Semaines no. 10

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Semaines no. 10
LESLIE
AMINE
Galeries Nomades,
Institut d’art contemporain,
Villeurbanne
Supplément Semaines no.10
Galeries Nomades
LESLIE
AMINE
Ce n’est pas la savane couverte
de hautes herbes, de broussailles et
d’arbres, où vivent les grands fauves
du 11 octobre au 24 novembre 2007
la conciergerie art contemporain
la motte-servolex
Leslie Amine est issue de l’école régionale des beaux-arts de Valence, après
avoir étudié quatre années à l’école supérieure d’art et de design de Saint-Étienne.
À La Conciergerie art contemporain, son exposition constitue en soi un projet
spécifique qui réunit œuvres existantes, « finalisées » pour l’occasion, et œuvres
nouvelles, dans une occupation scénarisée de l’espace.
Galeries Nomades, Institut d’art contemporain, Villeurbanne — Le dispositif Galeries Nomades permet à de jeunes artistes diplômés des cinq
écoles d’art de Rhône-Alpes (Annecy, Grenoble, Lyon, Saint-Étienne, Valence) de bénéficier d’une première exposition personnelle dans les
conditions professionnelles de diffusion de l’art contemporain. Tous les deux ans, l’Institut d’art contemporain organise, en coproduction avec
des structures partenaires, cinq expositions qui donnent lieu à la réalisation d’œuvres nouvelles et à l’édition de publications individuelles.
Outil de création innovant, Galeries Nomades constitue un laboratoire mobile permettant de rendre compte de l’actualité et de la vivacité de
l’art contemporain en Rhône-Alpes. Exceptionnellement en 2007, six lieux de diffusion ont accueilli le travail des cinq artistes invités : Leslie
Amine à La Conciergerie art contemporain, La Motte-Servolex (Savoie), Marie Frier au Musée-Château, Annecy (Haute-Savoie), Benjamin
Hochart à la Cité des arts, Chambéry (Savoie) et au fort du Bruissin, centre d’art contemporain de Francheville (Rhône), Ludovic Paquelier à
la galerie d’exposition du théâtre de Privas (Ardèche), et Linda Sanchez à Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme).
L’exposition Ce n’est pas la savane couverte de hautes herbes, de broussailles et d’arbres où vivent les grands fauves a été organisée conjointement par
l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne, et La Conciergerie art contemporain, La Motte-Servolex. Le dispositif Galeries Nomades bénéficie
du soutien particulier du Conseil régional Rhône-Alpes. L’Institut d’art contemporain bénéficie du soutien du Ministère de la culture et de la
communication (Drac Rhône-Alpes), du Conseil régional Rhône-Alpes et de la Ville de Villeurbanne. La Conciergerie art contemporain dépend
de la Ville de la Motte-Servolex. Elle bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes et du Conseil général de Savoie.
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xxxx
Supplément du Semaines no.10 / publié et diffusé par Analogues, maison d’édition pour l’art contemporain, 67, rue du Quatre-Septembre, 13200 Arles, France, tél. 04 90 47 75 97,
www.analogues.fr / abonnement 1 an, 6 volumes bimestriels, 105,60 euros / directrice de la publication Gwénola Ménou / graphisme Emmanuel Leroy / corrections Anne-Laure
Guillot / photogravure Terre Neuve, Arles / imprimerie Laffont, Avignon / papier Arctic the Silk 115 g / © l’artiste pour les œuvres, Analogues pour la présente édition / crédits
photographiques : B. Adilon / dépôt légal avril 2008 / issn 1766-6465
La première impression qui se dégage du travail de Leslie Amine est celle d’une grande
liberté dans l’usage des moyens, des techniques et des matériaux – unis quand même
par une référence à la qualité sensible des objets, à leur dimension tactile : ils occupent
l’espace, ils s’étendent en toutes directions comme des serpents, ils donnent envie de
les toucher, et les couleurs sont toujours fortes. Peu de vidéo, pas de minimalisme. Ici,
l’art est visiblement mis au service d’une recherche qui n’est pas purement formelle,
mais qui est personnelle et qui aspire à se communiquer. Dans et à travers leur apparent
éclectisme, les œuvres d’Amine parlent d’un aspect du monde contemporain parmi les
plus en vue : le mixage toujours plus fréquent de gens nés sous différentes étoiles et qui
ont grandi dans différents univers de signes (pour ne pas toujours utiliser des formules
pompeuses et souvent inappropriées telles que « porteurs de différentes cultures »). Tout
habitant du globe, ou presque, est aujourd’hui obligé de vivre au carrefour de systèmes
de significations issus des coins les plus divers du monde. Cette nécessité est évidemment plus fortement ressentie par ceux qui participent de cette multiplicité dans leur
