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Ce que l’ADN fait faire à la justice
Chercheur à la direction opérationnelle Criminologie de l’INCC, Bertrand Renard se
consacre depuis 1997 à des recherches souvent liées à l’usage de technologies dans le
domaine pénal. La réalisation de deux recherches importantes sur le thème de
l’expertise en matière pénale1 l’a mené à consacrer sa thèse de doctorat en criminologie
sur l’identification de personnes par analyse génétique.
Cette recherche doctorale a été réalisée au sein de l’INCC de 2002 à 2007 et le travail de
rédaction à l’Université Catholique de Louvain en 2007-2008. Le professeur Dan Kaminski
(UCL) a encadré l’évolution de ce travail qui a bénéficié d’une très fructueuse collaboration
de nombreux acteurs de la justice (magistrats, policiers, experts…).
La thèse de doctorat, défendue le 5 novembre 2008 à l’École de Criminologie de l’UCL,
s’intitule « Ce que l’ADN fait faire à la justice. Sociologie des traductions dans
l’identification par analyse génétique en justice pénale ». L’étude de l’identification par
l’ADN s’est révélée être une voie particulièrement riche pour la connaissance de l’expertise
judiciaire et pour identifier l’impact de l’utilisation d’outils techniques sur la justice pénale.
La diversité des éléments analysés, tels que l’élaboration de la loi, le travail des experts en
analyse génétique, le travail policier et judiciaire, le fonctionnement des banques nationales
de données génétiques, justifient l’ampleur du manuscrit de plus de 500 pages2. Dans ses
résultats, la thèse fournit, outre une analyse théorique, de nombreux constats empiriques
centrés sur l’arrondissement judiciaire de Bruxelles et prenant en compte les pratiques
exercées de 1998 à 2007.
Parmi ces résultats, l’analyse conjointe de la législation et des pratiques permet de souligner
l’emprise que les normes techniques ont sur les pratiques des experts mais aussi sur celles des
acteurs judiciaires. L’État a beau légiférer, la loi n’est pas la seule à dicter ce qui se pratique
concrètement. Beaucoup de choix techniques et gestionnaires posés par les experts échappent
au débat politique et démocratique et pourtant ces choix peuvent avoir pour effet de
contraindre les acteurs experts et judiciaires à développer des pratiques en marge de la
législation ADN.
Au travers de trois études de cas choisies parmi la trentaine de dossiers judiciaires étudiés,
l’auteur montre l’impact de l’analyse génétique sur certaines affaires pénales. Il cite par
exemple le cas d’une analyse ADN dans une simple affaire de recel de voiture initialement
classée sans suite. L’ADN présent sur une cagoule a finalement permis de relier 13 suspects et
15 dossiers de différents arrondissements judiciaires et relatifs à des faits criminels de
différentes natures.
L’analyse du discours des acteurs (policiers, magistrats, experts, avocats…) permet par
exemple de souligner à quel point la question de la protection de la vie privée, pourtant au
centre des débats au moment de légiférer, n’a pas été correctement analysée. En effet, si des
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« L’expertise en matière pénale : cartographie des pratiques » (2003) et « le statut de l’expert en matière
pénale » (2005). Ces deux rapports (n° 12 et n° 15) sont disponibles sur le site de l’INCC : www.incc.be. De
nombreux articles publiés sont également disponibles sur ce même site.
Pour un aperçu de certains résultats, voir l’article suivant disponible en ligne : Bertrand RENARD, « Les
analyses génétiques en matière pénale : l’innovation technique porteuse d’innovation pénale ? », Champ pénal,
Séminaire mis en ligne le 29 septembre 2007. URL : http://champpenal.revues.org/document1241.html.
mesures ont bien été prévues (sans être nécessairement appliquées) pour protéger les profils
ADN contenus dans les banques nationales de données génétiques, bien peu a été envisagé
pour se préserver des risques bien plus grands encourus dans les laboratoires d’analyse.
Les résultats du travail de recherche montrent également que l’expert qui analyse l’ADN est
tenu, en vertu de la loi ADN, de respecter quantité de règles afin de s’assurer de la qualité de
son travail. Rien n’est par contre légalement prévu en ce qui concerne le travail de
prélèvement réalisé avant l’expertise par les laboratoires de police technique et scientifique de
la police fédérale. Rien non plus concernant le travail de comparaison des profils mené après
l’expertise au sein des banques nationales de données génétiques. Dans ces deux situations,
c’est comme si le législateur avait construit une chaîne mais dont un seul maillon est vraiment
solide. Il existe des maillons plus faibles et la chaîne risque de casser…
Si une orientation plus théorique est inévitablement donnée à la thèse dans sa quatrième et
dernière partie, ce travail fournit une évaluation précieuse du cadre légal autant que des
pratiques à la veille d’une révision de la loi ADN du 22 mars 1999. Ce travail devrait
également pouvoir servir de modèle d’évaluation pour les décideurs de la politique criminelle
chaque fois qu’une place est accordée à une technologie dans le travail judiciaire pénal.