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Patrick J. Brunet Université d'Ottawa CANADA Les enjeux éthiques de la mondialisation de la communication: l'exemple de l'Afrique de l'Ouest NOTA BENE _________________________________________________________ L'accès aux textes des colloques panaméricain et 2001 Bogues est exclusivement réservé aux participants. Vous pouvez les consulter et les citer, en respectant les règles usuelles, mais non les reproduire. Le contenu des textes n'engage que la responsabilité de leur auteur, auteure. Access to the Panamerican and 2001 Bugs' conferences' papers is strictly reserved to the participants. You can read and quote them, according to standard rules, but not reproduce them. The content of the texts engages the responsability of their authors only. El acceso a los textos de los encuentros panamericano y 2001 Efectos es exclusivamente reservado a los participantes. Pueden consultar y citarlos, respetando las pautas usuales, pero no reproducirlos. 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Qu’il s’agisse du domaine des médias et du journalisme ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de l’Internet, le secteur des communications soulève d’importantes questions éthiques à l’heure de la mondialisation. La réflexion a pour but de montrer les liens entre éthique, communication et mondialisation. Une première partie dressera un tableau des différents enjeux éthiques liés à la mondialisation de la communication. Une deuxième partie présentera les résultats d’une étude menée en Afrique de l’Ouest portant précisément sur les enjeux éthiques d’Internet dans cette partie du globe. Éthique, communication et mondialisation Reprenant les propos de Jacques Ellul (Lenoir, 1991 19), on peut dire aujourd’hui qu’on parle de plus en plus d’éthique, parce qu’il n’y en a plus. En effet, on assiste ces dernières années à un surgissement de questions éthiques dans toutes les sphères du social. Le secteur des communications n’est pas épargné. Qu’il s’agisse des médias ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la communication est au cœur du questionnement éthique. Ces dernières années, un glissement sémantique s’est peu a peu opéré se traduisant par un quasi-abandon de l’usage du mot moral au bénéfice de celui d’éthique. Or, nous considérons qu’au-delà même de la racine commune de ces deux mots (du latin mores et du grec ethos : mœurs), le terme éthique aujourd’hui préféré à celui de morale par trop connoté religieux, renvoie aux mêmes 2 concepts de base : à savoir le Bien et le Mal. Nous préférons aujourd’hui parler d’éthique et de codes de déontologie plutôt que de parler de morale et de codes de conduite. Le triomphe du relativisme du dernier quart du XXe siècle et par conséquent le rejet de tout absolu fixe et référentiel ont pour résultat une multitude de questions et problèmes éthiques qui fleurissent ça et là et dont les réponses se heurtent, précisément et le plus souvent, à l’absence de référents. Existe-t-il une éthique, plusieurs éthiques ? Sous les adjectifs « acceptable », « non acceptable », « publiable », « non publiable », « diffusable », non diffusable » ou encore « dommageable » ou « non dommageable » se pose la question de ce qui est « bien » de faire et de ce qui ne l’est pas, et cela, au nom du respect de la bienséance et de la dignité humaine. Si nous sommes des êtres de relation, cela suppose pour chacun d’entre nous un comportement interpersonnel et une inscription sociale qui mettent en jeu une responsabilité individuelle. Nos paroles, faits et gestes nous impliquent individuellement et impliquent aussi les autres dans la mesure où chacun a un devoir moral vis à vis de l’autre. Que la relation soit de face à face ou qu’elle soit médiatisée ou virtuelle, elle engage chacun des acteurs en présence. Nous pouvons dire aujourd’hui que l’éthique est l’ensemble des principes moraux qui régulent les actions humaines individuelles et collectives pour la garantie et le maintien du respect mutuel et que dans cette perspective elle est une dimension constitutive de la communication sous toutes ses formes. Qu’elle soit médiatisée ou non, la communication induit des choix et des responsabilités éthiques. Les technologies de l’information et de la communication génèrent des pratiques singulières et soulèvent des enjeux éthiques particuliers à l’heure de la mondialisation. Or, si