medias et opinion publique dans les grandes crises politiques en

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medias et opinion publique dans les grandes crises politiques en
Médias et opinion publique Term L-ES élèves
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MEDIAS ET OPINION PUBLIQUE DANS LES GRANDES CRISES POLITIQUES EN FRANCE DEPUIS L'AFFAIRE
DREYFUS
La période qui s'étend de la fin du XIX°s à nos jours marque en France l'avènement puis le triomphe des médias de masse ( le terme apparaît en
1953 et désigne tous les moyens permettant la diffusion massive d'une information dans l'espace et dans le temps).
Les progrès de l'alphabétisation et des moyens de transports à la fin du XIX°s ont d'abord permis la diffusion massive de la presse écrite. Puis, à la
fin des années 1930, la radio entre dans les foyers. Elle est le principal instrument d'information et de propagande pendant la 2°GM.
La télévision se généralise au cours des années 1960. Longtemps monopole d’État, elle concurrence la presse. Depuis les années 1990, Internet et
la téléphonie mobile, les « nouveaux médias » bénéficient en France d'une diffusion très rapide.
Les médias de masse contribuent à cristalliser les jugements et idées en une opinion collective, soit parce qu'ils les portent et les amplifient, soit
parce qu'ils tentent d'influencer les individus et les citoyens.
L'opinion publique ( somme des jugements, valeurs, convictions, préjugés, croyances d’une population. Elle est le résultat de certains comportements
et attitudes plus ou moins durables face à tel ou tel événement et se situe au croisement des comportements personnels et collectifs) , façonnée par
cette double relation se manifeste plus particulièrement à 2 moments de la vie politique d'une nation : lors des élections et dans les crises politiques.
Ce sont surtout ces dernières qui, par l'intensité des enjeux et leur caractère paroxystique, révèlent les rapports entre médias et opinion publique.
Comment, à partir de l'exemple français, médias, opinion publique et pouvoir interagissent-ils en période de crises politiques depuis la fin
du XIX°s ?
Jusqu'à la 2°GM, on assiste à l'émergence des médias et de l'opinion publique (1° partie), puis à des médias et une opinion publique sous influence
voire sous contrôle de l’État entre 1940 et 1968 (2° partie), pour arriver à des médias et opinion publique sur la voie de l'émancipation depuis 1968
(3° partie).
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I: Émergence des médias et de l'opinion publique :
A: L'âge d'or de la presse et l'affaire Dreyfus :
Document 1 : La loi sur la liberté de la presse, une loi républicaine et document 2 : La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ses
grandes modifications.
Une presse libre...
L'enracinement de la République permet l'émergence d'une presse libre.
En 1881, la loi sur la liberté de la presse renforce la conviction que, toute censure écartée, la presse peut
développer le débat d'idées, guider et influencer l'opinion. Aucune autorisation, censure préalable ou restriction à
la publication d'un journal ou d'un ouvrage n'est prévue, sauf en cas de diffamation. La liberté de la presse est une
valeur fondamentale de la République. Cette liberté n'a été suspendue qu'après les attentats anarchistes contre la
Chambre des députés, en1893 et 1894.
…bon marché et informative... La presse devient d'autre part bon marché, informative et attractive. Les innovations techniques facilitent la
diffusion des journaux. Les rotatives qui facilitent l'impression (1872), et les linotypes, qui permettent de composer
depuis un clavier et non plus lettre à lettre (1887), débouchent sur une impression plus rapide et à moindre coût.
Le télégraphe et le téléphone permettent aux journaux de collecter l'information et de réagir plus vite aux
nouvelles. Ils sont distribués plus efficacement grâce au réseau ferroviaire qui s'étend et couvre la France entière.
Les progrès de l'alphabétisation et la baisse du coût de la presse qui s'ouvre à la publicité, favorisent la lecture du
journal qui devient une habitude pour une grande partie de la population. Le citoyen a désormais les moyens de
s'informer.
… qui connaît
considérable
un
essor La presse connaît ainsi un essor considérable avant 1914 et participe à la formation de l'opinion publique. Le
nombre des quotidiens s'accroît, passant de 126 en 1870 à 299 en 1914, leur tirage est X3 entre 1880 et 1914.
