PRÉVOIR SA SUCCESSION Comment protéger ses proches ?

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PRÉVOIR SA SUCCESSION Comment protéger ses proches ?
D R O IT / AS S U RAN C E S
ALEXIA RAMBOSSON
BELLINGAN
JOSSELIN
DE SAINT PÉRIER
PRÉVOIR SA SUCCESSION
Comment protéger ses proches ?
La réforme du droit successoral suisse a enfin été annoncée en août 2013 par le
Conseil fédéral. Cette réforme est nécessaire en raison du décalage croissant existant entre ce droit centenaire et les besoins de la société actuelle.
1. INTRODUCTION
Cette réforme sera délicate. D’une part, les intérêts à prendre
en compte sont plus complexes qu’il y a cent ans, par exemple
en cas d’enfants non-communs de conjoints, de concubins et/
ou d’enfants du concubin. D’autre part, la complexité de l’enchevêtrement des conséquences juridiques au décès résultant
du droit fiscal successoral, du droit des assurances sociales et
de la prévoyance, du droit civil successoral, des droits réels et
du droit de la famille (en particulier du régime matrimonial,
ci-après «droit matrimonial») s’est également accrue.
Le processus de modification sera donc long et difficile.
Dans l’attente d’un nouveau cadre juridique plus adéquat,
nous analyserons ici les mesures actuelles existantes du droit
suisse [1] permettant de protéger son conjoint survivant et/ou
ses enfants, mais, de nos jours, également son concubin,
voire les enfants de ce dernier.
2. COMMENT PROTÉGER SON CONJOINT?
De prime abord, il semblerait que le conjoint survivant soit
avantagé par le droit suisse. Il a en effet un statut particulier.
En droit fiscal successoral, par exemple, il est favorisé, car dans
tous les cantons, les successions entre conjoints sont exonérées (une exception existe dans le canton de Genève, mais
uniquement si le défunt bénéficie ou a bénéficié de l’imposition d’après la dépense [2]).
Cependant, un examen plus spécifique montre que le statut particulier du conjoint survivant a ses limites. Ainsi, en
matière de droit des assurances sociales et de la prévoyance, le
conjoint survivant ne percevra plus, dans le cadre du premier
pilier, la rente pour couple AVS de 150%, mais uniquement
une rente AVS de 100% [3]. Dans le cadre du deuxième pilier,
le droit à la rente de conjoint survivant est limité [4] et n’est
plus qu’un pourcentage réduit du droit du défunt (60% de la
rente [5]). Par conséquent, ces revenus ne permettront plus,
dans la majorité des cas, de maintenir le niveau de vie du
conjoint survivant.
En l’absence de disposition prise par le défunt, le droit civil
successoral ne permet généralement pas davantage de compenser entièrement ce manque de revenus. En effet, les règles ab
intestat du droit civil successoral n’allouent que les 3/4 de la
succession au conjoint survivant sans enfant et en concours
avec les deux parents survivants du défunt [6], et que 1/2 de la
succession si le défunt a des enfants communs ou non communs [7]. C’est seulement dans l’hypothèse où le défunt n’a
ni enfant ni parent que le conjoint survivant reçoit l’intégralité de la succession [8].
Si l’époux survivant ne détient pas de revenus propres, il
pourrait par conséquent se retrouver dans une situation financière précaire. Or, la majorité des époux souhaitent, à
l’opposé, assurer à leur conjoint survivant un niveau de vie
identique ou à tout le moins qu’il puisse rester dans le logement conjugal. Dans les limites du respect des parts suc­
cessorales qui doivent revenir à certains membres de la famille du défunt (les héritiers réservataires [9]), le droit civil
successoral offre deux possibilités d’améliorer cette situation.
Premièrement, le défunt peut, entre autres par testament [10], octroyer la quotité disponible [11] à son conjoint survivant. Cette quotité disponible varie en fonction des autres héritiers réservataires du défunt. En l’absence d’enfant et en
concours avec les deux parents survivants, le droit du conjoint
survivant sera alors de 7/8 de la succession [12] (1/8 de plus) et
en présence d’enfants de 5/8 [13] (1/8 de plus également), soit
une légère amélioration.
