Projet populaire et projet alternativ - Avis de droit

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Projet populaire et projet alternativ - Avis de droit
Projet populaire et projet alternatif
Avis de droit
Mandat de la Commission des institutions politiques et des relations extérieures (CIRE)
du Grand Conseil du canton de Berne
Prof. Andreas Glaser
Uwe Serdült
Evren Somer
Aarau, 25 juin 2015
Projet populaire et projet alternatif
2
I. Contexte
Mis à part le canton de Berne, le canton de Nidwald est le seul à pratiquer encore le référendum constructif. Après l’avoir introduit, le canton de Zurich l’a finalement supprimé. Dans
plusieurs autres cantons, l’introduction de cet instrument a été envisagée lors de la révision
totale de la constitution cantonale, pour être en définitive abandonnée.1 Le référendum constructif est un projet populaire déposé au sujet d’un acte législatif et couplé avec le référendum
dont fait l’objet cet acte.2 Les notions de référendum constructif et de projet populaire sont
synonymes.3
Un nombre défini d’électeurs et électrices peuvent dans un délai imparti présenter un contreprojet à un acte législatif adopté par le parlement et soumis au référendum facultatif. Le référendum constructif combine ainsi le référendum avec l’initiative populaire en matière législative.4 Lors de la votation populaire, les électeurs et électrices font leur choix entre deux ou
plusieurs propositions présentées au sujet des dispositions contestées. Le référendum constructif est donc le pendant du contre-projet opposé par le parlement à une initiative populaire.5
Depuis que le projet populaire s’est établi dans le canton de Berne, les voix critiques se sont
multipliées au Grand Conseil en conséquence de l’expérience et notamment de l’abrogation
du contre-projet citoyen dans le canton de Zurich. La Commission des institutions politiques
et des relations extérieures a dès lors chargé les auteurs de la présente étude de répondre à
neuf questions précises, composées chacune de plusieurs éléments.
II. Questions
1. Quels sont les avantages et les inconvénients du projet alternatif (art. 63, al. 2 ConstC)
et du projet populaire (art. 63, al. 3 ConstC)?
a) Projet alternatif
Les différents avantages théoriques du projet alternatif sont décrits dans la doctrine. Selon les
textes, un projet controversé, comportant une disposition fatale, peut être sauvé en votation
populaire si un projet alternatif moins contesté est opposé à la disposition en question. A la
différence de ce qui est le cas du référendum, qui est dirigé contre le projet législatif dans son
entier, il est possible en cas d’échec d’éviter un deuxième scrutin. On aboutit ainsi plus rapi-
1
Voir SÄGESSER, p. 12 ss
2
HANGARTNER/KLEY, n. 395.
3
ATF 138 I 189 consid. 2.3 p. 191.
4
Message concernant l’initiative populaire fédérale 'pour davantage de droits au peuple grâce au référendum avec contre-proposition (référendum constructif)', FF 1999 2937 2961; HANGARTNER/KLEY, n. 396; NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 128 s.; SCHUHMACHER, Kommentar, Art. 35 n. 5.
5
ATF 138 I 189 consid. 2.3 p. 191 avec une référence à HANGARTNER/KLEY, n. 2182.
Projet populaire et projet alternatif
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dement à une décision définitive.6 De plus, dans la perspective du projet alternatif, le parlement examine encore plus attentivement les arguments des adversaires d’un projet et s’efforce
ainsi de trouver une solution susceptible de réunir la majorité des suffrages. Les électeurs et
électrices ont ainsi la possibilité de faire un choix réel entre plusieurs solutions viables.7
Il a été dit au sujet du projet alternatif qu’il permet au parlement de se dérober en se soustrayant à la responsabilité de prendre une décision concernant un projet viable.8 Ne sachant
pas encore quelle sera la variante retenue, il peut mettre moins de soin dans l’élaboration du
projet principal ou de la variante.9 Dans la mesure où un projet alternatif suppose une décision
de la majorité au Grand Conseil, on lui reproche son caractère plébiscitaire, la majorité du
parlement proposant deux options du haut de sa position privilégiée. Le projet alternatif est
jugé plus utile s’il est l’expression du droit d’une minorité qualifiée du parlement.10 Un autre
aspect critiqué du projet alternatif est le trop d’attention porté à la variante, d’autres dispositions centrales du projet d’ensemble restant ainsi ignorées.11
Cependant, le principal grief fait au projet alternatif se réfère à la situation dans laquelle il
déploie un effet exclusif par rapport au projet populaire, ce qui est le cas dans le canton de
Berne. On prête à cet instrument un considérable potentiel d’abus dans ce cas.12 Dans cet
ordre d’idée, le parlement peut présenter un projet alternatif pour des considérations tactiques,
afin d’éviter qu’un référendum constructif ne soit présenté.
b) Projet populaire
Le principal argument en faveur du projet populaire est la possibilité offerte aux électeurs et
électrices de prendre position de manière plus nuancée sur les objets qui leur sont soumis et
donc de disposer d'une plus grande liberté de décision (art. 34, al. 2 Cst.).13 On voit un avantage supplémentaire dans le fait que les adversaires d’un projet législatif puissent concentrer
leur opposition sur les questions controversées sans mettre en péril le tout.14 Cela permet
d’éviter plus sûrement qu’un référendum le désastre que serait l’échec du projet d’ensemble et
6
SCHUHMACHER, Kommentar, Art. 34 n. 1.
7
BOLZ, p. 109, 114.
8
GRISEL, n. 1028, 1031.
9
SCHUHMACHER, Kommentar, Art. 34 n. 6.
10
SCHUHMACHER, ZBl 110/2009, p. 32, 46.
11
SÄGESSER, BVR 1998, p. 193, 215.
12
HANGARTNER/KLEY, n. 2183. également SÄGESSER, p. 49 s.
13
Message concernant l’initiative populaire fédérale 'pour davantage de droits au peuple grâce au référendum avec contre-proposition (référendum constructif)', FF 1999 2937 2942; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, n. 632; BOLZ, p. 111; NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 131;
SCHUHMACHER, Kommentar, Art. 35 n. 3.
14
BOLZ, p. 116; HANGARTNER/KLEY, n. 396, 2182.
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le deuxième scrutin qui s’ensuivrait.15 Avec un référendum constructif, qui offre la possibilité
de formuler une alternative positive, il est plus difficile de nouer une alliance contre nature,
tournée contre un projet législatif pour des motifs contradictoires.16 Il permet de créer un contrepoids à la tendance conservatrice du référendum, dont l’effet inhibiteur ou destructeur est
ainsi atténué.17
On voit dans l’affaiblissement de la position du parlement le principal inconvénient du référendum constructif.18 La cohérence et l’équilibre du projet législatif négocié dans le débat
parlementaire sont mis en péril, chacun cherchant à « écrémer » le projet.19 La volonté de recherche le compromis au parlement faiblirait même sous l’effet de l’incertitude liée au projet
populaire.20 De plus, selon les critiques, le projet populaire est formulé dans la précipitation,
sous la pression du court délai référendaire, ce qui peut nuire à la qualité et conduire à des
erreurs.
Avec la possibilité du double oui et la nécessité qui en découle d’une question subsidiaire, le
projet populaire contribue en tout état de cause à la complication des questions posées aux
électeurs et électrices.21 S’il y a plusieurs projets populaires, surtout, il peut en résulter des
ambiguïtés dans la procédure de vote.22 La conséquence pourrait en être un nombre particulièrement élevé des suffrages blancs et nuls ou alors des résultats en apparence contradictoires.
Réponse à la question: En théorie, le projet alternatif et le projet populaire présentent tous
deux des avantages et des inconvénients. Dans un ordre juridique donné, seule l’expérience
permet de juger si les avantages ou les inconvénients l’emportent.23
15
Cf. Message concernant l’initiative populaire fédérale 'pour davantage de droits au peuple grâce au référendum avec contre-proposition
(référendum constructif)', FF 1999 2937 2942.
16
SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 35 n. 1.
17
HANGARTNER/KLEY, 2000, n. 396; SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 35 n. 1; BOLZ, p. 115; MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL, p. 228.
18
Message concernant l’initiative populaire fédérale 'pour davantage de droits au peuple grâce au référendum avec contre-proposition (référendum constructif)', FF 1999 2937 2972; TSCHANNEN, Stimmrecht, p. 474 s, n. 716.
19
BUSER, n. 397; HANGARTNER/KLEY, 2000, n. 396, 2185; TSCHANNEN, Staatsrecht, § 50 n. 24; TSCHANNEN, Stimmrecht, p. 474 s., n. 716.
20
SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 35 n. 2.
21
Message concernant l’initiative populaire fédérale 'pour davantage de droits au peuple grâce au référendum avec contre-proposition (référendum constructif)', FF 1999 2937 2974.
22
HANGARTNER/KLEY, n. 2183.
23
Voir questions 3, 6 et 7.
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2. Quels sont les principaux propos de la recherche, de la doctrine et de la pratique sur
le projet alternatif et le projet populaire bernois? Quelle peut être la valeur, vu la récente expérience du canton de Berne, de l’argument selon lequel le projet alternatif et le
projet populaire incitent aux jeux tactiques?
a) La doctrine
Sur la base d’une analyse des années 1997 à 2011, NUSPLIGER/MÄDER ont conclu que le projet populaire bernois était une expérience dans l’ensemble satisfaisante, surtout en raison de la
possibilité qu’il offrait d’une expression nuancée de la volonté des citoyens et citoyennes ;24
l’instrument avait été jusque-là employé avec modération, une appréciation fondée sur le fait
qu’il n’y avait jamais eu plusieurs projets populaires sur le même sujet. Selon BOLZ, les perspectives du projet populaire étaient encore parfaitement ouvertes en 1995.25 Le taux de réussite des projets populaires par rapport aux variantes proposées par le parlement a poussé
MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL à écrire ceci au sujet du projet populaire dans le canton de
Berne: « L’arsenal de la démocratie directe semble ainsi s’être enrichi, et non seulement sur le
papier mais aussi dans la pratique ».26 [trad.]
Les critiques du projet alternatif affirment en revanche qu’en 2000, c’est pour des raisons
tactiques que le Grand Conseil l’a utilisé dans l’idée de faire échouer un projet populaire qu’il
avait déjà discuté.27 SÄGESSER a pour sa part évoqué la même année un risque purement théorique, et il n’a pas parlé du projet alternatif en termes critiques.28 Etant donné que seuls deux
projets alternatifs ont été présentés29, ce qui est peu en termes absolus et en comparaison des
projets populaires, et abstraction faite d’un cas isolé en 2000, rien ne vient confirmer l’idée
selon laquelle le projet alternatif incite à des manœuvres tactiques.
b) La pratique
En réalité, c’est avant tout dans les postulats Wasserfallen30 et Widmer31 que l’on trouve la
discussion au sujet du projet populaire. Les critiques avaient été suscitées par le fait que lors
de la votation populaire du 13 février 2011, le projet populaire l’avait emporté par une différence de 363 suffrages alors que plus de 20 000 électeurs et électrices avaient laissé sans réponse la question subsidiaire. Les résultats de la question subsidiaire étaient, disait-on alors,
24
NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 131. Voir également NUSPLIGER, ZBl 106/2005, p. 393, 398.
