à savoir le verbe de la phrase. 122. a. Le laitier me disait que tu as acheté une nouvelle voiture. b. ? Le laitier me dévoilait que tu lui dois encore 3 €. c. Le laitier me disait que tu lui dois encore 3 €. d. ? Le laitier écrivait à Paul que tu as renoncé à ton projet. Si l’association de l’actant à la situation était la cause unique pour l’acceptabilité des phrases, (122b) devrait être meilleur que (122a) ; or il ne semble pas que cela soit le cas. Quel 125 # signifie selon la convention de Tasmowski que je suis ici que dans ce contexte, le choix du temps n’est pas adéquat. 126 Pour l’IMP, Tasmowski construit le contexte suivant : on sait que Paul est parti à la mer faire de la planche à voile, activité qui tombe à l’eau quand il pleut, et on voit que Paul rentre avant l’heure : Tiens, il pleuvait ! 91 que soit le sujet, dire passe sensiblement mieux que dévoiler ou écrire ; le contenu de la proposition enchâssée ne semble par contre pas jouer un rôle important, ni la concordance des temps d’ailleurs, qui n’est revendiqué que très rarement. L’élément responsable pour l’acceptabilité ne peut pas non plus être l’Aktionsart du verbe dans la principale, puisque alors, écrire devrait passer avec la même facilité que dire ; de plus, dire que, écrire que et dévoiler que sont tous les trois téliques, la seule différence étant que dévoiler est plutôt un achèvement qu’un accomplissement. Les raisons pour ce comportement m’échappent cependant pour l’instant. Un fait remarquable dans les exemples du type (122) est qu’il ne semble pas être adéquat d’enchaîner, dans la conversation qui suit à une telle phrase, sur le sujet de la principale, en notre cas, le laitier. Cela suggère que l’IMP a quelque chose à voir dans la constitution de la structure informationnelle d’une phrase, sans qu’il soit nécessaire, à mon avis, de recourir à une distinction entre un arrière plan (à laquelle on n’a peut-être pas toujours accès) et un premier plan d’une narration127. Tasmowski mentionne aussi dans le cours de son exposé l’exemple de Kamp et Rohrer : 123. Jean tourna l’interrupteur [S1]. La lumière éclatante l’éblouissait [S2].128 qui selon elle constitue un vrai cas limite d’ IMP de rupture : il ne semble pas y avoir de point de référence lexicalisé. Tasmowski critique cependant l’explication de Kamp et Rohrer : selon eux, la phrase au PS [S1] instaure un nouvel état de choses dans la DRS, qui durera un certain temps. La phrase à l’IMP [S2] contient un état de choses qui pourrait répondre aux critères requis par ce changement d’état provoqué par la situation télique [S1].129 Elle remarque qu’un exemple comme 124. #Jean tomba raide mort. Sa femme appelait à l’aide. ne semble pas être acceptable, alors qu’il devrait satisfaire la même contrainte sémantique. 127 Cf. Harald WEINRICH (1986) : Grammaire textuelle du français. Paris : Alliance Française. Comme le mentionne Tasmowski, hors contexte, on pense que Jean a tourné l’interrupteur parce que la lumière l’éblouissait. Dans un contexte spécifique, on peut cependant obtenir une coercion qui place S2 après S1 : Jean entra dans l’immeuble par la porte arrière. Il faisait noir à l’intérieur, Jean n’était pas capable de distinguer quoi que ce soit. Il avança lentement et en tâtonnant le long du mur, jusqu’à ce qu’il touche un objet en plastique. Voilà ce qu’il avait cherché, enfin il verrait quelque chose. Jean tourna l’interrupteur. La lumière éclatante l’éblouissait. 129 Tasmowski (1985), p. 67s. 128 92 (123) est particulier pour deux raisons : en S1, il y a une situation télique qui ne permet pas que S2, qui est à l’IMP, se place autour de S1, ce qui est selon la DRT l’agencement standard de l’IMP et du PS : S1 ⊂ S2. En même temps, la situation télique S1 est indéterminée quant à la direction du changement d’état : hors contexte, cela peut aussi bien être un changement d’un état de lumière à non-lumière qu’à l’envers. À partir de (123) tout seul, on ne peut pas le savoir. Et apparemment, il est pragmatiquement plus facile de motiver l’action en S1 à partir de S2 en créant une espèce de motivation causale, qu’à l’envers. On peut cependant construire une configuration dans laquelle une séquence avec l’IMP semble exclue (cf. (125)) et un PS est requis pour [S2] (cf. (126)) : 125. ??Jean tourna l’interrupteur, et la lumière éclatante l’éblouissait.130 126. Jean tourna l’interrupteur, et la lumière éclatante l’éblouit. Ce phénomène semble relier l’IMP de rupture (ou plutôt son impossibilité) à une autre utilisation de l’IMP qu’on traite des fois de modale, et où l’emploi d’un et est facultatif : 127. Un pas de plus, (et) tout sautait. 131 Comme le remarque Tasmowski, cet IMP de situation non réalisée se distingue de l’IMP de rupture par un détachement plus prononcé du circonstant132. Comparons d’abord les phrases suivantes : 128. [Jean était le technicien le plus nul de la SNCF. À 8 heures, il a réparé l’aiguillage.] a. Un instant plus tard, le train de Lyon déraillait. b. Un instant plus tard, et le train de Lyon déraillait. En (128a), mes informateurs pensaient que le train avait déraillé et qu’il s’agissait d’un IMP de rupture ; (128b) semble impliquer toujours que le train n’a pas déraillé. Je crois qu’on peut esquisser une explication à ce problème en s’appuyant sur la distinction de Ducrot133 entre les fonctions thématique et rhématique des adverbes de temps, selon son exemple : 129. a. Jean travaille la nuit. 130 J’ai eu des contestations à ce sujet : pour certains locuteurs, (125) semble être aussi acceptable (ou peu acceptable) que (123). Que (126) soit meilleure que (125) paraît cependant assuré. 131 Exemple tiré de Pierre LE GOFFIC (1986) : “Que l’imparfait n’est pas un temps du passé”, in id. (1986, éd.) : Points de vue sur l’imparfait. Caen. p. 67. 132 Cf. Tasmowski (1985), p. 61 (en note). 133 Oswald DUCROT (1979) : “L’imparfait en français”, in Linguistische Berichte 60, pp. 1-24. 93 b. La nuit, Jean travaille. Il explique que dans (129b), la nuit est toujours le thème de la phrase, tandis que dans (129a), cette indication temporelle peut aussi bien concerner le propos (le rhème) de l’énoncé134. L’antéposition conditionne le fonctionnement comme thème dans l’énoncé. On pourrait formaliser très approximativement les conditions de vérité de ces deux phrases tel que les donne Ducrot comme suit, car de tels changements dans la structure informationnelle affectent aussi les conditions de vérité : 130. a. Gn s t [travailler(s) ∧ Agent(j, s) ∧ at (s,t)] [travailler(j,s) ∧ at (s,nuit)] b. Gn s [C(j,s) ∧ at (s,nuit)] [travailler(j,s) ∧ at (s,nuit)] (130a), qui donne les conditions de vérité pour (129a), asserte qu’en général - pour des situations s et des temps t - des situations qui sont des situations de travail et dont l’agent est Jean et qui ont lieu à t sont des situation où Jean travaille et qui ont lieu la nuit. (130b), qui donne les conditions de vérité pour (129b) – et pour une lecture thématique de l’indication temporelle en (129a) – asserte qu’en général des situations dans lesquels Jean est impliqué et qui se passent la nuit sont des situations dans lesquels Jean travaille la nuit135. Si on regarde le fonctionnement de un instant plus tard dans la structure logique de (128), on peut obtenir les paraphrases suivantes : 131. a. Si Jean avait réparé l’aiguillage un instant plus tard, le train aurait déraillé. b. Jean a réparé l’aiguillage. Le train a déraillé un instant plus tard. (131a) correspond à une interprétation de (128) comme IMP de situation non-réalisée, tandis que (131b) correspond à une interprétation comme IMP de rupture. On voit bien que la place de l’adverbe temporelle change de phrase. Ce que la conjonction et semble faire, c’est installer une barrière syntaxique et bloquer l’accès de l’indication temporelle à la deuxième phrase, ce qui rend impossible (ou plutôt : difficile ?) l’identification de un instant plus tard comme thème du deuxième énoncé. Et le renvoie donc comme propos au premier énoncé. Cela n’explique pas pourquoi l’IMP est interprété dans ce cas comme non réalisé et focalisant la phase préparatoire ; mais cela indique pourquoi dans de tels contextes le et est ressenti comme étrange : il manque alors un support linguistique pour le point de référence du IMP de rupture. 134 135 Ibid., p. 4. Pour une explication de ce genre de formalisation cf. plus bas, dans la section « Aspect et quantification ». 94 Même si dans un tel contexte on voit ce que fait et, il est difficile de déterminer ce qui arrive dans (125), où il n’y avait pas d’adverbe temporel qui aurait pu changer de place ou de fonction. Il n’y a pas de thème net dans la phrase qui se comporterait envers son propos tel que Ducrot le décrit : Lorsqu’un énoncé est à l’imparfait, l’état ou l’événement constituant son propos sont présentés comme des propriétés, comme des caractéristiques du thème, et qualifient celui-ci dans sa totalité.136 Il est vrai que la lumière éclatante serait peut-être en position de jouer ce rôle de thème, mais cela n’explique pas pourquoi il y a séquence, quand le contexte le demande, et pourquoi dans des phrases comme (124) le même procédé ne fonctionne pas. Si on essaie de rester dans le cadre proposé par Ducrot et si on regarde quel pourrait être le thème de (123), on a affaire à la configuration suivante : le thème serait la lumière, le propos l’éblouissait. La lumière n’est pas un thème temporel, bien entendu. Mais ce thème (la lumière) a des implications temporelles, c’est-à-dire qu’elle doit être ou bien antérieure ou bien postérieure au moment ti, qui est le moment de l’événement e <tourner (jean, l’interrupteur)>. Car notre connaissance du monde interdit la façon ‘normale’ selon la DRT d’aligner l’état s <éblouir (lumière, jean)> autour de ti. Il y a donc anomalie, et coercion ensuite, peu importe qu’on fasse précéder ou suivre s à ti. Suivant Partee et Tasmowski, une façon de se débarrasser de ce conflit serait alors d’assigner à lumière non seulement un marqueur d’agent dans l’univers de la DRS, mais aussi un moment tl < ti, ce qui semble être l’interprétation la plus aisée (si le contexte ne la dément pas), ou tl > ti, si le contexte le demande, autour duquel s s’arrange comme le prévoit la DRT. Vet explique cette problématique de façon plus élégante par la notion de ‘setting’137. Un passé simple transformationnel (i.e., télique) instaurerait un nouveau setting, et une situation à IMP peut être incompatible ou bien avec le premier ou le second setting. Il discute l’exemple suivant : 132. Jean alluma une cigarette (e1). La fièvre donnait au tabac un goût de miel (s1). S1 S1’= e1 S2 __________________///////////////______________ ¬ allumé (c) allumer(J,c) allumé(c) 136 Ibid., p. 6. Co VET (1991) : “The Temporal Structure of Discourse: Setting, Change, and Perspective“, in Suzanne FLEISCHMAN/Linda R. VAUGH (1991, éds.) : Discourse Pragmatics and the Verb. London: Routledge. pp. 725. 