Manifeste

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Manifeste
Noursoultan Nazarbaïev, Président de la République du Kazakhstan
MANIFESTE : LE MONDE. XXIème SIÈCLE
Toute l’humanité espérait que XXIe siècle allait devenir une
nouvelle ère de coopération mondiale. Mais, aujourd'hui, cela pourrait
s’avérer un mirage. Le monde est de nouveau exposé au danger et il ne
faut pas sous-estimer son ampleur. Cette menace est une guerre
mondiale ! Selon les calculs des scientifiques, la civilisation universelle a
connu plus de 15 mille guerres, soit, en moyenne, 3 guerres par an. Des
centaines de millions de personnes ont péris durant ces guerres, des
villes et pays ont été effacés de la face de la Terre, des cultures et des
civilisations ont été détruites.
En ce début de XXIe siècle, les hommes font des découvertes
scientifiques qui frappent l’imagination, ils créent des technologies de
nouvelle génération. L'humanité entre dans une nouvelle phase de son
développement. Le monde est à l’orée de la Quatrième révolution
industrielle. De nombreuses maladies meurtrières sont éradiquées avec
succès. Mais le virus de la guerre continue d'empoisonner le monde.
Il multiplie le potentiel du complexe militaro-industriel devenu, dans un
certain nombre d'États, le secteur le plus puissant de l'économie
engendrant la mort.
Le virus de guerre est prêt à infecter des futures découvertes de
l'intelligence artificielle. Le militarisme a profondément pénétré dans la
conscience et le comportement humains. Aujourd’hui, la population
mondiale possède plus d’un milliard d'armes de poing dont des milliers
de civils meurent quotidiennement aux quatre coins du monde. Il est
tout à fait possible que la menace de guerre devienne une réalité
tragique à l'échelle universelle. Il existe des signes d’une telle issue
fatale. Dans les relations internationales, les risques de conflits se sont
intensifiés. La géographie des affrontements militaires a remis en cause
les théâtres historiques des opérations de deux dernières guerres
mondiales – à l’est de l’Europe, au nord de l’Afrique, au Proche-Orient.
Le Traité de non-prolifération des armes nucléaires ne tient pas
son objectif. Les armes meurtrières et les technologies de leur
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fabrication se sont répandues partout dans le monde du fait de la
politique de deux poids deux mesures des grandes puissances. Ce n’est
qu’une question de temps pour qu’elles tombent entre les mains des
terroristes.
Le terrorisme international devient de plus en plus funeste. Il est
passé des actes singuliers commis dans certains pays à des agressions
terroristes à grande échelle contre les États européens, asiatiques et
africains. L’exode des millions de réfugiés, l’anéantissement des villes, la
destruction des monuments historiques les plus précieux, tout cela
devient une réalité quotidienne. Les sanctions économiques et les
guerres commerciales sont devenues des phénomènes habituels.
La planète a déjà commencé à vaciller au bord de la « guerre
froide » aux conséquences désastreuses pour l'humanité tout entière.
Pour l’instant, la paix est maintenue grâce à l'inertie positive des quatre
décennies précédentes.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, suite aux négociations
fructueuses sur la sûreté nucléaire, les arsenaux nucléaires des ÉtatsUnis et de la Russie ont été considérablement réduits. Les cinq
puissances nucléaires ont déclarées un moratoire sur les essais d'armes
atomiques et s’y tiennent. La menace de la destruction de la planète a été
considérablement réduite. Le processus de mise en place des systèmes
de sécurité régionaux s’est accéléré.
Une mégastructure eurasienne et atlantique – l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe – a été créée sur la base des
principes de confiance mutuelle. À la suite des actions concertées des
puissances et des opérations multilatérales onusiennes de maintien de la
paix, toute une série de conflits et de guerres ont été réglés. Mais, à
présent, nous observons une érosion de toutes ces acquisitions.
