lire la presse - Théâtre de l`aquarium

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lire la presse - Théâtre de l`aquarium
Exclusif Revue Eclair : Clara, l’amour caché de Casanova
Dans l’écriture fantasque de sa vie amoureuse
et voyageuse sous forme de ponctuations scéniques, Stéphane Olry se devait tôt ou tard de
croiser « Histoire de ma vie » de Casanova et
s’identifier à ce dernier, lequel se faisait passer
pour le chevalier de Seingalt.
Unir la vie de Casanova à celle d’Olry
Résulte de ce chassé-croisé une nouvelle régalade cosignée par Stéphane Olry (auteur et acteur), Corine Miret (danseuse et actrice) et JeanChristophe Marti (musicien et acteur), les trois
piliers fondateurs de La Revue Eclair. Revue qui
ne se feuillette pas (quoique) mais fonctionne
par juxtapositions comme une revue de musichall – cependant sans le souci d’une efficace
rapidité (la nonchalance étant plutôt la vitesse
de croisière du trio). Le mot Eclair y tient plus
de la célèbre fermeture qui réunit deux pans
(vêtements ou vie) jusqu’alors séparés, lesquels, sans elle, ne pourraient pas s’imbriquer
l’un dans l’autre. C’est précisément le cas ici
entre d’un côté la vie de Casanova et de l’autre
celle d’Olry, une autoproclamée fantasmagorie
titrée « Tu oublieras aussi Henriette ». Ces mots,
la dite et mystérieuse Henriette, dont l’identité
incertaine excite toujours les casanovistes échevelés, les écrivit sur un miroir dans un hôtel de
Genève avant d’aller retrouver sa famille à Aixen-Provence, mettant fin à une fugue durable qui
lui fera arpenter l’Italie, rencontrer Casanova et
lui lancer un irrésistible « Venez à Parme » qui
ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd.
La rousse Henriette et la blonde Elise Clara est
à l’auteur Olry ce que Henriette fut à Casanova,
un grand amour périssable. Il la rencontre à une
terrasse de café parisien. Clara qui vit dans un
27 m2, est serveuse le midi et le soir dans un
restaurant, elle vient lire « Ulysse » de Joyce
chaque matin à la terrasse du café où, depuis
des lustres, Olry vient écrire ses pièces.
La rousse Henriette jouait du violoncelle ; Elise
Chavin, l’actrice qui interprète le rôle de Clara,
est blonde et plus encore chanteuse. Elle porte
une chaste robe mais tient des propos qui surprennent sa tenue.
Entre Clara et Olry s’installe un jeu « old style
» : pas de numéros de téléphone ni d’e-mails
échangés, mais des cartes postales. C’est ainsi
que Clara donne rendez-vous à Venise à Olry,
ville chère à Casanova, ça tombe bien puisque
l’auteur qu’est Olry prétend écrire un opéra sur
l’auteur de « Histoire de ma vie », tout en tenant
par ailleurs un journal intime. Olry jouant les
Casanova s’assoit à la terrasse de café, parle à
Clara, l’auteur finira pas mettre Henriette entre
parenthèse voire à l’oublier comme le titre l’indique, pour se laisser subjuguer par l’imprévisible Clara.
Un feuilleton où tout est « non pareil »
Bref, cher riverain, tu l’auras compris, on perd
rapidement les pédales. Cen’est pas un défaut
mais une habitude de La Revue Eclair qui aime
égarer le spectateur pour mieux le cueillir. Olry
annexe (jusqu’aux bagouzes) le rôle de Casanova
mais il garde sous le coude celui de l’auteur qu’il
partage cependant avec le musicien Jean-Christophe Marti lequel joue live du piano « non pareil
», fruit de son invention (il n’y a pas que le pianiste qui joue debout, le piano aussi).
Comme à son habitude, Corine Miret, en danseuse masquée et délurée, joue les mouches du
coche.
La Revue Eclair est une aventure et même un
feuilleton (plusieurs fois ici chroniqué) où tout
est « non pareil », où le tout forme cependant
une écriture aussi imparable que reconnaissable, une façon unique de jardiner la scène.
J.-P. Thibaudat
le 8 octobre 2014
C’est l’histoire de Stéphane Olry, auteur et metteur en scène, qui s’assoit à une
terrasse de café pour écrire un livret d’opéra sur la passion qui lie Henriette —
l’aristocrate fugitive déguisée en homme — au fameux Casanova. Et de son aventure
avec une mystérieuse lectrice, qui partage les mêmes horaires que lui au bistro. Les
deux trames s’imbriquent, et un changement d’accessoires suffit à faire se croiser
les personnages du XVIIIe et du XXIe siècle et à tisser un univers onirique rythmé par
la quête douloureuse de l’amour. On y chante (plutôt bien) et on y danse aussi. Et si
l’harmonie de l’ensemble est parfois un peu factice, la voix de Casanova s’entend ici
de manière proche et renouvelée.