137 95 (où c : cigarette ; J : Jean)138 Comme s1 ne peut pas appartenir à S1, car la cigarette n’y est pas encore allumée, elle doit appartenir nécessairement à S2. Donc il y a séquence. Mais même si (132) peut paraître plus extrême que (123) dans l’utilisation de l’IMP de rupture, il me semble que cela n’est pas le cas ; on peut expliquer sa présence par un shift de perception, vers la perception de Jean, comme l’a esquissé Tasmowski139. On a donc vu, en comparant l’IMP de rupture avec l’IMP de situation non-réalisée, que l’IMP de rupture est un IMP tout à fait régulier, qui obéit aux mêmes contraintes qu’un IMP ‘normal’. Ceci implique également qu’on ne peut pas tirer de l’existence de l’IMP de rupture des arguments concernant une éventuelle aspectualité neutre de l’IMP. Les effets de polarisation (s’ils existent) restent en place dans un tel contexte. Ce qu’on peut cependant constater est que la périphrase être en train de (assimilé par Smith à l’aspect progressif) ne semble pas être capable de produire quelque chose comme un ‘progressif de rupture’ : 133. Jean tourna l’interrupteur. #La lumière éclatante était en train de l’éblouir.140 Une interprétation du type séquence ne semble pas être possible dans cette configuration, même dans un contexte qui permet cette interprétation séquence avec un IMP. Cela aussi pourrait être un effet de polarisation, mais met quand même en cause la thèse de Smith selon laquelle l’IMP et le progressif ont à la base le même comportement aspectuel, avec la seule différence dans les restrictions de sélection sur les situations auxquelles ils peuvent s’appliquer. Somme toute, l’IMP est encore assez loin d’un prétérit germanique, qui est capable d’assumer la charge d’une narration à lui seul, même s’il est très fortement répandu à certains points de textes narratifs. 138 Ibid., p. 19s. Tasmowski (1985), p. 75. 140 Dans (133), être en train de est exclu déjà à cause de l’Aktionsart de éblouir, qui est un état transitoire. Mais il est facile d’essayer de remplacer d’un IMP de rupture dans n’importe quel autre exemple par un progressif, et le résultat ne sera pas acceptable, cf., à titre d’exemple, (121), où j’ai remplacé toutes les occurrences d’IMP par la périphrase être en train de : 139 ###Le soir même, l’ayant suivie, il était en train de pénétrer derrière elle dans un coquet petit magasin, était en train de savoir ainsi qu’elle était en train d’être la fleuriste du bord et était en train de lui commander un bouquet d’œillets. 96 3.2. IMP et Présent (PRES) On a vu plus haut que IMP et PRES partagent la caractéristique d’admettre, dans des contextes habituels et/ou itératifs, aussi bien des interprétations ouvertes que des interprétations fermées. D’autres indices suggèrent une certaine parenté entre ces deux temps grammaticaux : la substitution de PRES par IMP dans le discours indirect mis au passé, de même que dans la phrase conditionnelle (banale règle de substitution dans la cadre de la concordance des temps ?). Tous les deux peuvent exprimer des situations habituelles. Est-il alors justifié de leur attribuer deux valeurs aspectuelles différentes ? Et si la réponse est négative, devra-t-on retenir l’aspect neutre ou l’aspect imperfectif pour les deux ? L’IMP peut focaliser la phase préparatoire d’une situation, surtout d’un achèvement, et focaliser uniquement cette phase préparatoire, sans la transition télique (sauf pour l’IMP de rupture). Il n’est en revanche pas sûr que le PRES puisse focaliser la phase préparatoire, et il ne semble pas possible qu’il la focalise uniquement, en excluant la transition. Comme l’a montré Smith, (134a) ne pose pas de problème (sauf peut-être pragmatiquement), tandis que (134b) produit une contradiction logique : 134. a. Jean se noyait, mais il ne se noya pas. b. *Jean arrive, mais il n’arrive pas. Mais on peut se demander si ce test est très significatif. Si on traduit (134b) en logique des propositions, on obtient (p ∧ ¬p) (ce qui n’est pas le cas pour (134a)). Cette formule doit donner lieu à des contradictions logiques dans toutes les langues du monde (naturelles ou formelles) dans n’importe quelle configuration141. 141 La règle de la contradiction stipule que ¬(p ∧ ¬p). Pour que (p ∧ ¬p) soit vrai, il faudrait, selon les conditions de vérité de la conjonction, qu’aussi bien p que ¬p soient vrais. Or, si p est vrai, alors ¬p est faux, et vice-versa. (p ∧ ¬p) est donc toujours faux, ce qui fait que ¬(p ∧ ¬p) est toujours vrai. Il me semble, d’après les explications que donne Robert MARTIN (19922) : Pour une logique du sens. Paris : PUF. pp. 162ss., que ce qu’il appelle une lecture sélective implicite dans le cadre d’une négation ait toujours besoin d’un support lexical ou grammatical, aussi minime qu’il soit, par exemple : Un médecin n’est jamais un vrai médecin. C’est un chercheur qui expérimente sur ses malades. [ibid., p. 165 ; je souligne] ??/*Un médecin n’est jamais un médicin. Dans le cas des phrases potentiellement ambiguës (comme le serait peut-être de même l’exemple (134b) cidessus), il ne semble pas non plus que ce soit sur l’ambiguïté que la négation joue a priori, sauf si cela est rendu explicite (par quelque moyen que ce soit, intonation, lexique, etc.) : *Tous les étudiants parlent deux langues étrangères, mais ils ne parlent pas deux langues étrangères. 97 Dans une autre configuration, et si on évite cette contradiction directe, il semble très bien possible que le PRES focalise une phase préparatoire : 135. a. *Jean se noie, mais il ne se noie pas. b. – Jean se noie, aidez-le ! Le maître-nageur accourt pour le sauver. Ouf ! Il est hors danger.142 Il est de même possible d’imaginer une conversation au portable, entre une personne dans le métro qui est entre un arrêt et sa destination finale, donc qui n’est pas encore arrivée, et un interlocuteur quelconque : 136. – Tu es où là ? – J’arrive à Chatelêt.143/Je suis en train d’arriver à C./ Je vais arriver à C. Comme PRES est compatible avec n’importe quel localisation temporelle144, on ne peut pas exclure que dans (136), il s’agisse d’un phénomène analogue à Jean arrive demain, et où on ne peut pas non plus affirmer exactement s’il faut étendre le domaine de TU jusqu’à inclure T-SIT = demain, ou si c’est plutôt la phase préparatoire qui est focalisée. En plus, l’exemple (136) obéit à une indication standard pour un PRES pro futuro : Dans le contexte que j’avais donné, il est pratiquement à 100% sûr et donc très facilement prédictible que l’événement en question aura lieu. Le fait qu’on ressent les trois possibilités de réponse que j’ai donné dans (136) comme équivalents, en ce qui concerne l’adéquation au contexte, ne semble pas non plus aider à décider si PRES correspond dans ce contexte-là plutôt à la périphrase progressive ou au futur proche (qui est en somme un vrai temps du futur). Mais si l’utilisation du futur proche correspond ici à celle dans Il va être midi, la périphrase progressive et le futur proche auraient en commun de focaliser la phase préparatoire. De toute manière, quoi qu’on pense de (136), (135b) est un exemple très clair que le PRES est capable de focaliser une phase préparatoire. On aurait alors tendance à attribuer à PRES, comme à IMP, l’aspect imperfectif, puisqu’on a vu que ou bien le fait de permettre à la fois des interprétations ouvertes et fermées Tous les étudiants parlent deux langues étrangères, mais ils ne parlent pas tous les mêmes. Exemple d’Odile de Vismes (c.p.) 143 J’avais spécifié dans le contexte que je donnais à mes informateurs qu’il n’y avait pas de rendez-vous entre les deux personnes, ni de retard, ni d’autre obligation sociale qui pourrait inciter à une situation de conversation où j’arrive n’aurait qu’une valeur commissive : Jean ! – J’arrive ! – Tu dis ça depuis cinq minutes, dépêche-toi donc ! 144 C’est-à-dire que les phrases suivantes sont toutes (grammaticalement) acceptables : En 1993, Jacques Chirac dépense une fortune pour les fruits et légumes. (passé) Aujourd’hui, Jacques Chirac dépense une fortune pour les fruits et légumes. (présent) En 2007, Jacques Chirac dépense une fortune pour les fruits et légumes. (futur) 142 98 n’est en lui-même pas un critère suffisant pour distinguer un aspect imperfectif d’un aspect neutre, ou bien la description de Smith de l’aspect neutre (en ce qui concerne l’impossibilité de focaliser une phase préparatoire) n’est pas entièrement correcte. Mais regardé sous un autre angle, il est assez peu probable d’attribuer à PRES un point de vue imperfectif, puisque c’est PRES qui est utilisé pour un certain nombre d’utilisations marquées et fermées, à savoir les performatifs (137), l’annonce d’un achèvement mental (138)145 ou les reportages sportifs (139)146 : 137. a. Je vous condamne à trois mois de prison ferme. b. Je te promets qu’on va regarder ce film. 138. a. Je vois la lune. b. Je comprends votre problème. 139. Zidane court… personne n’essaie de lui disputer la balle, il tire… et manque le but de justesse. Tandis que (137) et (138) ne peuvent pas être transférés aussi facilement au passé, compte tenu de leur statut énonciatif particulier, (139) peut très bien être rapportée au passé, et alors, l’IMP peut être retenu : 140. À une trentaine de kilomètres de l’arrivée, cinq coureurs parvenaient à fausser compagnie au peloton, P.B., H.K., R.F., Y.F. et G.M.. Une erreur de parcours brisait l’élan des cinq fugitifs. Ils étaient rejoints à 5 km. de l’arrivée. F. repartait seul pour gagner avec 24 secondes d’avance. (Le Soir 18/6/84)147 Pourquoi les reporters sportifs choisissent-ils ici l’IMP au lieu du PS ou du PC, en renonçant aux différenciations que permettrait le choix entre un point de vue perfectif et un imperfectif/neutre ? L’explication que donne Tasmowski148 me paraît être parfaitement juste : ce n’est pas le narrateur qui fait progresser les événements et le point de référence narratif, il y a progression parce que les choses bougent, le point de référence semble bouger de lui-même sans contrôle d’un narrateur et le reporter ne fait que suivre ce mouvement. Il semble donc que l’IMP se comporte envers son point de référence qui est antérieur à TU exactement de la même façon que PRES se comporte envers TU. Cette similitude suggère de nouveau fortement qu’il serait préférable d’attribuer à PRES et à IMP la même valeur aspectuelle. 145 Ces situations ont la particularité, discutée par Zeno VENDLER (1957) : “Verbs and Times”, in The Philosophical Review N°6, avril 1957, pp. 156ss., que dès que je peux affirmer que je peux voir X, je peux aussi raisonnablement affirmer que j’ai vu X, tandis qu’il serait assez bizarre de dire que je peux voir X, et que j’affirme en même temps que je ne le vois pas, ou que je peux comprendre un certain problème, mais que je ne le comprends en effet pas. 146 Cf. Smith (1991), pp. 153ss. 147 Cité d’après Tasmowski (1985), p. 72. 148 Ibid., p. 73. 