Le génocide

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Le génocide
Le génocide
Maryam Massrouri et Loredana Magri
Tout au long de l’histoire, les exemples de génocide furent nombreux, raison
pour laquelle la communauté internationale a dû mettre en place des moyens
pour prévenir et réprimer l’un des crimes les plus atroces qui puisse être
commis. La tâche n’a pas toujours été facile et les solutions sont parfois
critiquables. Cependant, grâce à ce travail, le droit international pénal
connaît aujourd’hui plusieurs institutions aptes à juger le crime de génocide.
Since there had been numerous examples of genocide throughout history, the
international community had to create means to prevent and to prosecute
this crime being one of the most horrible crimes man can commit. The task
was not always easy, and the solutions sometimes have to be criticized. However, thanks to this work, the international criminal law of today knows
several institutions qualified to judge the crime of genocide.
HISTOIRE
– MASSACRE – GROUPE – CONVENTION – COUR PÉNALE IN-
TERNATIONALE
I.
Introduction historique
A.
Naissance du terme de génocide
Bien que des crimes méritant cette dénomination aient été perpétrés dès
l’aube de l’humanité, le terme de «génocide» est relativement nouveau.
Après la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill évoqua Auschwitz en
parlant de «crime sans nom», mais la création du terme revient à Raphaël
Lemkin, un juriste juif d’origine polonaise réfugié aux Etats-Unis suite aux
attaques des nazis. C’est en 1944 dans son ouvrage intitulé «Axis Rule in
Occupied Europe» qu’il proposa le néologisme de génocide pour qualifier
tout acte ayant pour but la destruction et la persécution d’individus en raison
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Maryam Massrouri et Loredana Magri
de leur appartenance à des groupes donnés1. Etymologiquement, le mot combine le terme grec «genos», qui signifie origine ou espèce, et le suffixe latin
«cide» provenant de caedere, qui signifie tuer.
Le terme de génocide fut utilisé pour la première fois dans un document
officiel lors de la mise en accusation des criminels de guerre nazis à Nuremberg. Toutefois, le Tribunal de Nuremberg ne retint pas le crime de génocide
comme incrimination, mais le crime contre l’humanité. Quelques mois plus
tard, le 11 décembre 1946, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta la
Résolution 96 (I), qui qualifiait le génocide de «crime international» et en
donnait une première définition 2. Mais il faudra attendre la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (ci-après
Convention de 1948) pour que le crime se constitue comme lex specialis aux
crimes contre l’humanité3.
L’opprobre que constitue le crime de génocide en fait l’un des crimes les
plus atroces qui soit. Tout au long de l’histoire et dans des contextes très
différents, ce crime a provoqué de lourdes pertes humaines et a profondément marqué la conscience collective. Au cours du XXe siècle, quatre massacres de population peuvent sans conteste être qualifiés de génocide: le massacre systématique à l’encontre des Juifs et des Tziganes par le gouvernement de l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale; le massacre
de deux millions de Cambodgiens par les Khmers Rouges de Pol Pot entre
1975 et 19794; le génocide d’environ huit mille Musulmans bosniaques dans
certaines partie de l’ex-Yougoslavie, en particulier à Srebrenica, par l’armée
1
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3
4
SCHABAS W., Le génocide, in: ASCENSIO H./DECAUX E./PELLET A. (éd.), Droit international pénal, Pedone, Paris, 2000, p. 319.
Ibid. Le Préambule de la Résolution 96 (I) définissait le génocide comme étant: «le
refus du droit à l’existence de groupes humains entiers alors que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un individu: un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité qui se trouve ainsi privée des apports
culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit
et aux fins des Nations Unies. La répression du crime de génocide est une affaire
d’intérêt international» (al.1).
KOLB R., Droit international pénal, Helbing Liechtenhahn/Bruylant, Bâle/Bruxelles,
2008, p. 74.
Formellement, il faudra toutefois attendre les premiers jugements du Tribunal spécial
pour le Cambodge institué par la Résolution 57/228 (2003), dont les procès devraient
débuter en 2008. Cela dit, en quatres ans, le régime des Khmers Rouges a coûté la vie
à environ deux millions de personnes, soit environ un quart de la population du pays.
C’est la raison pour laquelle la qualification de génocide est communément admise.
Voir doc. ONU A/RES/57/228.
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serbe entre 1992 et 1995; et, finalement, le génocide rwandais qui causa plus
d’un million de victimes principalement issues de la communauté des Tutsi
en 1994.
Vient s’ajouter à ces quatre événements tragiques le massacre de plus de six
cent mille Arméniens par le gouvernement des Jeunes Turcs qui dirigeaient
le régime Ottoman au cours de la Première Guerre mondiale. Pourtant,
s’agissant du fait de savoir si la tragédie arménienne peut être reconnue
comme étant un génocide, la question reste controversée. En effet, la qualification de génocide n’a pas été unanimement reconnue par la communauté
des Etats, bien que plusieurs parlements nationaux, dont le Conseil national
suisse5, aient reconnu aux événements cette qualification 6. C’est également le
cas de certaines institutions régionales ou internationales telles que le Parlement européen 7, le Conseil de l’Europe8 ou la Sous-commission de l’ONU
pour la prévention des droits de l’homme et la protection des minorités9.
