Dans le grand bain de la BD Natalie Wood, sans respirer
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Dans le grand bain de la BD Natalie Wood, sans respirer
littérature bande dessinée Natalie Wood, sans respirer Elle ne savait pas nager. Elle avait peur de l’eau. Autrefois, une diseuse de bonne aventure lui avait annoncé que l’élément liquide lui serait fatal. Elle est morte à 43 ans, au large de Santa Catalina, Californie, retrouvée noyée en chemise de nuit et chaussettes. Elle avait des ecchymoses, et c’était avant de se noyer. Elle avait bu. Sur le petit yacht, le Splendour, où elle avait pris place, il y avait deux hommes avec elle, tout aussi bourrés: Robert Wagner, ex-jeune premier has been et grossissant, qu’elle avait épousé deux fois et dont elle était encore la femme. Et puis Christopher Walken, avec qui elle baisait sans passion sur un tournage en cours. Elle avait toujours eu beaucoup d’amants: Warren Beatty ou Sinatra, un producteur ici ou un type qui passait par là, elle n’était pas regardante, elle était malheureuse et affamée de tendresse. Sur le bateau, il y avait eu une dispute. Elle et Wagner? Ou Wagner et Walken? Les trois ensemble? Est-elle tombée? déclin De la splendeur au drame ou le destin de Natalie Wood, une actrice bouleversante de talent et d’intensité. diltz/ rue des archives christophe passer aurélie tièche / splotch! Mystère. Avec «Splendour», la romancière Géraldine Maillet se met dans la peau de l’actrice pour raconter sa dernière nuit. Une façon haletante de dire un destin tombé d’un yacht une nuit de novembre 1981. S’est-elle enfuie avec le canot, et puis l’accident? On ne sait pas. On ne saura pas. Nuit de défaites Elle était d’origine russe, Natalia Nikolaevna Zakharenko, dite Natalie Wood. Et avant d’être une chanson et désormais ce beau roman tragique, elle avait tourné dans La fureur de vivre avec Jimmy Dean, La prisonnière du désert avec John Wayne, West Side Story ou La fièvre dans le sang, aux côtés de Beatty. Une star depuis ses 9 ans et Le miracle de la 34e rue. Trois fois nommée aux oscars. Géraldine Maillet raconte sa dernière nuit. Wood est dans l’eau, elle va mourir noyée, elle se débat. Elle est en rage, elle se souvient. Elle essaie de savoir le pourquoi des mélancolies, des solitudes qui suffoquent bien avant la flotte froide et salée, ce viol ancien et jamais guéri, tous les faux-semblants d’une actrice qui fut déesse, et sait l’amertume du déclin via de mauvais téléfilms. A la première personne, la romancière dit cette nuit de toutes les défaites, Natalie manque d’air, les deux souillasses avec elle ricanent, la vie résumée à quelques films anciens, à deux ou trois secondes dans l’espérance de l’amour, mais les vagues qui emportent les gens et les serments menteurs. Etre aimée, être la chérie d’un homme plutôt que la pouffiasse chérie des foules en rut. Comme toujours. Elle était belle comme c’est invraisemblable, Natalie Wood. Elle avait ce glamour apeuré, fixé dans la flamboyance de la fin des fifties, Elvis, Dean, le technicolor un peu outré lui rougissait la bouche si miraculeusement obscène. Icône, merveille, elle est pour toujours un peu là, dans la mer aux souvenirs, un drôle de regret haletant, une question perdue dans l’eau. Géraldine Maillet y plonge avec elle, lui tient la main dans le noir nauséeux, lui dit des bouts de poèmes comme à l’enfant que «Splendour». l’on veut rassurer, même si ça De Géraldine ne sert à rien. C’est un livre Maillet. Grasset, bouleversant et en colère. n [email protected] 153 pages. «Sans titre» Un récit d’Aurélie Tièche, diplômée de l’Ecole supérieure des arts de Saint-Luc. A lire dans le premier numéro de «Splotch!». Dans le grand bain de la BD Zoom. Le papier a de l’avenir, comme le prouve le lancement de plusieurs revues, dont «Splotch!», une «pataugeoire de bande dessinée» animée par quatre jeunes auteurs romands. stéphane gobbo Humour, fantasy, polar, vécu, reportage, récit historique, roman