Carnets du Paysage

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Carnets du Paysage
lydie goeldner- gianella
Polders du XXIe siècle: des paysages
diversifiés et mouvants
dans un contexte de changement climatique et d’évolution sociale
“Pas d’eau dans nos polders !”, “Ne touchez pas à notre polder !”, “Sauvez notre
polder !”, “non à la dépoldérisation !”. Les appels de ce type, qui se multiplient
Lydie Goeldner-Gianella est maître de
conférences à l’université Paris-I
Panthéon-Sorbonne, UMR 8586 PRODIG.
actuellement en Zélande sur des pancartes plantées au bord des routes, traduisent une forte opposition à la volonté publique de convertir quelques polders agricoles en espaces de nature, en cassant leurs digues pour permettre à la mer de les
ré-envahir – ce qu’on appelle “dépoldérisation”. Les Zélandais qui s’opposent à la
dépoldérisation craignent de se voir dépossédés de leurs terres et, plus encore, de
voir la protection contre la mer affaiblie par ces mesures, alors que mille huit cent
cinquante vies ont déjà été perdues lors de la submersion marine de février 1953
et que l’élévation du niveau de la mer s’accompagnera d’une augmentation de la
fréquence et de l’intensité des tempêtes.
Pour comprendre cette mutation inattendue de l’aménagement littoral, l’article
fera le point, dans un premier temps, sur l’évolution récente du paysage de
“polder”, qu’on assimile généralement à un espace géométrique, figé dans ses
limites et voué à l’agriculture intensive. Or le paysage des polders, qui couvre
quinze mille kilomètres carrés en Europe depuis les conquêtes sur la mer engagées
au XIe siècle, s’est largement diversifié dans les trois dernières décennies. On
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Emil Nolde, Spätsommer, huile sur
toile, date. Nolde Stiftung Seebüll
Ada and Emil Nolde (Fig. 1).
trouve ainsi, outre les polders agricoles traditionnels, des polders qui ont été “abandonnés” à la nature à des degrés divers, avec une possible réouverture sur la mer
de certains d’entre eux. Cette mutation paysagère et ce passage de la poldérisation à la dépoldérisation ont des fondements culturels mais aussi des fondements
11
naturels, liés au changement climatique. On peut ainsi distinguer des “dépoldéri-
puisque c’est par l’endiguement d’un marais maritime que ces terres ont été
sations défensives”, constituant paradoxalement une forme d’adaptation à l’élé-
gagnées sur la mer. En second lieu, le paysage traditionnel du polder est généra-
vation en cours du niveau de la mer et à l’augmentation corrélative des tempêtes,
lement dépourvu de relief, d’éléments qui captent le regard, à l’exception de sa
des dépoldérisations à visée plus environnementale ou à visée socio-économique.
ceinture de digues. Il est marqué par sa platitude, du fait de sa conquête initiale
On observe dans un deuxième temps que cette évolution s’est traduite par une
sur des espaces naturels aux très faibles dénivellations, les prés salés et les
prise en compte grandissante du paysage dans la gestion des côtes à polders et plus
vasières. Et, après conquête, pour maximiser l’utilisation de l’espace, notamment
particulièrement des zones dépoldérisées. C’est tout d’abord l’intérêt montré par
à des fins agricoles, l’habitat est resté rare, voire absent, de même que la couver-
la société pour le paysage littoral qu’il faut prendre en considération. Cette impor-
ture arborée : on trouve quelques bouquets d’arbre autour des fermes ou en aligne-
tance du paysage explique aussi qu’on cherche à conserver une partie des struc-
ment le long des canaux et sur les digues, pour faire office de coupe-vent. La
tures et de l’histoire originelle des endiguements, même dans le cas de politiques
végétation naturelle ou spontanée est par conséquent clairsemée au sein de ces
de dépoldérisation. Enfin, l’essor du tourisme de nature sur les côtes à marais
espaces, tout entier consacrés à la production agricole. Autre caractéristique du
impose de nos jours une plus grande préservation des paysages, pour des raisons
paysage de polder : sa parfaite géométrie, qu’on retrouve à la fois dans le tracé
cette fois économiques.
des digues et celui des chemins d’exploitation ou du réseau de drainage. Tout a
Dans un troisième temps, nous nous proposons d’examiner la gestion du
été fait, lors de la construction, pour maximiser l’espace à exploiter et réduire les
paysage particulier des sites dépoldérisés sur un plan plus opérationnel et à diffé-
coûts : tracer les digues et les réseaux au cordeau s’est alors imposé. Si ce paysage
rentes échelles : celle des sites eux-mêmes mais aussi une échelle élargie à
est tout entier construit – c’est un paysage anthropique par excellence –, la
plusieurs kilomètres carrés, en cas de dépoldérisation de grande ampleur. On s’in-
présence visible de l’homme y est peu marquée. En effet, à l’exception de polders
terrogera, enfin, sur l’intérêt d’étendre cette politique nouvelle sur le littoral euro-
spécifiquement créés pour des raisons démographiques, comme ceux de
péen, comme réponse partielle à la poursuite de l’urbanisation.
l’Ijsselmmer aux Pays-Bas, la vocation agricole des polders prime largement sur
leur vocation résidentielle : ce sont des paysages monotones de prairies et de
les mutations contemporaines du paysage
des polders en europe occidentale
labours qui s’offrent au regard, simplement ponctués de quelques fermes ou de
petits villages. Enfin, ce paysage de polder est éminemment terrestre et a perdu
toute trace de son passé de milieu naturel marin. L’eau présente est une eau douce,
les caractéristiques paysagères du polder agricole
A l’image de ce qu’on observe sur la figure 1, reproduction d’un tableau du
qui ne divague pas comme les chenaux de marée dans les anciens marais, mais se
trouve, elle aussi, corsetée dans un réseau.
peintre allemand Emil Nolde, ou sur la photo 1, prise dans l’estuaire de l’Escaut
Le tableau d’Emil Nolde, intitulé Spätsommer, traduit bien cet isolement de l’ha-
occidental, le paysage traditionnel des polders – qui sont, rappelons-le, d’anciens
bitat, l’immensité, la planéité et la géométrie de l’espace, l’omniprésence de l’agri-
marais maritimes endigués, asséchés et mis en culture – rassemble un certain
culture et l’interruption du regard par la digue, présente à l’arrière-plan.
nombre de caractéristiques. Ce paysage est tout d’abord celui de l’immensité (les
12
polders peuvent être vastes de plusieurs centaines d’hectares), mais cette immen-
Ces impressions d’immensité, de géométrie, de “resserrement” de la végétation
sité, trompeuse, ne s’étend pas à perte de vue. En effet, si l’on se tient au sein du
naturelle, d’importance de la vocation agricole et de regard interrompu caractéri-
polder, le regard, où qu’il se tourne, rencontre toujours un obstacle : les digues de
sent tout autant le Prospero Polder, situé en Zélande, comme on le voit sur la photo
ceinture, qui empêchent la vision de se porter au loin et notamment jusqu’à la mer.
1. La figure 2 met en évidence les mêmes caractéristiques, cette fois dans plusieurs
Cet encadrement complet par des digues est la caractéristique majeure des polders,
polders agricoles d’Allemagne du Nord, vus ici du ciel.