ALEXIA RAMBOSSON
JOSSELIN DE SAINT PÉRIER,
BELLINGAN, DIRECTRICE
DIRECTEUR ADJOINT,
ADJOINTE, AVOCATE,
CONSEILLER PATRIMONIAL,
EXPERTE FISCALE
BANQUE LOMBARD
DIPLÔMÉE, LL.M., BANQUE
ODIER & CIE SA, GENÈVE
LOMBARD ODIER & CIE SA,
ZURICH
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D R O IT / AS S U RAN C E S
P révoir sa succession
Tableau 1: PARTS SUCCESSORALES DU CONJOINT SURVIVANT
Conjoint survivant
en concours avec
Droit successoral ab intestat
Mesures testamentaires en
faveur du conjoint survivant
Part non allouable
au conjoint survivant
Enfants (communs ou non)
50% (1⁄2 ou 4⁄8)
62,5% (5⁄8)
37,5% (3⁄8)
Deux parents du défunt
75% (3⁄4 ou 6⁄8)
87,5% (7⁄8)
12,5% (1⁄8)
100%
100%
0%
Aucun héritier réservataire
À noter que, d’une part, seul un pacte successoral [14] conclu
entre le défunt et ses héritiers réservataires – qui renonceraient à tout ou partie de leurs droits (futurs) – permet une
plus grande liberté quant à la répartition du patrimoine, cela
notamment au bénéfice du conjoint. D’autre part, si la réserve des enfants du défunt se transmet en cas de prédécès à
leurs propres enfants (les descendants [15]), en revanche la réserve des parents du défunt ne se transfère pas aux frères et
sœurs du défunt [16] (cf. tableau 1).
Deuxièmement, le droit civil successoral prévoit expressément la possibilité de léguer au conjoint survivant par testament un droit d’usufruit sur la part successorale dévolue aux
enfants communs [17]. Ce droit d’usufruit «particulier» a
comme contrepartie la perte du droit successoral du conjoint
et une quotité disponible ramenée à 1/4 [18]. En cas de concours
avec des enfants communs, le conjoint survivant pourrait
donc être gratifié, sous forme de legs, d’un droit d’usufruit
portant sur la totalité de la succession. Afin de favoriser davantage encore le conjoint, ce dernier pourrait également recevoir – en plus du droit d’usufruit portant sur les 3/4 de la
masse successorale – la pleine propriété du 1/4 restant (la
quotité disponible) [19].
Les possibilités offertes par ce droit d’usufruit en faveur
du conjoint survivant connaissent cependant deux limites.
D’une part, ce droit ne saurait porter atteinte à la réserve des
enfants non communs [20] et, d’autre part, ce droit prend fin
en cas de remariage du conjoint survivant (les descendants
peuvent alors demander que l’usufruit du conjoint soit réduit
afin que leur réserve ordinaire (l’équivalent de 3/8 en pleine
propriété) soit respectée [21]. L’utilisation de ce droit est délicate, car elle engendre de nouvelles relations juridiques et des
conséquences pratiques: la relation usufruitier/nu-propriétaire, y compris les obligations respectives notamment au regard des charges afférentes au patrimoine démembré, la détermination de la valeur capitalisée du legs d’usufruit, l’existence d’un patrimoine susceptible de générer des revenus
suffisants pour le conjoint survivant, etc. Néanmoins, il peut
s’avérer particulièrement intéressant, notamment afin d’assurer la possibilité pour le conjoint survivant de rester dans
le logement familial.
Le droit civil successoral ainsi que les mesures testamentaires envisageables ne peuvent donc pas toujours protéger
intégralement le conjoint survivant.
Les droits réels et le droit matrimonial permettent cependant de renforcer la position du conjoint survivant. En tout
premier lieu, les droits réels, souvent négligés, sont primordiaux, car la première question qui se pose, en cas de succes-
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sion, est la détermination des biens appartenant au défunt
dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial [22].
Lorsque les époux sont soumis au régime ordinaire de la participation aux acquêts, l’attribution des biens à l’un ou l’autre
des époux répond, en l’absence de preuve contraire, à deux
présomptions: tout bien est présumé d’une part être un acquêt [23] et d’autre part appartenir en copropriété aux deux
époux [24]. Par conséquent, il est fortement recommandé
aux couples mariés (peu importe le régime matrimonial) de
conserver la preuve de la propriété des biens (factures, relevés
de compte, preuve de donation, etc.). Le droit matrimonial des
époux a de surcroît un effet direct sur le droit successoral. En
effet, lorsque les époux sont soumis au régime ordinaire de
la participation aux acquêts, le conjoint survivant reçoit la
moitié des biens acquêts du défunt à la liquidation du régime
matrimonial [25] (cf. tableau 2).
