Une Boulangerie d Soleil Levant à Paris

Transcription

Une Boulangerie d Soleil Levant à Paris
L'Observatoire
du Pain sonde
les cr queuses
d p r
Levain
liquide
Quel ferm nt ur
ChOISir
Ronde
des Pains
au
Rodolphe
Landemaine
REPORTAGE ...
Une Boulangerie
d Soleil Levant à Paris
Le prix Pudlo du « Meilleur Boulanger de l'année 2011 » a consacré l'ascension
parfaitement orchestrée d'un des artisans les plus prometteurs de sa génération.
Rencontre avec Rodolphe Landemaine.
L
orsqu'on échange
avec le sémillant Rodolphe Landemaine,
on se rend tout de suite au
fait : la boulangerie-pâtisserie est W1e grande affaire,
qui exige une vraie ambition et les moyens de la
réaliser. Ceux qui ne l'ont
pas compris végètent aux
portes du Royaume. Ce
jeW1e boulanger n'en manque pas d'ambition, lui qui
entre cette année dans la
cour des très grands de la
boulange (lauréat du prix
Pudlowski 2011, catégorie
« Boulanger de l'année »)
et qui a bien l'intention de
déplacer les lignes. Une visite au 56 de la rue de CliTourte de meule et to urte
auvergnate, pannl les produits
préférés du boulanger.
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SEPTEMBRE 2011 • LA TOOUE MAGAZINE • N '217
chy (9"), la maison mère (il
a quatre boutiques à Paris
et W1e école de boulangerie
à Tokyo), vous en donne
aussitôt W1 avant-goût.
Une equipe
Deux choses, de prime
abord, retiennent l'attention. Le fournil, dans le
prolongement de la boutique- où règnent des jeunes
femmes diligentes, alertes
- et séparé d'eUe par des vitres, se conjugue lui aussi
au féminin. Une Japonaise,
Tomoe Yaonaka, a pris la
direction des opérations
de panification les plus
exigeantes à partir des farines livrées par Foricher.
Rodolphe, grand admirateur du peuple japonais,
s'en amuse : « Vous pouvez
vous moquer en les voyant
vous assai/Ur de questions. Mais lorsque vous
revenez quinze ans plus
tard, ils font une baguette
plus baguette que la v6tre ! » Cette jeW1e femme,
assistée d'W1e collègue du
nom d'Ai Konno, semble
glisser du tapis enfourneur jusqu'aux chambres
de pousse, puis au pétrin.
On dirait un film muet
REPORTAGE
et empli de grâce. Sévère au chômage, aux crises des
contraste avec l'ambiance modèles familiaux. Pour
de nos fournils virils ! Pas des raisons qu' iJ s'explide réelle rupture ici entre que mal, mais encouragé
la fabrication et le maga- par un père militaire qui
sin : même impression de salue le pragmatisme d e
dépouillement. Tout y est son fils, le jeune homme va
« lisse », ordonné, en ordre se former à tous les métiers
de la pâtisserie, chocolade marche.
La visite se poursuit par terie, gJacerie, confiserie
les laboratoires en sous- et boulangerie. N'exceller
sol, extraordien rien partic uli èrement
naire superfiune ambJtJOll
cie pour une
double d'une mais exceller
affaire pari- l'mW d1 creflOil
partout ! Un
petit moteur
sienne. C'est
ici que, en
le pousse ,
2005, visitant les locaux au sortir d'un bac pro, à
d'une affaire très prospère emprunter l'itinéraire des
tombée en disgrâce, sur le compagnons du Tour d e
conseil de son meunier, les France, puis à faire haJte
certitudes de Rodolphe ont dans quelques grands
pris forme. A partir d'une établissements parisiens.
telle assise, il pourra très La stratégie est toujours
rapidement essaimer, cenla même. Combler les latralisant ici la viennoiserie, cunes, progresser, mieux
autonomisant par ailleurs faire : « Lucas Carton
sous la f érule d'Alain
le reste de la production.
Senderens ; Ladurée dans
l 'o mbre imposante de
Exi ence
Pierre Henné ; le traiteur
Rodolphe est très fier de Raynier Marchetti; l 'hôtel
nous faire découvrir de Bristol, rue du Faubourg
quelle manière il a amé- Saint-Honoré; Moisan en
nagé ses sous-sols, pour
offrir les meilleures conditions de travail à ses employés, parmi lesquels nous
croisons, là aussi, quelques
Japonaises. « Chacun dispose ici d 'un marbre avec
tout l'appareillage à portée
de main. ,, L'air n 'y est pas
pesant. Pas de sensation
de renfermé. On enfilerait
bien un tablier pour se
mettre au turbin !
La réussite est une méthodique construction. Jeune
h o mme issu d ' un bac
scientifique, promis à une
trajectoire universitaire,
Rodolphe hésite. Les années 90 charrient déjà leurs
lots de désillusion pour une
génération qui s'affronte
compagnie de jean-Yves
Gu inard, Meilleur Ouvrier
de France, etc. Une année
à la tête d'une affaire rue
de Tolbiac pour jauger ma
détennination et ma capacité à monter ma propre
affaire jusqu'au jour où
Yvon Foricher est venu me
parler de cet emplacement
prometteur rue de Qichy. »
Rodolphe est prêt.
Le portrait resterait incomplet si on n 'évoquait
pas celle qui a contribué à
donner corps à ce projet,
Yoshimi Ishikawa. Ils se
sont rencontrés par l'intermédiaire d'un enseignant
de l'Ecole de Boulangerie
d e Paris. Elle cherch ait
aJors de jeunes professionnels en début de carrière
pour venir enseigner à des
Japonais amateurs ou professionnels désireux d'aJJer
fabriquer, ensuite, du pain
en France. Fille d'un préfet
d 'Hiroshima, elle cherche
à faire le pont entre la tradition du pain français et
la passion no uvelle des
Le fournil de la rue Clichy, maison
mère des 4 boutiques parisiennes.
Japonais pour la boulangerie. Couronnement de
cette rencontre, Rodolphe
et Yoshimi se marient et
décident d 'associer leurs
forces et compétences pour
asseoir à Paris et à Tokyo
l'excellence boulangère.
« Une école baptisée Ecole Levain d'Antan ouvre
d'ailleurs bientôt ses portes à Tokyo pour répondre
à la demande des femmes
japonaises de s'initier à la
panification. Suivra prochainemeut l 'ouverture,
en plein centre viUe, d'une
boulangerie, sans partenariat, en direct. Nous avons
maintenant toute la légitimité pour faire ce que
nous voulons. » Et en effet,
Yoshimi s'est acquis dans
les médias japonais une
solide réputation d 'a mbassadrice du bon pain de
France arrivé depuis quelques années au Japon.
Ces amours franco-japonaises, cette féminisation
des fournils, cette rigueur
de tous les instants, cette
farouche ambition doublée
d'une vraie discrétion semblent bien être les garants
de la réussite de cette boulangerie du Soleil Levant.
Jean-Philippe de Tonnac
SEPTEMBRE 2011 • LA TOOUE MAGAZINE- N"217
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