De ce fait, des millions de personnes demeurent de plus en plus
préoccupées par ces questions : Dans quelle direction la situation va-telle se développer dans le monde ? Des contradictions existantes entre
les grandes puissances ne vont-elles pas se transformer en une nouvelle
rivalité à long terme ? Quel pays sera la prochaine victime des « guerres
par procuration » menées par les grandes puissances mondiales et
régionales ? Quelle terre jusqu’alors florissante sera martyrisée par des
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chenilles de chars et explosions d'obus ? Les enfants de quelles villes
seront-ils tués par des pilonnages de roquettes ? D’où et en quelle
direction déferleront de nouvelles vagues de réfugiés fuyant des
conflits ?
Il y a plus de 60 ans, deux savants du plus haut niveau, Albert
Einstein et Bertrand Russell, ont présenté leurs manifestes qui disait :
« Tel est donc, dans sa terrifiante simplicité, l'implacable dilemme que
nous vous soumettons : allons-nous mettre fin à la race humaine, ou
l'humanité renoncera-t-elle à la guerre ? »
Les meilleurs esprits du XXe siècle ont prophétiquement averti le
monde que les armes nucléaires seraient infailliblement utilisées dans la
prochaine guerre mondiale et qu’elles détruiront toute vie sur la planète.
Leur avertissement que tous les différends entre les États ne
peuvent et ne doivent pas être résolus par la guerre reste éminemment
actuel au XXIe siècle. La tâche civilisationnelle la plus difficile de
l'humanité est d’éradiquer la guerre. Mais elle n’a aucune autre
alternative raisonnable. Cette tâche doit être considérée par les leaders
mondiaux en tant qu’une priorité absolue par rapport aux autres
problèmes de l'ordre du jour mondial.
Au XXIe siècle, l'humanité doit résolument avancer vers une autodémilitarisation. Nous n’aurons pas une autre chance comme celle-ci.
Dans le cas contraire, la planète se transformera en un immense dépôt
désert de déchets radioactifs. Notre planète est unique, nous n’en avons
pas d'autres et nous en aurons jamais.
C’est pourquoi l'humanité a besoin d'un programme global
« XXI siècle : un monde sans guerre ».
Cette stratégie globale doit définir des actions concertées et
responsables des nations visant à détruire le virus de la guerre et des
conflits. Dans ce document, il convient d’énoncer précisément les trois
grands principes suivants.
Premièrement, il n’y aura pas et il ne peut pas avoir de vainqueur
dans aucune guerre moderne, tout le monde y sera perdant.
Deuxièmement, dans une nouvelle guerre, l’utilisation de toute
arme de destruction massive – qu’elle soit nucléaire, chimique,
biologique ou une autre qui pourrait inventée sur la base des réalisations
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de la science – sera inévitable. Cela conduira à la mort de l'humanité.
Il sera trop tard pour identifier le responsable et il ne restera personne
pour le faire. La génération actuelle des dirigeants nationaux et des
politiciens, ainsi que toutes celles qui viendront devront comprendre ce
danger potentiel comme un axiome.
Troisièmement, un dialogue pacifique et des négociations
constructives s’appuyant sur les principes de la responsabilité égale pour
la paix et la sécurité, du respect mutuel et de la non-ingérence dans les
affaires internes doivent servir de base pour le règlement de tous les
différends entre les États. C’est sur ce fondement complexe qu’il faut
établir des algorithmes cohérents d'actions de la communauté
internationale orientés vers les cinq objectifs suivants.
I. Un avancement consécutif vers un monde complètement libéré
des armes nucléaires et d’autres types d’armes de destruction massive.