25
BOLZ, p. 116.
26
MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL, p. 231.
27
NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 131.
28
SÄGESSER, p. 49.
29
Pour plus de détails, question 3 a).
30
Postulat 096-2011 Wasserfallen (PS) – Simplification du vote sur des variantes, Journal du Grand Conseil 2011, p. 752.
31
Postulat 147-2011 Widmer (PBD) – Simplification du vote sur des variantes, Journal du Grand Conseil 2011, p. 752.
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en contradiction avec ceux de la question principale. Les deux postulats préconisent un changement des règles régissant la question subsidiaire. Le Conseil-exécutif ne s’est pas rangé à
l’époque à ces avis, mettant même en question l’analyse elle-même du problème et jugeant
que le nombre élevé des abstentions ne permettait pas de remonter à une cause précise. Il a
estimé en outre que la question subsidiaire est un instrument utile même quand il s’agit d’un
contre-projet parlementaire.32
L’initiative parlementaire Bernasconi33 a cependant ranimé les critiques en 2013. Le bilan du
projet alternatif et du projet populaire y est qualifié de « mitigé ». Les aspects critiqués du
projet alternatif sont le fait qu’il nécessite la majorité des voix du Grand Conseil, qu’il ne
puisse donc être porté par une minorité (qualifiée) du parlement et qu’il puisse voir le jour
pour des raisons purement tactiques, pour empêcher un projet populaire de passer ; la question
subsidiaire est laissée sans réponse ou alors la réponse est en contradiction avec les autres
choix des électeurs et électrices ; les citoyens et citoyennes ne mettent pas suffisamment à
profit la possibilité d’exprimer un avis nuancé ; l’auteur formule la crainte que plusieurs projets populaires puissent être proposés au sujet du même texte, ce qui ajouterait à la complexité
des choses ; le projet populaire peut selon lui nuire au système politique s’il remet en jeu le
compromis parlementaire en y introduisant des modifications ponctuelles.
Au cours du débat au Grand Conseil, la question a été soulevée de savoir si le terme de « projet populaire » était véritablement correct et s’il ne fallait pas plutôt en choisir un autre plus
parlant.34 Il a également été dit que le projet alternatif avait une fois de plus été utilisé pour
des jeux tactiques.35 Il était question des « dangers » 36 [trad.] de ces deux instruments.
Réponse à la question: Les avis exprimés dans la doctrine au sujet du système bernois sont
modérément positifs quant au projet populaire, et plutôt critiques à l’égard du projet alternatif
en raison du risque d’un maniement tactique. Quant à la pratique, des critiques ont été formulées çà et là à l’encontre du projet populaire, critiques auxquelles le Conseil-exécutif ne s’est
pas rangé. C’est surtout la suppression de cet instrument dans le canton de Zurich qui a contribué la dernière fois à relancer le débat.
3. Quelle est l’expérience dans le canton de Berne avec le projet alternatif et le projet
populaire? Observe-t-on des particularités dans les résultats des votations, en ce qui
concerne par exemple la question subsidiaire ou le taux de participation?
32
Journal du Grand Conseil 2011, p. 739 ss
33
Initiative parlementaire 186-2013 Bernasconi (PS) – Réexamen du projet populaire et du projet alternatif, Journal du Grand Conseil 2013,
p. 1249 ss
34
Messerli (UDC), Journal du Grand Conseil 2013, p. 1241.
35
Wüthrich (PS), Journal du Grand Conseil 2013, p. 1242.
36
Kropf (Les Verts), Journal du Grand Conseil 2013, p 1243.
Projet populaire et projet alternatif
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a) Projet alternatif
Jusqu’ici, les projets alternatifs ont été au nombre de deux. Les deux fois, les deux projets ont
obtenu la majorité, alors que les deux fois, le projet principal l’a emporté à la faveur des réponses à la question subsidiaire.
Lors de la votation du 21 mai 2000, le projet principal du Grand Conseil sur la révision de la
loi sur les impôts a obtenu 60,9 pour cent des suffrages, et le projet alternatif, 51,9 pour cent.
En réponse à la question subsidiaire, le projet principal l’a emporté avec 62 pour cent des suffrages.
Lors de la votation du 18 mai 2014, la loi sur les caisses de pension cantonales (LCPC) était
opposée à un projet alternatif. Le projet principal a obtenu 61,7 pour cent des suffrages alors
que le projet alternatif en a obtenu 61,4 pour cent. La question subsidiaire a conduit à la victoire du projet principal par 60,5 pour cent des suffrages.
Réponse à la question: Le projet alternatif est rarement utilisé dans la pratique. C’est pourquoi
l’expérience ne permet pas de conclusion fondée. Du fait de sa rare utilisation, rien n’a permis
jusqu’ici de confirmer qu’il sert à des fins tactiques pour empêcher l’aboutissement d’un projet populaire.
b) Projet populaire
Dix projets populaires ont été soumis à la votation depuis l’introduction de cet instrument.
Dans l’un de ces cas, il s’agissait de la répétition d’une votation dont le résultat avait été annulé.
(1) Le 28 septembre 1997, la révision partielle de la loi sur les impôts a été adoptée par 63,3
pour cent des suffrages dans la teneur proposée par le Grand Conseil, alors que le projet populaire « contre les effets nuisibles de la double imposition » a été rejeté à 60,8 pour cent. En
réponse à la question subsidiaire devenue sans objet, les électeurs et électrices ont donné la
préférence au projet du Grand Conseil, par 64,5 pour cent.
(2) Le 23 novembre 1997, deux objets différents ont fait l’objet chacun d’un projet du Grand
Conseil et d’un contre-projet. L’arrêté du Grand Conseil concernant la réforme hospitalière
dans le canton de Berne a été adopté (63,1 %), le projet populaire « Réforme hospitalière dans
le canton de Berne » rejeté (62,6 %). En réponse à la question subsidiaire, la préférence a été
donnée au projet du Grand Conseil (67,9 %).
(3) Le deuxième objet de la votation du 23 novembre 1997 a donné un résultat inverse. En
effet, alors que le projet du Grand Conseil sur l’utilisation des eaux a été rejeté (54,8 %), le
projet populaire « Fonds pour la régénération des eaux dans la loi sur l'utilisation des eaux » a
été adopté (54,1 %). En réponse à la question subsidiaire, la préférence a logiquement été
donnée au projet populaire par 55,8 pour cent des suffrages.
Projet populaire et projet alternatif
8
(4) La votation du 22 septembre 2002 avait pour objets la révision de la loi sur l’utilisation
des eaux et un projet populaire lancé contre la réduction de la taxe d’eau. Le Grand Conseil
avait recommandé l’adoption du projet populaire.37 Les électeurs et électrices ont adopté le
projet populaire (69,1 %) et rejeté le projet du Grand Conseil (65,2 %). La question subsidiaire a abouti en toute logique à une nette préférence pour le projet populaire (71,0 %).
(5) Le 28 novembre 2004, un projet populaire avait été opposé à la révision partielle de la loi
sur le personnel par les associations de personnel pour que l’expérience continue d’être prise
en compte dans le salaire. Lors de la votation, le projet du Grand Conseil a été adopté (51,6
%) et le projet populaire, rejeté de justesse (50,6 %). Or, en réponse à la question subsidiaire,
le projet populaire a emporté l’avantage (51,1 %). Cependant, cela n’a joué aucun rôle,
puisqu’il n’y avait pas eu de double oui. La réponse à la question subsidiaire paraît donc paradoxale. Le fait que 18 109 électeurs et électrices aient laissé cette question sans réponse
peut en être l’explication.
(6) Le 5 juin 2005, la loi sur les soins hospitaliers et le projet populaire «pour des hôpitaux
publics de qualité» ont tous deux été adoptés (50,5 % pour la première, 65,7 % pour le second), et la question subsidiaire a logiquement conduit à l’adoption du projet populaire
(63,7 %).
(7) Lors de la votation du 24 février 2008, la révision de la loi sur les impôts s’est trouvée
face à un projet populaire qui demandait l’augmentation de la déduction pour enfant, des allégements supplémentaires, l’exclusion des revenus élevés de la réduction du tarif et un allégement moins prononcé de l’impôt sur la fortune. Les deux projets ont été adoptés (projet principal: 60,6 %, projet populaire: 54,3 %). La réponse à la question subsidiaire a valu au projet
populaire de l’emporter de justesse (50,9 %) malgré le faible taux d’acceptation de ce projet,
en termes absolus et en termes relatifs.
(8) Le 13 février 2011 a eu lieu la première votation sur la révision de la loi sur l’imposition
des véhicules routiers. Le projet populaire opposé au projet du Grand Conseil demandait
l’abaissement général de l’impôt de 33,3 pour cent pour tous les détenteurs de véhicules. Le
projet principal et le projet populaire ont tous deux été adoptés (à 52,7 % pour le premier, à
50,4 % pour le second). Le projet populaire l’a remporté à la faveur de la réponse à la question subsidiaire, par 165 977 voix contre 165 614, donc par 363 suffrages de différence ;
20 339 électeurs et électrices avaient omis de répondre à la question subsidiaire.
Dans le sillage de cette votation, le Tribunal fédéral a statué sur deux recours qui mettaient en
cause la légitimité de la décision du Conseil-exécutif d’ordonner la répétition de la votation
populaire.38 Avant cela, le Tribunal administratif avait admis un recours en matière de droit de
37
NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 129.
38
Cf. NUSPLIGER/MÄDER, BVR 2013, p. 375, 387 s.
Projet populaire et projet alternatif
9
vote et ordonné le recomptage.39 Or, 29 communes ayant détruit les bulletins de vote, le recomptage était impossible 40 et le Conseil-exécutif a ordonné la répétition de la votation.
Sans succès, cette décision avait été contestée devant le Tribunal fédéral, qui a admis la compétence du Conseil-exécutif pour ordonner la répétition de la votation et rejeté le grief d’une
violation des droits politiques (art. 34, al. 1 Cst.).41 Sur le fond, il s’agissait d’établir si, en cas
d’irrégularités dans le dépouillement du résultat d’une votation ou de suspicion de l’existence
de telles irrégularités à cause du caractère extrêmement serré du résultat, la répétition de la
votation ordonnée suite à l’impossibilité d’un recomptage était en contradiction avec la garantie des droits politiques.
Selon le Tribunal fédéral, l’exigence de la correction du dépouillement des résultats parle en
faveur de la répétition de la votation quand le recomptage est exclu, à moins que des motifs
impérieux tels que des actes de manipulation ou la sécurité du droit ne s’y opposent.42 La votation doit cependant être répétée dans tout le canton. La répétition dans les seules communes
qui n’avaient plus les bulletins de vote, combinée avec le recomptage des résultats dans les
autres communes, n’aurait pas permis de déterminer de manière cohérente la volonté des électeurs et électrices. Les conditions générales des deux votations auraient alors été différentes.
