le tissage a deux mains

Transcription

le tissage a deux mains
 LE TISSAGE A DEUX MAINS ROBIN SHAPIRO (2005) 1 -­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐ Ma patiente avait 52 ans ; elle était élégante, drôle, et hautement dissociative. Elle venait de perdre son septième emploi en cinq ans de thérapie. Cela se passait toujours de la même façon : en raison de ses dissociations, elle arrivait régulièrement en retard à son travail ou commettait une faute professionnelle. Son patron lui exprimait son désaccord. La patiente se mettait alors à crier contre lui, en général avec des menaces. Puis la sécurité l'escortait jusqu'à la sortie de l'immeuble. La TCC, la bibliothérapie, le travail sur les états du Moi et une année de groupe de DBT (dialectical behavior therapy) n'étaient pas venus à bout de ce pattern. Nous avions ciblé chaque mise à la porte avec le protocole standard EMDR sous des angles variés, de nombreuses fois. Les nouvelles cognitions touchant à sa sécurité et à son efficacité présentes ne tenaient pas. Cette fois-­‐ci, sur une intuition, je lui demandai si, pour elle, un patron en colère était exactement pareil à "l'Homme" qui l'avait ligotée et violée quand elle était enfant. Patiente : Bien sûr que c'est pareil ! RS : Donc, vous pensez que le patron va vous ligoter et vous violer ? Patiente : Eh bien, comme il est furieux après moi... RS : D'accord. Mettez l'homme qui vous a violée dans une main. Vous l'avez ? Maintenant, mettez le patron, qui ne vous a jamais violée et qui veut simplement que vous arriviez à l'heure et que vous fassiez votre travail, dans l'autre main. Allez-­y. [Quinze stimulations bilatérales (SB), qui peuvent être visuelles, auditives ou des tapotements]. Que remar-­
quez-­vous ? Patiente : Ce n'est pas du tout la même personne ! 1 (Traduction du Chapitre 6 (Two-­Hands Interweave) de EMDR Solutions, Robin Shapiro Ed., Norton, New York, 2005. Seul un usage strictement personnel de cette traduction est autorisé.) Trad. F. Mousnier-­Lompré -­ Août 2007 1 RS : Qu'est-­ce que votre patron veut ? Patiente : Que je fasse mon travail. RS : Et qu'est-­ce que voulait "l'Homme" ? Patiente : Me violer, m'humilier et me contrôler complètement. RS : Continuez avec ça [Vingt-­‐quatre SB] Patiente : Ils veulent des choses totalement différentes. Mon patron n'était pas une menace, à part qu'il pouvait me virer. Mais quand j'ai peur, je le confonds avec "l'Homme". Cela a tenu. Et nous avons commencé à différencier tous les événements, les émotions, les cognitions, les états du Moi qui appartenaient à "autrefois", des événements, des émotions et des cognitions qui appartenaient à l'ici et maintenant, à l'aide de notre nouvel outil, le tissage à deux mains. Après avoir traité le traumatisme avec le protocole standard, nous avons utilisé le tissage à deux mains pour intégrer les états du Moi. Aujourd'hui, cinq ans après cette intégration, quatre ans après la fin de notre travail, elle me donne des nou-­‐
velles de temps en temps par e-­‐mail, et elle y mentionne parfois qu'elle a utilisé le" truc des deux mains" quand elle ressent des émotions d'une intensité hors de proportion avec ce qui arrive dans le présent. M'en étant servie avec d'autres patients, je me suis rendu compte que j'avais développé un protocole simple et efficace. LE TISSAGE A DEUX MAINS 1. Le patient pose un des éléments en conflit (émotion, pensée, choix à faire, croyance, état du Moi) dans chaque main. 2. Le thérapeute commence une série de tappings ou de mouvements oculaires, ou en-­‐