Finalement, il convient également de mentionner le massacre d’environ deux
cent mille personnes vivant au sud du Soudan, issues de tribus sédentaires
non-arabophones, par le gouvernement soudanais soutenu par des milices
nomades d’origine arabe connues sous le nom de Janjawid. La question de
5
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9
Postulat 02.3069 de Jean-Claude Vaudroz du 16 décembre 2003. Il sied de préciser
que le Conseil fédéral s’est au contraire toujours refusé à qualifier le massacre de génocide. Le Tribunal fédéral a quant à lui récemment reconnu le génocide arménien
comme un fait avéré dans l’affaire Perincek du 12 décembre 2007 (TF, arrêt
6B_398/2007 du 12 décembre 2007).
Les Etats ayant reconnu le génocide arménien sont: la France, la Russie, l’Italie, le
Canada, la Suède, la Grèce, la Belgique, l’Uruguay, Chypre, l’Argentine, le Liban, les
Pays-Bas, la Slovaquie, le Canada, la Pologne et la Suisse. Par la Résolution 247 du
12 septembre 1984, la Chambre des représentants des Etats-Unis a décrété le 25 avril
1985 «Journée nationale du souvenir de l’inhumanité de l’homme pour l’homme en
mémoire de toutes les victimes d’un génocide et en particulier du million et demi de
personnes d’ascendance arménienne victimes du génocide commis par la Turquie entre 1915 et 1923» (U.S. House of Representatives Joint Resolution 247, 12 septembre
1984, disponible sous: http://www.armenian-genocide.org/Affirmation.158/current_
category.7/affirmation_detail.html). Voir également U.S. House of Representatives
Joint Resolution 3540, 11 juin 1996.
JOC 190 du 20 juillet 1987, p. 119 ss.
Déclaration écrite de l’Assemblée parlementaire des 24 avril 1988 et 2001 (déclaration écrite n° 320, doc. 9056, 2e édition), disponible sur le site Internet du Conseil de
l’Europe: http://assembly.coe.int/documents/workingdocs/doc01/fdoc9056.htm.
Sous-commission de l’ONU pour la prévention des droits de l’homme et la protection
des minorités, 38e session, 2 juillet 1985, disponible sous: http://www.armeniangenocide.org/Affirmation.169/current_category.6/affirmation_detail.html.
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savoir si les événements au Darfour se prêtent à la qualification de génocide
reste également controversée10. Néanmoins, l’ONU a admis que certains
comportements individuels puissent découler d’une intention génocidaire.
C’est la raison pour laquelle le 31 mars 2005, le Conseil de sécurité a adopté
la Résolution 1593 par laquelle il a déféré la situation au Darfour au procureur en chef de la Cour pénale internationale (ci-après CPI)11 selon l’art. 13
lit. b du Statut de Rome12. C’est donc à la CPI que reviendra la responsabilité de se prononcer sur la question.
B. Développement international
Le projet qui mena à l’adoption d’une Convention fut le fruit de longs et
laborieux débats. Le contexte politique et social dans lequel se déroulèrent
les travaux préparatoires n’est pas négligeable. En effet, les atrocités commises durant la Deuxième Guerre mondiale étaient encore bien présentes dans
les esprits de chacun et décidèrent les Etats membres des Nations Unies à
trouver un accord quant à l’adoption d’un texte.
Suite à la Résolution 96 (I) de l’Assemblée générale des Nations Unies, le
Conseil économique et social se chargea de la préparation de la Convention
contre le génocide. Le 9 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations
Unies adopta à l’unanimité la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide. La Convention entra en vigueur le 12 janvier 1951, à
la suite du dépôt du vingtième instrument de ratification. Elle fut ratifiée par
la Suisse le 7 avril 199913 qui, par la suite, introduisit une disposition réprimant le crime de génocide dans son Code pénal (art. 264 CP).
La Convention fut élaborée dans les premières années de la Guerre froide, ce
qui explique les désaccords entre les rédacteurs sur certains points particuliers, notamment en ce qui concerne la définition du groupe protégé. En effet,
de nombreux Etats souhaitaient que la notion de groupe politique y soit incluse, ce à quoi les Soviétiques se sont fermement opposés. Finalement, les
rédacteurs décidèrent de ne pas faire figurer cette catégorie dans le texte de la
Convention14.
10
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14
Le 23 juillet 2004 le Congrès américain a adopté à l’unanimité une résolution qualifiant la situation au Darfour de génocide.
Sur la CPI, voir la contribution de GODELAINE L. dans le présent ouvrage.
Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, RS 0.312.1.
RS 0.311.11.
BALL H., Prosecuting war crimes and genocide, University Press of Kansas, Kansas,
1999, p. 89.
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La Convention de 1948 exprime la volonté de protéger l’intégrité et la dignité du groupe; il s’agit ainsi de droits des collectivités. Elle donne une définition précise de la notion de génocide, définition qui demeure aujourd’hui
incontestable. En effet, la Cour internationale de Justice (ci-après CIJ) l’a
qualifiée de norme de droit coutumier15. Les Etats parties ont l’obligation de
prévenir et de punir le crime, conformément à l’article premier16. Dans une
récente affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro du 26 février
2007, la CIJ a estimé que la responsabilité de l’Etat pouvait même être engagée pour l’obligation lui incombant de ne pas commettre un génocide. Il
est vrai qu’il serait paradoxal que les Etats s’engagent à punir les auteurs de
génocide, s’ils peuvent eux-mêmes commettre de tels actes par
l’intermédiaire de leurs organes17.