Or, la volonté des électeurs et électrices doit résulter de votes exprimés simultanément et dans
les même conditions.43
En ce qui concerne la mise en opposition du projet du Grand Conseil et du projet populaire, le
Tribunal fédéral a exclu la possibilité de limiter la répétition de la votation à la question subsidiaire.44 Ce point était le seul spécifiquement lié au projet populaire en tant qu’instrument.
Par ailleurs, l’arrêt a porté également sur la question plus générale du recomptage et de la
répétition d’une votation populaire en cas de résultat très serré, une issue possible de toute
votation populaire.45
(9) La votation du 25 mai 2011 a, elle, donné un résultat parfaitement clair et cohérent. Le
projet de loi sur l’énergie proposé par le Grand Conseil a été rejeté (67,9 %), le projet populaire nettement accepté (79,0 %). La question subsidiaire a logiquement donné un très net
avantage pour le projet populaire (74,0 %).
(10) La dernière votation ayant eu pour objet un projet populaire date du 23 septembre 2012.
Il s’agissait alors de la répétition de la votation cantonale du 13 février 2011 concernant la loi
sur l’imposition des véhicules routiers (révision partielle). Le projet du Grand Conseil a cette
39
Voir NUSPLIGER/MÄDER, Staatsrecht, p. 130.
40
Détails sur les faits: LEEMANN/BOCHSLER, Electoral Studies 35 (2014), p. 33, 35 s.
41
ATF 138 I 171 consid. 4.3.5 p. 182 s.
42
ATF 138 I 171 consid. 5.6 p. 186.
43
ATF 138 I 171 consid. 5.7.1 p. 187.
44
ATF 138 I 171 consid. 5.7.2 S. 187 s.
45
Voir classement par thèmes MÄDER/NUSPLIGER, ZBl 114/2013, p. 183, 196 ss
Projet populaire et projet alternatif
10
fois été rejeté à 55,1 pour cent, le projet populaire nettement adopté, à 53,8 pour cent. En réponse à la question subsidiaire, la préférence a été donnée au projet populaire (54,7 %).
Avant cette votation, le Tribunal fédéral avait là encore statué sur un recours. Cette fois, il
s’agissait de savoir si le Grand Conseil pouvait apporter des modifications au projet populaire.
Le Tribunal fédéral a constaté que le projet populaire devait être présenté dans la forme d’un
projet rédigé de toutes pièces et qu’il était donc en principe exclu que le Grand Conseil y apporte des modifications de fond. En revanche, le Grand Conseil est habilité à fixer l’entrée en
vigueur d’une nouvelle loi et à déléguer cette compétence au Conseil-exécutif.46 Comme le
projet populaire prévoyait une entrée en vigueur rétroactive au sens strict alors qu’il n’y avait
pas de base légale clairement formulée à cet effet, et que l’intervention du Grand Conseil serait un simple ajustement « technique » destiné à éviter un important travail administratif, le
Tribunal fédéral a estimé que la garantie des droits politiques avait été respectée (art. 34, al. 1
Cst.).47 Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a livré au Grand Conseil d’importants repères pour
le maniement des projets populaires.
Réponse à la question: Dix votations populaires ont eu pour objet un projet populaire. Il est
remarquable que dans sept cas, les électeurs et électrices aient donné la préférence au projet
populaire plutôt qu’au projet du parlement. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de votation sur
plusieurs projets populaires. Les litiges concernaient tous le projet de loi sur l’imposition des
véhicules routiers et une partie seulement portaient sur des aspects spécifiques du projet populaire ; par ailleurs, ils étaient de portée générale. En définitive, les recours ont contribué à
l’affinement de la jurisprudence concernant le projet populaire.
46
ATF 138 I 189 consid. 2.5 p. 191 s.
47
ATF 138 I 189 consid. 3.5. 3.6 p. 194 s.
Projet populaire et projet alternatif
11
c) Particularités des résultats, notamment en ce qui concerne la réponse à la question
subsidiaire ou le taux de participation
La banque de données sur les votations contient en ce qui concerne le canton de Berne en tout
198 cas, dont 17 cas dans lesquels il s’agit de votations combinées et donc apparemment plus
complexes (juin 1976 à mai 2014). Ces cas se distinguent par le fait que les électeurs et électrices doivent répondre à deux ou trois questions. L’analyse se base sur les particularités statistiques, les bulletins nuls et les bulletins blancs étant additionnés.48 Même quand la question
subsidiaire est laissée sans réponse, le bulletin est compté. Ceci est une opérationnalisation
dans laquelle on compare, sans s’interroger sur les raisons, la proportion d’électeurs et électrices qui, lors d’une votation, ne veulent ou ne peuvent se prononcer sur un objet. Il est impossible de savoir si les bulletins nuls ou blancs sont l’expression d’une protestation ou plutôt
le résultat de la complexité des questions posées ou de la procédure.
La proportion de bulletins nuls ou blancs des 181 autres votations se situe à 4,4 pour cent
quand il s’agit de votations individuelles, à 11,8 pour cent quand les votations sont combinées. Un test T permet de savoir s’il s’agit là d’une différence statistiquement significative. Le
résultat montre que la différence est extrêmement significative (T=11.02; p=0.00).
Pour établir quels sont les facteurs qui influencent la proportion de suffrages inutilisés, une
estimation est faite selon un modèle de régression. Le modèle permet de calculer quelle est la
part d’un facteur d’explication donné dans les fluctuations du phénomène qu’il s’agit
d’expliquer (proportion de bulletins blancs ou nuls par rapport à l’ensemble des bulletins,
UngLeerProzent), indépendamment des autres facteurs d’explication.
Le modèle se présente comme suit:
UngLeerProzent =
- 0.125*constante
+ 8.7*complexité
+ 2.2*vote suiveurs
+ 1.7*thème politique
+ 0.06*taux de participation
+ Législatures 1 à 949
Les paramètres introduits dans le modèle50 renseignent sur la manière dont la variable dépendante – en l’occurrence le pourcentage de bulletins blancs ou nuls (UngLeerProz) – évolue
quand la variable explicative est augmentée d’une unité alors que les autres variables restent
constantes. Dans ce modèle, les votations complexes ont donc pour effet que, toutes choses
égales par ailleurs, le nombre de bulletins blancs ou nuls augmente de 8,7 pour cent.
48
JOYE/PAPADOPOULOS, p. 258 ss
49
Facteur temps; cependant, seule la dernière législature a une influence (négative) statistiquement significative de l’ordre de 5%, à -2.1.
50
La qualité du modèle, R corrigé au carré=0.587, correspond à la variance concernée (maximum =1), corrigée du nombre de variables. Pour
une étude en sciences sociales, la valeur est élevée. Plus les variables incluses dans le modèle sont nombreuses, plus élevé est R au carré,
raison pour laquelle on s’efforce avec un modèle aussi économe que possible de couvrir le plus de variance possible du côté de la variable
dépendante.
Projet populaire et projet alternatif
12
Le facteur explicatif le plus déterminant dans ce modèle de régression est la complexité de
l’objet soumis à la votation.51 Même si la participation est élevée ou qu’il s’agisse d’un thème
politique, la proportion de bulletins blancs ou nuls augmente. Etant donné qu’un projet intéresse un nombre particulièrement élevé d’électeurs et électrices et qu’un objet moins intéressant donne « automatiquement » un nombre plus élevé de bulletins blancs ou nuls, un contrôle
a été effectué avec le facteur « vote suiveurs ».
Dans ce modèle, les facteurs qui ne sont pas statistiquement significatifs sont les suivants:
objet de caractère financier, conflictualité de l’objet au parlement (l’idée étant que la frustration causée par la controverse concernant un objet pousse un ou plusieurs partis et leur clientèle à glisser un bulletin blanc ou nul dans l’urne), scandale financier (protestation exprimée
dans toutes les votations de la législature qui a suivi le scandale financier bernois de 1984).
Si toutes les votations bernoises sont représentées dans un graphique par le pourcentage
de bulletins blancs ou nuls et qu’une distinction soit faite entre objets simples (bleu) ou
combinés (vert), on voit clairement que dans
le dernier cas, les votes perdus sont plus
nombreux. La droite de régression permet
cependant également de voir que peu à peu,
le nombre des bulletins blancs ou nuls tend à
diminuer.
Réponse à la question: L’analyse de 17 votations populaires dans le canton de Berne avec deux objets liés ou plus révèle en comparaison
des votations moins complexes un nombre plus élevé de votes blancs ou nuls. Au fil du
temps, la proportion de votes blancs ou nuls tend à diminuer, s’approchant de celle que l’on
observe dans les votations moins complexes.
51
Une comparaison des coefficients bêta standardisés renseigne sur l’influence d’un facteur sur la variable dépendante, indépendamment de
l’échelle de mesure.
Projet populaire et projet alternatif
13
4. D’autres cantons et la Confédération disposent-ils d’instruments comparables au projet alternatif bernois? Quelles sont le cas échéant les différences?
Le projet alternatif bernois s’apparente à différents modèles de votations sur des variantes
pratiqués dans d’autres cantons.52 Les cantons d’Appenzell-Rhodes extérieures, Bâle Campagne, Grisons, Lucerne, Nidwald, Schaffhouse, Soleure, Tessin, Vaud, Valais, Zoug et Zurich disposent d’instruments similaires53. En Appenzell-Rhodes extérieures, on se sert également de la notion de projet alternatif (Eventualantrag).54 Dans les autres cantons, on parle de
variantes d’un projet principal.55 Dans le canton de Nidwald, qui présente en l’occurrence un
intérêt particulier,56 le parlement cantonal a la possibilité d’opposer une contreproposition à
une initiative.57 En plus des électeurs et électrices, l’article 54, alinéa 4 KV NW mentionne
également le parlement cantonal comme étant l’auteur possible d’initiatives (Anträgen). Cette
disposition donne au parlement cantonal la possibilité de présenter une contreproposition à sa
propre proposition. Il dispose donc d’un instrument dont le fonctionnement est comparable à
celui du projet alternatif du droit bernois.
S’agissant de la conception de fond, les règles sont similaires dans les cantons. Les variantes
ou les projets alternatifs doivent ainsi dans tous les cantons être présentés par la majorité du
parlement.58 La procédure de vote correspond dans une large mesure à celle qui vaut pour un
contre-projet du parlement à une initiative populaire, un double oui étant admissible et la réponse à la question subsidiaire étant alors déterminante. Dans quelques cantons on procède en
plusieurs votations s’il y a plusieurs variantes.59
En revanche, en ce qui concerne les objets pouvant être soumis à la votation avec des variantes, les différences sont considérables. Certains cantons restreignent ce type de votations
aux modifications constitutionnelles,60 en excluant implicitement les modifications de lois.
Dans la plupart des cantons, le champ de la votation sur des variantes s’étend à tous les objets
susceptibles d’un référendum (constitution, lois, arrêtés).61 Certains cantons limitent le
nombre admissible des variantes,62 alors que d’autres ne le font pas63.