Emmanuelle Bouchez
2 avril 2015
Dans Histoire de ma vie, Giacomo Casanova (aussi connu en France sous le nom
de Jacques Casanova de Seingalt) revient sur les beaux moments de sa vie. Parmi
ceux-ci, la rencontre avec Henriette, «une mystérieuse aristocrate aixoise que
Casanova a rencontrée alors qu’elle venait de s’enfuir de sa famille, déguisée en
militaire», et qui fut l’un de ses plus grands amours. C’est la liaison entre ces deux
figures du XVIIIe siècle qu’investissant aujourd’hui Frédéric Baron, Elise Chauvin,
Jean-Christophe Marti, Corine Miret et Stéphane Olry au Théâtre de l’Aquarium
Maîs c’est aussi la relation naissante entre une jeune femme et un auteur du XXIe
siècle qui font connaissance à la terrasse d’un café. Créant un opéra composite qui
mêle les époques, les genres, les lignes narratives, les membres de La Revue Éclair
engendrent une fantasmagorie théâtrale traversée par les thèmes de la liberté et
de l’affranchissement.
M. Piolat Soleymat
avril 2015
Tu oublieras aussi Henriette, titre de la fantasmagorie
de Corine Miret, Jean-Christophe Marti et Stéphane
Olry, est le rappel d’une clause implicite dans le contrat
de la rencontre libertine. Pour Chantal Thomas qui
s’est penchée sur les Mémoires de Casanova, «l’oubli
libertin est une licence provisoire que l’on accorde à
soi-même et à autrui pour multiplier la chance des
rencontres. »
Le lieu de Venise par exemple, a à voir avec la
problématique de l’oubli, ville où le libertin danse,
parle et fait l’amour. L’homme de plaisir conduit le
lecteur dans une rêverie nostalgique, que l’auteur
Stéphane Olry rattrape au vol pour la scène, jouant
de la magie verbale de « Venise », de « théâtre » et
d’« immoralité ». L’Auteur – Stéphane Olry, dans la
vie – est interprété sur le plateau de théâtre par le
musicien Jean-Christophe Marti qui converse avec
une voisine de la terrasse du café où il se rend le
matin pour écrire ; il prépare un opéra sur un amour
de Casanova. Cet amour au féminin de la figure
légendaire libertine est Henriette, une aristocrate
aixoise rencontrée alors qu’elle venait de fuir sa
famille, déguisée en homme.
Pour l’immédiat présent de l’Auteur, l’inconnue du
café se nomme Clara, travaille dans la restauration,
vit dans un 27 m3 et lit Joyce le matin. Le spectacle
singulier entrelace alternativement les deux
histoires, celle de Casanova et d’Henriette d’un côté,
et celle de l’Auteur et de Clara, de l’autre.
Le personnage littéraire et mythique de Casanova
est porté par le facétieux Stéphane Olry, bagues aux
doigts et robe chamarrée d’intérieur à l’orientale.
Quant à l’art de la danse, Corine Miret est à son
affaire, évoluant avec son charme bien à elle dans
des partitions de danse baroque qu’elle affectionne
particulièrement.
Dans l’espace chorégraphique, l’interprète écrit des
impromptus, des incursions brutales et muettes au
sein d’un flux de paroles, celles de Clara et des divers
personnages des Mémoires de Casanova – dont
Henriette que la danseuse incarne -, personnages
qui à eux seuls sont des fantômes féminins
véhéments et mystérieux. Ces silhouettes dansantes
et évanescentes font penser à de jolies poupées
mécaniques anciennes, portant perruques modernes
façon Barbie ou bien perruques poudrées d’Ancien
Régime. Ces apparitions sont vêtues de robes
sommaires ou bien extravagantes, les costumes de
La Bourette que rehausse encore le port de masques
façonnés minutieusement. Après chaque prestation,
Corine Miret lève le masque vénitien, rejoignant à vue
sa caverne d’Ali Baba, son vestiaire de lumières et
d’artifices : « le vêtement est désiré pour son brillant
et pour son vaporeux. Aussi importantes que les
pierres, ce sont les plumes et les dentelles qui font la
beauté d’une toilette.» (Chantal Thomas)
L’esprit du XVIIIè est intensément présent. Sur la
scène, à jardin, se tient majestueux et pourtant
comme éventré, un piano « nonpareil » dont le
musicien et acteur Jean-Christophe Marti joue avec
foi. L’instrument inventé tient lieu d’orchestre pour
l’interprète, un piano droit ordinaire, surélevé et
dépouillé de ses parements, une disposition originale
qui permet un accès manuel à toutes les cordes et
tous les corps sonores de sa structure. Tout l’esprit
du spectacle et de la compagnie de la Revue Éclair
est contenu dans cet objet singulier car le jeu sur le
piano « nonpareil » ouvre une gamme riche de timbres
inattendus, de l’extrême douceur à des percussions
fracassantes, s’amusant encore avec la voix d’Elise
Chauvin – sur la scène, le personnage énigmatique
de Clara, la femme aimée de l’Auteur -, une artiste
soprano colorature connaissant le classique musical
comme le contemporain expérimental.
C’est dire si tout le monde s’amuse. Clara converse
ou chante quand bon lui semble car c’est elle qui peu
à peu prend le pas et fait disparaître le rêve revisité
d’Henriette.
Ainsi, beaucoup de figures s’entrecroisent, Henriette
elle-même grâce à Corine Miret qui évoque ses
aventures de femme libérée, passant des amours
masculines à d’autres féminines ; Casanova se tient
là, son sourire en coin ; l’Auteur aussi qui évoque son
expérience du monde à travers l’écriture et Clara
enfin, qui sait ce qu’elle veut. Quant à l’Auteur, quant
à Casanova, ils répètent à l’envi : « J’ai aimé les
femmes à la folie, mais je leur ai toujours préféré ma
liberté... »
Nous avons bien aimé de notre côté cette
fantasmagorie amusée et amusante.
Véronique Hotte
octobre 2015