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
13
500 m
19972. Les rares polders encore exploités de la rive interne de la lagune sont les plus
vastes et les plus faciles d’accès, mais se voient eux aussi voués à des pratiques
agricoles plus extensives. La photographie 2 présente une partie de l’ancien marais
agricole du Ludo, intensément exploité jusque dans les années 1960, et pratiquement abandonné depuis cette période3. Lorsque l’agriculture de polder est
remplacée par une activité de gestion écologique de marais, dans un contexte de
protection des milieux, le pâturage extensif ou des opérations de fauche peuvent
être maintenus. Cette intervention agricole minimale donne lieu à des paysages
plus jardinés, d’aspect moins sauvage que les friches. C’est ce qu’on observe sur
la photographie 4, où une partie de l’ancien polder agricole du Carmel (baie des
Veys, France), désormais protégé par le Conservatoire du littoral, est fauchée
(prairie de gauche) de façon à accueillir des oiseaux inféodés à de basses prairies.
La transformation paysagère y semble moins radicale que dans la prairie de droite,
Fig. 2 : Caractéristiques du paysage
traditionnel des polders agricoles
en Frise du Nord.
évoluant pour sa part naturellement. Lorsque l’intervention sur les milieux est
moindre, leur évolution est plus rapide et apparaît alors un paysage de “polder de
nature” (photo 3 ; fig. 2).
une diversification paysagère récente : polders en friche,
polders de nature et “polders maritimes”
ré-envahi par les eaux marines, soit du fait de brèches accidentelles formées lors des
Bien que classique, ce paysage de polder agricole n’est pourtant pas immuable.
tempêtes (on parle alors de dépoldérisation accidentelle), soit dans le cadre de dépol-
e
Enfin, lorsque le degré d’abandon est plus marqué, le polder peut même se voir
En témoigne par exemple l’évolution récente, dans la seconde moitié du XX siècle,
dérisations programmées et gérées par l’homme. Plusieurs sites ont effectivement
2. Nacima Baron-Yellès, Frédéric
de quatre polders du sud de la Bretagne, anciennement voués à l’exploitation agri-
connu un retour volontaire à la mer, l’Europe occidentale s’étant lancée dans une
Bertrand, Lydie Goeldner-Gianella,
cole1. Si l’agriculture est restée légèrement pratiquée dans deux d’entre eux
politique de dépoldérisation à partir des années 1980. Ces opérations de retour à la
Gérard Beltrando, Robert Davidson,
(polders du Cosquer et de Mousterlin), leur paysage s’est largement diversifié,
mer ne couvrent encore que cinq mille hectares4 – soit moins de un pour cent de la
“Enjeux et limites de la gestion
évoluant soit vers la friche (polders du Cosquer et de Kérity), soit vers une gestion
surface initialement poldérisée en Europe du nord-ouest – et on ne dénombre actuel-
lagunaire d’Europe méridionale : la Ria
plus écologique des milieux (polders de Mousterlin et de Combrit), soit vers un
lement qu’une cinquantaine de dépoldérisations déjà achevées ou encore en cours
Formosa, Algarve, Portugal”, L’Espace
renouveau économique tourné, dans les quatre sites, vers le camping/caravaning,
en Europe occidentale. Mais ces projets ont tendance à se multiplier, notamment
3. Lydie Goeldner-Gianella, Gilles
le tourisme de nature ou l’épuration des eaux.
en Grande-Bretagne. Les photographies 4, 5 et 6 témoignent de cette dernière évolu-
Arnaud-Fassetta, Frédéric Bertrand,
Cette transformation paysagère concerne une grande partie des polders euro-
tion de polders agricoles en des espaces qu’on pourrait paradoxalement appeler des
Gérard Beltrando, Robert Davidson, “Les
péens, notamment les polders les plus exigus, les plus mal situés et les plus diffi-
“polders maritimes”. Celles-ci montrent respectivement un polder partiellement
Marais endigués de la Ria Formosa
ciles d’entretien. Ainsi au sud du Portugal, sur les rives endigués de la lagune de
rendu à la mer (polder du Carmel, baie des Veys) – à travers un clapet à marée
développement économique. Le cas de
la Ria Formosa, la quasi totalité des marais, endigués au siècle précédent à des
permettant l’entrée des eaux marines –, un polder complètement rendu à la mer en
du littoral breton. Caractères et
fins vivrières et cultivés de façon intensive jusque dans les années 1960 sur le prin-
1981, dans l’aber de Crozon (Finistère), par le démantèlement de sa digue de mer, et
4. Ce bilan a été obtenu à partir d’une
évolution, thèse de troisième cycle,
cipe de l’assolement traditionnel blé/orge/fève, a été laissée en friche. Cette déprise
un polder accidentellement rendu à la Gironde (le polder de Mortagne), lors de la
recension, non complètement
Brest, 1984, 349 p.
généralisée a concerné quatre cents hectares de marais agricoles entre 1958 et
tempête de 1999, dont la digue est désormais percée d’une brèche.
d’Europe occidentale.
14
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
1. Florence Poncet, Les Zones humides
université de Bretagne occidentale,
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
Stéphane Costa, Gilles Arnaud-Fassetta,
environnementale d’un marais
géographique, n° 1, 2003, p. 31-46.
Nacima Baron-Yellès, Stéphane Costa,
(Algarve) face à un siècle de
la réserve naturelle du Ludo”, Annales
de géographie, n° 629, 2003, p. 3-22.
exhaustive, des sites dépoldérisés
15
Du fait de cette évolution, les caractéristiques initiales du paysage de polder se
sont complètement modifiées. En premier lieu, l’espace terrestre s’est largement
humidifié, par un retour permanent de l’eau : dans les polders en friche, le drainage n’est plus assuré et l’eau vient à stagner (photo 2) ; dans les polders de nature,
elle circule désormais plus librement (photo 3), comme dans les polders rendus à
la mer (photos 4, 5 et 6), où la présence d’eaux marines est parfois nettement visible
(laisse de mer et présence d’un chenal de marée dans l’ancien polder de Crozon/
photo 5). La construction géométrique du paysage initial s’efface également, au
profit d’une nature plus libre et mouvante (photo 3), plus sauvage et incontrôlée
(marques d’érosion des photos 5 et 6). L’anthropisation et l’exploitation agricole
1. Polder agricole traditionnel en Zélande
2. Polder agricole en friche dans la Ria Formosa
(L. Goeldner, 08/2007)
(Portugal, polder du Ludo, L. Goeldner, 2001)
ne sont plus présentes que sous forme de traces ou de ruines : des restes de billons
dans le Ludo (photo 2), les arbres morts d’un ancien verger dans l’aber de Crozon
(photo 5), des restes de digue et des marques d’un drainage antérieur à Mortagne
(photo 6). Enfin, la végétation naturelle a repris le dessus et les plantes de marais
doux ou de marais saumâtres et salées ont remplacé les anciennes cultures :
roseaux et carex (photo 3), salicornes (photos 2 et 4), obione (photo 5), etc. Ainsi,
de géométrique et figé, le paysage terrestre du polder a pu devenir par endroits
un paysage aquatique et végétalisé, plus naturel et mouvant.