Ce n’est par conséquent qu’en agissant en temps utile et
en usant de la combinaison de différentes mesures issues de
différents chapitres de l’ordre juridique suisse qu’une protection maximale du conjoint survivant peut être garantie.
3. COMMENT PROTÉGER SES ENFANTS
(COMMUNS ET/OU NON COMMUNS)?
Les enfants bénéficient également d’un statut particulier. En
droit fiscal successoral par exemple, ils sont exonérés, dans pres­
que tous les cantons, des impôts sur les successions [28]. Seules
quelques exceptions subsistent: AI [29], LU [30], NE [31] et VD [32]
imposent les descendants; JU [33]/GE ne les imposent que si le
défunt bénéficiait de l’imposition d’après la dépense – à Genève, également si le défunt en a bénéficié avant son décès [34].
Le statut privilégié des enfants a cependant lui aussi ses limites. Le droit des assurances sociales et de la prévoyance ne protège que de manière limitée les enfants. Les rentes d’orphelin sont minimes et sont interrompues lorsque l’orphelin atteint la majorité (18 ans) ou 25 ans s’il étudie [35]. La rapide
indépendance économique est donc clairement favorisée.
En revanche, le droit civil successoral actuel protège de manière importante les enfants. Non seulement les règles ab intestat octroient soit l’entier de la succession aux enfants en
l’absence de conjoint survivant [36], soit 1/2 en cas de conjoint
survivant [37], mais elles leur octroient également un droit de
réserve à hauteur de 3/4 de leur part légale [38]. À l’extrême,
l’absence de mariage ou de remariage du défunt est donc la
première mesure, éminemment radicale, de protection des
descendants. En cas de concours avec un conjoint survivant,
il est également possible de favoriser les enfants au moyen
d’un testament ou d’un pacte successoral. Au moyen du tes-
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P révoir sa succession
tament, le défunt peut octroyer la quotité disponible à ses enfants. Au moyen d’un pacte successoral, il peut également,
avec l’accord de son conjoint, octroyer l’ensemble de la succession aux enfants (le conjoint survivant renonçant ainsi à
sa réserve). Dans ce cas également, un testament qui violerait des droits réservataires, mais qui ne serait pas contesté
judiciairement, serait valable juridiquement [39]. Par exemple,
le défunt institue ses enfants seuls héritiers, en violation de
la réserve du conjoint survivant, celui-ci renonçant à faire valoir ses droits en justice lors du décès.
En présence du conjoint survivant, les enfants ne touchent
que la moitié de la succession. Grâce à des mesures successorales testamentaires, la quotité disponible peut leur être attribuée, soit 1/4 supplémentaire, leur quote-part totale s’élève
alors à 3/4 (tableau 3).
Les droits réels et le droit matrimonial peuvent à nouveau
avoir un impact sur ce qui revient aux descendants. En tout
premier lieu, les droits réels bien entendu sont à nouveau déterminants pour allouer les biens tombant dans la masse successorale. Le droit matrimonial ensuite a un effet direct sur
la masse successorale. En effet, comme mentionné plus
haut, lorsque les époux sont soumis au régime ordinaire de
la participation aux acquêts, le conjoint survivant, grâce à un
contrat de mariage, peut se voir octroyer l’entier de la succession. Également par contrat de mariage, les époux peuvent, à l’inverse, convenir que chacun conserve à la liquidation du régime matrimonial la totalité de ses acquêts, augmentant en cela les actifs revenant à la masse successorale
du défunt et par conséquent la part revenant aux enfants
­(tableau 4).
Tableau 2: CONSÉQUENCES DU DROIT MATRIMONIAL SUR LA SUCCESSION
Exemple 1: époux mariés depuis 40 ans, avec enfants, patrimoine de CHF 2 000 000 appartenant au défunt, dont la totalité constitue
des acquêts de ce dernier.