Les Français sont en 1900 les 1° lecteurs de journaux au monde. A la veille de la 1°GM, 6000 journalistes
travaillent pour 300 quotidiens qui tirent à peu près 10 millions d'exemplaires.
Les ventes sont dominées par les grands quotidiens populaires, comme Le Petit Journal, qui tire à 1 million
d'exemplaires avant 1914, Le Petit Parisien... Ces journaux cherchent davantage à s'adapter aux attentes des
lecteurs qu'à les influencer. Ils affichent une prudente neutralité politique et privilégient les faits divers et le
divertissement.
La presse d'opinion est moins diffusée, mais très influente. Chaque mouvement politique crée un journal pour son
lectorat militant. Les journaux engagés couvrent toute la vie politique, de l'extrême gauche socialiste (L’Humanité
créé en 1904) à l'extrême droite nationaliste (L'Action française), en passant par les radicaux (L'Aurore créé en
1897), et le centre droit (Le Figaro).
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...et participe à la formation de Le nombre croissant des lecteurs fait émerger une opinion publique qui devient un acteur majeur en temps de
l'opinion publique.
crise politique.
Exemple : l'affaire Dreyfus :
L'affaire Dreyfus est le principal épisode de ces affrontements politiques par journaux interposés.
Chronologie de l'affaire
Une
affaire
d'espionnage A la suite de la guerre de 1870, l'armée française se modernise et essaye de redonner confiance à une opinion
militaire dans une République publique inquiète. Dans ce contexte, la défense militaire est un enjeu majeur du débat politique.
contestée :
En 1894, le contre-espionnage français apprend qu'un officier de l'état-major renseigne les Allemands. Après une
enquête bâclée, le capitaine Alfred Dreyfus, un officier juif est condamné au bagne par un conseil de guerre.
Une affaire judiciaire :
Dreyfus clame son innocence et demande la révision de son procès. En 1896, le commandant Picquart, nouveau
chef du contre-espionnage, conclut à l'innocence de Dreyfus et à la culpabilité d'un autre officier Esterhazy,
cependant acquitté car l'armée n'entend pas reconnaître son erreur.
Pendant plus d’un an et demi, le procès est traité comme un feuilleton judiciaire par la presse, polarisant l’opinion
publique en deux camps bien tranchés : journaux dreyfusards et antidreyfusards font assaut d'éloquence,
fournissant des « preuves » réelles ou manipulées.
Documents 4 et 5 p. 121 et diapo 1: L'affaire Dreyfus et la caricature:
Une affaire politique :
Document 2 p. 119 : « J'accuse » d’Émile Zola:
Le 13 janvier 1898, Émile Zola relance « l'affaire » en publiant dans l'Aurore un article intitulé « J'accuse », lettre
ouverte adressée au président de la République Félix Faure. Cet article a un grand retentissement (Zola est
poursuivi pour diffamation et s'exile à Londres pour échapper à la prison) et entraîne une campagne de presse et
d'opinion en faveur de la révision.
En juin 1899, Dreyfus obtient la révision de son procès. Il est condamné avec des circonstances atténuantes par
un nouveau conseil de guerre. La presse antisémite se déchaîne à l'occasion de ce nouveau procès, mais c'est le
camp de la révision et de l'amnistie qui l'emporte. Finalement, en septembre 1899, le nouveau gouvernement dit
de « défense républicaine » gracie Dreyfus, totalement réhabilité en 1906.
La presse informe, oriente Au cours de cette crise, la presse a acquis le statut de 4° pouvoir et l'opinion publique est devenue un acteur
l'opinion
publique,
mais décisif de la vie publique. La presse a joué un rôle essentiel dans la formation de l'opinion publique, les hommes
reflète
également
ses politiques et les intellectuels (le terme naît pendant l'affaire) prennent position, se mobilisent et mobilisent l'opinion
divisions.
publique par journaux interposés. La presse médiatise l’affaire Dreyfus, la caricature, outil polémique, attise le
débat. Mais par la diversité de ses sensibilités politiques, donc de ses analyses dans ses articles, la presse reflète
aussi les divisions de l'opinion publique.