La CIJ va encore plus loin. Elle a récemment reconnu dans un arrêt concernant les «activités armées sur le territoire du Congo» que l’interdiction du
génocide était une norme de jus cogens18 et s’imposait par conséquent aux
Etats en dehors de tout lien conventionnel19. Partant, l’interdiction de
commettre des actes de génocide oblige la communauté internationale dans
son ensemble et présente de ce fait un caractère erga omnes. Ainsi, toute
violation des dispositions de la Convention permet à tout Etat de punir
l’auteur d’un génocide, quel que soit l’endroit où celui-ci a été commis.
Aujourd’hui, il est donc admis que le crime de génocide fonde une
compétence universelle, ce malgré que l’article 6 de la Convention se réfère
au principe traditionnel de la territorialité20.
Depuis lors, le génocide fait l’objet d’une codification au niveau international dans les Statuts des Tribunaux ad hoc21 ou encore dans le Statut de la
CPI. Sur le plan national également le crime de génocide est codifié dans bon
nombre d’Etats.
15
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19
20
21
CIJ, avis consultatif du 28 mai 1951 relatif aux «Réserves à la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide».
Voir CIJ, arrêt Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, 26 février 2007.
Ibid., § 155 ss.
Voir la contribution de BISAZZA P. dans le présent ouvrage.
CIJ, arrêt République démocratique du Congo c. Rwanda, 3 février 2006, § 64.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 90.
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après TPIY) et Tribunal pénal
international pour le Rwanda (ci-après TPIR).
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II.
Définition du génocide
A.
Le génocide dans les différents textes internationaux
La définition du crime de génocide figure aujourd’hui à l’article 2 de la
Convention contre le génocide, à l’article 4 du Statut TPIY, à l’article 2 du
Statut TPIR et à l’article 6 du Statut CPI. Dans tous les textes, cette définition est parfaitement identique quant aux éléments constitutifs objectifs.
B. Le génocide par rapport à d’autres crimes
Le génocide doit être distingué de nombreux autres crimes qui s’en rapprochent par leur définition.
En premier lieu, le génocide doit être distingué du crime de guerre. En effet,
le génocide est une violation du droit humanitaire qui peut intervenir en tout
temps, c’est-à-dire en temps de guerre comme en temps de paix, alors que le
crime de guerre comme son nom l’indique ne peut être commis qu’en situation de conflit. Dans le cas du génocide, le caractère civil, la nationalité ou la
situation des victimes importent peu; on ne s’intéresse pas non plus aux méthodes ou aux moyens employés, mais l’on vise à protéger des groupes spécifiques de la destruction.
Le génocide est également proche du crime contre l’humanité; toutefois les
normes concernant ces deux crimes diffèrent sur deux points essentiels. La
première différence tient au bien juridique protégé; alors que le génocide vise
un groupe national, ethnique, ratial ou religieux, le crime contre l’humanité a
pour cible une population civile22. La seconde différence a trait à l’intention;
le génocide requiert l’intention spécifique d’exterminer un groupe en particulier, alors que le crime contre l’humanité suppose une attaque généralisée ou
systématique contre une population civile23.
Finalement, il sied encore de différencier le génocide de la purification ethnique. Il existe en effet un degré de parenté entre ces deux notions et la distinction est très délicate à opérer. Le problème s’est posé au travers de
l’affaire Tadic24, dans laquelle le TPIY s’est interrogé sur le fait de savoir si
les événements qui se sont déroulés au Kosovo devaient être qualifiés de
génocide ou de purification ethnique. Le TPIY a considéré qu’il s’agissait de
22
23
24
A ce propos, voir la contribution de NASEL M. dans le présent ouvrage.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 74.
Affaire Tadic n° IT-94-1, Chambre de première instance II, 7 mai 1997.
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génocide, car l’intention criminelle n’était pas de chasser une population hors
de son territoire – ce qui constitue une purification ethnique – mais de détruire tout ou partie d’une population 25. Il est donc difficile de tracer une
frontière précise entre ce qui relève du crime de génocide et ce qui relève de
la purification ethnique, car certains éléments sont communs aux deux crimes dans leur définition. L’élément caractéristique de la purification ethnique est de chasser un peuple de son territoire, mais cet acte peut également se
produire dans le cadre du crime de génocide.
C.
Les éléments constitutifs du génocide
1. L’élément matériel ou objectif (actus reus)
L’élément matériel consiste en la perpétration de certains actes constitutifs
qui sont énumérés à l’article 2 Convention 1948. Les statuts des juridictions
pénales internationales prévoient exactement les mêmes éléments constitutifs
objectifs (art. 4 Statut TPIY, art. 2 Statut TPIR, art. 6 Statut CPI). Deux formes de génocide ont été retenues: les génocides physique et biologique. Le
premier cité implique la destruction du groupe par l’anéantissement de ses
membres, en provoquant leur mort ou en portant atteinte à leur intégrité physique et/ou leur santé26. Le génocide biologique consiste, quant à lui, à prendre des mesures visant à l’extinction du groupe, en faisant obstacle aux naissances. Notons que le génocide culturel qui consiste notamment à empêcher
les membres d’un groupe d’utiliser leur langue ou de pratiquer leurs rites
religieux, n’a finalement pas été retenu, car les rédacteurs considéraient cette
notion comme trop éloignée des buts poursuivis par la Convention 194827.
L’élément matériel du génocide est constitué par un ou plusieurs actes dirigés contre le groupe, ce dernier étant une cible. Par ailleurs, les atteintes
doivent être portées à un groupe existant réellement. A ce titre, il est donc
nécessaire de démontrer l’existence d’un groupe national, ethnique, racial ou
religieux et des atteintes qui lui sont portées.
