paris-belo horizonte : image transferee, image transformee

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paris-belo horizonte : image transferee, image transformee
PARIS-BELO HORIZONTE : IMAGE TRANSFEREE,
IMAGE TRANSFORMEE
HELIANA ANGOTTI SALGUEIRO*
«Qu’on étudie sérieusement cette architecture tant décriée,
qu’on la suive dans ses phases successives, qu’on
l’examine chez les autres nations modernes, et l’on
reconnaîtra qu’elle a constamment su diversifier ses
expressions et marquer avec art les différences des temps
et des lieux, tout en persistant à mettre en oeuvre les
mêmes éléments. Sur une base constante, elle a admis les
styles les plus opposés. Elle a témoigné par-là du lien qui
unit les diverses fractions du monde civilisé et des nuances
qui les séparent; elle a conservé à la fois ces deux
précieuses qualités de l’art : l’universalité et la variété».
Léonce Reynaud, 1875.
—Faire, à Paris, une thèse sur l’architecture de Belo Horizonte ?
Plusieurs fois mon propos a été objet d’étonnement, et même d’un double
étonnement. Tout d’abord parce que très peu de chercheurs s’aventuraient, il
y a quelques années, à s’occuper de l’architecture de la seconde partie du
XlXe siècle, marquée par des préjugés et un mépris internationalement
partagés et à peine révisés1. Au Brésil, le réveil de l’intérêt pour la période
n’a commencé officiellement qu’en 1984 lors du Congrès du Comité
Brésilien d’Histoire de l’Art tenu à Rio, centré sur le Néoclassicisme et
*
Boursière du CNPq, étudiante à 1 EHESS, thèse avec M. Hubert Damisch.
1
Malgré l’apport pionnier des publications italiennes, anglaises et américaines,
l’intérêt sur le sujet ne prendra d’ampleur qu’à partir de l’exposition «The
Architecture of the Ecole des Beaux-Arts», au Musée de l’Art Moderne à New York
en 1975, suivi d’une publication qui a réuni un certain nombre de chercheurs :
quelques-uns d’entre eux se retrouveront avec des Français, en 1978, pour organiser à
Philadelphie une autre exposition qui se déplacera au Grand Palais, en 1979 : «L’art
en France sous le Second Empire». Thèses, collectifs, catalogues et plusieurs autres
expositions ont suivi. De nombreuses recherches dans tous les pays sur la période
1870-1914 et 1’organisation des musées spécialisés comme Orsay à Paris en 1986 ont
définitivement réhabilité la réflexion «vers un autre XIXe siècle».
Cahiers du Brésil Contemporain, 1990, n°12
Heliana ANGOTTI SALGUEIRO
l’éclectisme1. Néanmoins, des tentatives approfondies d’histoire comparée ou
des recherches précises côtoyant pensées, formes et représentations se font
sentir au-delà des analogies superficielles. La tradition de recherches en
histoire de l’art au Brésil suivait depuis les années 1920, la mentalité des
modernistes qui ont créé les lois du patrimoine dans le pays ; ce sont eux qui,
considérant le XIXe siècle comme dépourvu d’intérêt, ont cautionné
indirectement sa démolition: «ce Versailles de stuc» (ainsi s’exprimait
Oswald de Andrade à propos de Belo Horizonte en 1924) devrait disparaître2.
La plupart des travaux ne dépassent pas les généralités autour des
étiquettes données, sans présenter une analyse critique des appropriations qui
soit inscrite dans une phénoménologie des différences. D’ailleurs, on persiste
dans des approches qui se restreignent à voir cette architecture comme une
affaire de «goût » ou de «mode»—termes désuets dans la réflexion actuelle
d’histoire de l’art—et à tisser des rapports rapides avec la vieille histoire des
mentalités ou, ce qui est encore pire, à essayer de classer les «influences» par
l’identification descriptive à des typologies stylistiques, sans approfondir les
termes dans lesquels ces dernières sont posées.
Devant ce constat on ne sera pas surpris de trouver un dossier «Brésil»
presque vide, dans le service de documentation du Musée d’Orsay, que l’on
sait spécialisé sur la période.
En second lieu, considérons l’étonnement principal: qu’est-ce qui relie
Belo Horizonte à la France ?