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B: La presse et la formation de l'opinion publique dans les années 1930 :
Une certaine méfiance des Pendant la 1°GM, la censure est rétablie avec rigueur car l’État entend contrôler l'opinion et maintenir le moral des
lecteurs après 1918
Français. Toute information militaire, tout commentaire défavorable au gouvernement, passent sous la coupe de la
censure. Les articles, dessins et photos censurés sont remplacés par des « blancs ». Une partie de la presse
participe au « bourrage de crâne », exalte le patriotisme, dénigre l'ennemi et légitime la violence. Ce qui incite les
lecteurs à la méfiance et discrédite la presse. En 1918, près de la moitié des titres de presse disparaissent.
La presse doit reconquérir Après 1918, la presse cherche donc à reconquérir l'adhésion des masses, d'autant plus que dans les années
des lecteurs
1930, la radio se diffuse massivement dans les foyers.
Pour accroître son audience et répondre à la demande d'une opinion avide d'information, la presse innove. Elle
propose de grands reportages, elle intègre de plus en plus des images (et de ce fait, met l'accent sur l'aspect
spectaculaire, donc émotionnel) et diversifie ses productions (presse féminine, presse enfantine...).
Une orientation très politique Les journaux d'opinion retrouvent une certaine audience et leur politisation s'accentue. Depuis les années 1930, la
de la presse
presse quotidienne abreuve les Français d’articles sur les scandales politico-financiers, en particulier l’affaire
Stavisky, une escroquerie compromettant plusieurs ministres et députés radicaux alors au pouvoir. Ce n’est pas un
fait nouveau, puisqu’une affaire de corruption, le scandale de Panama, en 1892, avait déjà suscité l’indignation de
l’opinion publique.
Un
contexte
difficile Mais la crise économique qui frappe la France au début des années 1930, la montée des ligues nationalistes et la
s'accompagnant de montée crispation des partis politiques de la gauche communiste à l’extrême-droite nationaliste contribuent à créer un
de l'antiparlementarisme
contexte de crise politique : antiparlementarisme, de droite comme de gauche, rupture du consensus
démocratique, remise en cause des institutions et contestation des valeurs dominantes.
La presse contribue à renforcer la défiance de l'opinion publique envers la classe politique, participant à la montée
de l'antiparlementarisme qui débouche sur la crise du 6 février 1934.
Dossier documentaire p.124-125 : La presse face à la crise du 6 février 1934 :
Une partie de la presse de droite et d'extrême droite s'en prend au régime parlementaire accusé de corruption
généralisée. Les ligues (associations politiques d'extrême droite nationalistes et antiparlementaires de l'entredeux-guerres) appellent à manifester le 6 février 1934.
La police, débordée par une partie des manifestants qui se dirigent vers l'Assemblée nationale, tire sur la foule.
Cette journée d'émeutes antiparlementaires se solde par un lourd bilan : une 20 de morts et une 100 de blessés.
Les journaux réagissent avec violence (cf les titres des articles ou les Unes) : à l’extrême-droite, on dénonce les
"assassins" qui ont fait tirer sur le peuple tandis que le quotidien socialiste Le Populaire dénonce "une tentative de
coup d’État fasciste". L’Humanité condamne également le gouvernement, qui est contraint à donner sa démission.
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Cette crise témoigne de la force de l'opinion publique, qui, formée en grande partie par le presse a fait chuter un
gouvernement. Mais cette crise a également contribué à forger dans l’opinion de gauche l’idée selon laquelle la
France était menacée par le fascisme, contribuant ainsi à la formation du Front populaire, alliance politique et
sociale inédite (coalition de partis de gauche -SFIO, parti radical-socialiste, parti communiste- qui gouverna la
France de 1936 à 1938).
De
nouveaux
apparaissent
médias La presse demeure encore à cette époque le moyen d'expression privilégié des affrontements politiques, mais le
rôle de la radio s'affirme : 10% des Français sont équipés d’un poste de TSF en 1932. De nouveaux médias
progressent : les reportages photos, le cinéma contribuent à apporter de l'émotion au texte. Ces médias modernes
ont donné à la guerre d'Espagne ou à la crise de Munich un écho important.
Jusqu'au milieu du XX°s, c'est donc la presse écrite qui joue un rôle majeur d'information de la population, donc de formation de l'opinion publique,
tout en étant le reflet de cette dernière. L’État se rendant compte de ce pouvoir majeur installe son contrôle sur certains médias, cherchant à contrôler
la diffusion et la nature des informations délivrées et cherchant à son tour à orienter l'opinion publique.
