La Tour Eiffel en construction. Une œuvre d`art aussi, c`est la tour

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La Tour Eiffel en construction. Une œuvre d`art aussi, c`est la tour
La Tour Eiffel en construction.
Une œuvre d'art aussi, c'est la tour Eiffel, qui
achève en ce moment la première étape de son
ascension ; le spectacle est curieux vu des jardins
du Trocadéro. Elle s'élève là-bas sur l'emplacement
de l'ancienne exposition de1878, dont elle a
bousculé les les gazons et les parcs survivants. Elle
apparaît avec ses quatre pattes s'élargissant à la
base, ses quatre énormes piliers inclinés, carcasse
d'animal antédiluvien, à l'ossature de fer ajourée et
grimaçante. Ces piliers, d'une élévation de 50
mètres constituent déjà un ensemble qui atteint
presque la hauteur des tours de Notre Dame. C'est
le moment le plus intéressant : il s'agit de poser la
tablier métallique qui doit réunir les piles inclinées
de la base et constituer le premier étage. Alors la tour reprendra son vol vers le ciel. En attendant,
là-haut, les ouvriers travaillent, battent du marteau, enjambent des passerelles, actifs et pressés
comme s'ils étaient menacés du déluge et pressés de finir cette énorme Babel.
La tour achevée, ce sera du sommet un panorama allant de Compiègne à Fontainebleau ; et les
statisticiens que la tour Eiffel met en verve font chaque jour à son sujet des constatations
imprévues : d'abord un ascensionniste mettrait plus d'une heure à gravir les 1.500 marches de cet
immeuble qui sera, haut de la hauteur de 75 étages ordinaires – heureusement qu'il y aura des
ascenseurs ! - ensuite, on a calculé qu'une simple plume pesant un gramme, lancée du haut de la
tour, mettrait à parcourir cette distance 8 secondes, et que son poids, accru par la vitesse, serait en
arrivant à terre l'équivalent de 15 grammes, c'est-à-dire deviendrait un véritable projectile qui
pourrait blesser ou tuer un homme. Ceci est aussi merveilleux qu'effrayant et ménage dans l'avenir
bien des ressources pour les assassins et ceux qui auront à se venger.
Plus besoin de se mettre en dépense ; plus de revolvers et de couteaux ; plus d'effusion de sang.
On peut tuer un homme à coup de plume !
Georges Rodenbach,
Journal de Bruxelles, 20 février 1888 (extrait)