Cette ville-capitale brésilienne, fondée en 1894, dans un but politicoidéologique relevant du fédéralisme républicain récemment proclamé —voir
la Constitution de 1891—, est projetée par un architecte et un ingénieur dont
on ne peut comprendre le rôle qu’à partir des données d’une pensée urbaine
française à laquelle ils sont attachés, soit par leurs institutions de formation
professionnelle, soit par le caractère cosmopolite des formes architecturales
qui en font partie, et qui seront imposées à cette ville créée de toutes pièces.
1
Quelques recherches en cours sur l’éclectisme, présentées dans ce congrès, ont été
réunies dans un ouvrage collectif organisé par Anna Teresa FABRIS, Ecletismo na
Arquitetura Brasileira, São Paulo, Ed. Nobel, 1987.
2
Cf. l’article «Embaixada Artística—Minas histórica através da visão de um estheta
moderno», Diario de Minas, 27/04/1924.
Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée
Faire, dans le cadre de l’histoire de l’art, l’histoire d’une ville qui retient
des traces typiques du XIXe siècle, c’est voir constamment s’élargir le champ
d’analyse. Il ne s’agit pas seulement de s’interroger sur l’association déjà
classique entre architecture et urbanisme, mais d’introduire un troisième
terme, l’histoire culturelle, à condition de ne pas se contenter de généralités.
La pluralité de ce parcours se complète par une analyse de type comparatif :
en abordant un certain nombre de thèmes qui s’internationalisent à l’époque,
j’essaie d’articuler les savoirs, les pensées et les pratiques de ceux qui ont
imaginé Belo Horizonte, les renvoyant à leurs matrices culturelles
européennes, spécialement françaises. La comparaison s’avère
interdisciplinaire à double titre, car elle suppose analogies, écarts et
relativité1.
Ainsi, on trouve d’une part Aarão Reis, ingénieur polytechnicien lié aux
travaux publics à Rio, auteur des textes fondateurs et du plan de Belo
Horizonte, marqué par les conceptions françaises d’économie politique —ici
comprise dans le sens que lui donna le XIXe siècle2—, traducteur de
Condorcet, Laboulaye et Littré, et s’alignant sur le grand récit du progrès à
travers les idées saint-simoniennes et comtiennes présentes dans ses écrits.
D’autre part, on trouve l’architecte José de Magalhães, dessinateur des
principaux édifices publics de la nouvelle capitale, ex-élève de l’Ecole des
Beaux-Arts, ayant séjourné cinq ans à Paris. L’oeuvre de ce dernier, réalisée
au Brésil, est dans mon analyse, située dans une série iconographique,
comme une des variantes possibles d’un style international tel que celui
diffusé par la fameuse école à la fin du XIXe siècle.
En dehors de l’intérêt local que peut avoir, pour l’histoire de la
planification urbaine au Brésil, l’étude sur Belo Horizonte, c’est surtout son
inscription dans un processus de transformation d’un système d’idées sur les
villes, courant au XIXe siècle, qui nous permettra de dégager ce qui est
comparable d’un pays à l’autre : analyse toujours articulée aux conditions
structurelles d’historicité de chacun.
1
Je reprends ici une partie de mes réflexions faites lors de la Journée de
l’Interdisciplinarité qui a eu lieu à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales le
23/03/1990.
2
Bernard Lepetit l’explique comme étant « à la fois une science positive et
spéculative passant en revue les chapitres canoniques : travail, production, circulation,
distribution de richesses, population». Cf. «Retour aux Représentations», Les villes
dans la France Moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988, p. 383.
Heliana ANGOTTI SALGUEIRO
L’histoire de Belo Horizonte s’avère, donc, un cas exemplaire pour
étudier toute une série de questions, à la croisée d’une histoire culturelle telle
qu’on la comprend aujourd’hui1. Lorsqu’on replace son architecture dans les
textes de l’époque mentionnés en passant par les chroniqueurs de l’histoire
officielle, on observe, par exemple, que José de Magalhães se rapporte aux
idées de Léonce Reynaud, figure fondamentale dans le scénario de
l’enseignement parisien au milieu du dernier siècle. De même, on constate
qu’à Rio les ingénieurs de sa génération, parmi lesquels se retrouve Aarão
Reis, connaissent les écrits saint-simoniens de Jean Reynaud ou de Michel
Chevalier. De ce fait, on lira les textes de la Commission d’Etudes des
Localités pour les choix de la nouvelle capitale2 à la lumière de 1’article
«Villes» de l’Encyclopédie Nouvelle. Reis et sa pléiade d’ingénieurs
polytechniciens auront des idées sur le territoire, le paysage, la salubrité,
l’embellissement et les voies de communication, qui se rapprochent des
fondements préalables pour la construction des villes prônés par Jean
Reynaud3. Dans l’esprit de la Troisième République française, Reis, en tant
que lecteur de Littré, ne cachera pas l’option pour une forme autoritaire et
conservatrice de républicanisme, répondant à ces concepts dans la création
des images symboliques de Belo Horizonte.