Bilan de la partie I :
– Définissez les termes de « médias », « opinion publique ».
– En quoi la fin du XIX°s peut-elle être qualifiée « d'âge d'or de la presse » ? Quelles en sont les conséquences ?
– En quoi consiste l'affaire Dreyfus ? Quelles en sont les principales étapes ?
– Résumez le rôle de la presse au cours de cette affaire.
– Retracez le contexte général des années 1930. Quel en est le fait le plus marquant ?
– Qu'appelle-t-on « crise du 6 février 1934 » ?
– Quel y fut le rôle de la presse ? Quelles en furent les conséquences ?
II : Médias et opinion publique sous influence voire sous contrôle :
A: La « guerre des ondes » 1940-1944:
Une France occupée et une Après une défaite brutale et l'armistice de juin 1940, la France ne connaît plus de liberté de la presse ou d'opinion.
opinion sous influence
Les journaux, aux ordres de l'occupant ou de Vichy, doivent se soumettre à ce qui leur est dicté, développant
anticommunisme, antisémitisme, hostilité à la Résistance, soutien à Vichy et à la victoire de l'Allemagne.
Toute séance de cinéma , très fréquenté pendant les années de l'Occupation, inclut les actualités de la semaine,
mais les images sont allemandes et le commentaire orienté.
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La radio
dominant
est
le
La guerre des ondes
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média Dans ce contexte, la radio s’impose comme le média dominant, doté de la plus grande capacité de retentissement
dans l’opinion. En 1940, plus de 60% des foyers français possèdent un récepteur.
C’est par la radio que Pétain s’adresse aux Français le 17 juin 1940, tandis que de Gaulle appelle à continuer le
combat dans un message transmis par la BBC, très peu écouté à l’époque, mais qui est resté symboliquement
fondateur de l’appel à la résistance.
Discours de Pétain du 17 juin 1940
Discours de de Gaulle du 18 juin 1940
Par radio interposée, l’occupant et le régime de Vichy, d’une part, la France Libre, de l’autre, tentent de mobiliser
ou d’influencer l’opinion publique. La radio est un instrument de propagande au service de chacun des camps qui
s'affrontent. En 1939-1940, la radio allemande Radio-Stuttgart, émet en français des nouvelles destinées à saper
le moral de la population. C’est le début de la guerre des ondes.
Radio-Stuttgart, Radio-Paris, Radio-Londres.
La
radio
contribue
au La radio est un moyen privilégié par Pétain pour contribuer au « redressement intellectuel et moral » de la France.
redressement de la France Il utilise régulièrement la radio pour légitimer ses discours.
selon Pétain
Radio Paris, sous le contrôle de l'occupant domine. Elle diffuse des bulletins d'informations et des éditoriaux très
collaborationnistes, mais aussi des émissions de variétés, d'humour, des feuilletons, très écoutés car la station,
financée par la propagande allemande, paye bien et attire les vedettes de l'époque.
Des émissions clandestines Très vite, la BBC octroie à la France Libre une longueur d'ondes sur laquelle s'installe l'émission « les Français
écoutées
parlent aux Français ». De Gaulle y intervient 67 fois. Les Français sont de plus en plus nombreux à l'écouter
malgré le brouillage allemand. On y trouve la même palette d'émissions que sur Radio-Paris. Après le bulletin
d'informations du soir très attendu sont diffusés les fameux messages codés à destination des résistants.
Le simple fait d’écouter Radio-Londres est passible de déportation pour fait de résistance en France, mais une
partie toujours plus importante de la population l’écoute, malgré le brouillage. Vichy perd finalement la guerre des
ondes.
Rôle politique mobilisateur De nombreux journaux de l’entre-deux-guerres disparaissent du fait de l’interdiction allemande de 1940. Pendant
des médias clandestins
l’occupation, la propagande allemande soutient des publications collaborationnistes comme Je Suis Partout ou
L’œuvre, et en zone Sud, des quotidiens favorables à la Révolution nationale soutiennent le régime de Vichy.
D’une façon générale, les tirages sont en baisse et le grand public n’adhère pas à ces publications dont le but est
manifestement la désinformation.
