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La réglementation de la
microfinance :
entre protection des clients et
développement des IMF
Evènement co-organisé par le Club Microfinance Paris,
Convergences et la Fondation Grameen Crédit Agricole
Présentation des intervenants :
 Camille Huret (CH), Multi-Regional Investment
Officer chez ResponsAbility (un des plus grands
fonds d’investissement en microfinance),
familière notamment avec le cas de l’Asie centrale.
 Michaël Knaute (MK), Directeur général d’OXUS
(un des principaux opérateurs de microfinance
français), animateur de la conférence et
intervenant en tant que dirigeant d’IMF, en Asie
centrale et en Afrique centrale.
 Laurent Lhériau (LL), Consultant en régulation
financière, docteur en droit et expert en
réglementation de la microfinance, notamment en
Afrique de l’Ouest.
Introduction :
MK : La microfinance s’est fortement développée
depuis son démarrage il y a 40 ans. 150 millions de
clients dans le monde sont aujourd’hui servis par près
de 10 000 institutions de microfinance (IMF) de tailles
et de statuts très divers. Cette forte croissance a
notamment été permise par un cadre libéral où les
autorités de tutelle ont laissé les IMF se développer
avec assez peu de contraintes.
Ce développement exponentiel du secteur a également
engendré un certains nombres de dérives et de
risques : surendettement, pratiques agressives, faillites
d’institutions ont été observés dans de nombreux pays.
Pour y faire face, deux chemins d’action se sont
récemment développés : d’une part des initiatives
d’autorégulation mises en place par les acteurs du
secteur (e.g. SMART Campaign, Standard Universels de
Gestion de la Performance Sociale, …) et d’autre part,
une réglementation accrue du secteur par les autorités.
Cette seconde question est l’objet de cette table-ronde
et visera à répondre à la question suivante : comment
les superviseurs peuvent faire évoluer le cadre
réglementaire pour à la fois diminuer les risques sans
toutefois stopper le développement du secteur ?
Evolution de la réglementation de la
microfinance
MK : Pour commencer, pourriez-vous nous donner un
historique de la réglementation en microfinance,
depuis une trentaine d’années ?
LL : D’un point de vue juridique, les éléments principaux
qui constituent la microfinance sont, entre autres :
l’épargne, le crédit et le transfert d’argent. Toutes ces
activités relèvent normalement du monopole bancaire.
Au commencement de l’activité bancaire, il y a plus
d’un siècle, il n’y avait pas de loi.
Dans les années 1970, des lois bancaires existaient
partout dans le monde et la première initiative de
microfinance menée par le professeur M. Yunus était
complètement hors la loi.
Dans les années 1980-90, les banques publiques de
développement ont commencé à donner des
subventions pour des projets de microfinance, sans que
ces projets ne soient représentés par aucune personne
morale. Une des premières décisions a donc été de
donner une consistance juridique à ces initiatives qui
sont pour la plupart devenues des associations. C’était
la première fois que des associations fournissaient des
services financiers, et cela a constitué une véritable
innovation juridique. Mais le développement des
activités de ces associations vers l’épargne a levé de
nouveaux problèmes, notamment celui de la protection
de l’épargnant.
Dans les années 1990, la régulation du secteur de la
microfinance a connu une importante évolution, avec
notamment la création de nouvelles catégories
juridiques (Institutions de microcrédit, Institutions de
microfinance…). Il y a ensuite eu une seconde phase,
traduisant une volonté de professionnalisation du
secteur à la suite de nombreuses faillites. En effet, les
institutions étaient le plus souvent gérées par des ONG
qui n’étaient pas spécialisées dans la gestion de
portefeuille de crédit. Ces nombreuses faillites ont
mené à une restructuration du secteur. L’exemple du
Maroc à la fin des années 90 sur ce point est très
adapté. Certaines associations de microfinance ont pris
une telle ampleur, qu’elles n’ont plus pu contrôler leur
activité. Les faillites et rachats consécutifs ont permis
d’autoréguler le marché. Cependant le risque devient
beaucoup plus important lorsque les institutions en
faillite étaient gérante d’épargne. A cette époque, l’on
en revient aux bases de la réglementation bancaire :
contrôle interne, reporting, tenue de comptabilité aux
normes, lutte contre les fraudes internes,
indépendance du superviseur, nombre limité d’acteur
dans le secteur…
MK : Y-a-t-il des différences géographiques au niveau
de la régulation ?
