Histoire d`une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la fédération
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Histoire d`une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la fédération
PRIX DE LA FONDATION JEAN-JAURES 2000 Sandra Mériaudeau Histoire d’une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la fédération socialiste de l’Ain, 1944-1969 Maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction de M. Étienne Fouilloux Université Lumière Lyon2 2000 Histoire d’une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la Fédération socialiste de l’Ain 1944-1969 RÉSUMÉ DU MÉMOIRE Notre mémoire de maîtrise retrace l’évolution de la SFIO à travers l’étude du cas particulier de la fédération socialiste de l’Ain de 1944 à 1969. Cette dernière n’a certes pas l’influence ni le rayonnement des fédérations des Bouches-du-Rhône ou du Pasde-Calais, néanmoins l’Ain est représentatif de la masse des petites fédérations que Marc Sadoun qualifie de “modèle SFIO’’1, celles caractérisées par une “série de manque’’. Ces manques, mis en évidence au terme de la période étudiée, sont le résultat final d’un processus d’affaiblissement lié autant au contexte historique du socialisme français de l’après-guerre qu’à l’attitude même des militants du département. C’est pourquoi nous proposons une lecture de l’histoire de la fédération socialiste de l’Ain de 1944 à 1969 sous le signe d’un triple affaiblissement. L’affaiblissement du recrutement À l’instar du Parti socialiste, nous constatons que les sources d’affaiblissement de la fédération du point de vue de son recrutement sont triples. Il est à la fois numérique, physique et sociologique. ! Numériquement, la fédération manque de militants. Après l’euphorie de la Libération, dès 1948 l’évolution des adhésions s’inverse et les effectifs diminuent d’abord rapidement (1948-1953), puis plus progressivement (1954-1969). Ce manque à la fois de militants et de militantisme se répercute sur la viabilité des sections : celles-ci disparaissent ou tombent en léthargie. La fédération ne dispose plus alors de relais locaux pour la diffusion du socialisme dans le département. ! L’affaiblissement que nous appelons “physique’’ correspond à l’absence de renouvellement des militants. Nous constatons d’une part que la fédération est affaiblie par le vieillissement de ses militants (qu’ils soient militants de base ou partie de la hiérarchie fédérale). Le vieillissement des militants est plus manifeste au sein de la hiérarchie qu’au sein de l’ensemble de la fédération. L’évolution de sa structure par âges est liée à son incapacité à recruter, en général et parmi les jeunes en particulier. Les Jeunesses Socialistes de l’Ain ressemblent plus à un groupement fantomatique, rarement en activité, qu’à une structure dynamique. ! La fédération, comme l’ensemble de la SFIO, est aussi affaiblie par l’aspect interclassiste2 de son recrutement. La SFIO s’affirme comme le parti de la classe ouvrière, or dans l’Ain, les socialistes sont plutôt représentatifs de la classe moyenne. En effet, les militants appartiennent au corps enseignant, aux professions libérales, au commerce et à l’artisanat, peu en revanche au monde ouvrier. Les ouvriers sont absents de la hiérarchie partisane. La raréfaction de la classe ouvrière au sein de la structure fédérale est mise en évidence à la base par les militants et confirmée par l’analyse sociologique du recrutement. Les candidats socialistes aux élections cantonales et législatives illustrent une fédération dépourvue d’ouvriers, recrutant dans les classes moyennes. SADOUN (Marc), “Sociologie des militants et sociologie du Parti. Le cas de la SFIO sous Guy Mollet’’, RSFP, juin 1988. 2 MORIN (Gilles), De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au Parti socialiste autonome (19451960). Un courant socialiste de la SFIO au PSU, thèse de doctorat 1991, p. 54. 