la technologie n’est jamais neutre, la communication l’est encore moins. Quels sont les principaux enjeux éthiques liés au phénomène de la mondialisation de la communication ? Quels sont les enjeux de l’info-éthique ? Ce questionnement fait l’objet de travaux de la Division Information et Informatique (Observatoire sur la société de l’information, Communication and Information in the Knowledge Society) de l’UNESCO1. Le troisième Congrès de l’UNESCO INFOéthique 20002, tenu au Siège de 1 2 http://webworld.unesco.org http://webworld.unesco.org/infoethics2000/fr_index.html 3 l'UNESCO, à Paris, du 13 au 15 novembre 2000 avait pour titre général : L'accès universel à l'information au XXIe siècle : les défis éthiques, juridiques et sociétaux du cyberespace. Il réunissait 32 intervenants, représentant 19 pays et 5 organisations intergouvernementales. Les principaux enjeux éthiques de la société de l’information se regroupent autour de trois thèmes et six sous-thèmes. Le premier enjeu est 1) le rôle des pouvoirs publics dans l'accès à l'information : élargir et rationaliser l'offre d'informations appartenant au domaine public et faciliter l'accès aux réseaux et aux services. Le deuxième enjeu est 2) la notion d' « usage loyal » dans la société de l'information appliqué à l'éducation, à la science, à la culture et à la communication et l’application aux pays en développement d’exceptions légales liées par exemple au droit d'auteur (à l'aide des conventions internationales). Le troisième enjeu est la protection de la dignité humaine à l'ère numérique : la protection de la vie privée sur les réseaux mondiaux et la liberté d'expression et supports électroniques. À ces problématiques s’ajoutent celles liées à la cybercriminalité et au cyberterrorisme. Par ailleurs, le 21 décembre 2001, l'Assemblée générale des Nations Unies, par sa Résolution A/RES/56/183, a donné son aval à l'organisation du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) 3, qui sera convoqué par les soins du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, l'Union internationale des télécommunications assumant le rôle de chef de file dans les préparatifs, en coopération avec les organismes des Nations Unies et les pays hôtes. Le Sommet mondial sur la société de l'information se déroulera en deux phases, tout d'abord à Genève du 10 au 12 décembre 2003 puis à Tunis en 2005. Quelques-uns des thèmes proposés de ce sommet reprennent les problématiques éthiques entourant les technologies de l’information et de la communication et de la mondialisation. Les préoccupations sont les suivantes : - réduire la fracture numérique; - parvenir à un accès universel et équitable à la société de l’information; 3 www.geneva2003.org, http://www.itu.int/wsis/basic/basic02.htm 4 - répondre aux besoins du monde en développement; - construire l’infrastructure de la société de l’information dans les pays en développement; - présenter et définir l’information comme un bien public commun à tous; - assurer la protection de la vie privée, de la confidentialité et de la sécurité; - refléter la diversité des cultures et le droit à la communication; - développer une éthique de la société de l’information; - respecter les droits de propriété intellectuelle; - élaborer des politiques tarifaires de l’accès aux télécommunications et à Internet; - considérer les TIC au service de l’enseignement. En résumé, les enjeux éthiques d’Internet à l’heure de la mondialisation se concentrent autour de trois axes : l’accès universel à l’information, l’usage loyal et équitable pour tous, la protection de la vie privée. D’une manière générale, la sauvegarde des droits de l'homme dans le nouvel environnement numérique et le cyberespace est au coeur des débats. La mondialisation technique des moyens d’information et de communication qui se juxtapose à la mondialisation économique et financière nécessite-t-elle en conséquence une mondialisation des politiques de télécommunication ? Dans une intervention intitulée « Internet : vers une régulation mondiale »4, Philippe Quéau fait état d’une forme nouvelle de gouvernance mondiale et « méta-nationale » de la société de l’information. Les sujets de réflexion se présentent sous la forme de propositions telles que : - la création d’une instance mondiale de contrôle et de codes de conduites pour les entreprises multinationales; - la redistribution du revenu par la mise en place