Un génocide peut être retenu si un seul des actes prévus aux lettres a)-e) est
commis28. Si plusieurs actes sont commis dans une même intention génocidaire, il s’agira d’une seule infraction au sens matériel. En effet, le bien juri25
26
27
28
BOYLE D., Y a-t-il génocide au Kosovo?, RIDI 1999.
BOUSTANY K./DORMOY D., Génocide(s), Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 73 ss. Pour
plus de détails, voir CIJ, arrêt Bosnie-Herzégovine c. Serbie, cité ad note 8.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 324.
Affaire Krstic n° IT-98-33, Chambre de première instance I, 2 août 2001, § 94.
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dique protégé étant le groupe en tant que tel, les différents actes portent atteinte au même bien. Ainsi, le fait que plusieurs actes constitutifs aient été
perpétrés n’entraîne pas une aggravation de l’infraction.
La Convention contre le génocide ainsi que les Statuts des juridictions pénales internationales énumèrent exhaustivement cinq actes prohibés et constitutifs de génocide.
a) Le meurtre de membres du groupe (art. 2 lit. a Convention, art. 4
ch. 2 lit. a Statut TPIY, art. 2 ch. 2 lit. a Statut TPIR, art. 6 lit. a Statut
CPI)
Cet acte fait partie du génocide physique, il est unanimement reconnu et
donne généralement lieu à peu d’explications.
La seule difficulté susceptible d’apparaître concerne la définition même du
meurtre. Le sens de ce terme varie dans les différentes traductions. Finalement, c’est la version française, considérée comme plus précise, qui a été
retenue. En effet, le meurtre suppose la volonté et la conscience de tuer, alors
que la terminologie anglaise («killing») englobe également les homicides non
intentionnels.
b) L’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale du groupe (art. 2
lit. b Convention, art. 4 ch. 2 lit. b Statut TPIY, art. 2 ch. 2 lit. b
Statut TPIR, art. 6 lit. b Statut CPI)
Cet acte fait également partie du génocide physique. Il existe deux types
d’atteintes à l’intégrité: l’atteinte peut se manifester sous forme physique ou
mentale. Cette dernière suppose une altération des facultés mentales, qui peut
être perpétrée, par exemple, au moyen de stupéfiants. Ces atteintes mentales
ne doivent pas obligatoirement s’accompagner d’attaques physiques ou découler de telles attaques. Le fait d’être contraint à assister à l’assassinat ou au
viol de membres de sa famille peut suffire29. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire que les séquelles soient permanentes ou irréversibles30.
En ce qui concerne «l’atteinte grave à l’intégrité physique», le problème qui
se pose tient à l’évaluation de la gravité de l’atteinte. Il s’agit en effet de
déterminer le degré de gravité à partir duquel, l’on considère qu’il y a génocide. Ainsi, les rédacteurs ont estimé que l’atteinte devait être telle qu’elle
29
30
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 81.
Affaire Akayesu n° ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, 2 septembre 1998,
§ 502.
Le génocide
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menace de détruire tout ou partie du groupe. On considère dès lors que la
torture, les traitements inhumains ou dégradants, le viol, la réduction à
l’esclavage, la famine, la détention dans des camps de concentration ou ghettos, la déportation et la persécution sont propres à causer des atteintes graves
à l’intégrité physique. La mort de la victime n’est donc pas forcément nécessaire pour que l’on retienne une atteinte.
c) La soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle (art. 2
lit. c Convention, art. 4 ch 2 lit. c Statut TPIY, art. 2 ch. 2 lit. c Statut
TPIR, art. 6 lit. c Statut CPI)
Cet acte consiste à soumettre les victimes à des conditions de vie telles que,
faute de logement, d’habillement, de nourriture convenable, d’hygiène et de
soins médicaux, ou par l’effet du travail, les individus sont condamnés à
mourir à petit feu ou à vivre avec de graves séquelles physiques31. N’entrent
pas dans cette catégorie les actes de destruction délibérée du patrimoine historique, culturel et religieux du groupe. En effet, tant la CIJ32 que le TPIY33
ont estimé que de tels actes ne peuvent être constitutifs de génocide, car ils
n’entraînent pas la destruction physique ou biologique du groupe en question. Toutefois, une telle destruction visant à anéantir l’identité du groupe
pourra toujours servir à établir l’intention de détruire le groupe physiquement.
Le problème que pose cette disposition est que les rédacteurs ne se réfèrent
qu’au groupe et non aux individus. Pour que l’on puisse retenir cet acte constitutif, un groupe doit avoir subi l’atteinte et non uniquement des individus
isolés. Dans l’esprit des auteurs du génocide, le but doit être de détruire un
groupe entier et non quelques individus uniquement.
d) Les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe (art. 2
lit. d Convention, art. 4 ch. 2 lit. d Statut TPIY, art. 2 ch. 2 lit. d
Statut TPIR, art. 6 lit. d Statut CPI)
Il s’agit d’un cas de génocide biologique. Cette notion englobe la stérilisation, les avortements forcés, l’utilisation forcée de moyens contraceptifs, les
entraves d’ordre juridique au mariage et la séparation des deux sexes. La
31
32
33
Affaire Kayishema/Ruzindana n° ICTR-95-1-T, Chambre de première instance II, 21
mai 1999, § 114 ss.
CIJ, arrêt Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, cité ad note 16, § 344.
Affaire Krstic, citée ad note 28, § 580.