core le patient lui-­‐même ouvre et ferme ses mains [Suivez simplement ce qui se passe]. 3. S'il ressent de la détresse dans l'un des choix, ou dans l'alternative, on la traite avec le protocole standard. La détresse éliminée, on vérifie les deux mains. Il m'a été suggéré de placer dans la main droite la situation ou la croyance la plus positive, ou la plus présente, et la situation passée ou chargée négativement dans la main gauche. Je préfère laisser le patient choisir. [Dans quelle main y a-­t-­il : "Je reste" ?] Je donne des indications minimales à mes patients sur ce qu'il faut penser, après les deux choix, et au-­‐delà de : Quelle différence remarquez-­vous ? Les réponses vont de : "Ma main 2 droite est très légère" à des découvertes existentielles : "Je me rends compte que cette croyance m'a retenu toute ma vie et que maintenant j'ai enfin le choix". Le tissage à deux mains peut être utilisé comme préliminaire ou comme adjuvant au pro-­‐
tocole EMDR standard. Il arrive qu'il fasse surgir du matériel traumatique jusque-­‐là in-­‐
connu, qui sera mieux ciblé et retraité par le protocole standard. Patient : Quand je pense à ce choix, ça me rappelle les moments où X se produit, et j'ai peur. Thérapeute : On va faire de l'EMDR là-­dessus. Quels sont les mots qui vont avec X ? Où le res-­
sentez-­vous dans le corps ? Quelle opinion de vous-­même va avec X ? En cas de looping, ou à la fin d'un séance, si un dilemme entre deux alternatives apparaît, on peut se servir du tissage à deux mains comme de tout autre tissage. Souvent, le tissage à deux mains, sans le protocole standard, est suffisant pour offrir clairement une différen-­‐
ciation, une possibilité de choix, entre deux alternatives, deux états du Moi, deux situa-­‐
tions incompatibles, ou au contraire la possibilité d'une intégration des deux. Vous pouvez l'introduire dans n'importe quelle discussion impliquant un choix ou une diffé-­‐
renciation à faire, même si vous ne préparez pas un protocole EMDR. L'éventuelle dé-­‐
tresse liée à l'une des branches de l'alternative, ou aux deux, disparaît parfois complètement sans qu'il soit nécessaire de recourir au protocole standard. Par exemple, pendant le point que nous faisions au début d'une séance, la patiente se demandait si elle avait eu raison dans le choix d'un emploi. Thérapeute : Prenez l'emploi que vous avez pris dans une main, celui que vous n'avez pas pris dans l'autre. [Quinze SB] Patiente : La main où il y a le job que j'ai pris devient plus légère. L'autre est comme un poids mort. Thérapeute : Continuez avec ça. [Quinze SB] Patiente : Je crois que j'étais un peu anxieuse sur le choix que j'avais fait. C'est parti : je sais que j'ai pris l'emploi le meilleur. LES CIBLES DU TISSAGE A DEUX MAINS On trouvera ci-­‐après quelques-­‐unes des nombreuses façons de se servir du tissage à deux mains. Inventez-­‐en d'autres à votre gré ! 3 Pour trancher entre deux choix : Dans une main, prenez votre avenir si vous prenez cet emploi, et dans l'autre, votre vie si vous ne le prenez pas. Pour aider la personne à localiser en elle-­‐même la source de la décision : Prenez l'envie de partir dans une main, l'envie de rester dans l'autre. Où ressentez-­vous, dans votre corps, l'envie de partir ? Où ressentez-­vous l'envie de rester ? Pour les patients alexithymiques, qui ne savent pas toujours ce qu'ils ressentent, Mettez le chocolat dans une main, la vanille dans l'autre. Lequel préférez-­vous ? Où sentez-­vous cette préférence dans votre corps ? Mettez les comédies romantiques dans une main, les films gore dans l'autre. Que vous dit votre corps maintenant ? Comme technique de "float-­‐back" ou de pont d'affect, pour trouver une cible : Met-­
tez votre situation actuelle, pas mauvaise, dans une main, et vos émotions dans l'autre [SB] Quelle situation, ou quelle période, de votre passé va avec ces vieilles émotions ? [SB] On va faire de l'EMDR sur cet événement passé. Avoir plus d'une émotion à la fois, particulièrement utile avec les patients border-­‐