99 Cet ancrage de IMP dans la conscience d’un commentateur (ou énonciateur l, selon Ducrot, contrairement au locuteur L) n’est pas seulement exploité dans les exemples que cite Tasmowski, mais aussi pour obtenir les différences d’interprétation entre les phrases suivantes : 141. a. Jean a dit (tout à l’heure) que Marie était enceinte. Jean a dit (hier) que Marie quittait/quitterait la ville. b. Jean a dit (tout à l’heure) que Marie est enceinte. Jean a dit (hier) que Marie quitte/quittera la ville. Avec l’IMP dans la subordonnée (141a), l’information est en principe à charge de l (Jean en ce cas-là), tandis que dans (141b), avec PRES dans la subordonnée, la véracité de l’information est à charge unique de L. Le raisonnement que j’ai conduit jusqu’ici était basé dans une large mesure sur l’analogie entre PRES et IMP, sans que j’aie fourni de preuve ou indice clair pour déterminer quel point de vue aspectuel il faut attribuer à ces deux temps grammaticaux. Compte tenu de la difficulté d’établir une preuve directe qui montre si ces deux temps (ou l’un d’entre eux) focalisent le point I d’une situation ou non, il me semble nécessaire de procéder à un détour, qui passe par les phrases habituelles. Selon Smith, il y a deux différences entre l’aspect imperfectif général et le progressif : premièrement, la restriction de sélection du progressif, qui exclut les états, et deuxièmement, le fait que le progressif présente les situations sous sa portée comme dynamiques (pour des cas de ce qu’elle appelle « non-standard aspectual choice »)149. De cette façon, il devient possible de rendre compte du fait que le progressif en anglais ne soit pas utilisé pour les performatifs et pour les habitudes, sans être obligé de différencier la configuration aspectuelle du progressif de celle de l’imperfectif général150. Or, si on observe les temps grammaticaux qui sont utilisés dans les langues romanes, en allemand et en anglais pour exprimer l’habitude, et ceux qui excluent une interprétation d’une situation comme habitude, on constate les faits suivants : 149 Smith (1991), p. 176. Cf. la difference entre John is a fool. John is being a fool. ou The Thames flows through London. The Thames is flowing through London. La première phrase au present simple est une phrase générique qui fait une assertion sur une propriété individuallevel qui n’est pas censé changer. Le progressif coerce ces états permanents en états transitoires. 150 Ce qui semble cependant être nécessaire pour d’autres raisons. 100 En allemand, tous les temps simples et le Perf sont capables d’exprimer l’habitude, ce qui suggère - comme en allemand la seule opposition aspectuelle est celle entre l’aspect neutre et l’aspect rétrospectif – que c’est l’aspect neutre qui se charge d’exprimer l’habitude dans cette langue. L’adverbe gerade (‘tout-droit’) et la ‘Verlaufsform’ AM V SEIN (‘à V être’) excluent une interprétation en tant qu’habitude. En anglais, le présent simple et le passé simple peuvent exprimer l’habitude. De plus, il existe pour les temps du passé une périphrase habituelle X used to V. Selon Smith, ces deux temps grammaticaux (présent simple et passé simple) sont perfectifs. La périphrase progressive be V-ing exclut une interprétation habituelle. L’espagnol et l’italien présentent quant aux lectures habituelles des systèmes à peu près identiques : l’IMP et le présent simple peuvent donner lieu à des interprétations habituelles, en outre il y a une périphrase habituelle SOLER V (esp.)/SOLERE V (it.) qui est restreinte à ces deux temps. Une périphrase progressive est disponible dans les deux langues (ESTAR(esp.)/STARE(it.) + Gerund.). Smith ne traite pas ces deux langues, mais traditionnellement, on attribue à IMP l’aspect imperfectif, tandis qu’au présent, on ne lui attribue ou bien pas de valeur aspectuelle du tout (comme il n’y a pas d’opposition aspectuelle), ou bien on lui attribue de même l’aspect imperfectif. Selon ce tableau que je viens de donner, il ne semble donc pas que l’expression de l’habitude soit une expression liée à des caractéristiques aspectuelles. Cependant, c’est exactement ce que Comrie affirme. Il donne le diagramme suivant pour classer les aspects151 : Classification of aspectual oppositions Perfective Imperfective Habitual Continuous Nonprogressive Progressive Progressive L’habituel serait donc une sous-classe ou une sous-fonction de l’aspect imperfectif, ce qui ne va pas bien avec les observations que j’ai faites jusqu’à maintenant, ou au moins pas avec la taxonomie aspectuelle que j’ai donnée. 151 Bernard COMRIE (1976), p. 25. 101 Il est cependant facile à montrer qu’en anglais et en allemand (comme l’implique aussi la classification de Smith), le point I est toujours focalisé par les temps grammaticaux qui permettent une lecture habituelle, et que c’est cette focalisation sur I qui est enlevé par exemple par la périphrase progressive qu’est AM V SEIN : 142. a. Schlaf jetzt endlich !152 Dors maintenant enfin! Endors-toi enfin ! b. *Sei jetzt endlich am Schlafen! Sois maintenant enfin à-le dormir! Sois en fin en train de dormir ! Pour l’IMP français, la preuve est plus difficile à faire. Si cependant on peut constater une différence de comportement vis-à-vis d’un adverbe temporel entre l’IMP simple et la périphrase être en train de, ceci serait un indice fort pour penser que la différence entre IMP et progressif est en effet d’ordre aspectuel, et non pas seulement d’ordre de restrictions de sélection sur les états. 143. a. Chaque jour à cinq heures le poète écrivait un poème153. b. Chaque jour à cinq heures le poète était en train d’écrire un poème. Comme l’explique Comrie, (143a) est ambigu en ce qui concerne la localisation temporelle de la situation s relative à l’adverbe temporelle qui donne le point de référence t, c’est-à-dire que t peut marquer ou bien le point I de s (lecture inchoative) ou bien n’importe quel point intérieur entre I et F de s (lecture progressive), toujours dans le contexte d’une lecture habituelle où la situation est itérée. (143b) par contre ne partage pas cette ambiguïté ; il ne permet que la deuxième lecture. Le fait que (143a) soit ambiguë est probablement dû principalement au fait qu’en français il n’y a pas (ou guère ?) de contexte ou la périphrase progressive serait obligatoire. Il semble donc désormais acquis que IMP peut focaliser le point I de la situation sous sa portée dans des contextes habituelles ou itératives, de même dans des contextes d’IMP de rupture. Mais pourquoi cela n’est normalement pas le cas dans des contextes à occurrence unique ? Il me semble qu’il y a deux explications possibles. Premièrement, il serait possible qu’il s’agisse d’un problème de quantification. Quand (lorsque également, il me semble) n’est pas 152 Bien que dormir ne soit pas forcément agentif, on peut donner l’ordre de dormir. Comme la périphrase AM V Sein enlève la vision sur I, il n’est plus possible de l’ordonner. Donner l’ordre de déjà être en train de faire quelque chose doit forcément produire une contradiction, puisque c’est impossible. 153 Exemple tiré de Comrie (1976), p. 34. 102 seulement neutre quant au choix entre une lecture ouverte ou fermée, mais en principe aussi quant au choix entre une quantification existentielle et universelle154. Le moyen le plus utilisé en français pour faire une distinction entre ces deux types de quantification semble être de choisir l’aspect du temps grammatical. S’il y a combinaison avec [+perfectif], la quantification est existentielle, s’il y a une combinaison avec [-perfectif], la quantification est générique. Peut-être que c’est une raison pourquoi quand n’est pas librement applicable aux deux situations (comme c’est le cas en allemand) : 144. a. Jean prenait une douche, quand le téléphone a sonné. b. ??Quand Jean prenait une douche, le téléphone a sonné. Comme première ébauche d’une description, on pourrait dire que quand + [-perfectif] produit une quantification générique, ce que le PC dans la principale ne semble pas admettre. Il serait donc possible que dans le cas d’une quantification existentielle et en présence de PS ou PC, le trait de IMP qui est actualisé sous l’effet de la polarisation est [-perfectif], mais s’il y a quantification universelle, le trait aspectuel actualisé est [+neutre]. Deuxièmement, il serait possible que cet effet soit dû à la présence ou absence d’un point de référence. En cas d’itération de la situation, il n’est plus possible d’avoir un moment privilégié R qui serait antérieur à TU, mais qui se comporte similairement, puisqu’il faudrait itérer ce point de référence avec les situations. Cette explication n’est cependant pas très concluante, puisque dans (143b), il semble que l’adverbe temporel antéposé agisse comme un tel point R itéré. On peut cependant se demander si la présence d’un point R est nécessaire pour les habitudes et les états, où pour tout autre phrase qui ne peut pas servir au PRES de réponse aux questions Qu’est-ce qui se passe ? ou Qu’est-ce qu’il y a ?, c’est-à-dire pour les cas qui admettent en anglais un présent simple. Il est probable que ces modes d’action sont localisés et évalués par rapport au sujet grammatical auquel ils s’appliquent, et non pas par rapport à un point R, soit TU ou un autre. 145. – Tu sais que Jean savait/sait parler l’anglais ? – ??? Quand ça ? 154 Cela est selon toute probabilité valable pour les temps du passé uniquement – où il y a une opposition aspectuelle entre perfectif et non-perfectif. Dans les cas où une quantification existentielle serait requise pour un non-passé, quand passe mal ou pas du tout : *Quand tu lis cette carte postale, je suis déjà à la maison depuis longtemps. 103 Finalement, est-ce qu’il y a un lien entre une configuration aspectuelle [-perfectif] et la nécessité d’avoir un point R ou d’avoir des situations itérées ? Les faits de l’allemand, tout comme le futur simple français, qui est également aspectuellement neutre, semblent indiquer le contraire. Mais il y a certains faits qui semblent aussi indiquer que, par rapport à la quantification, passé et non-passé se comportent de façon assez différente. Regardons donc le comportement des phrases coordonnées avec quand en plus de détail. 3.3. Aspect et quantification En chapitre 2.2.1, j’avais brièvement remarqué qu’il y avait, en allemand, deux conjonctions qui correspondent à quand, et qui diffèrent (pour les temps du passé) essentiellement quant à la quantification des situations sous leur portée, cf. : 146. a. Wenn Hans uns im Sommer besucht hat, sind wir schwimmen gegangen. WENN Hans nous en été visité a, sommes nous nager allé. Quand Hans venait nous voir en été, nous allions nager. [quantification générique] b. Als Hans uns im Sommer besucht hat, sind wir schwimmen gegangen. ALS Hans nous en été visité a, sommes nous nager allé. Quand Hans est venu nous voir en été, nous sommes allés nager. [= une seule fois] L’exemple (146a) admet sans problème un quantificateur explicite (comme toujours, en général, rarement) dans la phrase, ce qui n’est pas le cas pour (146b), cf. : 147. a. ??/*Als Hans gekommen ist, hat Anna jedesmal gesungen. ALS Hans venu est, a Anna chaque-fois chanté. Quand Hans est venu, Anna a toujours chanté. b. ??