Dis-moi les lieux que tu fréquentes et je te dirais qui tu es ».

Transcription

Dis-moi les lieux que tu fréquentes et je te dirais qui tu es ».
Ecole Doctorale « Sciences de l’Homme et de la Société »
Année 2015-2016 - Demande d’allocation doctorale
Ecole Doctorale « Sciences de l’Homme et de la Société » n°240
Bourse régionale  ; bourse ministérielle  ; autres  ;
1. Informations administratives :
Nom de l’encadrant responsable de la thèse : Nora Semmoud
Unité : UMR 7324 CITERES
Equipe : Equipe Monde arabe et Méditerranée (EMAM)
Email de l’encadrant : [email protected]
2. Titre de la thèse : « Dis-moi les lieux que tu fréquentes et je te dirais qui tu es ».
Appropriations de l’espace public par deux catégories sociales de femmes à Rabat : les
cadres et les aides à domicile.
3. Résumé : (1 page maximum, en times 11)
Ce projet de recherche entend interroger la place qu’occupe la femme marocaine dans l’espace public,
l’appropriation qu’elle peut s’en faire à travers sa position sociale.
Au cours des « printemps arabe », les femmes ont eu une place importante dans cette mobilisation au sein
d’un espace devenu symbole du soulèvement populaire. Dans la majorité des cas, ces évènements qui ont
nourri d'immenses espoirs de démocratisation dans les pays arabes ont été étouffés ou dévoyés par
l’arrivée au pouvoir de partis politiques appelant à un retour aux valeurs traditionnelles de l’Islam. La
présence des femmes dans les mobilisations revendicatives a également été observée au Maroc, lors des
manifestations organisées par le mouvement1 du 20 février 2011. Suite à ces événements, le Maroc a
connu un changement de sa constitution en mars 2011, elle-même faisant écho au nouveau Code du statut
personnel marocain (Moudawana2) promulgué en octobre 2004. Toutefois, ces évolutions restent fragiles
face aux exigences conservatrices de certains partis politiques religieux (ex. Parti Justice et
Développement) et à leur impact sur le regard que porte la société sur les femmes. En dépit des discours
conservateurs sur les femmes au Maroc, ces dernières, après être devenues de plus en plus « partenaires »
à « l’intérieur » de l’espace domestique, ont progressivement accédé à l’espace public, connu et reconnu
pour être un domaine masculin. L’accès à la scolarisation et au monde du travail constitue le vecteur
essentiel de ces mutations, contribuant à la modification de la perception des espaces publics et à leur
appropriation genrée.
Ce projet s’inscrit dans la lignée des réflexions de Pierre Bourdieu dans son ouvrage la « domination
masculine » qui appelle à un renouveau de l’action politique. Selon lui la domination masculine est ancrée
dans les sociétés actuelles, produit d’un travail de (re) création constante de ses structures par la sphère
religieuse, l’école et l’Etat (1998, p. 93). Au Maroc, ce projet se nourrira des réflexions menées par Rabia
1
Mouvement né suite aux mobilisations dans les pays arabes.
La Moudawana réglemente les rapports au sein de la famille et fixe les conditions de mariage, organise les modes de dissolution
du lien matrimonial et les effets de la séparation. Ce texte, révisé en 2004, améliore les droits des femmes et consacre le principe
d’égalité entre l’homme et la femme en termes de responsabilité familiale, de droits et de devoirs.
2
Naciri (2004) qui autour d’un travail critique sur le code de la famille marocain en relève les avancées
ainsi que les limites. Elle met également en avant l’importance du travail réalisé par la société civile
marocaine et plus particulièrement celui des associations féministes pour accompagner la nouvelle
Moudawana. La réflexion s’appuiera aussi sur le travail de Safaa Monquid, en particulier sur son ouvrage
« Femmes dans la ville » qui traite des différences d’accessibilité des femmes à l’espace public, selon leur
statut social et leur tranche d’âge. L’autrice met également en évidence les divers stratagèmes des femmes
pour légitimer leur présence dans l’espace public et les choix qu’elles opèrent dans l’occupation de celuici. L’intérêt portera également sur les débats scientifiques au Nord (Denèfle, 2009, Hancock, 2012,
Lougarant, 2012, etc.), afin de mettre en lumière la circulation des concepts.
Le travail consistera en une étude comparative des rapports à l’espace public de deux catégories de
femmes actives : les cadres et les aides à domicile. Nous considérons que le positionnement social, outre
qu’il conduit à la fréquentation de lieux différents, mobilise des compétences et des stratégies distinctes
dans l’appropriation des espaces publics. Cette approche permet d’identifier les formes de vulnérabilités
des femmes selon leur place dans la hiérarchie sociale. Nous identifierons la manière dont elles perçoivent
leur rapport à un espace à présence majoritairement masculine, et la place qu’elles y occupent. Et enfin,
nous chercherons à caractériser les différences d’appropriation des marocaines, en fonction de leur
appartenance sociale. Quels sont les espaces publics fréquentés et évités ? Quels sont leurs itinéraires dans
les déplacements à caractère familial, professionnel, de loisirs, etc. ? Quelles sont les stratégies mises en
place, quand il s’agit d’espaces masculins ? L’analyse cherchera, en particulier, à comprendre pourquoi les
espaces publics récemment aménagés, sont-ils fortement attractifs pour les femmes ?
Le projet de recherche sera structuré autour de trois axes qui s’alimenteront mutuellement. Le premier
concernera le positionnement de notre réflexion dans les débats scientifiques actuels autour du genre, en
mettant en évidence les spécificités de cette question dans les pays musulmans, comme le Maroc. Le
deuxième axe portera sur les perceptions et les usages des espaces publics par les marocaines issues de
catégories socio-professionnelles différentes, des cadres, ainsi que des aides à domicile. Enfin, le troisième
axe focalisera l’analyse sur les modes d’appropriation par les femmes d’espaces publics récemment
aménagés. L’approche sera essentiellement qualitative et basée sur des entretiens semi-directifs
individuels et collectifs, notamment auprès d’associations féminines. Nous appuierons ces entretiens par
l’observation des espaces publics étudiés (place El Joulane, berges de Rabat, mail de Hay Ryad, etc.) en
identifiant et cartographiant avec les interviewés les lieux fréquentés, ainsi que les formes d’usage. Des
relevés ethnographiques et des photos significatives viendront alimenter l’analyse. Nous accompagnerons
des femmes interviewées dans leurs déplacements, en suscitant leurs commentaires. Par ailleurs, nous
organiserons des focus group (5 personnes) pour chacun des groupes sociaux retenues, autour d’images
des espaces publics les plus caractéristiques de la ville.