MŒURS ET COUTUMES DES SANDRANGOATSY (population

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MŒURS ET COUTUMES DES SANDRANGOATSY (population
MŒURS ET COUTUMES DES S A N D R A N G O A T S Y
(population sakalava des bords du lac
Kinkony)
par
J. C. Hébert
Ancien Magistrat de la France Outre-Mer
Les notes ci-dessous ont été recueillies dans le district
de Mitsinjo durant Us années 1953-54-55-56, au cours
d'un iéjour de trois ans et demi accompli dans la région,
alors que Fauteur était Juge de Paix à compétence
étendue à Mitsinjo (province de Majungà).
Les Sandrangoatsy sont une population très anciennement établie
sur les b o r d s du lac K i n k o n y où ils vivent de la pêche et de la culture
du riz. D'autres groupes existent dans les districts voisins, celui de
M a r o v o a y , celui de Besalampy, e t c . . ; on constate qu'ils vivent généralement auprès des lacs ou marécages de l'intérieur qu'ils affectionnent
particulièrement.
Ils se disent Sakalava. La légende rapporte cependant qu'ils
résistèrent au grand conquérant Andriamandisoarivo, et ne se soumirent que contre leur gré à un être qui ne leur paraissait par. supérieur
à eux ; c a r il avait une bouche, des yeux, et des oreilles c o m m e eux...
Leurs coutumes diffèrent peu de celles des Sakalava environnants.
Il nous a paru cependant utile de les exposer ici, tout d'abord parce
que les Sakalava de P A m b o n g o ont jusqu'à ce j o u r été peu étudiés,
mais aussi parce que les Sandrangoatsy semblent constituer une des
souches originelles du peuplement de la région.
N o u s ajouterons que, d'après M. Molet, il existerait au f o n d de
la baie d'Antongil une population dénommée Sandrankatsy, qui serait
donc vraisemblablement parente, d'après s o n nom, des Sandrangoatsy
sakalava.
N o s observations ont un caractère plus ethnologique que spécialement juridique. Le lecteur verra cependant que ces d e u x aspects
sont intimement liés. Les règles de droit, en effet, s o n t l'émanation
d'un contexte sociologique dont il est bien souvent arbitraire de les
dissocier. C'est cette description du milieu que nous avons voulu
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réaliser en suivant les époux Sandrangoatsy du mariage à la mort.
Il va sans dire que notre étude n'est point exhaustive ; nous n'avons
tenu à relever parmi les traits de mœurs et les règles coutumières
que celles qui nous ont paru insuffisamment connues ou celles qui
nous ont semblé particulières à la population étudiée. Le lecteur
trouvera, en outre, dans les notes infra-paginales quelques points
de comparaison volontairement limités.
LE MARIAGE
De nombreux indices semblent prouver que le mariage s'effectuait
jadis par échange de jeunes filles entre deux clans alliés. Il dût en
être ainsi jadis entre Sandrangoatsy et K a j e m b y , S a n d i a n g o a t s y et
Matihazo ( 1 ) , e t c . . D'ailleurs selon les Sandrangoatsy, l'origine des
alliances à plaisanterie doit être trouvée dans une parenté née d'un
mariage primitif. La règle était d o n c l'exogamie, telle qu'elle se
retrouve encore en pays tsimihety. Mais en A m b o n g o , avec les ans,
les institutions ont perdu de leur rigueur.
La règle d'exogamie
La règle d'exogamie est aujourd'hui restreinte aux consanguins
(longo) ; par contre, on peut se marier à l'intérieur de son groupe ethnique (karaza) et même de sa lignée (tareky). E n c o r e faut-il distinguer
entre parents proches, a v e c qui le mariage est prohibé, et parents
éloignés avec qui il est permis moyennant l'accomplissement de
certains rites. Enfin il est des cas où, bien que prohibée, l'union peut
être régularisée après coup, si au m o m e n t de l'union les époux ignoraient l'empêchement.
La catégorie des proches parents (longo) entre qui l'union est
interdite, comprend tous les ascendants et descendants en ligne directe,
légitimes ou naturels, à l'infini. Il faut y adjoindre les ascendants et
descendants adoptifs, et également les enfants que le conjoint a eu
d'une précédente union. En ligne collatérale, le mariage est interdit
entre frère et sœur, entre cousins germains, que ceux-ci soient issus de
deux frères ou de deux sœurs ou d'un frère et d'une sœur (\& coutume
merina, selon Cahuzac, permet au contraire la mariage entre enfants
issus de deux frères ou d'un frère et d'une sœur) ; enfin entre o n c l e et
nièce ou tante et neveu, car oncle et tante sont considérés c o m m e des
père et mère.
Une digression est ici nécessaire. La parenté malgache heurte
souvent nos conceptions. P a r exemple, les cousins germains se disent
(1) Groupes ethniques de la sous-préfcclure de Mitsinjo.
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frère et sœur, un individu prétend que son neveu est son « fils > ; par
contre le neveu appelle du n o m de « père » (babakely ou bababe, c'est-àdire « petit-père », « grand-père
selon qu'il s'agit de puîné ou d'aîné
de son père) ses oncles du côté paternel, tandis que du c ô t é maternel
il les appelle zama ou encore renildhy (< mère masculine » ) • Mais le m o t
zama a une acception beaucoup plus étendue : il s'applique à tous ceux
qui pourraient ou auraient pu être les frères de la mère. De m ê m e le
mot renilahy, beau-frère (litt. « épouse masculine ») s'applique à tous
ceux qui pourraient être les frères de l'épouse. En règle commune donc
s'appellent « beaux-frères » tous ceux de la même génération ; ceux de
la génération supérieure sont appelés zama. Il s'agit d'une parenté
classificatoire.
Entre parents éloignés (longobe) le mariage est permis. Mais pour
que le mariage soit possible, il est nécessaire que les deux lignées respectives d'ascendants apportent leur a c c o r d . L e s ascendants de la lignée
qui la première a envisagé l'union, font les démarches nécessaires
auprès de l'autre lignée. L ' a c c o r d obtenu, il faut encore se concilier les
ancêtres. Pour ce, un bœuf est sacrifié. L e s parents des futurs époux
adressent leurs prières (soro) aux ancêtres tout en tenant la queue du
bœuf qui repose couché à terre sur le côté, les chevilles attachées. La
cérémonie porte le n o m de mandavo tin-drazana (« demande aux
ancêtres » ) . Une fois effectuée, aucun empêchement ne s'oppose plus à
l'union. Une cérémonie semblable avec sacrifice du bœuf est également
célébrée au cas où les époux, à qui leur lien de parenté a'irait normalement dû interdire l'union, se sont unis dans l'ignorance de cet
empêchement.
Le mariage, hier...
Le mariage s'effectuant par échange jadis, la d o t telle qu'elle existe
maintenant c'est-à-dire offerte par le fiancé à sa future n'existait pas.
D'ailleurs cette d o t porte un n o m comorien (venu de l'arabe) : mahara,
ce qui indique son origine récente. Il n'existait pas non plus de d o t
offerte par le fiancé aux parents de la jeune fille, ou tout au moins
cette d o t n'avait aucune valeur écenomique ; elle avait seulement une
valeur religieuse. Cette dot était offerte pour obtenir la bénédiction
des parents de la jeune fille sur le couple. Le don qui consistait en
argent ou en bœufs porte d'ailleurs encore le même nom que cette
bénédiction donnée en retour : tsipirano, « aspersion d'eau » ( 2 ) .
V o i c i d'ailleurs comment s'effectuait le mariage coutumier selon
la pratique ancienne :
Lorsque le jeune homme est en â ge de se marier et qu'il a indiqué
(2) En pays tsimiïSety, le don analogue offert aux parents de la jeune fille porte
le nom de « sosana » et représente un dédommagement des affronts que la famille
du fiancé aurait fait endurer à la famille de la jeune fille antérieurement au
.mariage. Ce don est différent de la dot, qui porte le nom de miletry.
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à ses parents l'épouse de son choix, ceux-ci, si l'union leur agrée,
rendent visite aux parents de la jeune fille. C e s derniers demandent
un délai pour réfléchir, prendre des renseignements sur le jeune homme,
son goût et ses aptitudes au travail, sa santé, sa situation de famille
L'union projetée est ensuite proposée à la jeune fille pour acceptation.
Même au cas où la jeune fille décline les propositions faites c a r son
c h o i x s'est porté sur un autre, l'union peut avoir lieu du consentement
commun des parents. Toutefois, m ê m e jadis, une telle union était rarement imposée à la jeune fille non consentante.
Lorsque les deux familles des futurs ont donné leur a c c o r d à
l'union, au j o u r déclaré faste par le devin, mpisikily, le père du jeune
homme, avec une petite escorte de parents, accompagne son fils pour
aller chercher la jeune fille. L e s parents de celle-ci, pour l'occasion, ont
préparé un grand festin. Le père du fiancé, ou ce dernier lui-même,
présente deux piastres aux père et mère de la jeune fille. Le fiancé
offre à sa future compagne des effets vestimentaires, robes et tissus
lamba, et des bijoux dont elle se pare aussitôt. L e s parents de la jeune
fille sacrifient un bœuf et font le tsipirano, bénédiction rituelle. Dans
leurs prières, ils demandent aux ancêtres de protéger leur fille dans
s o n v o y a g e de retour, et, au village du mari, de sauvegarder sa santé,
de lui accorder une nombreuse progéniture.
Au moment du départ, une escorte se forme avec parents et amis ;
la jeune fille emmène avec elle son trousseau constitué de vêtements,
nattes, rabanes. L e s vêtements sont ceux que lui ont offerts ses parents
et son fiancé ; les nattes et rabanes, c'est bien souvent elle-même qui
les a tressées et tissées. La natte lui servira de couche nuptiale, les
rabanes de moustiquaire (lay) et de couverture ou drap (jilomboky).
La jeune fille n'emporte aucun mobilier cassant, car cela pourrait
entraîner rupture de l'union dès le début. Elle va habiter chez le mari
c o m m e une « invitée » (ampenjiky). La fiancée et les demoiselles
d'honneur à leur arrivée au village sont portées à califourchon par les
jeunes gens et font ainsi plusieurs f o i s le tour de la case du mari.
Pour « l'invitée », c'est en effet d'une épreuve qu'il s'agit, une
épreuve dont le délai fixé est de 8 jours. Pendant ces 8 j o u r s les
nouveaux mariés vivent dans la case qui leur est réservée et ne doivent
pas rendre visite à leurs parents. Ce n'est qu'au 8' j o u r , mamaUJe" andro,
le « retour du j o u r », que la nouvelle mariée effectue la première visite
à ses parents ( 3 ) . Si la jeune fille est satisfaite de sa nouvelle vie, si
(3)
Une coutume analogue existe en pays mahafaly. F. QUESNOT l'a décrite ainsi
(Bulletin de Madagascar n" 93, février 1954, pp. 99-123) : « L'époux accompagné
de plusieurs amis va chercher sa fiancée au domicile de ses parents afin de la
conduire au foyer conjugal... Après huit jours de vie commune au village de
l'épouse, la jeune fille accompagnée de son mari retourne au domicile paternel.