Face à la presse collaborationniste, les publications clandestines issues de la Résistance se multiplient - plus de
1000 titres sont publiés entre 1940 et 1944. Les titres les plus diffusés sont Libération, Combat, Le Franc Tireur,
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Mais une opinion publique L’Humanité, Témoignage chrétien, etc. On constate également que l’ensemble des sensibilités politiques est
faisant preuve d'autonomie
représenté.
Diapo 2 : Le STO vu par la presse vichyste et par la presse résistante
On peut se demander quel rôle les médias ont exactement joué dans le basculement de l’opinion publique
française, majoritairement favorable à Pétain en 1940 mais de plus en plus hostile au régime de Vichy au cours
des années suivantes, malgré l’intense propagande déployée par le régime. Les médias de la Résistance ne
peuvent l’expliquer à eux seuls, ce qui prouve que l’opinion publique a une réelle autonomie vis-à-vis de ces
derniers.
Certains travaux montrent par ailleurs que cette opinion est non seulement mobile, mais ambivalente : ainsi, une
partie des Français écoutent à la fois les éditoriaux d’Édouard Henriot sur Radio-Paris, et les messages ou les
chroniques de Radio Londres.
Quoi qu’il en soit, l’attention accordée par l’occupant, par le régime de Vichy, comme par la Résistance et par les
Alliés aux médias confirment l’importance de l’opinion publique en temps de crise politique.
B: La crise du 13 mai 1958 et les médias :
Un
nouveau
médiatique
contexte La radio est le média dominant dans les années 1950-1960, alors que les tirages de la presse écrite diminuent et
qu’à peine 5% des foyers sont équipés d’un poste de télévision en 1958. En 1950, le taux d’équipement des foyers
en postes de radio est d’environ 70% et il s’élève à près de 90% en 1960.
La radio d’État est soumise à la censure, les journalistes doivent suivre un "cahier de consignes" et rendre des
comptes à cinq ministères. Des stations privées, Radio Luxembourg puis Europe n° 1 (1955) viennent
concurrencer ce monopole, mais ces stations sont essentiellement tournées vers le divertissement. Les émissions
au ton plus libre, comme "Cinq colonnes à la Une" sont rares et suscitent la colère du gouvernement - ainsi que la
censure. La presse écrite est également soumise à la censure, en particulier les magazines hostiles à la présence
française en Algérie, comme France Observateur.
Le
« problème
algérien » Après avoir considéré les attentats du 1° novembre 1954, qui marquent le début de l'insurrection algérienne,
débouche sur la crise du 13 comme un simple trouble de l'ordre public qu'il fallait réprimer au moyen de forces de police, le gouvernement
mai 1958
décide en 1955 d'envoyer l'armée puis le contingent (à partir de 1956) sur le sol algérien.
En 1956, la question algérienne prend une importance croissante : l'instabilité ministérielle s'installe et l'opinion
manifeste de plus en plus son désaccord avec les orientations du pouvoir (envoi du contingent, pratique de la
torture).
En 1958, aucune solution au « problème algérien » n'a été trouvée. Au terme d'une longue crise ministérielle,
Pierre Pflimlin est investi président du Conseil le 13 mai et annonce qu'il envisage de négocier avec le FLN (Front
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de Libération Nationale). Aussitôt, la population européenne d'Alger s'insurge, soutenue par l'armée, et réclame un
« gouvernement de salut public » qui garde l'Algérie dans la France. La France semble au bord de la guerre civile.
Certains lancent un appel à de Gaulle, qui, en tant que chef de la Résistance et refondateur de la République en
1944, apparaît comme l'homme providentiel. Il est nommé à la présidence du Conseil.
Des médias jouant un rôle Documents : La crise du 13 mai 1958 dans les médias.
essentiel
La presse, la radio et la télévision ont joué un rôle essentiel dans ces événements qui ont scellé la fin de la IV°
République. La radio a retransmis des événements vécus en direct, tels que les déclarations du général Salan,
commandant en chef en Algérie, et son « Vive de Gaulle » lancé le 15 mai, puis celles du général de Gaulle qui se
dit prêt à « assumer les pouvoirs de la République » pour mettre un terme à une guerre civile imminente.