Ces rapports jusqu’alors inexplorés confirment que maintes fois, au
Brésil, on se borne à faire des références rapides à des textes qui sont
fondamentaux pour la compréhension de l’univers et la pensée du XIXe
siècle, sans les situer dans une recherche d’ensemble ni analyser les réseaux
dont ils font partie.
1
Voir R. Chartier, «Le monde comme représentation—redéfinition de l’Histoire
Culturelle» in Annales E.S.C., n°6, nov/déc 1989.
2
Le rapport, écrit à la suite d’une enquête sur cinq localités concurrentes, constitue la
première étude systématique et chiffrée des différents sites dans une région comme le
Minas, où l’on ne comptait pas encore, à la fin du XlXe siècle, de mémoires
descriptifs du territoire, si communs dans la France des Lumières. Ce texte s’inscrit,
en outre, dans la pensée utopique du pré-urbanisme progressiste européen du milieu
du XlXe siècle. Cf. Cornmissão d’estudos das Localidades Indicadas para a Nova
Capital _ Relatório apresentado à Affonso Penna pelo Eng. Civil Aarão Reis, Rio
Imprensa Nacional, 1893.
3
Cf. Encyclopédie Nouvelle ou dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et
industriel offrant le tableau des connaissances humaines au XlXe siècle, par une
société de savants et de littérateurs, publiée sous la direction de P. Leroux et Jean
Reynaud, t. VIII Paris, 1841.
Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée
Prenons un seul exemple : Gilberto Freyre, en présentant, il y a quelques
années, la traduction des lettres de L. L.Vauthier n’a pas hésité à affirmer que
la revue française dans laquelle elles ont été originalement publiées, en
1853—la Revue Générale d’Architecture et des Travaux Publics—, était
«une revue technique de public naturellement réduit»1 ! Pourtant, la R.G.A.
—acronyme déjà consacré par les historiens du XIXe siècle—est le plus
important périodique sur la pensée urbaine et architecturale publié de 1840 à
1889 à Paris, avec un rayonnement international et une célébrité indéniable.
De surcroît, Freyre veut insister sur le caractère inédit des lettres de Vauthier,
n’indiquant ni l’année ni le volume de la revue où elles ont été publiées, alors
qu’on peut lire, déjà en 1886, des références complètes et des commentaires à
ce sujet dans la revue dirigée par Araújo Vianna à Rio2, sans parler d’autres
lectures postérieures qui renvoient aussi à l’ingénieur français. En outre, les
rapports fondamentaux avec la directive saint-simonienne et fouriériste
conférée à la revue par son rédacteur César Daly3 ne sont pas du tout
mentionnés, laissant le lecteur Brésilien sans aucune information quant à
l’univers culturel des débats où se situent les opinions de Vauthier4. Passons.
1
Cf. Introdução de G. Freyre à L. L. Vauthier, «Casas de Residência no Brasil» (Les
maisons d’habitation au Brésil) in Arquitetura Civil I (textos escolhidos da Revista do
Instituto Histórico e Artístico Nacional), São Paulo, FAUUSP e MEC-IPHAN, 1975
2
Je me réfère à la Revista dos Construtores, spécialisée dans «architecture, génie
civil, hygiène et pratique des constructions», éditée de 1886 à 1889, et maintenant une
correspondance active avec des publications étrangères telles que La Construction
Moderne, L’Encyclopédie d’Architecture, L’Architecte, Le Journal d’Hygiène, etc.
L’article se rapportant aux lettres de Vauthier est daté du 28/08/1886, année 1, n°7, p.