52
Voir BUSER, n. 398; HANGARTNER/KLEY, n. 2334 ss; TSCHANNEN, Staatsrecht, § 50 n. 25.
53
Voir SCHUHMACHER, ZBl 110/2009, p. 32, 34.
54
Art. 74, al. 1, 2e phrase KV AR.
55
Art. 32, al. 1, 2e phrase KV BL; art. 19, al. 2, art. 101, al. 4 KV GR; § 86, al. 2 StRG LU; art. 35, al. 1 KV SH; art. 35, al. 2, art. 138, al. 3,
art. 139, al. 3 KV SO; art. 82, al. 2 KV TI; art. 173, al. 4, 1re phrase Cst-VD; art. 104, al. 3, 2e phrase Cst VS; art. 28, al. 1 WAG ZG; art. 34,
al. 1, lit. a KV ZH.
56
Voir question 5. a).
57
Art. 54a, al. 1 KV NW.
58
Canton de Zurich : SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 34 n. 31.
59
Cf. Art. 138 en rel. av. art. 132, al. 3 LEDP TI.
60
Exemples: art. 74, al. 1 KV AR; art. 82, al. 2 KV TI; art. 173 Cst-VD; art. 104, al. 3 Cst. VS.
61
Cf. art. 32, al. 1 KV BL.
62
Exemples: art. 19, al. 2 KV GR: « eine Variante (une variante) »; art. 28, al. 1, 2e phrase WAG ZG: « Es sind höchstens zwei Varianten
zulässig (deux variantes au plus sont possibles) ».
Projet populaire et projet alternatif
14
Réponse à la question: De nombreux cantons disposent du projet alternatif ou de la votation
sur des variantes, qui est un instrument comparable. Le fait que la présentation de variantes
doive être ordonnée par la majorité du parlement cantonal est leur principal point commun.
Les modèles des différents cantons se distinguent particulièrement par la portée de
l’instrument.
5. Quelles sont les différences entre le projet populaire du droit bernois et le référendum
constructif tel que pratiqué dans le canton de Nidwald et le canton de Zurich jusqu’en
2012?
a) Canton de Nidwald
Selon l’article 54a, alinéas 2 et 3 KV NW, 500 citoyens actifs peuvent opposer un contreprojet à la proposition du Grand Conseil, qui tend à la révision partielle de la constitution, et
250 citoyens actifs peuvent opposer un contre-projet à une loi qui a été adoptée ou modifiée
par le Grand Conseil (contre-projet citoyen).64 Contrairement à ce qui est le cas dans le canton
de Berne, les deux origines possibles du contre-projet ne s’excluent pas. Dans le canton de
Nidwald, la notion de contre-projet recouvre un champ d’application plus étendu, puisqu’il
inclut les propositions présentées au sujet d’une révision partielle de la constitution et ne se
limite donc pas comme dans le canton de Berne aux lois et aux arrêtés de principe.65
Dans le canton de Berne comme dans celui de Nidwald, le parlement examine la conformité
au droit du projet populaire ou du contre-projet des citoyens actifs.66 Le Grand Conseil du
canton de Berne et le conseil d’Etat du canton de Nidwald peuvent émettre une recommandation en vue de la votation.67
Au demeurant, les dispositions de procédure sont largement les mêmes que dans le canton de
Berne. Le double oui est possible et dans un tel cas, la réponse à la question subsidiaire est
déterminante. En cas de contre-projet, les citoyens actifs peuvent accepter ou rejeter simultanément aussi bien la proposition ou le projet du Grand Conseil que le contre-projet; si les
deux textes sont approuvés, est réputé accepté celui des deux qui a obtenu le plus grand
nombre de voix dans le vote subsidiaire, tenu simultanément.68 Quand la votation porte sur
une proposition et un contre-projet, les électeurs ont à répondre successivement, sur le même
bulletin de vote, à trois questions: 1. acceptez-vous la proposition du Grand Conseil? 2. ac-
63
Cf. Art. 35, al. 1 KV SH: « Varianten ».
64
Cette notion: Cour constitutionnelle (Verfassungsgericht) du canton de Nidwald, arrêt du 15 mars 2013, VG 12 1, consid. 3.2.
65
Cf. également SÄGESSER, p. 64.
66
Art. 136, al. 1 LDP BE en rel. av. art. 59, al. 2, lit. a à c ConstC; art. 61, al. 2 KV NW, art. 8, art. 17 WAG NW.
67
Art. 136, al. 3 LDP BE; art. 40, al. 1, no. 4 WAG NW.
68
Art. 55, al. 5 KV NW, cf. également art. 60, al. 2, 2e phrase ConstC.
Projet populaire et projet alternatif
15
ceptez-vous le contre-projet? 3. lequel des deux projets doit entrer en vigueur si les deux sont
acceptés?69
Dans les deux cantons, le nombre de projets populaires ou de contre-projets pouvant être présentés par les citoyens et citoyennes au sujet d’un même projet du parlement n’est pas limité.70 Dans le canton de Nidwald, la loi règle la procédure applicable en cas de contre-projets
multiples.71 Il ressort des règles applicables72 qu’il n’y a aucune restriction quant au nombre
ou à la qualité du contre-projet. Un nombre illimité de contre-projets peuvent donc être déposés par les citoyens et citoyennes. Quand la votation porte sur une proposition et plusieurs
contre-projets, les questions suivantes sont formulées sur le même bulletin de vote: 1. acceptez-vous la proposition du Grand Conseil ? 2. acceptez-vous le contre-projet A, B etc. ?73 Les
électeurs et électrices répondent aux questions indépendamment les unes des autres; la majorité est établie séparément, les questions laissées sans réponse et les bulletins blancs ne sont pas
pris en compte.74 Ces règles correspondent pour l’essentiel à celles du canton de Berne.75
Si plusieurs projets sont acceptés, les électeurs et électrices du canton de Nidwald doivent en
réponse à ce qui est nommé la question complémentaire indiquer l’ordre de priorité dans lequel ils souhaitent voir entrer en vigueur les projets.76 L’ordre de priorité ne peut comporter
deux projets au même rang, sinon la réponse à la question complémentaire est nulle. Quelques
repères permettent de concrétiser l’évaluation des réponses à la question complémentaire.77
L’ordre de priorité doit être conçu de telle sorte qu’il désigne le projet auquel l’électeur ou
l’électrice donne la préférence. Un suffrage est attribué au projet ainsi désigné. Dans le calcul
de la majorité des réponses à la question complémentaire, seuls les ordres de priorité valables
sont pris en compte. Si selon l’ordre de priorité, l’une des questions complémentaires est laissée sans réponse, cette omission est assimilée à une abstention. Si plusieurs projets sont acceptés à l’issue de l’évaluation des réponses aux questions principales, les réponses à la question complémentaire déterminent le résultat; en cas d’égalité des résultats pour plusieurs projets, la question principale qui s’est vu attribuer le surplus de oui le plus élevé désigne le projet qui entrera en vigueur. Cette procédure d’exclusion fonctionne de manière comparable à la
procédure suivie dans le canton de Berne,78 dans laquelle cependant aucun ordre de priorité
n’est précisé.
69
Art. 41, al. 1 WAG NW; cf. également art. 138, al. LDP BE.
70
Admissibilité de plusieurs projets populaires: BOLZ, p. 115; MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL, p. 231.
71
Art. 55, al. 6 KV NW.
72
Art. 42 à 44 WAG NW.
73
Art. 42, al. 1 WAG NW.
74
Art. 43 WAG NW.
75
Art. 139, al. 2 et 5 LDP BE.
76
Art. 42, al. 2 WAG NW.
77
Art. 44 WAG NW.
78
Art. 139, al. 3, 6 et 7 LDP BE.
Projet populaire et projet alternatif
16
b) Canton de Zurich
L’instrument décrit jusqu’en 2012 à l’article 35 de la constitution du canton de Zurich (KV
ZH) était comme dans le canton de Nidwald désigné par les termes de « référendum assorti
d’un contre-projet citoyen ». Sur le plan matériel, les similitudes avec l’instrument du canton
de Berne étaient nombreuses. L’examen de validité était effectué par le parlement cantonal,
mais pour l’invalidation, il fallait une majorité de deux tiers.79 De même, le parlement cantonal devait donner son avis sur le contre-projet,80 ce qui lui permettait comme dans le canton
de Berne de recommander son acceptation ou son rejet.
Faute de procédure spécifique, les règles qui s’appliquaient dans le canton de Zurich étaient
celles qui régissent la votation sur des projets concurrents (art. 36 KV ZH).81 Quand il
s’agissait d’un projet principal et d’un contre-projet, les deux objets étaient obligatoirement
soumis à la votation en même temps.82 Les questions posées aux électeurs et électrices étaient
celles de savoir s’ils acceptaient le projet ou le contreprojet (questions principales) et lequel
des projets devait entrer en vigueur en cas d’acceptation des deux (question subsidiaire).83
Autrement dit, comme dans le canton de Berne, les électeurs et électrices devaient répondre à
des questions principales et à une question subsidiaire.
Le nombre des contre-projets citoyens n’était pas limité. S’il y avait plus de deux projets exclusifs l’un de l’autre, le conseil d’Etat définissait la procédure de vote. Il devait s’assurer que
les électeurs et électrices puissent exprimer leur volonté librement et sans ambiguïté.84 A la
différence de ce qui est le cas dans les cantons de Berne et de Nidwald, le conseil d’Etat pouvait décider de cas en cas, avec la garantie de l'expression fidèle et sûre de la volonté des citoyens et citoyennes (art. 34, al. 2 Cst.), s’il fallait opposer lors du scrutin trois projets exclusifs les uns des autres avec les questions subsidiaires pertinentes, ou s’il fallait procéder en
plusieurs scrutins pour établir quel était le projet qui avait la préférence des électeurs et électrices.85
Le droit des citoyens et citoyennes de présenter un contre-projet s’étendait à tous les arrêtés
du Grand Conseil soumis au référendum facultatif, ce qui n’est pas le cas dans les cantons de
Berne et de Nidwald.86
79
Art. 143d, art. 143c, al. 3 GPR ZH (ancienne loi) en rel. av. art. 28, al. 1 KV ZH.
80
Art. 35, al. 1 KV ZH (ancienne loi).
81
SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 36 n. 11.
82
§ 59, al. 3 GPR ZH.
83
§ 60a, al. 2 GPR ZH.
84
§ 59, al. 4 GPR ZH.
85
Explications détaillées: SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 36 n. 25 ss.
86
§ 143a, al. 1 GPR ZH (ancienne loi).
