Le romantisme après 1850

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Le romantisme après 1850
Le romantisme après 1850
L’année 1848 en Europe est l’année des révolutions manquées en France, Italie, ainsi
qu’en Allemagne. La liberté politique, si chère à l’ère romantique, semble plus que jamais
menacée : elle n’est donc plus que jamais l’idéal à atteindre. L’échec des révolutions de
1848 marque la fin de beaucoup d’espoirs romantiques. Le romantisme continue à exister,
mais se fonde sur la nostalgie. L’année 1848 est une date rupture aussi dans l’histoire de
la musique. Certains grands compositeurs romantiques meurent autour de cette année ; et
l’année 1848 est aussi celle qui transforme la carrière de Wagner. Sa musique a une immense
influence sur les compositeurs de la seconde partie du siècle, tout comme Beethoven l’avait
eu pour la première moitié du xixe siècle.
La musique romantique à programme
La musique romantique à programme tardif prend son élan à partir d’une série
importante d’œuvres dénommées poèmes symphoniques, composées autour des années
1850 par Franz Liszt. Un poème symphonique est une composition orchestrale en un seul
mouvement à caractère programmatique et suivant une forme libre. La formule de Liszt fut
d’écrire une œuvre en relation avec un poème connu, une pièce de théâtre ou un roman.
A la différence de Berlioz dans sa symphonie, un poème symphonique est une œuvre
en un seul mouvement, et à la différence de Mendelssohn dans ses ouvertures, le poème
ne suit pas une forme sonate. Parmi les poèmes symphoniques de Liszt les plus connus
figurent Hamlet, Orphée, Prométhée, Les Préludes (en rapport avec Lamartine). Les poèmes
symphoniques les plus populaires sont ceux de Tchaikovski ou de Richard Strauss.
[Ecoute–Tchaïkovski : Roméo et Juliette, ouverture fantaisie]
Le nationalisme
La quête romantique de la liberté prend aussi au xixe siècle le visage de la lutte
pour l’indépendance nationale. Les peuples de toute l’Europe deviennent de plus en plus
conscients de leur individualité propre et de leurs propres héritages artistiques. Cette prise
de conscience donne naissance à un mouvement musical, le nationalisme en musique. La
caractéristique de ce mouvement est l’incorporation de musique populaire nationale dans
des pièces symphoniques, des chants et des opéras. Les poèmes symphoniques ou les opéras se fondent sur des programmes ou des livrets qui se servent de thèmes nationaux : le
prince russe Igor, le héros finlandais Lemminkaïnen. De tels thèmes musicaux nationaux
sont renforcés par des thèmes musicaux populaires. Le résultat produit est celui d’une musique qui provoque des réactions fortes dans son pays et se fait un ambassadeur efficace à
l’étranger.
Même si au xixe sièce le nationalisme politique a été un fait politique majeur en
Europe, les compositeurs en Allemagne, France et Italie ne peuvent être qualifiés de compositeurs nationalistes. Les compositeurs nationalistes définis en tant que tel brisent les
règles traditionnelles de l’harmonie et de la forme, dans un esprit de défiance qui vise à
développer des styles musicaux authentiquement locaux.
L’exotisme
Le public aime entendre de la musique populaire (prétendument) folklorique. Les
exemples sont nombreux : Bizet avec Carmen, Dvorak avec La Symphonie du nouveau monde,
Verdi avec Aida.
[Ecoute–Dvorak : Symphonie du nouveau monde]
Le "groupe des cinq"
Il serait paradoxal d’évoquer le réveil des nationalités à propos de la Rusie du xixe
siècle. Le peuple russe est conscient et fier de sa spécificité depuis des siècles et il n’a plus à
œuvrer pour son unification et pour son indépendance nationale. Pourtant, la nation russe
en set encore à rechercher son authenticité dans l’émancipation de sa culture. la cause en
est sans doute le rapport privilégié entre l’intelligentsia russe et les courants progressistes,
populistes ou révolutionnaires. Or, tous les nobles sont complètement européanisés : la
langue française fait autorisé dans les salons , pas un seul livre russe. C’est en littérature
que l’éclosion d’un véritable art national se fera la plus puissante et la plus immédiatement
géniale (Pouchkine et Gogol atteindront aux sommets de la littérature mondiale).