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jurisprudence, notamment celle du TPIR dans l’affaire Akayesu34, y a inclus
les mutilations et les violences sexuelles massives (notamment les viols qui,
dans certaines circonstances, peuvent entraver les naissances au sein d’un
groupe).
e) Le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe (art. 2 lit. e
Convention, art. 4 ch. 2 lit. e Statut TPIY, art. 2 ch. 2 lit. e Statut
TPIR, art. 6 lit. e Statut CPI)
Sont qualifiées d’«enfants» les personnes ayant moins de 18 ans. Par un tel
transfert d’enfants, l’on vise à faire disparaître les traits caractéristiques du
groupe dans les nouvelles générations35. Ainsi, l’on porte atteinte aux caractéristiques spécifiques en séparant les enfants du groupe, afin qu’ils grandissent dans un autre environnement et n’aient plus aucun lien avec leur groupe
d’origine.
2. L’élément mental ou subjectif (mens rea)
A côté de l’élément matériel, un élément mental est nécessaire pour que l’on
puisse retenir le crime de génocide. Celui-ci se compose de deux éléments
essentiels: en premier lieu, l’intention qui suppose la connaissance effective
et la volonté infractionnelle. L’auteur doit être conscient que les actes qu’il
accomplit aboutiront à un génocide36. En d’autres termes, on peut parler de
conscience et de volonté de l’auteur. En second lieu, le dol spécial qui suppose l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé. C’est ce dolus specialis qui distingue le génocide des autres crimes. Le
dol spécial dépasse donc la volonté de commettre les actes proscrits par
l’article 2 de la Convention. L’auteur doit avoir une intention supplémentaire, à savoir, celle de détruire tout ou partie d’un groupe en tant que tel.
Il incombe au procureur de prouver qu’il y a bien intention de la part de
l’auteur du crime. La preuve se construit en général sur la base des actes
commis par l’accusé et en vertu du principe selon lequel une personne est
censée vouloir les conséquences de son acte. Les discours haineux et d’autres
34
35
36
Affaire Akayesu, citée ad note 30, § 507 s.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 83.
Ibid. Voir également CIJ, arrêt Bosnie-Herzégovine c. Serbie, cité ad note 16 ainsi
que la contribution de MOREILLON L. (Crime de génocide et intention: blocages juridiques ou blocage politique?) dans le présent ouvrage.
Le génocide
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manifestations d’animosité envers un groupe victime du crime peuvent ainsi
suggérer l’intention de commettre un génocide37.
Le dol spécial constitue donc l’une des caractéristiques essentielles du crime
de génocide, et implique trois éléments:
a) L’intention spécifique de détruire «en tout ou en partie»
Il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention de détruire le groupe
entièrement; il suffit qu’il ait eu l’intention de le détruire en partie. La
Convention 1948 ne fixe toutefois aucune limite quantitative, ceci afin
d’éviter que des actes isolés soient nécessairement qualifiés de génocide38.
On peut donc considérer qu’il y a génocide même si les victimes sont peu
nombreuses. En effet, le fait qu’il n’y ait que quelques victimes n’implique
pas forcément que seule la tentative sera retenue. Théoriquement, il serait
même possible de qualifier un seul meurtre de génocide, si l’intention de
l’auteur était bien de détruire tout ou partie d’un groupe.
Enfin, pour satisfaire l’exigence de la destruction en tout ou en partie il faut
soit un nombre considérable de victmes (perspective quantitative) soit la
destruction d’une fraction particulièrement représentative du groupe comme
des élites ou des dirigeants (perspective qualitative)39.
b) L’intention de détruire un groupe en tant que tel
Le génocide vise un groupe humain à travers les individus qui le composent.
Le groupe est donc constitué de membres qui ont des traits communs les
distinguant des autres individus. Partant, les victimes ne sont pas choisies en
fonction de leurs caractéristiques individuelles mais plutôt en tant que représentants du groupe à détruire. Par l’atteinte à l’individu, c’est le groupe que
l’auteur cherche à viser40. La Convention 1948 vise ainsi plutôt la protection
de groupes présentant une certaine permanence et des caractéristiques spécifiques.
c) L’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou
religieux
Les rédacteurs ont longtemps débattu sur la pertinence d’introduire les groupes politiques, sociaux et économiques dans la définition du génocide. Cette
37
38
39
40
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 320.
Ibid., p. 321.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 86.
Ibid., p. 85.
242
Maryam Massrouri et Loredana Magri
position n’a pourtant jamais reçu l’aval de tous les Etats, que ce soit lors de
l’élaboration de la Convention 1948 ou lors de l’élaboration du Statut de
Rome. Le TPIR a résolu le problème en suggérant que l’on interprète largement la définition et que l’on considère qu’elle contient d’autres groupes que
ceux présents dans la définition de la Convention 1948. Dans l’affaire
Akayesu 41, les juges ont observé que l’intention des rédacteurs de la Convention était de protéger tout groupe stable et permanent42. A cet égard, KOLB
opère une distinction entre l’apprtenance à un groupe librement choisi et
celle que l’individu ne choisit pas. En effet, l’individu ne peut décider de sa
nationalité ni de son apparence physique, alors que les groupements politiques ou sociaux sont basés sur la libre adhésion. Ces derniers ne devraient
dès lors pas être protégés par la norme contre le génocide43. Partant, tout
groupe dont la stabilité et la permanence rappellerait le type des quatre autres, serait couvert par la norme44.
La définition des différents groupes pose des difficultés.