d’un mécanisme de transfert international vers les pays pauvres; - la mise en place de mesures pour pallier les injustices économiques; 4 Philippe Quéau, directeur de la Division de la société de l'information de l'UNESCO, « Internet : vers une régulation mondiale », Unesco, décembre 1999, http://www.unesco.org/webworld/news/991201_queau_csa.shtml 5 - la reconnaissance des concepts de « bien public mondial » et d’« intérêt général mondial ». Ces propositions devraient continuer d’animer les débats jusqu’à ce que soit mises en place des mesures concrètes qui redessineront la carte géo-économique de la planète, lorsque le concept de bien commun mondial en particulier sera considéré comme concept central, ce qui suppose une volonté et des décisions géopolitiques. L’accès à l'information pour tous se présente comme un droit fondamental, qu'il faut défendre avec davantage d'efficacité et d'imagination, dans un esprit d'équité, de justice et de respect mutuel. « L’éthique de l’information fait référence au contenu, l’Unesco est pour la liberté d’expression et la libre circulation de l’information. L’éthique de l’informatique c’est la question de la structure et de l’accès. Il y a la question de l’accès aux réseaux et de la politique tarifaire pratiquée, notamment dans les pays du tiers-monde. Tout comme la question de la formation à la nouvelle culture de l’abstraction et de ce qu’on appelle domaine public de l’information. Il faut favoriser dans les pays du tiers-monde l’information et le développement des réseaux, et promouvoir la formation et le domaine public »5. Les questions les enjeux sociaux et éthiques d’Internet font l’objet de réflexions et de travaux sur les plans national et local des différents pays occidentaux mais aussi des pays en développement. L’Afrique n’est pas étrangère à ces questions. Enjeux éthiques d’Internet : le cas de l’Afrique de l’Ouest La fracture numérique ou l’inégalité d’accès à Internet concerne l’Afrique en premier chef puisque sur les 380 millions d’utilisateurs, soit 6,2% de la population mondiale, seulement 0,6% revient à l’Afrique dont la majorité se concentre en Afrique du Sud, alors que l’Amérique du Nord représente 42,6%, l’Europe occidentale 23,8% et l’Asie 20,6%6. Ce très faible taux de pénétration d’Internet en Afrique a cependant triplé en trois ans, le nombre d’internautes étant passé, selon les études, de 1997 à 2000 de 700 000/1 5 Philippe Quéau, « Vers une éthique planétaire, le défi du 3e millénaire », Unesco, 2000, http://www.cyberhumanisme.org/ethique_planetaire.html 6 Selon une enquête de NUA, septembre 2000. 6 million à 2 /3 millions (dont environ 1,5 millions en Afrique du Sud). Les chiffres sont variables d’autant plus que l’accès à Internet en Afrique est partagé collectivement par le réseau élargi de la famille, des proches et des relations. La fracture numérique en Afrique, comme dans la plupart des pays en développement, est accentuée par les impératifs de la mondialisation de la communication, les déficiences techniques et la faiblesse des structures institutionnelles. Cet état de fait soulève des problèmes d’ordre éthique liés au développement et à l’usage d’Internet. Une recherche7 a été effectuée dans cinq pays de l’Afrique de l’Ouest afin de dégager les enjeux éthiques auxquels sont confrontés les pays africains face à l’intégration des TIC et plus précisément d’Internet. La recherche a été menée dans trois pays francophones (le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso) et deux pays anglophones (le Ghana et la Gambie). L’analyse des données a eu pour résultat la proposition d’un modèle éthique d’intégration d’Internet. Ce modèle pourrait servir de cadre de référence tant au Sud qu’au Nord. La problématique des enjeux éthiques d’Internet en Afrique de l’Ouest s’est traduite par différentes questions. En quoi les enjeux économiques et culturels sont-ils associés aux enjeux éthiques qui sous-tendent le développement des réseaux électroniques d’information et de communication en Afrique ? En quoi les TIC modifient-elles les concepts de liberté d’expression, de droit à l’information et d’accès à l’information ? Quelles sont les responsabilités des gouvernements face aux contenus illicites et offensants ? (Faut-il filtrer ? Faut-il sensibiliser les utilisateurs ? ) D’une manière générale, Internet doit-il être réglementé ? (Pour ou contre une réglementation ? Pour ou