LL : Il y a des cultures différentes, quand les anglo-saxon
auront tendance à être très pragmatiques, l’Afrique
francophone sera davantage portée sur le mutualisme,
tandis que l’Amérique du Sud aura tendance à moins
réguler, ce qui mènera à des pratiques plus agressives.
Toutefois, l’on observe une convergence des pratiques
et réglementation au niveau mondial.
Objectifs de la régulation : protection des
clients et solidité des IMF
MK : Comment la réglementation peut diminuer les
risques de faillite notamment en cas de prise de
dépôt ?
LL : Le principe de base est de ne jamais autoriser une
association à récupérer l’épargne, car il n’y pas de
capacité de recapitalisation en cas de faillite,
contrairement aux S.A. ou aux mutuelles.
Ensuite, il s’agit de reprendre les principes
fondamentaux de la régulation bancaire, en les
adaptant à la microfinance. Ces principes comprennent
notamment : une supervision prudentielle avec un
superviseur indépendant (banque centrale), un capital
minimum, certains ratios de fonds propres à respecter
ainsi qu’un bon système d’information pour assurer un
contrôle interne et un reporting efficace (transparence
financière).
Mais la réglementation aura beau être très élaborée,
cela n’empêchera pas des faillites. Il convient de
rappeler qu’entre 2009 et 2010, la Federal Deposit
Insurance Corporation (FDIC) a fermé une centaine de
banques aux Etats-Unis. De plus, les IMF ne sont, à ce
jour, pas assez importantes pour que l’Etat les sauvent
de la faillite, et il n’existe encore aucun système de
recouvrement de l’épargne. Dans ce cas, ce sont
principalement les petits épargnants qui paient le prix
de la mauvaise gestion des institutions, même si parfois
l’Etat ressent l’obligation de les rembourser pour des
raisons politiques.
MK : Comment la réglementation affecte-t-elle les
activités de crédit ?
CH : La microfinance en Asie centrale a toujours été très
active en matière de crédit, avec très peu de
réglementation. La seule obligation était un capital
minimum, d’un montant relativement peu élevé. Les
institutions de microfinance se sont multipliées,
notamment au Kirghizstan, et touchaient près de 20%
de la population. Le sujet est donc devenu politique et
les autorités ont finalement réalisé le risque que
représentent
les
crédits
parallèles
et
le
surendettement.
Une des premières réglementations avait pour objet les
crédits parallèles, en cherchant à les limiter, sans pour
autant les interdire. Chaque IMF qui contracte un crédit
parallèle doit le provisionner, ce qui affecte donc son
résultat. Cela a permis de diminuer de près de 8 points
la part des crédits parallèles ainsi que d’étendre l’usage
du credit bureau. Cette réglementation a donc mené à
l’amélioration de la transparence au sein du secteur et
à la responsabilisation des IMF face au problème de
surendettement.
La protection des consommateurs a également
motivée une deuxième réglementation. L’Etat a fixé un
cap de 37% pour les taux d’intérêt. Encore une fois, il
n’y a pas d’interdiction formelle mais la loi dispose
qu’un client peut poursuivre une IMF en justice si elle
pratique des taux supérieurs. Cette régulation est un
très bon exemple des problèmes d’adaptation des lois
bancaires à la microfinance. Le taux a été en effet fixé
sans tenir compte des risques et coûts particuliers
auxquels les IMF font face. Cela a mis en difficulté de
nombreuses IMF, certaines ne pouvant plus dégager
une marge suffisante pour couvrir leurs coûts.
Certaines réglementations sur la transparence ont
également été énoncées, comme par exemple au
Tadjikistan, où les IMF n’ont plus le droit d’utiliser des
commissions, mais doivent uniquement communiquer
le taux effectif global (TEG).
Toutes ces mesures, qui ciblent les activités de crédit,
ont pour but la protection du client, que ce soit de luimême (surendettement), ou des IMF (transparence et
taux), et ont des effets plus ou moins positifs sur
l’activité de microfinance.
