paris-belo horizonte : image transferee, image transformee
Transcription
paris-belo horizonte : image transferee, image transformee
PARIS-BELO HORIZONTE : IMAGE TRANSFEREE, IMAGE TRANSFORMEE HELIANA ANGOTTI SALGUEIRO* «Qu’on étudie sérieusement cette architecture tant décriée, qu’on la suive dans ses phases successives, qu’on l’examine chez les autres nations modernes, et l’on reconnaîtra qu’elle a constamment su diversifier ses expressions et marquer avec art les différences des temps et des lieux, tout en persistant à mettre en oeuvre les mêmes éléments. Sur une base constante, elle a admis les styles les plus opposés. Elle a témoigné par-là du lien qui unit les diverses fractions du monde civilisé et des nuances qui les séparent; elle a conservé à la fois ces deux précieuses qualités de l’art : l’universalité et la variété». Léonce Reynaud, 1875. —Faire, à Paris, une thèse sur l’architecture de Belo Horizonte ? Plusieurs fois mon propos a été objet d’étonnement, et même d’un double étonnement. Tout d’abord parce que très peu de chercheurs s’aventuraient, il y a quelques années, à s’occuper de l’architecture de la seconde partie du XlXe siècle, marquée par des préjugés et un mépris internationalement partagés et à peine révisés1. Au Brésil, le réveil de l’intérêt pour la période n’a commencé officiellement qu’en 1984 lors du Congrès du Comité Brésilien d’Histoire de l’Art tenu à Rio, centré sur le Néoclassicisme et * Boursière du CNPq, étudiante à 1 EHESS, thèse avec M. Hubert Damisch. 1 Malgré l’apport pionnier des publications italiennes, anglaises et américaines, l’intérêt sur le sujet ne prendra d’ampleur qu’à partir de l’exposition «The Architecture of the Ecole des Beaux-Arts», au Musée de l’Art Moderne à New York en 1975, suivi d’une publication qui a réuni un certain nombre de chercheurs : quelques-uns d’entre eux se retrouveront avec des Français, en 1978, pour organiser à Philadelphie une autre exposition qui se déplacera au Grand Palais, en 1979 : «L’art en France sous le Second Empire». Thèses, collectifs, catalogues et plusieurs autres expositions ont suivi. De nombreuses recherches dans tous les pays sur la période 1870-1914 et 1’organisation des musées spécialisés comme Orsay à Paris en 1986 ont définitivement réhabilité la réflexion «vers un autre XIXe siècle». Cahiers du Brésil Contemporain, 1990, n°12 Heliana ANGOTTI SALGUEIRO l’éclectisme1. Néanmoins, des tentatives approfondies d’histoire comparée ou des recherches précises côtoyant pensées, formes et représentations se font sentir au-delà des analogies superficielles. La tradition de recherches en histoire de l’art au Brésil suivait depuis les années 1920, la mentalité des modernistes qui ont créé les lois du patrimoine dans le pays ; ce sont eux qui, considérant le XIXe siècle comme dépourvu d’intérêt, ont cautionné indirectement sa démolition: «ce Versailles de stuc» (ainsi s’exprimait Oswald de Andrade à propos de Belo Horizonte en 1924) devrait disparaître2. La plupart des travaux ne dépassent pas les généralités autour des étiquettes données, sans présenter une analyse critique des appropriations qui soit inscrite dans une phénoménologie des différences. D’ailleurs, on persiste dans des approches qui se restreignent à voir cette architecture comme une affaire de «goût » ou de «mode»—termes désuets dans la réflexion actuelle d’histoire de l’art—et à tisser des rapports rapides avec la vieille histoire des mentalités ou, ce qui est encore pire, à essayer de classer les «influences» par l’identification descriptive à des typologies stylistiques, sans approfondir les termes dans lesquels ces dernières sont posées. Devant ce constat on ne sera pas surpris de trouver un dossier «Brésil» presque vide, dans le service de documentation du Musée d’Orsay, que l’on sait spécialisé sur la période. En second lieu, considérons l’étonnement principal: qu’est-ce qui relie Belo Horizonte à la France ? Cette ville-capitale brésilienne, fondée en 1894, dans un but politicoidéologique relevant du fédéralisme républicain récemment proclamé —voir la Constitution de 1891—, est projetée par un architecte et un ingénieur dont on ne peut comprendre le rôle qu’à partir des données d’une pensée urbaine française à laquelle ils sont attachés, soit par leurs institutions de formation professionnelle, soit par le caractère cosmopolite des formes architecturales qui en font partie, et qui seront imposées à cette ville créée de toutes pièces. 