contre une autorégulation ?) Comment sauvegarder le respect de la vie privée ?; Comment respecter la liberté individuelle et les droits de la personne ? En quoi le développement d’Internet participe-t-il au déséquilibre des flux d’information NordSud ? En quoi Internet peut-il se présenter comme une opportunité pour favoriser le dialogue Sud-Sud ? La conception africaine de l’espace et du temps est-elle menacée par 7 les technologies de l’information et de la communication trans-frontières et à temps réel ? En quoi Internet peut-il favoriser le métissage culturel ? Dans quelle mesure Internet peut-il permettre aux entreprises africaines de participer au phénomène de la mondialisation ? En quoi l’identité africaine (dans le monde vécu) et les réseaux sociaux pourraient-ils être menacés par l’accès à des contenus dits illicites ? Quelle est la part de la responsabilité individuelle et collective dans l’usage d’Internet ? L’ensemble de ces questions ont été regroupées autour de six principaux enjeux éthiques sous forme de questionnaires qui ont été soumis à un échantillon de 105 personnes représentants les secteurs du gouvernement, des télécommunications et des réglementations, de l’éducation, des médias, des ONG et associations, des entreprises publiques et privées et de la communautique (cybercentres, cybercafés, usagers…). Les six principaux enjeux éthiques sont les suivants : 1. Les enjeux éthiques reliés à l’exclusion et à l’inégalité. 2. Les enjeux éthiques reliés à la dimension culturelle (contenus véhiculés par Internet). 3. Les enjeux éthiques reliés aux coûts et financement d’Internet. 4. Les enjeux éthiques reliés à l’implantation sociotechnique d’Internet (résistance, usages). 5. Les enjeux éthiques reliés au pouvoir politique. 6. Les enjeux éthiques reliés à l’organisation économique. La base de données recueillies auprès des différents informateurs interrogés nous a permis de constituer des tableaux des catégories représentant les perceptions liées à Internet, ainsi que des solutions proposées suivies de l’élaboration d’un modèle éthique d’intégration. Ces catégories expériencielles présentent les raisons qui, d’après nos informateurs, militent en faveur d’une perception particulière du phénomène Internet. À partir de ces catégories, a été établi un tableau des solutions proposées en fonction des perceptions des utilisateurs réels ou potentiels d’Internet. 7 « Les enjeux éthiques d’Internet en Afrique de l’Ouest », recherche financée par le Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI, Canada, bureau de Dakar) dont les résultats font l’objet d’une 8 Les catégories ont été répertoriées et identifiées comme suit : l’Internet Goliath, la Net priorité, L’État-catalyseur, l’Internet-catalyseur, le Net de la dernière chance et le Net solution. Des comparaisons entre les cinq pays (les trois pays francophones et les deux anglophones) ont ensuite été faites, ainsi qu’un portrait des différents comportements éthiques. Ces données ont finalement permis d’élaborer un modèle éthique d’intégration et de formuler certaines recommandations. Le modèle éthique d’intégration d’Internet Ce modèle montre que dans le contexte de l’hégémonie du Nord, qui impose le rythme et les modes de développement, Internet est une nécessité socio-économique que l’Afrique n’a malheureusement pas les moyens ni de se payer ni de se passer. L’État de chaque pays doit s’engager résolument à agir localement (en agissant sur les coûts et en donnant l’élan) et globalement (en recherchant de l’aide internationale) pour s’assurer que tous les individus du pays puissent avoir accès à Internet. C’est à cette dernière condition que les pays africains peuvent résoudre les problèmes occasionnés par Internet tels que les inégalités et les exclusions. Le modèle éthique d’intégration comporte trois dimensions principales : le contexte, le taux de pénétration et le comportement éthique des utilisateurs. Le contexte Le contexte est composé d’un ensemble de facteurs : l’État, l’économie, la culture, l’échelle sociale, les coûts et les financements, les facteurs sociotechniques et enfin les relations internationales. Les gouvernements africains constituent certainement l’élément contextuel fondamental dans l’implantation d’Internet en Afrique. Le défi des États est d’arrimer le développement d’Internet avec les autres priorités du développement de leur pays. La structure économique avec ses entreprises forment le plus gros contingent potentiel et actuel d'utilisateurs d’Internet. Les coûts et les financements des infrastructures et de l'acquisition des équipements informatiques publication sous le même titre aux Presses de l’Université Laval, 2002. 