1 Sandra Mériaudeau 1 Histoire d’une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la Fédération socialiste de l’Ain 1944-1969 La chute des effectifs, leur vieillissement, leur “déprolétarisation’’, n’affectent pas la seule fédération de l’Ain. Gilles Morin3, Marc Sadoun4, Alain Bergounioux et Gérard Grunberg5 ont montré que l’ensemble de la SFIO est affaibli de la même façon. Les conséquences de l’affaiblissement du recrutement sont immédiates sur le déroulement de la vie fédérale. Les dysfonctionnements que nous mettons en évidence au sein de l’organisation fédérale sont eux aussi, source de son affaiblissement. L’affaiblissement de la vie fédérale Nous montrons que la SFIO telle qu’elle est organisée doit a priori permettre le fonctionnement de la vie fédérale selon un principe démocratique représenté par la structure pyramidale. Une telle structure donne à chaque militant, section ou fédération la possibilité d’appartenir à une tendance. L’expression des divergences est possible dans la mesure où les décisions viennent de la base et sont avalisées par elle et par tous les niveaux de l’organisation pyramidale. En principe les garde-fous de la structure sont représentés à la fédération par la CEF et la CFC Nous montrons comment la fédération se “sectarise’’ et détourne le principe de fonctionnement de la structure, faute de militants, de respect des tendances. 1) Les secrétaires de section sont l’illustration d’une fédération vieillissante, incapable de se renouveler ou de pourvoir les secrétariats de sections par des jeunes. La correspondance entre le secrétariat fédéral et les secrétaires de section montre des secrétaires fatigués, usés, délaissés par la fédération mais aussi par leurs propres militants qui ne s’investissent pas dans la vie de la section. Nous montrons que la fédération perd autant ses relais locaux par désertion des militants de base, que par renoncement des secrétaires de section “en raison de leur âge”. 2) L’immuabilité des militants appartenant à la hiérarchie fédérale et la prépondérance de la section de Bourg-en-Bresse6 sont sources d’affaiblissement fédéral. L’équipe en place, malgré les actions mises en œuvre et sa volonté évidente ne paraît jamais en mesure de renverser la marginalisation de la fédération amorcée dès 1948. De la même façon, la prépondérance des burgiens affaiblit le fonctionnement fédéral dans la mesure où ils ne sont pas représentatifs de la fédération : la carte électorale du socialisme dans l’Ain montre que les zones de résistance se situent dans l’est du département, dans le Bugey et non dans la Bresse (ouest) qui n’est pas une région de forte implantation socialiste. En outre la section de Bourg est le lieu de tensions politiques et personnelles qui affectent l’ensemble de la fédération puisque ces tensions s’expriment à la CEF 3) Les divergences quant à la ligne politique correspondent à la troisième source d’affaiblissement de la structure fédérale. Le fonctionnement du Parti socialiste Ibid. p. 45-46. SADOUN (Marc), Les Socialistes sous l’occupation. Résistance et collaboration, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, mai 1982, pp. 250-251. 5 BERGOUNIOUX (Alain), GRUNBERG (Gérard), Le Long remord du pouvoir. Le Parti socialiste français 1905-1992, Paris, Fayard, 1994, p. 186. 6 Bourg-en-Bresse est le chef-lieu du département de l’Ain. 3 4 Sandra Mériaudeau 2 Histoire d’une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la Fédération socialiste de l’Ain 1944-1969 permet, en son sein, l’existence de tendances en vertu du principe démocratique défendu par la SFIO A priori un tel fonctionnement favorise l’expression de chacun et est la garantie que les militants approuvent par leur vote majoritaire la politique proposée par les dirigeants. Dans l’Ain, les tendances politiques sont exacerbées par des divergences personnelles favorisant la création d’un climat délétère qui sans doute agit négativement sur le recrutement et les efforts déployés. Les principes de fonctionnement de la fédération sont bafoués : détournement de vote, campagnes d’influence de militants pour