Ils conduisent un bœuf destiné au sacrifice. Cette coutume s'appelle le valik'
andro ». Suit la bénédiction du chef de famille de l'épousée, et un cadeau
aux jeunes mariés : une vache et son veau.
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l'union apparaît durable, les parents de la mariée lui remettent le
restant du trousseau qu'elle n'avait pas emporté, en particulier cruches,
marmites, assiettes, bols et verres qui prendront place définitivement
au foyer. Si au contraire des heurts se sont manifestés et que le ménage
branle déjà, l'épousée revient chez ses parents avec le trousseau léger
qu'elle avait emporté. Elle rapporte tous ses effets personnels mais
une partie des nattes et rabanes peut être laissée au mari à titre
d'indemnité.
Ainsi le mariage n'est parfait que par la remise d e s ustensiles de
ménage, marmites et cruches, une semaine après la nuit de noces. Au
cas contraire le mariage est rompu, l'essai nuptial ayant été malheureux.
Il semble que cette coutume soit la contrepartie du fait que l'épouse
n'a peut-être pas consenti de son plein gré à l'union. Un essai nuptial
d'une durée de huit j o u r s lui est d o n c accordé, après quoi elle donne
son consentement définitif ou refuse. Cette coutume tendrait par ailleurs
a démontrer que les mœurs étaient autrefois moins relâchées qu'aujourd'hui, puisque d'une part les parents avaient autorité sur leurs enfants,
d'autre part il semble bien que la jeune fille arrivait vierge au mariage
(s'il y avait essai prénuptial, l'épreuve de 8 j o u r s de vie commune
n'aurait pas sa raison d ' ê t r e ) .
...et aujourd'hui
Le mariage coutumier, à l'heure actuelle se pratique différemment.
Le délai d'épreuve de 8 j o u r s n'est plus en usage. Mais les époux,
généralement, rédigent un contrat de mariage stipulant qu3 le mariage
sera définitif après un an de vie commune. En fait, d'ailleurs, il ne
s'agit de rien de définitif car les mariages sakalava sont essentiellement
temporaires. Et c o m m e le mari envisage toujours la possibilité de
renvoyer sa femme, il ne s'engage pas p o u r la vie et ne déclare pas son
union à l'officier d'état civil ( 4 ) . Le contrat de mariage, le plus souvent
écrit, mais qui peut être oral, stipule une d o t au profit de l'épousa.
Il s'agit là, c o m m e nous l'avons dit, d'un fait nouveau. La d o t (mahara)
fait généralement l'objet de discussions entre les deux familles. Ce
sont les parents de la jeune fille qui décident de son importance. Cette
dot est de 5 à 6 bœufs, parfois moins, et peut consister en argent, ou
autres objets mobiliers c o m m e machine à coudre, e t c . . Cette dot sera
le bien propre de la femme. Une deuxième dot, ou plutôt cadeau
coutumier, est donnée aux parents de la jeune fille pour leur demander
de bénir l'union : c'est le tsipirano, qui peut consister en 1 ou 2 bœufs
ou en une somme d'argent. Ce tsipirano ne peut donner lieu à restitution.
Au contraire le mahara peut être revendiqué par le mari, si avant
l'expiration du délai d'un an, la femme quitte le domicile conjugal. Si
toujours dans le même délai, la rupture de l'union est le fait du mari,
(4) La proportion de mariages déclarés à l'officier d'Etat Qvil chez les Sandrangoatsy
est infime.
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—
le mahara reste acquis à la femme. Au cas de torts partagés, il y aura
lieu à partage du mahara. A p r è s le délai d'un an, le mahaia est irrémédiablement acquis à la femme.
Cette pratique nouvelle serait d'après certains d'inspiration
(Institutions et coutumes des
tsimihety. Mais d'après M . MAGNES
Tsimihety, p. 45) le mariage temporaire d'un an ou « volambita » serait
une forme importée des p a y s sakalava et betsimisaraka. Cela n'est pas
exact en ce qui concerne les Sakalava du moins, c a r les Sakalava de
l ' A m b o n g o ignorent totalement (5) l'appellation « volambita v, et disent
eux-mêmes que cette f o r m e de mariage est importée chez eux. On peut
remarquer que cette pratique nouvelle a conservé la bénédiction par
le père de la fiancée après invocation d e s ancêtres. La jeune fille bien
que plus libre qu'autrefois, et adonnée plus jeune à des expériences
amoureuses, doit obtenir non seulement l'autorisation, mais la bénédiction de sa famille pour un mariage régulier. P a r contre les parents
ne pourraient plus c o m m e autrefois la marier contre son gré.
La chasteté de la nuit nuptiale
Une coutume ancienne et curieuse subsiste également chez les
Sandrangoatsy. Le j o u r des noces, quand l'épouse a été amenée au
domicile conjugal, le mari doit rester le plus effacé possible. Souvent
alors que la fête bat son plein, et que les parents et amis dansent et
chantent, entourant la jeune fille : « Marary, tsisy anaka ee ! « Elle
est malade, mais elle n'a pas d'enfants » (bien qu'elle ne soit pas en
mal d'enfant), le mari est absent ou du moins invisible. Il semble que
la jeune fille qui a quitté sa famille doive être consolée et qu'on redoute
pour elle la brusquerie d'un nouveau genre de vie. Le soir venu, le mari
retrouve sa femme, mais pour cette première nuit, ne doit pas avoir de
relations sexuelles avec elle ( 6 ) . « Miaro fandriana, tsy miaio lomboky »
disent les Sandrangoatsy : « On se met dans le même lit, mais on ne
met pas le couvercle ». Le lendemain la fête continue et au soir seulement les époux peuvent avoir leurs premiers rapport!. Cotte chasteté
rituelle est-elle manifestation de pudeur devant l'étrangère ( ? ) ; il
semble que non, car des femmes sandrangoatsy nous ont dit avoir suivi
cette coutume au soir de leurs noces bien qu'elles aient connu en secret
auparavant leur mari et que leur pudeur ne fut plus sujette à alarmes.
Il n'en reste pas moins que cette coutume est d'autant plus intéressante
(5) Chez les Sakalava, comme dans la plupart des groupes ethniques malgaches,
volambita est le nom d'un mois de l'année, mais l'acception de « mariage
temporaire > n'y est pas connue. A signaler toutefois que le terme volambita,
désignant un tatouage frontal, nous a été traduit par « parole donnée > (volana •
vita). HÉBERT : « Les tatouages sakalava dans l'ethnie culturelle malgache », m
Civilisation Malgache, n° 1, p. 128.
(6) Cette coutume aurait été suivie jadis également chez les Antaisaka et d'autres
populations du Sud.
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qu'elle s'oppose à la coutume comorienne qui veut une défloration
publique i e v a n t un cercle de matrones ( 7 ) .
Dissolution du mariage
1)
Par répudiation :
•
Le mariage, lien temporaire ne peut être délié que par le mari.
Telle était du moins la règle autrefois. Sans doute la femme a la pleine
capacité juridique, mais elle reste soumise à l'autorité du mari. Elle ne
peut de sa propre autorité rompre le lien du mariage. Le mari au
contraire répudie sa femme quand bon lui semble. Généralement, quand
il est fatigué de l'union, il reconduit lui-même l'épouse à ses parents
mais il peut aussi demander à la mère de venir rechercher sa fille.
La cérémonie de dissolution valia voahito (mariage rompu) est empreinte
d'un certain formalisme. L'époux doit en effet prononcer à l'adresse
du beau-père les paroles rituelles suivantes : Indreto zanakanao. Zaho
tsy manan-drafy na atsimo, na avaratra, na atsinanana, na andrefa :
« V o i c i votre fille. Je ne lui créerai plus de rivales ni au sud ni au nord,
ni à l'est ni à l'ouest ».Tous les liens sont alors rompus. La femme
redevient libre de disposer d'elle-même. Elle peut se remarier sur le
champ. Cette formule différente de la formule tsimihety, mais qui se
rapproche par contre de la formule merina ( 8 ) , montre que la femme
sakalava répudiée reste sous l'emprise paternelle : le mari qui répudie
sa femme s'adresse au beau-père. La formule sakalava : « Je ne te
créerai plus de rivales », est significative de l'égocentrisme de l'homme
et démontre aue le mari s'arroge le droit d'avoir des maîtresses
passagères sans que sa femme ait le droit de lui en adresser reproches.
2)
Par séparation de corps
:
•
La femme, elle n'a le droit que de supporter en silence. Ou bien
encore, si elle veut forcer le mari à réfléchir sur sa conduite dissolue,
ou encore mettre fin aux disputes et difficultés de vie commune, peut
quitter temporairement le domicile conjugal. Elle se relire chez les
siens, sous prétexte de rendre visite à sa famille, et prolonge le délai
accordé d'une semaine, ou deux, ou plus... Au bout de quelques temps
le mari se voit contraint de venir la rechercher, et s'il a à se faire
(7) Suivant la coutume comorienne, le marié immédiatement après la défloration
de sa femme poursuit l'accomplissement de l'acte sexuel avec une autre partenaire, sœur ou parente de l'épousée atteinte d'une maladie vénérienne. Le jeune
marié jouit en effet selon les croyances comoriennes d'une vertu thérapeutique
spéciale pour ces affections.
(8) Dans la coutume tsimihety, le mari s'adresse directement à la femme mais en
présence de ses parents : « A partir d'aujourd'hui vous n'êtes plus ma femme,
et vous pouvez vous marier avec un Blanc ou un Noir » ((MACNES, p. 58). Dans
la coutume merina, le mari s'adressait à la femme en présence de ses parents
par la formule consacrée « que vous ayez un mari noir, un mari blanc, qu'il
vienne du nord, du sud, de l'est, de l'ouest, peu .m'importe, vivez heureuse »
(J.O.M. 1896, p. 2126).
— 27
pardonner de quelque faute, il donne à la femme, pour l'inciter à la
réconciliation, un léger cadeau. H est entendu que durant, sa retraite
volontaire, la f e m m e d o i t garder une vie irréprochable.
Le mari de son côté peut inviter sa femme à suivre une retraite
forcée, lorsque l'harmonie cesse d? régner dans le ménage. Il la renvoie
dans la famille, mais sans toutefois la répudier. L e s liens du mariage
ne sont pas rompus (valta tsy voahito). La séparation n'entraîne aucun
relâchement des effets du m a r i a g e ni des obligations qui en découlent,
sauf bien entendu du devoir de cohabitation, temporairement suspendu.