Projet populaire et projet alternatif
17
Une différence essentielle par rapport au droit bernois était le fait que dans le cas d’une votation sur des variantes ordonnée par le parlement cantonal, ce qui est l’équivalent du projet
alternatif dans le canton de Berne,87 le contre-projet citoyen n’était pas exclu.88
Réponse à la question: En ce qui concerne le projet populaire lui-même, il n’y a pas de différences significatives entre le modèle passé du canton de Zurich et ceux des cantons de Berne
et de Nidwald, à part le champ d’application et les critères appliqués à l’aboutissement, qu’il
ne s’agit pas ici d’examiner plus en détail. Les règles en vigueur dans le canton de Berne se
distinguent cependant fortement de celles des autres cantons par le fait qu’un projet alternatif
exclut un projet populaire.
6. Pourquoi le canton de Zurich a-t-il introduit le référendum constructif en 2005 pour
le supprimer à nouveau en 2012? Quelles ont été ses expériences avec cet instrument?
a) Introduction du référendum constructif
Le contre-projet citoyen a été introduit dans le canton de Zurich lors de la révision totale de la
constitution.89 Le conseil constitutionnel avait pour mission de doter le canton de Zurich d’un
ensemble de droits populaires comme il n’y en a dans aucun canton.90 L’introduction du
contre-projet citoyen était considérée comme une innovation essentielle dans le domaine des
droits populaires.91 Il s’agissait de créer un contrepoids au caractère conservateur du référendum simple. Les projets proposés par le parlement ne devaient pas pouvoir être rejetés par
cumulation des suffrages négatifs, motivés par ailleurs de manière contradictoire (alliance
contre nature), à cause de quelques éléments controversés réunis dans ce que l’on pourrait
appeler une disposition fatale.92 Le conseil constitutionnel estimait également que ce droit
populaire serait favorable à la collaboration constructive des électeurs et électrices et que les
discussions approfondies au sujet des projets auraient un impact favorable sur la qualité du
débat démocratique et le développement de l’ordre juridique.93 On se promettait de cet instrument une expression plus nuancée de la volonté des citoyens et citoyennes.94
Dans l’argumentation des adversaires de cette innovation, le référendum constructif était décrit comme un mélange entre le référendum et l’initiative. On y voyait le risque qu’un tel instrument nuise à la disposition des parlementaires de chercher le compromis. Il ouvrirait éga-
87
Voir question 3. a).
88
SCHUHMACHER, Kommentar, ad art. 35 n. 17.
89
Art. 35 KV ZH (ancienne constitution).
90
Cf. projet et rapport explicatif sur la nouvelle constitution du canton de Zurich, Information officielle du conseil constitutionnel en vue de
la votation du 27 février 2005, ABl ZH (Feuille officielle ZH) 2005 64 73, cité in: NOTTER, p. 233.
91
BRÜGGER/VON WYSS, Parlament 2011, p. 29; SCHUHMACHER, ZBl, 110/2009, p. 32, 40 s.
92
Cf. concernant cette argumentation générale, question 1. b).
93
Cf. MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL, p. 233 s.; voir également SCHUHMACHER, Kommentar, ad. art. 35 n. 1 à 3.
94
SCHUHMACHER, ZBl, 110/2009, p. 32, 41; BRÜGGER/VON WYSS, Parlament 2011, p. 29, 30.
Projet populaire et projet alternatif
18
lement la voie aux corrections tardives (tentation d’écrémer), d’où le risque que des projets
législatifs au départ rationnels et équilibrés doivent être remis une nouvelle fois sur le métier.95 L’ingérence des citoyens et citoyennes aurait pour effet de prolonger la procédure législative et d’affaiblir le statut du parlement. De même, les adversaires du projet populaire faisaient valoir que le référendum assorti d’un contre-projet citoyen était un instrument compliqué et que les votations seraient incompréhensibles, surtout s’il y avait plusieurs contreprojets. Le peuple serait dépassé.96
Les électeurs et électrices ont adopté la nouvelle constitution le 27 février 2005, par 64,24
pour cent des suffrages. La nouvelle constitution est entrée en vigueur le 1er janvier 2006.
b) Expérience entre 2005 et 2012
Durant l’existence du référendum constructif dans le canton de Zurich, huit contre-projets
citoyens opposés à sept projets principaux ont été soumis à la votation.
(1) Un référendum constructif a fait la première fois l’objet d’une votation le 17 juin 2007. Il
s’agissait d’un contre-projet citoyen de l’association des médecins hospitaliers contre la loi
sur les honoraires additionnels des médecins (Gesetz über die ärztlichen Zusatzhonorare). Le
projet législatif proposé par le parlement cantonal a été adopté à 75, 24 pour cent des suffrages, le contre-projet n’ayant obtenu que 16,69 pour-cent de votes positifs.
(2) Lors de la votation du 15 mai 2011 il y a eu pour la première fois une cumulation de
contre-projets citoyens. Le référendum parlementaire avait été déposé au sujet de la révision
de la loi sur les impôts adoptée par le parlement cantonal le 30 mars 2009 (projet A). Dans le
même temps, deux contre-projets avaient abouti: celui des verts libéraux (GLP) lancé pour
une stratégie fiscale durable (Eine nachhaltige Steuerstrategie) (projet B) et celui du PS pour
la réduction de l’imposition des familles (Tiefere Steuern für Familien) (projet C). Tous les
projets ont été rejetés, et la question subsidiaire était donc sans objet.
Avant la votation, le Tribunal fédéral, estimant qu’une invalidation partielle aurait suffi, avait
annulé l’arrêté du parlement cantonal dans lequel il invalidait dans son intégralité le contreprojet pour une stratégie fiscale durable.97 C’est sur cette base que le projet B a été soumis à
la votation.
(3) La votation du 15 mai 2011 portait sur un autre contre-projet citoyen dans un tout autre
domaine. Il s’agissait du contre-projet que les jeunes UDC et des jeunes radicaux pour une loi
de péréquation financière équitable (Für ein gerechtes Finanzausgleichgesetz) avaient lancé
au sujet de la nouvelle loi sur la péréquation financière (Finanzausgleichgesetz ; FAG). La
95
Voir concernant ces arguments Question 1. b).
96
Référence au procès-verbal du Conseil constitutionnel (Protokoll des Plenums des Verfassungsrates MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL,
p. 233 s.
97
ATF du 26 août 2010, 1C_103/2010, consid. 5.5.
Projet populaire et projet alternatif
19
FAG a été adoptée par 73,79 pour cent des suffrages, le contre-projet n’a obtenu que 28,79
pour cent. La question subsidiaire était donc sans objet.
(4) Le 4 septembre 2011, les électeurs et électrices ont eu à se prononcer sur un contre-projet
citoyen lancé au sujet de la loi sur l’aide sociale et sur la loi elle-même. Le projet principal a
été adopté par 61,39 pour cent des suffrages, le contre-projet a échoué, n’ayant obtenu que
38,34 pour cent des suffrages. Là encore, la question subsidiaire est restée sans objet.
(5) Lors de la votation du 27 novembre 2011, les électeurs et électrices devaient faire leur
choix entre la loi sur l’aéroport de Zurich (Gesetz über den Flughafen Zürich) et le contreprojet lancé par l’association « Flugschneise Süd – Nein » (Non au couloir aérien sud). Le
référendum parlementaire avait par ailleurs été déposé contre le projet de loi. Les deux projets
ont été rejetés (par 41,22 et 31,77 pour cent des suffrages, respectivement), et la question subsidiaire était donc superflue.
Avant la votation, le Tribunal fédéral avait conclu qu’en invalidant le contre-projet, le parlement cantonal avait posé des exigences trop strictes au lien qui devait exister avec le projet
principal.98 C’est ce qui a amené le Tribunal à annuler la décision du parlement cantonal, et le
contre-projet a pu être soumis lui aussi à la votation.
(6) La votation populaire du 11 mars 2012 a porté sur la loi cantonale sur le droit de cité et le
contre-projet citoyen lancé par l’UDC « Kein Recht auf Einbürgerung für Verbrecher » (pas
de droit de cité pour les criminels). Les deux projets ont été rejetés, et la question subsidiaire
est restée sans objet.
(7) La dernière fois qu’un contre-projet citoyen a fait l’objet d’une votation était le 17 juin
2012. Il s’agissait du contre-projet pour la protection des patients et patientes et du personnel
de santé (Ja zum Schutz der PatientInnen und des Gesundheitspersonals) opposé à la loi sur la
planification et le financement hospitaliers (Spitalplanungs- und Finanzierungsgesetz ;
SPFG). Dans l’hypothèse d’un référendum, la loi (projet A), qui avait été déclarée urgente et
était donc déjà entrée en vigueur, avait été assortie d’une variante (projet B). Cette dernière se
distinguait du projet principal par l’introduction qui y était faite d’un fonds. Le contre-projet
citoyen (projet C) demandait que la nouvelle loi soit complétée de dispositions destinées à
garantir les effectifs de personnel hospitalier et leurs conditions d’engagement dans les hôpitaux et maisons de naissance liés par un mandat de prestations. Le projet principal a été accepté (66,71 %), la variante (47,92 %) et le contre-projet (48,98 %), rejetés. Les trois questions subsidiaires étaient donc superflues.
Conclusion: Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution du canton de Zurich, le
référendum assorti d’un contre-projet citoyen a été utilisé en tout huit fois. Les huit contreprojets citoyens se rapportaient à sept projets principaux. Les votations ont été au nombre de
six. Dans tous les cas, le contre-projet citoyen a été rejeté. L’un des contre-projets a été com-
98
ATF du 6 octobre 2010, 1C_22/2010, consid. 2.5.4.
Projet populaire et projet alternatif
20
biné avec une variante du parlement cantonal. Deux projets principaux sur sept auraient été
soumis à la votation en tout état de cause, le référendum parlementaire ayant été déposé. Ce
qui frappe par ailleurs, c’est qu’en 2011, les projets soumis à la votation ont été extraordinairement nombreux (21), un grand nombre de projets ayant été soumis aux électeurs et électrices lors des différents scrutins (jusqu’à 10). Il s’agissait d’instruments différents, et le conseil d’Etat et le parlement ont parfois émis des recommandations contradictoires. Cela peut
avoir contribué à l’idée de l’opacité et de la complexité du contre-projet citoyen qui s’est peu
à peu établie dans l’esprit des acteurs politiques. Une analyse plus attentive montre cependant
que des facteurs externes et sans lien direct s’y sont ajoutés.
La doctrine s’est emparée de l’argument concernant l’affaiblissement du parlement et l’a jugé
pertinent, du moins en partie, d’autant que dans les procédures législatives, la volonté de
chercher le compromis se perdait.99 La complexité des procédures de vote était un autre élément de critique.100
Pour JAAG/RÜSSLI, le respect du principe de l’unité de la matière posait de sérieux problèmes
juridiques.101 Cette appréciation a été confirmée par deux arrêts du Tribunal fédéral sur le
contre-projet citoyen dans le canton de Zurich. Dans les deux cas, il s’agissait de savoir si
c’était à raison que le parlement cantonal avait invalidé (partiellement) les contre-projets en
invoquant leur atteinte au principe de l’unité de la matière.102
Le Tribunal a considéré à ce sujet que dans l’optique de l’expression fidèle et sûre de la volonté des citoyens et citoyennes (art. 34, al. 2 Cst.), le référendum constructif, comme le
contre-projet parlementaire, doit respecter le principe de l’unité de la matière, et que le lien
avec le projet principal doit être suffisant.103 Si le Tribunal fédéral estime qu’il est compatible
avec la garantie des droits politiques (art. 34, al. 1 Cst.) qu’un canton applique aux projets
populaires des critères plus stricts qu’aux contre-projets parlementaires en ce qui concerne
l’unité de la matière, il précise cependant qu’il faut pour cela des règles clairement définies,
règles qui en l’occurrence faisaient défaut dans la législation zurichoise. Dans l’appréciation
du lien suffisant, il a jugé que le parlement cantonal devait se référer à des critères plus stricts
en considération du potentiel d’abus et du nombre nettement inférieur de signatures requises
en comparaison de l’initiative populaire.104
99
BRÜGGER/VON WYSS, Parlament 2011, p. 29 s.