Selon le TPIR, la notion de groupe national doit s’appuyer sur l’affaire Notteböhm45 qui suggère des liens découlant de la citoyenneté46. Cette approche
est toutefois trop restrictive, car elle exclut les minorités nationales qui n’ont
aucune reconnaissance en droit interne, mais qui constituent tout de même
une part non négligeable de la population. La jurisprudence a toutefois remédié à cette lacune par une interprétation extensive. Le TPIY a admis la protection pour les minorités nationales qui ont une histoire, des usages, une
langue ou d’autres critères en commun 47.
Quant au groupe racial, l’interprétation permet de s’inspirer de l’article 1 de
la Convention internationale pour l’élimination de toute forme de discrimination raciale48. Toutefois, le TPIR en donne une interprétation restrictive en
exigeant la présence de traits physiques héréditaires visibles, comme la couleur de la peau ou d’autres signes distinctifs49.
41
42
43
44
45
46
47
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49
Affaire Akayesu, citée ad note 30.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 322.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 78 s.
Cette approche est toutefois contestée par la doctrine. Celle-ci rappelle le principe
nullum crimen sine lege. Voir KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 79 s.
CIJ, arrêt Liechtenstein c. Guatemala (arrêt dit «Notteböhm»), 6 avril 1955, disponible sur le site Internet de la CIJ: http://www.icj-cij.org.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 321.
Affaire Kristic, citée ad note 28, § 555.
RS 0.104.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 322.
Le génocide
243
Le groupe ethnique lui, est identifié par l’entremise d’une langue et/ou d’une
culture communes. Souvent, ces groupes sont concentrés dans un espace
géographiquement limité.
Le groupe religieux est celui qui partage une religion ou un culte. Ces groupes partagent des croyances ou des pratiques basées sur un idéal spirituel
commun. Alors que les sectes sont protégées, la question de savoir si les
groupes athés sont protégés reste controversée50.
D.
Les modalités de participation au crime de génocide
Le génocide engage la responsabilité pénale individuelle. Ce principe a été
clairement établi lors du procès de Nuremberg. L’article 3 de la Convention
1948 prévoit la sanction de l’auteur du crime de génocide, mais aussi de
l’entente en vue de commettre le génocide, de l’incitation directe et publique,
de la tentative et, enfin, de la complicité. Cette liste de modalités du crime de
génocide fait partie de la définition du crime de génocide dans les Statuts du
TPIY (art. 4 ch. 3 Statut TPIY) et du TPIR (art. 2 ch. 3 Statut TPIR). Dans le
Statut de la CPI en revanche, les modalités de participation se trouvent dans
une disposition générale applicable à l’ensemble des infractions relevant de
la compétence ratione materiae de la Cour (art. 25 ch. 3 Statut CPI).
1. L’entente en vue de commettre le génocide (art. 3 lit. b
Convention, art. 3 ch. 3 lit. b Statut TPIY, art. 2 ch. 3 lit. b Statut
TPIR)
L’entente est considérée comme un mode de participation au crime de génocide. Cette entente suppose la volonté de conclure ou d’adhérer à un accord
criminel, dont l’objectif réside dans la destruction d’un groupe humain auquel on refuse le droit à l’existence. Cependant, il n’est pas nécessaire que
l’accusé soit à l’origine de cette entente, il peut s’y être associé ultérieurement. Le problème est ici que la notion même d’entente n’est pas identique
dans les traditions anglo-saxonnes et dans celles d’obédience romanogermanique. Cependant, les travaux préparatoires de la Convention 1948 ont
clairement retenu le concept anglo-saxon 51 du complot. La tradition anglosaxonne considère le complot comme un crime incomplet, qui est commis
par le simple fait que deux personnes se concertent aux fins de commettre
50
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KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 76.
Ibid., p. 326.
244
Maryam Massrouri et Loredana Magri
une infraction 52. Ainsi, l’entente en vue de commettre un génocide constitue
une infration en tant que telle et est punissable indépendemment de la commission effective d’un génocide.
2. L’incitation directe et publique (art. 3 lit. c Convention, art. 4
ch. 3 lit. c Statut TPIY, art. 2 ch. 3 lit. c Statut TPIR, art. 25 ch. 3
lit. e Statut CPI)
L’incitation constitue un genre d’instigation punissable en tant que tel. La
Convention de 1948 a prévu la répression de l’incitation alors même qu’il
n’y a aucune preuve du résultat. En ce sens, l’incitation est un délit formel.
En effet, même si l’incitation directe et publique n’est pas concrétisée, elle
doit néanmoins être réprimée en raison du danger qu’elle peut représenter
pour la société.
On y a ajouté les termes «directe» et «publique» pour satisfaire certains Etats
(dont les Etats-Unis), qui étaient préoccupés par le fait que cela puisse créer
une atteinte à la liberté d’expression 53. L’incitation «directe» suppose que
celle-ci provoque expressément autrui à commettre un acte de génocide,
alors que le caractère «public» implique que l’encouragement ait été accessible à un certain nombre d’individus. Cette incitation peut se faire soit par des
paroles, des discours proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des
écrits imprimés vendus ou distribués, des affiches exposées aux regards du
public, soit par tout autre moyen de communication audiovisuelle54.
L’incitation directe a notamment été retenue à l’encontre de Clément Kayishema55 qui, au moyen d’un mégaphone avait ordonné d’attaquer les Tutsis56.
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55
56
En Suisse, l’entente en vue de commettre un génocide est réprimée par l’article 260bis
al. 1 CP puissant les actes préparatoires.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 327.
A ce propos, voir l’affaire Akayesu citée ad note 30, § 709. Voir également l’affaire
Kayishema/Ruzidana citée ad note 31, § 552.
