RACINES166 -dec06 - Magazine Racines
Transcription
RACINES166 -dec06 - Magazine Racines
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Yvelise Richard (Photo : Jean-Paul Teillet/Cercle culinaire de Rennes). Dossier réalisé par L’avis de Freddy Thiburce, directeur du Cercle Culinaire de Rennes, dépendant du Cidil (1) D'où est née Transmettre ses recettes de cuisine La tarte aux pommes de feue mamie Adèle, c'est désormais tante Sophie qui la fait lors des repas de famille de Pâques. Et elle n'oublie pas l'ingrédient secret (la cannelle en bâton râpée) qui donne tout le goût au dessert hérité ! Transmettre ses recettes de cuisine à sa descendance, c’est faire passer un savoir-faire, des odeurs, mais aussi de la tendresse, des histoires et au final des souvenirs à conserver précieusement… RACINES 16 décembre 2006 l'idée de créer des ateliers culinaires réunissant grandsparents et petits-enfants ? L’idée de “Petits toqués - Grands gourmets” est venue, en 2001, d’un papy affichant une soixantaine alerte et proche de ses petits-enfants : JeanRoger Coudray, membre de l’École(2) des Grands-Parents Européens (EGPE). Ce papy s'est dit : “Je suis grand-père, j'aime cuisiner, je prends plaisir à table et je sais que le goût s'éduque”. Il a alors contacté notre Cercle Culinaire de Rennes, expert en matière de cuisine familiale. Nous avons porté cette initiative et l'avons concrétisée par l’atelier “Petits toqués - Grands gourmets” qui réunit petits-enfants et grands-parents. Au croisement de plusieurs attentes (santé, équilibre, plaisir…), cet atelier peut fournir des réponses adaptées en terme d’éducation au goût, à la nutrition et à la cuisine. D'ailleurs aujourd'hui encore, cet atelier, inscrit au programme annuel du Cercle culinaire, accueille des participants trois fois par an. Quelles valeurs sont transmises à travers ces ateliers ? Cette cuisine “à quatre mains” montre l’importance de l’éducation dans la construction des comportements alimentaires, ainsi que la valeur des modèles traditionnels (variété, équilibre…). “Petits toqués - Grands gourmets” entend contribuer à modifier les habitudes sur le long terme et pourrait faire école, à commencer dans la sphè- La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous en page suivante Suite des témoignages re prioritairement visée, celle de la famille ! L’intention n’est autre en effet que de développer cette pratique à la maison et de la promouvoir. Comment les participants vivent-ils cet échange au cours de l’atelier ? Les ateliers culinaires visent d'abord à favoriser la transmission culinaire auprès des enfants par le biais d'une relation avec leurs grands-parents. Il s'agit de mettre en avant la transmission de recettes des mamies et de papis, de leurs tours de main, en les incitant à léguer à leurs petits-enfants l'histoire de la recette choisie, les souvenirs et émotions qui l'accompagnent. Par exemple, à travers les gestes et propos de leurs grands-parents, les petits apprendront qu’une blanquette de veau ou une crème brûlée concentrent (outre les ingrédients indispensables) des extraits d’histoire, des fragments d’affectivité et de tendresse mais aussi, de sociologie, de biologie, de chimie… “Apprendre à faire la cuisine à ses petits-enfants est une des facettes les plus pertinentes de la transmission entre générations”, aime à rappeler JeanRoger Coudray. À partir de quel âge les enfants peuvent-ils participer à ces ateliers de cuisine ? Les enfants de “Petits toqués - Grands gourmets” ont entre 6 et 11 ans. Ils sont volontaires, curieux, intéressés et ont une attitude à l’égard des grands-parents encore très spontanée. C’est une tranche d’âge où la créativité et la curiosité s’expriment sans inhibition. Les enfants maîtrisent de mieux en mieux le langage : ils expriment leurs émotions et sensations au-delà du simple “j’aime - j’aime pas”. Vous savez, au croisement de tout cela, il y a tout simplement la joie d’être ensemble, de manger