100
BRÜGGER/VON WYSS, Parlament 2011, p. 29, 30.
101
JAAG/RÜSSLI, n. 832a.
102
Voir RÜSSLI, ZBl 112/2011, p. 246 ss.
103
Voir ATF du 26 août 2010, 1C_103/2010, consid. 2.2, 4.1. ATF du 6 octobre 2010, 1C_22/2010, consid. 2.2, 2.3.
104
ATF du 26 août 2010, 1C_103/2010, consid. 4.1. ATF du 6 octobre 2010, 1C_22/2010, consid. 2.3.
Projet populaire et projet alternatif
21
c) Suppression du référendum constructif
Entre octobre 2009 et 2010, trois initiatives parlementaires avaient été déposées au parlement
cantonal.105 Ces initiatives s’inspiraient des discussions sur la validité des contre-projets citoyens pour une stratégie fiscale durable (Eine nachhaltige Steuerstrategie), opposé à la loi sur
les impôts (révision du 30 mars 2009), et contre l’extension des pistes (Keine Neu- und Ausbauten von Pisten), opposé à la loi sur l’aéroport de Zurich (Gesetz über den Flughafen Zürich
AG ; Flughafengesetz, révision du 23 février 2009).106
La première initiative parlementaire, KR-Nr. 323/2009 de Willy Germann (PDC) et Thomas
Ziegler (PEV), avait demandé la modification de l’article 35 de la constitution. En raison de
son atteinte au principe de l’unité de la matière, l’instrument « en soi utile » [trad.] avait non
seulement déclenché un litige porté jusqu’au Tribunal fédéral, mais également retardé considérablement la procédure législative. L’utilisation de l’instrument comme initiative populaire
renfermait en outre selon les auteurs de l’initiative parlementaire un certain potentiel d’abus.
A titre préventif, les critères de l’aboutissement devaient être plus stricts et ils devaient être
énoncés en termes clairs dans la constitution.
La deuxième initiative parlementaire, KR-Nr. 354/2009 de Claudio Zanetti (UDC), visait à la
suppression du référendum constructif. La proposition était motivée par le fait que cet instrument n’était pas praticable. Il minait selon l’auteur les efforts du parlement pour élaborer des
projets législatifs équilibrés. De plus, il rendait plus difficile l’expression fidèle et sûre de la
volonté des citoyens et citoyennes. La pratique avait révélé une tendance néfaste (unheilvolle
Tendenz) à ce que les tribunaux s’occupent toujours plus fréquemment de questions législatives.
La troisième initiative parlementaire, KR-Nr. 34/2010, de Ruedi Lais (PS) et de Martin Naef
(PS) portait elle aussi sur la réforme de ce nouveau droit populaire. Les auteurs estimaient que
la délimitation entre le référendum constructif et l’initiative populaire était floue.
L’invalidation de tels projets contribuait régulièrement selon eux à retarder la procédure législative. Il fallait donc définir avec plus de précision dans la constitution le principe de l’unité
de la matière. Les auteurs de l’initiative estimaient qu’il fallait interdire expressément « que le
contre-projet serve à modifier un autre texte législatif ou à demander un autre crédit que le ou
les projets soumis à la votation » [trad.].
Le 15 mars 2010, le parlement cantonal a discuté les trois initiatives de manière groupée. Lors
du vote, l’initiative Germann – Ziegler (KR-Nr. 323/2009) et l’initiative Zanetti (KR-Nr.
354/2009) ont obtenu le soutien provisoire des parlementaires, l’une 76 voix, l’autre 94.
L’initiative Lais – Naef (KR-Nr. 34/2010) n’a pas obtenu les 60 voix nécessaires au soutien
105
106
KR-Nr. 323/2009; KR-Nr. 354/2009; KR-Nr. 34/2010.
ABl ZH (Feuille officielle ZH) 2009, 2333 ss, cf. également Antrag des Regierungsrates (Proposition du conseil d’Etat) du 12 janvier
2011, ABl ZH 2011, 195 ss; voir délibérations KR-Nr. 4548, Modification de la loi sur l’aéroport de Zurich (Änderung des Gesetzes über
den Flughafen Zürich) (« Keine Neu- und Ausbauten von Pisten»).
Projet populaire et projet alternatif
22
provisoire.107 Le conseil d’Etat a lui aussi estimé que les aspects négatifs du référendum constructif l’emportaient sur ses avantages. C’est pourquoi il a accordé son soutien à l’initiative
Zanetti, qui demandait la suppression du référendum constructif, et rejeté l’initiative de Germann et Ziegler, estimant que les mesures proposées ne permettraient pas de corriger les défauts de l’instrument.108 Le conseil d’Etat a évoqué les arguments concernant les complications de la procédure, l’affaiblissement du parlement, le risque de lassitude des électeurs et
électrices, le potentiel d’abus de la part des partis et l’allongement de la procédure législative.
Une nette majorité de la commission de l’Etat et des communes (Kommission für Staat und
Gemeinden) s’est rangée à cette argumentation, mettant l’accent sur la complexité de la procédure et l’affaiblissement du parlement.109
Le 23 avril 2012, après avoir pris connaissance du rapport et de la proposition de la commission, daté du 28 octobre 2011, le parlement cantonal a voté par 88 voix contre 56 la modification de la constitution cantonale et donc la suppression du référendum constructif.110 Le 23
septembre 2012, le référendum obligatoire sur la suppression du référendum constructif a eu
le soutien de 59,6 pour cent des votants et votantes et l’instrument a été supprimé avec effet
au 1er mai 2013.111
Dans la littérature, la suppression du référendum constructif après sept années seulement a été
critiquée, en référence notamment à l’expérience du canton de Berne.112 Pour résoudre les
problèmes, on estimait qu’il aurait fallu d’abord envisager des mesures moins radicales, notamment l’application de restrictions aux projets pouvant faire l’objet d’un référendum et
l’alignement du nombre de signatures requises sur celui de l’initiative populaire. L’idée de la
suppression de l’instrument était trop fortement influencée par les faits uniques de la votation
du 15 mai 2011.
Réponse à la question: Le canton de Zurich a introduit le contre-projet citoyen lors de la révision de la constitution cantonale, le propos étant de pousser le plus loin possible les moyens
de la démocratie directe. Après que l’instrument eut été utilisé à huit reprises, le parlement
cantonal en a proposé la suppression. Les raisons invoquées étaient la perte d’influence du
parlement, la complexité de la procédure de vote s’il y avait plus de deux contre-projets et le
risque prononcé de litiges juridiques. Les électeurs et électrices ont accepté la suppression de
l’instrument.
107
Protokoll des Zürcher Kantonsrates (Journal du parlement du canton de Zurich) du 15 mars 2010, 159e séance, 10461–10483; ABl ZH
(Feuille officielle ZH) du 4 novembre 2011, 3161.
108
ABl ZH du 4 novembre 2011, 3163 à 3170.
109
ABl ZH du 4 novembre 2011, 3161 s, 3170.
110
ABl ZH du 27 avril 2012, 848, voir également le Journal du parlement du canton de Zurich du 23 avril 2012, 51e séance, 3431 s.
111
ABl ZH du 5 octobre 2012 (résultats), ABl ZH du 2 novembre 2012 (validation du résultat).
112
Voir en détail MASSÜGER SÀNCHEZ SANDOVAL, p. 239.
Projet populaire et projet alternatif
23
7. Pourquoi le canton de Nidwald a-t-il introduit le référendum constructif en 1996?
Quelle a été jusqu’ici son expérience avec cet instrument?
a) Historique
L’introduction du référendum constructif dans le canton de Nidwald sous la désignation officielle de contre-projet (art. 54a, al. 2 et 3 KV NW) est étroitement liée à la suppression de la
Landsgemeinde en 1996. Au départ, il était prévu déjà en 1994 que, hors la Landsgemeinde,
les votations portant sur des projets constitutionnels seraient organisées aux urnes.113 En
même temps, les droits de proposition de la Landsgemeinde au sujet de projets matériels
avaient été maintenus. Dans une phase de transition, il n’était donc pas très clair quels seraient
les projets soumis à la votation aux urnes, le texte d’origine, le texte du projet de modification
ou les deux.
Le groupe d’expert institué par le conseil d’Etat en novembre 1994 avait été chargé d’élaborer
des propositions sur le maniement des droits de proposition et sur le renforcement de la
Landsgemeinde ou sa suppression. Dans leur rapport publié le 1er juin 1995, les experts proposaient trois modèles, celui d’une Landsgemeinde après la révision de 1994 (modèle A),
celui d’un renforcement de la Landsgemeinde (modèle B) et celui de la suppression de la
Landsgemeinde et de ses droits de proposition (modèle C). Ce dernier modèle avait la faveur
du conseil d’Etat.
En été 1995, l’introduction du référendum constructif a pour la première fois été proposée au
sein de la commission compétente du Landrat, dans le contexte de la mise au point d’un modèle D. Ce modèle consistait à faire voter les projets constitutionnels aux urnes et tous les
autres projets, par la Landsgemeinde. Le référendum constructif devait permettre de maintenir
le droit de proposition (contre-proposition et amendement) de la Landsgemeinde lors de votations aux urnes.
En deux votations, le 22 septembre et le 1er décembre 1996, le contre-projet II du PS l’a emporté sur un autre contre-projet et la variante proposée par le Landrat.114 La suppression de la
Landsgemeinde a donc été combinée avec le maintien du droit de présenter des contrepropositions et des propositions d’amendement concernant les lois et les arrêtés matériels (référendum constructif).
Un avantage de la Landsgemeinde en tant qu’institution par rapport à la votation aux urnes est
le fait qu’elle peut adopter des modifications des projets qu’elle a déjà examinés.115 Dans le
canton de Nidwald, le référendum constructif peut donc être considéré comme les restes d’un
élément utile de la Landsgemeinde qui, elle, est jugée politiquement obsolète. Ainsi le contre-
113
HELG, p. 37.
114
HELG, p. 37 s.; SÄGESSER, p. 39.
115
ATF 121 I 138 consid. 4 a) p. 144.