111. La référence de la source est précise: R.G.A., vol. XL 1853.
3
César Daly est le publiciste et théoricien de l’architecture française le plus connu du
XIXe siècle; voir à ce sujet: Ann Lorenz Van Zanten, «Form and Society : César Daly
and the Revue Générale de l’Architecture», in Oppositions 8, avril 1977, et aussi sa
thèse de doctorat, César Daly and the Revue Générale de l’Architecture, Harvard
University, 1981. Voir aussi d’Hélène Lipstadt, «César Daly : un architecte
révolutionnaire ?», in Architectural Design, n°11/12, 1978, et Architecte et Ingénieur
dans la presse (Polémique, Débat, Conflit), Paris, Corda, 1980. Plusieurs textes
brésiliens sur l’architecture du XIXe siècle ne citent Daly que nominalement. Voilà un
problème de base qui se rapporte à l’historiographie du XIXe siècle, superficiellement
connue au Brésil.
4
Il faut qu’on se rappelle encore les positions politiques de Vauthier, «démocrate
socialiste» et aussi fouriériste, comme Daly (Cf. Dictionnaire Biographique du
Mouvement Ouvrier Français), qui se trouve au Brésil dans la condition d’exilé entre
1855 et 1859. Dans ses lettres on distingue bon nombre de points qui mettent en
évidence ses idées d’ingénieur «sociologue», typiques de sa génération en France.
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L’histoire apparemment pauvre en données personnelles, en ce qui
concerne la pensée des professionnels brésiliens en architecture du siècle
dernier, ne doit pas décourager le chercheur. Le travail sur les références
indirectes, même si elles ne sont pas systématiques, peut se révéler
extrêmement riche. La seule difficulté est de ne pas toujours les trouver dans
les archives brésiliennes, puisque la plupart des petites bibliothèques
constituées au XIXe siècle ont été dispersées ou ont pris feu (par exemple,
celle du Lycée des Arts et Métiers à Rio). J’ai pu trouver, par exemple, dans
les bibliothèques parisiennes des revues internationales d’architecture et de
génie civil mentionnées dans une liste de la Sociedade Literária Belo
Horizonte, fondée en 1894 notamment par l’architecte José de Magalhães,
revues aujourd’hui difficilement trouvables au Brésil ; leur dépouillement
m’a permis de tisser une série de rapports éclairants sur la question
hygiéniste, les solutions techniques et les matériaux qui on été appliqués dans
la construction de la nouvelle capitale.
Le partage culturel et le transfert de modèles y trouvent une des voies de
recherche les plus fécondes. Mais le fait que les membres de la Commission
Constructrice soient familiers des revues d’actualité n’empêche pas que leurs
discours et projets présentent parfois des «archaïsmes», qu’il ne faut pourtant
pas saisir comme tels. Plusieurs fois au cours de ma recherche le problème
s’est posé : au Brésil, des doctrines, ainsi que des formes architecturales, se
juxtaposent, les intemporalités ne devant pas être prises pour des
anachronismes mais comme des réponses possibles, liées aux structures
internes de l’historicité, sous le signe d’un temps qui leur est propre. (On y
reviendra, avec d’autres exemples). La Construction Moderne, une des
revues les plus lues par la génération des ingénieurs ou architectes qui ont
construit Belo Horizonte, nous permet d’observer l’ubiquité de certaines
polémiques et la diversité de réception d’autres. Lorsqu’on décompose une
pensée pour tisser des relations avec celle d’un autre pays, il faut être attentif
à ne pas jouer avec des catégories qui n’existaient pas à l’époque, ni oublier
certains décalages et changements conséquents des discours. Parfois
autonomes en leur temps, ils seront marqués, nettement dans le cas brésilien,
par des survivances de longue durée et des pluralités d’appropriations
apparemment contradictoires. C’est ainsi, qu’en France, on refusera les
«italienneries»; de Palladio et Vignole à partir de la deuxième moitié du XIXe
siècle dans les éditoriaux des revues ou dans la critique des concours
d’architecture; tandis qu’au Brésil, des textes de base circulant parmi les
constructeurs—je pense spécialement aux manuels du type «Vignole des
ouvriers»—, conseillent les règles du «bon usage» de ces auteurs, pris
comme modèles, notamment, pour l’architecture domestique. Toutes ces
questions, soulevées à partir des périodiques, apportent des lumières sur des
champs parallèles, permettant d’une part, de reconstruire le contexte
Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée
architectonique de l’époque et, d’autre part, d’articuler l’architecture
brésilienne à un système plus général à partir de cette étude de cas.
Les seuls documents ne mettent pas en doute la gratuité des
rapprochements généralisants qui tout simplement identifient l’architecture
de Belo Horizonte à celle du «Second Empire français». A part l’étude
conceptuelle, l’acuité du regard sur les bâtiments de la période aura un poids
majeur dans la critique de ce point, comme nous le verrons.