/*Als Hans gekommen ist, hat Anna selten gesungen. ALS Hans venu est, a Anna rarement chanté. Quand Hans est venu, Anna a rarement chanté. Wenn par contre est interprétable, combiné aux temps du passé, uniquement s’il est pris dans un sens itératif ; l’interprétation par défaut sans adverbe de quantification explicite est 104 celle de jedesmal wenn (chaque-fois quand)155. Il serait possible que cette possibilité de déterminer la quantification soit due au fait qu’en allemand, il n’y a pas d’opposition aspectuelle entre quelque chose comme un perfectif et un imperfectif pour le passé qui permette de quantifier sur des événements. Il n’y a pas non plus de forme verbale qui soit appliquée exclusivement aux quantifications habituelles (comme used to V ou would V en anglais)156. Une description détaillée des phénomènes de quantification en allemand mènerait cependant trop loin ici. La différence dans la quantification, qu’on exprime en allemand donc par l’emploi de ces deux conjonctions différentes, semble être exprimée en français principalement à l’aide de l’opposition aspectuelle entre IMP et PC/PS. En chapitre 3.2 ci-dessus, j’avais indiqué la possibilité que le fait d’admettre une quantification générique sans quantificateur ouvert pourrait être une des caractéristiques distinctives de l’aspect neutre. Le fait que l’IMP du français se distingue éventuellement de la périphrase progressive être en train de quant à son comportement à l’égard de la quantification pourrait de même constituer un argument important contre la taxonomie aspectuelle de Smith, qui rassemble l’IMP et progressif dans la catégorie de l’aspect imperfectif. Le quand français semble être neutre quant à la possibilité d'interpréter une séquence comme événement unique ou situation habituelle ou itérée, comme nous venons de le voir en section 3.2 ci-dessus, tout comme son équivalent anglais when 157. Delfitto et Bertinetto158 ont remarqué que l’IMP italien (mais très probablement l’IMP roman en général) produit en combinaison avec les adverbes de quantification (Q-adverb) une structure tri-partite de quantification, ce qui peut changer les conditions de vérité selon la position de l’adverbe de quantification : 155 Pour le non-passé, wenn est capable de désigner aussi bien des événements uniques que répétés. Cf. aussi la note (67) dans le chapitre sur als dans la partie sur le Perf allemand. 156 Il existe une périphrase ‘etwas zu tun pflegen’ (~soigner de faire qc) qui pourrait tomber dans la même catégorie, mais je n’ai entendu personne l’employer de toute ma vie. 157 Cf. Barbara PARTEE (1984) : “Nominal and Temporal Anaphora”, in: Linguistics and Philosophy 7, p. 272s. Avec when, il est possible d'insérer l'adverbe always dans la principale, pour obtenir une lecture itérée, ou également de transformer when en whenever. When Mary telephoned, Sam was always asleep. Whenever Mary wrote a letter, Sam answered it two days later. Il n’y a cependant pas d'incompatibilité fondamentale entre when et une lecture itérée, ce qui est la seule chose qui m’importera pour la suite. 158 Dennis DELFITTO/Pier Marco BERTINETTO (2000) : “Word Order and Quantification Over Times”, in: James HIGGINBOTHAM/Fabio PIANESI/Achille C. VARZI (éds., 2000) : Speaking of Events. New York: Oxford University Press. pp. 207-244. Leurs exemples sont en italien, je donne les traductions françaises. Les conditions de vérité qu’ils donnent pour (148a) ne semblent d’ailleurs pas tout à fait correctes, au moins pour le français (mais peut-être pour l’italien de même) : (148a) englobe la lecture (148b), et est donc ambiguë en ce qui concerne les conditions de vérité. 105 148. a. En 1975, Jean allait (toujours) nager à huit heures du matin. a’.∀t[∃e(go-swimming(e) ∧ Agent(Jean,e) ∧ at(e,t))R → 8am(t)PN]159 b. En 1975, à huit heures du matin Jean allait (toujours) nager. b’.∀t[8am(t)R → ∃e(go-swimming(e) ∧ Agent(Jean,e) ∧ at(e,t))PN]160 (148a) retournerait la valeur de vérité F s’il y avait eu un événement e tel que nager(j) a lieu aditionnellement à deux heures de l’après-midi, ce qui ne falsifierait cependant pas (148b). Les formalisations (148a’-b’) que donnent Delfitto et Bertinetto montrent que la restriction et la portée nucléaire de la quantification ne sont pas les mêmes dans les deux cas, ce qui dépend essentiellement de la structure informationnelle de la phrase161. En même temps, ils observent qu’avec un D-quantificateur (qui appartient aux déterminants, p.e. tout, chaque etc.), une lecture de l’IMP comme dans (148a) n’est pas possible, de même qu’il n’y a pas de relation restriction-portée avec un PC : 149. a. Jean est allé nager à huit heures du matin. b. À huit heures du matin, Jean est allé nager. c. ∃t∃e(swimming(e) ∧ Agent(Jean,e) ∧ at (e,t) ∧ 8am(t)). 150. a. En 1975, Jean allait nager tous les matins. a’. ∀t[(morning(t) ∧ t ⊆ 1975)R → ∃e(swimming(e) ∧ Agent(Jean,e) ∧ at(e,t))PN]162 Dans ces cas-là, l’ordre des mots dans la phrase ne joue donc pas de rôle en ce qui concerne les conditions de vérité de la phrase. Barbara Partee (1995)163 montre que dans le cas d’une D-quantification (simple), si on l’analyse comme quantificateur généralisé, c’est la syntaxe de la phrase qui détermine ce qui rentre dans le restricteur et ce qui sera la portée nucléaire d’une phrase quantificationnelle : le quantificateur (qui est toujours explicite dans ces constructions) est le déterminant, le restricteur le NP ‘complément’ de D, et le reste de la phrase forme la portée nucléaire.164 Les D-quantificateurs semblent former une classe homogène, contrairement aux A-quantificateurs (i.e., adverbes, auxiliaires, et modifieurs de structure argumentale). La structure sémantique Delfitto et Bertinetto écrivent : ∀t[∃e(go-swimming(e) ∧ Agent(Jean,e) ∧ at(e,t))] [8am(t)]. Comme il y a un quantificateur universel, j’ai modifié la formule en la traduisant en logique de prédicats plus traditionnelle. J’ai signalé toutefois, pour une plus grande lisibilité, la restriction par R et la portée nucléaire de la quantification par PN. 160 Ibid., p. 217. 161 On trouve une description plus intuitive déjà dans l’article de Ducrot (1979) : “L’imparfait en français ”. 162 Ibid., p. 220s. 163 Barbara H. PARTEE (1995) : “Quantificational Structures and Compositionality”, in : Emmon BACH e. a. (éds., 1995) : Quantification in Natural Languages. Dordrecht : Kluwer. pp. 541- 601. 164 Cf. ibid., p. 584. 159 106 d’une phrase avec A-quantification (en français, mais aussi en allemand) n’est pas aussi clairement déterminée par la syntaxe de la phrase, mais dépend aussi d’un marquage topique/focus (ce qui est particulièrement clair pour l’allemand).165 Dans les contextes (148), (149) et (150), ces deux phénomènes semblent avoir en commun qu’ils impliquent une quantification, d’une façon ou d’une autre, sur la variable de l’événement e, si on prend le modèle Davidsonien166 comme point de départ. Ce traitement pourrait expliquer pourquoi un Q-adverbe de fréquence semble être assez difficilement admissible dans la subordonnée en quand, cf. (151). On verra cependant par la suite que ce traitement ne produit pas toujours les bonnes prédictions. 151. Quand Jean est *rarement/ *souvent/ *toujours venu, Marie chantait. Si on suppose qu’une phrase quand p q comme (151) donne à ses constituants une structure tri-partite analogue à celle qu’il y a en (148) ou (149), la difficulté d’admettre (151) s’explique très facilement : pour que cette phrase reste interprétable, l’adverbe de fréquence devrait être le quantificateur, et non pas se trouver dans la restriction, comme c’est le cas dans (151), – ce que j’essaie de montrer en (152), qui est une formalisation très simplifiée et approximative de (151) : 152. *∀e1[(venir(e1) ∧ Agent(Jean,e1) ∧ rarement’(e1))R → ∃e2(chanter(e2) ∧ Agent(Marie,e2))PN] Les conditions de la restriction devraient s’appliquer à un seul événement-type, mais rarement présuppose qu’il y a une itération d’une situation concrète. Donc les phrases du type (151) ne sont pas interprétables. Une deuxième raison, qui ne concerne cependant pas l’inadmissibilité de (152), pourrait être le fait qu’il y ait en plus un conflit sémantique entre le quantificateur universel et rarement. Ceci n’est cependant pas un argument décisif, sinon, toujours devrait être possible en même position, et cela n’est clairement pas le cas. Comme les deux quantificateurs (universel et rarement) n’ont pas la même portée, une combinaison des deux devrait a priori être possible – ça doit donc être la restriction à l’événement-type qui bloque l’acceptabilité. Dans une subordonnée qui commence par quand, une quantification explicite par Qadverbe ou D-quantificateur passe assez mal – au moins avec un temps perfectif dans la 165 Cf. ibid., p. 541. Tel qu’exposé dans D. DAVIDSON (1967/1980) : « The Logical Form of Action Sentences », in id.(1980) : Essays on Actions and Events. Oxford: Clarendon Press. pp. 105-123. 166 107 subordonnée – même lorsqu’il s’agit non pas d’une indication de fréquence, mais d’un nombre déterminé de répétitions, – très probablement pour les mêmes raisons qu’en (151). 153. a. ??Quand Jean est venu trois fois, Marie chantait. b. ??Quand Jean est venu trois fois, Marie a chanté167. Il y a cependant une possibilité de quantification explicite : l’utilisation d’un perfectif dans la subordonnée en quand semble indiquer que la situation composée constituée de S1 et S2 est à occurrence unique : 154. a. Quand Jean est venu [S1], Marie chantait [S2] (– #sauf une fois, lorsqu’elle était malade). b. Quand Jean venait, Marie chantait (– sauf une fois, lorsqu’elle était malade). On voit donc que la cardinalité de la réunion des situations S1∪S2168 est exactement 1 en (154a), tandis qu’en (154b), cette cardinalité reste indéterminée, mais doit cependant être supérieure à 1169. La quantification doit donc être située très haut dans la hiérarchie de la phrase, puisque – même si on change l’ordre des deux propositions, l’effet de sens reste identique. Dans les exemples qu’on avait vus jusqu’à maintenant, la quantification s’appliquait à la phrase complète, c’est-à-dire à la réunion des deux situations. Mais il y a des exemples où la quantification (par quantificateur implicite ou explicite) ne porte pas sur cet ensemble, mais sur la subordonnée où sur la principale uniquement, cf. : 155. a. Quand il était jeune, Paul se promenait souvent au Luxembourg.170 a’. *Souvent s [C(s,p) ∧ jeune(s,p)]R [∃e [promener(e) ∧ Agent(p,e) ∧ lieu(l,e)]PN a’’. ∃I [jeune(p) ∧ at(jeune(p),I) ∧ Gn s [C(s,p)] [promener(s) ∧ Agent(p,s) ∧ at(s,I) ∧ souvent(s)]]171 b. Quand elle regardait souvent la télé, Marie faisait des cauchemars.172 b’. *Souvent e1 [regarder(e1) ∧ Agent(e1,m) ∧ Stimulus(e1,t)]R [∃e2[faire-cauchemars(e2) ∧ 167 Une telle combinaison n’est cependant pas ininterprétable, comme l’a remarqué Jean-Louis Aroui (communication personnelle) : on peut transformer un événement renier(pierre,jésus) à cardinalité 3 en événement unique composé de trois répétitions d’un prédicat atomique, selon les lignes que fournissent Allessandro LENCI/Pier Marco BERTINETTO (2000) : “Aspect, Adverbs, and Events. Habituality vs. Perfectivity” in : Speaking about Events, pp. 245-287. 168 Si on suppose une structure de treillis – et il y aurait une réunion (join) de ces deux situations. 169 On pourrait probablement trouver des contextes où il ne se produirait pas d’itération, même avec deux IMP, dans le cas d’un IMP de rupture. 170 Exemple de Henriette de SWART (1991/1993) : Adverbs of Quantification: A Generalized Quantifier Approach. New York : Garland. p. 208. 