Biens attribués à la masse
successorale
Liquidation régime
matrimonial
Liquidation masse
successorale
Biens attribués au conjoint
survivant
Biens propres du défunt
0
0
Biens acquêts du défunt
(répartition 50/50)
50% = CHF 1 000 000
50% = CHF 1 000 000
25% (1⁄2 de 50%) aux enfants =
CHF 500 000
25% (1⁄2 de 50%) au conjoint
survivant = CHF 500 000
Succession ab intestat, moitié
pour les enfants, moitié pour le
conjoint survivant
Total enfants
25% (1⁄2 de 50%) = CHF 500 000
Total conjoint survivant
75% (50% + 25%) = CHF 1 500 000
Variante A: Attribution des biens selon preuve de propriété pour 25% au conjoint survivant (biens propres), l’ensemble des biens restants (75%) sont des acquêts du défunt, et testament octroyant la quotité disponible au conjoint survivant.
Biens attribués à la masse
successorale
Biens attribués au conjoint
survivant
Liquidation régime
matrimonial
Biens propres du défunt
0
25% = CHF 500 000
Bien acquêts du défunt
(répartition 50/50)
37,5% = CHF 750 000
37,5% = CHF 750 000
Liquidation masse
successorale
Testament: quotité disponible
attribuée au conjoint survivant
14,1% (3⁄8 de 37,5%) constitue la
réserve des enfants = CHF 282 000
23,4% (5⁄8 de 37,5%) constitue
le reste = CHF 468 000
Total enfants
14,1% (3⁄8 de 37,5%) = CHF 282 000
Total conjoint survivant
85,9% (25% + 37,5%+23,4%) =
CHF 1 718 000
Variante B: Par ailleurs, il est possible dans le cadre du régime matrimonial de la participation aux acquêts, par le biais d’un contrat de
mariage passé devant notaire, d’attribuer l’intégralité des acquêts au conjoint survivant [26]. Cette option n’est envisageable qu’en présence d’enfants communs [27]. Si le défunt n’a pas de biens propres, les enfants communs ne recevront alors rien dans la succession,
car la masse successorale est tout simplement vide.
Biens attribués à la masse
successorale
Biens attribués au conjoint
survivant
Liquidation régime
matrimonial
Biens propres du défunt
0
25% = CHF 500 000
Biens acquêts du défunt
(répartition 0/100)
0%
75% = CHF 1 500 000
Liquidation masse
successorale
Succession
Rien à partager
Rien à partager
Total enfants communs
Total conjoint survivant
236
0%
100% (25% + 75%) = CHF 2 000 000
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P révoir sa succession
Tableau 3: PARTS SUCCESSORALES DES ENFANTS
Enfants en
concours avec
Droit successoral ab intestat
Mesures testamentaires en
faveur des enfants
Part non allouable aux enfants
Conjoint survivant
 50%
 75%
25%
Aucun héritier
réservataire
100%
100%
 0%
En cas de remariage, il est par conséquent aisé de protéger les
enfants non communs au moyen d’un contrat de mariage (instaurant généralement une séparation de biens) et d’un pacte
successoral, pourvu que ces mesures soient prises à l’avance.
4. COMMENT PROTÉGER LES ENFANTS
DE SON CONJOINT?
Les enfants du conjoint sont des tiers pour le défunt, ils n’ont
pas de statut juridique.
Cependant, en droit fiscal successoral, certains cantons prévoient l’assimilation des enfants du conjoint aux enfants
communs ou l’application d’un barème réduit (AG, AR, AI,
BE, GR, LU, NW, OW, SG, SH, ZG prévoient une exonération
sous certaines conditions, VD, FR, GE, JU et ZH prévoit l’application d’un barème plus avantageux [40]). Ils sont exonérés dans le canton de SZ qui ne prélève pas d’impôt sur les successions de manière générale.
Par ailleurs, le droit des assurances sociales et de la prévoyance
ne protège pas les enfants du conjoint. Quelques rares caisses
de pension peuvent prévoir des mesures minimes, similaires à celles des enfants, et souvent uniquement de manière
discrétionnaire.
Le droit civil successoral les qualifiant également de tiers, le
défunt doit donc absolument faire un testament afin de leur
attribuer des biens. Il peut prévoir que la quotité disponible
revienne aux enfants de son conjoint. Selon la situation personnelle du défunt, la quotité disponible varie considérablement (cf. tableau 5).