1 Quelques recherches en cours sur l’éclectisme, présentées dans ce congrès, ont été réunies dans un ouvrage collectif organisé par Anna Teresa FABRIS, Ecletismo na Arquitetura Brasileira, São Paulo, Ed. Nobel, 1987. 2 Cf. l’article «Embaixada Artística—Minas histórica através da visão de um estheta moderno», Diario de Minas, 27/04/1924. Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée Faire, dans le cadre de l’histoire de l’art, l’histoire d’une ville qui retient des traces typiques du XIXe siècle, c’est voir constamment s’élargir le champ d’analyse. Il ne s’agit pas seulement de s’interroger sur l’association déjà classique entre architecture et urbanisme, mais d’introduire un troisième terme, l’histoire culturelle, à condition de ne pas se contenter de généralités. La pluralité de ce parcours se complète par une analyse de type comparatif : en abordant un certain nombre de thèmes qui s’internationalisent à l’époque, j’essaie d’articuler les savoirs, les pensées et les pratiques de ceux qui ont imaginé Belo Horizonte, les renvoyant à leurs matrices culturelles européennes, spécialement françaises. La comparaison s’avère interdisciplinaire à double titre, car elle suppose analogies, écarts et relativité1. Ainsi, on trouve d’une part Aarão Reis, ingénieur polytechnicien lié aux travaux publics à Rio, auteur des textes fondateurs et du plan de Belo Horizonte, marqué par les conceptions françaises d’économie politique —ici comprise dans le sens que lui donna le XIXe siècle2—, traducteur de Condorcet, Laboulaye et Littré, et s’alignant sur le grand récit du progrès à travers les idées saint-simoniennes et comtiennes présentes dans ses écrits. D’autre part, on trouve l’architecte José de Magalhães, dessinateur des principaux édifices publics de la nouvelle capitale, ex-élève de l’Ecole des Beaux-Arts, ayant séjourné cinq ans à Paris. L’oeuvre de ce dernier, réalisée au Brésil, est dans mon analyse, située dans une série iconographique, comme une des variantes possibles d’un style international tel que celui diffusé par la fameuse école à la fin du XIXe siècle. En dehors de l’intérêt local que peut avoir, pour l’histoire de la planification urbaine au Brésil, l’étude sur Belo Horizonte, c’est surtout son inscription dans un processus de transformation d’un système d’idées sur les villes, courant au XIXe siècle, qui nous permettra de dégager ce qui est comparable d’un pays à l’autre : analyse toujours articulée aux conditions structurelles d’historicité de chacun. 1 Je reprends ici une partie de mes réflexions faites lors de la Journée de l’Interdisciplinarité qui a eu lieu à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales le 23/03/1990. 2 Bernard Lepetit l’explique comme étant « à la fois une science positive et spéculative passant en revue les chapitres canoniques : travail, production, circulation, distribution de richesses, population». Cf. «Retour aux Représentations», Les villes dans la France Moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988, p. 383. Heliana ANGOTTI SALGUEIRO L’histoire de Belo Horizonte s’avère, donc, un cas exemplaire pour étudier toute une série de questions, à la croisée d’une histoire culturelle telle qu’on la comprend aujourd’hui1. Lorsqu’on replace son architecture dans les textes de l’époque mentionnés en passant par les chroniqueurs de l’histoire officielle, on observe, par exemple, que José de Magalhães se rapporte aux idées de Léonce Reynaud, figure fondamentale dans le scénario de l’enseignement parisien au milieu du dernier siècle. De même, on constate qu’à Rio les ingénieurs de sa génération, parmi lesquels se retrouve Aarão Reis, connaissent les écrits saint-simoniens de Jean Reynaud ou de Michel Chevalier. De ce fait, on lira les textes de la Commission d’Etudes des Localités pour les choix de la nouvelle capitale2 à la lumière de 1’article «Villes» de l’Encyclopédie Nouvelle. Reis et sa pléiade d’ingénieurs polytechniciens auront des idées sur le territoire, le paysage, la salubrité, l’embellissement et les voies de communication, qui se rapprochent des fondements préalables pour la construction des villes prônés par Jean Reynaud3. Dans l’esprit de la Troisième République française, Reis, en tant que lecteur de Littré, ne cachera pas l’option pour une forme autoritaire et conservatrice de républicanisme, répondant à ces concepts dans la création des images symboliques de Belo Horizonte. Ces rapports jusqu’alors inexplorés confirment que maintes fois, au Brésil, on se borne à faire des références rapides à des textes qui sont fondamentaux pour la compréhension de l’univers et la pensée du XIXe siècle, sans les situer dans une recherche d’ensemble ni analyser les réseaux dont ils font partie. 