Le mari doit subvenir aux besoins de sa femme.
Les enfants nés au cours de la séparation sont des enfants légitimes. La femme reste dans sa famille d'origine tant que le mari ne
vient pas la rechercher. Cela peut durer un an, parfois plus. Aujourd'hui
cependant la durée de ce délai de réflexion imposée a tendance à être réduit à quelques m o i s et lorsqu'il est trop long, on considère le mariage
c o m m e tacitement dissous. Le mariage est d'ailleurs automatiquement
dessous si ie mari se remarie. La femme peut alors elle-même se
remarier, sans que la formule de répudiation ait à être prononcée. Par
contre, si la femme se remariait avant répudiation formulée ou tacite
(par remariage du m a r i ) , tous se3 biens encore sous la garde du mari
deviendrait la propriété de ce dernier. C'est pourquoi, dans la retraite
qui lui est imposée, la femme a intérêt à rester fidèle. Cette f o r m e de
séparation temporaire imposée par le mari porte le n o m de vaïia tali
lava (mariage longue c o r d e ) . C o m m e on s'en doute, elle était jadis
source de disputes fréquentes ; elle tend à disparaître p o u r laisser place
à d e s situations plus franches.
Cette institution du valia tali lava de même que le droit unilatéral
de répudiation montre l'autorité dont jouissait le chef de famille vis-àvis de sa femme jadis. Cette autorité s'est bien affaiblie depuis. Aujourd'hui la séparation des époux s'opère généralement par consentement
mutuel. L'arbitrage du fokonolona règle les différends s'il s'en produit
au sujet de la séparation des biens. Ceux-ci, c'est-à-dire uniquement les
acquêts de communauté, car les biens apportés par les époux au moment
de l'union restent propres, sont partagés suivant la règle moitié-moitié.
Les acquêts de communauté ne sont d'ailleurs j a m a i s importants, car,
prévoyant la séparation future toujours éventuelle, les époux utilisent
les économies acquises en commun à l'achat de biens personnels. Ainsi
le fusil, la bicyclette sont biens propres du mari ; la machine à coudre,
bien propre de la femme. Il peut évidemment y avoir litige p o u r le lit,
le phonographe, la < case » ... et le troupeau de bœufs. La règle est alors
le partage par moitié. Quant aux fruits encore pendants, il y a partage
également. La femme obtient une quantité prédéterminée de riz sur
la récolte prévue, ou sinon la récolte de telle portion de la rizière (1/3
ou 1/4). C'est le tsàbom-bavy : la part de culture de la femme. Le mari
pour couper court aux conflits sur la séparation des biens, a c c o r d e
généralement quelques bœufs à la femme. Ceux-ci peuvent même parfois
représenter une indemnité de séparation.
— 28 —
3)
Par décès :
é P o u r bien comprendre la situation faite à la f e m m e dans la vie
familiale et sociale, il faut maintenant examiner les cas de dissolution
du mariage par décès.
Au c a s de décès du mari, les liens du mariage sont r o m p u s définitivement. C'est la ruine du f o y e r , robo-trano (maison détruite). Et en
effet la maison où a eu lieu le décès doit être détruite. V o i l à pourquoi,
aujourd'hui, afin de rallier cette exigence parfois coûteuse, l'individu
à l'article de la m o r t est transporté dans une case hâtivement construite
ou menaçant ruine, ou même installé sous un simple auvent au-dehors.
La veuve est affublée de ce même triste n o m de roba trano « f o y e r
détruit ». Elle ne reste pas dans la famille de son mari, mais en est au
contraire rejetée. On considère que la femme est responsable du décès
de son mari. Elle en a été la cause par d e s charmes magiques ou des
amulettes, ou que sait-on encore ? A u s s i est-il < fady » pour elle
d'assister à la cérémonie mortuaire. Elle attend cependant le j o u r d e s
funérailles puis reprend ses effets personnels et s'en va. P a r ailleurs
elle d o i t craindre la vindicte de l'époux défunt. L'esprit du défunt la
poursuit et vient troubler son sommeil ( 9 ) . C'est p o u r chasser cette
présence inopportune que la jeune veuve devait jadis accepter sur sa
couche la présence plus sensible d'un amant. En tout cas elle ne devait
pas repousser les avances de ceux qui lui proposaient de chasser le
fantôme du mari défunt pour une nuit... ou plusieurs. Cela évidemment
ne veut pas dire que la femme se remariait aussitôt, mais si elle était
demandée en mariage, elle ne devait pas refuser. Le fantôme du mari
était surtout à redouter tant que le corps n'était pas enterré, ce qui
en pays sakalava pouvait durer 15 j o u r s ou un m o i s ; encore aujourd'hui
des délais d'une semaine ne sont pas rares. Cette coutume du concubinage thérapeutique des veuves a disparu aujourd'hui chez le commun
des mortels ; mais certaines familles princières le pratiqueraient encore.
Quoi qu'il en soit, la situation faite à la veuve en p a y s sakalava
diffère profondément de celle réservée à la femme tsimihety ou merina
jadis. Chez ces populations, la veuve était recueillie par le frère du mari
avec ses enfants. La femme ne sortait d o n c pas de la famille. Cette
institution dite vady-lova (héritage de la femme) n'a j a m a i s été pratiquée, ni connue chez les Sakalava. Ici, la f e m m e est m i s e au ban de la
famille du mari. Seuls ses enfants sont recueillis par la famille paternelle. Si cependant il est des enfants en bas-âge, la mère les emmène
avec elle jusqu'à ce qu'ils soient en â g e de quitter le sein. La famille
du mari défunt vient alors les rechercher, sans cérémonie spéciale.
Quant à la f e m m e elle peut se remarier, mais en ce cas elle doit verser
une certaine s o m m e d'argent à la famille de son mari défunt.
(9) Si l'esprit du défunt vient par trop importuner la veuy*J.'«Sle^»i. V recours à
un moasy (guérisseur) qui lui donne des fanafody (remèdes) appWfiriés. En
cadeau coutumier la veuve offre au guérisseur une maraite à trois pieds\
Au cas de décès de la femme, ses parents viennent rechercher son
corps. La f e m m e est enterrée au cimetière paternel, et non au cimetière
de la famille du mari. L e s enfants nés du mariage, comme précédemment, restent dans la famille du mari. Ils auront droit à étpe inhumés
au cimetière paternel. Ainsi la f e m m e est passée c o m m e une étrangère
dans le clan du mari. Elle a procréé, mais veuve elle devra se séparer
de ses enfants et se contenter de leur rendre visite dans la famille du
mari défunt. Elle devra quitter le domicile conjugal et se réfugier chez
ses parents. Il y a incompatibilité d'humeur entre elle et le- clan de son
mari. Elle n'y pouvait survivre que tant que son mari vivait. Lui mort,
elle abandonne f o y e r et enfants et retourne avec les siens.
Reliquat matriarcal : le Kitrola
Et cependant les enfants n'appartiennent pas de droit à la famille
paternelle. C'est le contraire qui est exact. Ici intervient l'institution
du kitrola ou kotrola ( 1 0 ) . Selon la coutume sakalava l'enfant appartient
de droit à la mère. Peut-être est-on là en présence d'une réminiscence
matriarcale. La f e m m e mariée ne d o i t pas accoucher dans la famille
maritale. T r o i s m o i s avant la naissance elle retourne dans sa famille
d'origine. Son mari peut l'accompagner comme il peut rester dans son
village. Deux ou trois m o i s après la naissance, le mari vient chercher
femme et enfant. Il amène un bœuf gras exempt de tares p o u r être
sacrifié. Ce sacrifice propitiatoire porte le n o m de kitrola. Sans lui,
le mari ne pourrait réclamer son enfant. Si le bœuf est t r o p jeune et n'a
pas encore de bosse, le mari apporte un bol en remplacement (il s'agit là
d'un rite de magie symbolique) ; si le bœuf est mutilé, s'il lui manque
un bout de corne ou un bout de queue, il doit verser en compensation
une certaine s o m m e d'argent. Le père d o i t également apporter un bol
destiné à contenir l'eau de tamarinier qui servira à l'aspersion de la
famille maternelle. Il apporte en outre, pour les réjouissances, quelques
litres de boissons alcoolisées.
Du bœuf sacrifié, la moitié d o i t revenir à la famille maternelle,
l'autre moitié à la famille paternelle. La partie supérieure avec la bosse
et la croupe est la part de la mère. La partie inférieure, la poitrine, est
la part du père. Le père de l'enfant procède à l'aspersion. Le bol après
la cérémonie est remis à la mère. Le kitrola accompli, l'enfant fait
désormais partie de la famille paternelle. H en sera ainsi de tous les
puînés. Toutefois au cas où père et mère vivant séparés, la mère donnerait le j o u r h un enfant, le père ne pourrait le réclamer qu'après
l'offrande du kitrola effectuée au village des parents de la mère. Si le
kitrola n'était pas offert, cela équivaudrait à une non-reconnaissance
de l'enfant par le père.
Sans kitrola l'enfant reste sous l'autorité de la mère. S'il meurt,
il est enterré dans le cimetière de famille de la mère. Après le kitrola
(10)
Cf. à ce propos nos « Notes sur quelques coutumes limitant la puissance paternelle >. Cahiers du Centre d'Etudes des Coutume, T. III (1967), pp. 3-12.
— 30 —
l'enfant, et non seulement l'enfant premier-né mais tous les puînés,
passe sous la puissance paternelle. Morts, ils sont enterrés dans le
tombeau de famille du père.
LES FADY DE PARENTE — L'INCESTE
1) L'inceste entre proches parents
Si l'adultère (vambd) est assez fréquent et se résout p o u r la femme
soit par réconciliation moyennant indemnité versée par l'épouse coupable ou le complice, soit le plus souvent par séparation ou répudiation,
mais n'exige jamais (sauf cas d'accouchement difficile) une purification
rituelle, et si pour le mari l'adultère se résout par une indemnité versée
à sa femme soit en bœufs, soit en biens mobiliers c o m m e marmites,
selon sa richesse, l'inceste, lui, est beaucoup plus grave. Il porte en
malgache, le n o m de antambo ou loza, c'est-à-dire « calamité
(11) ;
toute union c o n s o m m é e entre proches parents entraine « calamité ».
Selon les croyances sakalava, les incestueux sont exposés aux plus
graves maladies. L'un d'eux ne tardera pas à mourir ou deviendra
infirme et le deuxième suivra. Si des enfants naissent de l'union, ils
seront rachitiques ou infirmes : leur destin est mauvais (isy manjary)
( 1 2 ) . Mais non seulement les incestueux seront frappés, mais encore
leur famille ou même le village entier. C'est pourquoi une cérémonie
conjuratoire s'impose. Un bœuf est sacrifié au village par la famille
d e s incestueux. Sa panse est ouverte. L e s deux incestueux sont invités
à se tenir face à face enjambant tous deux le bœuf. Dans cette position
ils se purifient en s'aspergeant mutuellement du contenu de la panse,
taimboraka. L e s assistants les y aident au besoin. A p r è s quoi les
incestueux vont se laver à la rivière et sont désormais lavés de leur
faute ainsi que du malheur qui pesait sur eux. Parfois cependant ils
sont chassés du village.