Les règles des droits réels et du droit matrimonial décrites
ci-dessus afin de favoriser le conjoint survivant peuvent éga-
lement servir à protéger – certes de manière indirecte – les
enfants dudit conjoint. Au décès de ce dernier, ses enfants
ont en effet vocation à recevoir tout ou partie des actifs composant la masse successorale du conjoint survivant défunt
(cela aux conditions fiscales favorables applicables entre parents/enfants). Afin de s’en assurer, le défunt pourrait même,
dans le respect de la réserve de son conjoint, prévoir par testament que les biens transmis au conjoint devront revenir au
décès du conjoint aux enfants de ce dernier. La substitution
fidéicommissaire [41] offre précisément cette possibilité. Si
la substitution fidéicommissaire permet de déter­miner, au
décès du conjoint, le sort de certains biens, les conséquences
fiscales attachées à ce mode de disposition successorale sont
en revanche moins avantageuses que si les biens devaient parvenir à ces mêmes enfants par la seule volonté du conjoint
survivant.
Enfin, la loi prévoit expressément la possibilité d’adopter
les enfants de son conjoint, sous certaines conditions [42]. Les
enfants adoptés ont alors le même statut que les enfants.
Dans certaines situations, cela pourrait être une solution à
envisager.
5. COMMENT PROTÉGER SON CONCUBIN?
Le droit suisse n’offre pas de statut juridique au concubin. Celui-ci est considéré comme un tiers. En droit fiscal successoral,
le concubin est nettement pénalisé. Il est qualifié de tiers et
les biens qui lui seront transférés dans le cadre de la succession seront soumis à imposition au taux maximum (p. ex. au
taux maximum de 36% dans le canton de Zurich avec une
franchise de CHF 50 000 [43] et jusqu’au taux maximum de
Tableau 4: CONSÉQUENCES DU DROIT MATRIMONIAL SUR LA SUCCESSION
Exemple 2: époux mariés depuis 40 ans, avec enfants, patrimoine de CHF 2 000 000 appartenant au défunt dont la totalité constitue
des acquêts de ce dernier dont il a été prévu par contrat de mariage qu’ils reviennent à la masse successorale.
Liquidation régime
matrimonial
Liquidation masse
successorale
Biens attribués à la masse
successorale
Biens attribués aux enfants
Biens propres du défunt
0
0
Biens acquêts du défunt
(répartition 100/0)
100% = CHF 2 000 000
Testament: quotité disponible
attribuée aux enfants
Total conjoint survivant
Total enfants
2014 | 3 L’ E X P E R T - C O M P TA B L E S U I S S E
75% (3 ⁄ 8 + 3 ⁄ 8) = CHF 1 500 000
25% (1 ⁄4) constitue la réserve du
conjoint survivant = CHF 500 000
75% (3 ⁄4) = CHF 1 500 000
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D R O IT / AS S U RAN C E S
P révoir sa succession
Tableau 5: PARTS SUCCESSORALES DES ENFANTS DE SON CONJOINT
Enfants du conjoint
en concours avec
Droit successoral
ab intestat
Mesures testamentaires en
faveur des enfants du conjoint
Part non allouable aux
enfants du conjoint
Conjoint survivant
0%
50%
50%
Conjoint survivant et deux
parents du défunt
0%
50%
50%
Conjoint survivant et enfants
(communs ou non)
0%
37,5%
62,5%
presque 55% dans le canton de Genève [44]). Certains cantons ont cependant pris des mesures pour favoriser le concubin, par exemple en l’assimilant au conjoint survivant après
5 ans (AG, AR, BL , BS, GL, LU, NE, NW, OW, UR, ZH [45])
voire 10 ans (BE, FR, JU [46]) de vie commune et/ou en appliquant un taux réduit en cas de vie commune (AG, AR, BL, BS,
BE, FR, GL, JU, LU, NE [47]), ou d’enfants mineurs communs
(OW, UR [48]), voire encore en introduisant une franchise
plus élevée (AR, BL, LU, ZH [49]). Chaque canton a donc dé­
veloppé son propre traitement fiscal attaché au concubin.
S’il est totalement exonéré dans les cantons de NW, OW, SZ,
UR, ZG et GR (selon les communes) [50], il est sinon rare
qu’il soit totalement assimilé au conjoint survivant.