171 Cette formule dit qu’il y avait un intervalle pendant lequel Paul était jeune et qu’il se promenait en général au Luxembourg pendant cet intervalle. 172 Cf. ibid., p. 210. 108 Agent(e2,m)]PN b’’. ∃I1 [Souvent s1 [C(s1,m)] [regarder(s1) ∧ Agent(s1,m) ∧ Stimulus(s1,t) ∧ s1 ⊆ I1] ∧ ∃I2 [Gn s2 [C(m,s)] [faire-cauchemars(s) ∧ Agent(s,m) ∧ pendant(s,I2)] ∧ ∃I3 [I3 ⊆ I1 ∧ I3 ⊆ I2]]]173 En (155a), le quantificateur souvent ne peut avoir portée que sur la principale ; une lecture qui ferait porter le quantificateur sur l’ensemble, avec la subordonnée comme restricteur, serait très étrange : il était souvent le cas que, pour des situations dans lesquelles il était vrai que Paul y était jeune, alors il se promenait au Luxembourg. La subordonnée donne en (155a) la période, à savoir sa jeunesse, dans laquelle sont inclus les événements de promenades de Paul, qui, par rapport à une certaine norme (le restricteur est ici purement contextuel et pragmatique), avait une certaine importance. En (155b), il est déjà exclu par la syntaxe que l’adverbe de quantification souvent, qui est dans la subordonnée, ait portée sur l’ensemble de la phrase. Ici encore, il faut avoir une interprétation sur un intervalle de temps, pendant lequel il était fréquent d’avoir des situations dans lesquelles Marie regardait la télé, et faisait alors des cauchemars. Le tout peut cependant être itéré, puisqu’il y a un IMP dans la phrase principale, ce qui peut causer une interprétation itérée, ou générique (cf. (157a)). Pour observer quels effets de sens s’obtiennent avec quelles combinaisons de temps et aspects, je propose de regarder les effets de sens qu’on peut observer dans des phrases du type quand p, q. De Swart remarque que l’opposition PS/IMP est neutralisée dans un contexte itéré ou habituel, tandis que la distinction non-parfait/parfait n’est pas concernée, ce qui l’amène à la conclusion que le parfait est un opérateur aspectuel plutôt qu’un temps grammatical174 : 156. a. Quand un chat a capturé une souris, il est content. b. ??/* Quand un chat a capturé une souris hier, il est content. c. ??/* Quand un chat a capturé une souris la veille, il était content. d. ??/* Quand un chat a capturé une souris, il était content. En (156a) le PC est interprété en tant que présent rétrospectif, c’est-à-dire comme un parfait. (156a) peut être interprété comme itératif et comme non itératif. Si on exclut cette interprétation du présent rétrospectif en introduisant un adverbe temporel incompatible avec le présent, la phrase n’est plus acceptable (cf. (156b)). Pour exclure que le renvoi à la deixis par 173 Cette formule dit qu’il y a un intervalle I1 pendant lequel Marie regardait souvent la télé et qu’il y a un autre intervalle I2 pendant lequel Marie faisait des cauchemars et qu’il y a un troisième intervalle I3 qui est à la fois un sous-intervalle de I1 et de I2. 174 De Swart (1993), p. 249s. 109 hier en (156b) soit la source de cette incompatibilité, mais pour garder l’impossibilité d’interpréter le PC en tant que présent rétrospectif, j’ai introduit en (156c) un adverbe temporel anaphorique, ce qui ne change cependant pas l’acceptabilité. De même (156d), où le PC est nécessairement un temps du passé, n’est pas bon. Pour des arguments que l’IMP se comporte dans un contexte itéré ou habituel comme un aspect neutre, je renvoie au chapitre précédent sur l’IMP et le PRES. Chierchia propose le diagramme suivant pour une phrase générique simple, afin de rendre compte du fait qu’une phrase sans quantificateur explicite peut s’interpréter comme générique (pour l’anglais) : 157. a. IP NP Fred AP (Aspect Phrase) Gn VP Smokes b.Gn s [C(f,s)] [smoke(f,s)] ‘Every situation s of the appropriate type containing Fred is a situation in which Fred smokes.’175 Que l’aspect soit au moins corrélé à la quantification est à mon avis hautement probable, mais on peut se demander si la tête de AP est vraiment la place idéale pour introduire une quantification, ou s’il vaudrait mieux y mettre un argument spatio-temporel comme le proposent Demirdache et Etxebarria (2002). En théorie, rien n’exclut que ces deux traits soient projetés dans la même tête, mais ce qui n’est pas très clair – au moins pour l’instant –, c’est l’interaction entre les traits spatio-temporels et les traits de quantification. On voit cependant en (157b) que Chierchia attribue une structure tri-partite à une forme aspectuelle qui serait selon Smith perfective – ce qui rapproche à cet égard le présent simple anglais à la description de l’imparfait des langues romanes donnée par Delfitto et Bertinetto. Si on observe le comportement des formes perfectives du français dans les phrases coordonnées par quand, on constate que le perfectif français ne partage pas le comportement 175 Gennaro CHIERCHIA (1998) : “Reference to Kinds across Languages”, in: Natural Language Semantics 6-4, p. 366. Gn est l’opérateur générique, dérivé du quantificateur universel, et C est une variable donnée par le contexte qui restreint le domaine de Gn aux situations où smoke(f) est pertinent. 110 des temps grammaticaux anglais (c’est-à-dire des temps simples) qui, selon Smith, seraient perfectifs176 (cf. aussi l’exemple (154)) : 158. a. Quand Marie a laissé tomber le verre, Pierre a traversé la rue. b. Quand Jean était en train de lire le journal, Marie a frappé à la porte. c. Quand Marie a arraché le papier peint, Pierre était en train de peindre la cuisine. d. ?? Quand Pierre s’ennuyait, il s’est gratté la tête. Il ne semble pas possible d’avoir une itération avec une forme aspectuelle perfective ; si elle est dans la principale, on l’interprète comme événement combiné à occurrence unique, et même si elle se trouve dans la subordonnée, il ne semble pas possible qu’il y ait itération. (156a) ne constitue pas une exception, puisque le PC y est un présent rétrospectif et non pas un temps du passé perfectif. Le fait d’avoir un progressif ou un IMP dans la subordonnée en quand et combiné à une principale au PC n’est pas évalué par tous mes informateurs de la même façon ; certains avaient une très nette préférence pour appliquer quand à la phrase au PC. En général, le progressif semble être plus acceptable que l’IMP dans cette position dans la subordonnée, et il semble que les Aktionsarten influent le degré d’acceptabilité : (158b), un accomplissement, ne semble poser de problème à personne ; (159a) semble être meilleur et moins marqué que (159b), bien que les deux soient des achèvements ; il est probablement plus facile de construire une phase préparatoire avec arriver qu’avec venir. 159. a. ? Quand Jean était en train d’arriver [S1], Marie a chanté une chanson [S2]. b. ?? Quand Jean était en train de venir, Marie a chanté une chanson. Il semble que, dans des phrases du type (158), l’événement au PC doive être proprement inclus dans l’événement au progressif, c’est-à-dire S2 ⊂ S1. Peut-être que ce fait impose des contraintes pragmatiques sur des situations dans la subordonnée : on a du mal à construire une phase préparatoire suffisamment longue pour pouvoir contenir la situation dans la principale en entière. Ces contraintes ne s’appliquent cependant pas si la proposition au PC se trouve dans la subordonnée : 160. a. Quand Marie a chanté une chanson, Jean était en train d’arriver. 176 Il est possible qu’une phrase coordonnée par when s’interprète en anglais comme ayant eu lieu une seule fois ; cela pourrait être dû à un effet de polarisation et à des maximes de conversation de Grice (whenever est disponible, mais on ne l’a pas mentionné, donc c’était une seule fois). Mais il reste le fait qu’en français, on ne peut pas avoir d’énoncé sur une habitude qui serait au PC ou PS et sans ajout d’un adverbe quelconque. 111 b. Quand Marie a chanté une chanson, Jean était en train de venir. Les interprétations de l’agencement des deux situations en (160a-b) semble pourtant être la même, c’est-à-dire que l’événement sous la portée du PC est inclus dans l’intervalle qu’occupe l’événement au progressif. La combinaison de deux progressifs n’est pas a priori impossible, mais il y a une restriction importante : il ne faut pas que le sujet des deux propositions coordonnées soit identique, c’est-à-dire il est exclu que ces sujets renvoient au même référent de discours. Pour l’allemand, on avait vu un exemple tout à fait analogue, que je répète ici sous (162) : 161. a. *Quand Mariei était en train de réfléchir, ellei était en train de froncer les sourcils. b. Quand Mariei était en train de réfléchir, ellej était en train de froncer les sourcils. c. Quand Marie était en train de réfléchir, Marc était en train de froncer les sourcils. gesungen. 162. a. *Gestern, als Annai geduscht hat, hat siei gerade Hier, quand Annai douché a, a ellei GERADE chanté. Hier, quand Annai était en train de prendre une douche, ellei était en train de chanter. b. Gestern, als Annai geduscht hat, hat siej gerade gesungen. Hier, quand Annai douché a, a ellej GERADE chanté. Hier, quand Annai était en train de prendre une douche, ellej était en train de chanter. Les interprétations qu’on m’a proposées pour les phrases (161b-c) sont que le locuteur insiste sur la simultanéité des deux événements en question, ou que ces deux événements ont exactement la même durée. Si c’était vrai et la seule explication, (161a) devrait aussi être possible. Mais cela n’est pas le cas. L’intuition de mes informateurs allemands pour (162), à savoir d’y associer une séparation spatiale, n’est pas non plus la bonne, puisqu’on peut trouver des exemples où il n’y a pas de séparation spatiale. Je ne crois pas non plus que l’inadmissibilité de (161a) soit due à la syntaxe, parce que le liage pronominal par ccommande fonctionne sans problème dans (161a) et (162a). Il serait à mon avis possible qu’une construction comme dans (161) ou (162) exprime une simultanéité purement contingente, c’est-à-dire qui n’est pas contrôlée par qui que ce soit et ou il n’y a pas de motivation causale entre les deux situations. S’il y a deux fois le même agent, cette relation de contingence ne serait plus disponible. Cette explication supposerait cependant qu’avec des sujets et situations non-agentifs, s’ils permettent l’application d’être en train de, deux progressifs avec des sujet coréférentiels devraient être possibles. Or, il ne semble pas que cela soit le cas : 163. *Quand Jeani était en train de dormir, ili était en train de ronfler. 