L e s incestes sont assez fréquents bien que les fady soient très
stricts à ce sujet. P o u r en citer quelques-uns : le frère ne doit jamais
apercevoir les seins de sa sœur. H ne doit pas l'enjamber si elle est
couchée et même pas enjamber sa natte. Le père ne doit j a m a i s apercevoir les organes sexuels de ses filles, même au cas de maladies (ou
de viol) par exemple. L'inceste entre frère et sœur (mpianadahy) serait
le plus fréquent ( 1 3 ) . L'inceste entre ascendants et enfants (mvianaka)
semble c o m p o r t e r des degrés. Il est plus grave entre grand-père et
Detite-fille qu'entre père et fille ou mère et fils. Le flagrant délit
est rare.
(11)
(12)
(13)
Les malgachisants ont rattaché ce mot loza (calamité, malheur) au mot sanskrit
dosa (faute, péché). Quant au mot antambo, il nous semble pouvoir être rattaché
au mot polynésien tapu < tabou >.
Litt. < ne porte pas chance >, et par conséquent < porte-malheur ».
M É L U S , dans Volamena et Volalotsy (p. 30) rapporte le cas d'un inceste entre
deux frères et leur sœur, dans la région d'Ambanja. Il décrit comme suit la
cérémonie du mangaia antambo : € Dans la cérémonie de l'absolution de
— 31 —
Le plus souvent l'inceste est révélé par le sorcier-guérisseur, moasy,
à l'occasion
d'une maladie. Le malade accusé avoue,
et s'accuse
d'ailleurs parfois d'un délit imaginaire, c o m m i s en r ê v e ou dans le
sommeil. 11 arrive aussi que la femme, d'elle-même, dans les douleurs
de l'accouchement s'accuse d'un inceste ; il est alors p r o c é d é à une
purification rituelle qui est censée faciliter le travail de la parturiente.
Cette purification c o m p o r t e normalement l'aspersion du contenu
de la panse d'un bœuf sacrifié. En outre, si l'accouchement est difficile,
le complice de l'inceste doit enjamber (mandikà) le corps de la parturiente. Cet enjambement abolit symboliquement l'acte sexuel commis
en violation des tabous ancestraux et, par m a g i e imitative, aide la mère
dans son travail.
2) L'inceste entre cousins éloignés
L'inceste est parfois moins grave, par exemple s'il a été commis
entre cousins germains, ou encore s'il a été c o m m i s de bonne foi entre
parents qui ignoraient leurs liens de parenté. D a n s ce cas, l'union peut
subsister. Au lieu de procéder à une purification des incestueux et de
leur interdire tous rapports à l'avenir, la coutume autorise à supprimer
les liens de parenté. La cérémonie, c o m m e les précédentes, porte le nom
de mangala antambo
ou mangala loza
(littéralement
« enlever le
malheur » ) . Un bœuf est sacrifié, une invocation (tsipirano) faite aux
ancêtres. On fait cuire du riz avec des brèdes. Puis un peu de riz et du
contenu de la panse est posé sur la tête des deux parents, entre qui
i
l'inceste, il y a deux facteurs à retenir : la confession, ou déclaration publique
obligatoire, et la purification, qui revêt en la circonstance, sa forme la plus
simple, consistant à faire supporter à un autre tout le poids de la faute commise
en commun (réminiscence du bouc émissaire chargé des péchés d'Israël).
Comme les Malgaches ne peuvent comprendre que les choses matérielles,
la cérémonie est réaliste. Les assistants sont répartis de la façon suivante :
la femme souffrante est assise devant sa porte, les deux frères ayant eu des
relations avec leur sœur — malade de ce fait — encadrent un bœuf ligoté et
couché près du seuil de la case ; enfin deux longues rangées de femmes sont
alignées sur chacun des deux frères et, en face, se trouvent les invités.
Un homme (d'ordinaire un parent) s'avance entre la double haie des
femunes, et s'arrête devant l'animal.
La femme malade commence sa confession, dit qu'elle s'est trompée, et
implore le pardon des ancêtres.
Lorsqu'elle a tenminé, le parent qui remplit l'office de purificateur ouvre
le flanc du bœuf, et enfin l'œsophage.
A ce moment, les femmes se précipitent sur les matières qui sortent du
rumen, les prennent à pleines mains, et les jettent au visage des deux frères
en criant : « C'est toi qui l'a rendue onalade ». Elles continuent à hurler et
à couvrir les deux hommes de ces malpropretés jusqu'à épuisement des projectiles.
Ensuite les deux frères vont se baigner.
On dépèce la bête et un repas dont le bœuf seul fait les frais est servi
aux acteurs et spectateurs.
Les deux frères ont été « salis », mais la sœur redevient « propre ».
— 32 —
désormais tout lien de parenté est aboli. Mais si la parenté est abolie,
il lui est substitué immédiatement un lien d'alliance
à plaisanterie
ziva ( 1 4 ) . D'ailleurs le mpiziva des incestueux d o i t assister à la cérémonie et poser lui-même le riz cuit et le taimboraka sur leur tête. Une
telle cérémonie peut permettre le mariage entre cousins germains,
même issus de deux sœurs. L'abolition de parenté se répercute sur
leurs enfants qui pourront par conséquent contracter mariage.
3) L'Inceste des jumeaux
Un autre cas d'inceste est des plus curieux. C'est celui des jumeaux
frère et sœur, qui sont considérés c o m m e mariés dans le sein de leur
mère, vady an-kibo. Le m o t malgache qui sert à les désigner, hamba
veta est révélateur puisqu'il signifie « j u m e a u x indécents », pour ne pas
dire « incestueux ». Les jumeaux ordinaires, deux garçons ou deux filles,
sont seulement appelés hamba (hambabe et hambakely suivant qu'il
s'agit de l'aîné — en fait né en second — ou du cadet — premier né — ) .
Seuls les jumeaux frères et sœurs sont incestueux.
Selon les croyances, les j u m e a u x incestueux ne doivent pas être
séparés. On dit même que jadis chez certaines populations du Sud, les
jumeaux frères et sœurs étaient mariés entre eux. Aujourd'hui on
considère comme fady cette union. Mais il n'empêche que l'union a déjà
été réalisée dans le sein de la mère ; il faut donc purifier les jumeaux
de l'inceste commis. Si la famille est riche, elle sacrifie deux bovidés,
l'un mâle, l'autre femelle, un mois environ après la naissance, ou plus
tard. La panse ouverte, les jumeaux sont barbouillés de s o n contenu.
Si elle est pauvre, elle fait cuire seulement une grande platée de riz avec
des brèdes. A p r è s le tsipirano, le riz cuit avec les brèdes (qui, cuites,
symbolisent peut-être le contenu de la panse) sont posées sur la tête
des jumeaux — ainsi purifiés —. Il s'agit bien d'un enlèvement de la
souillure due à un inceste, car si les jumeaux sont deux garçons ou deux
filles, aucune cérémonie semblable n'est effectuée. Le mangala antambo
n'est pratiqué que sur les jumeaux veta, frères et sœurs. On dit même
que certains parents, jadis, au cas de jumeaux frère et sœur, supprimaient la fille.
Les
fady de naissance
Les cas de suppression d'enfant n'étaient pas rares à une époque
encore très rapprochée, c'est-à-dire il y a cinquante ans. Ils trouvaient
leur raison d'être non pas tellement dans les croyances astrologiques
apportées par les astrologues arabes ou persans et colportées par les
devins-guérisseurs, moasy, que dans les traditions qui avaient érigé en
« fady » des faits que l'observation courante considérait c o m m e anormaux. Ainsi l'enfant qui l o r s de l'accouchement se présentait par les
(14)
Pour cette coutume, répandue semble-t-il dans la plupart des peuples dits
< primitifs » consulter notre étude sur « La parenté à plaisanterie à
Madagascar », parue au Bulletin de Madagascar, n°* 142 (mars 1958) et 143
(avril 1958), pp. 175-216 et 267-335.
— 33 —
pieds ou par le siège, était abandonné en forêt, sinon môme étranglé.
On retrouve ici, curieusement, le m y t h e d ' Œ d i p e qui lui aussi était né
par les pieds (d'où son surnom de « pieds enflés >) car selon les
croyances malgaches l'enfant qui se présente anormalement est censé
tuer plus tard père et mère ( 1 5 ) . On croit que l'enfant qui défèque à
la naissance sera un crétin ou un imbécile ; il est supprimé à m o i n s que
personne n'ait été témoin du fait, auquel cas on a recours à un moasy.
L'enfant qui naît avec des dents est condamné à être jeté en forêt.
Sinon il tuerait père et mère (il mord le sein dès la naissance). Quand
aux jumeaux, certaines familles en sont fady : dans ce cas la mère en
élève un, ou aucun.
Certains j o u r s sont néfastes : par ordre d'importanco, le jeudi,
le mardi et le dimanche. Le sorcier appelé déclare si le j o u r est fady
« tabou », mahery « puissant », ou simplement ratsy « mauvais ». Dans
le premier cas, l'enfant est abandonné, dans le deuxième il n'est pas
élevé par ses parents, c a r il a un destin puissant et se retournera contre
eux ; dans le troisième cas les parents font enlever le destin mauvais
par le sorcier. En fait, m ê m e jadis, l'enfant était rarement supprimé ;
on préférait l'abandonner en forêt dans une petite fosse d'où la tête
de l'enfant seule émergeait ou encore à une croisée de sentiers. L'enfant
avait toute chance d'être recueilli et élevé par d'autres, qui après avoir
consulté le sorcier, n'avaient plus rien à craindre de la part de l'enfant.
Même plus âgé l'enfant était parfois abandonné : ainsi, si ses dents
de la gencive supérieure perçaient les premières, cela était signe de
malheur (mandrofy). L'enfant était j e t é en forêt. Si par contre l'enfant
était malade, souffreteux, on avait recours au wioasy-guérisseur qui
confectionnait un remède (fanafaody) spécial : le trambo.