En droit des assurances sociales et de la prévoyance, le concubin
n’a également aucun statut juridique. Compte tenu de cette
absence de statut, les concubins sont paradoxalement avantagés en matière de rente AVS. En effet, ils touchent chacun
100% (soit 200%) de la rente AVS au lieu des 150% perçus par
les couples mariés [51]. Dans le cadre du deuxième pilier et/
ou du troisième pilier A, les caisses de pensions prévoient de
plus en plus une assimilation du concubin au conjoint survivant, pourvu que soient remplies certaines formalités (en
­particulier l’exigence d’une annonce formelle du concubin à
la caisse) ou conditions (p. ex. 5 ans de vie commune ininterrompue) [52]. Traités hors masse successorale, les éventuels
capitaux décès revenant au concubin seront soumis à l’impôt
sur le revenu lors d’une taxation séparée réduite au taux
maximal d’environ 6% (AI) à 30% (ZH) [53]. Pour les concubins,
les formalités dans la vie pratique doivent également être
considérées: en l’absence de procurations idoines, ils n’ont
aucun accès aux médecins, correspondants bancaires, assurances, car ils ne sont que des tiers. Il est par conséquent né-
cessaire que toutes ces formalités soient organisées avant le
décès.
La qualification de tiers est particulièrement désavantageuse en droit civil successoral. Le défunt doit donc absolument faire un testament s’il souhaite que son concubin reçoive une partie de ses actifs. Il peut lui attribuer la quotité
disponible. Celle-ci varie considérablement selon la situation personnelle du défunt (cf. tableau 6).
Par ailleurs, il est possible de prévoir par testament un
droit d’usufruit en faveur du concubin sur le logement du
couple, permettant ainsi au concubin de rester dans le logement commun [54]. Cependant, à la différence du legs
d’usufruit «particulier» en faveur du conjoint, le concubin
ne peut bénéficier d’un legs d’usufruit que si sa valeur capitalisée ne dépasse pas la limite de la quotité disponible applicable au décès du concubin (telle que déterminée dans les
conditions légales ordinaires) [55]. Par conséquent, cette limite restreint considérablement l’usage de cette mesure.
Si entre concubins les dispositions de droit matrimonial
sont bien évidemment écartées compte tenu de l’absence de
mariage, en revanche, les droits réels, en permettant de prouver la propriété des biens de chacun, éviteront que certains
biens ne puissent tomber en tout ou partie dans la masse successorale du défunt. Il est donc fortement recommandé aux
concubins de conserver également toutes les preuves de propriété des biens (factures, relevés de compte, preuve de donation, etc.), voire même de conclure un contrat de concubinage.
La souscription d’une assurance-vie capital décès non susceptible de rachat – assurance «risque pur» – (3ème pilier B),
au bénéfice du concubin serait également de nature à diminuer la charge fiscale assise sur les actifs qui lui seraient par
ce biais transmis. En effet, en cas de décès de l’assuré avant
Tableau 6: PARTS SUCCESSORALES DU CONCUBIN
Concubin en concours avec
Droit successoral
ab intestat
Mesures testamentaires
en faveur du concubin
Part non allouable
au concubin
Enfants (communs ou non)
0%
25%
75%
Conjoint survivant et enfants
(communs ou non)
0%
37,5%
62,5%
Conjoint survivant
0%
50%
50%
Deux parents du défunt
0%
50%
50%
Aucun héritier réservataire
0%
100%
0%
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P révoir sa succession
l’échéance fixée dans le contrat, le capital décès versé au
concubin, désigné bénéficiaire, sera soumis à l’impôt sur le
revenu lors d’une taxation séparée réduite [56]. En revanche,
si l’assuré est vivant à l’échéance, les cotisations sont perdues, rien ne revenant alors au concubin.
En cas de souscription d’une assurance-vie capital décès
susceptible de rachat – assurance-vie mixte – (3ème pilier B), la
prestation décès éventuellement versée au concubin sera
« Seuls les enfants adoptés sont
entièrement assimilés aux
enfants du défunt, et l’adoption des
enfants du concubin n’est pas
prévue dans le droit actuel.»
dans ce cas soumise aux droits de succession (selon les modalités décrites plus haut) et susceptible d’être attaquée par
d’éventuels héritiers réservataires lésés [57].
Si besoin était, précisons que – quand c’est possible – épouser son concubin permettrait au défunt d’augmenter substantiellement le patrimoine qu’il souhaiterait pouvoir allouer à cette personne.
6. COMMENT PROTÉGER LES ENFANTS
DE SON CONCUBIN?