En outre, en ce qui concerne les analogies simplificatrices jusqu’alors
relevées sur les rapports France-Brésil dans la construction de Belo
Horizonte, l’identification à l’haussmannisation ou les rapprochements
idéologiques avec la doctrine positiviste constituent des sujets fondamentaux,
méritant une analyse plus fine, que les limites de cet article ne nous
permettent pas de discuter1.
Le fait qu’on lise dans La Construction Moderne, en 1896, une petite
notice sur la construction de Belo Horizonte, faisant appel à des architectes
français qui voulaient y travailler, ne suffit pas à confirmer l’accueil,
«l’imitation» ou la réalisation fidèle de leurs projets au Brésil2. Sur ce point,
on trouvera dans les archives parisiennes la notice sur un concours pour la
Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, dont A. Sauvage, architecte
français, a obtenu le premier prix trois années après la convocation3. Le
silence maintenu pendant tout ce temps confirme l’indifférence du
gouvernement pour les arts—leitmotiv des plaintes des professionnels de
l’époque et révèle la méfiance internationale quant au sérieux des affaires
brésiliennes: «à quoi servirait-il aux architectes français de dépenser leur
talent et de perdre leur temps à prendre part à des concours étrangers, si le
jugement de ces concours risque de n’être jamais rendu ?»4. On sait que le
projet de Sauvage sera mis de côté, et que la bibliothèque construite des
années après ne sera pas son ouvrage; cette bibliothèque ne suivra pas non
1
La pertinence critique de ces rapprochements sont analysés dans ma thèse en cours ;
sur le dernier point voir ma communication «La modélisation positiviste de Belo
Horizonte», présentée dans le Colloque International Auguste Comte, Philosophie et
Révolution, Paris, Sorbonne, mai 1989.
2
«Concours, Etat du Brésil», La Construction Moderne, Paris, 15/02/1896, p. 240.
3
Cf. «Le Concours de Rio - Janeiro», La Construction Moderne, Paris, 23/01/1886, p.
177-8 et 30/01/1886, p. 189.
4
D’après «Le Dossier des Concours—le concours de Rio de Janeiro» in La semaine
des Constructeurs, neuvième année, n°9, Paris, 30/08/1884 p. 100.
Heliana ANGOTTI SALGUEIRO
plus le style de celle qu’il avait proposée. Encore, sur ce point, un projet pour
le palais du gouvernement du Rio Grande do Sul, par l’architecte Augustin
Rey, en 1894, sera soumis à des modifications et le nom de l’auteur français
oublié1.
Paris-Belo Horizonte : c’est dans la rétrospective du scénario vécu à
Paris, par José de Magalhães, qu’on tisse des associations plus ponctuelles de
l’apprentissage officiel (Ecole et atelier de Daumet) et informel de cette
période, face à son oeuvre réalisée ensuite au Brésil. C’est à la lumière de sa
trajectoire à l’Ecole des Beaux-Arts qu’on peut introduire de façon analytique
les commentaires sur les édifices envisagés pour la nouvelle capitale de
Minas, en essayant de comprendre comment s’articulent la réponse
brésilienne et les données de la tradition académique française2. Une série de
questions sur le transfert et la transformation des formes ne peut être posée
qu’à partir de ces référentiels.
C’est ainsi qu’une étude de cas permet d’interroger la pluralité des
modèles, devenant un exemple d’adaptation ou de variation différentielle des
modèles tenus pour exemplaires. Lorsqu’on considère cette architecture de
province, produite par un architecte oublié, comme un cas d’architecture des
Beaux-Arts «possible» —les contraintes et les conditions «nationales» de la
mise en oeuvre étant implicites—, ne vise-t-on pas là à une relecture de
l’Exemple à la lumière de ce qu’il y a d’inattendu dans le Cas ? Néanmoins,
la déconstruction de la régularité européenne n’était-elle pas,
paradoxalement, sous-entendue dans les propres textes des traités et manuels
d’architecture de l’époque, suggérant la pédagogie de l’art en morceaux
comme un moyen d’exportation du «Style Beaux-Arts» ?
Eléments et motifs détachés du dit académisme français finissent par
s’articuler, dans les édifices publics de Belo Horizonte conçus par
1
J’ai localisé le programme architectural de ce projet accompagné de planches à la
Bibliothèque du XIXe siècle (Musée d’Orsay).