Enjeux, domaines et acteurs de la
réglementation
MK : Et en tant qu’investisseur, que regardez-vous au
niveau de la régulation d’un pays ?
CH : Les investisseurs apprécient en général la
régulation, tant qu’elle est bien adaptée au secteur et
aux différents types d’institutions et d’activités (crédit,
prise de dépôt).
Il s’agit aussi de connaître la capacité de l’organe de
supervision. En effet, de mauvaises réglementations
sont souvent le fruit d’une mauvaise connaissance du
secteur. En reprenant l’exemple du taux d’intérêt
maximum au Kirghizstan, qui n’était pas adapté, on a
constaté que les IMF ont été forcées d’augmenter le
crédit moyen pour couvrir leurs coûts, soit en
proposant des crédits trop importants à leurs clients, ce
qui les mènent à un surendettement, soit en changeant
de population cible, ce qui réduit l’inclusion financière.
MK : Est-ce que les investisseurs sont soumis à une
réglementation spécifique ?
CH : Il y a des limitations au niveau du capital investi,
par exemple au Pakistan où les IMF détenues en
1
La « technique du pingouin » consiste à créer un scandale de voisinage
en annoncent la qualité de mauvais débiteur de l’emprunteur.
majorité par des ONG doivent le rester, ce qui limite les
nouveaux entrants. C’est un véritable risque pour les
IMF qui veulent se développer et accroître leur
portefeuille de crédit.
Les instruments financiers sont aussi contrôlés. Dans
certains pays les IMF ne peuvent contracter des crédits
qu’en utilisant des loans agreements. Parfois c’est le
domicile de l’investisseurs qui limite, comme en Suisse,
où l’on oblige l’utilisation de promissory note.
LL : En ce qui concerne la capacité des superviseurs,
l’information et la compréhension du secteur ne suffit
pas. Il est important que les responsabilités soient bien
définies. Par exemple au Maroc, la centrale des risques
a bien identifié celui que représentait l’endettement
croisé, mais n’a pourtant pas réagi.
De mauvaises régulations peuvent également mettre
en péril l’épargne de la population en minant la
rentabilité des IMF, ce qui arrive quand les taux d’usure
fixés sont trop bas. Dans certains cas, les IMF sont
même incapables de respecter la loi.
Ceci met en avant la question primordiale de la
compréhension du secteur, non seulement par les
autorités, mais aussi et surtout par les clients. C’est
notamment ce que l’on retrouve dans certaines règles
concernant le format du contrat, sa clarté et sa
transparence. Le client a en effet le droit de savoir et le
droit de comprendre.
D’autres domaines méritent aussi que l’on y porte une
attention particulière, et sont plus délicats à réguler.
C’est le cas du recouvrement des dettes qui, couteux et
chronophage, n’est pas adapté à de petites sommes.
Certaines IMF ont recours à des méthodes
parajudiciaires, comme la « technique du pingouin » 1
ou autre pression morale, qui comme on l’a vu lors de
la crise de 2008, peuvent mener à des suicides. Ces
pratiques douteuses ne sont pas encore régulées. C’est
également le cas du mobile banking qui pose
l’importante question des libertés individuelles et de la
régulation des bases de données informatiques, qui
sont
parfois
considérées
comme
données
commerciales. De plus, ces bases sont génératrices
d’erreurs d’information sur les clients, qui sont d’autant
plus dangereuses qu’elles se propagent très vite. Au
Kenya, par exemple, Safaricom dispose de tous les
droits sur sa base de données. Les dérives, en
particulier dans les régimes autoritaires peuvent avoir
des conséquences terribles sur la population.
MK : Un point sur la lutte anti-blanchiment
LL : Comme dans le système bancaire classique, le
blanchiment d’argent est également un problème en
microfinance. Il faut avant tout s’assurer de l’intégrité
de la gouvernance de l’IMF, afin qu’elle ne soit pas aux
mains d’un blanchisseur. L’origine des clients doit elle
aussi être contrôlée, en effet en cas dépôt de taille
significative, un risque de dépendance peut se créer.
C’est pour cela qu’il faut repérer les potentiels
blanchisseurs très rapidement. On retrouve le même
problème dans les transferts d’argent Nord-Sud. La
lutte anti-blanchiment à ce niveau-là n’est pas toujours
adaptée à la microfinance.