Le droit suisse n’offre pas non plus de statut juridique aux
­enfants du concubin. Seuls les enfants adoptés sont entièrement assimilés aux enfants du défunt, et l’adoption des enfants du concubin n’est pas prévue dans le droit actuel. Les
enfants du concubin sont donc considérés comme des tiers,
Notes: 1) Les solutions envisageables en cas de
­ rofessio juris (soit le droit de choisir, à certaines
p
conditions, le droit applicable à sa succession)
sortent du cadre de la présente analyse. 2) Art. 6A
al. 2 LDS GE. 3) Art. 34 LAVS (voir aussi Art. 35 et
35bis LAVS). 4) Art. 19 LPP. 5) Art. 21 LPP. 6) Art. 462
ch. 2 CCS. 7) Art. 462 ch. 1 CCS. 8) Art. 462 ch. 3
CCS. 9) Art. 470 et 471 CCS. 10) Art. 467 ss CCS.
11) Art. 470 CCS. 12) Art. 471 ch. 2 CCS cum 462
ch. 2 CCS. 13) Art. 471 ch. 1 CCS cum 462 ch. 1 CCS.
14) Art. 468 CCS. 15) Art. 471 ch. 1 CCS. 16) Abt D./
Weibel Th., Praxiskommentar Erbrecht, 2ème édition,
N 10 ad Art. 471, N 5 et N 11 ad Art. 458. 17) Art. 473
al. 1 CCS. 18) Art. 473 al. 2 CCS; Abt D./Weibel Th.,
Praxiskommentar Erbrecht, 2ème édition, N 17 ad
Art. 473. 19) Art. 473 al. 2 CCS; Abt D./Weibel Th.,
Praxiskommentar Erbrecht, 2ème édition, N 12 ad
Art. 473. 20) Art. 473 al. 1 CCS a contrario. 21) Art. 473
al. 3 CCS. 22) Par exemple, art. 204 al. 1 et ss CCS.
23) Art. 200 al. 3 CCS. 24) Art. 200 al. 2 CCS.
25) Art. 215 al. 1 CCS. 26) Art. 216 al. 1 CCS. 27) Art. 216
al. 2 CCS. 28) Néanmoins, dans l’hypothèse d’une
acceptation par le peuple et les cantons de l’initiative populaire fédérale intitulée «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre
AVS (Réforme de la fiscalité successorale)», voir
Message du Conseil fédéral du 29. 11. 2013, FF 2014
121, cette situation serait modifiée par l’introduc-
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que cela soit par le droit fiscal successoral, le droit des assurances sociales et de la prévoyance et le droit civil successoral.
En droit fiscal successoral, certains cantons ont introduit une
notion «d’enfants recueillis» (AG, AR, BS, BE, FR, GR, JU,
LU, SG, SH [58]). Dans le respect de certaines conditions,
ceux-ci sont assimilés aux enfants. Enfin, les cantons de NW,
OW et SZ sont les seuls cantons qui exonèrent les enfants du
con­cubin [59].
Pour le reste, les enfants du concubin n’ont donc aucun statut et se trouvent dans une situation similaire à celle des enfants du conjoint.
7. CONCLUSION
En l’absence de dispositions successorales prises par le défunt, les règles ab intestat applicables au décès conviennent
sans doute aux situations familiales les plus classiques.
Néanmoins, dès qu’une personne souhaite soit protéger davantage un proche soit pouvoir lui allouer des biens, elle doit
obligatoirement prendre des mesures spécifiques. Dans la
plupart des cas, des mesures successorales ne seront pas suffisantes. Il faudra également y ajouter des mesures du droit
matrimonial ou des droits réels entre autres.
À l’heure du choix de celles-ci, la personne concernée
devra opérer une pesée d’intérêts lourde de conséquences.
En effet, la protection d’une personne, par exemple le con­
joint survivant, ne pourra se faire souvent qu’au détriment
d’autres, par exemple, les enfants et inversement. La multiplication des situations plus complexes avec concubins et
­enfants communs et/ou non communs crée également de
nouveaux conflits d’intérêts. Il faudra donc trouver dans
chaque cas particulier un équilibre entre les différents intérêts en présence.
n
tion d’un impôt fédéral de 20% sur les successions,
applicable également aux descendants. 29) Art. 96 ss
StG AI. 30) § 3 EStG LU (il s’agit d’un impôt communal et non cantonal). 31) Art. 23 LSucc NE.
32) Art. 11 ss LMSD VD. De nombreuses communes
prélèvent en outre un impôt qui peut aller jusqu’à
100% de l’impôt cantonal. 33) Art. 10 lit. b) et 22 al. 3
LISD JU. 34) Art. 6A al. 2 LDS GE. 35) Art. 25 al. 4
et 5 LAVS; art. 22 al. 3 LPP. 36) Art. 457 al. 1 CCS.