2
En dépit de leur petit nombre, les élèves architectes brésiliens présents à l’Ecole des
Beaux-Arts de Paris seront chargés, de retour au pays, de la plupart des constructions
officielle à Rio dans les années qui suivent 1870. La recherche sur la trajectoire
d’apprentissage de Magalhães à Paris m’a permis, en même temps, de relever les
noms des Brésiliens qui ont fréquenté l’Ecole Nationale et Spéciale de Dessin et de
Mathématiques (une espèce d’étape préparatoire avant la présentation au concours
d’admission à l’Ecole des Beaux-Ans) ; des noms dont on ne connaît pas encore, pour
la plupart, la destinée artistique. Toutes ces données constituent des bases pour que
des recherches soient développées dans ce champ sur les rapports France-Brésil.
Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée
Magalhães, en un montage singulier, indissociable non seulement des
filiations d’école, mais surtout de ce que j’appelle l’expérience informelle
vécue par l’architecte à Paris. On comprendra Belo Horizonte comme
l’accomplissement de l’attitude éclectique de composition; pas seulement par
le recours aux textes et aux modèles à la disposition des élèves architectes de
la rue Bonaparte, mais aussi par une expérience fondamentale, celle du
regard. A mon avis, Magalhães a recours à des réminiscences de motifs
recueillis lors des promenades sur les boulevards parisiens—des consoles,
des chambranles, des pilastres, des cartouches néo-baroques au-dessous des
balcons balustrés ou couronnant les portails, des fenêtres engagées par des
colonnes, de larges frontons brisés cadrant une fenêtre—, motifs qui
composent un stock de mémoire de rue, réunis presque vingt ans aprés sur les
façades de la nouvelle capitale de Minas.
A partir de l’observation de l’architecture qui borde mon trajet quotidien
à Paris, j’ai essayé de refaire le chemin rétrospectif du regard de Magalhães,
en isolant les éléments de son approche, en reconnaissant les sources de ses
souvenirs et en les datant par les inscriptions des façades. En effet, son
oeuvre est la synthèse de ces souvenirs; son oeil «archéologique» se fixe au
XIXe siècle et non pas seulement à l’Antiquité et à la Renaissance comme le
conseillaient les maîtres.
L’expérience du regard m’a aussi démontré que les «bizarreries»
existent également en France et que, peut être par accoutumance, les gens ne
s’en rendent pas compte ; lorsqu’ils regardent les photos de Belo Horizonte,
les motifs leur semblent «naïfs», «maladroits», ou «inventés», mais en réalité,
on peut les retrouver à Paris, car ils se basent sur des modèles ouverts à la
variation. Je pense qu’agencés autrement, ils s’individualisent au point de
paraître inconnus. En fait, l’effet est tout autre au moment où on les isole
dans une composition limitée à deux ou trois étages, n’ayant pas plus que
40m de façade, comme le Palais de la Liberté et les trois Secrétariats dessinés
par Magalhães à Belo Horizonte. Tandis qu’à Paris, l’impression de former
un «tout» donnée par les immeubles des boulevards avec leurs six étages, et
la continuité de leurs façades collées les unes aux autres, change le rapport
entre les motifs et la façon de les regarder. A ce niveau, au Brésil, le
changement d’effet spatial semble frapper davantage que l’effet décoratif: la
question de l’échelle est une des bases de la différence.
D’autres rapprochements, plus ponctuels, entre «le Paris de Magalhães»
et son oeuvre à Belo Horizonte passent par l’Exposition Universelle de 1878
et 1’emblématique républicaine de la Troisième République, autant
d’impressions de son séjour en France tranférées et montées autrement.
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Et c’est aussi le regard critique de Magalhães, marqué par son
expérience française, qui, de retour à Rio de Janeiro, avant de construire Belo
Horizonte, lui permettra de jouer un rôle important dans la «phase
progressiste» de l’architecture qu’y s’annonce1. Ses projets montés selon une
logique possible au Brésil —contraintes parcellaires, budget, matériaux, mise
en oeuvre et réception - explicitent la transformation des modèles transférés.
1
C’est Araújo Vianna qui se réfère ainsi à cette période, en inscrivant Magalhães
comme l’un des responsables de la nouvelle voie que prend alors l’architecture
brésilienne et qui culminera avec l’ouverture de l’avenue Central. Cf. «A Arquitetura
e a Arte Ornamental. Phases do seu desenvolvimento no Brasil», Anais da Biblioteca
Nacional, Rio, vol. 38, 1914.