La situation sociale ne va pas s`arranger à l`aéroport de Genève

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La situation sociale ne va pas s`arranger à l`aéroport de Genève
Immobilier Les promoteurs guettent le
développement des transports publics 32
Saint-Valentin Les téléphones
rendent les sex toys ludiques 38
Economie
Le Matin Dimanche | 8 février 2015
Assurances
Pour son directeur
Markus Hongler,
«si la Suisse souffre,
la Mobilière
souffre aussi». 31
Yvain Genevay
La situation sociale ne va pas
s’arranger à l’aéroport de Genève
Luttes Les compagnies low-cost, la culture syndicale et son régime juridique exposent Cointrin
à des mouvements sociaux plus fréquents qu’à Kloten. Les conditions ne devraient pas s’améliorer de sitôt.
Frédéric Vormus
[email protected]
Q
ue se passe-t-il à l’aéroport de Genève?
Lundi un débrayage de
plusieurs heures des
employés de Swissport, l’une des deux
sociétés d’assistance
au sol active sur le site, a conduit à de nombreux retards. Ce mouvement a été suivi
d’un préavis de grève annoncé pour vendredi. Les négociations d’urgence entre partenaires sociaux ont permis d’éviter un arrêt
de travail qui aurait provoqué un chaos sans
précédent à Cointrin. «Ce week-end près de
120 000 passagers transitent par l’aéroport. Il s’agit d’un de nos pics de l’année,
indique Bertrand Stämpfli, son porte-parole. Une grève aurait été catastrophique.» Si
le pire a été évité et que l’ambiance se détend, l’affaire n’est pas encore réglée. Les
décisions prises entre la direction de Swissport et ses représentants syndicaux doivent
être entérinées en assemblée générale la semaine prochaine.
A l’aéroport de Genève, les conflits sociaux se suivent et se ressemblent. En 2014,
pas moins de trois sous-traitants (SR Technics, qui s’occupe de la mécanique des avions, Gategourmet, qui prépare les plateauxrepas, et Swissport) ont dû faire face aux revendications de leurs collaborateurs. Or Zurich, où ces trois entreprises sont également
présentes, n’a plus connu de grève depuis
janvier 2000. Pourquoi, à Genève, les partenaires sociaux peinent-ils à s’entendre?
1
La pression du low-cost
Les compagnies à bas coûts, Easyjet en
tête, représentent 42% du volume passager à Cointrin. A Zurich ce taux ne dépasse pas les 10% depuis plusieurs années, confirme Jasmine Bodmer, l’une de ses porteparole.
«Le low-cost donne le ton. La politique
commerciale agressive d’EasyJet a joué un
rôle majeur dans ce qui arrive aujourd’hui,
déplore Jamshid Pourpanpir, secrétaire au
Syndicat des services publics (SSP). Zurich
ne l’intéresse pas car les taxes y sont trop
élevées.»
Son constat est étayé par les explications
de Jérémy Nieckowski, consultant au sein
de l’agence de communication Voxia, qui
défend les intérêts de Swissport: «Les contrats d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes
qu’il y a 10 ans. Les tarifs ont baissé de 30%
et la concurrence directe applique des salaires jusqu’à 25% moins chers. C’est toute l’industrie du secteur aérien qui a évolué, notamment avec l’arrivée des compagnies
low-cost. Mais les autres compagnies font
aussi pression sur les prix. Toutes les entreprises vont devoir s’adapter, le modèle actuel n’est plus viable si l’on veut garantir la
pérennité de la société et surtout maintenir
les emplois sur le long terme.»
Selon diverses sources, la pression d’EasyJet est telle que Swissport a même accepté
de ne rien gagner sur ce client qui représente pourtant près de 45% de son activité à Genève. «Les autres compagnies ont entendu
qu’EasyJet payait moins et elles veulent bénéficier des mêmes tarifs», témoignent
Contrôle qualité
Les compagnies à bas coûts, notamment EasyJet, jouent un rôle prépondérant dans le changement d’atmosphère social à Cointrin. Markus A. Jegerlehner/Keystone
«La politique
commerciale
agressive
d’EasyJet
a joué un rôle
majeur dans
ce qui arrive
aujourd’hui»
Jamshid Pourpanpir,
secrétaire
au Syndicat
des services publics
deux employés de Swissport. La pression
exercée sur la société d’assistance au sol se
répercute donc directement sur ses employés. «Les compagnies aériennes extériorisent leurs coûts. Elles ne veulent conserver
que ce qui rapporte. Or le travail, les salaires
coûtent chers, spécialement à Genève»,
poursuivent les deux collaborateurs de
Swissport.