Les médias interprètent la crise en faveur de De Gaulle, en établissant par exemple une continuité avec l’appel du
18 juin 1940 et la Libération et en passant sous silence les arguments de ses opposants. Les commentaires lui
sont favorables, le montrant seul et résolu face à une menace de guerre civile. Les actualités construisent l'image
d'une opinion rassemblée derrière le nouveau chef de l’État.
De Gaulle, revenu au pouvoir, comprend l’importance de ces médias – y compris la télévision - et se prononce
pour une mainmise complète de l’État sur l’information.
Bilan partie II :
– Pourquoi peut-on évoquer un rôle grandissant des médias à partir de 1930 ?
– Quel est le média dominant dans ces années ?
– Qu'évoque l'expression « guerre des ondes » ?
– Quel rôle la presse a-t-elle joué pendant cette période ?
– Quels changements connaît le paysage médiatique français au cours des années 1950 ?
– Quelles en sont les conséquences ?
– En quoi consiste la crise du 13 mai 1958 ?
– Quel y fut le rôle des médias ?
– Quelles sont les relations pouvoirs publics-médias-opinion publique durant les années 1940-1950 ?
III : Médias et opinion publique sur la voie de l'émancipation :
A:La crise de mai-juin 1968 : un paysage médiatique plus complexe :
La télévision, nouvel enjeu
Au cours des années 1960, c’est la télévision qui devient le média le plus influent dans l’opinion - 62% des
ménages en sont équipés en 1968.
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Le pouvoir politique comprend l’enjeu qu’elle représente. De Gaulle, convaincu de l'hostilité de la presse, renforce
le contrôle de l’État sur les médias publics. En 1964, est créé l'Office de radio télévision française (ORTF) qui a en
charge le service public de l'audiovisuel, placé sous le contrôle d'un ministre de l'Information. Le gaulliste Alain
Peyrefitte exerce cette fonction.
La télévision joue un rôle important dès l’élection présidentielle de 1965 et aucun parti politique ne peut exister
sans ce média. Mais la question de l’impartialité des actualités et du contrôle de la télévision par le pouvoir est
posée par l'opinion publique.
Mai 1968 : une crise sociale, Mai 1968, amorcé par une révolte étudiante, prolongé par un ample mouvement social et parachevé par une crise
politique...
politique, est, sur le plan médiatique, un moment de rattrapage brutal et spectaculaire du retard accumulé depuis
10 ans par la liberté d’expression en France.
Dossier documentaire p. 132-133 : La radio et la télévision au service de l’État ?
Documents p. 135 : Mai 1968, la critique des médias s'affiche.
Mai 1968 s’est caractérisé, entre autres, par une véritable explosion médiatique comme si la parole publique,
longtemps contenue par la pesanteur gaullienne, se libérait d’un coup. Cette libération a pris surtout la forme d’une
expression spontanée, par voie d’affiches, de tracts, de petits journaux étudiants, de slogans appliqués sur les
murs, de discours improvisés.
… dans laquelle les médias Ces « médias » de fortune dénoncent pêle-mêle, la société de consommation, la morale bourgeoise,
sont très présents
l’autoritarisme gaullien. Ils visent particulièrement la télévision perçue comme le relais du pouvoir.
La critique la plus vive concerne le contrôle de l’audiovisuel par le pouvoir, comme en témoignent les nombreuses
affiches dénonçant la mainmise du gouvernement sur l’ORTF et les articles de la presse d’opposition - L’Humanité,
Libération - critiquant les médias inféodés au pouvoir des classes dominantes au profit de la société de
consommation. C’est par exemple le sens de l’essai de Guy Debord, La Société du spectacle (1967), qui défend la
thèse de l’aliénation de la société par le système marchand.
Le 25 mai, alors que la crise devient sociale et politique, la direction de l’ORTF refuse de relayer les déclarations
des dirigeants politiques et syndicaux hostiles au pouvoir en place. Cette décision entra îne une grève générale
des journalistes - 200 d’entre eux sont licenciés en juin, mais les manifestations se poursuivent en faveur de la
liberté d’information. Les radios périphériques, de leur côté, relaient les déclarations des manifestants.
Les transistors sont alors présents dans quasiment tous les foyers. On écoute les nouvelles dans les piquets de
grève, pendant les occupations d’usine, et dans la rue, lors des manifestations. Mais c’est également grâce à la
radio que de Gaulle parvient en partie à retourner une opinion volatile en sa faveur, avec son allocution du 30 mai.