1 Voir R. Chartier, «Le monde comme représentation—redéfinition de l’Histoire Culturelle» in Annales E.S.C., n°6, nov/déc 1989. 2 Le rapport, écrit à la suite d’une enquête sur cinq localités concurrentes, constitue la première étude systématique et chiffrée des différents sites dans une région comme le Minas, où l’on ne comptait pas encore, à la fin du XlXe siècle, de mémoires descriptifs du territoire, si communs dans la France des Lumières. Ce texte s’inscrit, en outre, dans la pensée utopique du pré-urbanisme progressiste européen du milieu du XlXe siècle. Cf. Cornmissão d’estudos das Localidades Indicadas para a Nova Capital _ Relatório apresentado à Affonso Penna pelo Eng. Civil Aarão Reis, Rio Imprensa Nacional, 1893. 3 Cf. Encyclopédie Nouvelle ou dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel offrant le tableau des connaissances humaines au XlXe siècle, par une société de savants et de littérateurs, publiée sous la direction de P. Leroux et Jean Reynaud, t. VIII Paris, 1841. Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée Prenons un seul exemple : Gilberto Freyre, en présentant, il y a quelques années, la traduction des lettres de L. L.Vauthier n’a pas hésité à affirmer que la revue française dans laquelle elles ont été originalement publiées, en 1853—la Revue Générale d’Architecture et des Travaux Publics—, était «une revue technique de public naturellement réduit»1 ! Pourtant, la R.G.A. —acronyme déjà consacré par les historiens du XIXe siècle—est le plus important périodique sur la pensée urbaine et architecturale publié de 1840 à 1889 à Paris, avec un rayonnement international et une célébrité indéniable. De surcroît, Freyre veut insister sur le caractère inédit des lettres de Vauthier, n’indiquant ni l’année ni le volume de la revue où elles ont été publiées, alors qu’on peut lire, déjà en 1886, des références complètes et des commentaires à ce sujet dans la revue dirigée par Araújo Vianna à Rio2, sans parler d’autres lectures postérieures qui renvoient aussi à l’ingénieur français. En outre, les rapports fondamentaux avec la directive saint-simonienne et fouriériste conférée à la revue par son rédacteur César Daly3 ne sont pas du tout mentionnés, laissant le lecteur Brésilien sans aucune information quant à l’univers culturel des débats où se situent les opinions de Vauthier4. Passons. 1 Cf. Introdução de G. Freyre à L. L. Vauthier, «Casas de Residência no Brasil» (Les maisons d’habitation au Brésil) in Arquitetura Civil I (textos escolhidos da Revista do Instituto Histórico e Artístico Nacional), São Paulo, FAUUSP e MEC-IPHAN, 1975 2 Je me réfère à la Revista dos Construtores, spécialisée dans «architecture, génie civil, hygiène et pratique des constructions», éditée de 1886 à 1889, et maintenant une correspondance active avec des publications étrangères telles que La Construction Moderne, L’Encyclopédie d’Architecture, L’Architecte, Le Journal d’Hygiène, etc. L’article se rapportant aux lettres de Vauthier est daté du 28/08/1886, année 1, n°7, p. 111. La référence de la source est précise: R.G.A., vol. XL 1853. 3 César Daly est le publiciste et théoricien de l’architecture française le plus connu du XIXe siècle; voir à ce sujet: Ann Lorenz Van Zanten, «Form and Society : César Daly and the Revue Générale de l’Architecture», in Oppositions 8, avril 1977, et aussi sa thèse de doctorat, César Daly and the Revue Générale de l’Architecture, Harvard University, 1981. Voir aussi d’Hélène Lipstadt, «César Daly : un architecte révolutionnaire ?», in Architectural Design, n°11/12, 1978, et Architecte et Ingénieur dans la presse (Polémique, Débat, Conflit), Paris, Corda, 1980. Plusieurs textes brésiliens sur l’architecture du XIXe siècle ne citent Daly que nominalement. Voilà un problème de base qui se rapporte à l’historiographie du XIXe siècle, superficiellement connue au Brésil. 