112 Pour l’instant, je n’ai donc pas d’explication satisfaisante pour ce phénomène. Il ne semble pas non plus possible de postuler qu’il ne peut y avoir par intervalle qu’un seul événement par référent de discours, avec ou même sans restriction sur le rôle θ qu’il occupe dans les deux événements (c’est-à-dire : il ne faut pas qu’un référent de discours occupe simultanément dans deux événements le même rôle thématique) : avec d’autres temps grammaticaux, cela est possible, cf. : 164. Quand Marie a laissé tomber son sac, elle traversait la rue. Il serait cependant intéressant de savoir si, dans d’autres langues, les constructions progressives montrent la même contrainte sur les sujets. Un fait qui me semble être important est qu’on peut très bien décrire les exemples (158) – (164) par une quantification sur les événements. Cela n’est pas toujours le cas s’il y a un IMP dans la subordonnée en quand. Avec un certain type de prédicat verbal, il y a une ambiguïté systématique avec ce temps grammatical : 165. a. Quand Jean fumait, Marie l’engueulait. a’. Gn e1[C(∃e2[fumer(e2) ∧ Agent(j,e2)],e1]R [engueuler(e1) ∧ Agent(m,e1) ∧ Patient(j,e1)]PN a’’. ∃I1 [Gn s1 [C(j,s1)] [fumer(s1) ∧ Agent(j,s1) ∧ pendant(I1,s1)]] ∧ ∃I2 [Gn s2 [C(j,m,s2] [engueuler(s2) ∧ Agent(m,s2) ∧ Patient(j,s2) ∧ pendant(I2,s2)] ∧ ∃I3 [I3 ⊆ I1 ∧ I3 ⊆ I2] 177 b. Quand Jean était malade, Marie lui rendait visite. b’. Gn e1 [C(∃e2[être-malade(e2) ∧ Thème(j,e2)],e1 )]R [rendre-visite(e1) ∧ Agent(m,e1) ∧ Thème(j,e1)]PN b’’. ∃I1 [Gn s1 [C(j,s1)] [être-malade(s1) ∧ Thème(j,s1) ∧ pendant(I1,s1)]] ∧ ∃I2 [Gn s2 [C(j,m,s2] [rendre-visite(s2) ∧ Agent(m,s2) ∧ Thème(j,s2) ∧ pendant(I2,s2)] ∧ ∃I3 [I3 ⊆ I1 ∧ I3 ⊆ I2 ] (165a) est ambigu entre une lecture à chaque fois que Jean fumait, Marie l’engueulait, que j’ai formalisé de façon très simplifiée en (165a’), et une lecture l’époque où Jean fumait coïncide au moins partiellement avec l’époque où Marie l’engueulait, formalisée en (165a’’). L’ambiguïté de (165b) est formalisée selon les mêmes lignes. La différence entre les deux semble être surtout une différence de portée du quantificateur générique : dans l’un des cas, il concerne l’ensemble de la phrase coordonnée, où la subordonnée forme le restricteur et la principale la portée nucléaire (lectures (165a’) et (165b’) ; dans l’autre cas, chaque 177 Voilà ce que cette longue formule est censée exprimer : il y a un intervalle I1 pendant lequel l’habitude fumer(j) est pertinent et il y a un intervalle I2 (qui est l’intervalle pendant lequel engueuler(m,j) est pertinent), et ces deux intervalles doivent avoir un subintervalle I3 en commun. 113 quantificateur générique reste confiné à sa partie de la phrase. Les interprétation du type à l’époque où semblent être pragmatiquement plus difficiles à obtenir, mais elles sont possibles. Cette ambiguïté que je viens de décrire peut être obtenu avec les verbes qui peuvent s’interpréter à l’IMP de façon habituelle et aussi comme occurrence unique. En français, presque tous les situations sauf les états permanents semblent être capable de produire cette ambiguïté (même si elle est plus évidente avec les activités et les phrases qui ne sont liés avec des anaphores pronominales comme c’est le cas des principales en (165)) ; une autre classe de verbes avec lesquels l’interprétation à l’époque où ne fonctionne pas très bien est celle des verbes de création et de consommation avec un seul objet (par exemple écrire une lettre, fumer une cigarette, manger une pomme, etc.) – sauf si on peut construire par coercion une lecture d’espèce de l’objet (i.e., écrire un type de lettre, fumer une marque de cigarette, manger une espèce de pomme, etc.). Les états permanents ne marchent pas très bien dans des contextes avec quand, ce qui est peu surprenant puisque c’est justement l’un des tests pour déterminer si un prédicat verbal appartient à cette Aktionsart. La raison ne semble cependant pas être leur constitution temporelle interne (le fait d’être homogène, évaluable à un point temporel, etc.), mais le fait qu’il s’agisse de situations dont on suppose qu’elles ne peuvent avoir lieu qu’une seule fois, et qu’elles ne se répètent pas pour les mêmes participants (once-only situations), cf. (166) (l’astérisque concerne une lecture du type à chaque fois e1, e2) : 166. a. *Quand Marie mangeait la pomme, elle avait mal aux dents. b. *Quand Marie courait, Jean la connaissait. Une interprétation du type à l’époque où semble cependant être possible, surtout si on ajoute à l’état permanent la présupposition d’un changement d’état, c’est-à-dire si on le rend un peu moins ‘permanent’ : 167. a. Quand Marie courait, Jean la connaissait déjà. b. *Gn e1 [C(∃e2[courir(e2) ∧ Agent(j, e2) ∧ at(t,e2)], e1)]R [(connaître(e1) ∧ Expérienceur(m, e1) ∧ Thème(j, e1) ∧ at(t’< t, e1))]PN c. ∃I1 [Gn s1 [C(j, s1)] [courir(s1) ∧ Agent(j, s1) ∧ pendant(I1,s1)]] ∧ ∃I2 [∃s2 [connaître(s2) ∧ Expérienceur(m, s2) ∧ Thème(j, s2) ∧ pendant(I2,s2)]] ∧ ∃I3[I3 ⊆ I1 ∧ I3 ⊆ I2] (167a), dont les conditions de vérités sont données en (167b) et (167c), n’est pas ambiguë ; seule la lecture à l’époque où est possible. Cela semble être un comportement 114 spécifique des états permanents, qui les distingue de toutes les autres Aktionsarten, même des états transitoires, qui peuvent avoir une lecture à chaque fois que (cf. l’exemple (165b)). S’il est vrai que la différence entre l’interprétation à chaque fois que et à l’époque où pour une phrase coordonnée avec quand est due à une différence de quantification – sur les événements dans le premier cas, sur les intervalles dans le deuxième cas –, cela pourrait constituer un argument de plus contre l’hypothèse qu’il y a quelque chose comme un argument d’état, comparable à l’argument e proposé par Davidson. Parsons a esquissé un traitement selon ces lignes178. Il propose de procéder à l’analyse comme suit : 168. a. John has a dog. b. ∃x(Dog(x) ∧ ∃s(Having(s) ∧ Object(s,x) ∧ In(j,s))) Malgré les contre-exemples que Parsons donne lui-même, et la lourdeur apparente, l’analyse semble intuitivement correcte et aurait l’avantage de ne plus séparer les situations en événements et non-événements qui se comportent et s’analysent de façon complètement différente 179. Il y a cependant une grande différence entre les analyses par Chierchia d’un événement et celle par Parsons d’un état : selon Chierchia, le présent simple en anglais contient le quantificateur générique Gn, et dans (168), il y a le quantificateur existentiel. Qu’est-ce qui m’empêcherait d’analyser (168a) de façon tout à fait analogue à (157b), en utilisant un quantificateur générique, comme en (168c) ? c. Gn s [C(j,s)] [∃x(Dog(x) ∧ Have(s) ∧ Object(s,x) ∧ In(j,s)] (168c) signifierait que pour toute situation adéquate du type s si Jean y est impliqué, cette situation est une telle que Jean y possède un chien (pas forcément à chaque occasion le même chien, selon cette formule, puisque le quantificateur existentiel est sous la portée du quantificateur générique). Mais cela ne semble pas être la lecture dominante ou la plus naturelle pour des phrases comme Jean a un chien ou Jean avait un chien, qui sont pourtant censées être représentées par (168c) (en faisant abstraction de la localisation temporelle). Une 178 Terence PARSONS (2000) : “Underlying States and Time Travel“, in Speaking of Events, pp. 81-93. Cela semble néanmoins au moins en partie nécessaire, malgré les inconvénients que cela présente : cf. Graham KATZ (2000) : “Anti Neo-Davidsonianism: Against a Davidsonian Semantics for State Sentences”, in : Carol TENNY/James PUSTEJOVSKY (éds., 2000) : Events as Grammatical Objects. Stanford: CSLI. pp. 393416. 179 115 lecture qui donne la portée large à l’indéfini (procédé qui devrait être possible au moins en théorie) rend le résultat encore plus étrange : d. ∃x[Dog(x) ∧ [Gn s [C(j,s)] [Have(s) ∧ Object(s,x) ∧ In(j,s)]] Cette formule asserte qu’il y a un chien déterminé qui, dans toute situation adéquate du type s – si Jean y est impliqué – a la propriété d’être possédé par Jean, - et ceci ne semble pas être une interprétation courante ou même acceptable d’un équivalent de (168a). La présence ou absence d’un argument d’état ne semble cependant pas très éclairante en ce qui concerne le problème de la quantification dans les phrases en quand. Bien que le comportement du PC soit plus ou moins celui qu’on pourrait attendre selon les prédictions de la DRT (un temps perfectif introduit un événement dans l’univers de discours), le comportement de l’IMP est bien moins uniforme : il peut dénoter un événement en cours (en combinaison avec un PC/PS) à occurrence unique, un événement complet et itéré (en combinaison avec un IMP), mais aussi un intervalle, dont la relation à un événement – s’il y en a – reste assez flou pour l’instant (avec IMP également). Si on compare ces faits de l’IMP avec ce qui se passe avec le Progressif, on constate que la combinaison quand PC PROG produit les mêmes effets de sens que quand PC IMP. En revanche, si on remplace, dans une structure quand IMP IMP, l’un des deux IMP par un PROG, au moins l’interprétation à l’époque où disparaît : 169. a. Quand Marie a arraché le papier peint, Jean était en train de peindre la cuisine. b. Quand Jean était en train de lire le journal, Marie a chanté. c. Quand Marie était en train de réfléchir, Jean regardait la télé. d. Quand Jeanne réfléchissait, Pierre regardait la télé. (169a) et (169b) s’interprètent comme occurrence unique de la réunion de deux événements, où l’événement au PC est – en ce qui concerne sa localisation temporelle relative – proprement inclus dans l’événement au Progressif. Pour (169c) et (169d), on peut construire des interprétations itérées, même si, avec un Progressif dans la subordonnée (169c), une interprétation en tant qu’occurrence unique semble être plus évidente pour certains locuteurs. Le fait qu’un Progressif exclue l’interprétation qui fait référence à un intervalle temporel (interprétation à l’époque où) suggère très fortement que le progressif n’est pas à mettre dans la même catégorie avec l’IMP, comme le propose Smith. Le progressif semble demander non pas un intervalle temporel, mais plutôt un événement (ou une partie d’un événement) pour s’y appliquer. Cette propriété du progressif pourrait aussi expliquer la 116 restriction de sélection qui exclue les états (et expliquer les effets de sens qui se produisent si on applique un progressif à un état). Il semble donc qu’un progressif ait besoin d’un argument d’événement qu’il peut modifier, ce qui n’est pas le cas pour l’IMP. En guise de résumé, on constate qu’avec un PC (s’il fonctionne comme temps du passé perfectif) et sans A-quantificateur explicite dans la phrase, on a tendance à interpréter une phrase coordonnée par quand comme réunion (join) de deux événements à occurrence unique. Les exceptions sont s’il y a un IMP combiné à un état ou un prédicat événementiel, mais sous la portée d’une indication de fréquence : 170. a. Quand Jean avait 20 ans, il a fumé. b. Quand Marie regardait souvent la télé, Anne s’est énervée. Il est cependant impossible d’interpréter les propositions au PC en (170) comme réactions habituelles à un stimulus ; il y a possiblement itération, mais de façon épisodique. Il serait de plus quelque peu bizarre de continuer une telle phrase par quelque chose comme sauf une fois, lorsque… La fonction de la subordonnée en quand et les effets qu’elle provoque sur l’interprétation du PC sont d’ailleurs apparemment les mêmes que ceux provoqués par un adverbe de localisation temporelle du type EN INTERVALLE (par exemple, en 2003). De plus, on observe au moins dans certaines configurations, que le PC comme temps du passé a tendance à provoquer une transformation des prédicats qui n’auraient normalement pas de variable événementielle en quelque chose qui ressemble à certains égards à un