Les
fady
du
bas-âge
Le trambo est encore aujourd'hui fréquemment utilisé. N o n seulement on a recours à lui lorsque l'enfant est souffreteux ou malade, mais
encore lorsqu'on a à redouter préventivement la maladie, c o m m e lorsque
les premiers nés de la mère sont morts en bas-âge, ou bien lorsque la
mère a déjà eu une fausse-couche. Ce m o t trambo a des acceptions
diverses. Il désigne à la fois le remède confectionné par le guérisseur,
les bouts de bois utilisés pour obtenir par b r o y a g e sur une pierre la
mixture qui servira aux onctions sur le malade dénommées tetin-trambo,
points parsemés du trambo ( 1 6 ) , enfin les fady ordonnés par le sorcier,
prohibitions alimentaires ou autres, qui doivent être respectés tant par
(15) Contrairement à la thèse psychanalytique de Freud, l'enfant né tel n'a cependant
pas, d'après les croyances malgaches, de désirs incestueux.
(16) Chez les Tsimihety, les tetin-trambo doivent être faits : au bas du pharynx :
takinana, à l'ombilic : foetsy sofy, et au haut de l'estomac : sarotro.
Plus généralement, on fait des points ou des traits sur le front et lés deux
joues. Le collier suspendu au cou des enfants tsimihety pour chasser les maladies
du bas-âge porte également le nom de trambo.
— 34 —
l'enfant que par sa mère ( 1 7 ) . Le remède est préparé par le sorcier, avec
des branchages, des racines, des feuilles, principalement tirées de l'arbre
hazomby ( 1 8 ) . L e s b o u t s de b o i s salutaires sont mis à tremper dans
l'eau. La potion préparée, la mère en b o i t la première, puis en donne à
l'enfant. La potion sera désormais donnée à l'enfant chaque f o i s qu'il
présentera des signes de faiblesse ou de maladie. V e r s l'âge de trois ou
quatre ans, le moasy retirera le trambo. Il reprendra les remèdes confiés
à la m è r e et les j e t t e r a à l'eau, à moins que la mère ne tienne à les
c o n s e r v e r au c a s de maladie future de l'enfant. P o u r enlever le trambo
le guérisseur fait une invocation spéciale et déclare que les interdits du
bas-âge sont enlevés.
Ces interdits ou fady sont pour l'enfant
:
— ne pas s o r t i r de la case le jeudi ;
— ne pas assister à d e s funérailles ;
— ne pas m a n g e r ou p o r t e r à sa b o u c h e des o b j e t s t o m b é s à terre ;
— ne pas m a n g e r un animal ou insecte t r o u v é m o r t ;
— ne p a s m a n g e r de viande de funérailles, e t c . .
(17)
Il existe on proverbe merina : Trambo hita uy mba loza c un malheur prévenu
r«t facile à éviter » que MALZAC traduit littéralement « un cent-pieds vu n'est
plus un malheur > ; le mot trambo désigne en effet le cent-pieds, en merina
comme en sakalava, mais dans ce sens il n'explique pas l'origine du dicton,
car un cent-pieds n'est pas tellement dangereux ; il provoque seulement une
démangeaison passagère.
A notre avis, le sens primitif de trambo en merina ancien est révélé pai
les dialectes sihanaka et bezanozano, qui en sont très proches. Le mot désigne
dans ces dialectes l'état de l'accouchée, et par extension celui du malade on
convalescent qui doit rester cloîtré dans une pièce surchauffée, sans aucun
courant d'air.
Il s'est étendu par la suite au signe extérieur qui indique qu'il y a à
l'intérieur de la case une accouchée ou un malade- Cest ainsi que d'après
JULIEN, « chez les Sihanaka et les Bezanozano on donne le nom de trambuna
à deux morceaux de jonc zuzuru d'égale longueur liés en croix et suspendus
extérieurement au-dessus de la fenêtre pour indiquer qu'il y a un malade à
l'intérieur de la case et qu'on doit s'abstenir d'y pénétrer. Les gens qui consignent
leur porte de cette façon sont dits à ce moment mitrambuna. Quand il y a une
nouvelle accouchée, un malade, ou un convalescent, il suffit que les voisins, les
passants ou étrangers aperçoivent le trambuna en haut de la maison pour qu'ils
renoncent à importuner ceux qui s'isolent et dont on dit pour cette raison :
mitrambuna ni au an-tranu (mitrambona ny ao an-trano).
Le sens du proverbe merina devait donc être à l'origine : « Quand on
respecte le trambona on évite le malheur », mais par suite de la similitude
des mots trambona et trambo, forme dialectale de trambona, il y a eu confusion
en merina avec trambo qui signifie € cent-pieds ». Ici encore, pour reprendre
une judicieuse remarque de M. le Président Tsiranana, les termes côtiers
permettent d'expliquer un terme merina incompris, et d'en donner une interprétation plus satisfaisante.
Ajoutons qu'à notre avis et comme pour le mot antambo, le mot trambo
peut être rapproché du polynésien tapu « tabou ». Le premier s'entend de
l'interdit violé (an-iambo), le deuxième de l'interdit qu'il faut respecter
(tramboina)).
(18)
Ce nom d'arbre est encore révélateur de magie sympathique : azo « qui obtient »,
omby < qui contient » ; litt. le mot signifie « arbre des bœufs » ( ? ) .
— 35 —
La non-observation de ces fady,
prescriptions d'hygiène, tout à fait
recommandations qui tendent à ne
l'enfant ( c o m m e celle provoquée par
née par la maladie.
qui pour certains ne sont que des
respectables, et pour d'autres des
pas créer d'émotions fortes chez
la vue d'un c a d a v r e ) , est sanction-
La mère a pour principal « fady » de ne pas fréquenter un autre
homme que son mari. Toutefois cette obligation de la fidélité maritale
peut recevoir des accommodements : la femme peut se donner à l'amant
à condition d'en recevoir un petit cadeau, qui jadis était une piastre,
ou une aiguille.
Le mari, lui, n'est sujet à aucun fady, suivant l'adage : lehiîahy
tsy mitrambo, « les hommes ne sont pas assujettis au trambo ».
Il y a également certains « fady » du bas-âge qui s'appliquent à
tous les étrangers de la famille. Ainsi la prohibition qui s'applique à
toute autre personne que le père ou la mère ou encore des proches
parents, de tenir le bébé entre leurs mains. Cela pourrait inoculer à
l'enfant des germes de maladie (il n ' y a bien entendu ici aucune prescription d'hygiène mais un interdit m a g i q u e ) . L'interdit peut cependant
être levé : il suffit d'offrir une aiguille à la mère. Celle-ci trempera
l'aiguille dans de l'eau, et en lavera la figure de son enfant. Ce dernier
dès lors ne risquera plus d'être contaminé. Cet interdit s'appelle faratsy
(région de B e s a l a m p y ) .
Lorsque la mère redoute une fausse-couche, le trambo peut être fait
en début de grossesse. Outre le fady mandranto, interdiction d'avoir
commerce avec un autre que son mari, le sorcier lui prescrit des interdits
alimentaires comme le poisson besisiky (litt. beaucoup d'écaillés). Mais
il ne faut pas confondre ces fady avec les fady de la grossesse.
Les
fady
de
grossesse
L e s fady de grossesse (fady j'ombapitera) s'appliquent aussi bien
à la femme qu'à l'homme, mais sont différents dans les deux cas. La
femme enceinte n'est pas tenue à une fidélité conjugale exemplaire. En
effet la femme enceinte, sujette à des « envies » d o i t les satisfaire dans
la mesure du possible, dans l'intérêt de l'enfant. Toutefois elle aura
soin de réclamer un cadeau à l'amant, et d'autant plus si elle n'est pas
mariée. Ce cadeau coutumier porte le n o m de faratsy. Si le faratsy est
donné, les relations ne peuvent nuire à l'enfant. La femme avisée cessera
cependant toutes relations sexuelles au 6 m o i s . Sinon l'enfant pourrait
naître, selon la croyance, avec des fontanelles démesurées, ou bien (tsimihety) l'enfant sera atteint de halo, crachera... D'autres fady sont plus
stricts : celui de se tenir sur le seuil de la porte, car l'enfant resterait
également sur le « seuil » ; celui de porter un lamba en écharpe, savoka,
car l'enfant se placerait de travers ; celui de porter des vêtements
étroits c o m m e chemise ou combinaison, car l'enfant comprimé serait
malingre, e t c . . Il est également fady pour la ff.mme enceinte d'assister
e
à des funérailles ou de se rendre à un cimetière, de regarder de jeunes
oiseaux dépourvus d'ailes..., tous fady dictés par une magie symbolique
explicite.
Le mari, au contraire de la femme, est astreint au fady mandranlo
(interdiction de c o u r t i s e r ) . Il ne doit avoir de relations qu'avec sa
femme. Sinon celle-ci s'exposerait à diverses maladies en c o u r s de
grossesse, aurait un accouchement pénible et peut-être même y trouverait la m o r t .
Le vomissement de la parturiente est signe de l'infidélité du mari
en cours de grossesse. Le mari doit alors indemniser les beaux-parents
par des cadeaux. Jadis même dans cette éventualité les parents de la
femme s'emparaient de tous les objets de valeur de la demeure maritale,
fusil en particulier, si les cadeaux n'étaient pas assez substantiels. Le
mari en outre, comme la femme, et pour les mêmes raisons de magie
sympathique, ne doit pas porter de lamba en savoka, non plus qu'un
short ou pantalon (qui rendraient difficile l'accouchement), mais rester
vêtu du pagne-jupe lambahoany traditionnel.
La f e m m e tsimihety est fady en outre en cours de grossesse de
porter des colliers (vony) ou un lamba dit sampivony, car le cordon
ombilical s'enroulerait c o m m e le collier. Elle ne d o i t pas manger de
tortues kapiky, car la tête de l'enfant lors de l'accouchement sortirait
et rentrerait c o m m e la tête de tortue.
L'accouchement
Le bon déroulement des opérations de l'accouchement dépend donc
de l'observance d'une multiplicité de prescriptions. En outre, pour le
premier né, la famille du mari aura au 6 mois de grossesse, o f f e r t un
sacrifice propitiatoire accompagné d'une invocation (tsipirano) aux
ancêtres. Si malgré tout, l'enfant tarde à venir, le mari, vêtu du
lambahoany, enjambe sa femme. Un parent peut le remplacer. Le geste
accomplit purification des époux. Si cela ne suffit pas, la femme est
contrainte de faire l'aveu de ses fautes. Elle récite le n o m de ses amants,
non seulement en cours de grossesse, mais auparavant. S'il y a eu
inceste, on requiert l'incestueux qui procède à l'enjambement rituel.
Enfin, on peut avoir recours au devin-guérisseur et à ses procédés de
magie sympathique. Un des plus courants est que la parturiente, debout,
laisse tomber le bol où elle vient d'absorber la potion prescrite ; la
poche des eaux éclatera comme le bol se casse en tombant au sol.