4 Il faut qu’on se rappelle encore les positions politiques de Vauthier, «démocrate socialiste» et aussi fouriériste, comme Daly (Cf. Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français), qui se trouve au Brésil dans la condition d’exilé entre 1855 et 1859. Dans ses lettres on distingue bon nombre de points qui mettent en évidence ses idées d’ingénieur «sociologue», typiques de sa génération en France. Heliana ANGOTTI SALGUEIRO L’histoire apparemment pauvre en données personnelles, en ce qui concerne la pensée des professionnels brésiliens en architecture du siècle dernier, ne doit pas décourager le chercheur. Le travail sur les références indirectes, même si elles ne sont pas systématiques, peut se révéler extrêmement riche. La seule difficulté est de ne pas toujours les trouver dans les archives brésiliennes, puisque la plupart des petites bibliothèques constituées au XIXe siècle ont été dispersées ou ont pris feu (par exemple, celle du Lycée des Arts et Métiers à Rio). J’ai pu trouver, par exemple, dans les bibliothèques parisiennes des revues internationales d’architecture et de génie civil mentionnées dans une liste de la Sociedade Literária Belo Horizonte, fondée en 1894 notamment par l’architecte José de Magalhães, revues aujourd’hui difficilement trouvables au Brésil ; leur dépouillement m’a permis de tisser une série de rapports éclairants sur la question hygiéniste, les solutions techniques et les matériaux qui on été appliqués dans la construction de la nouvelle capitale. Le partage culturel et le transfert de modèles y trouvent une des voies de recherche les plus fécondes. Mais le fait que les membres de la Commission Constructrice soient familiers des revues d’actualité n’empêche pas que leurs discours et projets présentent parfois des «archaïsmes», qu’il ne faut pourtant pas saisir comme tels. Plusieurs fois au cours de ma recherche le problème s’est posé : au Brésil, des doctrines, ainsi que des formes architecturales, se juxtaposent, les intemporalités ne devant pas être prises pour des anachronismes mais comme des réponses possibles, liées aux structures internes de l’historicité, sous le signe d’un temps qui leur est propre. (On y reviendra, avec d’autres exemples). La Construction Moderne, une des revues les plus lues par la génération des ingénieurs ou architectes qui ont construit Belo Horizonte, nous permet d’observer l’ubiquité de certaines polémiques et la diversité de réception d’autres. Lorsqu’on décompose une pensée pour tisser des relations avec celle d’un autre pays, il faut être attentif à ne pas jouer avec des catégories qui n’existaient pas à l’époque, ni oublier certains décalages et changements conséquents des discours. Parfois autonomes en leur temps, ils seront marqués, nettement dans le cas brésilien, par des survivances de longue durée et des pluralités d’appropriations apparemment contradictoires. C’est ainsi, qu’en France, on refusera les «italienneries»; de Palladio et Vignole à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle dans les éditoriaux des revues ou dans la critique des concours d’architecture; tandis qu’au Brésil, des textes de base circulant parmi les constructeurs—je pense spécialement aux manuels du type «Vignole des ouvriers»—, conseillent les règles du «bon usage» de ces auteurs, pris comme modèles, notamment, pour l’architecture domestique. Toutes ces questions, soulevées à partir des périodiques, apportent des lumières sur des champs parallèles, permettant d’une part, de reconstruire le contexte Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée architectonique de l’époque et, d’autre part, d’articuler l’architecture brésilienne à un système plus général à partir de cette étude de cas. Les seuls documents ne mettent pas en doute la gratuité des rapprochements généralisants qui tout simplement identifient l’architecture de Belo Horizonte à celle du «Second Empire français». A part l’étude conceptuelle, l’acuité du regard sur les bâtiments de la période aura un poids majeur dans la critique de ce point, comme nous le verrons. En outre, en ce qui concerne les analogies simplificatrices