Ces nouveaux paysages de polders se juxtaposent parfois sur seulement
quelques kilomètres carrés. La Convention européenne du paysage, signée à
Florence en 2000, nous invite dans son article 2 à tous les considérer comme des
paysages, qu’il s’agisse des polders agricoles (ou “paysages du quotidien”), des
3. Polder agricole “abandonné à la nature” en Bretagne
4. Polder agricole remis en contact avec la mer par un clapet à marée
(Mousterlin, L. Goeldner, 07/2006)
(baie des Veys, L. Goeldner, 09/2007)
polders en friche (ou “paysages dégradés”) ou des polders maritimes, puisqu’elle
s’applique aussi aux eaux marines.
les fondements culturels et naturels de cette diversification paysagère
page précédente
Pour comprendre ce passage d’une politique de poldérisation agricole à un
abandon des polders ou à une politique de dépoldérisation, on se penchera succes-
Les mutations contemporaines du
paysage des polders.
sivement sur des facteurs économiques, sociaux et naturels, comme le résume le
schéma suivant. L’abandon de certains polders agricoles tient à des raisons assez
similaires du Nord au Sud de l’Europe, car, si les sols d’origine marine sont riches,
les contraintes d’exploitation des terres poldérisées sont fortes, comprenant des
5. Polder agricole rendu à la mer en Bretagne par démantèlement de sa digue
6. Polder agricole accidentellement rendu à la mer dans l’estuaire de la Gironde
(aber de Crozon, L. Goeldner, 07/2007)
(brèche du polder de Mortagne, photo CELRL)
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
17
coûts élevés d’entretien des digues et du réseau de drainage, un risque permanent
Mais un troisième élément, relevant cette fois du contexte naturel, doit être invoqué
de submersion par la mer, l’exiguïté des parcelles sur les côtes très indentées et,
pour comprendre l’essor de la dépoldérisation. Il concerne plus particulièrement la
plus au Sud, des sols sursalés du fait de la forte évaporation et de l’excès de
Grande-Bretagne, où se posent trois problèmes : une élévation relative du niveau
pompage dans les nappes phréatiques. Plus globalement, c’est l’évolution du
marin plus sensible qu’ailleurs en Europe du fait de la subsidence glacio-isostatique
contexte économique européen qui explique que ces contraintes n’aient pas pu
du sud-est du pays, une hauteur insuffisante des digues en de nombreux secteurs et
être surmontées par certains exploitants. La Politique agricole commune a effec-
la forte érosion des prés salés. Dans ce contexte, les aménageurs britanniques ont
tivement poussé les agriculteurs, des années 1960 aux années 1980, à promouvoir
opté pour une option plus douce de défense contre la mer, en choisissant de restaurer
une politique hyper productive et productiviste. Peu à peu, seules les meilleures
les prés salés au-devant des digues plutôt que de rehausser systématiquement ces
terres ou les terres travaillées dans les meilleures conditions de rentabilité sont
dernières face à l’élévation du niveau marin et l’augmentation prévisible de la
restées en exploitation, les autres étant progressivement laissées à l’abandon. Les
fréquence des tempêtes7. Des études ont montré que la houle qui parvenait sur un
petits polders, à dessaler, à drainer et à protéger en permanence de la mer ne
pré salé s’atténuait progressivement avant d’atteindre le pied de la digue. De ce fait,
faisaient donc plus le poids face à de grandes surfaces faciles à cultiver. Mais les
le niveau de la mer est moins élevé à la hauteur de la digue et le risque de submer-
polders les plus vastes et les mieux situés (baie du Mont-Saint-Michel, polders
sion des terres protégées par cette digue est fortement atténué. Or la meilleure façon
néerlandais et allemands) sont, eux, restés en exploitation. Des différences dans
de restaurer des prés salés protecteurs des digues, c’est de dépoldériser, en les faisant
la prise en charge financière de l’entretien des digues peuvent aussi expliquer ces
renaître naturellement dans des zones où ils existaient par le passé. Cette politique
contrastes : la déprise est moins fréquente dans les régions où cet entretien est à
défensive originale explique que la dépoldérisation soit globalement plus avancée en
la charge des autorités publiques, notamment dans les pays très exposés aux
Grande-Bretagne, où une trentaine de polders ont déjà été rendus à la mer. Dans ce
tempêtes, comme l’Allemagne.
pays, les dépoldérisations liées au changement climatique – que l’on peut qualifier de
Si ce sont des raisons économiques qui expliquent la déprise de certains
“défensives” – atteignent de surcroît plus de la moitié des dépoldérisations effectuées,
polders à partir des années 1950 et sans doute aussi l’arrêt de la politique de
alors qu’elles sont largement supplantées par des dépoldérisations à visée environ-
poldérisation, depuis les années 1970-1980, l’évolution du regard porté sur la
nementale ou à visée socio-économique en Allemagne, aux Pays-Bas et en France.
nature à partir des années 1970 a aussi joué un grand rôle. Ainsi, le contexte social
de plus en plus favorable à la protection de l’environnement et, en particulier,
des zones humides, explique qu’on ait assisté, dans les décennies 1980 et 1990, à
la nécessaire prise en compte du paysage dans
la gestion des côtes à polders
l’arrêt, dans un premier temps, de la politique de poldérisation à finalité agri-
5. Lydie Goeldner-Gianella,
“L’Allemagne et ses polders. Conquête
et renaissance des marais maritimes”,
cole, et, dans un second temps, au lancement d’un mouvement de dépoldérisa-
Cette mutation récente de la vocation et de la configuration des polders agricoles
tion. De puissants mouvements de contestation des dernières poldérisations
s’est toutefois faite en portant une grande attention au paysage, à la fois du fait
réalisées ont effectivement agité plusieurs régions septentrionales de l’Europe
d’un intérêt apparemment plus prononcé de la société pour ce dernier, mais aussi
e
5
à la fin du XX siècle , expliquant l’arrêt des conquêtes ; en parallèle, des acteurs
6
Géographie, CTHS, Paris, 2000, 254 p.
publics et des associations de protection de l’environnement ont lancé des expé-
6. En Angleterre, les dépoldérisations
riences de dépoldérisation, visant à restaurer les milieux de marais existant avant
peuvent être aisément opérées par les
comme la RSPB, car les digues sont
les conquêtes sur la mer. La grande biodiversité des vasières et des prés salés et
privées, de même que l’estran adjacent,
leur raréfaction mondiale expliquent ce renversement dans l’aménagement des
ONG
jusqu’au niveau moyen des basses
mers.
côtes basse européennes.
18
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
pour des raisons de protection du patrimoine culturel ou des motifs économiques
plus prosaïques.
7. Department for Environment, Food
and Rural Affairs (DEFRA), Environment
un intérêt social croissant pour le paysage littoral
Plusieurs enquêtes récemment effectuées sur la perception du littoral, auprès de
populations locales ou de touristes, montrent une tendance à l’admiration de ce
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
Agency, Flood and Coastal Defence R&D
Programme, “Managed Realignment
Review”, R&D Technical Report
FD2008, 2002, 212 p.
19
milieu en tant que paysage, et non une attention ou une compréhension de ce
apprécient dans ce site” fait également ressortir le “paysage” pour plus de la moitié
dernier sur un plan plus environnemental, physique ou écologique. Cette idée de
d’entre eux, et ensuite seulement la “tranquillité des lieux” et la “présence de la
rupture entre la nature esthétique et la nature biologique a été soulignée à
nature”. La conclusion est du même ordre à Noirmoutier, dans le cas du polder de
plusieurs reprises, par exemple dans deux sondages réalisés en 1983 et 1991 sur
Sébastopol. Il faut dire que ces paysages naturels restaurés invitent plus à la
le thème “les Français et la protection du littoral” : ces enquêtes ont montré que le
contemplation que les paysages de polders agricoles. On irait même jusqu’à
littoral était moins perçu comme un milieu naturel ou biologique, que comme une
suggérer que les polders maritimes, grâce à l’ouverture même étroite qu’ils
scène, un paysage, une perspective agréable8. L’opinion attend dès lors des poli-
donnent sur la mer, apportent une dimension imaginaire nouvelle. Le regard n’est
tiques de protection qu’elle protègent d’abord l’harmonie de la nature, le spec-
plus alors limité à la digue, comme dans le polder agricole ou le polder de nature,
tacle de la beauté, plutôt que les éléments naturels stricto sensu, comme la flore
mais s’élargit sur l’espace marin, synonyme d’immensité et de liberté, ce qui
et la faune, l’idée de fragilité du milieu étant rarement connue ou perçue. Une
permet à l’imagination des visiteurs de se déployer et de vagabonder davantage.