La musique russe moderne naît avec Michel Glinka (1804–1857) : son message sera
déterminant pour les compositeurs russes des générations ultérieures (cf. Stravinski : "toute
musique russe vient de lui"). Au milieu du xixe siècle entre en scène le fameux "Groupe des
Cinq", composé de Milakirev, Cui, Borodine, Rimski-Korsakov et Moussorgski. [Ecoute–
Moussorgski : Les Tableaux d’une exposition]
Grieg et les musiques scandinaves
A l’exception d’une courte guerre dano-germanique en 1864, les pays scandinaves
n’ont connu au xixe siècle ni conflits armés ni révolutions ou révoltes depuis 1814. On
ne peut par conséquent pas parler de réveil des nationalités pour des peuples si paisiblement assurés de leur indépendance. Il n’en est que plus significatif de constater, chez eux
aussi, un phénomène plus généralement accentué dans le pays opprimés : la recherche des
sources folkloriques, l’attention aux racines populaires de la vie nationales. De tous les
pays scandinaves, c’est en Norvège qu’on trouve de la musique populaire la plus vivante :
les danses nationales sont accompagnées par des instruments idoines qui s’appuient sur
des harmonies originales. Ensuite, le peuple norvégien est le seul à être privé d’une indépendance totale. uni au Danemark depuis des siècles, il en a été séparé contre son gré
et annexé par la Suède en 1814. Son statut d’autonomie relative ne le satisfait pas. En
attentant, la Norvège cherche la voie de son identité culturelle,et ’est encore au monde germanique qu’elle ira en demander les moyens. Sur le plan musical, l’homme de la situation
sera Edvard Grieg (1843–1907), sorte de Chopin norvégien. [Ecoute–Grieg : Peer Gynt, op.
46]
Les réactions au romantisme
Après 1850, l’art européen et la littérature se caractérisent pas le réalisme, qui est en
fait une réaction au romantisme. En musique, la réaction intervient plus tardivement, alors
même que le réalisme n’est plus l’idéal à atteindre dans les autres arts. Les œuvres de deux
grands compositeurs allemands de la deuxième moitié du xixe peuvent être vues comme
une réaction au romantisme.
Le renouveau du classicisme : Brahms
Initié à la musique par son père, modeste musicien d’orchestre, Johannes Brahms
(1833–1897) devient l’élève du pianiste Cossel, puis parfait sa formation d’instrumentiste
auprès d’Eduard Marxen, professeur renommé qui l’initie à la composition. A 20 ans, il
effectue une tournée de concerts en compagnie du violoniste Reményi. Il rencontre Joachim,
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Liszt, et surtout Schumann : lui et sa femme Clara nouent une inaltérable amitié avec le
jeune compositeur. Il accepte des fonctions officielles pour de courtes durées afin de se
consacrer à la composition. Très expressifs, les poèmes mis en musique par Brahms portent
généralement sur le passé, l’enfance à jamais perdue, les amours manqués, la séparation.
Romantique, son œuvre tient pourtant la marque du classicisme, car il intègre à son propre
langage les techniques d’écriture et les formes musicales léguées par ses prédécesseurs.
Installé à Vienne à partir de 1862, il y meurt d’un cancer en 1897.
[Ecoute commentée–Brahms : Concerto pour violon]
La nostalgie romantique : Mahler
Si, comme Brahms, Mahler ressent un sentiment d’ambivalence contre la tradition
romantique, il exprime cette ambivalence très différemment. Considéré aujourd’hui comme
un compositeur inventif dont l’œuvre constitue les prémisses de la période dite moderne,
Gustav Mahler (1860–1911) se fait tout d’abord connaître pour sa carrière en tant que directeur d’opéras prestigieux, à Prague, Leipzig ou Hambourg. Après l’échec de sa première
composition, il se distingue en effet pour ses talents de chef d’orchestre dont il révolutionne
le concept : de simple agitateur de baguette, celui-ci devient un personnage animé et dynamique. Et s’il choque le public et les critiques par ses innovations, Mahler ne tarde pas
à prendre la tête de l’opéra de Vienne, scène lyrique de renommée internationale, avant
de diriger en 1908 l’orchestre philharmonique de New York. Parallèlement, il se consacre
de nouveau à ses premières amours et compose des symphonies combinant l’héritage de
romantiques tels que Schubert, Liszt ou Bruckner, et l’éclatement de la forme symphonique. Ainsi la Neuvième symphonie en 1908 ainsi que le cycle de Lieder Le Chant de la
Terre illustrent-ils l’art du contrepoint, le goût de la dissonance et de la déstructuration de
Mahler, et en font l’un des pionniers de la musique atonale incarnée plus tard par Berg ou
Schœnberg.