De Gaulle utilise la radio pour Derrière la « chienlit » (expression de de Gaulle pour désigner Mai 1968), il y avait bien des aspirations voire un
mettre un terme à cette crise programme. Ce réveil de l’opinion, tout au moins d’une partie de l’opinion, est aussi le fruit de la politique scolaire
et universitaire menée par les régimes et les gouvernements successifs depuis 1945 : la massification de
l’enseignement secondaire et, dans une moindre mesure, du supérieur a démultiplié la diffusion du savoir et de
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l’esprit critique. Sans l’avoir voulu, le pouvoir, en accélérant l’effort de scolarisation, a donné à la jeunesse les
moyens d’acquérir une opinion autonome.
La triple crise, sociale, estudiantine et politique, a connu de multiples interprétations contradictoires, mais toutes
les analyses soulignent le rôle central des médias au sein de la société française.
À l’issue de la crise, le pouvoir renforce encore son contrôle sur l’audiovisuel public. Toutefois, cette mainmise
Le pouvoir renforce on n’est plus acceptable pour une partie croissante de l’opinion.
contrôle de l'audiovisuel, ce Dès 1974, Valéry Giscard d’Estaing supprime l’ORTF ainsi que le ministère de l’Information et accorde l’autonomie
qui n'est plus acceptable
aux trois chaînes de télévision et à Radio France. Le contrôle du gouvernement sur l’information et son influence
sur les journalistes continue cependant d’être dénoncé par l’opposition. Vers la fin des années 1970, les "radios
libres" se multiplient dans la clandestinité. Certaines sont animées par des associations ou des groupes politiques
et se distinguent par leur liberté de ton. Elles sont finalement légalisées par la gauche en 1981, qui libéralise
définitivement la communication audiovisuelle l’année suivante. La crise de mai 1968 a donc ouvert la voie à une
diversification et à une libéralisation des médias.
B:L’émergence d’une démocratie d’opinion depuis les années 1990 :
Une crise
politique
rampante
du S’il n’y a pas en France de crise politique majeure depuis 1968, on assiste à une "crise rampante" du politique.
Dans un contexte de chômage élevé et d’incertitude économique, elle se traduit par une montée de l’abstention
aux élections, par de nombreuses alternances politiques entre la droite et la gauche depuis les années 1980 et par
une défiance plus grande de l’opinion vis-à-vis des politiques.
Des médias de plus en plus Dans le même temps, les Français ont accès à des médias de plus en plus nombreux : chaînes télévisées par
variés... confrontés à de câble ou satellite, TNT et surtout, la révolution internet qui offre au plus grand nombre – on dénombre 45 millions
nouveaux enjeux
d’internautes en France, aujourd’hui - un accès gratuit immédiat à de multiples sources d’information (par le
podcasting, par exemple). Le problème du contrôle des médias par de grands groupes financiers, très débattu
dans les années 1980-1990, perd de sa pertinence. Mais d’autres questions surgissent.
Document 4 p. 137 : Médias en crise
… qu'utilise de plus en plus Ainsi, la frontière se brouille entre les médias et l’opinion publique, puisque chacun peut s’exprimer à travers des
l'opinion publique
sites, des blogs et les réseaux sociaux qui deviennent autant d’outils de manipulation politique. La presse écrite a
créé des extensions virtuelles de son support papier traditionnel, mais les journalistes sont concurrencés par des
groupes de citoyens qui peuvent relayer, analyser et commenter l’information. Se pose alors, la question de la
fiabilité et de la qualité de l’information lorsqu’elle est délivrée par des non-professionnels. L’influence croissante de
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la blogosphère s’est imposée en particulier lors du débat sur le référendum portant sur l’adoption du Traité
constitutionnel européen en 2005. Face à une classe politique majoritairement favorable à l’adoption du Traité, à
droite comme à gauche, un mouvement opposé a émergé sur Internet et a contribué à influencer l’opinion des
Français - dans une proportion qu’il est difficile de déterminer, toutefois.