(
La parturiente sakalava accouche dans la position accroupie ou
assise. La sage-femme, mpanavara (celle qui ouvre) ou somAlanjaza (qui
ouvre la voie à l'enfant ?) aide aux opérations. Aucun homme ne doit y
assister. La pièce est fermée soigneusement pour éviter tout courant
d'air. Du feu, près de la c o u c h e de la parturiente chasse les mauvais
esprits. Le bébé né, le cordon est coupé avec un bâtonnet tranchant ou
couteau, fihatsaka. Il est lavé à l'eau tiède ainsi que la mère. Il n'y a
pas chez les Sandrangoatsy de castes Rangonala, assez fréquentes chez
— 37 —
les autres Sakalava et dont les traditions s o n t le bain immédiat de la
mère après l'accouchement dans l'eau froide ou la mer ( 1 9 ) . La m è r e et
l'enfant gardent l'alcôve, komby, fermée par une rabane épaisse en
guise de moustiquaire et surchauffée par un feu placé sous le lit.
A p r è s la délivrance, le placenta tavon-tsaiky (enveloppe de
l'enfant), appelé encore saboa (sagaie) car non expulsé il tue la mère,
est enterré dans la case où l'enfant est né, soit au pied du lit, soit dans
un coin. On le place au nord si l'enfant est un garçon, au sud s'il s'agit
d'une fille. La parente qui enterre le placenta ne doit pas regarder de
côté : sinon l'enfant loucherait. Une pierre est posée dessus : kély vato
tsindry tavony, « une petite pierre maintient l'enveloppe ». Cette pierre
est censée éviter au bébé des convulsions ou des battements de cœur.
Le trou, peu profond, est comblé avec de la terre et une pierre posée
sur le sol indique l'endroit. E n c o r e aujourd'hui où les accouchements
ont lieu dans des maternités, le placenta est soigneusement emporté
par la famille ; jeté, il porterait malheur à l'enfant.
Quand le c o r d o n ombilical (tady foetsy) se détache de l'ombilic,
la mère en fait un bracelet p o u r s o n enfant. Elle l'attache au poignet
d r o i t avec un brin de raphia. Ce bracelet porte le n o m de foetsy et
possède des vertus bénéfiques : il chasse en particulier les mauvais
esprits. Si le bébé est malade, on frotte un bout de c o r d o n sur une pierre
et on enduit son c o r p s de la poudre de b r o y a g e obtenue. Jadis, chez les
Antanosy, le cordon ombilical était mis autour du cou de l'enfant ( 2 0 ) .
Bracelet ou collier, le cordon est la première parure de l'enfant. Les
bracelets ou colliers qui suivront auront d'ailleurs les mêmes vertus
magiques ; avant d'être parures, ils s o n t talismans. Quand le c o r d o n
ombilical placé au poignet est desséché, et risque de t o m b e r en morceaux
de lui-même, la mère le retire à l'enfant et le place dans une petite boîte
en feuilles tressées : sandrify, où il sera conservé. Toutefois certains
le donneraient à manger à un bœuf. Mais si le c o r d o n était perdu,
l'enfant deviendrait fou.
(19)
Les Rangonala ont le fady majana (interdit du chaud) : la femme doit accoucher
dans une pièce non chauffée ; sitôt après l'accouchement mère et bébé doivent
être baignés dans l'eau froide ; la mère ne doit s'alimenter qu'avec des mets
et tisanes froides pendant un délai de un mois à partir de la naissance ;
surtout elle doit s'abstenir de poivre et de piment, particulièrement fady. Les
Rangonala seraient originaires du Bobaomby ; une naïade leur aurait donné
naissance.
(20)
Le R.P. Navarette. de retour de Chine et des Philippines, dans le récit de son
séjour de 6 mois passé à Fort-Dauphin en 1671 notait à propos des populations
Sud : « Ils (les Malgaches) ont d'étranges superstitions et se livrent à toutes
sortes de sortilèges pour échapper aux crocodiles, à la maladie et aux mille
calamités qui les menacent. Ainsi ils font porter à leurs enfants, autour du cou,
leur cordon ombilical après qu'il a été coupé, pensant ainsi attirer le bonheur
sur eu*. C'est ce que j'ai vu et ce que les indigènes eux-imêmes m'ont dit »...
C.O.A.C.M. (T. ni), p. 350-351.
— 38 —
La première sortie
La femme et l'enfant ne peuvent sortir de l'alcôve que huit j o u r s
après la naissance. P o u r la circonstance l'un et l'autre doivent être lavés
à l'eau tiède. La femme tient à se présenter dans ses plus beaux atours.
Aujourd'hui, on habille aussi l'enfant. Mais jadis, dans tout son jeune
âge, il fallait laisser l'enfant nu p o u r lui permettre de grandir et se
développer sans contrainte. P o u r assouplir sa peau et ses articulations,
il est enduit dans les deux ou trois premiers m o i s de graisse de bœuf,
filemy ou menaka omby. Si l'enfant est né un j o u r néfaste, on le dépose
sur une natte devant la case, et une parente s'écrie tout comme si elle
avait découvert un nouveau-né abandonné : Zaho mahita zanaka eell
« Je v o i s un enfant » et s'en empare. C'est un simulacre d'abandon et
d'adoption consécutive. Il arrive que la parente adopte l'enfant. L e s
Sandrangoatsy par contre ignorent la coutume observée dans d'autres
tribus sakalava, de présenter à l'enfant, lors de la première sortie, ses
attributs : bêche et briquet p o u r le garçon, pilon à riz ou natte pour
la fille.
Dès lors la mère vaquera à ses occupations habituelles. Le bébé
toutefois ne sortira pas e n c o r e au grand soleil, mais sera gardé par une
grande sœur. La mère revenant de brousse ou de forêt doit prendre
certaines précautions avant de donner le sein à son enfant. En effet il
se peut qu'elle ait rencontré en route de mauvais esprits. Elle doit
purifier son sein à la fumée de vieux chiffons, pour enlever le « nala »
(charme maléfique), avant la tétée. D'autre part, elle aura soin dans ses
sorties d'emmener avec elle, un couteau, car ainsi les esprits ne l'attaqueront pas.
On remplace bientôt le c o r d o n ombilical du poignet par un bracelet
de perles blanches : haria malandy, aux vertus magiques. Le bracelet
est censé aider l'enfant à percer ses gencives pour avoir ses premières
dents (sympathie des perles blanches). On donne aussi à ce bracelet
le n o m de savola ; il aidera l'enfant à prononcer ses premiers balbutiements (soa vola : belle p a r o l e ) .
L'enfant ne porte pas encore de nom. Si on lui donnait déjà un nom
les esprits pourraient lui nuire, et lui prendre son âme. Pour rebuter
les esprit, on donne au contraire au bébé un n o m grossier c o m m e
baba tay « petit m... deux » si c'est un garçon, nene tay ou njary tay
(litt. mère m...) si c'est une fille, ou tout simplement on l'appelle
zakely : bébé.
La coupe des premiers cheveux
Environ au troisième mois, a lieu une cérémonie importante pour
l'enfant : la coupe des premiers cheveux. Chez les Sakalava, l'opération
porte le n o m de mangala haramo « enlever le mauvais », ou mangala
volo haramo « enlever les cheveux mauvais ». L e s cheveux de naissance,
volo haramo, maramara haramo, maramara ratsy, portent malheur à
l'enfant. N o n coupés, ils rendraient l'enfant idiot ou jzèUn^mahadala
tsaiky). A l'occasion de cette coupe rituelle, un hœyf- ' é V t u î a . et les
—
39
—
parents et amis invités. L'opérateur de la coupe doit avoir ses père et
mère encore vivants. S'ils satisfont à ces exigences, le père et la m è r e
de l'enfant, suivant qu'il s'agit d'un garçon ou d'une fille, effectuent
la coupe ; sinon un parent ( 2 1 ) . Peu importe que l'opérateur ait les
cheveux crêpés à r e n c o n t r e des Hauts-Plateaux où il d o i t a v o i r des
cheveux fins et lisses (magie s y m p a t h i q u e ) . Chez les Sandrangoatsy,
on ne coupe pas tous les cheveux : l'opérateur coupe < les cheveux
mauvais > en lignes concentriques en allant du tour de tête au sommet.
P o u r les garçons, on fait ainsi quatre cercles, parfois cinq, suivant la
grosseur de la tête ; pour les filles, trois. Cette différence est expliquée
par le fait que la coupe aide à la croissance en volume de la tête, et qu'il
est d'observation que les filles grandissent plus vite que les g a r ç o n s
dans leur première année.
Les cheveux coupés sont soigneusement ramassés et conservés dans
la corbeille sandrify, qui contient déjà le bout desséché du c o r d o n ombilical. Ils ne s o n t j a m a i s o f f e r t s en manducation à des jeunes filles ou
femmes en quête de mari ou d'enfant, c o m m e cela se passe sur les
Hauts-Plateaux ( 2 2 ) . Certains Sakalava font par contre ingurgiter les
cheveux, mélangés de miel et d'eau-de-vie à une vache qui sera désormais la propriété de l'enfant, ainsi que tous ses produits. Cette vache
portera le n o m de volo haramo. La manducation rituelle est censée
attirer fécondité sur tout le troupeau.
L'abandon des reliques d'enfance
C o r d o n ombilical et cheveux mauvais sont en règle générale gardés
jusqu'au j o u r où le trambo sera enlevé, c'est-à-dire lorsque l'enfant
atteint 3 ou 4 ans. Ce jour-là, les parents accompagnés de l'enfant se
rendent sur les b o r d s d'une grande rivière, rano be ou ratio malaza
(rivière r e n o m m é e ) , c o m m e dans la région de Mitsinjo, la Mahavavy, et
jettent les précieux souvenirs d'enfance à l'eau. Le pèro invoque les
ancêtres et leur demande de prendre l'enfant sous leur protection.
Parfois c'est la mère qui se rend seule à la rivière avec l'enfant. La mère
fait alors sa prière aux ancêtres et l'enfant jette c o r d o n et cheveux à
l'eau. Il semble toutefois que jadis, cette cérémonie qui parait s y m b o liser la rupture avec l'enfance, s'effectuait plus tard et l'enfant déjà
grand était uniquement a c c o m p a g n é par la mère ou les grands parents
du côté maternel ( 2 3 ) .
(21)
(22)
(23)
Chez les Tsimihety, c'est la tante paternelle, angovavy qui effectue la coupe.
Chez les Tsimihety, les cheveux mêlés de miel et de barisa (eau-de-vie) sont
donnés en manducation à la tante paternelle angovavy ; c'est elle la tampon'
zaza (maîtresse de l'enfant).
Chez les Sakalava Beosy, l'enfant ayant atteint l'âge de raison, vers 6 ou 7 ans
jetait cordon et cheveux dans un courant d'eau vive (rano velo). Chez les Sakalava Maroaimbitsy, les grands-parents Ulady) se chargeaient de l'opération. La
cérémonie ne se faisant que lorsque l'enfant avait de 7 à 10 ans, et parfois même
alors que l'enfant était déjà (marié. Chez les Tsimihety, il arrive que la femme
se rende près d'une « rivière renommée > avec tous ses enfants. Elle jette à
la fois cordon et cheveux de tous les enfants, deux, trois, ou plus. Par contre,
dans d'autres clans de ce groupe ethnique, le cordon est enterré près de la
porte du parc à bœufs. Il est censé attirer fécondité sur le détail.