enquête plus récente de l’INED9 confirme indirectement cette nouvelle tendance,
Ce constat d’un plus grand intérêt pour le paysage est aussi à mettre en relation
puisque les trois cinquièmes des Français “privilégient désormais la qualité des
avec les réflexions d’Yves Luginbühl sur la demande sociale de paysage (2001). Ce
10
paysages dans le cas d’un séjour de vacances à la mer ”. Par ailleurs, la fréquenta-
chercheur fait observer qu’un glissement progressif vers la nature aurait caracté-
tion des sites protégés du Conservatoire du Littoral paraît liée à ce même désir de
risé les représentations que les Français se font du paysage depuis le milieu des
satisfaire un besoin de beauté et de paysage remarquable. En Angleterre, le
années 1990, le paysage naturel y “prenant peu à peu la place du paysage cultivé et
8. Conservatoire de l’espace littoral et
paysage littoral semble avoir pris la même importance : une enquête de la Royal
pastoral”, longtemps privilégié. Mais les paysages naturels actuellement appréciés13
des rivages lacustres (CELRL), “Attention
Society for the Protection of Birds réalisée en 1999 auprès de mille sept cent
ne sont pas ceux de la nature en tant que telle, mais du “spectacle de la nature”, d’“un
prédateur ?”, Les Annales 96, n° 11, 1996,
soixante visiteurs de la côte du North Norfolk a montré que la décision de venir
spectacle que l’on ne peut voir quotidiennement et qui met en scène des processus
naturelle” s’ajoutent trois autres types
p. 31-54.
visiter cette côte avait été autant influencée par les possibilités de birdwatching
biologiques, comme la nidification d’oiseaux”. Cet intérêt social pour le “pittoresque
de paysages naturels appréciés des
– assez attendues en Angleterre – que par les qualités paysagères de ce littoral11.
écologique14” est bien d’ordre ludique et esthétique et non d’ordre biologique. On
“nature proche” et la “nature comme
Il semblerait que cet intérêt croissant pour le paysage concerne aussi les polders
pourrait aller jusqu’à parler, comme André Micoud quand il évoquait le monde
objet d’épreuve de la peur de la nature”,
10. Sont ensuite privilégiés, mais très
maritimes, ouverts à la visite. Dans trois enquêtes réalisées dans ces milieux, en
animal, d’une “nouvelle culture du sauvage” qu’on pourrait ici appliquer au paysage
de paysage, Conseil national du
loin derrière et pratiquement à égalité
Bretagne (marais de Sables-d’Or-les-Pins), dans le bassin d’Arcachon (polder de
tout entier15. Le paysage sauvage initial, celui des marais maritimes d’avant la poldé-
paysage, séance inaugurale du 28 mai
“la qualité de l’hébergement” et “les
Graveyron) et à Noirmoutier (polder de Sébastopol), les populations ont claire-
risation, était un monde effrayant car synonyme de tempêtes, d’enlisement, de
(www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/200105
activités sportives”. D’autres arguments
ment évoqué leur attachement au paysage et à la beauté des lieux plutôt qu’à la
fièvres. La perception de ce paysage a connu un complet renversement, puisque,
28_2.pdf).
aux grands espaces inhabités”, “les
nature. Cette hypothèse est parfaitement vérifiée dans le cas de Sables-d’Or : “Les
comme l’animal sauvage, il est désormais prisé pour des raisons esthétiques et
sociale de paysage, op. cit.
possibilités de rencontre”, “la
termes choisis [par les enquêtés] pour décrire [le marais] sont plus d’ordre général
associé à de nouvelles valeurs. Le paysage marin restauré des sites dépoldérisés
15. André Micoud, “Vers un nouvel
et esthétique (« aspect sauvage », « beau paysage ») que de nature biologique
est d’ailleurs d’autant plus valorisé qu’il contient des espèces sauvages qui témoi-
« naturalisé » vivant ?”, Natures,
gnent justement de sa beauté et de sa naturalité : les oiseaux migrateurs.
Sciences, Sociétés, n° 1/3, 1993, p. 202-
public ! Public protecteur ou public
9. Philippe Collomb, France Guérin-Pace
(éd.)., Les Français et l’environnement,
“Travaux & Documents”, INED/PUF
Diffusion, Paris, 1998, 255 p.
(près de dix pour cent dans chaque cas),
sont encore plus minoritaires : “l’accès
connaissance de la population” et “les
activités culturelles”.
11. Céline Chadenas, L’Homme et
l’oiseau sur les littoraux d’Europe
(« plantes », « oiseaux ») et la présence des gens dans le marais tient davantage à
occidentale, L’Harmattan, Paris, 2008,
un désir de contemplation et de contact avec la nature qu’à une volonté d’obser-
294 p.
vation du milieu naturel : celle-ci n’est même invoquée qu’après des raisons plus
12. Lydie Goeldner-Gianella, Christophe
Imbert, “Représentations sociales des
marais et dépoldérisation. Le cas d’un
pragmatiques de présence sur le site, comme la proximité entre le marais et le
12
Français : la “nature lointaine”, la
Yves Luginbühl, La Demande sociale
2001, 17 p.
14. Yves Luginbühl, La Demande
animal sauvage : le sauvage
210.
16. Forme de tourisme consacrée à la
l’essor du tourisme de nature dans les polders de nature et
les polders maritimes
domicile ou la position abritée de sa plage ”. A Graveyron, où la promenade occupe
Cette demande croissante de paysages de nature et de pittoresque écologique a
n° 3, 2005, p. 251-265.
plus de quatre-vingt-dix pour cent des enquêtés, une analyse de “ce que les gens
entraîné un important développement du tourisme et des loisirs de nature16 dans
20
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
marais breton”, L’Espace géographique,
13. A cette “nature spectacle de la vie
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
découverte de sites naturels et de leurs
caractéristiques paysagères et
physiques (flore, faune, etc.). Les sites
naturels protégés ou les réserves
ornithologiques constituent les lieux
privilégiés de cette pratique.
21
N
les régions de marais et de polders du littoral atlantique17. De nombreux polders de
nature et polders maritimes ont été aménagés pour permettre la promenade et la
découverte. Le support majeur de ces pratiques étant le paysage, un grand soin a
été systématiquement apporté à sa protection, sa gestion et son aménagement.
Dans le bassin d’Arcachon, par exemple, une commune de la rive sud a récemment
décidé de convertir un ancien espace endigué en polder maritime, dans une
optique de valorisation paysagère et de fréquentation publique. Il s’agit du site des
Prés Salés Ouest situé sur le Domaine public maritime (DPM) entre le bassin
d’Arcachon et la frange terrestre de la commune de La Teste-de-Buch. Ce polder,
abandonné à la nature dans la deuxième moitié du XXe siècle, a évolué en marais
doux tout en se fermant progressivement sous l’effet de la croissance de nombreux arbres sur ses bordures (pins, robiniers, saules, bouleaux, aulnes) et de la
propagation d’une plante invasive en son cœur (photo 7). “Cette végétation dense
donne une impression de fouillis végétal et empêche de voir le bassin d’Arcachon
pourtant tout proche18”. Le comité de pilotage du projet a considéré que le potentiel de cet espace était essentiellement écologique et paysager, et qu’il devait être
Fig. 3 : Conversion d’un polder
abandonné en polder maritime et
essor du tourisme de nature.
valorisé en ce sens à des fins d’ouverture au public. Le projet de valorisation du
site favorisera par conséquent une diversité des milieux et des paysages, puisque
le retour de la mer ne couvrira que la partie Est du site, sa partie Ouest demeurant
une vaste zone humide d’eau douce, servant ponctuellement de réceptacle des eaux
Caroline dans le sud-ouest de la baie de Somme (fig. 4), dont il sera question infra.
continentales, en cas de crue d’une rivière traversant la commune (fig. 3).