L'émergence
d'une Par ailleurs, la multiplication des enquêtes et des sondages d'opinion (méthode statistique par laquelle, à partir de
« démocratie d'opinion »...
la constitution et de l'analyse d'un échantillon de la population questionnée sur un thème, on entend rendre compte
de l'opinion publique à un instant donné) entraîne l’émergence d’une "démocratie d’opinion", c’est-à-dire une forme
de démocratie directe et individualisée qui ne résulte pas du débat public et de l’expression du suffrage universel
mais de l’influence permanente de l’opinion sur l’action politique.
… et ses dérives
Document 2 p. 137 : Avril 2002, les limites des sondages.
Dans ce mode de fonctionnement, les décisions sont prises pour répondre aux désirs de l'opinion publique, censée
correspondre à celle de la majorité des citoyens. Le recours aux enquêtes et sondages est fréquent et la politique
s'adapte à leurs résultats. Cette évolution vers une démocratie d'opinion s'accompagne d'un risque de dérive vers
le populisme et la démagogie. Le risque est également de minimiser le rôle des partis politiques et de favoriser le
carriérisme de certains hommes politiques.
Certains se réjouissent de la mise en place de cette démocratie d'opinion et considèrent ce phénomène comme un
garde-fou pour les gouvernants, une forme de plus-value démocratique. D’autres, à l’inverse, dénoncent une "
tyrannie de l’opinion " dans laquelle tout le monde doit être en mesure d’exprimer son avis sur tout, cette tendance
influençant l’action politique dans un sens qui peut aller à l’encontre des décisions prises par des représentants
désignés par le suffrage universel.
Plusieurs questions se posent : les sondages peuvent-ils véritablement rendre compte de l'opinion ? Les sondages
influencent-ils ou font-ils l'opinion ?
Bilan de la partie III :
– Quels changements connaît le paysage médiatique français à partir des années 1960 ?
– Quelles en sont les conséquences ?
– En quoi consiste la crise de mai 1968 ?
– Que met-elle en évidence en ce qui concerne les relations pouvoirs publics-opinion publique-médias ?
– Quel y fut le rôle des médias ?
– Quelles sont les grandes évolutions du paysage médiatique français dans les années 1990 ?
– Quelles en sont les conséquences ?
Médias et opinion publique Term L-ES élèves
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p . 12
Que signifie l'expression « démocratie d'opinion » ?
Quelles en sont les conséquences ?
Comment qualifier les relations pouvoirs publics-médias-opinion publique en France depuis les années 1990 ?
Conclusion :
A la fin du XIX° s, la presse se développe fortement dans un nouveau contexte démocratique. La presse est libre, elle informe, séduit et façonne
l'opinion publique.
Son rôle s'accroît à l'occasion de crises qui divisent le pays (affaire Dreyfus) ou lorsque le climat politique se radicalise (années 1930).
Après la 1°GM, la presse innove pour reprendre la confiance de ses lecteurs. La photographie s'impose, la radio prend son essor, mais elle est
confisquée par le pouvoir (Front populaire 1936).
La 2°GM marque une rupture dans les rapports entre médias et opinion : entre censure, propagande et médias clandestins, l'opinion se morcelle et
fluctue fortement. En 1945, la presse écrite peine à regagner la confiance des lecteurs et les médias audiovisuels restent très encadrés par l’État. Les
années de Gaulle font de la télévision l'instrument de la communication présidentielle.
Avec la prospérité des Trente Glorieuses se développent de nouveaux médias de masse qui élargissent et fragmentent l'opinion publique. Les
médias relaient les mutations de la société et la contestation des pouvoirs en place comme en mai 1968.
La diversification des médias et la volatilité de l'opinion publique nourrissent des interrogations à la fin du XX°s.
Pour synthétiser, on peut isoler trois périodes dans cette évolution des relations médias-opinion publique-pouvoir :
• I. De la fin du XIX°s siècle à 1940 : le temps de la liberté
- Un régime de liberté quasi-totale
- Le rétablissement de la censure lors de la Première Guerre mondiale
- Un contrôle étroit de l’État sur la radio à la fin des années 1930
• II. De 1940 aux années 1970 : le temps du contrôle
- Le contrôle de l’information pendant l’Occupation
- La mainmise de l’État sur les médias audiovisuels
- La contestation de cette mainmise lors de la crise de mai 1968
• III. Des années 1970 à nos jours : le retour des ambiguïtés
- La libéralisation des médias audiovisuels
- Un secteur qui échappe au contrôle de l’État : Internet