— 40 —
Si cette cérémonie s'accomplit aujourd'hui à une époque plus
précoce, il faut voir là, semble-t-il, l'influence des sorciers-guérisseurs
et l'importance que ceux-ci o n t a c c o r d é au trambo. En effet, après la
première coupe de cheveux, si l'enfant doit observer le trambo, on lui
rase la tête à l'exception d'une mèche folle sur le devant de la tête.
Cette mèche porte le n o m de tsokotsoko (pour sanga en merina) et doit
sans doute son origine à la coutume musulmane suivant laquelle les
parents laissent aux jeunes enfants une touffe de cheveux, « la mèche
de Mahomet », qui, au cas de décès, servira à Dieu p o u r les entraîner
directement en Paradis. Cette mèche indique que l'enfant doit respecter
les fady du bas-âge. Elle n'a pas d'autre sens chez les Sakalava. Elle
est coupée et jetée lorsque le moasy enlève le trambo de l'enfant, vers
l'âge de 3 ou 4 ans en général, mais parfois plus tard. C o m m e les
cheveux mauvais, la tsokotsoko est jetée à l'eau, d'où l'interpénétration
des deux coutumes.
La dation rituelle du n o m
N o u s avons dit que dans ses premiers m o i s l'enfant est affublé
d'appellations grossières. Plus tard on lui donne un surnom familier
qu'il gardera parfois toute sa vie c o m m e : B o s y ( b a o b a b ) , Mbezo
(semence), Tsimibango (qui n'a pas de nattes de c h e v e u x ) , Varavara
( p o r t e ) , T a v o a n g y (bouteille), Tsimaty (pas m o r t ) , o u V e l o ( v i v a n t ) ,
Bemilomay (qui court vite)... Mais parfois il convient de rattacher plus
étroitement l'enfant à ses ancêtres. C'est le cas lorsque l'enfant, déjà
sorti du premier âge est atteint de maladie. Les parents f o n t le tsipirano, prière aux alncêtres, et en même temps le vœu que si l'enfant
guérit, ils lui donneront le n o m de l'ancêtre protecteur. Le plus
souvent, c'est en rêve (henziky) que père ou mère v o i t un des
grands parents se préoccuper plus particulièrement de l'enfant. En
reconnaissance les parents promettent de donner son n o m à l'enfant
malade. Une fois l'enfant guéri, on organise la cérémonie. Un bœuf,
s'il s'agit d'un garçon, une vache s'il s'agit d'une fille, est tué à l'est de
la case. L'enfant porté en triomphe sur les épaules de son père,
barbouillé de tany malandy (terre blanche) aux vertus thérapeutiques,
est déposé au milieu du cercle de parents et amis. Le ziva, allié à plaisanterie est présent. A p r è s les parents, il fait sa prière aux ancêtres — sa
prière est un tissu d'insultes, notamment d'invectives aux ancêtres qui
ne s'occupent pas plus de leurs enfants que si c'étaient des chiens —,
bénit l'enfant et l'assemblée avec de l'eau sainte en se servant comme
goupillon de la queue du bœuf, puis répète la même aspersion avec le
premier sang du bœuf sacrifié recueilli dans un bol ; il offre à l'enfant
tissu et habits. L e s amis offrent de l'argent. Enfin le ziva prend de la
bouse de la panse du bœuf et en dépose sur la tête de l'enfant. Cette
onction clôt la cérémonie proprement dite de la dation du n o m : fanaova
anara. A p r è s le ziva, tous les parents s'emparent de la bouse de la panse
et s'aspergent mutuellement, tentant de se oindre mutuellement la tête.
Ce geste est c o m m e un renouvellement collectif de l'alliance à plaisanterie. Le bol qui a servi à l'aspersion du tsipirano revient au ziva. Le
— 41 —
pied du bœuf sacrifié est donné à l'enfant ; la queue sera pendue dans
sa case. La fête se termine par une orgie de viande et de boissons.
Le droit d'aînesse
Il peut arriver, bien que le fait soit assez rare, qu'on donne à
l'enfant le n o m de grands-parents, d'oncles ou grands-oncles encore
vivants. Cela se produit parfois chez les Sandrangoatsy. L'enfant est
alors considéré c o m m e le digne successeur de la famille. Même s'il ne
s'agit pas de l'aîné, il héritera d'une part de biens supérieure à celle de
ses frères et sœurs. La cérémonie comporte d o n c à la f o i s dation du
nom et dation du droit d'aînesse.
Ce droit d'aînesse semble avoir été plus particulièrement respecté
jadis. Aujourd'hui l'aîné est généralement encore écouté de ses frères
et sœurs, mais l'individualisme sakalava a battu en brèche la coutume
ancienne. Frères et sœurs se disputent l'héritage avec âpreté alors
qu'autrefois celui-ci restait indivis, confié à l'administration de l'aîné.
Le rôle prépondérant de l'aîné se retrouve dans les m o t s qui servent à
le désigner : talanolo, littéralement « chef des gens » (tale-n' oîo), et
somilanjaza : premier-né (litt. « qui a ouvert la voie aux enfants » ?) ;
d'un autre côté, l'aîné est plus étroitement rattaché à la mère, car, ditelle, c'est lui qui a « percé la cloison », mamaky riba. La distinction des
aînés (zoky) et des cadets (zandry) reste très forte.
La circoncision
De la circoncision, manapaka tsaiky ou savatsy, nous ne dirons que
quelques mots. La cérémonie qui était solennelle j a d i s et réunissait tous
les enfants du village, est devenue familiale. Peut-être est-elle d'origine
arabe, puisque Flacourt signale qu'elle s'accomplissait à l'époque tous
les 7 ans, l'année du vendredi. Il y a peu, c'était encore une cérémonie
collective.
D i x j o u r s avant le j o u r fixé pour l'opération, on coupe les cheveux
des garçons en y dessinant des festons ou d e s fleurs ; c'est la « petite
coupe », hety madinika. La veille de l'opération, les enfants restent
reclus dans une cour. Pendant toute la nuit les mères, qui ne peuvent
les voir, chantent au-dehors. Le lendemain matin, de très bonne heure
des jeunes gens vont puiser de l'eau à la rivière. L'eau doit être pure,
et ne doit pas avoir été survolée par les oiseaux (rano tsy vokon' mboro)
censés apporter des maléfices. A leur retour les jeunes gens sont
attaqués par les gens de la famille restés au village, à c o u p s de pierres,
de bâtons, parfois de sagaies. Ceci symbolise vraisemblablement la
lutte de la classe d'âge supérieure c o n t r e la nouvelle classe d'âge, si
tant est que la circoncision puisse être assimilée à un rite de passage.
L'eau sert à laver le s e x e de l'enfant.
Le moasy sacrificateur ou tsimijoro (qui ne prie pas ?) procède à
l'opération. Le grand-père et non l'oncle maternel c o m m e il est fréquent
dans d'autres groupes ethniques, avale le prépuce dans un verre d'eaude-vie. L'enfant aura ainsi une postérité nombreuse.
— 42 —
L e s non-circoncis, tsy mitsitsoky d o n t il peut exister quelques-uns
sont la risée des autres ; quand ils se baignent, ils se dérobent aux
regards, les femmes refusent d'avoir des relations sexuelles avec eux.
Selon certains cependant un non-circoncis qui a déjà un enfant n'est pas
circoncis par la suite. Mais si un non-circoncis vient à mourir il faut le
circoncir avant l'enterrement — car le royaume de Dieu n'appartient
qu'aux circoncis (influence musulmane).
Le sens de l'opération serait d'après certains, de créer une analogie
avec la femme. La femme selon la nature souffre dans son sexe, et
saigne ; pareillement l'homme doit souffrir et saigner. Au surplus cela
distingue l'homme des autres représentants du règne animal. Par la
circoncision, l'homme est vraiment homme.
L e s funérailles
Pour les funérailles, il faut distinguer selon que le défunt est un
enfant encore dépourvu de dents ou un adulte.
1)
Pour un enfant en bas-âge
:
Tant que l'enfant n'a pas percé ces premières dents, il n'est pas
agrégé aux humains. L'enfant dépourvu de dents du bas, disent certains,
n'est pas encore « esclave du roi » ( 2 4 ) . L e s Merina l'appellent zazarano : « bébé-eau ». Chez les Sandrangoatsy, et chez les peuplades
sakalava voisines, il ne porte pas de n o m spécial. Mais on l'enterre
toujours dans un bas-fond près de l'eau.
Le bébé doit être enterré dans un endroit humide : tany manitsy
(terre fraîche) ou tany manintsinintsy (terre un peu f r a î c h e ) . Ce sera
souvent un marécage. Pareillement en pays tsimihety, l'enfant est
enterré dans un anaona (marécage). La cérémonie est toute simple. Le
corps est seulement entouré de chiffons et mis dans la fosse ( 2 5 ) .
Pour un jeune enfant, on ne fait pas de cercueil. La fosse est
réduite au plus strict minimum. Aucun tumulus de pierres n'en indique
l'endroit. Cependant il est dangereux de fouler au pied, m ê m e par
mégarde, le lieu de sépulture. C'est pourquoi le c o r p s du bébé est
enterré le plus souvent à l'écart des sentiers, au pied d'un arbre ne
portant pas de fruits comestibles, comme par exemple un adabo ( f i c u s ) .
S'il marchait à l'endroit où est enterré l'enfant, le profanateur se verrait
exposé à être frappé du nala, c'est-à-dire que ses membres se noueraient,
crispés irrémédiablement. Ce nala peut parfois s'apercevoir dans les
(24)
(25)
La coutume est d'ailleurs la même s'il s'agit d'un enfant de sang royal.
Chez les Beosy, on observe une coutume très voisine. L'enfant doit être enterré
près d'une source, plus précisément dans un < endroit d'où l'on peut apercevoir
une source » : tany mitsinjo loha-rano. Le fait d'enterrer l'enfant près d'une
source serait, par magie sympathique, source de vie (conception future), pour
la mère.
— 43 —
arbres au signe de branches ou lianes nouées ; c'est que l'endroit est
tabou. Enfreindre cette prescription, serait se condamner soi-même à
avoir les membres noués.
L e s mêmes règles sont suivies pour l'enterrement d'un enfant mortné ou né avant terme. Seuls les proches parents assistent à la cérémonie.
La mère ne doit pas manifester son chagrin, sinon elle s'exposerait à
ne plus avoir d'enfants.