avec plaisir, de partager un même langage et le souhait que cela se perpétue… Quel rôle jouent alors les grands-parents ? Cette population dynamique et montante (20 % de la population, soit 12,6 millions de personnes…) a aujourd’hui un vrai rôle pédagogique et ludique à jouer auprès de ses petits-enfants dans le cercle familial. L’enquête que nous avons effectuée I L S au travers d’entretiens individuels avec les grands-parents nous a montré qu’ils étaient particulièrement motivés. Jouer un rôle de passeur de savoir-faire et de promoteur d’une alimentation simple et saine leur plaît. (1) Contact : 02 99 31 45 45 ou sur www.cercleculinaire.com (2) Cette structure regroupe des seniors de France, de Suisse, de Belgique… engagés dans les actions d'échanges et de rapprochements entre générations. T É M O I G N E N T Les résidents de la Rose de Noël epuis 2004 à Angers, un mercredi après-midi par mois, la résidence pour personnes âgées, la Rose de Noël, accueille un groupe d'enfants du centre de loisirs du quartier de Belle Beille. Ensemble, aînés et enfants cuisinent des plats simples, sous la houlette du chef du service restauration de la ville. Bien sûr, les habitudes culinaires et alimentaires des personnes âgées sont différentes de celle des enfants d'aujourd'hui. Aider ces derniers à découvrir d'autres saveurs et une façon assez simple de cuisiner, voilà aussi le but recherché. Au fil des ateliers, autour des plats et des fourneaux, s'est tissée une relation très forte, une connivence entre les deux générations : "Ça se tutoie, il y a des clins d'œil !" Dans cette ambiance chaleureuse, on transmet des valeurs (comment on épluche des patates pour faire une purée, comment on fait une pâte brisée ou "D RACINES 17 décembre 2006 des confitures). Lorsque la relation s'établit, les personnes âgées racontent parfois une histoire, arrivée durant leur enfance. Un jour où l'on avait cuisiné des panais, une résidente a raconté une anecdote, qui se déroulait pendant la guerre, sur sa "dégustation" de ce légume. Les enfants ont été marqués par cette anecdote. Les recettes des résidents que nous cuisinons ensemble pourraient faire l'objet d'un recueil, publié si cela était possible en juin prochain, à l'occasion du colloque d'Angers sur l'intergénération.” Roselyne Livenais, coordinatrice des actions menées dans les résidences gérées par le Ccas d'Angers. Cet atelier de cuisine, initié dès 2004 le Cercle culinaire de Rennes, s'inscrit dans une démarche citoyenne, lancée en 1998 par la ville d'Angers. Avec l'opération Grandir et vieillir ensemble, c'est le savoir-faire des personnes âgées et le travail sur la mémoire (par la collecte de recettes) qui sont valorisés. La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Paul Gilbert et Marie-Andrée Méchineau Conseil des Sages d’Aizenay Que les recettes ne se perdent pas ! “On avait envie que ces recettes restent et ne se perdent pas.” Paul Gilbert et Marie-Andrée Méchineau (notre photo) deux des 17 Sages du conseil d'Aizenay, se souviennent encore des bons moments passés il y a trois ans lorsqu'un projet a soudé leur groupe : “je ne sais pas qui a lancé l'idée de collecter les recettes de famille, mais cela a tout de suite intéressé des sages qui ont formé un groupe de travail. Tous les membres du conseil ont été interrogés afin de sauver de l'oubli cette cuisine de nos grands-mères.” Une fois le projet mis sur les rails, tout le monde a participé en donnant qui une recette de caillebottes “coéffées” ou de millet dégustés durant l'enfance, qui une recette de liqueur ou de vin, héritée d'un grand-père. Au bout d'un an de récolte et surtout d'essais des recettes “In vivo”, dans la cui- sine de l'une ou de l'autre des sages (“surtout les desserts”, confie MarieAndrée), n'a été retenue qu'une quarantaine de recettes. “Lorsque nous avons soumis notre demande au maire d'Aizenay, il a tout de suite accepté notre proposition de les imprimer et de les offrir lors des