Ces idées sont également défendues en Angleterre, où les polders maritimes se
sont multipliés. Elles ont donné lieu à des analyses économiques des gains que la
17. Nacima Baron-Yellès, Lydie
Goeldner-Gianella, Les Marais
maritimes d’Europe atlantique,
Le traitement du paysage sera tout particulièrement soigné, avec l’éclaircisse-
“Géographies”, PUF, Paris, 2001, 294 p.
ment de la végétation arborée et le débroussaillage des espèces invasives. La décou-
18. Anonyme, “Réhabilitation du
verte de ce paysage de marais doux et salé sera favorisée par l’aménagement d’une
Domaine public maritime à La Teste-de-
création de tels polders et leur ouverture au public pouvaient induire pour la population locale20.
la conservation du paysage traditionnel des polders
Buch (bassin d’Arcachon)”, Forum,
piste cyclable et de parkings aux deux extrémités du chemin principal. Les visi-
n° 16, 2008, p. 4-5.
teurs pourront découvrir l’intégralité du site au moyen de six sentiers de prome-
Outre cet intérêt économique pour le paysage, il peut se révéler nécessaire de
d’une dynamique estuarienne dans le
nade installés sur des levées de terre ou des passerelles en bois, en plein cœur du
prendre celui-ci en considération pour des raisons patrimoniales, afin de conserver
contexte d’un projet pour la baie de la
marais (fig. 3). L’ouverture visuelle de la façade maritime communale et l’accueil
des éléments de la structure des polders agricoles, qui sont la marque de mille ans
Patrick Triplet, Guillemette Rolland
des promeneurs et des touristes font clairement partie des objectifs majeurs de
d’histoire européenne (digues, écluses, fossés de drainage, moulins, etc.). Ainsi,
(éd.), Pour une approche intégrée de la
cette dépoldérisation.
sur les côtes allemandes ou néerlandaises de la mer du Nord, les conquêtes prati-
19. Jean-Christian Cornette, “Relance
Somme”, dans Jean-Christian Cornette,
protection de la nature en faveur des
Certains aménageurs conçoivent même la dépoldérisation et l’attention au
quées depuis le XIe siècle ont pris une telle importance dans les mentalités natio-
paysage comme un produit permettant de contrer d’éventuelles difficultés écono-
nales qu’il serait inacceptable de rendre des surfaces importantes de polders à la
22-23 avril 2004, p. 36-42.
miques locales19. C’est ainsi qu’est actuellement perçue la dépoldérisation de la
mer et de perdre toute trace du combat mené contre cet élément naturel ou du
22
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
oiseaux d’eau. L’homme et la nature
ont-ils un avenir commun dans les
estuaires ?, Atelier Eurosite/SMACOPI,
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
20. Dickie Ian, Economic Impacts of
Visitor Spendig at Freiston Shore RSPB
Reserves in 2004, rapport interne, 2005,
2 p.
23
travail titanesque que l’endiguement de six à sept mille kilo-
contrôle que l’homme continuerait de détenir sur la nature : les dépoldérisations
mètres carrés a représenté dans chacun de ces deux pays. La
complètes par démantèlement de digue (cas 2), qui effacent donc toute trace
photo 8 traduit bien l’importance culturelle et psychologique
d’une histoire et d’une conquête antérieures, plairaient moins que des dépoldé-
de cette conquête. Le poème gravé sous la statue est des plus
risations par brèches (cas 3), permettant le maintien d’une partie de l’ancien
explicites à ce sujet : “Là sur les wadden, monde d’eau et de
paysage construit – elles-mêmes moins plébiscitées que les dépoldérisations
boue, l’homme a conquis de la terre sur la mer, par tous les
partielles, ne permettant l’entrée des eaux marines qu’à travers d’étroits clapets
temps, pelletée par pelletée, en faisant œuvre de moine”.
ou des écluses soigneusement gérées et se traduisant par l’entière conservation
En Hollande, dans le cadre d’une vaste opération de dépol-
des digues (cas 4).
attitudes towards de-polderisation in
Europe: a comparison of five opinion
surveys”, Journal of Coastal Research,
Degré d’acceptation de la dépoldérisation et types de paysages obtenus
surface réaménagée : il s’agit d’un polder du XVIIIe siècle – le
Paysage d’apparence Paysage d’apparence
naturelle, ayant
naturelle, mais après
évolué naturellement intervention humaine
époque seront même restaurés21. Il s’agit-là, selon les définiType de
dépoldérisation :
Paysage mi-naturel
mi-anthropique, avec
visibilité de
l’intervention
humaine
Paysage encore très
anthropisé, avec
intervention humaine
et contrôle de la
nature
dépoldérisation par
brèche(s)
dépoldérisation à
travers des écluses
à une vaste opération d’“aménagement du paysage ”
démantèlement de la
digue
Statue à la gloire des constructeurs
de digues néerlandais, sur la digue
du polder Zwaarte Haan, en Frise
occidentale (février 1993).
sées auprès de populations littorales concernées par des projets de dépoldérisa-
21. Buiten Consultancy, Stakeholder
de dépoldérisation selon le type de dépoldérisation pratiquée et l’importance et
Participation in Insland Settings, ISLA
la visibilité de l’intervention anthropique dans le processus24 (tableau 1). Les
Transnational Working Group 1,
InterregIIIB NWE project ISLA, 2006,
paysages redevenus spontanément naturels dans le cas de dépoldérisations acci-
104 p. (http://www.isla-
dentelles ne plairaient pas aux populations, qui n’y reconnaissent plus de
europe.com/news/wp-
se localisent sur la côte atlantique
française et la côte Est de l’Angleterre.
questionnaire, à questions ouvertes et
fermées. Dans tous les cas, ce sont les
(cas 1) Graveyron
15 %
(cas 2) Brandcaster
39 %
(cas 3) Freiston Shore
51 %
(cas 4) Noirmoutier
75 %
résidents locaux qui ont été visés en
priorité, mais en France, des touristes et
promeneurs de passage ont également
A Noirmoutier
été interrogés. Les répondants français
(polder de Sébastopol),
% de personnes
favorables à…
ont été interrogés oralement, soit à
–
non demandé
10,6 %
75 %
tion en France et en Angleterre23. En l’occurrence, tous les paysages dépoldérisés
ne plaisent pas. On observe en effet une acceptation grandissante du processus
chaque cas, contre quatre-vingt-dix
environ en Angleterre, par Myatt,
pour ces enquêtes : celle du
Personnes
approuvant la
dépoldérisation :
L’importance attachée par la société à la conservation des marques de l’histoire
locale ou du travail de l’homme transparaît aussi au travers des enquêtes réali-
personnes qui ont été interrogées dans
Une méthode similaire a été utilisée
quelques mesures de “protection” de ce paysage, c’est-à-dire
leur valeur patrimoniale.
