L`épaisseur d`une bulle de savon
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L`épaisseur d`une bulle de savon
BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1807 L’épaisseur d’une bulle de savon par Vittorio ZANETTI Département de physique - Université de Trente Traduit par Gérard SERRA Lycée Saint-Charles - 13001 Marseille RÉSUMÉ Mesurer l’épaisseur d’une bulle de savon est un problème qui peut être motivant pour des élèves de l’enseignement secondaire. Cela nécessite de leur part de l’invention. On aboutit à des résultats dont l’ordre de grandeur est satisfaisant. CONSIDÉRATIONS DE CARACTÈRE GÉNÉRAL Il existe de nombreuses activités expérimentales significatives qui peuvent être exécutées avec des élèves en observant des bulles de savon ou une lame d’eau savonneuse [1, 3]. L’une d’entre elles consiste à déterminer l’ordre de grandeur de l’épaisseur d’une bulle de savon. De notre point de vue, cette activité est indiquée pour des élèves de lycées. On peut organiser la leçon comme une résolution de problème, en vue de stimuler la créativité des élèves et donner à l’enseignant l’occasion de reconnaître les « bûcheurs ». Si la leçon sur les interférences de la lumière a déjà été traitée, les élèves pourront facilement faire le lien entre les couleurs observées et l’épaisseur de la membrane d’eau savonneuse. Dans le cas contraire, c’est à l’enseignant de poser les bonnes questions dans des domaines mieux connus pour les amener à cette même conclusion. En particulier si l’on a abordé les empilements de molécules [4] donnant une variation discrète de l’épaisseur, on pourra montrer l’analogie avec le phénomène étudié et prévoir l’extrême petitesse de cette épaisseur. Pour rendre plus concrète cette démarche, on cherchera à déterminer l’épaisseur d’un ballon de baudruche. THÉORIE ET EXÉCUTION DE L’EXPÉRIMENTATION Avec une balance dont la sensibilité est au moins du centigramme, on détermine la masse m d’une bulle de savon gonflée avec une paille trempée dans la solution. Or : m = S.e.n (1) avec S = 4rr 2 : aire de la bulle, e : épaisseur de la membrane et m : masse volumique de cette membrane # 103 kg.m- 3 car le détergent représente 1/20 du volume d’eau. On peut NDLR : Cet article a été publié sous une forme voisine dans le cadre d’une « note de laboratoire » dans la revue de l’AIF « La Fisica nella Scuola », Anno XXX n.2, aprile-guigno 1997. Vol. 95 - Décembre 2001 Vittorio ZANETTI 1808 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS déterminer aisément le diamètre de la bulle, donc son rayon r, on en tire : m m = e= (S.n) (4r2 .103) (2) Un double décimètre permet de mesurer approximativement le diamètre de la bulle et donc son rayon. Un sachet cubique transparent, d’arête égale à 2r (environ 7 cm), dans lequel on peut gonfler une bulle de savon jusqu’à ce que son contact simultané avec les parois la fasse éclater donne une meilleure précision. Muni de son couvercle (percé d’un trou pour la paille), il permet d’éviter de perdre de la matière ; on le pèse avant et après, on a ainsi aisément les deux grandeurs S = 4rr 2 et m. Il faut éviter de faire la mesure avec la première bulle qui suit l’immersion de la paille dans l’eau savonneuse à cause des excès de solution adhérents à la paille, mais utiliser la deuxième voire la troisième bulle. Mieux vaut renoncer à peser la bulle déposée sur le plateau (humecté au préalable pour éviter son éclatement), car la poussée d’Archimède fausserait considérablement la mesure. Par contre, peser la différence de masse de plusieurs bulles est une amélioration intéressante. Avec cette méthode on a obtenu : m = 40 mg à 20 mg près et e = 2,6 µm à 1,4 µm près. On voit que la précision sur la masse est bien plus mauvaise que celle qui concerne le rayon de la bulle. Cette bulle ne présente pas d’interférence car son épaisseur est très supérieure aux longueurs d’onde visibles : 0,400 µm < λ < 0,800 µm. m Comment réduire cette épaisseur ? Comme S.e = = Cte, en gonflant suffisamment n la bulle, on peut atteindre l’épaisseur minimale soit deux longueurs de molécules de détergent [2], en supposant que du liquide n’est plus transmis à la bulle et que l’évaporation est négligeable. Les interférences apparaîtront de ce fait. L’utilisation des interférences lumineuses est conseillée avec une lame plane et verticale. La partie supérieure noircit lorsqu’elle atteint son épaisseur minimale (interférence