[Ecoute commentée–Mahler : Symphonie n˚1]
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Ecoute commentée–Tchaïkovski : Roméo et Juliette, ouverture fantaisie
Roméo et Juliette est une ouverture fantaisie composé par Piotr Ilitch Tchaïkovski en
1869 d’après le drame de Shakespeare. La composition s’étend d’octobre à novembre 1869,
mais la partition fut révisée une première fois entre juillet et septembre 1870 et à nouveau
en août 1880. Les premières représentations de la version de 1869 eurent lieu à Moscou
en mars 1870, sous la direction de Nikolaï Rubinstein. L’œuvre fut un franc succès dès sa
création et le compositeur lui-même habituellement très critique vis-à-vis de ses œuvres,
n’hésita pas à dire que c’était une de ses plus belles partitions.
L’ouverture fantaisie de Roméo et Juliette possède deux grand thèmes musicaux :
d’une part la discorde et la haine opposant les Capulet aux Montaigu (thème principal) et
d’autre part l’amour (thème secondaire). Ces deux mélodies sont ponctuées par le thème
de la mort. Le thème de l’amour est subdivisé en deux parties : la première représente
Roméo qui symbolise la passion et le second Juliette qui symbolise la tendresse.
Ecoute commentée–Moussorgski : Tableaux d’une exposition
Les Tableaux d’une exposition sont un cycle de pièces pour piano écrites par Modeste
Moussorgski entre juin et juillet 1874, et orchestrées postérieurement par divers musiciens
dont Maurice Ravel en 1922.
Le thème de la promenade ne se réfère pas pas à un tableau, mais dépeint la promenade du compositeur dans la galerie. La même musique revient de manière récurrente
au cours de l’œuvre, avec des variations. La grande porte de Kiev est la dernière pièce,
c’est aussi la plus longue. Elle illustre un dessin architectural d’Hartmann qui n’a jamais
été exécuté. Moussorksky figure une procession solennelle par des cymbales, des cloches et
des chants de prières russes. Le thème de la promenade est incorporé dans le tableau. Deux
mélodies russes apparaissent aussi. Le final est grandiose, destiné à magnifier la grandeur
nationale de la Russie. Elles ont été inspirées par une série de dix tableaux peints par Victor
Hartmann, un ami du compositeur décédé un an auparavant.
Ecoute–Grieg : Peer Gynt, op. 46
Dans l’antre du roi de la montagne
Peer Gynt est une pièce de théâtre de l’auteur norvégien Henrik Ibsen sur une musique du compositeur Edvard Grieg. Elle fut jouée pour la première fois à Oslo le 24 février
1876. Peer Gynt diffère des œuvres suivantes d’Ibsen de par ce qu’elle est écrite en vers,
n’ayant pas vocation au départ à être jouée sur scène. L’histoire est une histoire fantastique,
plutôt qu’une tragédie réaliste, thème plus commun dans les pièces postérieures d’Ibsen.
Peer Gynt peut être considérée comme une pièce douce-amère relatant l’histoire d’un
anti-héros parti défier le monde qui rate tout ce qu’il entreprend et découvre seulement à
la fin combien il est seul. L’amertume qui s’en dégage rejoint le ton dur des autres travaux
d’Ibsen, plus centrés sur une critique sociale incisive. La pièce de théâtre relate la chute et
la rédemption d’un norvégien paresseux et dégénéré, dont Ibsen voulait faire l’incarnation
des caractéristiques des paysans de son pays qu’il trouvait les plus répugnantes. Peer a la
chance d’obtenir la main de Solveig, jeune fille vertueuse et fidèle, mais, par manque de
persévérance, il se tourne plutôt vers la fiancée d’un autre, Ingrid, qui abandonne finalement. Peer rend entre-temps visite au légendaire roi des montagnes de Dovre, dont les filles
sont des gnomes : ayant séduit l’une d’elles, sa vie est en danger et il est forcé de s’enfuir.