37) Art. 462 ch. 1 CCS. 38) Art. 471 ch. 1 CCS. 39) Abt
D./Weibel Th., Praxiskommentar Erbrecht, 2ème édition, N 24 ad Art. 470 et N 13 ad Vorbem. zu
Art. 522 ff. 40) § 142 al. 3 lit. b StG AG; art. 139 al. 1
StG AR; art. 101 al. 1 lit. a StG AI; art. 9 al. b ESchG
BE; art. 107 al. 2 StG GR; § 33 NEStG LU; art. 157
al. 1 StG NW; art. 133 al. 1 lit. a StG OW; art. 146 al. 1
StG SG; art. 3 al. 1 lit. f ESchG SH; § 175 al. 1 StG ZG;
art. 34 et Barème général de l’impôt sur les successions et donations b) LMSD VD; art. 25 al. 1 lit. c
LISD FR; art. 17 al. 6 LDS GE; art. 22 al. 1 ch. 1 LISD
JU § 23 al. 1 lit. d ESchG ZH. 41) Art. 488 et ss CCS.
42) Art. 264 a al. 3 CCS. 43) § 23 al. 1 lit. f et 21 al. 1
lit. e ESchG ZH. 44) Art. 21 et 22 LDS GE (taux maximum y compris centimes additionnels). 45) § 147
al. 2 lit. a) StG AG; Art. 147 al. 2 StG AR; § 12 al. 1
lit. b. ESchG BL; § 130 al. 3 StG BS; art. 127 al. 1 lit. b.
StG GL; LU Steuerbuch Bd. 3 Weisungen EStG LU
§ 3 f. Nr. 1; art. 23 al. 2 LSucc NE; art. 157 al. 3 ESchG
NW; art. 133 al. 1 lit. g StG OW; art. 158 al. 1 lit. c)
StG UR; § 21 al. 1 lit. e ESchG ZH. 46) Art. 19 al. 1
lit. b ESchG BE; art. 25 al. 1 lit. c) LISD FR; art. 22
al. 1 ch. 2 LISD JU. 47) § 147 al. 2 lit. a) et 149 StG AG;
art. 147 al. 1 lit. a) StG AR; § 12 al. 1 lit. b. ESchG BL;
§ 130 al. 3 StG BS; art. 19 al. 1 lit. b ESchG BE; art. 25
al. 1 lit. c) LISD FR; art. 127 al. 1 lit. b. StG GL;
art. 22 al. 2 LISD JU; LU Steuerbuch Bd. 3 Weisungen EStG LU § 3 f. Nr. 1; art. 23 al. 2 LSucc NE.
48) Art. 133 al. 1 lit. g StG OW; art. 158 al. 1 lit. c) StG
UR. 49) Art. 146 al. 1 lit. a) StG AR: § 12 al. 1 lit. b.
ESchG BL; LU Steuerbuch Bd. 3 Weisungen EStG
LU § 3 f. Nr. 1; § 21 al. 1 lit. e ESchG ZH. 50) Art. 157
al. 3 ESchG NW; art. 133 al. 1 lit. g StG OW; art. 158
al. 1 lit. c) StG UR et § 175 al. 1 StG ZG; art. 107 al. 2
StG GR, en application des définitions communales. 51) Art. 29 LAVS. 52) Art. 20 a al. 1 lit. a LPP.
53) Art. 38 LIFD; Art. 11 al. 3 LHID. 54) Art. 484 al. 2
CCS. 55) Art. 530 CCS. 56) Cf. note 53; Abt D./Weibel Th., Praxiskommentar Erbrecht, 2ème édition,
N 120 ad Anhang Steuern et N 262 ad Anhang
Steuern. 57) Art. 522 et ss CCS. 58) § 142 al. 3 lit. b)
StG AG; art. 139 al. 1 StG AR; § 120 al. 1 lit. a StG BS;
art. 9 lit. b ESchG BE; art. 25 al. 1 lit. c LISD FR;
art. 107 al. 2 StG GR; art. 22 al. 1, ch. 1, ch. 2 et al. 2
LISD JU; § 33 NEStG LU; art. 146 al. 1 StG SG; art. 3
al. 1 lit. f ESchG SH. 59) Art. 157 al. 1 StG NW;
art. 133 al. 1 lit. h StG OW.
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