Un pas important dans cette direction a déjà été fait. Le 7 décembre
2015, à l’initiative du Kazakhstan, l'Assemblée générale de l'ONU a
adopté la Déclaration universelle sur l’édification d’un monde exempt
d’armes nucléaires. Il y a 25 ans, le Kazakhstan a été le premier État du
monde qui a fermé pour toujours son polygone d'essais nucléaires de
Semipalatinsk. Ce fut le premier et jusqu'à présent le seul cas dans la
pratique mondiale. Puis, ce jeune État a volontairement renoncé à la
possession de l'héritage sinistre de l'URSS éclatée, à savoir le quatrième
arsenal nucléaire mondial et ses vecteurs. Cette décision a encouragé les
grandes puissances nucléaires à déclarer un moratoire sur les essais
nucléaires. Il y a 20 ans, dans le cadre des Nations Unies, le Traité
d'interdiction complète des essais nucléaires a été élaboré et ouvert à la
signature, mais il n'est toujours pas entré en vigueur. Sur le territoire du
Kazakhstan, sous l’égide de l’AIEA, a été créée la Banque de combustible
nucléaire faiblement enrichi qui est destinée aux États qui envisagent de
développer l'énergie atomique pacifique.
Les sommets mondiaux sur la sécurité nucléaire sont d’une grande
importance.
Maintenant, il est temps de prendre des décisions globales
interdisant le déploiement des armes meurtrières dans l'espace, dans les
fonds marins, dans les eaux internationales de l’Océan mondial et en
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Arctique. Il est important d'élaborer et d'adopter des documents
internationaux contraignants sur l'interdiction de l'utilisation des
découvertes scientifiques en vue de créer et parfaire des armes de
destruction massive. Aux Nations Unies, il convient d’établir un Registre
de classement des découvertes scientifiques qui pourraient être utilisées
pour la création et la mise au point des armes de destruction massive.
II. Au XXIe siècle, il faut mettre en place une géographie du monde
durable, tout en éradiquant progressivement la guerre comme un mode
d’activité. Dans le monde, il existe six zones exemptes d'armes
nucléaires. Elles couvrent l'Antarctique, la quasi-totalité de l'hémisphère
Sud, y compris l'Amérique latine, l’Afrique, l’Australie et l’Océanie.
La plus « jeune » parmi elles est la zone dénucléarisée d’Asie centrale,
créée il y a 10 ans à Semipalatinsk par les cinq États de la région. Il est
nécessaire d’intensifier les efforts internationaux visant à créer une zone
exempte d'armes nucléaires au Proche et Moyen Orient. En 1992,
le Kazakhstan a pris l’initiative de convoquer la Conférence sur
l'interaction et les mesures de confiance en Asie.
Ce forum a été institutionnalisé avec succès au cours du siècle
présent avec la participation de 27 États du continent, de l'ONU et
d'autres organisations internationales. Une coopération multilatérale
entre la République populaire de Chine, la Fédération de Russie,
le Kazakhstan, le Kyrghyzstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan dans le
cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai a une valeur
positive. Les zones de paix en Amérique du Sud, en Atlantique Sud et en
Océan Indien possèdent un potentiel considérable. Il faut appliquer toute
l'expérience accumulée pour la création des grandes Aires de la paix sur
la base du droit international spécial. Bien entendu, il ne devrait pas y
avoir de guerres et de conflits. La sécurité et le développement dans ces
Aires de la paix pourraient être garantis par tous les États membres de
l'ONU et son Conseil de sécurité.
III. Au XXIe siècle, il faut s’affranchir d’un reliquat militariste tel
que l'existence des blocs militaires, menaçant la sécurité mondiale et
empêchant une large coopération internationale. S'il existe au moins un
grand bloc militaire, la réalité géopolitique voudra que soit
inévitablement créé son antipode. La force engendre une antiforce. Les
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différents États forment des blocs militaires et ils ne sont pas toujours
conscients de la responsabilité pour la paix et la sécurité qui leur
incombe. De plus, il y a des tentatives d'utilisation des parapluies des
blocs militaires pour en tirer des avantages dans les relations avec les
pays tiers, y compris les voisins immédiats. Ainsi, la situation de
confrontation peut être clonée indéfiniment, tant dans des régions
particulières, que dans l'ensemble de l'espace mondial. Cependant,
l'expérience des guerres et des conflits passés montre que l’on ne peut
pas assurer sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres
États. Par conséquent, il faut opposer aux blocs militaires une Coalition
Mondiale des États pour la paix, la stabilité, la confiance et la sécurité
sous l’égide des Nations Unies. L’objectif universel de la prochaine
décennie doit être la cessation des guerres et des conflits en Afghanistan,
en Irak, au Yémen, en Libye et en Syrie, à l'est de l'Ukraine et de la
confrontation israélo-palestinienne. Il reste aussi à réduire le risque
d'une situation explosive dans la Péninsule coréenne, dans les eaux de la
mer de Chine méridionale et en Arctique.