destructive due à la réflexion sur les deux faces) [5, 6]. L’utilisation d’une balance au milligramme pour des bulles, en secouant bien la paille avant de souffler dans le sachet cubique, et en répétant plusieurs fois la mesure de la masse, conduit à une masse en moyenne m = 33 mg à 4 mg près et une épaisseur e = 2,1 µm à 0,3 µm près. La possibilité d’obtenir des bulles plus fines et reproductives augmente notablement si l’on touche une autre bulle préexistante avec une paille dont l’extrémité est sèche. Les franges d’interférence sont alors visibles. La dispersion diminue considérablement : m = 4 mg à 1 mg près et l’épaisseur e = 0,23 µm à 0,05 µm avec le protocole indiqué plus haut. CONSIDÉRATIONS DIDACTIQUES FINALES Il résulte de ce qui précède que les mesures permettant d’atteindre l’épaisseur d’une L’épaisseur d’une bulle de savon BUP no 839 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1809 bulle de savon sont d’une simplicité extrême. L’objectif didactique de cette expérience n’est pas l’acquisition d’une habilité manuelle mais plutôt d’inciter les élèves à imaginer une méthode qui permette de résoudre une question a priori insoluble au regard des manipulations habituellement décrites dans les manuels ; d’autant plus que la valeur recherchée est inconnue a priori. La transparence et la fragilité de ces bulles de savon contribuent à rendre le problème psychologiquement et objectivement difficile à affronter. Comment pouvons-nous le modéliser mathématiquement du point de vue mathématique ? De quels instruments de mesure pouvons nous nous servir ? Didactiquement il convient de procéder en deux temps : premièrement, proposer en classe le problème, puis laisser aux élèves le temps de réfléchir à la maison et d’y faire des bulles de savon. On reprend le problème en classe et la comparaison avec les suggestions d’autres classes avec d’autres professeurs doit faire apparaître clairement la problématique. En effet ceux qui ont fait le travail demandé sont en mesure de trouver la solution plus facilement et de comprendre le protocole retenu. BIBLIOGRAPHIE Dans l’article original [1] DEFRANCESCO S. « Perché si fomano le bolle di ssapone » e « I colori delle bolle di sapone », sul Quaderno 4, intitulé « I giocatelli e la scienza », supplément de la La fisica nella scuola, 1993, XXVI, 4. [2] ALMEGREN, TAYLOR. « La geometria della bolle di sapone », le Scienze, novembre 1976, 99, p. 48-60. [3] BOYS C. Le bolle di sapone. Zanichelli, 1963. [4] Fisica, acura del PSSC, Zanichelli, 1962. [5] ROSSI B. Otica. Tamburini, 1971. [6] FLEURY P. et MATHIEU J.-P. Images optiques, 1966. Dans le Bulletin de l’Union des Physiciens À propos de bulles de savon et de couches minces depuis... 1911 ! (recherche faite avec BUPDOC3 et sur le site de l’UdP). ♦ DELVALEZ G. Temps nécessaire pour qu’une bulle de savon se dégonfle. Bull. Un. Phys., juillet 1911, vol. 5, n° 45, p. 272-275. ♦ COTTY. Appareil mettant en évidence les petites variations de pression atmosphérique et l’excès de pression à l’intérieur des bulles de savon. Bull. Un. Phys., octobrenovembre-décembre 1914, vol. 9, n° 76-77-78, p. 12. ♦ DELVALEZ G. Quelques expériences sur les lames de savon. Bull. Un. Phys., avril-mai 1925, vol. 19, n° 182-183, p. 210-213. ♦ CHAPELET M. Tourbillons à la surface d’une lame mince d’eau savonneuse. Bull. Un. Phys., décembre 1983, vol. 78, n° 659, p. 330. Vol. 95 - Décembre 2001 Vittorio ZANETTI 1810 BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS ♦ CARRON R. Dimension des molécules. Bull. Un. Phys., décembre 1992, vol. 86, n° 749, p. 1483-1486. ♦ SCHWOB M. L’expérience de Franklin revisitée. Bull. Un. Phys., novembre 2000, vol. 94, n° 828, p. 1853-1854. Disponible sur le site de l’UdP : http://www.cnam.fr/hebergement/udp/nouveautes/pedagogie/lycee/msfranklin.pdf ♦ BOLMONT E. L’expérience de Franklin, encore... Bull. Un. Phys., avril 2001, vol. 95, n° 833, p. 647-654. et sur le site de l’UdP : http://www.cnam.fr/hebergement/udp/qr/qrphysique/qp0042.htm Après avoir enseigné la physique pendant plusieurs années dans un lycée, Vittorio ZANETTI enseigne maintenant la physique expérimentale et les travaux pratiques aux élèves-professeurs à l’université de Trente. Il a été, au titre de l’AIF, coordinateur européen de l’ICASE. Il est l’auteur de nombreux articles et d’un manuel de physique pour l’enseignement secondaire. L’épaisseur d’une bulle de savon BUP no 839