line ou peu évolués : Dans quelle main se trouve la colère? Et dans quelle main est la colère ? [SB] Y a-­t-­il de la place pour ces deux émotions à l'intérieur de vous ? [SB] Analogue, ou comme addendum au Niveau de Pulsion à Utiliser de A. J. Popky ou au Niveau de Pulsion à Eviter de Jim Knipe2 : Quand vous rentrez tout seul et déprimé du boulot après une journée difficile, est-­ce que vous vous sentez mieux en pensant que vous allez prendre un verre ? Mettez ça dans une main. Maintenant, mettez dans l'autre main les conséquences de ce verre [SB]. Ou encore : Pensez au plaisir que vous avez à éviter de remplir ces papiers administratifs. Mettez ça dans votre main. Dans l'autre mettez ce que ça vous ferait d'avoir fini de les remplir [SB]. Qu'est-­ce qui vous empêche encore de les remplir ? [SB]. Avoir plus d'une émotion à la fois envers une personne qui vous maltraite : Prenez l'amour que vous avez pour votre père dans une main, et le dégoût que vous inspire ce qu'il vous a fait dans l'autre. Ou bien : Prenez dans une main l'amour que vous avez pour votre mari [violent] lorsqu'il est gentil, et dans l'autre la haine et la peur que vous éprouvez pour lui lorsqu'il hurle. Les patients qui ont eu une grande honte d'être attachés à leur abuseur commencent à comprendre et à accepter l'ensemble 2 Deux chapitres du même ouvrage (Popky, chapitre 7, Knipe, chapitre 8) (N. d. T.) 4 de la relation. Ceux qui vivent avec une personne qui les maltraite arrêtent les al-­‐
lers-­‐retours entre "Je le déteste, il est méchant, je le quitte" et "Je l'aime, il faut que je reste." C'est seulement quand ils peuvent tenir les deux parties qu'ils peuvent passer à des décisions comme : "Je l'aime et il est méchant avec moi ; je le quitte" ou bien : "Quelquefois il est méchant avec moi, mais je crois que j'ai assez d'in-­‐
fluence pour l'envoyer faire une thérapie". Les projections : Prenez votre père [maltraitant] dans une main et votre mari [plutôt gentil] dans l'autre. Observez. [SB]. Qu'est-­ce qui vous est venu ? Ȃ "Mon père en train de me battre." Quelle idée de vous-­même cela vous donne-­t-­il ? Travaillez avec le protocole EMDR standard autour des maltraitances du père. Une fois que cette cible ancienne a été retraitée avec le protocole EMDR, revenez aux deux cibles ini-­‐
tiales dans les mains de la patiente : Maintenant, prenez votre père dans une main et votre mari dans l'autre. Qu'obtenez-­vous maintenant ? [SB]. Je vois combien ils sont différents. Mon mari ne me frapperait jamais, et de toute façon je suis adulte main-­‐
tenant et je ne me laisserais pas faire !" Différencier une émotion d'un état (désespoir, honte, incompétence, angoisse) : Dans quelle main est le désespoir ? A quel âge correspond-­il ? Mettez maintenant votre situation actuelle, celle d'aujourd'hui, dans l'autre main. Observez. Ou : Dans quelle main se trouve votre angoisse autour de cette situation ? Dans l'autre main, mettez les faits, avec la probabilité réelle de mauvaises conséquences. Transfert : Vous pensez que je suis furieuse contre vous en ce moment. Mettez-­moi dans une main, et vous-­même dans l'autre. Dans quelle main se trouve la colère ? ou encore : Avec qui pourriez-­vous être en train de me confondre ? Dans quelle main sont-­ils ? Dans quelle main suis-­je, moi ? Définition d'états du Moi : il y a bien des façons de faire du bon travail avec les états du Moi. Le tissage à deux mains est une façon de différencier des états du Moi ou de définir des interactions entre eux. Placer un état du Moi différent dans chaque main. Définissez leurs différences, avec les caractéristiques physiques, émotion-­‐
nelles et autres propres à chacun. 5 Facilitez l'interaction entre les deux, tout en faisant des SB. Maintenez le contact interne du patient en lui posant des questions de l'ordre des émo-­‐
tions, des sensations, de l'interrogation, de la réflexion. Distinction entre les situations et les compétences passées, et les capacités pré-­‐