Projet populaire et projet alternatif
24
projet est une sorte de combinaison entre les droits de proposition de la Landsgemeinde et la
procédure de vote aux urnes.
b) Expérience réunie
Depuis l’introduction du contre-projet citoyen en 1996, huit contre-projets ont été déposés et
ont donné lieu à sept votations.
(1) Lors de la première utilisation du référendum constructif, le 8 juin 1997, il était question
du nombre de conseillers d’Etat. Le scrutin a abouti à un double oui. Les deux projets soumis
au vote ont été adoptés, aussi bien la proposition du Landrat de réduire le nombre de conseillers d’Etat de neuf à sept (69,4 %) que le contre-projet, qui demandait la réduction du nombre
de conseillers d’Etat à cinq (56,9 %). Les réponses à la question subsidiaire ont imposé
l’option du gouvernement de sept membres (57,3 %).
(2) Le 28 novembre 1999, les électeurs et électrices ont eu, dans le contexte du système
d’élection des tribunaux cantonaux, à se prononcer sur un contre-projet de Demokratisches
Nidwalden (DN). Là encore, les deux projets ont été adoptés, aussi bien celui du Landrat (66,
3 %), selon lequel les juges des tribunaux cantonaux devaient être élus par le Landrat, que le
contre-projet (54,2 %), qui voulait l’élection au suffrage universel. Les réponses à la question
subsidiaire ont valu au projet du Landrat de s’imposer par 58,3 pour cent des suffrages.
(3) Lors de la votation du 26 novembre 2000, la loi sur les impôts était opposée à un contreprojet du DN. Seul le projet du Landrat a été adopté (77,5 %), le contre-projet a été rejeté à
75,7 pour cent des suffrages. La question subsidiaire, devenue sans objet, a logiquement donné l’avantage au projet du Landrat, à 75,7 pour cent des votes.
(4) La votation du 21 mai 2006 avait pour objet une révision partielle de la loi sur les impôts,
à laquelle était opposé un contre-projet du DN qui visait uniquement la réduction de l’impôt
sur les gains immobiliers. Le projet du Landrat a été adopté à la grande majorité des suffrages
(74,91%), le contre-projet nettement rejeté (67,7%). A la faveur de la question subsidiaire, le
projet du Landrat l’a très clairement emporté (69,88%).
(5) Le 17 juin 2007, la votation portait sur la révision partielle de la loi sur les allocations
familiales ; il s’agissait du projet du Landrat et du contre-projet du Parti du Travail. Le Landrat proposait l’augmentation des allocations pour enfant de 200 à 220 francs et des allocations de formation de 225 à 250 francs. Le Parti du travail pour sa part demandait
l’augmentation des allocations pour enfant à 350 francs et celle des allocations de formation,
à 370 francs. Le projet du Landrat l’a emporté par 85,77 pour cent de oui, le contre-projet a
été rejeté par 86,16 pour cent de non. La question subsidiaire étant sans objet, les résultats
n’ont pas été communiqués.
(6) Lors de la votation du 28 septembre 2008, il était question de la loi sur la santé publique, à
laquelle était opposé un contre-projet du PDC, qui demandait des règles plus restrictives pour
imposer l’interdiction de fumer dans les cafés et restaurants. Le projet du Landrat a été adopté
Projet populaire et projet alternatif
25
par 53 pour cent des voix, le contre-projet rejeté à 52,21 pour cent. La question subsidiaire a
logiquement donné l’avantage au projet du Landrat, à 51,33 pour cent.
(7) Deux contre-projets opposés au projet du Landrat concernant l’élection du Landrat ont fait
l’objet de la votation du 22 septembre 2013. L’UDC et le comité Mode majoritaire : élection
de personnes et non de partis (Majorz: Kopf- statt Parteiwahlen) avaient tous deux pris
l’option du référendum constructif contre le projet du Landrat d’introduire un système
d’élection selon le mode proportionnel.
Seul le projet du Landrat a été adopté (60,4 %), les deux contre-projets ayant été rejetés à 71,2
pour cent (UDC) et à 78,1 pour cent (Mode majoritaire). La question subsidiaire est donc devenue sans objet. Le bureau de vote cantonal en a néanmoins publié les résultats. Le projet du
Landrat l’a emporté par 7445 suffrages sur le contre-projet de l’UDC (3490 voix). 1612 électeurs et électrices ont jugé inutile de répondre à la question subsidiaire. De même, le projet du
Landrat l’a emporté par 9050 voix sur le contre-projet concernant le mode majoritaire, qui a
obtenu 2439 voix. 1058 électeurs et électrices avaient omis de répondre à cette question. Le
contre-projet de l’UDC l’a emporté sur le contre-projet de mode majoritaire par 7842 voix
contre 3280. 1425 électeurs et électrices ont laissé la question subsidiaire sans réponse.
Les résultats des questions subsidiaires sont cohérents par rapport à celui des questions principales, puisque l’ordre de priorité correspond à l’adoption exprimée par les électeurs et électrices en nombres absolus. Ce qui frappe cependant est la forte abstention par rapport aux
questions subsidiaires, qui atteint 1612, soit 13 pour cent des réponses données. Même si les
réponses aux questions subsidiaires avaient été déterminantes, les résultats auraient été sans
équivoque et plausibles par rapport aux questions principales.
Avant la votation, la cour constitutionnelle du canton de Nidwald avait rejeté un recours
contre la validité du contre-projet Mode majoritaire (Majorz: Kopf- statt Parteiwahlen), décidée par le Landrat.116 Les deux contre-projets ont donc pu être soumis à la votation. Le recours n’était cependant pas directement lié au contre-projet citoyen, puisqu’il se rapportait à
la question de l’unité de la matière qui se pose dans le cas de contre-projets parlementaires,117
et à la compatibilité du système majoritaire avec le droit fédéral (art. 34 Cst.).
Conclusion: Depuis l’introduction de cet instrument, huit contre-projets citoyens ont été déposés. A deux reprises, le contre-projet a obtenu la majorité des suffrages alors que six contreprojets ont été rejetés. Les deux fois où le contre-projet l’a emporté, le projet du Landrat a été
accepté également. En réponse à la question subsidiaire, le projet du Landrat l’a nettement
emporté les deux fois. Jusqu’à ce jour, le Landrat ne s’est pas servi de la possibilité d’opposer
un contre-projet à ses propres projets sous la forme d’un projet alternatif.
116
Cour constitutionnelle du canton de Nidwald, arrêt du 15 mars 2013, VG 12 1.
117
Cour constitutionnelle du canton de Nidwald, arrêt du 15 mars 2013, VG 12 1 consid. 3.4.
Projet populaire et projet alternatif
26
Il n’y a pas eu dans le canton de Nidwald de problèmes juridiques spécifiques au référendum
constructif. Même lors de la votation du 22 septembre 2013, où la situation était particulièrement complexe du fait des deux contre-projets, la procédure s’est déroulée sans anicroche.
Réponse à la question: Le canton de Nidwald a introduit le référendum constructif dans le
processus de suppression de la Landsgemeinde. On y voyait alors la compensation de la perte
de certains droits populaires. L’expérience est de manière général positive. Il faut cependant
prendre en considération que les résultats ont jusque-là toujours été parfaitement clairs et
qu’aucun contre-projet citoyen n’a pu s’imposer. Il n’y a pas eu de problème juridique spécifique par rapport au contre-projet citoyen.
8. Quels seraient les solutions de rechange ou les moyens d’optimiser le projet populaire
et le projet alternatif?
a) Sous l’angle démocratique et politique, quelle est leur valeur?
En l’état actuel de la recherche et de la pratique, le projet populaire, ou référendum constructif, et le projet alternatif, ou votation sur des variantes, sont les instruments qui permettent le
degré le plus élevé de nuance dans l’expression de la volonté des électeurs et électrices. C’est
la raison pour laquelle il ne paraît pas y avoir de solution de rechange qui soit capable de
remplir la même fonction.
Les conditions dans lesquelles s’inscrivent le projet populaire et le projet alternatif peuvent
être immédiatement optimisées. Dans le domaine du projet populaire, surtout, les objets admissibles, le nombre de signatures et le délai de récolte sont trois facteurs qu’il est possible de
moduler. Dans le canton de Berne, le champ d’application du projet populaire est cependant
relativement étroit, puisqu’il se limite pour l’essentiel aux lois. La réduction à trois mois du
délai de récolte des signatures pourrait être envisagée. Cependant, le parallélisme indispensable avec le référendum serait pratiquement perdu. C’est pourquoi l’augmentation du nombre
de signatures requises serait à privilégier. Le projet populaire pourrait être aligné à cet égard
sur l’initiative populaire avec le même nombre de signatures requises (15 000).
Par ailleurs, les liens avec d’autres instruments de la démocratie directe suggèrent d’autres
moyens d’optimisation. Les liens de dépendance ressortent particulièrement dans la situation
où le projet alternatif est exclusif du projet populaire, comme c’est le cas dans le canton de
Berne.
Enfin, il faut veiller à mettre en place des conditions générales particulièrement favorables
dans le cas particulier. Lors de la désignation des objets de la votation, il faut dans une approche globale tenir compte en particulier du nombre et de la complexité des objets, en considération des limites juridiques118. Il est possible de favoriser une bonne vue d’ensemble, no-
118
Art. 42 LDP BE.
Projet populaire et projet alternatif
27
tamment en évitant de soumettre à la même votation plusieurs objets comportant des questions principales et des questions subsidiaires.
Réponse à la question: D’un point de vue fonctionnel, il n’y a pas de solutions de rechange
équivalentes au projet alternatif et au projet populaire. Il est possible de prévenir les tentatives
d’utiliser le projet populaire pour tourner les obstacles par l’alignement du nombre de signatures requises à celui de l’initiative populaire. C’est en définitive au Grand Conseil et aux
électeurs et électrices qu’il appartient de juger de la valeur politique et démocratique de ces
instruments.
b) Serait-il admissible de restreindre à un seul le nombre de projets populaires pouvant
être soumis à une votation? A quel niveau devrait se situer l’acte législatif dans lequel
cela devrait être réglé ?
Les cantons disposent d’une grande latitude dans le choix de la forme à donner aux droits
politiques dans l’optique de l’article 34, alinéa 1 et de l’article 51, alinéa 1 Cst. Comme ils
n’ont pas l’obligation d’inclure le projet populaire dans leur arsenal, ils sont très libres dans la
conception de cet instrument. C’est pourquoi il est en principe admissible que le nombre de
projets populaires par objet soit limité à un seul. Le principe de l’égalité de droit (art. 8, al. 1
Cst.) a pour conséquence qu’une raison objective doit présider à la détermination du projet
populaire à retenir. La préférence donnée à un projet populaire par rapport à d’autres qui ont
également abouti pourrait par exemple être motivée par la date de dépôt, qui serait antérieure,
ou par le nombre des signatures, plus élevé. L’aboutissement d’un premier projet populaire
aurait par exemple pour effet de bloquer d’autres projets. Il convient de rappeler dans ce contexte que dans le canton de Berne, un seul projet populaire à la fois a abouti.
