Le premier de l`an – Cartes de visite – 5 janvier - Bruges-la
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Le premier de l`an – Cartes de visite – 5 janvier - Bruges-la
Le premier de l'an – Cartes de visite – 5 janvier 1891 En ce Paris toujours hivernal où la Seine roule des banquises, où tous les jours on patine au Bois de Boulogne, le premier de l'an a été joyeux et claire sous un ciel de petite gelée. Encombrement d'équipages, cohue de piétons qui vont offrir des bonbons de chez Boissier ou du chocolat de chez Marquis dans des sacs jolis comme des layettes. Et des pauvres aussi nombreux que les chiens le sont, paraît-il, dans les rues de Constantinople. Ce jour-ci on donne [ndr : illisible] carrière aux mendiants, et ce qu'il en pullule, sur toute la ligne des boulevards ! Une vraie cour des Miracles. Et des violoneux à tous les carrefours qui chantent, en plein vent, des complaintes ! C'était très pittoresque, mêlés aux boniments des vendeurs installés dans les baraques, sans compter le nouveau cri des camelots, offrant le grand succès de cette année, une sorte de « question » nouvelle pour faire suite aux « questions romaines » d'antan. « Qu'est-ce que ça dit ? » crient en retour les camelots. Et la même expression s'aperçoit écrite sur un carton polychrome : « Qu'est-ce que ça dit ? » Et la foule répond naturellement : Sadi Carnot ! Et en effet on voit surgir soudain sur le carton, amené par un ressort, le président de la République dans son légendaire frac noir, raide et correct. Comme l'ont popularisé Robida et Caran d'Ache. L'anodine plaisanterie n'a offusqué personne, M. Carnot lui-même, qui est allé se promener sur les boulevards et faire des achats de bimbeloterie aux petits marchands au peuple dans les kermesses de Teniers, - en a ri tout le premier. Il a acquis quelques spécimens du joujou nouveau dont son prénom persan fait la vogue. Une des traditions du jours de l'an qui, à Paris, décline et semble destinée à une prochaine cessation, c'est l'envoi des cartes de visite. Cette année on a compté aux différents bureaux de poste une importante diminution sur les années antérieures. Le Figaro avait eu, un jour, cette idée d'ouvrir une liste de souscription pour les pauvres et les donateurs de 20 francs au moins voyaient leur nom imprimé, ce qui voulait dire qu'ils répondaient ainsi aux cartes reçues. Mais l'hypothèse n'eut guère de succès contre une habitude aussi enracinée. Celui-là était mieux avisé qui, à son seuil, avait placé deux corbeilles avec inscription sur chacune : « Donnez. - Prenez. » Il s'évitait ainsi la peine de répondre et satisfaisant en même temps les donneurs de cartes. Car beaucoup de ceux-ci – à part des cas de politesse ou de bon souvenir – n'ont envie que de cartes influentes, notoires, pour les mettre en évidence, les piquer aux cadres de leurs glaces, se targuer de relations huppées. Et cela est parfois utile à porter même sur soi. Aurélien Scholl racontait un jour qu'il avait connu des gens ayant toujours en poche des cartes de maîtres d'armes célèbres, qu'ils présentaient s'ils avaient une querelle dans un cabaret ou dans un bal public. C'était assez pour faire fuir l'adversaire dont ils n'entendaient plus jamais parler. Mais aujourd'hui ces résultats pratiques deviennent plus improbables, puisque nos usages de plus en plus démocratiques ont supprimé sur la carte de visite – comme dans nos costumes – toute marque de distinction. Plus de qualités ni de profession. Rien que le nom sur un carton pâle et nu. C'est la fin des cartes de visite et c'est la fin aussi de ce beau rêve que Coquelin cadet avait formulé ainsi : pouvoir mettre sur sa carte de visite : « Coquelin cadet, bon garçon. »