9 constituent dans le contexte la plus importante des contraintes que reconnaissent tous les informateurs. La dimension culturelle est aussi un facteur contextuel des plus importants puisqu’elle concerne par exemple le niveau d'alphabétisation et la question des contenus d’Internet et des influences notamment d'ordre sexuel ou moral. Le contexte social est également un élément clé dont il faut tenir compte dans l’intégration d’Internet puisque cette technologie peut renforcer les écarts et inégalités et engendrer de l’exclusion; ce que nous appelons le « fossé numérique ». Les résistances à Internet liées aux facteurs sociotechniques (conditions d’accessibilité, manque de formation…) sont aussi des éléments à considérer dans le contexte général de l’intégration d’Internet. Enfin, le contexte comprend les relations internationales qui se traduisent en termes d’aides, d’échanges, d’accords ou de désaccords entourant le développement d’Internet dans les pays africains concernés. Le taux de pénétration d’Internet Le taux de pénétration d’Internet est variable selon les pays. En comparaison des pays occidents, ces taux demeurent très bas. Il se situe autour de 150 000 pour le Sénégal, de 28 000 pour le Ghana, de 20 000 pour la Côte d’Ivoire, de 5 à 6000 pour la Gambie et de 6000 pour le Burkina Faso. Le comportement éthique des utilisateurs Le comportement des utilisateurs d’Internet a été déterminé en fonction des trois variables suivantes: 1) la reconnaissance ou non des problèmes, c’est-à-dire des écarts, 2) la reconnaissance ou non des contraintes, 3) l'implication faible ou forte de ces pays concernant Internet. Quatre types de comportement éthique ont pu être identifiés : les actifs qui sont quasi-inexistants, les sensibilisés qui sont rares (c'est le cas du Sénégal), les passifs, les latents. Les « actifs » sont les utilisateurs d’Internet adoptant un comportement éthique élevé. Il s’agit de personnes qui, face à Internet, adoptent un comportement responsable qui suppose la prise en compte de l’ensemble des éléments du contexte dans lequel Internet s’inscrit. Sur le plan individuel, être actif signifie adopter un comportement de recherche c’est-à-dire : - vérifier les sources des informations, - utiliser plusieurs moteurs de recherche pour un même sujet, - s’intéresser aux enjeux éthiques 10 associés à Internet, - assister ou participer à des colloques ou congrès sur Internet, encourager un comportement responsable dans l’utilisation d’Internet dans leur environnement immédiat et à l’échelle régionale ou nationale, - favoriser l’implication des médias pour sensibiliser la population. En d’autres termes, adopter un comportement actif éthiquement signifie : appréhender Internet en tenant compte des enjeux politiques, économiques, financiers, sociaux, culturels, sociotechniques et internationaux. Cette vaste palette d’enjeux ne peut être prise en compte par les individus eux-mêmes seulement, mais aussi par les gouvernements des différents pays. De plus, en ce qui a trait particulièrement aux questions de réglementation, une concertation internationale est nécessaire. Les « passifs » sont les utilisateurs d’Internet adoptant un comportement éthique très bas. À l’inverse du comportement actif, être passif signifie adopter un comportement d’investigation sans nécessairement adopter une distance critique : vérifier les sources des informations, utiliser plusieurs moteurs de recherche pour un même sujet, etc. Il s’agit de personnes qui appréhendent Internet sans tenir compte des enjeux éthiques qui y sont associés. Leur degré de conscientisation éthique est très bas ou nul. Enfin, les utilisateurs sensibilisés et latents se situent à des degrés intermédiaires entre les actifs et les passifs. 