Mais si l'enfant a des dents à la gencive inférieure, soit environ à
partir de l'âge d'un an, il est enterré comme un adulte, c'est-à-dire au
cimetière paternel si le kitrola a été accompli.
2)
Dans les autres cas :
L'idée essentielle qui préside aux funérailles est semble-t-il que le
corps du défunt soit avant inhumation, dépouillé de toutes chairs pourrissantes. D'où la coutume d'exposer le corps : fanareta ny maty (abandon du mort) jusqu'à parfaite putréfaction. D ' o ù peut-être aussi l'ancienne coutume des Sandrangoatsy d'immerger les leurs, ou de les
enterrer dans un terrain inondable, afin que l'eau puisse laver le
cadavre. D'ailleurs, la dernière toilette du m o r t avant inhumation
comporte toujours le lavage préalable du corps. L'exposition du corps
se fait au-dehors de la case mortuaire, sous des tamariniers en général
lesquels sont les arbres sacrés des Sakalava ( 2 6 ) . Le corps est placé sur
une claie, et tout autour parents et amis viennent installer leurs moustiquaires, tentes provisoires pour la durée de la cérémonie. P o u r satisfaire
aux usages, cette veillée du corps doit durer de nos j o u r s une semaine,
...une semaine durant laquelle il faut nourrir les invités, en particulier
sacrifier des bœufs, et aussi les abreuver. C'est pourquoi, en dépit de
l'infection grandissante du cadavre, la veillée a l'allure d'une fête. Et
aux beuveries peuvent suivre durant les nuits de veillées, des bacchanales. Le liquide de putréfaction (nana) n'est pas recueilli, c o m m e lorsqu'il s'agit de mpanjaka, dans des cruches ou une peau de bœuf, mais
retourne simplement à la terre. L o r s q u e la putréfaction est j u g é e assez
avancée, le corps est transporté au lolo (cimetière). Celui-ci est aujourd'hui situé sur des hauteurs, et le plus souvent on ne se d o n n e pas la
peine de fabriquer un cercueil. Le c o r p s roulé dans d e s lamba
mortuaires, puis dans des nattes est placé dans la fosse, de 60 centimètres environ, tête à l'est. La fosse est toujours individuelle. Il n'existe
pas de caveau collectif. Mais cette fosse doit se situer dans une rangée
réservée à la famille. En effet les parallélépipèdes de pierres d e s
tombeaux sont alignés par famille en longueur, en rangées nord-sud.
Parfois les tombeaux se touchent, parfois il est laissé un faible écart
entre eux. Le tombeau le plus ancien se trouve au milieu de la rangée.
(26) Ce lieu est appelé tsiandrarafa s'il s'agit de mpanjaka (descendants de rois). Le
mot désigne un endroit ombragé et ventilé.
— 44 —
Généralement les hommes sont enterrés au nord de ce premier tombeau,
les femmes au sud. Quant aux esclaves, jadis, ils étaient enterrés au pied
de leurs maîtres, c'est-à-dire à l'ouest.
Auprès du défunt, dans la fosse, on place quelques objets personnels : bol, assiette, bijoux, et même miroir p o u r les femmes. Jadis même
on glissait une piastre dans la b o u c h e du mort, curieuse convergence
avec l'obole au nocher Charon.
Le sacrifice de bœufs et le fadv hena an-dolo
Si le défunt est riche, on enduit le f o nd de la fosse de graisse de
bœuf. Pour cela on tue non pas un bœuf, mais deux. V o i c i pourquoi :
la viande de bœuf d o n t la graisse sert à parfumer ( ? ) le f o n d de la fosse
est taboue pour beaucoup. Cette graisse est dénommée soïiky manitse :
« graisse parfumée ». Mais la viande du bœuf dont on a soustrait la
graisse est fady :
— pour tous les gens de la famille,
— pour les femmes qui ont un enfant au sein, et celles qui sont tenues
de respecter le trambo,
— pour les personnes fady de filemy ou soliky lavaka (graisse de la
fosse) ;
et en outre, là où il en existe :
— pour tous les gens de famille mpanjaka ( d e sang r o y a l ) ,
— pour les personnes dites tromba ou sahan-drananahary, c'est-à-dire
possédées par les esprits des mpanjaka ou ancêtres défunts.
C'est pourquoi, on tue un autre bœuf, dont on n'extrait pas la
graisse et dont en conséquence la chair peut être consommée par les
gens qui respectent le fady filemy lavaka — sauf les panjaka véritables
qui doivent s'abstenir de toute viande de funérailles (fady hena an-dolo :
fady de viande au cimetière) — et aussi certains parents.
Ici intervient un fait intéressant du point de v u e ethnologique. Si
c'est l'enfant qui enterre un de ses parents, il a le droit de consommer
la viande du bœuf sacrifié. Il en est de même pour celui qui enterre ses
beaux-parents ou un frère ou une sœur.
Si c'est le mari qui enterre sa femme, ou inversement, il n'a pas le
droit de manger la viande du bœuf tué aux funérailles.
Si enfin ce sont les parents qui enterrent leur enfant, ils n'ont pas
le droit d'en manger non plus. Cette prohibition s'applique aux proches
parents : oncles et tantes du côté paternel et maternel, aux beaux-frères
et belles-sœurs. Elles ne s'appliquent pas aux grands-parents non plus
qu'aux beaux-parents. La raison de ce fady hena an-dolo est selon les
— 45 —
paroles mêmes des autochtones qu'il « est fady de manger pon enfant » ;
et eux d'expliquer ensuite que le bœuf tué à l'occasion do la m o r t de
l'enfant équivaut à l'enfant. Il y a substitution pure et simple ( 2 7 ) .
La purification et le deuil
U n e fois le corps déposé dans la fosse, on recouvre celle-ci de dalles
plates, faisant pour le m o r t c o m m e une chambre mortuaire. Par-dessus
on jette de la terre et on élève un tumulus de pierres. Les parents qui
ont procédé au dépôt du corps dans la fosse se lavent les mains avec
l'eau d'une cruche apportée spécialement, car le cadavre souille tous
ceux qui le touchent. Puis la cruche est laissée au pied du tombeau,
préalablement défoncée. Sur les lieux mêmes, les assistants s'abreuvent
copieusement en buvant du vin ou même l'alcool d'une ou plusieurs
dames-jeannes. Puis, tous redescendent à la rivière pour s'y purifier.
Tous, hommes, femmes et enfants présents, doivent se baigner pour
chasser les souillures du défunt. Par contre les habits ne sont pas lavés.
Le deuil ne se manifeste pas par des coutumes vestimentaires mais
par une coupe à ras des cheveux, effectuée dès le lendemain du décès.
Toutefois il faut faire ici la même distinction que p o u r le fady hena andolo. L e s parents, lorsqu'ils enterrent leur enfant, doivent raser leur
tête. Mais au cas contraire, si l'enfant perd un de ses parents, ou frère,
ou sœur, il ne se rase pas. P o u r manifester leur deuil, les femmes
dénouent les tresses de leur chevelure (mivaha volo). La levée de deuil
a lieu quelques m o i s plus tard. A cette occasion, toute la famille se
réunit et va solennellement prendre un dernier bain purificateur dans
la rivière.
Le choix du nouveau chef de famille
Lorsqu'on conduit en terre le chef de famille, il faut pourvoir en
même temps à son remplacement. Pour cela, les membres influents de
la famille se réunissent dès avant de se rendre au tombeau. Ils fixent
de concert leur c h o i x du nouveau chef de famille. Puis ils achètent une
brasse de kanika, toile écrue. Le chef de famille élu s'en ceint les reins
et conduit alors le cortège funéraire. Arrivés au tombeau, les parents
s'adressent au défunt et aux ancêtres p o u r leur demander d'agréer le
nouveau chef. C'est le parent le plus âgé qui prononce l'invocation, et
réclame en même temps santé, bonheur, richesse, pour tous les membres
de la famille. Mais ce n'est pas lui qui fait le tsipirano, aspersion purificitrice ; c'est le fils du frère aîné. Même si ce n'est qu'un enfant, c'est
à lui qu'appartient le pouvoir de bénédiction, en vertu de son droit
d'aînesse. Un plus âgé le remplace au besoin pour les prières d'usage.
(27)
La coutume décrite ici ne trouverait donc son explication que dans le rite
ancien de manducation rituelle du corps défunt qui a fait l'objet de la thèse
de M. Moi-F.T : « Le bain royal à Madagascar >, Tananarive 1956, thèse qui
a été fort discutée.
— 46 —
Le ziva, allié à plaisanterie est également présent. Il insulte les ancêtres
qui ont enlevé la vie à son ami, et pour clore la cérémonie, il jette la
bouse contenue dans la panse du bœuf sacrifié à tous les assistants.
A la tête du mort, il jette des branchages ou des feuilles sèches.
Le nettoyage du tombeau ou « rangandolo »
Un an environ plus tard, ou plus, a lieu le rangandolo ou firangan.
dolo, c'est-à-dire le nettoyage du tombeau. La cérémonie est une fête de
famille à laquelle on invite les parents, voisins et amis ; tous les
consanguins doivent être présents, mais la présence des parents utérins
importe peu. Plus que l'enterrement, la fête réclame achats de vins et
liqueurs fortes, sacrifice de bœufs, présence de chanteurs-danseurs semiprofessionnels appelés mpandrango, ce que l'on pourrait traduire par
« pleureurs funéraires » (rango : dalles funéraires). C'est pourquoi on
recule parfois la date de la fête devant la dépense. Mais, si l'on tarde
trop, les défunts se rappellent au souvenir des vivants, en leur envoyant
des maladies qui frappent le fils coupable, ou sa femme, ses enfants.
Le mpisikily consulté déclare que les défunts se sentent abandonnés, et
il indique un j o u r favorable pour le rangandolo. Parfois aussi c'est en
rêve que le fils reçoit les réprimandes du défunt ; ou bien sa femme est
enceinte et il veut mettre le fils attendu sous la protection des ancêtres.
Le nettoyage proprement dit consiste à désherber et balayer le lieu
des tombeaux, et à élever un parallélépipède de pierres. Le travail
terminé, la fête se poursuit toute la nuit, sur les lieux m ê m e s du
tombeau, c'est-à-dire loin du village. On chante, on danse, on boit, on
mange, et, le vin et la nuit aidant, on lutine les femmes. C'est pourquoi
ces réjouissances sont très courues.
Il arrive malheureusement que les esprits avinés s'échauffent et
pour vider une vieille querelle en viennent aux mains et aux c o u p s qui
peuvent entraîner m o r t d'hommes. Au soleil levant, chacun reprend ses
hardes, emportant la viande de bœuf non consommée. Quant aux fonds
de bouteilles et de dames-jeannes, leur contenu est versé sur les pierres
du tombeau. Les ancêtres aussi o n t soif...
— 47 —