Recommandations pour une croissance du
secteur plus responsable et plus solide
MK : Au sein des opérateurs internationaux de
microfinance, on observe une acceptation de plus en
plus importante de la régulation, même chez les anglosaxons, qui sont pourtant d’habitude très libéraux.
De nombreuses initiatives d’autorégulation et de
responsabilisation du secteur comme la SMART
Campaign, les Standard Universels de Gestion de la
Performance Sociale ont été lancées ces dernières
années … En tant qu’IMF, nous recevons une pression
assez importante pour le respect de ces standards,
notamment de la part de nos partenaires investisseurs.
Ces initiatives sont bonnes mais ne remplacent pas une
véritable régulation. On ne peut bien sûr laisser les
acteurs se réguler seul, les pressions externes étant très
fortes (compétition, attentes des investisseurs, etc …).
Au Kirghizistan, une régulation tolérante a mené à une
saturation forte du marché du microcrédit, avec des
pratiques limites (crédit parallèle, manque de reporting
au credit bureau, manque de transparence sur les taux
d’intérêt). Les changements importants de régulation
en cours (sur les taux d’intérêt, les crédits parallèles, etc
…) sont très positifs et probablement la seule réponse
possible. Ils permettront au secteur de se développer
de manière plus responsable et plus durable.
Même si nous sommes chez OXUS en faveur d’un cadre
réglementaire solide (que ce soit pour les opérations de
crédit ou d’épargne), on peut cependant faire quelques
recommandations :
 Une plus grande anticipation du régulateur : on
observe en effet souvent des réformes très (trop)
brusques en réaction au contexte politique qui
mettent en danger certaines institutions (manque
de temps pour se mettre à niveau) ;
 Des définitions plus précises : on observe parfois
un manque de clarté sur les définitions,
aboutissant à une certaine confusion ;
 Une compréhension d’un bon taux d’intérêt en
microfinance, afin de refléter la réalité
économique du secteur (qui a des coûts
d’exploitation plus élevés que la banque
classique).
Dans les pays où la microfinance n’est pas encore
développée, le but ultime de la régulation serait de
permettre une croissance du secteur plus lente, plus
contrôlée, plus transparente et visant à s’assurer de la
solidité financière et opérationnelle des institutions.
Questions du public :
Q1. Comment la réglementation peut prendre en
compte le risque de change ?
LL : Dans certains pays, toutes opérations doivent être
faites en monnaie locale. Il existe également des
garanties auprès des banques.
CH : Les investisseurs aussi essaient de minimiser le
risque de change avec les covenants de leurs accords
de prêt. Ils fixent en effet un maximum du capital
soumis au risque de change.
Q2. Y-a-t-il un taux minimum de rémunération de
l’épargne ?
LL : La rémunération de l’épargne est plutôt faible. Il n’y
a généralement pas de rémunération sur les comptes à
vue.
Q3. Comment repérer les transferts d’argent illicites ?
LL : Des outils informatiques permettent de bien
connaître le client et ses habitudes. Par exemple, des
outils de détection des paiements « Many-to-one » / «
One-to-many » permettent de repérer des anomalies
éventuelles.
Q4. Comment l’Etat peut recouvrir les pertes des
déposants en cas de faillite d’une IMF ?
LL : En Afrique de l’Ouest il n’y a pas encore de fonds de
garantie. La banque centrale est en train d’en mettre
un en place mais celui-ci ne concernera que les
meilleures IMF du pays. C’est donc au client de bien se
renseigner avant de déposer son argent.
Q5. La réglementation n’est-elle pas un frein à l’entrée
de petits projets innovants ?
LL : C’est un frein, mais les banques centrales ne
peuvent pas superviser trop de petits projets. Dans le
cadre de l’activité de dépôt, quand le risque est surtout
porté par l’IMF, il est vrai que c’est un frein à
l’innovation.
Q6. La réglementation est-elle toujours respectée ?
LL : Non, parfois l’organe superviseur n’a pas les
ressources pour mener des visites de terrain, que ce
soit parce que les IMF à réguler sont trop nombreuses,
ou parce que la microfinance n’est pas la priorité du
superviseur.