favoriser l’adoption d’une décision. Aussi pouvons-nous affirmer que la naissance du CAGI ou du PSA dans l’Ain sont à la fois l’expression de divergences quant à la politique molletiste soutenue par une majorité de socialistes, mais aussi et surtout la conséquence de tensions personnelles. Le fonctionnement fédéral étant “corrompu” par les militants, la fédération n’est plus à même de répondre à l’action de propagande et les mauvais résultats électoraux en sont la manifestation. L’affaiblissement électoral Nous parlons d’un affaiblissement électoral dans la mesure où la fédération à la Libération est en position de force du point de vue de sa représentation électorale. Les socialistes envoient un de leurs camarades à la Première et Deuxième Constituantes, prennent la présidence du conseil général, dirigent de nombreuses mairies. Or, à partir de 1948, ils perdent des voix et des sièges dans tous les scrutins électoraux. Au terme de notre période d’étude (1969), nous pouvons dire que la SFIO est redevenue une formation politique marginale dans l’Ain. Parallèlement à l’effondrement de la SFIO sur le plan électoral, nous montrons aussi que les socialistes dans l’Ain ne réalisent pas leurs meilleurs scores dans les régions ouvrières, mais dans les cantons ruraux. En outre, les candidats présentés par la fédération lors des scrutins sont davantage représentatifs des radicaux que des socialistes. En effet, ces derniers sont agriculteurs, artisans commerçants ou issus des professions libérales. Nous ne validons pour l’Ain, ni l’hypothèse développée par Duverger dans “SFIO : mort ou transfiguration !” ni celle proposée par Bergounioux et Grunberg dans Le Long remords du pouvoir : nous rejetons l’idée d’une mutation du socialisme comme celle d’une dégradation du modèle socialiste originel et proposons l’hypothèse d’une collusion entre radicalisme et socialisme dans l’Ain, le socialisme se servant du radicalisme comme appui électoral, ce que prouve l’évolution des voix socialistes obtenues dès lors que la fédération s’allie avec les radicaux. La solution d’un renouveau pour le socialisme dans l’Ain semble être dans l’alliance de la gauche non communiste. Au cours de notre recherche nous avons mis au jour un fonds d’archives privées7 appartenant à la famille de Gilbert Coltice, secrétaire fédéral de l’Ain de 1948 à 1966, Ce fonds d’archives privées contient une très importante correspondance entre le secrétariat fédéral et les militants, mais aussi entre les secrétariats fédéral et national. En outre nous avons répertorié diverses collections de journaux (Le Travailleur de l’Ain, organe de la fédération du Parti socialiste SFIO, Le Libérateur, organe du M.L.N. puis du C.A.G.I), de revues socialistes (Bulletin Intérieur, La Documentation politique, Arguments & Ripostes) 7 Sandra Mériaudeau 3 Histoire d’une fédération du Parti socialiste S.F.I.O. : la Fédération socialiste de l’Ain 1944-1969 presque sans discontinuer. Grâce à ce fonds8 nous avons pu enrichir notre mémoire de la parole des militants et lui donner sans doute un plus d’humanité. Ainsi nous pouvons montrer, au terme de la période étudiée, que la fédération est représentative du modèle SFIO définie par Marc Sadoun. La fédération de l’Ain est affectée par un manque de militants, d’élus, d’organisation, et d’identité sociale. En outre, l’évolution de cette fédération, compte tenu de ce descriptif, est aussi à bien des égards représentative de l’évolution de l’ensemble du Parti socialiste SFIO. Nous mettons en évidence ici, que sans ce fonds ce mémoire n’aurait pu voir le jour dans la mesure où nous ne disposions pas d’autres sources justifiant une recherche historique. En effet, nous n’avons pu bénéficier des archives de la fédération socialiste de l’Ain actuelle dans la mesure où leurs archives sont inexistantes. Les archives de l’OURS sont néanmoins intéressantes, mais elles n’auraient pas permis à elles seules une analyse fine de l’évolution de la fédération de l’Ain. 8 Sandra Mériaudeau 4