IV. Il est important d'adapter le processus de désarmement
international aux nouvelles conditions historiques. La perturbation à
courte vue des restrictions antérieures conventionnelles sur les
systèmes de défense antimissile et les armes conventionnelles a conduit
à la militarisation de l'espace politique de l'Eurasie. Cela augmente le
risque d’une nouvelle guerre mondiale ne serait-ce qu’en raison d'un
dysfonctionnement éventuel des systèmes électroniques de gestion de la
défense. Nous avons besoin d'une nouvelle stratégie d’action de la
Conférence des Nations Unies sur le désarmement. Nous devrons
éliminer qualitativement la cybercriminalité comme une nouvelle
menace qui peut devenir une arme dangereuse dans les mains des
terroristes.
V. Un monde sans guerre c’est, avant tout, un paradigme équitable
de la concurrence mondiale dans le domaine des finances
internationales, du commerce et du développement. Lors de la 70ème
session de l'Assemblée générale de l'ONU, le Kazakhstan a proposé
d’élaborer le Plan Stratégique Mondial de l'Initiative-2045. Ce plan est un
outil d'éradication des causes profondes des guerres et des conflits. Il est
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important de former une nouvelle tendance au développement sur la
base d'un accès égal et équitable de toutes les nations aux
infrastructures, aux ressources et aux marchés. Il est proposé de le
mettre en œuvre pour le 100ème anniversaire des Nations Unies.
Le Kazakhstan propose de convoquer, en 2016, la Conférence
internationale de l’ONU au sommet. Lors de cette conférence, il
conviendra de réaffirmer les principes du droit international en vue de
prévenir les guerres et les conflits destructeurs au XXIe siècle. Les appels
à la sagesse et au dialogue, à la discrétion et à la droite raison ne doivent
pas devenir victimes des attaques médiatiques des opposants à la paix
mondiale.
Au XXIe siècle, le monde a besoin de la paix !
C’est la question clé !
La paix au XXIe siècle mérite que l’on se batte pour elle tout aussi
intelligemment et vigoureusement que le faisaient les gens au siècle
précédent. Nous devons penser à l'avenir de nos enfants et de nos petitsenfants. Il faut unir les efforts des gouvernements, des politiciens, des
scientifiques, des hommes d'affaires, des artistes et des millions de
personnes à travers le monde pour éviter la répétition des erreurs
tragiques des siècles passés et débarrasser à tout jamais le monde de la
menace de guerre. L’inaction ou la simulation des activités pacifiques
sont lourdes de catastrophes mondiales.
Mon Manifeste « Le Monde. XXIe siècle » est dicté par l’inquiétude
sincère pour le destin des générations futures qui vont vivre et travailler
au XXIe siècle. Nous, les dirigeants des États et les hommes politiques,
portons une grande responsabilité pour l'avenir de l'humanité. En tant
qu’homme et politicien ayant traversé les ronces et les difficultés de la
vie, en tant qu’homme d'État ayant pris la décision difficile de clôturer le
site des essais nucléaires de Semipalatinsk, j’adresse aux dirigeants du
monde entier et à toute la communauté internationale une prière
insistante d’écouter la raison. Il faut que nous fassions tout ce qui dépend
de nous pour débarrasser définitivement l'humanité de la menace d'une
guerre meurtrière. À présent, et dans un avenir prévisible, nous n’avons
pas de tâche plus urgente que celle-ci.
Washington, le 31 mars 2016
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