Mais, à Zurich aussi, la situation risque
de changer. «Cet automne Lufthansa (qui
contrôle Swiss, ndlr) va exiger des baisses de
tarifs. Ce qui va se traduire par une pression
accrue sur les employés», annonce HenriPierre Mullner, secrétaire syndical de Push,
l’autre syndicat présent sur le tarmac genevois. Une source active à l’aéroport y voit
«une volonté de diaboliser le gros client.
Genève est un aéroport de point à point, ce
qui veut dire qu’il dessert directement des
destinations. Zurich est un hub qui permet
au voyageur de poursuivre vers une autre
destination. Pour des aéroports comme Genève, le low-cost est le seul modèle d’affaires viable.» La situation ne risque donc pas
de s’arranger.
2
Une culture syndicale romande
«La culture du syndicalisme est différente en Suisse romande. Il y a des
raisons historiques à cela. Genève est l’un
des cantons les plus syndiqués du pays»,
éclaircit Jamshid Pourpanpir. L’activité syndicale y est plus forte qu’ailleurs et particulièrement à l’aéroport. Son prédécesseur au
sein du SSP, Yves Mugny, connu pour son
jusqu’au-boutisme, a marqué les esprits sur
le site.
Pour Henri-Pierre Mullner, le secrétaire
syndical SSP René Zurin en charge du trafic
aérien à Zurich n’est pas d’une nature très
combative, ce qui explique qu’une nouvelle
convention collective, moins favorable aux
collaborateurs de Swissport, y ait été acceptée en 2014, alors même que les luttes battaient leur plein à Genève. En effet, Jérémy
Nieckowski relève: «A Zurich les discussions avec les syndicats ne sont pas moins
franches, mais elles sont possibles.»
De plus, contrairement à Genève où les
deux syndicats SSP et Push marchent main
dans la main, les associations de travailleurs présents à Kloten n’ont pas réussi
à trouver un terrain d’entente, ce qui forcément affaiblit la portée de leurs revendications.
3
L’implication du canton
Les deux aéroports se distinguent par
leur forme juridique. Ainsi Zurich est
une société anonyme cotée à la Bourse suisse alors que Genève est un établissement
autonome de droit public. «Cette forme juridique permet d’atteindre le magistrat qui
en a la charge. Les enjeux sont donc plus importants que dans une entreprise de droit
privé», analyse un employé de l’aéroport.
Les mouvements sociaux y trouvent une
caisse de résonance plus importante.
D’autant plus que la moitié des bénéfices de
Cointrin est reversée au canton. Un jour de
grève signifie moins de rentrées dans les
caisses de l’Etat, un manque à gagner inenvisageable pour un canton aussi endetté que
Genève. Ceci explique en partie l’empressement du Département de l’économie et de
la sécurité à offrir ses bons offices lors de la
crise de cette semaine.
4
Concurrence acharnée
A l’échelle de Swissport, la guerre
qu’elle livre à sa concurrente DNATA
participe aussi aux pressions sur le personnel de Genève. La société d’assistance au sol
qui détient 70% du marché de Cointrin, serait 25% plus cher que DNATA, filiale du
groupe Emirates. «Elle perd de l’argent, entre 2 et 3 millions de francs par an. Comme
pour le transport aérien, elle accepte pourtant d’en perdre pour mieux en gagner par la
suite, après avoir asphyxié son concurrent»,
pronostique Jamshid Pourpanpir. Il faut
ajouter à cette liste de difficultés un déficit
dans le management de la direction genevoise de Swissport pour expliquer le mouvement social de cette semaine. U