existence personnelle – qu’il s’agisse des origines « génétiques » ou des conséquences
de déplacements volontaires ou forcés. Se pose alors la question – si facile à critiquer
sur un plan théorique et si difficile à escamoter dans la vie réelle – des « origines » et
des « racines ». Amine nous fait savoir qu’elle appartient elle aussi à un de ces univers
qui auraient fait horreur à Maurice Barrès. Ce désir de savoir d’où l’on vient reste « indéracinable », chez certains individus du moins. Mais suffit-il d’apprendre les recettes de
sa grand-mère ou de « retourner » dans des pays qu’on n’a jamais vus auparavant et d’y
retrouver, peut-être, des cousins du sixième degré ? On a justement parlé d’une « invention de la tradition » : une grande partie des prétendues traditions a été inventée, ou
bricolée, au cours des deux derniers siècles dans le dessein de fonder des États. Mais
« inventer la tradition » peut aussi être une exigence individuelle, et peut-être celle-ci se
justifie-t-elle mieux. Il ne s’agit pas de sculpter à nouveau des masques africains ou des
statues romanes. Ce voyage vers le passé revêt nécessairement une dimension imaginaire. On le voit bien dans le travail d’Amine : aucune recherche d’« authenticité », mais
une prise en compte du brassage dans lequel on vit maintenant, en Afrique, en Europe
ou ailleurs. Elle dit en effet que le lieu le plus exotique qu’elle ait connu est Marseille.
Par ailleurs, la dimension linguistique et les jeux de mots (Vivante à frique) introduisent une dimension ironique, une prise de distance avec les lourdes recherches d’une
« identité » – généralement synthétique – qui aujourd’hui dominent si souvent et dont
on commence à voir les conséquences de plus en plus redoutables. Mieux vaut alors se
mettre à la recherche d’origines rêvées qu’on a soi-même choisies, ou en éprouver au
moins la nostalgie. Et, dans ce cas, tous les recodages sont possibles : une Européenne,
d’origine africaine, peut s’inspirer d’œuvres africaines, qui sont en fait une réélaboration
des apports européens, et aller reproposer ce qui en sortira en Afrique…
Miroirs brisés, morceaux de drapeaux français : ces éléments récurrents dans les
œuvres d’Amine ne se réfèrent pas seulement aux « rêves brisés des immigrés » ou à
quelque chose de ce genre-là. C’est tout un monde de fragments et en fragments qui se
présente à nous, c’est la « rationalité de l’incohérence » dont parle Annie Le Brun. Et
cela, en Afrique comme en Europe. L’univers dans lequel Amine nous introduit, avec
son bric-à-brac culturel, n’est pas, à coup sûr, un problème d’Africains, ni de personne
d’autre en particulier, mais de tous les hommes, en train de devenir partout et en permanence des étrangers dans un monde de supermarchés. Le déracinement dont on
peut se plaindre dans les pays « ex-colonisés » n’est pas seulement le fait d’une violente
imposition de la culture occidentale, comme voudraient le faire croire les thuriféraires
des identités autochtones, toujours prêts à assumer le pouvoir. La désorientation chez
les ex-colonisés n’est pas finalement si différente de celle qu’on peut ressentir partout.
Ce n’est pas une culture qui a triomphé sur les autres. Ce sont plutôt toutes les cultures du monde – en tant que dimension du qualitatif et du sens –, les masques africains
comme les églises gothiques, les récits populaires comme la grande poésie, qui ont cédé
devant les puissances déchaînées du capitalisme, du marché et de l’argent, mais également devant les mass media et leur colonisation de l’imaginaire. C’est sous ce signe que
s’est opérée l’unification du monde. La mondialisation capitaliste n’est pas un brassage
heureux des cultures – ce « multiculturalisme » dont on nous berce les oreilles – ni une
victoire de la culture européenne. Elle n’oblige pas le monde entier à écouter Mozart
ou à lire Shakespeare. C’est sous une publicité de Coca-Cola ou devant un ordinateur
que se réalise cette unité mondiale fondée sur la décomposition et le remixage de l’héritage humain. Un processus qui ne se présente pas comme une explosion de créativité
ou comme le moment où l’esprit humain prend conscience de son unité fondamentale
(laquelle est visible de bien d’autres manières), mais comme une conséquence de son
devenir-marchandise. Rien n’est plus « universel » qu’une publicité de Coca-Cola, plus
immédiatement compréhensible, moins « déroutant ». Le supermarché généralisé constitue ainsi la « culture mondiale » contemporaine.