11 international C o n t e x t e économique social financier politique culturel technique rb Actifs Élevé Moyen Sensibilisés Latents Faible Passifs Très faible Comportement éthique Taux de pénétration des utilisateurs d’Internet d’Internet Modèle éthique d’intégration d’internet P. J. Brunet et J. M. Katambwe 12 Il ressort des données et mesures comparatives entre les cinq pays étudiés les éléments suivants. La majorité des utilisateurs d’Internet se situent dans les catégories des passifs, des latents et des sensibilisés (aux problèmes et enjeux éthiques). Les passifs ne reconnaissent pas l’existence de tels enjeux et problèmes, ni des contraintes face aux tentatives de résolution et ainsi ne se sentent pas concernés par les enjeux et problèmes éthiques. Les latents reconnaissent les problèmes mais se voient incapables d’agir face aux contraintes qu’ils perçoivent. Les sensibilisés reconnaissent les enjeux mais pas nécessairement les contraintes. Ils ne sont pas disposés à agir car ils ne se sentent pas concernés par les enjeux éthiques. D’une manière générale, en plus des critères de la reconnaissance des problèmes et des enjeux, des contraintes et capacités d’agir, le critère du degré d’implication des utilisateurs face aux enjeux éthiques est très faible pour la grande majorité des personnes interrogées. En résumé, les pays étudiés ne sont pas dans l’ensemble éthiquement actifs en ce qui concerne Internet. Un seul pays parmi les cinq peut être considéré comme réellement sensible aux enjeux éthiques d’Internet, c’est le Sénégal. Cela serait dû en particulier, d’après les analyses, à un niveau de pénétration relativement plus élevé que chez les autres. Il semble donc que l’intensité du comportement éthique soit tributaire (paradoxalement) du taux de pénétration d’Internet ; ce qui semble par ailleurs coïncider à la dynamique vécue en Occident puisque c’est seulement depuis ces dernières années qu’a émergé la problématique de l’éthique dans la foulée d’une diffusion de plus en plus massive des nouvelles technologies de l’information et de la communication. On peut avancer que un ou plusieurs éléments du contexte influencent le taux de pénétration d’Internet qui lui-même influencerait le comportement éthique des utilisateurs8. Par ailleurs, le taux de pénétration d’Internet est lui-même tributaire de l’engagement de l’État, les coûts et une certaine stratégie d’adoption de la communautique auxquels s’ajoutent selon le modèle éthique les autres variables du contexte que sont la dimension 8 Ce qui est conforme à la théorie cognitive. 13 culturelle (contenus) et sociale (inégalités), la structure économique9, les aspects sociotechniques (usages, résistances) et les rapports internationaux. De plus, ce modèle suppose la prise en compte de paradoxes liés au développement d’Internet en Afrique que la recherche a permis dégager. Les principaux paradoxes sont les suivants : - Internet est considéré comme un outil d’information et de communication indispensable au développement et en même temps cette technologie engendre des coûts qui entrent en concurrence avec d’autres priorités et renforce une dépendance économique vis-à-vis du Nord. - Internet est un outil d’accès à l’information et en même temps renforce l’inégalité et l’exclusion (fossé numérique) et un sentiment « d’illettrisme technologique ». - Internet doit faire l’objet, pour les uns, d’une implication gouvernementale pour son développement et, pour les autres, doit échapper à l’intervention de l’État. - Internet est une ouverture sur le monde sur le plan culturel et en même temps donne accès à des contenus idéologiquement marqués, illicites ou offensants. Conclusion : L’éthique de la responsabilité individuelle et collective pour une intégration optimale d’Internet Perçu par la majorité de la population comme l’outil incontournable voire ultime de développement, Internet soulève cependant des problèmes éthiques qui ne sont perçus que par une minorité de la population. Le risque à moyen terme est de voir se creuser davantage le fossé numérique entre le Nord et le Sud mais aussi entre les nantis informatiquement et les non nantis. Un effritement du tissu social est à craindre. Au terme de la recherche, la recommandation générale concernant le développement d’Internet en Afrique de l’Ouest pourrait être la suivante : élaboration par les gouvernements de politiques de développement d’Internet qui tiennent compte du modèle éthique d’intégration proposé et qui comprennent un programme de sensibilisation, de 9 Les entreprises privées et les nantis sont ceux qui s'abonnent le plus à Internet; on peut par conséquent penser que plus il y en aura et plus le taux de pénétration sera élevé aussi. 