Clément Kayishema exerçait les fonctions de préfet dans la préfecture de Kibuye. En
cette qualité, il était le représentant du pouvoir exécutif au niveau de la préfecture.
Durant les massacres de 1994, il exerçait une autorité de jure et un contrôle de facto
sur les bourgmestres, les gendarmes et autres forces de l’ordre qui ont participé aux
massacres.
Affaire Kayishema/Ruzindana citée ad note 31, § 552. Voir également affaire Akayesu citée ad note 30, § 709.
Le génocide
245
3. La tentative (art. 3 lit. d Convention, art. 4 ch. 3 lit. d Statut
TPIY, art. 2 ch. 3 lit. d Statut TPIR, art. 25 ch. 3 lit. f Statut CPI)
La tentative constitue également une modalité de la commission du crime de
génocide. Néanmoins, le concept de tentative pose un certain nombre de
difficultés d’interprétation. En effet, la limite entre l’acte préparatoire et la
tentative est parfois difficile à établir. Cette distinction revêt une importance
non négligeable, la tentative étant punissable, alors que l’acte préparatoire ne
l’est pas. Ainsi, on considère qu’il y a acte préparatoire lorsque l’auteur n’a
encore rien fait et qu’aucun élément constitutif du crime de génocide ne s’est
encore produit, alors que la tentative intervient à partir du moment où
l’auteur a accompli un des actes constitutifs du crime de génocide, sans que
l’infraction n’ait été achevée.
4. La complicité (art. 3 lit. e Convention, art. 4 ch. 3 lit. e Statut
TPIY, art. 2 ch. 3 lit. e Statut TPIR, art. 25 ch. 3 lit. c Statut CPI)
La complicité dans le génocide suppose qu’un acte de génocide ait effectivement été commis. La complicité consiste à aider ou à encourager l’auteur
principal de façon substantielle à la perpétration du crime de génocide. Le
complice doit avoir agi intentionnellement c’est-à-dire en ayant conscience
qu’il concourait à la commission d’un génocide, y compris dans tous ses
éléments matériels57. Si l’élément mental suppose pour le complice qu’il ait
conscience, au moment où il agit, du concours qu’il apporte dans la réalisation du crime de génocide, le dolus specialis n’est en ravanche pas requis.
Ainsi, il n’est pas nécessaire que le complice partage le dol spécial de
l’auteur principal, soit l’intention de détruire le groupe. Il suffit qu’il sache
que son acte de soutien aide l’auteur principal à la commission d’un génocide58.
La notion de complicité revêt une importance particulière car en matière de
génocide, le véritable délinquant est souvent le dirigeant, le commandant ou
l’organisateur qui demeurent à l’écart de l’action.
Dans les Statuts des tribunaux ad hoc, la complicité dans le génocide de
l’article 3 lit. 3 de la Convention de 1948 est reprise (art. 4 ch. 3 lit. e Statut
TPIY, art. 2 ch. 3 lit. e Statut TPIR). Mais les Status contiennent également
une autre disposition, plus générale, sur les formes de participation dans la
disposition relative à la responsabilité pénale individuelle, qui prévoit que le
57
58
Affaire Samanza n° ICTR-97-20-T, Chambre de première instance I, 15 mai 2003,
§ 395.
KOLB R., op. cit. ad note 3, p. 89.
246
Maryam Massrouri et Loredana Magri
complice est celui qui aura «aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter» le crime de génocide (art. 7 ch. 1 Statut TPIY, art. 6 ch. 1 Statut
TPIR). Ce chevauchement s’explique par le fait que les rédacteurs du Statut
ont repris tel quel l’article 3 de la Convention contre le génocide. Les articles
6 et 7 des Statuts sont des dispositions générales, s’appliquant à n’importe
quelle infraction réprimée par les Statuts, y compris au crime de génocide.
Dans l’affaire Akayesu59, le TPIR a relevé qu’il y avait deux grandes différences entre ces deux dispositions. Tout d’abord, la complicité dans le génocide prévue aux articles 4 Statut TPIY et 2 Statut TPIR exige un acte positif,
c’est-à-dire un acte de commission, alors que l’aide et l’encouragement prévus aux articles 7 Statut TPIY et 6 Statut TPIR, peut consister en une inaction ou une abstension. Ensuite, dans ce dernier cas, la personne doit être
animée par le dol spécial c’est-à-dire qu’elle doit avoir agi dans l’intention de
détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux
comme tel; alors que comme nous venons de le voir, cette exigence n’est pas
requise dans le cas prévu aux article 4 Statut TPIY et 2 Statut TPIR. Toutefois, dans l’affaire Semanza, la Chambre de première instance du TPIR a
estimé qu’il n’y avait pas de différence entre la complicité visée à l’article 2
ch. 3 lit. e Statut TPIR et la complicité au sens large prévue à l’article 6 ch. 1
Statut TPIR 60.
Notons que le Statut de la CPI a éliminé cette ambiguïté, puisque l’article 6
Statut CPI (relatif au crime de génocide) ne mentionne plus les modalités de
commission du crime de génocide. La complicité est ainsi uniquement prévue dans la disposition générale de l’article 25 ch. 3 lit. b, c et d Statut CPI.
E.
La question de la responsabilité
Dans un premier temps, le système de responsabilité pénale internationale a
eu de la peine à s’imposer, car il reposait sur des juridictions ad hoc. Depuis
la création de la Cour pénale internationale et d’un véritable droit pénal international, la situation semble évoluer. Les règles diffèrent néanmoins selon
que l’on est en présence d’un cas de responsabilité individuelle ou d’un cas
de responsabilité étatique, puisque les deux sujets sont de nature différente.