graphique, manga… et on en passe. La bande dessinée est plus riche que jamais, ce qui est réjouissant. Revers de la médaille, parmi les milliers d’albums qui sortent chaque année (plus de 4000 l’an dernier!), la plupart passent complètement inaperçus. D’où cette grande question, lancée par nombre d’auteurs comme une bouteille à la mer: comment exister même lorsqu’on ne publie rien, ou que son album a été pilonné parce que trop peu vendeur aux yeux de l’éditeur qui avait décidé de le commercialiser? Plusieurs d’entre eux ont répondu à cette interrogation en ouvrant un BD-blog, site personnel leur permettant de dévoiler leur travail sur un rythme régulier, comme un perpétuel work in progress. En 2005, on se souvient par exemple qu’un certain Frantico s’était fait un nom grâce à un site hilarant faisant la part belle à l’autofiction. On apprendra un peu plus tard que derrière ce pseudonyme se cachait un auteur bien établi, à savoir Lewis Trondheim, même si celui-ci ne l’a jamais avoué publiquement. de la poésie à la BD mois entièrement consacrés au dessin, à Toujours en quête de nouveaux modes d’ex- raison de huit heures par jour, il décide de pression, le Français a lancé en septembre préparer un dossier pour les beaux-arts. dernier la revue Papier, un trimestriel dans Mais voilà qu’il apprend qu’il va devenir lequel se côtoient auteurs confirmés et jeunes père. A défaut d’études artistiques chrotalents. Dans la foulée sortait le premier nophages, il décide alors de se lancer en numéro de La Revue dessinée, autre trimes- autodidacte et de créer une revue. triel mais consacré, lui, à la BD documentaire. Et déboulait, un mois plus tard, le trois numéros pilotes bimestriel AAARG!. A croire que, après des Ils sont finalement quatre à essuyer les années d’expérimentations numériques, le plâtres du premier numéro de Splotch!. Aux support papier cherchait à reprendre le côtés d’Henri Mayer, une diplômée de la pouvoir, comme au bon vieux temps de prestigieuse Ecole supérieure des arts de Spirou, Pilote ou Métal hurlant. Heureuse nou- Saint-Luc, en Belgique, et deux autres velle, la Suisse romande a aussi sa revue: autodidactes. Des élégants récits à la dimenelle s’appelle Splotch! et son premier numéro sion philosophique d’Aurélie Tièche aux est disponible depuis quelques semaines. petits strips humoristiques très «trondheiPas de star du neuvième art helvétique miens» de Maud Oïhénart, en passant par derrière cette «pataugeoire de bande des- les expérimentations de Yannick Lieber, sinée» imprimée sur papier journal, qui a dû lire Chris Ware, Splotch! mais un jeune dessinateur de 23 ans offre un bel aperçu, sur cinquante bouillonnant d’idées et débordant pages, de ce qu’est, au XXIe siècle, d’enthousiasme. Or, rien ne préla BD. Henri Mayer s’est, quant à destinait Henri Mayer à se lancer lui, investi dans une longue histoire dans cette aventure qu’il qualifie en trois parties, Monsieur Volant, qui volontiers de suicidaire, même s’il rappelle par son ton et son graphisme très libres Fred et son y croit dur comme fer. Educateur à mi-temps dans une fondation fameux Philémon. «Splotch! – vaudoise pour handicapés, il avoue Après trois numéros pilotes – Pataugeoire de une passion très précoce pour la le deuxième paraîtra en juillet –, bande dessinée». Disponible dans BD, mais davantage en tant que Henri Mayer espère pouvoir monune dizaine lecteur que dessinateur. ter une vraie structure et pérennide librairies spécialisées ser Splotch!, une pataugeoire qui «Adolescent, je me suis mis à romandes. la poésie et j’ai même écrit un pourrait alors permettre à de nomInfos: splotch. breux jeunes auteurs de faire leurs roman que j’ai tenté de faire contact@gmail. com ou www. publier», rigole-t-il en expliquant premières brasses. On attend la facebook.com/ suite avec impatience. n avoir eu un déclic à la fin du gymSplotchlejournal nase, il y a trois ans. Après quelques [email protected] @StephGobbo 63 l’hebdo 8 mai 2014