jusqu’alors relevées sur les rapports France-Brésil dans la construction de Belo Horizonte, l’identification à l’haussmannisation ou les rapprochements idéologiques avec la doctrine positiviste constituent des sujets fondamentaux, méritant une analyse plus fine, que les limites de cet article ne nous permettent pas de discuter1. Le fait qu’on lise dans La Construction Moderne, en 1896, une petite notice sur la construction de Belo Horizonte, faisant appel à des architectes français qui voulaient y travailler, ne suffit pas à confirmer l’accueil, «l’imitation» ou la réalisation fidèle de leurs projets au Brésil2. Sur ce point, on trouvera dans les archives parisiennes la notice sur un concours pour la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro, dont A. Sauvage, architecte français, a obtenu le premier prix trois années après la convocation3. Le silence maintenu pendant tout ce temps confirme l’indifférence du gouvernement pour les arts—leitmotiv des plaintes des professionnels de l’époque et révèle la méfiance internationale quant au sérieux des affaires brésiliennes: «à quoi servirait-il aux architectes français de dépenser leur talent et de perdre leur temps à prendre part à des concours étrangers, si le jugement de ces concours risque de n’être jamais rendu ?»4. On sait que le projet de Sauvage sera mis de côté, et que la bibliothèque construite des années après ne sera pas son ouvrage; cette bibliothèque ne suivra pas non 1 La pertinence critique de ces rapprochements sont analysés dans ma thèse en cours ; sur le dernier point voir ma communication «La modélisation positiviste de Belo Horizonte», présentée dans le Colloque International Auguste Comte, Philosophie et Révolution, Paris, Sorbonne, mai 1989. 2 «Concours, Etat du Brésil», La Construction Moderne, Paris, 15/02/1896, p. 240. 3 Cf. «Le Concours de Rio - Janeiro», La Construction Moderne, Paris, 23/01/1886, p. 177-8 et 30/01/1886, p. 189. 4 D’après «Le Dossier des Concours—le concours de Rio de Janeiro» in La semaine des Constructeurs, neuvième année, n°9, Paris, 30/08/1884 p. 100. Heliana ANGOTTI SALGUEIRO plus le style de celle qu’il avait proposée. Encore, sur ce point, un projet pour le palais du gouvernement du Rio Grande do Sul, par l’architecte Augustin Rey, en 1894, sera soumis à des modifications et le nom de l’auteur français oublié1. Paris-Belo Horizonte : c’est dans la rétrospective du scénario vécu à Paris, par José de Magalhães, qu’on tisse des associations plus ponctuelles de l’apprentissage officiel (Ecole et atelier de Daumet) et informel de cette période, face à son oeuvre réalisée ensuite au Brésil. C’est à la lumière de sa trajectoire à l’Ecole des Beaux-Arts qu’on peut introduire de façon analytique les commentaires sur les édifices envisagés pour la nouvelle capitale de Minas, en essayant de comprendre comment s’articulent la réponse brésilienne et les données de la tradition académique française2. Une série de questions sur le transfert et la transformation des formes ne peut être posée qu’à partir de ces référentiels. C’est ainsi qu’une étude de cas permet d’interroger la pluralité des modèles, devenant un exemple d’adaptation ou de variation différentielle des modèles tenus pour exemplaires. Lorsqu’on considère cette architecture de province, produite par un architecte oublié, comme un cas d’architecture des Beaux-Arts «possible» —les contraintes et les conditions «nationales» de la mise en oeuvre étant implicites—, ne vise-t-on pas là à une relecture de l’Exemple à la lumière de ce qu’il y a d’inattendu dans le Cas ? Néanmoins, la déconstruction de la régularité européenne n’était-elle pas, paradoxalement, sous-entendue dans les propres textes des traités et manuels d’architecture de l’époque, suggérant la pédagogie de l’art en morceaux comme un moyen d’exportation du «Style Beaux-Arts» ? Eléments et motifs détachés du dit académisme français finissent par s’articuler, dans les édifices publics de Belo Horizonte conçus par 1 J’ai localisé le programme architectural de ce projet accompagné de planches à la Bibliothèque du XIXe siècle (Musée d’Orsay). 