Comme la limitation à un seul projet populaire par objet a pour effet de limiter le droit de présenter un projet populaire, pourtant prévu par la Constitution, les grandes lignes du statut juridique des particuliers (art. 69, al. 4, 2e phrase, lit. a ConstC) sont concernées, et de ce fait une
norme fondamentale au sens de l’article 69, alinéa 4, 1re phrase ConstC ; une telle règle devrait au moins être inscrite dans une loi formelle. De plus, on peut se demander s’il ne faut
pas pour cela une modification de l’article 63, alinéa 3 ConstC. La teneur de l’article 63 n’est
pas claire en allemand, puisqu’à l’alinéa 3, 1re phrase, il est question de « Volksvorschlag
(singulier) », alors qu’à l’alinéa 4, il est question de « Volksvorschlägen (pluriel)».
Réponse à cette question: La limitation à un seul projet populaire serait admissible, à condition qu’un motif pertinent puisse être invoqué à l’appui du choix entre plusieurs projets populaires ayant abouti.
c) D’autres dénominations du projet populaire seraient-elles envisageables? Lesquelles ?
Dans la jurisprudence et la doctrine, le terme de référendum constructif est souvent employé à
côté de celui de projet populaire. Si ce terme exprime de manière précise la fonction de cet
Projet populaire et projet alternatif
28
instrument, « projet populaire » est cependant un terme plus approprié, puisqu’il désigne un
projet émanant des citoyens, ce qui ressemble beaucoup à une initiative populaire.119 De plus,
le terme de « référendum constructif » suggère que le référendum classique est de nature
« destructive », ce qui ne rend pas justice à l’importance de l’instrument ni ne reflète suffisamment ses effets très constructifs. Le canton de Nidwald se sert, comme il y a peu le canton
de Zurich, de la notion de contre-projet citoyen. La notion de projet populaire n’est certainement pas moins parlante. Il serait possible de trouver une autre désignation, mais cela nécessiterait des recherches en profondeur.
Réponse à la question: Aucune autre dénomination équivalente à « référendum constructif »
ou à « contre-projet citoyen » ne s’impose.
d) Existe-t-il d’autres solutions que la question subsidiaire (cf. art. 63, al. 4 en rel. av.
art. 60, al. 2 ConstC)? Une règle selon laquelle la question subsidiaire serait abandonnée
en cas de votation sur des variantes et le projet ayant obtenu le plus de voix
l’emporterait si les deux projets obtenaient plus de oui que de non, serait-elle compatible
avec le droit fédéral (art. 34, al. 2 Cst., principe de l’égalité du poids électoral) ?
Depuis que le double oui est admis, la plupart des cantons et la Confédération appliquent le
modèle de la question subsidiaire quand plusieurs questions sont soumises au vote sur le
même objet.120 Le principal cas d’application est le contre-projet opposé à une initiative populaire.
Dans le canton d’Argovie, on trouve une différence qui permet de renoncer à la question subsidiaire. Les électeurs et électrices sont appelés à se prononcer simultanément, sur un seul et
même bulletin, dans un vote principal sur l’initiative et dans un vote subsidiaire sur le contreprojet.121 La majorité est calculée séparément pour chaque projet.122 Si les deux projets obtiennent la majorité des voix, l’initiative est réputée adoptée.123 L’initiative populaire est donc
privilégiée indépendamment du nombre de voix qu’elle a obtenus.
Si cette manière de faire était transposée au système du canton de Berne, le projet du parlement l’emporterait toujours en cas de double (ou de multiple) oui. Il serait également possible
que le projet populaire (ou l’un des projets populaires) soit privilégié (le projet populaire déposé en premier ou celui ayant réuni le plus de signatures).
Si le projet populaire avait été privilégié, le résultat ne serait pas différent dans le canton de
Berne. Dans trois cas, la votation aurait eu un autre résultat.
119
HANGARTNER/KLEY, n. 2181.
120
HANGARTNER/KLEY, n. 2165.
121
§ 65, al. 3, 2e phrase KV AG, § 59, al. 2, 1re phrase GPR AG.
122
§ 59, al. 2, 2e phrase GPR AG.
123
§ 59, al. 2, 3e phrase GPR AG.
Projet populaire et projet alternatif
29
Le canton du Jura s’écarte lui aussi du modèle standard de la question subsidiaire en cas de
double majorité. Si l’initiative populaire et le contre-projet sont tous deux acceptés, le projet
qui a obtenu le plus de voix l’emporte.124 En cas d’égalité, le projet ayant obtenu le moins de
voix négatives l’emporte.125
Cette procédure pourrait sans aucun problème s’appliquer au rapport entre le projet du parlement et le projet populaire. Le projet ayant obtenu le plus de oui l’emporterait en principe.
Tout comme la question subsidiaire, ce modèle se prête très bien à la détermination de
l’expression fidèle et sûre de la volonté des citoyens et citoyennes (art. 34, al. 2 Cst.). Dans le
message relatif à la garantie de la Constitution de la République et Canton du Jura126, il n’y a
aucune remarque sur la compatibilité de cette disposition avec le droit fédéral. Le cas échéant,
de très grandes différences dans le taux de participation entre les deux projets pourraient avoir
un effet négatif en termes d’égalité du poids électoral. Cela ne correspond cependant pas à la
réalité. Si le Grand Conseil devait envisager cette procédure, l’analyse juridique détaillée de
cette question spécifique serait à recommander. Surtout en considération du fait que pratiquement tous les cantons appliquent la procédure de la question subsidiaire et non l’autre procédure, la comparaison entre les parts de votes positifs, qui d’emblée peut paraître plus
simple.
Vu l’expérience réunie dans le canton de Berne, il faut également considérer que la forme
simple tendrait à favoriser le projet du parlement. Dans deux cas sur dix, le taux d’acceptation
du projet parlementaire était plus élevé en réponse à la question principale que celui du projet
populaire, alors qu’en réponse à la question subsidiaire, le projet populaire l’a emporté. Avec
la comparaison entre les parts de votes positifs, le résultat aurait été différent dans deux cas.
Réponse à la question: Privilégier un projet particulier ou appliquer le critère de la majorité
relative obtenue en réponse à la question principale offrent des solutions de rechange à la
question subsidiaire. La référence à la majorité relative obtenue en réponse à la question principale devrait être une option compatible avec la liberté de vote garantie par la Constitution
(art. 34, al. 2 Cst.).
e) Quelles conséquences en termes de droits politiques aurait l’abandon du projet alternatif ou du projet populaire, ou des deux? Quelle serait la portée de la suppression du
projet alternatif et du projet populaire dans l’optique du renforcement des pouvoirs du
parlement (cf. IP 185-2013)?
Le projet alternatif et le projet populaire offrent chacun séparément et en combinaison la possibilité d’une expression nuancée de la volonté des électeurs et électrices. C’est pourquoi ces
124
Art. 76, al. 5 cst. RCJU, art. 93, al. 2, 2e phrase LDP RCJU.
125
Art. 93, al. 3 LDP RCJU.
126
Message concernant la garantie de la constitution du futur canton du Jura, FF 1977 II 259.
Projet populaire et projet alternatif
30
deux instruments répondent à la nécessité politique d’une participation aussi complète que
possible des citoyens et citoyennes. La Confédération et bon nombre de cantons ne connaissent ni l’un ni l’autre de ces instruments, ou ils ont décidé soit de ne pas les introduire, soit de
les supprimer. De ce fait, la décision de vouloir s’en passer ne peut pas simplement être qualifiée de régressive ou de moins sage du point de vue des droits politiques. C’est au Grand Conseil et enfin aux électeurs et électrices qu’il appartient d’apprécier les conséquences de
l’abandon de l’un de ces instruments. Comme le Grand Conseil n’a fait usage que deux fois
de la possibilité du projet alternatif, les conséquences de la suppression de cet instrument seraient sans doute négligeables. S’agissant du projet populaire, il faut en revanche songer qu’il
a notablement marqué l’ordre juridique du canton de Berne.
En tant que revendication, le renforcement des pouvoirs du parlement au sens traditionnel
n’est pas directement lié à l’existence du projet alternatif ou du projet populaire. En effet, le
but est non pas de renforcer les pouvoirs du parlement au détriment de ceux des citoyens et
citoyennes, mais de renforcer le statut du parlement par rapport au gouvernement et à
l’administration.127 Cela ressort d’ailleurs clairement de l’initiative parlementaire 185-2013.
L’intention est notamment de doter le Grand Conseil d’un droit de veto sur les ordonnances,
de limiter les compétences financières du Conseil-exécutif en ce qui concerne les dépenses
liées, le désinvestissement et les dépenses dans les situations extraordinaires ; par ailleurs,
l’initiative parlementaire demande la création de services parlementaires.
Il ne serait en aucune façon incohérent de la part du Grand Conseil de décider d’un côté de ne
rien changer aux droits populaires tout en poursuivant de l’autre la mise en œuvre de
l’initiative 185-2013. Comme de manière générale, les droits populaires sont liés aux compétences du parlement, le renforcement des pouvoirs du parlement face au gouvernement apporterait au contraire un renforcement des droits des électeurs et électrices.
Réponse à la question: C’est au Grand Conseil et aux citoyens et citoyennes qu’il appartient
d’apprécier les conséquences en termes politiques et démocratiques de la suppression du projet alternatif ou du projet populaire, ou des deux. Selon des critères scientifiques, aucun modèle ne mérite qu’on lui attribue une plus grande valeur démocratique. Il n’y a pas de lien
direct avec la revendication d’un renforcement des pouvoirs du parlement.
9. Quelles sont vos autres observations sur cette thématique?
L’analyse du projet alternatif et du projet populaire débouche sur une image extrêmement
diverse. Au niveau théorique, les deux instruments présentent des avantages et des inconvénients. Sous l’angle scientifique, et après l’analyse de l’expérience pratique des deux autres
cantons, la nécessité d’une réforme ne s’impose pas dans le canton de Berne. Les problèmes
juridiques qui se sont posés en pratique se rapportent avant tout à l’unité de la matière et à la
127
NUSPLIGER/MÄDER, ZBl 115/2014, p. 523, 541 ss
Projet populaire et projet alternatif
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correction du calcul des résultats. Ces questions ne sont cependant pas spécifiquement liées au
projet populaire, puisqu’elles se posent de la même manière pour d’autres instruments de la
démocratie directe.
Par ailleurs, le projet alternatif et le projet populaire n’entrent pas dans l’arsenal indispensable
de la démocratie directe, et une discussion au sujet de leur maintien serait donc utile. Il reste à
suivre attentivement l’évolution des votes blancs et nuls ainsi que le potentiel d’abus du projet
alternatif, qui est indéniable. Il faut cependant relever que dans le canton de Berne, le projet
populaire s’est imposé à sept reprises, et il répond donc manifestement à un besoin des électeurs et électrices, à la différence de ce qui a été le cas dans les cantons de Zurich et de Nidwald, où les contre-projets citoyens n’ont jamais vraiment eu de succès.
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