sentes : Dans une main, vous allez tenir cette idée ancienne d'indemnisation. Tenez maintenant ce que vous savez de votre compétence actuelle dans l'autre main. Sou-­
venez-­vous que vous étiez incompétent seulement parce que vous étiez petit. Regar-­
dez dans votre autre main, combien vous êtes à présent beaucoup plus vieux et plus sage. Qu'est-­ce que pourrait faire cette partie actuelle de vous, que la partie plus jeune et moins compétente ne pouvait pas faire ? Possibilités à venir : Mettez-­vous vous-­même, avec votre situation actuelle, dans une main, et mettez ce que vous serez capable de faire plus tard, quand vous serez plus âgé et plus sage, dans l'autre main. L'INTEGRATION D'UN ETAT DU MOI ADULTE INTERNALISE ET D'UN ETAT DU MOI ENFANT Dans quelle main se trouve la petite fille terrifiée ? Vous sentez comme elle est petite ? [SB]. Pouvez-­vous deviner ce qu'elle pense, combien elle est vulnérable ? [SB]. Maintenant, trouvez votre Moi le plus âgé, le plus sage, le plus solide. Tenez-­le dans votre autre main. Vous sentez combien l'adulte est plus grande que la petite fille. [SB]. Vous sentez sa force ? [SB]. Sa sa-­
gesse ? [SB]. Sa compétence ? [SB]. Regardez les ressources qu'elle a. [SB]. Regardez ce qu'elle ferait, elle qui est un adulte compétent, si elle se trouvait dans une telle situation. [Commencez des SB continues]. Faites venir la main de l'adulte vers cette petite fille. Tenez bien la petite fille. Faites-­lui savoir que vous êtes là. Qu'elle se sente entourée par votre force, votre compétence, vos ressources. Dites-­lui qu'elle vit avec vous maintenant. Faites-­lui visiter votre vie adulte : votre travail, votre maison, vos enfants. Faites-­lui connaître tous ceux qui vous aiment dans votre vie adulte. Montrez-­lui que vous êtes une bonne maman et que vous savez bien vous occuper des petites filles. Faites-­lui savoir que vous allez vous occuper de cette situation. C'est votre travail, pas le sien. [Arrêtez les SB]. Comment va la petite fille maintenant ? [SB]. Où est la petite fille maintenant ? [SB]. Est-­elle encore dans votre main? [SB]. La patiente dit souvent qu'elle est maintenant "à l'intérieur d'elle". Sinon : Où est-­ce 6 que cette petite fille va vivre maintenant, un endroit où vous allez pouvoir vous occuper d'elle et où elle saura qu'elle vous aura toujours pour vous occuper d'elle ? [SB]. Ne forcez pas l'intégration. Avec cette technique, des fragments fortement dissociés d'ex-­‐
périences traumatiques vont souvent s'intégrer tout naturellement. Cette technique est utile avec les DID (les troubles dissociatifs de l'identité) quand on a déjà fait beaucoup de travail de dégagement. J'ai vu des parties s'intégrer après que j'ai suggéré : Mettez le petit de quatre ans qui a vu la violence dans une main, et le petit de quatre ans qui a ressenti les émotions dans l'autre. Sont-­ils prêts à être ensemble maintenant ? Bravo. Réunissez-­les pen-­
dant que je fais des tapotements. Bien évidemment, si l'intégration se fait toute seule après retraitement du traumatisme avec le protocole EMDR classique, vous n'avez pas besoin de faire le tissage à deux mains, ni aucune autre forme de tissage. CONCLUSION Le tissage à deux mains peut mener au retraitement EMDR, il peut servir de tissage au cours du retraitement, ou être utilisé tout seul. Dans mon expérience, et dans celle de mes patients et de mes stagiaires, cette technique aide environ 95% des patients à clari-­‐
fier des émotions ou des choix embrouillés. Les patients aiment bien cette technique. Ils viennent souvent en disant qu'ils ont besoin de "faire les deux mains" sur telle ou telle décision. Il rapportent qu'ils s'en servent chez eux pour clarifier des situations, faire des choix. Des patients borderline me disent qu'ils ont tenu "deux émotions dans [leurs] mains, pour pouvoir voir ce gris dont vous parlez tout le temps". 7 

Documents pareils