événement. Si on suppose que le PC peut ajouter un argument événementiel à un état, cela expliquerait la différence assez claire entre (170a) a (171) : 171. ? Quand Jean a eu 20 ans, il a fumé. Une paraphrase possible pour (171) serait qu’à son anniversaire (qu’on pourrait interpréter comme événement d’avoir 20 ans), Jean a fumé quelques cigarettes. Mais même si dans ce contexte-là une interprétation d’un état en tant qu’événement semble admissible, cela me semble déjà moins évident pour les effets d’un perfectif avec des verbes comme savoir ou connaître. Un progressif n’est pas capable de provoquer un tel changement de sens : il est toujours interprété comme partie d’un événement (phase préparatoire incluse, dans le cas d’un achèvement). Et si la différence aspectuelle entre un IMP et le PC peut bien être neutralisée 117 dans un contexte itéré, comme le soutient de Swart (1993), le progressif et le rétrospectif (c’est-à-dire les parfaits) ne sont pas neutralisés. La neutralisation de la charge aspectuelle imperfective (dans le sens de Smith) est très claire dans l’exemple suivant : 172. a. Quand Marc fumait, il était blême. i) à chaque fois que Marc fumait une cigarette, il devenait blême ii) à l’époque où Marc avait l’habitude de fumer, il était blême b. Quand Marc a fumé, il était blême. i) il existe une occasion à laquelle Marc a fumé et Marc était déjà blême avant de fumer (172a) peut s’interpréter comme cause et effet (cf. (172ai)), et cela demande qu’on puisse interpréter un état à l’IMP de manière inchoative, ce qui n’est normalement pas possible avec un IMP dans un contexte où l’action est à occurrence unique (sauf IMP de rupture, encore une fois), comme c’est le cas dans (172b). La contrainte en français de non-coréférentialité des sujets dans des phrases coordonnées par quand et avec deux progressifs reste à expliquer (cf. l’exemple (163)). Le fait que cette même contrainte apparaisse en allemand (dans une certaine configuration avec gerade) laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’un effet direct d’une structure grammaticale ‘progressif’, mais qu’elle dépend plutôt d’une configuration temporelle particulière qu’un progressif (entre autres) peut provoquer. Il serait nécessaire de savoir si tous les progressifs présentent cette contrainte, et quelles autres configurations la causent, pour pouvoir expliquer d’où elle vient. Une deuxième question qui me paraît importante est de savoir quel statut possède le quantificateur générique auprès de temps grammaticaux dotés de l’aspect neutre. Il ne semble pas que ce quantificateur soit toujours projeté, et une interprétation générique est au moins dans certains cas dépendante du contexte, mais aussi de l’Aktionsart de la situation et des types du prédicat en question180. Au cours de ce chapitre, j’ai présenté des raisons qui excluent à mon avis qu’on attribue à l’IMP une valeur aspectuelle imperfective telle qu’elle a été définie par Smith : 180 Cf. Jean mange du chocolat est ambigu entre une lecture générique et une lecture progressive, puisqu’un nom massique comme chocolat est cumulatif (dans la terminologie de Krifka ; c’est-à-dire : si on prend du chocolat et qu’on y ajoute du chocolat, on aura toujours du chocolat). Avec un nom quantique (quantized, par exemple, une pomme : une pomme plus une pomme n’est pas une pomme, mais deux pommes), on a tendance à interpréter une phrase comme Jean mange une pomme en tant que Jean est en train de manger une pomme. 118 premièrement, dans des contextes itérés, l’IMP se comporte assez exactement comme Smith le prédit pour un aspect neutre. On peut avoir, avec deux IMP, des lectures en tant que séquence aussi bien qu’en tant qu’incidence, les Aktionsarten et la pragmatique influant beaucoup sur l’interprétation la plus probable. Deuxièmement, il y a l’IMP de rupture, qui, même si c’est une utilisation marquée de l’IMP, ne produit pas des effets de sens qu’on ne pourrait pas obtenir avec un IMP dans un contexte itéré. Troisièmement, dans beaucoup de cas, l’IMP ressemble beaucoup plus à un Présent (qui aurait l’aspect neutre selon Smith) qu’à un Progressif. Un progressif n’est jamais neutralisé, et il n’a pas d’interprétation itérative ou habituelle si on n’ajoute pas d’adverbe de fréquence explicite ; il semble donc qu’il ne soit pas doté de quelque chose comme un quantificateur générique. L’IMP du français se distingue cependant à certains égards des autres temps grammaticaux à aspect neutre, comme le présent en français ou en allemand, ou d’un prétérit germanique : il peut focaliser une phase préparatoire, ce qui est exclu selon Smith pour un point de vue neutre. Mais nous avons également vu que ce critère n’est très probablement pas un critère fiable pour distinguer les points de vue neutres des points de vue imperfectifs. 119 4.Conclusion et perspectives 4.1. Conclusion Les descriptions et ébauches d’analyses que réunit ce mémoire ont été consacrées à deux temps grammaticaux, le Perf et l’IMP, qui sont des expressions possibles d’un aspect neutre dans les temps du passé de l’allemand méridional et du français. J’espère avoir montré qu’il y a une variation considérable des effets de sens associés aux différents temps grammaticaux à aspect neutre, et que la valeur exacte de cet aspect, qui semble être avant tout une assignation par défaut, dépend fortement de la position qu’il occupe à l’intérieur du système linguistique. L’IMP du français se trouve en opposition aspectuelle avec un temps perfectif, le PC ou le PS, et avec une périphrase progressive être en train de qui – comparée aux progressifs en anglais, mais aussi en espagnol ou en italien – dispose d’une distribution assez restreinte. Le PRES du français, qui dispose de propriétés aspectuelles assez similaires à celles de l’IMP, n’est pas confronté à un temps perfectif à sa place du paradigme, et dispose d’utilisations (et d’effets de sens liés à ces utilisations) quelque peu plus variées. La place à l’intérieur du système semble de toute évidence aussi influer sur les propriétés aspectuelles dans le cas d’un remplacement d’un temps grammatical par un autre. En français comme en allemand méridional, un temps composé, qui était à l’origine un parfait, a remplacé en grande partie un temps simple – le PS en français, le Präteritum en allemand méridional. Morphologiquement, le Perf allemand et le PC français sont pratiquement identiques, mais ils diffèrent quant aux temps grammaticaux qu’ils ont remplacés : le PC a remplacé (au moins en langue parlée) un temps perfectif, ce qui l’a fait acquérir en plus de sa valeur de présent rétrospectif une valeur aspectuelle perfective, tandis que le Perf allemand a remplacé un temps grammatical à aspect neutre, ce qui fait qu’il a acquis additionnellement une valeur aspectuelle neutre. J’espère également avoir montré qu’il est nécessaire, au moins si on utilise les cadres théoriques de Klein ou de Smith, d’assigner des valeurs aspectuelles à tous les temps grammaticaux de toutes les langues, même si celles-ci ne disposent pas d’un système d’oppositions aspectuelles grammaticalisé (ce qui n’est le cas ni du français, ni de l’allemand 120 méridional). Dans la section sur Klein (cf. chapitre (1.3)), on a vu qu’on ne réussit pas à expliquer certains faits et inférences possibles si on ne dispose pas de ce niveau intermédiaire qu’est l’aspect. Il serait possible qu’une approche (néo-)davidsonnienne, qui pose l’existence d’événements comme primitifs sémantiques, puisse également en rendre compte. Il y a cependant quelques difficultés liées à cette approche quant au traitement des états (cf. section (3.3)), en dehors de questions d’économie de primitifs sémantiques. 4.2. Perspectives Un problème soulevé en début du mémoire était l’interdépendance entre la localisation temporelle, l’aspect et les Aktionsarten. L’aspect, comme catégorie intermédiaire entre ces trois niveaux, est souvent annexé ou bien du côté de la localisation temporelle (chez Klein et Demirdache-Etxebarria) ou bien du côté de l’Aktionsart (dans le traitement standard de la DRT181). De plus, il semble qu’il y a à l’intérieur de ce qu’on peut appeler (avec Elena de Miguel) l’ « aspectualité » une espèce de continu. La distinction entre aspect syntaxique et Aktionsart se fait souvent sur une base morphologique, c’est-à-dire : ce qui se manifeste par des morphèmes affixés aux verbes relève du domaine de l’aspect syntaxique (classes ouvertes), et les effets des propriétés d’une situation (classes couvertes) relèvent du domaine de l’Aktionsart. Entre ces deux niveaux, il semble cependant y avoir des intermédiaires : dans les langues romanes, les périphrases verbales qui rendent des situations inchoatives, resultatives, etc., ou dans les langues germaniques, des adverbes ou préverbes qui ont à peu près le même effet : 173. a. J’ai fini de lire ce livre. b. Ich habe dieses Buch fertiggelesen. Je ai ce livre fini-lu. J’ai fini de lire ce livre. La question se pose de savoir si on devrait analyser ces constructions plutôt comme des catégories grammaticales (et donc leur attribuer des têtes fonctionnelles, comme le propose 181 Tel qu’exposé dans Hans KAMP/Uwe REYLE (1993) : From Discourse to Logic. Introduction to Modeltheoretic Semantics of Natural Language, Formal Logic and Discourse Representation Theory. Dordrecht : Kluwer. pp. 556ss. 121 Cinque182), ou si on ferait mieux de les situer plus bas, dans une position intermédiaire entre les têtes fonctionnelles TP et ASP-P et le verbe lexical dans VP183. D’autre côté, on peut se demander s’il est nécessaire de postuler deux niveaux à l’intérieur de l’aspectualité, ou s’il ne serait pas possible de traiter l’aspect syntaxique comme une modification de l’Aktionsart. Il y a certains faits qui indiqueraient qu’une telle démarche serait peut-être justifiée : en finnois, l’article partitif cause des effets de sens qui sont identiques à ceux qu’on peut observer avec l’aspect (syntaxique) de l’imperfectif russe : 174. a. On Il napisa-l (Perf) pis’m-a écrire-PasséM3Sg lettre-PlAcc Hän krjoitt-i kirjee-t Il/elle écrire-PasséM3Sg lettre-PlAcc (russe) (finnois) ‘Il a écrit les lettres’ (…et est parti) b. On Il pisa-l (Imperf.) pis’m-a écrire-PasséM3Sg lettre-PlAcc Hän kirjoitt-i kirje-i-tä Il/elle écrire-PasséM3Sg letter-Pl-Part (russe) (finnois) (1) ‘Il a écrit des lettres’ (… et est parti) (2) ‘Il écrivait des lettres’ (… quand je suis arrivé) (3) ‘Il écrivait les lettres’ (…quand je suis arrivé)184 Cet exemple montre que deux langues, avec des moyens très différents, arrivent à la même ambiguïté sémantique dans (174b) : un aspect imperfectif russe avec un objet à l’accusatif produit le mêmes effets sur l’aspect et la ‘définitude’ du NP accusatif qu’un partitif finnois – langue dont les temps grammaticaux semblent être dotés d’un point de vue neutre selon Smith185. En même temps, on voit ici que des propriétés aspectuelles peuvent influer sur l’interprétation d’un NP, ou vice versa. Les données du finnois soulèvent un autre problème, à savoir celui de la légimité et du bien-fondé d’une catégorie fonctionnelle comme ASP-P (Aspect-Phrase). Le fait qu’une catégorie nominale qui ne peut pas monter plus haut que dans Spec-VP ait les mêmes effets sémantiques que le prototype de l’aspect imperfectif est en effet capable de mettre en cause cette idée d’une catégorie fonctionnelle et indépendante qui serait l’aspect syntaxique. 