France, ce sont en moyenne deux cents
Scrimshaw et Lester. Les sites d’étude
brèche accidentelle
22
de conservation de ses aspects caractéristiques justifiée pour
n° 5, 2007, p. 1218-1230. Les enquêtes
remontent aux années 2001 à 2004. En
Type de paysage :
le paysage agraire et les formes d’exploitation de cette
tions de la Convention européenne du paysage, de combiner
Florence).
23. Pour plus de détails sur la
méthodologie utilisée, se reporter à L.
du Haringvliet, une partie du paysage agricole originel de
premier créé sur l’île – et de sa ferme. Les digues d’origine,
européenne du paysage, 20/10/2000,
Goeldner-Gianella, “Perceptions and
dérisation pratiquée sur l’île de Tiengemeten, dans l’estuaire
l’île a été volontairement conservée sur un dixième de la
de paysages” (article 1, Convention
domicile, soit directement dans les sites
où ils ont été sélectionnés de façon
A Graveyron,
% de personnes
favorables à…
aléatoire. En Angleterre, les enquêtés
ont été tirés au hasard sur des listes
–
2,6 %
12,1 %
non demandé
électorales, dans la commune concernée
par le projet de dépoldérisation et trois
ou quatre communes voisines, et se
Source : GOELDNER-GIANELLA L., 2007.
sont ensuite vus adresser un
questionnaire d’enquête par la poste.
Certaines questions étant proches ou
content/uploads/2008/01/Stakeholder%
contrôle de l’homme et assimilent sans doute ce processus à un abandon face à
Même s’il est difficile de généraliser nos propos à partir de ces quatre enquêtes,
20participation%20in%20island%20set
la nature (cas 1). Les paysages redevenus naturels, mais du fait d’une interven-
réalisées dans des contextes différents en France et en Grande-Bretagne, on peut
comparaison de ces enquêtes a semblé
22. Dans l’aménagement du paysage, les
tion anthropique claire (dépoldérisations programmées), sembleraient un peu
néanmoins émettre l’hypothèse que l’acceptation des nouveaux polders maritimes
24. Lydie Goeldner-Gianella,
actions réalisées “présentent un
plus appréciés que les précédents. Toutefois, l’acceptabilité des dépoldérisations
pourrait être facilitée par la conservation partielle des polders agricoles, si ce n’est
“Perceptions and attitudes towards de-
en valeur, la restauration ou la création
paraît croître parallèlement à la visibilité de cette intervention et surtout au
dans leurs fonctions, du moins dans leurs paysages.
of five opinion surveys”, op.cit.
24
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
tings.pdf).
caractère prospectif […] visant la mise
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
complètement identiques, une
autant possible qu’utile.
polderisation in Europe: a comparison
25
l’importance du paysage aux différentes
échelles de la dépoldérisation
notamment ce qui explique qu’on soit passé ici de l’idée de construire un bassin
de chasse à fond plat et à la structure entièrement bétonnée, dans les années 1990,
à un aménagement plus “doux”, mieux intégré au paysage et donc plus attentif
Dans un troisième temps, nous nous proposons d’examiner la gestion du
aux mouvements de la mer et à la présence de végétation naturelle. La dépoldéri-
paysage des polders maritimes, sur un plan plus opérationnel et à différentes
sation qu’on envisage d’opérer au moyen d’une brèche (fig. 4) ne pourra se faire
échelles.
qu’en veillant à la qualité du paysage. Le revêtement de la digue devra rester majoritairement végétalisé et la configuration interne du polder sera repensée de façon
le paysage dépoldérisé à l’échelle des sites
En l’occurrence, à l’échelle des sites, on observe qu’une grande attention est
à obtenir des altitudes différentes, avec une pente intérieure douce présentant
des paliers, dans l’idée de faciliter l’établissement de plantes halophiles et de diver-
aujourd’hui portée au paysage qu’on souhaite recréer. Les scientifiques britanniques et américains se sont largement penchés sur cette question de restauration des maritimes par la dépoldérisation : la renaissance d’un pré salé (ou
schorre25), à laquelle on souhaite parvenir pour accroître la biodiversité, tient à
des facteurs internes et externes favorisant la colonisation végétale26. A l’intérieur du site interviennent le niveau altimétrique du polder par rapport à la mer,
le type de sédiments présents, la surface et la largeur du polder, sa pente, le taux
de salinité du sol, la présence d’anciennes semences de plantes halophiles dans
le sol, et des techniques de gestion comme le type de dépoldérisation utilisée et
25. Rappelons que le schorre,
la pratique éventuelle du drainage, du pâturage ou de la fauche. Les facteurs
communément appelé pré salé, est la
externes au site, mais qui jouent un rôle essentiel dans la formation d’un schorre,
partie végétalisée de la vasière, situé à
sont le prisme tidal27, le budget et la dynamique sédimentaires, le taux de sali-
une altitude légèrement supérieure du
fait d’un taux de sédimentation plus
nité des eaux et la distance aux marais-sources. De nombreux cas de formation
important. Il est colonisé par des
de schorre ont été observés aux Etats-Unis et en Europe après le retour de la mer,
halophytes supportant des submersions
marines régulières.
mais le succès de cette reconquête n’est pas garanti, la végétalisation des vasières
26. Une synthèse bibliographique des
– qui se forment pour leur part du fait d’une reprise de la sédimentation –
recherches anglo-saxonnes sur les
facteurs de réussite des
dépoldérisations, et notamment la
pouvant ne pas s’opérer.
sifier la palette des plantes présentes. Au-dessus du niveau non végétalisé des
Fig. 4 : Une attention portée au
paysage à l’échelle des sites
dépoldérisés.
Dans le cas du polder agricole de la Caroline (sud-ouest de la baie de Somme) que
vasières, on espère ainsi obtenir un tapis de plantes pionnières, telles les salicornes
disponible dans Lydie Goeldner-
le Conseil général de la Somme souhaite rendre à la mer, la reconstitution d’un
et les spartines entre 2,5 et 3,8 m, puis des prairies halophiles, notamment compo-
Gianella, Dépoldériser en Europe
schorre est fortement attendue pour des raisons écologiques en premier lieu (la
sées d’obione et d’atropis entre 3,8 m et 5,7 m et, enfin, des prairies halo-nitro-
géographie sociale de l’environnement
diversité des milieux sera plus forte qu’en présence de simples vasières), mais plus
philes, au-delà de 5,7 m28. Dans le cas de la Caroline, les enjeux paysagers prennent
28. SOGREAH, Ah-Ah Paysagistes,
à l’étude du milieu littoral, HDR en
encore pour des raisons paysagères. En effet, ce polder est intégré à un vaste site
le pas sur les contraintes physiques et techniques de la dépoldérisation. Mais
Dépoldérisation expérimentale de la
27. Volume d’eau de mer entrant et
classé institué depuis le 1er août 2006 et qui couvre l’ensemble de la pointe du
toutes les opérations de ce type ne sont pas aussi attentives au paysage pour peu
paysage maritime et reconstitution du
sortant à chaque marée dans le site
Hourdel et des dunes et polder adjacents. De la sorte, il n’est pas envisageable d’y
qu’elles privilégient un développement complètement naturel du site après le
paysage des Bas-Champs, Réunion
opérer des aménagements lourds et s’intégrant mal à l’harmonie d’ensemble. C’est
retour de la mer, sans aucune intervention anthropique.
39 p.
reconstitution d’un schorre, est
occidentale. Les apports d’une
cours de rédaction.
dépoldérisé.