Leslie Amine a commencé à travailler sur tout cela. Elle a porté les enseignes de magasins européens en Afrique pour en faire des installations, elle a fait la « marchande des
mots » sur la place publique au Bénin. Mais peut-être doit-elle encore, comme beaucoup
d’autres, décider si elle choisit d’être fascinée par ce bricolage mondial sous le signe de la
marchandise et d’y collaborer, ou si elle préfère regarder à travers ce miroir brisé pour
y trouver une pauvreté matérielle et spirituelle vraiment modernes. — Anselm Jappe
The first impression given by Leslie Amine’s work is that of great freedom in the use of means,
techniques and materials—nonetheless welded by reference to the sensitive quality of objects
and their tactile dimension: they fill space, stretch in all directions like snakes, make you
want to touch them, and the colours are always strong. Little video and no minimalism.
Here, art is visibly used for research that is not purely formal but that is personal and wishes
to communicate. In and through its apparent eclecticism, Amine’s works address one of the
most visible aspects of the contemporary world: the increasingly frequent mixing of people
born under different stars and who have grown up in difference universes of signs (to avoid
always using pompous and often inappropriate phrases such as ‘bearing different cultures’).
Almost every inhabitant of the world is now obliged to live at the crossroads of systems of
meanings drawn from the most varied corners of the planet. This need is obviously more
strongly felt by those who participate in this multiplicity in their personal lives—whether this
involves ‘genetic’ origins or is the result of voluntary or forced geographic movement. The
question of ‘origins’ and ‘roots’ is then raised—a subject so easy to criticise from a theoretical viewpoint and so difficult to avoid in real life. Amine lets us know that she too belongs
to one of these universes that would have horrified Maurice Barrès. This desire to know
where we come from is entrenched—in certain people at least. But is it enough to learn your
grandmother’s recipes or to ‘go back’ to countries that you have never seen before and find,
perhaps, some sixth cousins? There has been, rightly, talk of the ‘invention of tradition’: a
large proportion of so-called traditions have been invented or messed about with during the
last two centuries with the aim of founding states. But ‘inventing tradition’ may also be
a personal requirement, and perhaps there is more justification for this. It does not mean
carving African masks or Romanesque statues again. This journey into the past necessarily
has an imaginary dimension. This is seen clearly in Amine’s work: there is no search for
‘authenticity’ but the taking into account of the mixing in which we live today, in Africa, in
Europe or elsewhere. Indeed, she says that Marseilles is the most exotic place that she has
known. In addition, the linguistic dimension and word play (‘Vivante à frique’) form an ironic
dimension, keeping clear of cumbersome searches for an ‘identity’—generally synthetic—that
are now so often dominant and that are having increasingly dreadful consequences. So it is
better to look for dreamed origins that one has chosen oneself or to at least feel nostalgia for
them. And any recoding is possible in this case: a European woman of African origin can
draw inspiration from African works, which are in fact a reworking of European contributions, and go and propose the results in Africa…
Broken mirrors and pieces of French flags—these two recurrent features in Amine’s works
do not just refer to ‘immigrants’ broken dreams’ or something like that. We live in a world
of fragments, in fragments, the ‘rationality of incoherence’ mentioned by Annie Le Brun.
Both in Africa and in Europe. The world that Amine takes us into, with its cultural bric-abrac, is certainly not a problem of Africans or anybody else in particular, but of all people,
who are becoming—everywhere and at all times—strangers in a world of supermarkets. The
uprooting that can be complained about in ‘ex-colonial’ countries does not result solely from
a violent imposition of western culture, as the thurifers of native identities—always ready to
take power—would have us believe. The disorientation among the formerly colonised is finally
not very different to that felt everywhere. One culture is not triumphing over the others. It is
rather that all the cultures in the world as a dimension of the qualitative and of meaning—both
African masks and Gothic churches, both popular stories and great poetry—have given way
to the unleashed forces of capitalism, markets and money, and also to the mass media and
their colonisation of the imaginary. These have formed the the backdrop of the unification
of the world. Capitalist globalisation is neither a pleasant mixing of cultures—the soporific
concept of multiculturalism—nor a victory of European culture. It does not oblige the whole
world to listen to Mozart or read Shakespeare. This global unity based on the breaking down
and remixing of the human heritage is taking place under an advertisement for Coca-Cola
or in front of a computer. The process does not take the form of an explosion of creativeness
or of the moment at which the human spirit becomes aware of its fundamental unity (which
is visible in many other ways) but is like a consequence of its fate as a commodity. Nothing
is more ‘universal’, more immediately understandable and less ‘upsetting’ than a Coca-Cola
advertisement. The ubiquitous supermarket thus forms contemporary ‘global culture’.