182 Cf. G. CINQUE (1999) : Adverbs and Functional Heads. New York : Oxford University Press. Comme le propose Brenda LACA (2002) : “Romance “Aspectual” Periphrases: Eventuality Modification vs. “Syntactic” Aspect”, (ms.) Université Paris 8. 184 Exemples et gloses selon Paul KIPARSKY (1998) : “Partitive Case and Aspect”, in : M. BUTT/W. GEUDER (éds., 1998) : The projection of Arguments. Stanford: CSLI. p. 272. 185 Cf. Smith (1991), p. 93. 183 122 Un troisième domaine qui semble être lié à l’aspectualité ou être influencé par celle-là est la structure informationnelle d’une phrase, et la possibilité d’avoir des interprétations génériques. En japonais, il y a une différence d’interprétation entre un sujet topicalisé avec un temps simple et un sujet au nominatif avec un Progressif : 175. a. Inu wa hasiru chien TOP court ‘Les chiens courent.’ [générique] b. Inu ga hasitte iru chien NOM courir PROG ‘Des chiens/un chien sont/est en train de courir.’186[non-générique, épisodique] En finnois, une alternance entre un sujet nominatif et un sujet au partitif semble jouer un rôle analogue : 176. a. Koirat haukkuvat. chiens.NOM aboyer.PL ‘Les chiens aboient.’ [générique] b. Koiria haukku. chiens.PART aboyer.SG ‘Des chiens sont en train d’aboyer’. 187 Il semble qu’une formalisation adéquate de l’aspectualité devrait donc comprendre et permettre de lier entre eux au moins i) une sémantique de la répartition en focus et topique et son influence sur la quantification, ii) un traitement compositionnel des Aktionsarten, et iii) un traitement unifié de la manipulation et effets de coercion des Aktionsarten par des moyens qui s’appliquent ou bien au verbe ou bien à un de ses arguments. Des points de départ très intéressants se trouvent dans les travaux de Krifka. Dans Krifka (1992), une analyse unifiée des effets de l’article partitif et de l’aspect progressif est proposée, qui analyse les deux formes en tant que modificateurs de prédicats dont la signification est ‘partie de’ : 177. a. PART = λPλx’∃x[P(x) ∧ x’ ⊆ x] b. PROG = λPλe’∃e[P(e) ∧ e’ ⊆ e ]188 186 Exemples et gloses selon Manfred KRIFKA e.a. (1995) : “Genericity: An Introduction“, in : The Generic Book. Chicago : University of Chicago Press. p. 118. 187 Cf. ibid. 188 Cf. Kiparsky (1998), pp. 276ss., qui résume Manfred KRIFKA (1992) : “Thematic Relations as Links between Nominal Reference and Temporal Constitution”, in : Ivan SAG/Anna SZABOLCSI (éds., 1992) : Lexical Matters. Stanford : CSLI. 123 Selon cette analyse, PART(P) et PROG(P) dénotent l’ensemble des entités qui sont des parties d’entités qui ont la propriété P. Krifka (1995)189 propose une analyse qui intègre la structure informationnelle dans un système strictement compositionnel et dynamique, c’est-à-dire qui emprunte à la DRT et aux travaux de Heim l’idée que les NP renvoient à des référents de discours. De cette façon-là, on peut rendre compte de la sensibilité des quantificateurs envers la structure informationnelle d’une phrase quantificationnelle donnée. Krifka travaille avec des variables d’événements e sur lesquels on peut quantifier. Les travaux de Verkuyl, qui sont une des approches les plus connues d’un traitement compositionnel des Aktionsarten, se montrent plutôt sceptiques en ce qui concerne l’admissibilité d’une variable événementielle e en tant que primitif sémantique. Et en effet, à combien d’événements donne lieu une phrase comme (178) ? 178. Quatre femmes lèvent cinq tables. Un seul, ou vingt (si chaque femme lève chacune des 5 tables séparément, cela fait 4 x 5 = 20), ou n’importe quel nombre d’événements entre 1 et 20 ? Bien sûr, il serait possible que cela ne soit qu’un problème apparent, qui pourrait luimême être lié au grand domaine de l’aspectualité. Il serait possible que telle ou telle distribution de l’ensemble d’individus dénoté par l’objet envers l’ensemble d’individus dénotés par le sujet soit lui-même conditionné par l’aspect. C’est-à-dire qu’avec une certaine configuration aspectuelle, il serait possible de n’avoir qu’une lecture en bloc de l’ensemble des cinq tables et de l’ensemble des quatre femmes190. Cette question soulève en outre certaines questions ontologiques : qu’est-ce qu’un événement ? Je crois cependant qu’en se fondant sur les approches susmentionnées de Krifka, il serait possible d’arriver à une formalisation explicite et explicative de quelques facettes des problèmes que pose l’aspectualité. Il me semble que les prochaines étapes à partir de ce mémoire devraient être pour l’allemand, d’essayer d’unifier la description en tant que résultatif du préverbe fertig- avec le comportement du Perf pro futuro. On avait vu qu’on peut traiter fertigV comme structure causative selon l’analyse de Dowty (1979) : [Sujet V [CAUSE[BECOME[Objet fertig]]]], et il y avait des raisons qui laissaient supposer qu’une 189 M. KRIFKA (1995) : “Focus and the Interpretation of Generic Sentences“, in : The Generic Book. pp. 238264. 190 Cf. Benjamin SPECTOR (2003) : “Plural Indefinite DPs as Plural-Polarity Items” (ms.), Université Paris VII. 124 approche modifiée puisse rendre compte des phénomènes du Perf pro futuro. Une deuxième tâche, plus fondamentale, sera d’établir des tests pour la classification des situations adaptés au système aspectuel de l’allemand (méridional) – c’est-à-dire sans aspect perfectif ni progressif – tests qui exploitent (entre autres) la différence aspectuelle entre rétrospectif et neutre.191 Pour le français, une prochaine étappe de la recherche serait d’établir un modèle qui apporte des clarifications au sujet de la différence entre IMP et Progressif, surtout en ce qui concerne la neutralisation de la charge aspectuelle imperfective dans des contextes itérés. On a vu que l’IMP se comporte dans des contextes itérés exactement comme Smith le prédit pour un aspect neutre, mais qu’il se comporte dans des contextes épisodiques comme un aspect imperfectif. Les propriétés aspectuelles du progressif et du rétrospectif par contre restent constantes, peu importe s’il s’agit d’un contexte itéré où d’une situation à occurrence unique. En ce qui concerne le domaine de recherche, il sera aussi nécessaire de l’élargir. Bien que la comparaison entre l’allemand et le français ait été fructueuse (c’est au moins ce que j’espère), il était dans certains cas difficile ou insuffisant de limiter les démonstrations à ces deux langues-là. Comme la plupart des tests pour les Aktionsarten a été élaborée pour le système temporel et aspectuel de l’anglais – et comme un grand nombre d’analyses traitent (pour des raisons de commodité) des faits de l’anglais – il sera important de vérifier les résultats obtenus pour cette langue. En plus, la forme be –ing étant le prototype de l’aspect progressif (et imperfectif dans la définition de Smith), il sera avantageux de s’occuper de cette forme aspectuelle en particulier, pour mieux pouvoir décrire à la fois les spécificités d’un Progressif et celles d’un Imparfait tel qu’il se présente dans les langues romanes. L’espagnol pourrait aussi s’avérer une langue intéressante pour des recherches dans le domaine de l’aspectualité : non seulement, on utilise encore le passé simple et le passé antérieur qui ont disparu de la langue parlée du français contemporain, mais il existe aussi une périphrase progressive dont l’emploi semble être beaucoup moins restreinte que celle de son homologue français être en train de. Une langue quelque peu plus exotique (puisque non naturelle), mais néanmoins très intéressante pour le domaine de la temporalité et aspectualité, est l’esperanto. Son système 191 Plusieures notes en bas de page, dans lesquelles je doute de l’Aktionsart d’une situation donnée, montrent que ce mémoire aurait pu en tirer profit. 125 temporel est strictement symétrique et pourrait avoir servi de fond aux réflexions de Reichenbach ou aussi de Demirdache - Etxebarria. Il y a trois temps simples : 1. Présent (as-tempo) : ŝi (nun) elle (maintenant) kant-as. chanter.PRES 2. Passé (is-tempo) : ŝi kant-is (hieraŭ). elle chanter.PAS (hier) 3. Futur (os-tempo) : ŝi kant-os elle chanter.FUT (morgaŭ). demain Additionnellement, il y a des temps composés qui se forment à l’aide de l’auxiliaire ESTI (être) et des participes – qui sont construits de la façon suivante : MANĜ Radical I/A/O marque temporelle NT/T marque actif/passif A terminaison Il y a donc six participes en Espéranto, contre 2 dans les langues romanes. Si l’auxiliaire est en ce cas comme expression de la temporalité, on aura le participe comme expression de l’aspectualité, avec les trois relations de Demirdache-Etxebarria (antériorité, inclusions, postériorité) entre TT et T-SIT : est-os 179. Ŝi elle être.FUT ‘Elle aura chanté’ kant-i-nta. chanter.PAS.ACTIF ce qui donnerait en termes de Demirdache-Etxebarria le schéma suivant : [TU -os (avant) TT -is (après) T-SIT] De plus, il existe une série de morphèmes qui servent à changer les Aktionsarten de la racine, p.e. ek- qui rend les verbes inchoatifs (vidi – voir ; ek-vidi – apercevoir) ou re-, qui marque la répétition. Contrairement à l’inventaire allemand des préverbes du même type, ceux-là sont strictement compositionnels et a priori disponibles pour n’importe quel verbe. 126 Mais il se pose, pour cette langue, des questions d’ordre méthodologique : il n’y a pas d’esperanto standard ni de véritables locuteurs natifs192, de sorte que tout ce qui est morphologiquement correct est considéré comme acceptable – ce qui laisse évidemment beaucoup de place au transfert des langues maternelles. De cette façon, on peut s’attendre à ce que ce système de l’esperanto soit utilisé de manière très différente selon les langues maternelles des esperantophones193. Compte tenu de l’ampleur du domaine de l’aspectualité, ce mémoire n’a pu qu’effleurer quelques problèmes, et leur traitement formel est resté très superficiel et réducteur. Surtout, je n’ai pas traité ici le problème qui semble pourtant être central : celui de savoir s’il est préférable de procéder à une séparation stricte entre aspect morpho-syntaxique et Aktionsarten, comme le propose Smith, ou s’il vaudrait mieux considérer l’aspect comme modificateur d’éventualités, comme le propose Krifka. Si la première démarche se révèle plus explicative, il faudra en outre montrer où se trouve exactement la frontière entre ces deux catégories de l’aspect. Les approches les plus explicites semblent préférer cependant la deuxième voie, ce qui pose encore le problème des différences de niveau à l’intérieur de cette classe de modificateurs, et comment on peut en rendre compte. 192 Même si l’esperanto est acquis dès le plus jeune âge, comme langue première ou seconde, de façon analogue à une langue maternelle, la langue est acquise à partir du modèle de locuteurs qui l’ont apprise comme langue seconde. 193 Cf. Natalia DANKOVA (1997) : Temporalité en Esperanto. 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