Après avoir assisté à la mort de sa mère, Aase, Peer quitte la Norvège on le retrouve en
Afrique une vingtaine d’années plus tard, prospère marchand d’esclaves, mais sa richesse
fraîchement acquise ne fait que l’inciter à plus de débauche. Après avoir visité l’Arabie et
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séduit la belle Anitra, Peer finit par échouer dans un hospice du Caire. Il a une vision de
Solveig, en Norvège, et décide de retourner dans son pays natal, mais il fait naufrage en
cours de route. Rentré chez lui, il trouve la fidèle Solveig qui l’a attendu, et il meurt bercé
dans les bras de celle dont l’amour lui vaut de connaître la rédemption ("ton voyage est
fini Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine
poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur").
Ecoute commentée–Brahms : Concerto pour violon en ré majeur
Troisième mouvement. Les concertos sont toujours écrits pour mettre en valeur de
grands virtuoses, bien souvent les compositeurs eux-mêmes, comme c’est le cas pour Mozart, Chopin, Liszt. Brahms écrit l’un de ses concertos pour violon pour un ami violoniste
et compositeur proche, Joseph Joachim. Alors même qu’il était âgé, Brahms accepta bien
volontiers les conseils de composition de Joachim, notamment pour l’écriture de la coda
du premier mouvement du concerto. Le traditionalisme de Brahms saute aux yeux : son
premier mouvement par exemple est une parfaite forme sonate à double exposition. De
même, le dernier mouvement est un rondo.
Ecoute commentée–Mahler : Symphonie n˚1 en ré majeur
Troisième mouvement.
À l’époque de la composition de la Première Symphonie, Mahler était un chef d’orchestre très apprécié. Il composa rapidement cette symphonie lors des quelques jours de
fermeture de l’Opéra de Leipzig, à la suite de la mort de l’Empereur Guillaume Ier . Du
poème initial, le compositeur, face à l’incompréhension générale, proposa d’abord un programme complet, supprima ensuite le deuxième mouvement, connu sous le nom de "Blumine" (fleurettes), et ajouta en tête de l’œuvre le titre désormais célèbre "Titan", évoquant
un roman de l’auteur romantique allemand Jean-Paul Richter, si cher à Robert Schumann.
Ce sont enfin d’importantes modifications de l’orchestration qui clôturèrent les révisions
de l’œuvre, qui se présente désormais sous la forme d’une grande symphonie d’une cinquantaine de minutes, divisée en quatre mouvements.
Après la création de l’œuvre, le 20 novembre 1889, Mahler fut accusé de défier toutes
les lois de la musique. Son "poème symphonique" est vulgaire et insensé. Il redirigera la
symphonie, maintenant intitulée "Titan, Poème musical en forme de symphonie" en 1893
à Hambourg. La critique n’est pas meilleure qu’en 1889. Après un autre échec à Weimar,
Mahler supprime l’andante et renomme l’œuvre en "Première Symphonie". Il la rejouera à
intervalles irréguliers jusqu’à sa mort.
Le mouvement le plus mystérieux de cette symphonie, une lente marche funèbre en
ré mineur, est bâtie sur la version allemande de la chanson « Frère Jacques » (Bruder Jacob).
Sur un mouvement de balancier lourd et sombre des basses, la chanson, altérée par le mode
mineur, se déploie lentement en une sorte de cortège funèbre. La mélodie s’amplifie, se répandant à tout l’orchestre. Soudain, un thème presque vulgaire, issu des danses de bistro,
est joué "avec parodie" par un petit orchestre, aux sonorités étranges : c’est la musique d’un
mariage juif. Cette alternance d’éléments graves et futiles scandalisa les premiers auditeurs
peu habitués à cet amalgame de genres. Mahler indiqua que l’inspiration saisissante de ce
morceau lui venait de la réminiscence d’une image du dessinateur autrichien Moritz von
Schwind, familière à tous les enfants allemands et autrichiens, "L’enterrement du Chasseur" (Wie die Tiere den Jäger begraben), dans laquelle un cortège d’animaux aux attitudes
faussement sombres portent à sa dernière demeure le chasseur, leur ennemi. Toute l’ironie
de la scène se retrouve dans la marche funèbre provoquant de la sorte un effet effroyable.
Soudain, surgit un thème sublime provenant une nouvelle fois des chants du compagnon
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errant (4e Lied, "die zwei blauen Augen"). Ce bref épisode ramène alors la terrible marche
funèbre et, dans sa suite, les danses vulgaires avant qu’une dernière fois les rythmes de
la marche s’éloignant dans le lointain ne referment le mouvement. Mahler aimait qualifier
le mouvement de "marche funèbre à la manière de Callot", hommage au célèbre graveur
populaire du xviie siècle qui exploitait un style particulièrement ironique.
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