2 En dépit de leur petit nombre, les élèves architectes brésiliens présents à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris seront chargés, de retour au pays, de la plupart des constructions officielle à Rio dans les années qui suivent 1870. La recherche sur la trajectoire d’apprentissage de Magalhães à Paris m’a permis, en même temps, de relever les noms des Brésiliens qui ont fréquenté l’Ecole Nationale et Spéciale de Dessin et de Mathématiques (une espèce d’étape préparatoire avant la présentation au concours d’admission à l’Ecole des Beaux-Ans) ; des noms dont on ne connaît pas encore, pour la plupart, la destinée artistique. Toutes ces données constituent des bases pour que des recherches soient développées dans ce champ sur les rapports France-Brésil. Paris-Belo Horizonte : image transférée, image transformée Magalhães, en un montage singulier, indissociable non seulement des filiations d’école, mais surtout de ce que j’appelle l’expérience informelle vécue par l’architecte à Paris. On comprendra Belo Horizonte comme l’accomplissement de l’attitude éclectique de composition; pas seulement par le recours aux textes et aux modèles à la disposition des élèves architectes de la rue Bonaparte, mais aussi par une expérience fondamentale, celle du regard. A mon avis, Magalhães a recours à des réminiscences de motifs recueillis lors des promenades sur les boulevards parisiens—des consoles, des chambranles, des pilastres, des cartouches néo-baroques au-dessous des balcons balustrés ou couronnant les portails, des fenêtres engagées par des colonnes, de larges frontons brisés cadrant une fenêtre—, motifs qui composent un stock de mémoire de rue, réunis presque vingt ans aprés sur les façades de la nouvelle capitale de Minas. A partir de l’observation de l’architecture qui borde mon trajet quotidien à Paris, j’ai essayé de refaire le chemin rétrospectif du regard de Magalhães, en isolant les éléments de son approche, en reconnaissant les sources de ses souvenirs et en les datant par les inscriptions des façades. En effet, son oeuvre est la synthèse de ces souvenirs; son oeil «archéologique» se fixe au XIXe siècle et non pas seulement à l’Antiquité et à la Renaissance comme le conseillaient les maîtres. L’expérience du regard m’a aussi démontré que les «bizarreries» existent également en France et que, peut être par accoutumance, les gens ne s’en rendent pas compte ; lorsqu’ils regardent les photos de Belo Horizonte, les motifs leur semblent «naïfs», «maladroits», ou «inventés», mais en réalité, on peut les retrouver à Paris, car ils se basent sur des modèles ouverts à la variation. Je pense qu’agencés autrement, ils s’individualisent au point de paraître inconnus. En fait, l’effet est tout autre au moment où on les isole dans une composition limitée à deux ou trois étages, n’ayant pas plus que 40m de façade, comme le Palais de la Liberté et les trois Secrétariats dessinés par Magalhães à Belo Horizonte. Tandis qu’à Paris, l’impression de former un «tout» donnée par les immeubles des boulevards avec leurs six étages, et la continuité de leurs façades collées les unes aux autres, change le rapport entre les motifs et la façon de les regarder. A ce niveau, au Brésil, le changement d’effet spatial semble frapper davantage que l’effet décoratif: la question de l’échelle est une des bases de la différence. D’autres rapprochements, plus ponctuels, entre «le Paris de Magalhães» et son oeuvre à Belo Horizonte passent par l’Exposition Universelle de 1878 et 1’emblématique républicaine de la Troisième République, autant d’impressions de son séjour en France tranférées et montées autrement. Heliana ANGOTTI SALGUEIRO Et c’est aussi le regard critique de Magalhães, marqué par son expérience française, qui, de retour à Rio de Janeiro, avant de construire Belo Horizonte, lui permettra de jouer un rôle important dans la «phase progressiste» de l’architecture qu’y s’annonce1. Ses projets montés selon une logique possible au Brésil —contraintes parcellaires, budget, matériaux, mise en oeuvre et réception - explicitent la transformation des modèles transférés. 1 C’est Araújo Vianna qui se réfère ainsi à cette période, en inscrivant Magalhães comme l’un des responsables de la nouvelle voie que prend alors l’architecture brésilienne et qui culminera avec l’ouverture de l’avenue Central. Cf. «A Arquitetura e a Arte Ornamental. Phases do seu desenvolvimento no Brasil», Anais da Biblioteca Nacional, Rio, vol. 38, 1914.