26
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
ferme de la Caroline, maintien du
publique, Cayeux-sur-Mer, 27/11/2007,
27
le paysage dépoldérisé à l’échelle du territoire
implantation récréative légère30. Cela explique la tripartition du site en trois
Une attention plus grande est également portée au paysage dans le cas de
paysages distincts, satisfaisant à la fois des impératifs écologiques, paysagers
dépoldérisation portant sur de vastes surfaces assimilables à des “pays”. C’est
et socio-culturels. Ainsi, la zone la plus sauvage de l’île restera inaccessible aux
par exemple le cas en Angleterre, où la Société royale de protection des oiseaux
visiteurs, pour des raisons de tranquillité et de dangerosité du site, mais les
(RSPB) envisage d’acquérir la totalité de l’ancienne île de Wallasea pour la rendre
autres parties seront striées de routes et de sentiers, agrémentés de points de
à la mer. Cent quinze hectares de cette île ont déjà été dépoldérisés par le gouver-
vue, de postes d’observation et d’observatoires camouflés, sur une quinzaine de
nement britannique ; il s’agirait désormais de convertir sept cent trente-six
kilomètres. Grâce à cette gestion paysagère globale, ce pays insulaire de sept
hectares supplémentaires de polders agricoles en espaces naturels, ce qui ferait
cents hectares ne passera pas du statut de territoire agricole à celui d’espace de
de cette expérience une des plus vastes dépoldérisations jamais réalisées en
nature, mais restera un territoire mixte, à la fois culturel et naturel, que les popu-
29
Europe . Mais l’objectif est de parvenir à une mosaïque de milieux et de
lations locales et les visiteurs pourront s’approprier d’une nouvelle manière. En
paysages, en transformant ces polders agricoles en marais maritimes sur les
ce sens, il restera aussi un “paysage”, car sera justement perçu comme un terri-
deux tiers de leur surface (42 % de vasières et 21 % de schorre), en lagune
toire par la population locale et continuera de résulter de l’action de facteurs
saumâtre sur 12 % de la surface et en zone pâturée par les ovins ou les bovins
naturels et/ou humains et de leurs interrelations31.
sur les 25 % restants (marais saumâtres et prairies). La RSPB envisage en paral-
On s’efforce donc, dans ces créations de paysage de grande envergure, de favo-
lèle de créer ou d’améliorer quinze kilomètres d’accès au site, pour en faciliter
riser tout autant la variété naturelle que la conservation culturelle et de
la visite.
permettre la découverte des paysages et des milieux sans nuire à la nature. De
Une opération de même nature a été réalisée aux Pays-Bas par l’association
telles prescriptions ont également été suivies par Grégoire Morisseau, dans son
de protection de la nature Natuurmonumenten, sur l’île de Tiengemeten déjà
mémoire de fin d’études de l’Ecole nationale supérieure de la nature et du
évoquée. Celle-ci a subi une transformation paysagère radicale du fait de la
paysage, consacré à la dépoldérisation des Bas-Champs picards, au sud de la baie
conversion de ses sept cents hectares de polders agricoles et des six exploita-
de Somme32. Ce jeune paysagiste propose de remédier à la coûteuse protection
tions de l’île en zone presque entièrement vouée à la nature. Les six fermes de
contre la mer de cette vaste région de polders agricoles et de marais de chasse
l’île, en activité depuis plusieurs siècles, ont été abandonnées et en partie démo-
en rendant une grande partie de celle-ci à la mer. Le paysage proposé se carac-
lies, de nouveaux chenaux de marée ont été creusés, les peupliers ont été abat-
térise lui aussi par sa grande variété et le maintien d’éléments du patrimoine
tues et la digue sud a été percée d’une brèche en 2007. Toutefois, pour limiter
historique et culturel comme les villages du Marais et de Hurt. Ainsi, le cordon
l’atteinte au paysage traditionnel, tout en s’efforçant de parvenir à une certaine
de galets, qui fait ici office de digue de mer, pourrait être percé de plusieurs
diversité, l’île a été divisée en trois zones bien caractéristiques : Weemoed (zone
brèches, dans le secteur fragile du Hâble d’Ault, qui se verrait quotidiennement
de la nostalgie), Weelde (zone de richesse naturelle) et Wildernis (zone
submerger par la mer. A la renaissance d’un paysage de vasières et de quelques
sauvage). Dans la première, un polder agricole sera conservé dans les conditions
prés salés devrait succéder, un peu plus à l’intérieur des terres, une plus vaste
évoquées supra, dans la deuxième, les polders agricoles évolueront en polders
zone de prés salés, au-delà d’une digue-route principale qui serait maintenue
de nature et, dans la troisième, les polders agricoles se transformeront sponta-
sans être exagérément rehaussée et pourrait donc permettre le passage des eaux
Participation in Insland Settings, op.
nément en polders maritimes, grâce au percement d’une brèche dans la digue
marines en cas de hautes mers. Ce second paysage, plus occasionnellement
cit.
frontale et à l’instauration d’un marnage naturel de trente centimètres. Si ce
submergé, serait alors celui d’un schorre, auquel succéderait progressivement
20/10/2000, Florence : article 1.
projet ne faisait initialement aucune place au paysage agricole, le comité de pilo-
et plus en retrait un troisième paysage de prairies et de roselière, lui-même
32. Grégoire Morisseau, En Somme :
Newsletter, s.d.n.l.
tage a souligné l’importance d’une préservation de l’héritage local et d’une
séparé d’un quatrième paysage, celui des polders agricoles ainsi maintenus dans
fin d’études, ENSNP, Blois, 2006, 203 p.
28
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
29. Anonyme, “Wallasea Island:
Restoring the Wild Coast of Essex”, RSPB
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
30. Buiten Consultancy, Stakeholder
31. Convention européenne du paysage,
rendre la terre à la mer, mémoire de
29
une partie des Bas-Champs. L’originalité du projet, outre cette progression des
ment 6,8 % dans l’ensemble de la métropole35. Plus de sept mille sept cents
rythmes de submersion et donc des milieux végétaux, tient aussi au maintien
hectares de terres agricoles de communes littorales ont notamment été perdus,
de l’habitat rural en plein cœur des paysages de schorre et de prairies humides,
entre 1990 et 2000, dans un groupe rassemblant vingt-et-un départements litto-
par le placement de certains bâtiments sur des pilotis ou leur reconstruction
raux sur vingt-six. Dans les communes littorales, les pertes de terres agricoles
en maisons flottantes. Dans des propositions de même nature, faite cette fois
supérieures à six cents hectares se localisent dans les Côtes d’Armor, le Finistère,
33
par un étudiant de l’ENSP de Versailles , la mer traverserait complètement les
la Charente maritime et l’Hérault, et celles comprises entre quatre cents et six
Bas-Champs en perçant le cordon à la hauteur du hâble d’Ault puis en passant,
cents hectares concernent la Vendée, le Var et les Alpes maritimes36. On cons-
dans un mouvement sud-nord, entre Cayeux et une partie maintenue de Bas-
tate ainsi, sans qu’on puisse toutefois affiner cette analyse, que les départements
Champs, avant de rejoindre la baie de Somme. La zone de Cayeux se transfor-
de la façade atlantique évoqués dans cette liste comprennent de vastes étendues
merait en île, alors qu’une partie des Bas-Champs serait conservée. Les nouvelles
de polders agricoles. Or, en analysant de manière conjointe dans une autre étude
digues de mer et le rempart de Cayeux, construits pour bien protéger ce secteur,
la fragilité de l’agriculture littorale et la pression foncière urbaine, l’IFEN a noté
serviraient en outre de points hauts d’où les promeneurs et les touristes pour-
une corrélation intéressante entre ces deux phénomènes : cela concerne en parti-
raient admirer la mer et le paysage dépoldérisé. Là encore, comme dans l’étude
culier des régions de polders, comme l’estuaire de Seine, le littoral sud de la
de Morisseau, sont évoqués de possibles usages des marais restaurés (pâturage,
Bretagne, l’île de Noirmoutier ou le sud de la Charente maritime. Le marché
chasse, aquaculture, culture de la salicorne). On note donc, dans ces deux études
foncier résidentiel ou de loisir, en plein essor dans ces secteurs, vient par consé-
relatives aux Bas-Champs, que la réflexion paysagère autour de la dépoldérisa-
quent amplifier les risques de disparition des terres agricoles dans des zones
tion s’est faite à l’échelle du pays tout entier et qu’elle a, comme dans les cas
d’agriculture fragile, comprenant par exemple des polders en déprise37. En ce
précédents, accordé une grande place à l’homme, à son histoire et à d’éventuelles
sens, la possibilité de dépoldériser par petites touches nous semble être une alter-
activités nouvelles (élevage, aquaculture, culture de la salicorne).