Même si l’implication d’organes étatiques n’est pas une condition
d’application du génocide, en pratique l’ampleur des actes en cause suppose
généralement une participation de l’Etat, que ce soit par une voie active ou
59
60
Affaire Akayesu, citée ad note 30, § 546.
Affaire Semanza, citée ad note 57, § 390 ss.
Le génocide
247
passive61. Dans ce cas, la responsabilité des individus peut être disjointe de
celle des Etats, mais l’inverse n’est pas envisageable, un Etat ne pouvant agir
qu’à travers ses agents62. L’Etat ne peut dès lors qu’engager sa responsabilité
civile, alors que les individus engagent leur responsabilité pénale. Il n’existe
actuellement pas de responsabilité pénale étatique. En d’autres termes, la
Convention 1948 prévoit une responsabilité étatique civile aux articles 1 et 5,
alors que les Statuts ne prévoient qu’une responsabilité pénale individuelle
pour les auteurs du crime de génocide (art. 7 ch. 1 Statut TPIY, art. 6 ch. 1
Statut TPIR, art. 25 ch. 2 CPI). Il sied de relever que le Statut de la CPI précise qu’aucune disposition du Statut relative à la responsabilité pénale des
individus n’affecte la responsabilité des Etats en droit international (art. 25
ch. 4 Statut CPI).
F.
Les sanctions pénales
La Convention 1948 ne prévoit pas de sanction précise pour le génocide,
mais impose aux Etats d’y pourvoir. Actuellement, la plupart des systèmes
pénaux nationaux prévoient, dans leurs codes, les mesures à prendre en cas
de génocide. A cet égard, il convient de noter que la peine de mort a été supprimée en tant que sanction du crime de génocide, les Statuts des Tribunaux
internationaux se limitant à la réclusion à perpétuité63.
G.
Les critiques faites à la Convention
Lors de l’élaboration de la Convention 1948, de nombreux problèmes ont été
soulevés en raison de divergences entre les auteurs et les Etats quant au sens
à donner aux divers termes utilisés. Cette situation a perduré et engendre
aujourd’hui encore un flou juridique autour de certaines dispositions.
Avec le recul, l’une des grandes critiques qui peut être émise à l’encontre de
cette Convention est son inefficacité. En faisant un bilan, l’on observe
qu’elle a échoué dans sa mission de prévention et de répression, notamment
si on se réfère aux événements qui se sont déroulés au Rwanda et en exYougoslavie. Le problème qui se pose est que, selon certaines conceptions,
c’est l’Etat qui est l’acteur principal des relations internationales et c’est
61
62
63
La CIJ, dans son arrêt du 26 février 2006 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-etMonténégro, a considéré que la Serbie était responsable indirectement du crime de
génocide commis à Srbrenica car elle n’avait pas pris toutes les mesures visant à empêcher et à réprimer la commission dudit crime.
BOUSTANY K./DORMOY D., op. cit. ad note 26, p. 487 ss.
SCHABAS W., op. cit. ad note 1, p. 331.
248
Maryam Massrouri et Loredana Magri
donc à lui de se soucier de la prévention et la répression du génocide. Pour
que la Convention soit efficace, il est donc nécessaire d’avoir une collaboration importante de la part des Etats, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, puisque l’Etat porte souvent lui-même une grande part de responsabilité dans un génocide.
III. Avenir du crime de génocide
On peut se demander quelle va être l’évolution du crime de génocide. Ces
dernières années, la communauté internationale a mis sur pied de nombreuses institutions destinées à prévenir et réprimer le génocide. La question est
de savoir si ces institutions sont véritablement efficaces. Dans l’ensemble, la
réponse est vraisemblablement négative. En effet, comme nous l’avons mentionné, la Convention 1948 a échoué dans sa mission de prévention au vu des
événements de ces trente dernières années. La question reste toutefois ouverte de savoir si la CPI aura une plus grande efficacité, alors que les EtatsUnis, la Chine et la Russie refusent pour l’heure d’y adhérer. Son avantage
est que la communauté internationale a enfin mis en place une institution
permanente afin de juger le crime de génocide, ce qui lui donne une plus
grande légitimité et une reconnaissance que les tribunaux ad hoc n’avaient
pas forcément.
La banalisation du génocide constitue un autre problème en la matière. On se
focalise souvent sur la question du nombre de victimes que doit comporter
un crime pour obtenir le «label» de génocide. Une telle démarche est évidemment erronée; un génocide ne se déduit pas du grand nombre de ses victimes, mais bien de l’acte commis et de l’intention.
On peut ainsi se demander si la définition donnée par la Convention 1948
n’est pas trop étroite en excluant de ce fait la reconnaissance de certains génocides pourtant indiscutables. Le problème découle de l’article 2 de la
Convention 1948, plus précisément du paragraphe concernant les groupes
nationaux, ethniques, raciaux ou religieux 64. Pour qu’il y ait génocide en cas
de destruction d’un groupe humain, il est en effet nécessaire que le groupe en
question ait été expressément détruit en tant que groupe national, ethnique,
64
BOUSTANY K./DORMOY D., op. cit. ad note 26, p. 271 ss.
Le génocide
249
racial ou religieux65. A notre sens, une telle manière de définir le crime de
génocide restreint par trop la portée de la norme.
65
Ibid., p. 272.