14 formation et d’apprentissage de cette technologie. Ce modèle d’appropriation des technologies de l’information et de la communication : 1) tient compte des enjeux éthiques associés aux technologies de l’information et de la communication; 2) assure le maintien et le respect des réseaux sociaux et culturels; 3) favorise le développement d’une production de contenus locaux et nationaux, 4) favorise une intégration responsable d’Internet tant au niveau individuel que collectif. L’enjeu général est important dans la mesure où, si ces politiques sont mises en place dans les pays africains par exemple, elles pourraient servir de référence pour les pays du Nord qui demeurent dans un questionnement face aux dérives des usages d’Internet. Une intégration optimale, éthique et responsable d’Internet par la population suppose les éléments suivants : la prise en compte du contexte dans son ensemble, un engagement politique, la mise en place d’une infrastructure, un programme de sensibilisation (alphabétisation) et de formation à Internet, la création de centres communautaires (cybercentres, cybercafés…), le développement de programmes d’aide à la création de contenus endogènes, un programme d’aide aux entreprises, une concertation et une harmonisation des projets de coopération internationale, le développement d’un programme de sensibilisation médiatique. Sans la reconnaissance par les utilisateurs des enjeux sociaux et éthiques soulevés par les technologies de l’information et de la communication et à leurs usages, demeure le risque que ces technologies deviennent l’objet d’un déterminisme, faisant des utilisateurs des « dépendants technologiques ». L’étude menée en Afrique de l’Ouest a montré que le degré de conscientisation éthique des utilisateurs d’Internet est bas ou très bas dans la majorité des cas. Les quelques hauts niveaux de conscientisation éthique relevés concernaient des utilisateurs éduqués. Il appert que l’éducation, une fois de plus, peut jouer un rôle primordial dans le développement d’Internet intégré à l’organisation des rapports sociaux. À l’heure de la massification et de la globalisation des marchés, la prise en considération (sinon la ré-appropriation) du sujet est primordiale. Au-delà des disparités, 15 paradoxes et enjeux sociaux, culturels et éthiques (info-riches/info-pauvres, déséquilibre Nord-Sud, Ouest-Est…) engendrés par les technologies de l’information et de la communication, un bon usage, c’est-à-dire responsable, de celles-ci est toujours possible. Cet usage responsable passe par un apprentissage d’ordre technique et par une distanciation critique. Sans une éthique de la responsabilité individuelle et collective, le développement d’Internet et son usage opère chez l’utilisateur des dérives, qui lorsqu’elles ont commencé, sont difficiles à endiguer. Or, chaque utilisateur est un citoyen qui participe au lien social. La mondialisation des moyens de communication dont Internet constitue l’exemple parfait, voire l’emblème, soulève les problèmes d’ordre éthique tant au Nord qu’au Sud. La recherche empirique menée Afrique de l’Ouest a permis de mettre de lumière que ces problèmes semblent peu perçus par les utilisateurs. Or, ce faible degré de conscientisation éthique est proportionnel au taux de pénétration peu élevé d’Internet. Les rares personnes actives face aux enjeux éthiques soulevés par Internet sont celles qui prennent en considération l’ensemble des éléments contextuels à l’intérieur duquel se développe Internet. Ce n’est qu’à cette condition que l’intégration d’Internet est optimale, lorsqu’elle inclut pour l’utilisateur, la dimension éthique. 16 Références bibliographiques BRETON, Philippe, Le culte de l’Internet, Paris, Éditions La Découverte, Syros, 2000. BRUNET, Patrick, J. (sous la direction de), L’éthique dans la société de l’information, Sainte-Foy (Québec), Les Presses de l’Université Laval / Paris, L’Harmattan, 2001. BRUNET, Patrick, J. et al, Les enjeux éthiques d’Internet en Afrique de l’Ouest, SainteFoy (Québec), Les Presses de l’Université Laval / Paris, L’Harmattan/Ottawa, CRDI, 2002. CASTELLS, Manuel (trad.), La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2001. CHÉNEAU-LOQUAY, Annie (sous la coordination de), Enjeux des technologies de la communication en Afrique. Du téléphone à Internet, Paris, Éditions Karthala / Talence, Regards, 2000. CHRISTIANS, Clifford et al, Media Ethics, New York, Longman, c1987, 1998. 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