native intéressante à l’urbanisation diffuse et au mitage du paysage littoral. Ce
serait là une méthode novatrice et durable de restaurer les qualités naturelles
le rôle de la dépoldérisation à l’échelle du paysage littoral
européen
du paysage sur des littoraux déjà densément urbanisés.
On peut s’interroger, pour finir, sur l’intérêt d’étendre cette nouvelle forme de
Comment faire accepter ce changement radical de statut et de paysage des
gestion des côtes à polders aux littoraux européens touchés par une urbanisa-
polders agricoles et offrir une réponse aux revendications qui ont introduit cet
indicateur. Evolution de la SAU des
tion croissante et un mitage résidentiel. En effet, de nombreux polders, on l’a vu,
article ? Il nous semble que la proposition faite par Pierre Donadieu il y a
exploitations agricoles des communes
sont touchés par la déprise et l’enfrichement et peuvent facilement devenir la
quelques années, dans la conclusion de Paysages de marais, s’appliquerait bien
1970 et 2000, 2006, 6 p.
proie des promoteurs immobiliers, pour peu qu’ils soient situés en zone litto-
aux nouveaux polders maritimes : “La reconnaissance sociale du marais passe
36. Observatoire du littoral, IFEN, Fiche
rale urbanisable. Cette déprise des polders s’inscrit dans le mouvement généra-
par une transformation des regards collectifs portés sur lui. Le marais doit être
communes littorales en 2000 et
lisé de recul de l’agriculture, qui frappe actuellement l’ensemble des côtes
reconnu à la fois comme infrastructure naturelle et comme paysage. […] C’est
inscrire la mer dans un nouvel espace
européennes. Deux mille kilomètres carrés de terres agricoles ont ainsi été perdu
ainsi que le marais nous deviendra familier et utile, tout en gardant sa précieuse
indicateur. Pression foncière urbaine
de projet, travail personnel de fin
dans dix-sept pays européens entre 1990 et 200034. Les pertes les plus élevées,
et merveilleuse étrangeté qui signe son identité38”. L’idée est de rendre les marais
sur les espaces ruraux hors zones à
dans une bande littorale de dix kilomètres, concernent le Portugal, les Pays-Bas,
– et dans notre cas les polders maritimes – aussi “désirables” que le sont devenus
33. Dany Hermel, La dépoldérisation
des Bas-Champs en Baie de Somme :
d’études, ENSP, 2001, 77 p.
34. European Environment Agency,
35. Observatoire du littoral, IFEN, Fiche
littorales et de leur arrière-pays entre
indicateur. Occupation du sol dans les
évolution depuis 1990, 2005, 8 p.
37. Observatoire du littoral, IFEN, Fiche
urbaniser, dans les cantons littoraux,
2005, 5 p.
la Belgique, l’Irlande et l’Italie. En France par exemple, la surface agricole a chuté
le littoral et la forêt aux XVIII et XIX siècles. Un intérêt croissant pour ce milieu
38. Pierre Donadieu (dir.), Paysages de
112 p.
de vingt pour cent dans les communes littorales entre 1970 et 2000, contre seule-
passerait par son acceptation en tant qu’infrastructure naturelle, pouvant offrir
199 p.
30
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
“The Changing Faces of Europe’s
coastal areas”, EEA Report, n° 6, 2006,
e
e
polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
marais, Pierre de Monza, Paris, 1996,
31
à la société des bienfaits écologiques, économiques, patrimoniaux et paysagers.
lidation des barrages et rehaussement des digues) sans reculer face à elle. Les
En l’occurrence, si un polder agricole présente un intérêt économique par ses
Néerlandais envisagent même de poursuivre leur “avancée” sur la mer, en cons-
productions et un intérêt patrimonial par les éléments culturels et identitaires
truisant devant les côtes zélandaise et hollandaise des îles artificielles faisant
de son paysage, un polder maritime nous semble proposer une plus grande diver-
office de gigantesque brise-lames41. De ce fait, les dépoldérisations défensives
sité de bienfaits39 : sur le plan écologique, ces espaces sont favorables à l’épura-
ne prendront certainement pas plus d’ampleur dans ces deux pays.
tion des eaux terrestre avant leur arrivée en mer et à celle des eaux marines qui
y pénètrent ; sur le plan patrimonial, ils permettent la renaissance d’éléments
Dans de telles conditions, il n’est pas certain que les polders de nature et les
polders maritimes continuent, à l’avenir, d’avoir le vent en poupe.
naturels disparus, sans conduire à la destruction systématique des éléments
culturels qu’ils contiennent ; sur le plan économique, ils permettent le passage
à une nouvelle activité économique parfois plus rentable que l’agriculture littorale – le tourisme de nature – et réduisent les coûts de protection côtière en cas
d’élévation du niveau marin ; enfin, ils offrent des paysages moins monotones
et figés que les polders agricoles.
Mais n’oublions pas que l’évolution récente du contexte économique mondial,
avec l’explosion de la demande agricole des pays émergents et la hausse du prix
des denrées alimentaires, pourrait avoir des conséquences importantes sur la
Politique agricole commune. En l’occurrence, cette évolution pourrait se traduire,
après des décennies de restriction de la production européenne, par la levée
progressive des quotas laitiers et l’abolition de la mise en jachère des terres céréalières – mise en jachère déjà levée durant les campagnes agricoles de 2004 et
200740. Ces deux décisions, dont l’Europe aura à débattre dans les prochains mois,
pourraient se traduire par une extension des terres céréalières et des prairies
ou des terres produisant des fourrages, pour favoriser l’élevage laitier. Cela ne
conduira certainement pas à repoldériser les quelques espaces qui ont été rendus
à la mer dans les vingt dernières années. Mais ce retournement de la conjoncture
agricole pourrait limiter la déprise littorale et porter un coup d’arrêt ou imposer
un ralentissement à la politique de dépoldérisation et aux mutations paysagères
récemment observées.
Le changement climatique, de son côté, ne poussera pas non plus, nécessairement, à l’essor du mouvement. En l’occurrence, seule la Grande-Bretagne a généralisé, pour l’instant, des mesures d’adaptation au changement climatique
39. Lydie Goeldner-Gianella,
prenant la forme de dépoldérisations. En Allemagne et aux Pays-Bas, où les
“Dépoldériser en Europe occidentale”,
risques de submersions des terres par la mer sont les mêmes, on continuera à
Annales de Géographie, n° 656, 2007,
p. 339-360
l’avenir de privilégier des formes traditionnelles de défense contre la mer (conso-
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polders du XXI e siècle : des paysages diversifiés et mouvants
40. “Titre article ?”, Le Monde, 21
novembre 2007.
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