Leslie Amine has started to work on all this. She has taken the names of European stores to
Africa to make installations; she has been a ‘word merchant’ in public in Benin. But perhaps
she must, like many others, decide whether she chooses to be fascinated by this global patching up under the sign of commodities and collaborate with it or whether she prefers to look
through this broken mirror to truly modern material and spiritual poverty. — Anselm Jappe
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Leslie Amine
Née en 1981 à Saint-Étienne (Loire)
Vit et travaille à Lyon
Expositions personnelles
2007
Ce n’est pas la savane couverte de hautes herbes,
de broussailles et d’arbres, où vivent les grands fauves,
Galeries Nomades de l’Institut d’art contemporain,
Villeurbanne. Exposition à La Conciergerie
art contemporain, La Motte-Servolex
Expositions collectives
2007Biennale Duta, arts visuels, 2e édition, Douala, Cameroun
2006 Ateliers ouverts, ateliers d’artistes de la ville de Marseille
2005 Boulev’art, 7e édition, Place de l’Etoile rouge, Cotonou, Bénin
Autoportrait, galerie Espace liberté, Crest
2004 Pièce unique dans la vitrine, galerie Espace liberté, Crest
2003 Atelier ouvert, Artistik, Lomé, Togo
Liste des œuvres exposées
Bête fugace I, xxxx, plâtre, cheveux synthétiques,
peinture acrylique, résine, aluminium
Bête fugace II, xxxx, terre, peinture acrylique
Last Shot, xxxx, sac photo, peinture glycéro,
résine, couteaux
Les Mues de bagages, xxxx, Cellophane, adhésif,
résine, peinture glycéro
Les Vues d’ici, xxxx, 6 dessins, aquarelle et feutre sur papier
Jumbo Call Africa, xxxx, feutre et acrylique sur papier
Ambiance africaine garantie, xxxx, blanc de Meudon sur
vitres, 76 ballons de baudruche, plâtre, peinture acrylique,
crochets, Sandow
Connaissance du non, xxxx, mine de plomb, feutre et
acrylique sur papier
Avenir, xxxx, mine de plomb, acrylique, feutre sur papier
Wildnut’s or Wildhammer’s, xxxx, vidéoprojection,
durée 9 min en boucle, réalisée en collaboration
avec Aurélie Nurier
I — Vivante à frique, 2006-2007
Le Coffre, carton, polystyrène, plâtre, peinture acrylique,
roulettes / Vivante frontière, bois, peinture acrylique rouge
et blanche, collage revue Vivante Afrique (1961), Plexiglas /
Les Jarres trouées, seau en plastique, peinture acrylique,
plâtre / Rencontrez !, dessin sur papier, mine de plomb et
acrylique / Petite vivante I, II, III, polystyrène, plâtre et
peinture acrylique / Les déchus, un résistant, plâtre,
peinture acrylique, clous, pitons, cheveux synthétiques /
La Voie tractée, sacs plastiques découpés dits « Belsunce »,
« Tati », ou « d’immigrés »
II — Mapuka Airlines, 2006-2007
Mapuka I, plâtre, tissu, peinture acrylique, bois /
Mapuka II, plâtre, peinture acrylique, résine, cheveux
synthétiques, brosses en plastique, peinture glycéro, bois /
@ Air.fr, Plexiglas brisé (panneau Air France)
III — Wildnut’s, 2007
La Forme frontière, bois, revue Vivante Afrique (1961),
Plexiglas, peinture acrylique, carton gris, mortier réfrac
taire, carton plume, arachides grillées et salées, résine,
vernis, plâtre, végétation artificielle / Vivante frontière II,
bois, Plexiglas, collage revue Vivante Afrique (1961),
peinture acrylique / L’Apparence sauvage, tirage numérique
Titre, xxxx,
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