mariages dans la commune.” Ce qui fut fait ! Le résultat est donc un cahier de recettes, semblable à un cahier d'écolier, devenu un sujet de fierté pour ses auteurs.”Nous l'avons accompagné de diverses anecdotes ou conseils ainsi que de plusieurs menus de noces : certains datent du début du siècle, d'autres remontent aux années 50.” Quelques photos des moments forts de la vie d'autrefois (battages, mariages…) ou des ustensiles de cuisson d'antan illustrent aussi le cahier dont les mille premiers ont déjà été vendus : “Il a fallu en faire une seconde impression, de mille nouveaux exemplaires,” précise Paul Gilbert. Janine (65 ans) Une tarte Tatin ens “F aire durer le plaisir” : voilà pourquoi Janine, ancienne commerçante, mamie de six petits-enfants, a choisi de réaliser une tarte Tatin avec Adrien, son petit-fils de 9 ans. “Ça passe très vite d’élever un enfant. Moi, dans le commerce je ne les ai pas vus grandir.” Aujourd’hui, elle rattrape le temps. “La tarte Tatin, c’est bien parce qu’il y a beaucoup de choses à faire !” Et puis Adrien La saveur "J e n'ai connu que ma grand-mère paternelle qui était aveugle : c'était un amour. Ma mère était trop occupée pour avoir le plaisir de passer du temps aux fourneaux et pour avoir le loisir de transmettre ce qu’elle savait faire à ses enfants. Je suis grand-mère de neuf petits-enfants. C'est moi la première à léguer un savoir- Recettes de nos grands-mères. En vente à la maison de la presse d'Aizenay et au musée des Ustensibles de cuisine anciens de Saint-Denis-la-Chevasse. 56 pages. 6 €. Ma Le "Q uand j'invite à la maison pour un repas de famille, tout le monde connaît le dessert. C'est toujours le même : un gâteau de Savoie et sa crème à la vanille avec des œufs en neige. Ces recettes me viennent de ma mère ainsi que le moule en fer blanc dans lequel je ne rate jamais mon Savoie. J'ai acheté d'autres moules à gâteaux depuis, bien sûr, mais c'est dans celui-là que le Savoie est le meilleur. J'ai appris ces deux recettes à ma peti- RACINES 18 décembre 2006 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous La cuisine à quatre mains, ça donne faim… ensemble adore ce dessert qu’il connaît pour l’avoir déguster chez sa grand-mère, mais il ne l’a jamais vue le préparer. “Pas comme le fils de Jacques : après le four, il a mis du caramel dessus… le sacrilège !” s’indigne Janine. Une mamie dont les souvenirs culinaires res- tent très présents. “Ma mère cuisinait bien, avec peu de moyens mais c’était bon parce que c’était simple et que souvent les produits venaient du jardin. Avec les appareils de maintenant, c’est encore plus facile de cuisiner !” Renée (68 ans) r des viandes en sauce faire culinaire aux générations futures. Pourquoi une blanquette de veau ? Parce que j’adore ça d’abord et aussi parce que ce n’est pas trop compliqué à réaliser pour une enfant de 10 ans. J'ai appris à cuisiner toute seule, et j'aime particulièrement les viandes en sauce, plus que les desserts… Et puis mes petitsenfants en savent autant (sinon plus) que moi en dessert. Voilà pourquoi j’ai préféré transmettre à ma petite-fille une recette où elle apprendrait quelque chose de nouveau.” Madeleine (70 ans) moule maternel te-fille, Anaïs, qui a 14 ans aujourd'hui et qui, depuis sa naissance, passe quasiment toutes ses vacances chez nous. C'est venu naturellement, elle m'a regardée faire la cuisine et les gâteaux alors qu'elle était toute petite et a commencé comme ça, avec moi. J'ai adapté la recette, avec mon four à chaleur tournante, les gâteaux sont gonflés uniformément, alors qu'autrefois, ils montaient plus d'un côté. Anaïs aime cuisiner et elle prépare d'autres desserts : des gâteaux au chocolat, des cookies ou des cakes et elle réussit très bien les gaufres ou les petites madeleines. Elle prend les recettes dans ses livres de pâtisserie. Et là, c'est elle qui m'apprend de nouvelles recettes !” RACINES 19 décembre 2006 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine